Nations Unies

CCPR/C/131/D/3069/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 avril 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par leComité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3069/2017 * , ** , ***

Communication présentée par :

B. B. (représenté par un conseil, Elin Edin)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Suède

Date de la communication :

11 décembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 15 décembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

16 mars 2021

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à la vie ;risque de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans le pays d’origine ; interdiction du refoulement

Article(s) du Pacte :

6 et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a))

1.1L’auteur de la communication est B. B., de nationalité afghane, né le 24 septembre 1999. Il est membre de l’ethnie hazara. Il affirme qu’en l’expulsant vers l’Afghanistan, l’État partie commettrait une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 6 et 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Suède le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 11 décembre 2017, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Afghanistan tant que la communication serait à l’examen. Le 11 décembre 2017, l’État partie a suspendu l’exécution de la mesure d’expulsion jusqu’à nouvel ordre et remis l’auteur en liberté.

Exposé des faits

2.1L’auteur est né en République islamique d’Iran, où ses parents vivaient depuis qu’ils avaient quitté Mazar-e-Sharif (Afghanistan). Il a grandi à Mashad (République islamique d’Iran) avec sa famille.

2.2Le 11 septembre 2015, l’auteur a demandé l’asile en Suède en tant que mineur non accompagné. Il a affirmé qu’il risquerait, s’il était renvoyé en Afghanistan, d’être victime de violence de la part des Taliban et de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL, également connu sous le nom de Daech) car il est chiite, ou d’être enrôlé de force par l’EIIL. Le 14 septembre 2015, au cours d’un entretien préliminaire, il a déclaré que, s’il se voyait accorder un permis de séjour, il aimerait faire venir en Suède ses parents et ses frères et sœurs qui se trouvent en République islamique d’Iran.

2.3Le 7 novembre 2015, les parents de l’auteur et son plus jeune frère ont eux aussi présenté une demande d’asile en Suède. Le 2 juin 2016, l’auteur a de nouveau été entendu, sachant qu’à cette date, il ne pouvait plus être considéré comme mineur non accompagné puisqu’il avait retrouvé sa famille. Le 1er juillet 2016, avant toute décision de l’Office des migrations, les parents ont retiré leurs demandes d’asile parce qu’ils voulaient retourner en Afghanistan pour s’occuper du grand-père de l’auteur. L’Office des migrations a supprimé les demandes d’asile des parents.

2.4Le 15 juillet 2016, l’Office des migrations a rejeté la demande d’asile de l’auteur et celle de son frère. Aucun des deux ne possédant de pièce d’identité, il a indiqué Mazar‑e‑Sharif (Afghanistan), dont les parents de l’auteur étaient originaires, comme lieu d’origine de l’auteur. Il a estimé qu’il était peu probable que l’auteur et son frère soient enrôlés par l’EIIL à leur retour, puisqu’il n’y avait aucune preuve de la présence de l’EIIL dans cette région et que l’EIIL recrutait généralement des personnes qui partageaient son idéologie. L’Office des migrations a également estimé que, pour la santé et le développement de l’auteur et de son frère et, de façon générale, dans leur intérêt supérieur, ils ne devraient pas être séparés de leurs parents, qui avaient leur souhait de retourner en Afghanistan. La décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif de l’immigration.

2.5Le 23 septembre 2016, les parents ont déclaré devant l’Office des migrations qu’ils souhaitaient retourner en Afghanistan sans leurs enfants, puisque les enfants auraient une vie meilleure en Suède et qu’ils avaient dans le pays un ami qui était disposé à les adopter. Lorsque le frère de l’auteur s’est retrouvé seul dans la pièce avec l’agent chargé de son dossier, il a déclaré qu’il ne souhaitait pas retourner en Afghanistan avec ses parents, et a confirmé que son père les avait battus, son frère et lui. Compte tenu de cela, l’Office des migrations a fait un signalement aux services sociaux concernant les enfants.

2.6Le 1er février 2017, le Tribunal administratif de l’immigration a rejeté le recours formé par l’auteur. Le 9 mars 2017, la Cour administrative d’appel de l’immigration a rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel, et la décision d’expulsion le visant est devenue définitive.

2.7À une date non précisée, le père de l’auteur a violemment battu l’auteur avec un câble électrique. L’auteur a signalé les faits à la police, et son frère et lui ont été séparés de leurs parents et placés dans un centre d’accueil pour enfants réfugiés. Environ une semaine après, ils ont été renvoyés chez leurs parents, qui leur ont reproché d’avoir alerté la police et leur ont infligé de nouvelles violences verbales et physiques. Le 30 mars 2017, le tribunal de district d’Ångermanland a condamné le père de l’auteur à une peine de quatre mois d’emprisonnement et au paiement d’indemnités à l’auteur et à son frère pour les avoir violentés à plusieurs reprises entre le 1er novembre 2015 et le 18 octobre 2016. La mère de l’auteur a également été reconnue coupable de faits de violence mineurs à l’égard des garçons, mais a seulement été condamnée à une amende.

2.8En avril 2017, avant que la peine d’emprisonnement soit appliquée, les parents de l’auteur ont disparu. À son retour de l’école, l’auteur a trouvé une lettre dans laquelle son père lui disait les renier, lui et son frère, et jurait qu’il le tuerait, s’il retournait en Afghanistan, pour le punir de l’avoir dénoncé à la police et fait condamner. L’auteur, désormais mineur non accompagné, a été placé dans un foyer pour enfants.

2.9Le tuteur de l’auteur a présenté, au nom de celui-ci, une demande invoquant l’existence d’obstacles à l’exécution de la décision d’expulsion. Il demandait que l’on accorde à l’auteur un permis de séjour ou le réexamen de sa demande d’asile, eu égard à l’évolution de sa situation depuis que la décision d’expulsion était devenue définitive, à savoir le fait que ses parents étaient repartis en Afghanistan, qu’il se trouvait seul en Suède avec son frère, et qu’il avait reçu une lettre de menace de son père, qui écrivait qu’il le tuerait s’il retournait en Afghanistan.

