Nations Unies

CCPR/C/132/D/2609/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 décembre 2021

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2609/2015 * , **

Communication présentée par :

Christophe Désiré Bengono (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Cameroun

Date de la communication :

25 février 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 13 mai 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

12 juillet 2021

Objet :

Procédure pénale pour détournement de fonds publics ; détention provisoire prolongée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; détention arbitraire ; emprisonnement pour non-exécution d’une obligation contractuelle ; immixtion arbitraire dans la vie de famille

Article(s) du Pacte :

2, 7, 9, 10, 11, 14, 15 et 17

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Christophe Désiré Bengono, de nationalité camerounaise, né le 8 mai 1970. Il prétend être victime d’une violation par l’État partie de ses droits au titre des articles 2, 7, 9, 10, 14, 15 et 17 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 27 septembre 1984. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 14 octobre 2008, l’auteur a été convoqué par la police judiciaire de Yaoundé pour présomption de détournement de deniers publics et blanchiment d’argent au préjudice de la société Aéroports du Cameroun. Le même jour, il a pu justifier ce qui lui était reproché, comme l’atteste le rapport d’enquête préliminaire du 25 novembre 2008 concernant l’auteur et dix autres personnes. Cependant, l’auteur a été interpellé pour les mêmes faits le 6 janvier 2010, à 6 h 50 du matin. Le 7 janvier 2010, le Procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mfoundi a établi un réquisitoire introductif d’instance en précisant qu’il résultait du procès-verbal du 25 novembre 2008 des indices suffisants qui indiquaient que l’auteur et huit autres personnes avaient commis les faits mentionnés. Le même jour, l’auteur a été inculpé et placé en détention provisoire par mandat du juge d’instruction, sans avoir été interrogé sur les faits qui lui étaient imputés, à savoir, de concert avec d’autres personnes, d’avoir obtenu ou retenu frauduleusement des sommes appartenant à la société Aéroports du Cameroun, faits prévus et réprimés par les articles 74, 96 et 184 du Code pénal.

2.2Le 24 février 2010, l’auteur a dénoncé sa mise en examen abusive par le Procureur auprès du Vice-Premier Ministre et du Ministre de la Justice. Il n’y a jamais eu d’enquête pour faire suite à cette dénonciation.

2.3L’auteur n’a été entendu par le juge d’instruction dans le cadre des faits reprochés que le 3 juin 2010, soit cinq mois après son placement en détention provisoire. Par ordonnances du 6 juillet 2010 et du 6 janvier 2011, le juge d’instruction a par deux fois prolongé sa détention provisoire de six mois, soit pour une durée totale de dix-huit mois. Le 17 août 2010, l’auteur a demandé sa mise en liberté pour subir une intervention chirurgicale. Compte tenu de la nécessité de la préservation des preuves, cette demande a été rejetée par ordonnance du juge d’instruction le 14 septembre 2010.

2.4Le 10 janvier 2011, le Procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mfoundi a établi un réquisitoire supplétif pour des faits nouveaux et a demandé au juge d’instruction d’inculper l’auteur de détournement de deniers publics. C’est sur cette base que le juge d’instruction a inculpé l’auteur lors de sa première comparution le 10 février 2011. L’auteur a signalé au juge d’instruction que les chefs d’accusation énoncés avaient été à l’origine de sa première inculpation du 7 janvier 2010. Le juge a néanmoins émis le 14 février 2011 un autre mandat de détention provisoire pour six mois. Une demande de mise en liberté soumise par l’auteur le même jour est restée sans suite. Le 29 mars 2011, le Procureur a établi un autre réquisitoire supplétif, toujours sur les mêmes faits. Le 19 avril 2011, l’auteur a une fois de plus été inculpé pour ces faits par le même juge d’instruction, avec un troisième mandat de détention provisoire.

2.5Le 27 mai 2011, l’auteur a fourni au juge d’instruction ses conclusions sur l’ensemble des faits qui lui étaient reprochés. Par ordonnance du 1er juillet 2011, le juge d’instruction du tribunal de grande instance du Mfoundi a décidé de renvoyer l’affaire de l’auteur et des huit autres personnes devant le tribunal. Le 16 août 2011, puis le 9 février 2012, le juge d’instruction a prolongé de six mois le mandat de détention provisoire émis le 14 février 2011. Le 25 août 2011, l’auteur a été interrogé pour la première et unique fois sur les faits à l’origine de son inculpation du 10 février 2011, soit plus de six mois après celle-ci.