2.10Le 7 juillet 2017, l’Office des migrations a rejeté la demande de permis de séjour ou de réexamen de l’affaire concernant l’auteur. Il a relevé que la disparition des parents de l’auteur constituait un élément nouveau qui n’avait pas été examiné précédemment, mais a estimé que rien ne prouvait que les intéressés aient quitté la Suède pour retourner en Afghanistan, comme le prétendait l’auteur. Il a estimé que la lettre de menace n’avait aucune valeur probante, puisqu’il s’agissait d’un simple message manuscrit, dont on ignorait quand, comment et pourquoi l’auteur l’avait reçu, et qui le lui avait adressé. Le service de traduction engagé par l’Office des migrations a fait savoir que la lettre ne pouvait pas être correctement traduite, car elle était incompréhensible. Le peu d’informations que l’auteur lui-même avait donné sur la teneur de ce document était vague et peu clair. L’Office des migrations a par conséquent conclu qu’il y avait des raisons de croire que les parents de l’auteur se cachaient délibérément pour que l’auteur puisse une nouvelle fois être considéré comme un mineur non accompagné et traité comme tel. Il a en outre estimé que, même si l’on ignorait où se trouvaient les parents de l’auteur, il avait été établi que l’auteur avait d’autres membres de sa famille en Afghanistan. Par conséquent, il avait conclu qu’aucun obstacle pratique ne s’opposait à l’exécution de la mesure d’expulsion visant l’auteur.

2.11La décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif de l’immigration. À l’appui des affirmations selon lesquelles il avait reçu des menaces de la part de son père, l’auteur a produit le jugement rendu le 30 mars 2017 par le tribunal de district d’Ångermanland, lequel avait reconnu ses parents coupables de faits de violence sur sa personne et celle de son frère. Le 21 juillet 2017, le tribunal a rejeté la requête que l’auteur avait introduite pour obtenir la suspension de l’exécution de la mesure d’expulsion le visant et la tenue d’une audience. Le 9 août 2017, il a débouté l’auteur de son recours. L’auteur a saisi la Cour administrative d’appel de l’immigration, qui a rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel le 19 septembre 2017.

2.12Le 25 septembre 2017, l’Office des migrations a décidé de confier l’exécution de la mesure d’expulsion aux autorités de police. Le même jour, les autorités de police ont placé l’auteur en détention, considérant qu’il risquerait autrement de passer dans la clandestinité ou de se livrer à des activités criminelles en Suède. Le 2 octobre 2017, l’auteur a été inculpé d’infraction mineure à la législation sur les stupéfiants. Le 6 octobre 2017, à la demande des autorités de police, l’Office des migrations a examiné la situation en Afghanistan sur le plan de la sécurité et conclu que l’on ne pouvait considérer qu’elle représentait un obstacle à l’exécution de la décision d’expulsion visant l’auteur.

2.13Le 22 octobre 2017, alors qu’il se trouvait en détention, l’auteur a été baptisé. Le 25 octobre 2017, il a une nouvelle fois invoqué devant l’Office des migrations l’existence d’obstacles à l’exécution de la mesure d’expulsion, puisqu’il s’était converti au christianisme, et a demandé le réexamen de son dossier. Le 26 octobre 2017, l’Office des migrations a décidé de rejeter sa demande, jugeant peu crédibles ses allégations concernant sa conversion au christianisme, dans la mesure où il n’avait précédemment soulevé aucune question au sujet de sa prétendue foi chrétienne, alors même qu’il avait eu la possibilité de le faire devant le Tribunal administratif de l’immigration avant le 9 août 2017. Le 17 novembre 2017, le Tribunal administratif de l’immigration a rejeté le recours introduit par l’auteur, jugeant lui aussi peu crédibles les informations communiquées par celui-ci concernant sa conversion. Le 4 décembre 2017, la Cour administrative d’appel de l’immigration a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel introduite par l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion vers l’Afghanistan constituerait une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 6 et 7 du Pacte. Il soutient qu’il serait persécuté par son père, par les autorités afghanes et par la population, de façon générale, pour avoir renié l’islam et s’être converti au christianisme, crime passible de la peine de mort dans le droit afghan. Il affirme que, selon la culture afghane, culture qui valorise la vengeance, en dénonçant son père à la police, il a sali son honneur et seule sa mort permettrait de réparer cet affront. Son père doit donc le tuer pour laver son honneur.

3.2L’auteur fait observer que l’Office des migrations n’a pas dûment examiné la question de sa conversion et que, par conséquent, il n’a pas eu la possibilité de démontrer aux autorités compétentes la sincérité de son changement de religion. Il affirme que l’État partie n’a pas appliqué le principe de la diligence voulue et que, pour s’acquitter des obligations positives qui lui incombent au regard du droit international, il doit veiller à ce que les demandes d’asile fondées sur la religion donnent lieu à une audience. En outre, l’auteur affirme que la manière dont l’Office des migrations a interprété l’invocation tardive de sa conversion au christianisme montre que celui-ci ne comprend pas ce qu’il a vécu, d’un point de vue psychologique et émotionnel, en tant que jeune ayant longtemps été victime de maltraitance de la part de ses parents, dont il a peur.

3.3À ce propos, l’auteur invoque un certain nombre de facteurs de vulnérabilité : il est jeune, victime de violence intrafamiliale, et n’a absolument aucun lien social ni linguistique avec l’Afghanistan puisqu’il est né et a grandi en Iran ; il appartient à l’ethnie hazara et s’est converti au christianisme. Compte tenu de tous ces éléments, il lui serait difficile de s’intégrer au sein de la société afghane et il est particulièrement exposé, notamment, au risque d’être victime de la traite des êtres humains ou du trafic de drogues ou d’être enrôlé de force par les Taliban. Il affirme que ces éléments n’ont pas été dûment pris en considération et évalués dans le cadre de la procédure d’asile. Il ajoute que, comme il a peur de ses parents, il lui est difficile de demander une tazkira, pièce d’identité que toute personne vivant en Afghanistan doit avoir.

3.4L’auteur affirme avoir épuisé les recours internes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 11 juin 2018, l’État partie a adressé ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2Pour ce qui est de la recevabilité de la communication au regard de l’article 5 (par. 2 a) du Protocole facultatif et de l’article 99 (al. e)) du règlement intérieur du Comité, l’État partie affirme qu’il ignore si la présente communication est actuellement ou a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3L’État partie fait observer qu’il ne conteste pas la recevabilité de la communication au regard de l’article 5 (par. 2 b) du Protocole facultatif et de l’article 99 (al. f)) du règlement intérieur du Comité.

4.4L’État partie soutient que les affirmations de l ’ auteur selon lesquelles il risque d ’ être traité d ’ une manière qui constituerait une violation du Pacte ne sont pas étayées par le minimum d ’ éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. De ce fait, la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 (al. b)) du règlement intérieur du Comité.

4.5S’agissant des allégations de violation des articles 6 et 7 du Pacte, l’État partie fait observer que, si le renvoi d’une personne dans son pays d’origine constitue une violation des articles 6 ou 7 du Pacte lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, ce risque réel doit être la conséquence nécessaire et prévisible du renvoi et doit être personnel. L’État partie ajoute qu’un poids important doit être accordé à l’appréciation faite par les autorités nationales car c’est à elles qu’il appartient de manière générale d’examiner ou d’apprécier directement les faits et les éléments de preuve afin d’établir l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable, sauf s’il est établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou erronée ou a représenté un déni de justice. Il souligne que cette approche repose sur l’acceptation par le Comité du fait que les autorités nationales sont les mieux placées pour établir les faits, étant donné qu’elles ont directement accès aux témoignages oraux et aux autres éléments apportés dans le cadre des procédures judiciaires au niveau national. Il ajoute en outre que plusieurs dispositions de la loi sur les étrangers reprennent les principes énoncés aux articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte. Les autorités suédoises de l’immigration, lorsqu’elles examinent une demande d’asile présentée au titre de la loi relative aux étrangers, appliquent donc les mêmes critères que le Comité lorsqu’il examine une plainte soumise en vertu du Pacte.

4.6Pour ce qui est de la situation générale des droits de l’homme en Afghanistan, l’État partie fait observer que ce pays est partie au Pacte, ainsi qu’à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il ajoute que, s’il reconnaît que la situation en Afghanistan s’est dégradée ces dernières années sur le plan de la sécurité, l’intensité du conflit varie grandement d’une région à l’autre du pays et le degré de violence aveugle observé sur l’ensemble du territoire n’est pas de nature à justifier qu’il faille protéger tous les demandeurs d’asile de ce pays. Il ajoute que si les Hazaras restent victimes de discrimination, de façon générale, en Afghanistan, il ressort des informations les plus récentes que l’appartenance ethnique et la religion ne font pas partie des principaux motifs de discrimination contre cette ethnie. Il indique que le rapport publié par l’Office suédois des migrations en décembre 2017 ne permet pas de conclure qu’une simple allégation de reniement de l’islam suffit à établir l’existence d’un risque réel de persécution justifiant d’accorder à l’intéressé une protection internationale, tout en faisant observer que, selon le rapport, un apostat risque d’être désavoué par sa famille et d’être tué par d’autres membres de la société sans avoir été jugé, que de simples accusations d’apostasie peuvent susciter des réactions violentes, et que les personnes qui n’ont pas de relations sur lesquelles compter sont particulièrement vulnérables. L’État partie fait également observer que les apostats ont la possibilité de se repentir et de revenir à l’islam. Ainsi, la situation générale n’est pas suffisante en elle-même pour établir que l’expulsion de l’auteur serait contraire aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité doit donc centrer son évaluation sur les conséquences prévisibles de l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan compte tenu de la situation personnelle de celui‑ci. À ce propos, l’État partie souligne que c’est aux demandeurs d’asile qu’il incombe de démontrer de façon plausible qu’ils appartiennent à un groupe exposé à un risque de persécution.

4.7L’État partie soutient que toutes les garanties de procédure ont été respectées en ce qui concerne l’évaluation de la demande d’asile de l’auteur. Des agents de l’Office des migrations se sont entretenus à plusieurs reprises avec l’auteur en présence d’une avocate commise d’office et d’interprètes dont l’intéressé a confirmé qu’ils comprenaient bien sa langue. L’auteur a donc eu plusieurs fois l’occasion d’expliquer les faits et circonstances mis en avant à l’appui de ses allégations et de plaider sa cause, oralement et par écrit, devant l’Office des migrations, puis par écrit, devant le Tribunal administratif de l’immigration. L’Office des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration ont donc examiné de façon approfondie tous les faits de l’espèce et se sont demandé si les griefs de l’auteur étaient cohérents et précis et s’ils contredisaient des faits de notoriété publique ou des informations disponibles sur le pays d’origine.

4.8Dans ces circonstances, l’État partie estime qu’il y a lieu de conclure qu’avec les faits et les éléments de preuve relatifs à la présente affaire, l’Office des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration disposaient d’informations suffisantes pour être assurés d’avoir une base solide leur permettant d’apprécier raisonnablement, en toute transparence et en connaissance de cause le besoin de protection de l ’ auteur en Suède compte tenu des risques que celui-ci courait. Étant donné que l’Office des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration sont des organes spécialisés possédant une expérience particulière dans les domaines du droit et de la pratique en matière d’asile, l’État partie estime qu’il n’y a aucune raison de conclure que les décisions prises au niveau national n’étaient pas correctes et que l’issue des procédures était arbitraire ou constituait un déni de justice. Il estime par conséquent qu’un poids important doit être accordé aux conclusions des autorités suédoises compétentes en matière d’immigration.

4.9S’agissant des allégations selon lesquelles l’auteur risquerait d’être persécuté à son retour en Afghanistan puisqu’il a renié l’islam, l’État partie admet qu’en Afghanistan, les chrétiens et les personnes converties au christianisme courent un risque réel de persécution justifiant une protection internationale. Reste à savoir, toutefois, si la foi chrétienne dont l’auteur se réclame repose sur des convictions religieuses personnelles et sincères. L’État partie conteste que la conversion de l’auteur ait résulté d’une foi sincère, puisque l’auteur l’a invoquée à un stade très avancé de la procédure d’asile, après que la décision d’expulsion fut passée en force de chose jugée, lorsqu’il a été arrêté par le service de police chargé d’exécuter la décision d’expulsion. En outre, l’auteur n’a pas expliqué de façon plausible pourquoi il n’avait pas indiqué son changement de croyances religieuses dans la première demande qu’il avait présentée aux fins du réexamen de son dossier. D’après l’État partie, en outre, les autorités nationales ont estimé que les explications données par l’auteur sur ses pensées et ses réflexions concernant sa religion relevaient de la description générale de l’islam et du christianisme et d’une comparaison classique entre l’une et l’autre religion. L’État partie considère donc que les motifs de la conversion de l’auteur sont douteux et contestables. Il fait observer que le jugement du tribunal de district d’Ångermanland ne contient aucune information concernant les croyances religieuses de l’auteur. Il estime donc que l’auteur n’a pas démontré de façon plausible que sa conversion au christianisme reposait sur des convictions religieuses sincères. De la même manière, il estime qu’on ne peut pas considérer que l’auteur est en danger parce que son père ou d’autres personnes savent qu’il s’est fait baptiser en Suède, ni qu’il risque d’une autre manière de se voir attribuer des convictions religieuses.