2.6Lors de la première audience devant le tribunal de grande instance du Mfoundi, fixée le 29 septembre 2011, l’auteur a présenté les exceptions de non-recevoir suivantes : a) illégalité de la garde à vue, puisqu’il avait été privé de liberté de 8 heures à 16 heures sans notification du moindre motif ; b) nullité du rapport d’expertise, puisque les experts n’avaient pas prêté serment et n’étaient pas inscrits sur la liste nationale ; c) défaut de notification de l’expertise des faits à l’enquête préliminaire et à l’instruction ; d) défaut de signature de l’ordonnance de renvoi par le greffier et incompétence du tribunal statuant en matière criminelle ; et e) non-confrontation avec les témoins. Par jugement avant dire droit du 23 février 2012, le tribunal a rejeté ces exceptions. Le tribunal a fait valoir que l’enquêteur pouvait solliciter toute personne qu’il estimait qualifiée à l’effet de lui fournir tout renseignement utile à son enquête, et que les rapports d’expertise étaient de simples renseignements. Il a jugé également que l’auteur n’avait rapporté aucun élément pour attester de l’irrégularité de sa garde à vue au stade de l’enquête préliminaire, qu’il n’avait pas justifié le préjudice que lui aurait causé le fait que le dispositif de l’ordonnance de renvoi ne contenait pas les textes de loi applicables, et qu’il n’avait pas fourni au tribunal tous les éléments d’appréciation nécessaires pour lui permettre de déterminer les témoignages ou témoins à charge avec lesquels il avait souhaité une confrontation.

2.7Alors que l’auteur a interjeté appel de ce jugement le 24 février 2012, le greffier en chef du tribunal de grande instance du Mfoundi n’a dressé le procès-verbal d’appel que le 4 juillet 2012. L’affaire a été inscrite pour la première fois au rôle de la chambre criminelle de la cour d’appel du Centre seulement le 21 août 2012, puis renvoyée au 18 septembre 2012 et ensuite au 20 novembre 2012 pour défaut de citation de la partie civile par le Procureur général.

2.8Le 20 novembre 2012, en raison de l’entrée en vigueur de la loi no 2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un tribunal criminel spécial, modifiée et complétée par la loi no 2012/011 du 16 juillet 2012, la cour d’appel du Centre a informé les accusés que le dossier serait transféré à cette section. Le dossier a été transféré le 27 février 2013, soit trois mois après la décision de transfert. Le 4 mars 2013, l’auteur a demandé au Tribunal criminel spécial de prononcer sa libération, requête jugée irrecevable puisque le Tribunal n’avait pas encore reçu le dossier transmis le 27 février. Le 1er avril 2014, l’auteur a saisi le Président du tribunal de grande instance du Mfoundi par requête aux fins de libération immédiate, laquelle a été jugée non fondée par ordonnance du 22 avril 2014. L’auteur a fait appel le 24 avril 2014.

2.9Le 29 avril 2014, le Tribunal criminel spécial a déclaré irrecevable l’appel de l’auteur contre le jugement avant dire droit du 23 février 2012, au motif que la loi portant sa création était alors entrée en vigueur et que les décisions rendues par les tribunaux de grande instance ne pouvaient que faire l’objet d’un pourvoi en cassation, toute autre voie de recours contre elles étant irrecevable. Le 18 juillet 2014, la cour d’appel du Centre a rejeté la demande de l’auteur de libération immédiate. Le 18 juin 2015, la Cour suprême a déclaré recevable le pourvoi de l’auteur contre l’ordonnance du 18 juillet 2014, mais l’a jugé sans objet au motif que l’auteur devait justifier son pourvoi par une requête articulée en l’absence de laquelle son pourvoi encourait le rejet. La Cour suprême a constaté non seulement que l’auteur n’avait produit aucun écrit en soutien de son pourvoi, mais encore qu’il ressortait des pièces du dossier, ainsi que de l’aveu même de l’auteur, que la procédure pénale dont il faisait l’objet était toujours pendante.

2.10Le 2 mai 2014, l’auteur a saisi le Groupe de travail sur la détention arbitraire. En novembre 2014, le Groupe de travail a rendu une opinion favorable à l’auteur, considérant que sa privation de liberté était arbitraire en ce qu’elle manquait de base légale et en ce qu’elle violait les garanties du droit à un procès équitable, constituant une violation des droits et libertés proclamés dans les articles 9 et 14 du Pacte. Dans ses conclusions, le Groupe de travail priait l’État partie de procéder sans attendre à la libération de l’auteur et de prendre les mesures nécessaires pour remédier au préjudice matériel et moral qu’il avait subi, en prévoyant une réparation raisonnable et appropriée conformément à l’article 9 (par. 5) du Pacte. Aucune suite n’a cependant été donnée par l’État partie.