4.10L’État partie fait également observer que l’auteur n’a jamais indiqué, ni dans la demande d’asile initiale qu’il a présentée en Suède, ni par la suite dans le cadre du réexamen de son dossier par les autorités internes, qu’on le battait pour le punir d’avoir critiqué l’islam ni qu’il s’était rapproché du christianisme lorsqu’il vivait en République islamique d’Iran. Il s’agit donc de nouveaux griefs, qui ont été formulés devant le Comité sans avoir été préalablement soulevés devant les autorités nationales compétentes en matière d’immigration. L’État partie en conteste donc vigoureusement la véracité.

4.11L’État partie ajoute certains éléments : le 25 août 2017, l’Office des migrations a été informé par le tribunal de district d’Ångermanland que l’auteur avait été arrêté car il était soupçonné d’attentat à la pudeur et de tentative d’homicide. Le 18 septembre 2017, l’Office des migrations a également été informé que l’auteur avait été remis en liberté. Il était également soupçonné d’attentat à la pudeur sur la personne d’une employée du centre d’accueil pour migrants et de consommation de stupéfiants, faits signalés à plusieurs reprises par le centre d’accueil à la Commission de la protection sociale.

4.12L’État partie estime que le récit livré par l’auteur et les faits sur lesquels celui-ci s’appuie sont insuffisants pour permettre de conclure que le risque de mauvais traitements auquel l’auteur prétend qu’il serait exposé en cas de renvoi en Afghanistan satisfait aux conditions requises, à savoir qu’il s’agit d’un risque prévisible, réel et personnel. Par conséquent, il conclut que, dans ces conditions, l’exécution de la décision d’expulsion ne constituerait pas une violation des obligations qui incombent à la Suède au regard des articles 6 ou 7 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 29 octobre 2018, l’auteur a adressé ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond.

5.2S’agissant de la recevabilité de la communication, l’auteur confirme que la même question n’a pas été examinée ni n’est actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête. Il soutient en outre que, compte tenu des informations détaillées qu’il a données dans ses observations initiales et des présents commentaires, ses griefs sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

5.3Concernant le fond de l’affaire, l’auteur affirme qu’il ne suffit pas que la loi sur les étrangers reprenne les principes énoncés aux articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte pour que les droits en question soient effectivement exercés dans la pratique et ne relèvent pas simplement du principe abstrait.

5.4L’auteur conteste que son dossier ait été examiné « de manière approfondie » par les autorités nationales compétentes en matière d’immigration, comme l’affirme l’État partie, étant donné qu’on ne lui a accordé qu’un seul entretien, en juin 2016. Contrairement à ce que soutient l’État partie dans ses observations, ses allégations au sujet de sa conversion et des menaces proférées par son père n’ont jamais été examinées dans le cadre d’entretiens oraux et les autorités n’ont jamais enquêté sur ces éléments bien que l’auteur ait demandé à être entendu dans le cadre d’une procédure orale. L’auteur déclare qu’il n’a jamais véritablement eu la possibilité d’étayer ses allégations devant un agent de l’Office des migrations sans que ses parents soient présents.

5.5À ce propos, l’auteur conteste les affirmations de l’État partie selon lesquelles il n’a pas de raison valable d’avoir attendu plusieurs mois après le départ de son père pour informer les autorités de sa conversion. Il affirme que les autorités ont fait entièrement abstraction de l’incidence des mauvais traitements que lui ont infligés les personnes qui s’occupaient de lui, et du traumatisme qu’il a subi en tant que jeune garçon. Le tribunal de district d’Ångermanland a établi que le père de l’auteur commettait régulièrement des actes de violence graves à l’égard de ses enfants, ce qui signifie que l’auteur a aussi été maltraité lorsqu’il vivait en République islamique d’Iran. Traumatisé, l’auteur vivait donc en permanence dans la peur, et cette situation s’est encore aggravée lorsqu’il est arrivé en Suède. L’auteur souligne également qu’il présente les comportements typiques des personnes qui ont subi des actes de violence et des mauvais traitements répétés. Il a des tremblements, présente une hyperactivation neuro-végétative, et est dans un état d’hypervigilance constante. Il fond en larmes sans raison et a des accès de panique. Ces faits n’ont toutefois pas été pris en considération par les autorités compétentes en matière d’immigration.

5.6L’auteur soutient que, comme le souligne l’État partie lui-même, il convient d’accorder un poids important à la compétence des autorités suédoises et, partant, à la condamnation prononcée contre son père et à la reconnaissance des mauvais traitements que celui-ci lui a infligés, éléments dont il n’a pas été tenu compte dans le cadre de la procédure d’asile. L’auteur conteste la décision du Tribunal administratif de l’immigration, qui a décidé que le jugement rendu par le tribunal de district d’Ångermanland ne constituait pas un nouvel élément dans le cadre de la deuxième demande présentée par l’auteur aux fins du réexamen de son dossier. Sur ce point, l’auteur soutient qu’il n’est pas rare que, lorsqu’une peine d’emprisonnement est prononcée contre un parent coupable d’actes de violence sur la personne de son fils, aucune information sur les raisons des actes de violence en cause ne soit mentionnée, et que cette information aurait dû être considérée comme un élément nouveau dans le cadre de l’audition de l’auteur, afin de déterminer s’il existait un lien entre la conversion de l’auteur et les mauvais traitements infligés par son père.

5.7L’auteur souligne que, même s’il vivait dans la peur permanente de son père, il cherchait tout de même l’amour de celui-ci, comme le font les enfants. Le fait qu’il ait dit au cours de son entretien préliminaire qu’il souhaitait faire venir ses parents en Suède s’il obtenait un permis de séjour ne saurait donc être interprété comme une preuve que son père n’était pas violent et on ne saurait accorder à cet élément davantage de poids qu’à la peine de quatre mois d’emprisonnement à laquelle son père a été condamné pour lui avoir fait subir des violences physiques. L’auteur répète qu’il est impossible d’apprécier la crédibilité d’une personne ou la sincérité de sa foi sans l’entendre, notamment pour examiner les aspects psychologiques de sa conversion. Il fait observer, en outre, qu’il aurait au moins dû avoir la possibilité de s’exprimer au sujet du manque de crédibilité qu’on lui reproche.

5.8L’auteur ajoute que l’État partie n’a pas fait le nécessaire pour le protéger et protéger son frère des mauvais traitements dont ils étaient victimes alors même que l’agent chargé de leur dossier avait été informé le 23 septembre 2016 que leur père leur faisait subir des violences physiques. Il a été considéré que cet élément ne justifiait pas qu’on leur accorde une protection et l’auteur a été contraint de continuer de vivre avec ses parents après les avoir dénoncés à la police.

5.9L’auteur répète que l’Afghanistan est un pays de tradition strictement patriarcale, où la vengeance est considérée comme une vertu et un devoir absolu. Le fait qu’un père qui a été condamné à une peine d’emprisonnement pour avoir fait subir des actes de violence à ses propres enfants prenne la fuite avant que sa peine puisse être appliquée doit alerter. L’auteur affirme que, compte tenu de tous ces éléments de contexte, l’État partie s’est montré particulièrement négligent dans l’exécution de l’obligation qui lui incombe de protéger les droits de l’homme sans discrimination puisqu’il ne lui a pas donné la possibilité d’être entendu pour pouvoir étayer ses allégations, et n’a tenu compte ni de la déclaration de culpabilité prononcée contre son père pour sévices à enfant, ni de la lettre de menace laissée par celui-ci.

5.10L’auteur ajoute qu’en dehors de ses parents maltraitants, il ne connaît personne en Afghanistan ; il a donc besoin d’être protégé, en particulier parce que son père fait peser sur lui une menace concrète. L’auteur rappelle également que les persécutions et les exécutions dont font l’objet les personnes converties au christianisme représentent un problème grave du point de vue des droits de l’homme. Il ajoute que, si l’État partie se fonde essentiellement sur la situation de la sécurité dans le pays, c’est son statut d’apostat qui lui fait courir personnellement un risque concret.

5.11L’auteur confirme en outre qu’il n’a été reconnu coupable d’aucune infraction hormis la consommation d’un joint pour laquelle il a payé une amende. Il fait observer que le fait qu’il ait été inculpé d’une infraction mineure à la législation sur les stupéfiants et soupçonné d’attentat à la pudeur sur la personne d’une employée du foyer pour migrants ne doit pas entrer en ligne de compte dans l’examen de son affaire qui concerne le non-refoulement.

5.12Pour conclure, l’auteur soutient que l’État partie continue de formuler des observations d’ordre général concernant les dispositions du droit, sans avoir apprécié les circonstances réelles de l’espèce. Il souligne qu’il est conscient que le Comité n’est pas une juridiction de quatrième instance chargée de réexaminer les faits, mais qu’il importe d’insister sur le fait que les autorités suédoises compétentes en matière d’immigration n’ont pas agi conformément à la législation nationale ni aux obligations internationales qui incombent à la Suède en matière de droits de l’homme. La charge de la preuve est partagée et, si c’est au requérant qu’il appartient d’étayer ses allégations, les autorités doivent, quant à elles, lui donner la possibilité de le faire oralement.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 22 janvier 2020, l’État partie a adressé ses observations complémentaires, indiquant que les commentaires de l’auteur n’apportaient pas d’éléments nouveaux sur le fond. Il souligne qu’il maintient intégralement sa position concernant la recevabilité et le fond de la présente communication, telle que formulée dans ses précédentes observations, datées du 11 juin 2018.

6.2Pour ce qui est de l’argument de l’auteur selon lequel les autorités nationales compétentes en matière d’immigration n’étaient pas disposées à lui donner la possibilité d’étayer ses dires concernant les mauvais traitements que ses parents lui auraient infligés, l’État partie répète que, dans le cadre de la procédure d’asile ordinaire, l’auteur a eu plusieurs fois l’occasion d’expliquer les faits et circonstances motivant ses demandes et de plaider sa cause, oralement et par écrit devant l’Office suédois des migrations, puis par écrit devant le Tribunal administratif de l’immigration. La portée de l’évaluation réalisée par les autorités nationales compétentes en matière d’immigration comme suite à une demande de réexamen introduite au stade de l’exécution de la mesure d’expulsion n’est toutefois pas la même que celle de l’évaluation effectuée dans le cadre de la procédure d’asile ordinaire. Puisqu’il avait été estimé que les nouveaux éléments invoqués par l’auteur ne remplissaient pas les conditions nécessaires pour constituer un obstacle durable à l’exécution de la mesure d’expulsion, l’auteur n’a pas été réentendu par les autorités nationales compétentes.

6.3L’État partie conteste également les allégations de l’auteur selon lesquelles les autorités nationales compétentes en matière d’immigration se seraient montrées négligentes en ne tenant aucun compte des nouveaux éléments produits par l’auteur. Pour ce qui est de la lettre de son père, l’État partie rappelle l’appréciation de l’Office des migrations, qui a estimé que les informations communiquées par l’auteur à ce sujet étaient, aux fins d’un réexamen au titre du droit applicable, très concises, peu précises et vagues. S’agissant des allégations de l’auteur selon lesquelles le jugement rendu par le tribunal de district d’Ångermanland n’avait pas été considéré comme un élément nouveau par le Tribunal administratif de l’immigration, l’État partie souligne que le Tribunal administratif de l’immigration a estimé, tout comme l’Office des migrations, que la menace présumée que le père de l’auteur faisait peser sur lui constituait un nouvel élément au sens de la loi sur les étrangers. Le tribunal a toutefois jugé que ni la lettre produite par l’auteur ni le jugement en question ne suffisaient à démontrer que les éléments invoqués devaient être considérés comme entravant durablement l’exécution de la décision d’expulsion. L’État partie souligne également que, le 7 juillet 2017, l’Office des migrations a conclu que, parce que les parents de l’auteur avaient l’intention de confier celui-ci à des amis vivant en Suède, il y avait des raisons de croire qu’ils se cachaient délibérément pour que l’auteur puisse de nouveau être considéré comme un mineur non accompagné.