2.11Dans un procès-verbal de dernier interrogatoire du 30 décembre 2014, le Vice‑Président du Tribunal criminel spécial a informé l’auteur qu’il était accusé de coaction de détournement de deniers publics, de coaction de contrefaçon et de falsification d’écritures de commerce ou de banque, en violation des articles 74, 96, 184 (par. 1 a)) et 314 du Code pénal. Le même jour, l’auteur a été avisé de ce que la première audience devant le Tribunal criminel spécial aurait lieu le 14 janvier 2015. À cette date, l’affaire a été renvoyée au 13 février 2015, puisque le parquet général n’avait pas cité la partie civile. Le 22 janvier 2015, sur la base de l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire, l’auteur a déposé une nouvelle requête en habeas corpus auprès du Président du tribunal de grande instance du Mfoundi. Malgré la décision du Groupe de travail, le 30 juin 2015, le tribunal de grande instance du Mfoundi a jugé non fondée la demande de l’auteur de libération immédiate.

2.12Le 23 octobre 2015, le Tribunal criminel spécial a déclaré l’auteur non coupable de détournement d’argent et de complicité de contrefaçon d’écriture de banque ou de commerce, et l’a acquitté pour faits non établis, en émettant le même jour l’ordre de mise en liberté. Pourtant, le Régisseur de la prison centrale de Yaoundé a refusé de mettre l’auteur en liberté au motif qu’il existait d’autres mandats de détention provisoire, à savoir ceux du 14 février 2011 et du 19 avril 2011, alors qu’il s’agissait des mandats émis sur les mêmes faits et qui en plus étaient caducs. Le 26 octobre 2015, le parquet général près le Tribunal criminel spécial a formé un pourvoi contre l’arrêt du 23 octobre 2015, au-delà du délai légal de quarante-huit heures, lequel ne visait que l’auteur. Ce pourvoi est toujours pendant.

2.13Le 27 octobre 2015, l’auteur a saisi le parquet général près le Tribunal criminel spécial aux fins de mise en liberté contre les mandats de détention provisoire du 14 février 2011 et du 19 avril 2011. Le 30 octobre 2015, il a adressé une autre requête en habeas corpus. Le 5 novembre 2015, le Procureur général près le Tribunal criminel spécial a refusé d’émettre l’ordre de mise en liberté de l’auteur, au motif que la gestion des mandats de détention provisoire des 14 février et 19 avril 2011, décernés par le juge d’instruction du tribunal de grande instance du Mfoundi, échappait à sa compétence. Le 11 novembre 2015, l’auteur a de nouveau saisi le Procureur général près le Tribunal criminel spécial aux fins de mainlevée des mandats de détention provisoire pour cause de caducité, mais cette demande est restée sans suite.

2.14Par ordonnance du 19 novembre 2015, le juge de l’habeas corpus a enfin ordonné la mise en liberté de l’auteur et la levée des mandats de détention provisoire des 14 février et 19 avril 2011. Le 24 novembre 2015, cette ordonnance a été transmise pour exécution au Régisseur de la prison centrale de Yaoundé, qui a de nouveau refusé la libération de l’auteur. À la suite d’une sommation de s’exécuter datée du 1er décembre 2015, le Régisseur a enfin dressé le bulletin de levée d’écrou de l’auteur.

2.15Le 18 décembre 2015, l’auteur a demandé au Directeur général d’Aéroports du Cameroun la levée de la décision de suspension de son contrat de travail et la réparation du préjudice souffert. Faute de réponse, il a adressé une relance le 27 juillet 2016. Le 28 juillet 2016, le Président du conseil d’administration de la société Aéroports du Cameroun l’a informé qu’il ne pouvait pas donner suite à sa demande en raison du pourvoi formé par le parquet général contre l’arrêt qui l’avait acquitté. Le 29 juillet 2016, l’auteur a sollicité la mainlevée de la saisie de ses comptes bancaires, et la restitution de son véhicule personnel et de son ordinateur. Le 29 août 2016, sa requête a été rejetée par le tribunal de grande instance du Mfoundi, au motif que la décision rendue dans son cas n’était pas définitive et qu’il appartenait au tribunal qui avait connu de l’affaire de statuer sur ces questions.

2.16Quant à son état de santé, l’auteur souffrait d’une polypose naso-sinusienne aiguë lorsqu’il a été interpellé le 6 janvier 2010 et placé pendant deux jours en garde à vue, couché sur le sol cimenté. Ce n’est que dans la soirée du 7 janvier 2010, à 20 h 30, qu’il a été présenté au juge d’instruction. Au vu de la détérioration de son état de santé, une autorisation de sortie lui a été accordée le 20 mars 2010 pour qu’il puisse consulter un médecin. Ensuite, plusieurs examens d’imagerie médicale ont été réalisés et l’auteur a été hospitalisé le 27 juillet 2010, après accord du Procureur, pour des traitements palliatifs au Centre hospitalier universitaire de Yaoundé. Sa famille a pris des dispositions pour une intervention chirurgicale en France, le 8 novembre 2010, mais toutes les demandes d’évacuation sanitaire des médecins adressées au Président de la République, au Premier Ministre et aux ministres de la santé et de la justice ont été rejetées ou sont restées sans suite. À la suite de l’aggravation de son état de santé, les médecins ont décidé de réaliser une intervention chirurgicale partielle le 4 février 2014. L’auteur a continué de suivre un traitement à l’hôpital, tout en étant détenu à la prison centrale de Yaoundé.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue une violation par l’État partie des articles 2, 7, 9, 10, 14, 15 et 17 du Pacte.

3.2L’auteur invoque l’article 7 du Pacte pour dénoncer les traitements palliatifs qu’il a reçus depuis son arrestation, toutes les demandes d’évacuation sanitaire des médecins ayant été rejetées ou étant restées sans suite. L’État partie n’a jamais pris en charge ses frais médicaux alors que les autorités sont à l’origine de l’aggravation de son état de santé. La famille de l’auteur a été obligée de s’endetter lourdement pour la prise en charge de ses soins palliatifs et de son alimentation.

3.3L’auteur soulève une violation des articles 9 (par. 1, 2 et 3) et 14 (par. 3 c)) du Pacte sur la base des éléments suivants : a) son placement en garde à vue sans notification préalable des motifs de son arrestation ou de sa garde à vue ; b) son placement en détention pendant cinq mois sans qu’il ait été auditionné sur ce qui lui était reproché ; c) sa mise en jugement pour des infractions n’ayant jamais fait l’objet d’information judiciaire ; d) le rejet par le jugement avant dire droit du 23 février 2012 de ses exceptions de procédure sans réel motif ; et e) les prolongations répétées de sa détention provisoire au-delà du maximum légal de dix‑huit mois et au-delà des cinq ans maximum prévus pour les délits dont il était accusé. L’auteur se plaint également de la lenteur des procédures ainsi que du non-respect de celles‑ci : vingt-six mois se sont écoulés entre la date de l’appel contre le jugement avant dire droit du 23 février 2012 et l’arrêt d’irrecevabilité du 29 avril 2014, alors que l’article 437 (par. 2) du Code de procédure pénale stipule que la cour d’appel statue dans les sept jours à compter du lendemain du jour de la réception du dossier d’appel. De plus, entre le transfert du dossier à la Section spécialisée de la Cour suprême et l’arrêt d’irrecevabilité se sont écoulés quatorze mois, alors que l’article 13 de la loi no 2011/028 prévoit un délai maximal de six mois pour vider sa saisine.

3.4L’auteur dénonce le fait d’avoir été enfermé dans la même cellule que des personnes condamnées, dans des conditions particulièrement rudes, alors qu’il était en détention provisoire, en violation de l’article 10 (par. 1 et 2 a)) du Pacte. Le matraquage psychologique dont il a été victime, compte tenu de son état de santé, s’assimile à des traitements inhumains et porte atteinte à sa dignité humaine.

3.5L’auteur se plaint ensuite de ne pas avoir été immédiatement informé des faits qui lui étaient reprochés. Il ajoute que les soi-disant experts devant procéder aux contrôles de la gestion financière d’Aéroports du Cameroun ont été désignés de manière irrégulière, puisqu’ils n’étaient pas sur la liste des experts de la cour d’appel du Centre. Ces rapports d’experts n’ont par ailleurs jamais été transmis à l’auteur pour sa défense. En outre, le juge d’instruction a manqué d’impartialité quand il a procédé à la requalification des faits reprochés, et ce, tardivement, et sans communiquer cette nouvelle inculpation à l’auteur afin qu’il puisse y répondre. Il n’a pas non plus pu confronter les témoins à charge dans l’affaire. L’auteur conteste également le transfert de compétence du tribunal de grande instance du Mfoundi au Tribunal criminel spécial, qui constitue une violation de la loi camerounaise ainsi que du Pacte. L’auteur considère donc que l’État partie a violé l’article 14 (par. 1 et 3 a), b) et e)) du Pacte. Il allègue aussi une violation de la présomption d’innocence au titre de l’article 14 (par. 2) du Pacte, vu que ses biens personnels ont été confisqués en l’absence d’un jugement ordonnant la confiscation des biens qui n’ont aucun rapport avec les faits incriminés, et vu que les membres du tribunal ne lui ont pas indiqué les charges qui étaient retenues contre lui.