6.4Concernant la conversion présumée de l’auteur, l’État partie répète que les autorités nationales ont considéré qu’il s’agissait d’un nouvel élément et que le recours a été dûment examiné. Il estime que les arguments avancés par l’auteur pour expliquer pourquoi il n’avait pas mentionné plus tôt son intérêt pour le christianisme au cours de la procédure entament sa crédibilité. En outre, les autorités nationales ont souligné que rien, dans le dossier ou ailleurs, ne permettait d’affirmer que le père de l’auteur lui avait fait subir des violences parce qu’il s’intéressait au christianisme. L’État partie conclut que l’auteur, dont les déclarations sont peu crédibles, n’a pas démontré que sa conversion au christianisme reposait sur des convictions religieuses personnelles et sincères, et qu’il entendait vivre en tant que converti, en s’exposant au risque d’attirer l’attention des autorités afghanes ou de particuliers en cas de renvoi en Afghanistan, ni qu’on lui attribuait des croyances chrétiennes.

6.5L’État partie soutient en outre que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, plusieurs mesures ont été prises par les autorités publiques pour protéger celui-ci. Il répète également que, dès que le frère de l’auteur a dénoncé le comportement violent de leur père, la question a été portée à l’attention des services sociaux pour la sécurité des intéressés.

Observations complémentaires de l’auteur

7.1Le 25 mai 2020, l’auteur a adressé des observations complémentaires, dans lesquelles il reprend ses arguments précédents.

7.2L’auteur soutient que, lorsque dans le cadre de la procédure d’asile ordinaire il a eu la possibilité d’être entendu, il était encore mineur, et qu’il n’a pas pu être entendu au stade de l’exécution de la mesure d’expulsion, après l’introduction de sa demande invoquant l’existence d’obstacles à l’exécution. Les autorités compétentes en matière d’immigration sont tenues de procéder à une évaluation actualisée des risques avant d’expulser un demandeur d’asile.

7.3L’auteur ajoute que l’idée que ses parents se cachaient délibérément pour qu’il puisse être considéré comme un mineur non accompagné relève purement et simplement de la spéculation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes utiles qui lui étaient ouvertes. En l’absence d’objection de la part de l’État partie sur ce point, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.4Le Comité note que l’État partie conteste, pour défaut de fondement manifeste, la recevabilité des griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 6 et 7. Il estime toutefois que l’auteur a suffisamment expliqué, aux fins de la recevabilité, les raisons pour lesquelles il craignait qu’un renvoi en Afghanistan ne l’expose au risque de subir des traitements contraires aux articles 6 et 7 du Pacte. Par conséquent, il déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 et 7 et il passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle un renvoi en Afghanistan lui ferait courir un risque réel de subir un préjudice irréparable, en violation des articles 6 et 7 du Pacte. L’auteur soutient qu’en Afghanistan, il risquerait d’être victime de persécutions susceptibles de mettre sa vie en danger en raison de son apostasie, qui serait connue et aurait été divulguée par un certain nombre de personnes rapatriées qui avaient appris qu’il s’était converti au christianisme. Il risquerait aussi, dit-il, d’être persécuté par son père, comme l’atteste la lettre de menace que celui-ci lui a laissée avant de quitter la Suède ; le père de l’auteur aurait en effet juré qu’il laverait son honneur, sali par l’auteur, qui l’a dénoncé aux autorités suédoises pour lui avoir fait subir des sévices. Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles le risque de persécution qu’il courrait serait encore aggravé par certains facteurs de vulnérabilité, notamment par son appartenance à la minorité ethnique hazara et par le fait qu’il n’a jamais vécu en Afghanistan et que, par conséquent, il ne connaît pas ce pays, n’en parle pas la langue et ne connaît personne sur place en dehors de ses parents maltraitants.

9.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004), dans laquelle il mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte (par. 12). Le Comité a en outre établi que le risque devait être personnel et qu ’ il fallait des motifs sérieux de conclure à l ’ existence d ’ un risque réel de préjudice irréparable . Tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l ’ homme dans le pays d ’ origine de la personne concernée . Le Comité rappelle qu ’ il appartient généralement aux organes des États parties d ’ apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer si un tel risque existe , sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle a constitué un déni de justice .

9.4Pour ce qui est des affirmations de l’auteur au sujet de ses convictions religieuses et de sa conversion, reste à savoir, indépendamment de la sincérité de la conversion, s’il existe des raisons sérieuses de croire que celle-ci peut avoir, dans le pays d’origine de l’intéressé, des conséquences suffisamment graves que pour créer un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. En conséquence, même si elles concluent que la conversion n’est pas sincère, les autorités devraient évaluer si, dans les circonstances de l’espèce, le comportement du demandeur d’asile et les activités auxquelles il s’est livré en lien avec sa conversion ou ses convictions pourraient avoir dans le pays d’origine des conséquences négatives suffisamment graves pour l’exposer à un risque de préjudice irréparable. À ce propos, le Comité rappelle que les États parties doivent accorder un poids suffisant au risque réel auquel une personne serait personnellement exposée en cas d’expulsion, et estime que l’État partie aurait dû procéder à une évaluation individuelle du risque que l’auteur courrait s’il était renvoyé en Afghanistan.

9.5En l’espèce, le Comité note que l’auteur affirme que ses affirmations concernant sa conversion n’ont pas été correctement examinées par les autorités. Toutefois, le Comité note aussi que, selon l’État partie, les allégations de l’auteur concernant sa conversion n’ont pas été jugées crédibles, puisque l’auteur n’a fait état de sa conversion qu’à un stade très avancé de la procédure d’asile et que les arguments qu’il a invoqués pour justifier la communication tardive de cette information n’étaient pas convaincants. Le Comité prend également note de la décision de l’Office des migrations du 26 octobre 2017, dans laquelle celui-ci fait savoir qu’il a examiné les allégations de l’auteur concernant sa conversion mais a considéré qu’il y avait une bonne raison de s’interroger sur les motifs à l’origine du baptême de l’auteur, qui avait eu lieu le 22 octobre 2017, lorsque l’auteur avait été placé en détention par le service de police chargé d’exécuter la décision d’expulsion. L’Office des migrations a aussi tenu compte du fait que l’auteur n’avait jamais mentionné sa conversion auparavant, même lorsqu’il avait eu l’occasion de le faire au moment de sa première demande de réexamen. Le fait qu’il n’ait fait valoir sa conversion qu’à un stade très tardif de sa procédure d’asile a nui à la crédibilité de ses dires, étant donné en particulier qu’il était alors en Suède depuis plus de deux ans et avait déjà eu plusieurs occasions d’informer les autorités de l’immigration de sa conversion, en particulier après le mois d’avril 2017, lorsque ses parents auraient fui la Suède.