3.6L’auteur invoque une violation de l’article 15 (par. 1) du Pacte, sans donner plus de détails. Sur le terrain de l’article 17 du Pacte, l’auteur déclare que les faits constituent une immixtion arbitraire dans sa vie privée, puisque sa détention arbitraire et le déchaînement médiatique à son égard ont eu pour conséquence la destruction de sa famille, notamment de l’éducation de ses dix enfants mineurs, qui faisaient sans cesse l’objet de railleries de la part de leurs camarades de classe, avec pour effet l’abandon des cours. L’auteur note qu’aucune prise en charge n’est prévue au Cameroun pour les enfants mineurs dont un des parents est en détention provisoire.

3.7L’auteur allègue que l’État partie ne respecte pas son engagement de garantir aux personnes dont les droits et libertés reconnus dans le Pacte ont été violés un recours utile tendant à réparer le préjudice subi et la possibilité de saisir une autorité compétente afin que celle-ci statue, conformément à l’article 2 (par. 3) du Pacte. En l’espèce, il considère que le recours interne pour la réparation raisonnable et appropriée demandée par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, conformément à l’article 9 (par. 5) du Pacte, est inexistant, voire impossible.

3.8Le 15 septembre 2016, l’auteur a fait valoir que le pourvoi du parquet général contre l’arrêt du 23 octobre 2015 serait probablement admis, puisque le Président de la Section spécialisée de la Cour suprême était l’ancien Procureur général de la cour d’appel du Centre − soit le supérieur hiérarchique du Procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mfoundi, qui avait engagé les poursuites sans réel fondement juridique contre l’auteur. Il y a donc violation des dispositions de l’article 2 du Pacte. L’auteur invoque également une violation de l’article 11 du Pacte au motif qu’un mandat d’incarcération a été émis contre lui pour le paiement des dépens faisant suite à l’arrêt du 18 juin 2015, qu’il a été contraint de payer pour éviter la prison. Donc, il a bien été condamné pour une dette. En outre, il affirme qu’il n’existe pas en droit interne de structure chargée de l’indemnisation des personnes victimes de garde à vue et de détention provisoire abusives, ni de mode de détermination de cette indemnité, puisque huit ans après l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale, la commission prévue à l’article 237 de ce dernier, qui doit déterminer et allouer l’indemnité prévue à l’article 236 dudit Code, n’a pas été créée. Il s’agit donc d’un recours théorique, et non pratique.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 3 avril 2017, l’État partie a envoyé des observations sur la recevabilité et le fond, en soutenant que la communication devait être déclarée irrecevable sur la base du non‑épuisement des voies de recours internes et de l’incompatibilité avec les dispositions du Pacte. Dans l’éventualité où le Comité estimerait que la communication est recevable, l’État partie considère qu’elle est dénuée de tout fondement.

4.2En référence à l’ordonnance du 19 novembre 2015 par laquelle le juge de l’habeas corpus a ordonné la libération immédiate de l’auteur, l’État partie considère que c’est en raison de l’effectivité et de l’efficacité des recours internes que l’auteur a recouvré la liberté. Se conformant aux dispositions du Pacte, les autorités nationales ont créé des mécanismes utilement mobilisables en cas de détention illégale ou arbitraire, notamment la procédure d’habeas corpus. Le maintien en détention en dépit d’une décision de relaxe ou d’acquittement constitue l’un des cas de figure prévus par la loi. Ainsi, l’auteur a utilement exercé les recours existants et a pu recouvrer sa liberté. Il s’ensuit que sa communication ne saurait être recevable sur ce point.

4.3Quant à la légalité de la détention, l’État partie conteste l’affirmation de l’auteur selon laquelle, en dépit de l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire, la Cour suprême a déclaré son pourvoi en libération immédiate sans objet le 18 juin 2015, tandis que le juge du tribunal de grande instance du Mfoundi, dans son ordonnance du 30 juin 2015, a déclaré sa requête non fondée. L’État partie fait valoir que l’avis du Groupe de travail a été rendu sans les éléments de contradiction de l’État partie, qui n’ont pu être déposés à temps. Dès lors, le Groupe de travail ne disposait pas de tous les éléments pertinents pour apprécier la légalité de la détention de l’auteur. En outre, concernant l’allégation de l’illégalité de la détention de l’auteur au motif que celle-ci s’est poursuivie en dépit de l’arrêt du 23 octobre 2015 l’acquittant, sous le prétexte que deux autres mandats de détention provisoire couraient contre lui, l’État partie considère que le Comité n’a pas vocation à se prononcer sur l’appréciation des faits et leur qualification.

4.4Pour l’État partie, les recours en vue de l’indemnisation sont disponibles en droit interne. Par ordonnance du 16 février 2016, le Président de la Cour suprême a constaté la composition et la mise en place effective de la Commission d’indemnisation des personnes victimes de gardes à vue et de détentions provisoires abusives. L’auteur ne s’est donc pas assuré de l’existence de cette commission en la saisissant d’une requête, seule manière pour lui de préjuger de son fonctionnement ou non. Bien plus, l’auteur tente malicieusement de faire croire que les recours en indemnisation ne sont pas disponibles, alors que sa situation ne réunit pas encore les conditions de saisine de cette commission, qui examine les requêtes de victimes de garde à vue et de détention provisoire dont la décision de non-lieu ou d’acquittement est devenue irrévocable, ce qui n’est pas le cas de l’auteur, puisque le parquet a formé un pourvoi contre la décision acquittant l’auteur.

4.5Concernant la réintégration professionnelle de l’auteur, l’État partie considère qu’une telle demande est irrecevable ratione materiae, vu que le droit au travail n’est pas inscrit dans le Pacte. Ensuite, l’État partie soutient qu’il revenait à l’auteur de saisir le Tribunal criminel spécial d’une requête aux fins de restitution de ses biens, et non le Procureur général près cette juridiction, comme il l’a fait. Par conséquent, l’auteur n’a pas fait preuve d’un minimum de diligence dans l’exercice des recours internes disponibles.

4.6Sur le fond, pour ce qui est de l’article 9 (par. 1) du Pacte, l’État partie fait valoir que c’est dans le cadre d’une procédure judiciaire que l’auteur a été détenu, en raison des charges qui pesaient contre lui pour détournement de deniers publics. Quant à l’article 9 (par. 5), outre le fait que la détention de l’auteur n’est pas arbitraire et qu’il existe en droit interne des mécanismes pour solliciter réparation, l’État partie rappelle que le mandat du Comité est d’apprécier la régularité et la qualité des procédures au regard des dispositions du Pacte et de ses observations générales. De manière constante, le Comité renvoie la question de la précision des modalités de la réparation aux autorités nationales.

4.7Pour ce qui est des allégations de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte quant au non-respect des délais de jugement et de l’égalité devant les tribunaux, l’État partie explique qu’en vertu du principe de l’opportunité des poursuites, le ministère public a la latitude d’orienter ses poursuites vers certaines personnes, en fonction des circonstances de l’espèce, sans que cela s’apparente à de la discrimination. Ensuite, l’allégation de violation du délai raisonnable de jugement ne saurait résister à l’analyse. Après le pourvoi du ministère public formé le 26 octobre 2015, le dossier a été transmis à la Cour suprême. Après notification du dossier de procédure au Procureur général, qui est demandeur au pourvoi, celui-ci disposait de trente jours à peine de déchéance pour déposer son mémoire ampliatif. Il l’a déposé le 8 janvier 2016, et le Greffier en chef de la Cour suprême a notifié ce mémoire aux conseils de l’auteur, qui disposaient de trente jours pour déposer leur mémoire en réponse, ce qui a été fait les 24 et 29 février 2016. Après quinze jours concédés au demandeur pour le dépôt de son mémoire en réplique, le dossier a été transmis à un conseiller rapporteur pour faire son rapport. Le dossier est en cours d’enrôlement à la Cour suprême, pour instruction.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 11 mai 2017, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie, tout en observant que l’État partie n’avait pas d’arguments à opposer à sa communication. Il précise qu’au moment de l’introduction de sa plainte initiale devant le Comité, le 25 février 2015, la commission d’indemnisation créée le 16 février 2016 n’existait pas.