9.6À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence d’où il ressort que c’est à l’auteur de prouver ses affirmations selon lesquelles il court personnellement un risque réel de préjudice irréparable s’il est expulsé, notamment de soumettre aux autorités nationales des éléments de preuve suffisamment à l’avance, à moins qu’il lui ait été impossible de présenter cette information plus tôt. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que les arguments de l’auteur concernant le risque auquel il serait exposé en Afghanistan en tant que converti récent sont d’une nature vague et générale, et que son grief concernant l’examen de sa conversion est principalement l’expression de son désaccord avec les conclusions factuelles des autorités de l’État partie relatives à la crédibilité de ces arguments et ne montre pas que ces conclusions ont été arbitraires ou manifestement déraisonnables ou que la procédure en question a été entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice.

9.7En ce qui concerne l’examen des violences et des menaces dont l’auteur aurait fait l’objet, le Comité observe que l’État partie affirme que l’auteur a eu l’occasion d’étayer ses griefs, tant oralement que par écrit devant l’Office des migrations, et par écrit devant le Tribunal administratif de l’immigration pendant la procédure d’asile ordinaire, alors que l’auteur affirme qu’il n’a pas eu l’occasion d’étayer ses arguments oralement.

9.8Le Comité note que, au cours de l’entretien du 2 juin 2016 relatif à la demande d’asile, l’auteur n’a pas informé l’agent chargé de son dossier qu’il avait été maltraité par son père. Toutefois, le Comité note aussi que, même après que le frère de l’auteur a informé l’agent, le 23 septembre 2016, que leur père les avait battus son frère et lui, le Tribunal administratif des migrations, le 1er février 2017, a rejeté l’appel formé par l’auteur et son frère, sans examiner dans le détail les risques liés aux menaces se rapportant aux violences alléguées. Dans sa décision du 9 août 2017, le Tribunal administratif des migrations n’a pas jugé que la condamnation pénale prononcée contre les parents de l’auteur donnait une raison de supposer que l’auteur courait un risque grave (par. 2.11). Le Comité note aussi qu’il n’y a pas eu d’examen suffisant des menaces alléguées dans le cadre de l’examen ultérieur de la demande d’asile, puisque la lettre de menaces que l’auteur a soumise n’a pas été considérée par l’Office des migrations comme ayant une valeur probante.

9.9Le Comité considère que, quelles que soient les raisons des violences, les violences alléguées et les traumatismes qui en ont résulté, associés à la vulnérabilité de l’auteur due au jeune âge de celui-ci et à son parcours migratoire, pouvaient représenter un risque grave pour sa santé et pour son développement psychique et physique. Il incombait donc aux autorités chargée de l’asile dans l’État partie d’examiner de manière approfondie le comportement abusif des parents, étant donné, en particulier, que les violences commises en Suède avaient été signalées aux institutions compétentes en septembre 2016 et que les parents de l’auteur avaient été déclarés coupables de violences sur leurs enfants, dans un jugement rendu le 30 mars 2017 par le tribunal de district d’Ångermanland.

9.10En outre, l’auteur pourrait courir un risque réel de préjudice irréparable s’il était expulsé en Afghanistan, puisque son père, qui y est peut-être retourné, aurait fait le serment de le tuer pour laver son honneur, compte tenu en particulier du contexte de la société afghane, dans laquelle, selon les rapports, il est fréquent que les personnes qui veulent laver leur honneur se livrent à des actes de vengeance meurtriers et à des vendettas. À ce propos, le Comité note aussi que l’auteur a grandi en République islamique d’Iran et n’a ni relations sociales ni contacts en Afghanistan, excepté son grand-père.

9.11Le Comité considère que le risque que l’auteur courrait en Afghanistan est un risque réel et personnel, car il vient de sa propre famille, et non pas un risque général. Il conclut que l’auteur pourrait subir de graves conséquences dans son pays d’origine, ce qui pourrait l’exposer à un risque de préjudice irréparable.

9.12Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’État partie n’a pas évalué correctement le risque réel et prévisible que l’auteur courrait personnellement s’il était renvoyé en Afghanistan, compte tenu des menaces de vengeance exprimées par son père et du traumatisme résultant des mauvais traitements infligés par ses parents. En conséquence, le Comité estime que l’État partie n’a pas dûment pris en considération les conséquences que la situation personnelle de l’auteur auraient pour celui-ci en Afghanistan et conclut que son renvoi en Afghanistan constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que le renvoi de l’auteur en Afghanistan constituerait une violation, par l’État partie, des droits que l’auteur tient des articles 6 et 7 du Pacte.

11.Conformément à l ’ article 2 (par. 1) du Pacte, qui dispose que les États parties s ’ engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur juridiction les droits reconnus dans le Pacte, l ’ État partie est tenu de procéder à un réexamen complet des griefs de l ’ auteur compte tenu des obligations mises à sa charge par le Pacte et des présentes constatations. L ’ État partie est aussi prié de ne pas expulser l ’ auteur tant que sa demande d ’ asile est en cours de réexamen.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques.

Annexe I

Opinion conjointe (dissidente) de Vasilka Sancin et Photini Pazartzis

1.Nous nous permettons de ne pas souscrire à la conclusion de la majorité du Comité selon laquelle le renvoi de l’auteur en Afghanistan, s’il avait lieu, constituerait une violation, par l’État partie, des droits que l’auteur tient des articles 6 et 7 du Pacte.

2.Au paragraphe 9.3 le Comité rappelle « qu’il appartient généralement aux organes des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer si un tel risque existe, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle a constitué un déni de justice ». Cette norme juridique revient constamment dans la jurisprudence du Comité et fixe un critère que l’on ne devrait pas écarter lorsqu’aucun fait convaincant ne montre clairement qu’il y a eu décision arbitraire ou déni de justice.