5.2L’auteur indique que sa demande d’indemnisation se base sur l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui a demandé à l’État partie d’accorder à l’auteur une réparation raisonnable et appropriée conformément à l’article 9 (par. 5) du Pacte. Il considère en outre que l’appréciation faite par les tribunaux des faits de cette affaire a été manifestement arbitraire et qu’il y a également déni de justice, comme il l’a montré dans sa communication initiale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité doit s’assurer, conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que le cas de l’auteur a été examiné par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, lequel a adopté un avis le 19 novembre 2014. Le Groupe de travail ayant achevé l’examen de l’affaire avant que la présente communication soit soumise au Comité, celui-ci ne s’interrogera pas sur le point de savoir si l’examen d’un cas par le Groupe de travail sur la détention arbitraire constitue une procédure devant « une autre instance internationale d’enquête ou de règlement » au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère qu’il n’y a pas d’obstacle à la recevabilité de la présente communication au titre de cette disposition.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés au sens de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.4Le Comité note le grief que l’auteur tire des articles 2 (par. 3) et 9 (par. 5) du Pacte, à travers lequel il cherche à obtenir réparation pour sa détention, qu’il qualifie d’arbitraire. Toutefois, il observe que l’auteur n’a pas soulevé la question des réparations devant les juridictions de l’État partie. Le Comité rappelle que de simples doutes quant à l’efficacité des voies de recours internes n’exonèrent pas l’auteur d’une communication de l’obligation d’épuiser ces recours, et que les auteurs sont tenus de respecter les règles de procédure, sous réserve qu’elles soient raisonnables. Le Comité note l’information de l’État partie sur la mise en place effective d’une commission d’indemnisation des personnes victimes de gardes à vue et de détentions provisoires abusives par ordonnance du 16 février 2016. Il observe que dans la mesure où le parquet a formé un pourvoi contre la décision acquittant l’auteur, les conditions de saisine de cette commission, qui n’est en mesure d’examiner les requêtes d’indemnisation des victimes que lorsque la décision de non-lieu ou d’acquittement est devenue irrévocable, ne sont pas réunies dans le cas de l’auteur. Le Comité note par conséquent que l’acquittement de l’auteur n’étant pas irrévocable, ses griefs relatifs à la détention provisoire abusive et aux réparations y afférentes sont toujours pendants devant les juridictions nationales. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, l’auteur doit se prévaloir de tous les recours judiciaires pour satisfaire à la prescription énoncée dans l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles et ouverts à l’auteur. En conséquence, cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable au titre de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel il est privé d’un recours utile, en violation de l’article 2 du Pacte, puisqu’il suppose que le pourvoi du Procureur contre l’arrêt qui l’a acquitté sera probablement admis. Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué par les particuliers qu’en relation avec d’autres dispositions du Pacte, et estime que les prétentions de l’auteur à cet égard doivent être déclarées irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Au titre des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, le Comité prend note, en premier lieu, des allégations de l’auteur concernant les conditions inhumaines de sa détention, du fait de son état de santé préoccupant et du refus de l’État partie de prendre en charge ses frais médicaux. Le Comité observe que, selon les éléments versés au dossier, l’auteur n’a pas fait état de ces allégations devant les juridictions internes. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la communication doit également être déclarée irrecevable au titre des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.7En second lieu, le Comité note que, selon l’auteur, les conditions et le déroulement de sa détention provisoire ont contribué à la détérioration de son état de santé, en raison du refus des autorités de lui permettre d’accéder à une prise en charge médicale adaptée, ce qui constituerait un traitement inhumain contraire aux dispositions des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte. Le Comité note que l’auteur a effectué de nombreuses démarches auprès du Président de la République et différents ministères, mais qu’il n’a pas démontré avoir présenté ces allégations devant les juridictions nationales. Le Comité fait observer que, peu après son placement en détention provisoire, l’auteur a reçu une autorisation de sortie pour consulter un médecin, a pu bénéficier de plusieurs examens médicaux, a été hospitalisé et a subi une intervention chirurgicale hors de la prison. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief au titre des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte aux fins de la recevabilité de sa communication, et le déclare irrecevable en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant la violation des droits qu’il tire de l’article 11 du Pacte, dans la mesure où il considère qu’il risquait la prison pour défaut de paiement des dépens à la suite d’une procédure pénale. Le Comité considère que les faits reprochés ne portent pas sur le défaut de s’acquitter d’une obligation contractuelle, mais entrent bien dans le champ d’application du droit pénal. Par conséquent, le Comité estime que ce grief est incompatible ratione materiae avec l’article 11 du Pacte et qu’il n’est donc pas recevable en application de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité prend note des griefs suivants, tirés par l’auteur de l’article 14 (par. 1 et 3 a), b) et e)) du Pacte : a) sa cause n’aurait pas été entendue par un tribunal compétent et impartial ; b) il aurait été auditionné sur ce qui lui était reproché seulement cinq mois après son placement en détention provisoire ; c) il aurait été mis en jugement pour des infractions n’ayant jamais fait l’objet d’information judiciaire ; d) il y a eu défaut de communication d’actes de procédure ; e) ses exceptions de procédure ont été rejetées dans le jugement avant dire droit du 23 février 2012 sans réel motif ; f) le transfert de compétence du tribunal de grande instance du Mfoundi au Tribunal criminel spécial aurait violé son droit à un procès équitable ; et g) il n’a pas pu confronter les témoins à charge. Le Comité relève que ces griefs, formulés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte, ont trait à l’application du droit national par les tribunaux de l’État partie. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice. En outre, le Comité observe que l’auteur n’a pas précisé les preuves ou actes de procédure auxquels il n’a pas pu avoir accès et les témoins à charge, au titre de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte, qu’il n’a pas pu confronter. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10Le Comité note également que l’auteur allègue la violation de son droit à être présumé innocent, en raison de la confiscation de ses biens personnels en absence d’un jugement en ce sens, et en raison de la confiscation de biens qui n’ont aucun rapport avec les faits incriminés, d’autant que le tribunal n’avait pas émis de charges. Toutefois, le Comité estime que l’auteur n’explique pas en quoi ces actes procéduraux sont constitutifs d’une violation du droit que l’auteur tient de l’article 14 (par. 2) du Pacte, et considère que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.11Le Comité prend en outre note du grief de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tenait de l’article 15 (par. 1) du Pacte, puisque le temps qu’il a passé en détention provisoire est supérieur à la peine encourue. En l’absence de toute autre information à l’appui de ce grief, le Comité estime qu’il n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.12N’ayant reçu aucun autre élément d’information de la part de l’auteur concernant l’épuisement des recours internes au regard de l’article 17 du Pacte, le Comité considère cette partie de la communication irrecevable.