3.Au paragraphe 9.9, le Comité considère que « quelles que soient les raisons des violences, les violences alléguées et les traumatismes qui en ont résulté, associés à la vulnérabilité de l’auteur due au jeune âge de celui-ci et à son parcours migratoire, pouvaient représenter un risque grave pour sa santé et pour son développement psychique et physique », ce qui nécessiterait « d’examiner de manière approfondie le comportement abusif des parents ».

4.Selon nous, l’auteur, qui n’est plus mineur, n’a apporté aucune preuve convaincante que l’État partie n’avait pas correctement apprécié la question de savoir s’il courrait un risque réel de préjudice irréparable, tel celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, s’il était renvoyé en Afghanistan. Les autorités suédoises ont examiné la lettre de menace prétendument écrite par le père de l’auteur, mais l’Office des migrations a estimé qu’elle « n’avait aucune valeur probante, puisqu’il s’agissait d’un simple message manuscrit, dont on ignorait quand, comment et pourquoi l’auteur l’avait reçu, et qui le lui avait adressé. Le service de traduction engagé par l’Office des migrations a fait savoir que la lettre ne pouvait pas être correctement traduite, car elle était incompréhensible. Le peu d’informations que l’auteur lui-même avait donné sur la teneur de ce document était vague et peu clair. L’Office des migrations a par conséquent conclu qu’il y avait des raisons de croire que les parents de l’auteur se cachaient délibérément pour que l’auteur puisse une nouvelle fois être considéré comme un mineur non accompagné et traité comme tel » (par. 2.10).

5.Faute de tout autre élément de preuve étayé concernant un risque grave auquel l’auteur serait personnellement exposé s’il était renvoyé en Afghanistan, et étant donné qu’il existe une ambiguïté quant au lieu où se trouvent les parents de l’auteur (ce que montre, au paragraphe 9.10, l’indication que les parents sont peut-être retournés en Afghanistan), nous ne pouvons pas conclure que la décision des autorités suédoises de rejeter la demande d’asile de l’auteur ait été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle ait constitué un déni de justice, qui entraînerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte.

Annexe II

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Furuya Shuichi

1.Je suis d’accord avec la conclusion énoncée dans les Constatations selon laquelle, parce que l’État partie n’a pas évalué correctement le risque que l’auteur courrait s’il était renvoyé en Afghanistan, compte tenu des menaces de vengeance exprimées par son père et du traumatisme résultant des mauvais traitements infligés par ses parents, son renvoi en Afghanistan constituerait une violation, par l’État partie, des droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte. Toutefois, je ne peux souscrire à la conclusion selon laquelle l’auteur n’a pas montré que l’examen que l’État partie avait fait de sa conversion au christianisme avait été arbitraire ou manifestement déraisonnable, ou que la procédure en question avait été entachée d’erreur ou avait constitué un déni de justice (par. 9.6).

2.Selon la jurisprudence du Comité, c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer si un risque de préjudice irréparable existe lorsqu’une personne retourne dans son pays d’origine, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle a constitué un déni de justice. Cela signifie que, dans les cas d’expulsion, le Comité respecte généralement l’appréciation qu’a faite l’État partie des aspects substantiels des risques, mais peut se pencher sur des défauts de procédure apparents ou des erreurs dans cette appréciation pour constater qu’il y a eu violation du Pacte. En outre, le critère que le Comité a retenu pour l’appréciation du risque lié à une conversion est la question de savoir s’il existe des raisons sérieuses de croire que la conversion d’une personne peut avoir des conséquences négatives suffisamment graves dans le pays vers lequel elle est expulsée, que pour créer un risque réel de préjudice irréparable, et ce, indépendamment de la sincérité de la conversion. En conséquence, comme il est dit au paragraphe 9.4, même si elles concluent que la conversion n’est pas sincère, les autorités devraient évaluer si, dans les circonstances de l’espèce, le comportement du demandeur d’asile et les activités auxquelles il s’est livré en lien avec sa conversion ou ses convictions pourraient avoir dans le pays d’origine des conséquences négatives suffisamment graves pour l’exposer à un risque de préjudice irréparable.

3.En l’espèce, l’État partie concède de manière générale que, selon le rapport publié par l’Office suédois des migrations en décembre 2017, en Afghanistan, un apostat risque d’être désavoué par sa famille et d’être tué par d’autres membres de la société sans avoir été jugé ; que de simples accusations d’apostasie peuvent susciter des réactions violentes ; et que les personnes qui n’ont pas de relations sur lesquelles compter sont particulièrement vulnérables. Il note en outre que l’évaluation doit porter sur les conséquences prévisibles de l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan, compte tenu de la situation personnelle de celui-ci et souligne que c’est à l’auteur qu’il incombe de démontrer de façon plausible qu’il est exposé à un risque de persécution (par. 4.6). Néanmoins, l’État partie conteste l’affirmation selon laquelle la conversion de l’auteur a résulté d’une foi sincère, puisque l’auteur l’a invoquée à un stade très avancé de la procédure d’asile, et, au motif de ce manque de sincérité de la conversion, il nie le risque qu’il sera persécuté à son retour en Afghanistan.

4.Cependant, l’État partie n’a pas procédé à une évaluation individualisée du risque que l’auteur soit soumis à des persécutions ou d’autres mauvais traitements en Afghanistan s’il est considéré comme un apostat (même s’il ne s’est pas sincèrement converti au christianisme). Il lui a également refusé un entretien oral, en dépit de la demande de l’auteur d’être entendu dans le cadre d’une procédure orale. À mon avis, ce refus a substantiellement privé l’auteur de la possibilité de démontrer qu’il courrait le risque de persécution en raison de sa conversion. L’auteur a dénoncé à plusieurs reprises et de manière suffisante ce vice de procédure (par. 3.2, 5.4 et 5.9).

5.Dans ces circonstances, je ne peux approuver la conclusion à laquelle l’État partie est parvenu, après avoir suffisamment examiné et évalué les faits pertinents dans le cadre d’une procédure adéquate, selon laquelle même la conversion de l’auteur n’entraînerait pas de risque réel de préjudice irréparable. En conséquence, je conclus que l’appréciation de l’État partie a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle a constitué un déni de justice et que, par conséquent, l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte, compte tenu de sa conversion.