6.13Enfin, le Comité considère que le grief de l’auteur relatif à la réintégration dans son poste de travail est incompatible ratione materiae avec les droits consacrés par le Pacte et que, par conséquent, celui-ci n’est pas recevable en application de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.14Le Comité estime en revanche que l’auteur a suffisamment étayé ses autres allégations aux fins de la recevabilité, et procède donc à l’examen au fond des griefs formulés au titre des articles 9 (par. 1, 2 et 3), 10 (par. 2) et 14 (par. 3 c)) du Pacte.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 9 du Pacte, nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires. Il rappelle en outre qu’après l’évaluation initiale déterminant que la détention avant jugement est nécessaire, il faut réexaminer périodiquement la mesure pour savoir si elle continue d’être raisonnable et nécessaire, eu égard à d’autres solutions possibles. Dans son paragraphe 3, l’article 9 dispose également que tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale doit être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. Le Comité note que les motifs de l’arrestation de l’auteur lui ont été notifiés seulement huit heures après son placement en garde à vueet qu’à la suite de son inculpation le 7 janvier 2010, et même après son acquittement le 23 octobre 2015, l’auteur est resté en détention provisoire jusqu’au 1er décembre 2015. Le Comité estime que le maintien de l’auteur en détention provisoire pendant plus de cinq ans, jusqu’à sa mise en liberté effective le 1er décembre 2015, après son acquittement le 23 octobre 2015, constitue un abus de détention provisoire. Dès lors, et considérant que l’État partie n’a pas avancé de motifs susceptibles de justifier la détention continue de l’auteur, le Comité conclut à une violation de l’article 9 (par. 1, 2 et 3) du Pacte.

7.3Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 10 du Pacte.

7.4En ce qui concerne le grief de retard excessif dans la procédure, le Comité prend note des allégations de l’auteur, selon lesquelles : a) vingt-six mois se sont écoulés entre la date de l’appel contre le jugement avant dire droit du 23 février 2012 et l’arrêt d’irrecevabilité du 29 avril 2014, alors qu’un délai de sept jours est prévu par l’article 437 (par. 2) du Code de procédure pénale ; et b) quatorze mois se sont écoulés entre le transfert du dossier à la Section spécialisée de la Cour suprême et l’arrêt d’irrecevabilité, alors que l’article 13 de la loi no 2011/028 prévoit un délai maximal de six mois pour vider sa saisine. Le Comité relève en outre que cinq ans et dix mois se sont écoulés entre la première détention provisoire de l’auteur et le prononcé de l’arrêt sur le fond, et que plus de cinq ans après le pourvoi formé par le parquet général près le Tribunal criminel spécial contre l’arrêt du 23 octobre 2015, celui-ci est toujours pendant. Le Comité rappelle qu’aux termes de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte, toute personne a le droit d’être jugée sans retard excessif. Or, l’État partie n’a avancé aucune raison de nature à justifier ces délais procéduraux, ainsi que le long délai entre l’inculpation de l’auteur, le 7 janvier 2010, et l’arrêt en première instance, le 23 octobre 2015, qui l’a acquitté pour faits non établis et a ordonné sa mise en liberté. Le Comité est d’avis qu’un tel délai est d’autant plus grave que l’auteur se trouvait en détention provisoire sans discontinuité depuis son arrestation le 7 janvier 2010. Au vu des informations qui lui ont été soumises, et en l’absence d’explications de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 9 (par. 1, 2 et 3) et 14 (par. 3 c)) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par.3a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pourfournir à l’auteur une indemnité adéquate et des mesures de satisfaction appropriées. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.