Nations Unies

CCPR/C/130/D/2731/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

21 janvier 2021

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2731/2016*,**

Communication p résentée par :

Déborah Kitumaini et consorts (représentés par des conseils, de TRIAL International et du Centre canadien pour la justice internationale)

Victime(s) présumée(s ) :

Les auteurs et Pascal Kabungulu

État partie :

République démocratique du Congo

Date de la communication :

8 février 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 18 février 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

6 novembre 2020

Objet :

Exécution extrajudiciaire

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; sécurité de la personne ; immixtion illégale dans le domicile ; droit à la vie familiale

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 17 et 23

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2)

1.Les auteurs de la communication sont Déborah Kitumaini Kasiba (citoyenne congolaise et canadienne), Heri Kabungulu (citoyen congolais et canadien), Patrick Baraka Kabungulu (citoyen congolais), Pascal Debonheur Kibembi (citoyen congolais et canadien) et Divine Kibembi (citoyenne congolaise). Ils font valoir que Pascal Kabungulu Kibembi, époux de Déborah Kitumaini Kasiba et père des autres auteurs, né en 1950, est victime d’un assassinat qui engage la responsabilité de l’État partie au titre de l’article 6 (par. 1) lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, ainsi qu’au titre de l’article 9 (par. 1) du Pacte. Les auteurs soutiennent par ailleurs qu’ils sont eux-mêmes victimes d’une violation des articles 7 et 17, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 23 du Pacte. La République démocratique du Congo a adhéré au Protocole facultatif se rapportant au Pacte le 1er novembre 1976. Les auteurs sont représentés par des conseils des organisations non gouvernementales TRIAL International et le Centre canadien pour la justice internationale.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Dans le contexte de conflits et d’instabilité permanente que l’est de la République démocratique du Congo a connu pendant les deux dernières décennies, les défenseurs des droits de l’homme travaillent dans des conditions de sécurité extrêmement précaires. Ils font systématiquement l’objet de multiples violations de leurs droits et libertés dans un climat d’impunité généralisée à l’encontre des responsables de ces violations.

2.2Pascal Kabungulu était un défenseur des droits de l’homme engagé dans la lutte contre la corruption et l’impunité en République démocratique du Congo. Journaliste de formation, il occupait la fonction de Secrétaire exécutif au sein d’Héritiers de la justice, une organisation spécialisée dans la promotion et la protection des droits de l’homme dans la région des Grands Lacs, avec une focalisation sur la province du Sud-Kivu. En 2000 et en 2003, par suite de ses dénonciations en lien avec la corruption et l’impunité au sein des forces armées, Pascal Kabungulu s’est vu convoqué par les autorités provinciales et a subi des tentatives d’agressions ainsi que des épisodes de menaces et d’intimidations.

2.3Le 31 juillet 2005, vers 3 h 30 du matin, trois hommes armés, masqués et qui portaient des uniformes sont entrés par effraction dans le domicile de Pascal Kabungulu, situé dans la ville de Bukavu, l’ont attrapé et lui ont tiré dessus. Les auteurs et d’autres membres de leur famille étaient présents lors de cette attaque, mais ils n’ont pas été blessés. Les trois hommes ont volé l’ordinateur de Pascal Kabungulu et quelques effets personnels avant de prendre la fuite. Aidée par des voisins, son épouse a transporté le corps inanimé de Pascal Kabungulu au centre de santé le plus proche. Or, une fois arrivés à l’hôpital général de Bukavu, les médecins n’ont pu que constater son décès. Compte tenu du prestige et de la renommée internationale de Pascal Kabungulu, des organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme ont immédiatement dénoncé les événements sur la scène internationale.

2.4Le lendemain, plusieurs militaires se sont présentés au domicile familial et ont commencé à enquêter, recueillant trois ou quatre douilles retrouvées dans la maison. Dans la même journée, deux officiers − le lieutenant B. L. et le capitaine G. S. − ont été arrêtés et placés en détention à la prison centrale de Bukavu, soupçonnés d’être liés à l’assassinat de Pascal Kabungulu. Dans les jours suivants, B. L. et G. S. ont été extraits illégalement de la prison par le lieutenant T. I., avant d’être arrêtés de nouveau quelques heures plus tard. À la suite de cet incident, le greffier de la prison centrale de Bukavu a déposé une plainte contre le lieutenant T. I., le lieutenant R. et le major J., datée du 4 août 2005 et adressée à l’Auditorat militaire supérieur de Bukavu. Cette plainte dénonçait l’évasion, organisée par le lieutenant T. I., des deux suspects dans le meurtre de Pascal Kabungulu.

2.5Après l’assassinat de Pascal Kabungulu, les auteurs ont subi des menaces et ne se sentaient plus en sécurité en République démocratique du Congo. Ils ont donc dû quitter le pays en urgence pour trouver refuge à Kampala, en Ouganda. La famille est restée près d’un an en Ouganda, vivant dans des conditions difficiles, avant d’obtenir le statut de réfugié et de s’installer au Canada en septembre 2006.

2.6Le 5 août 2005, Déborah Kitumaini a déposé une plainte contre inconnu auprès de l’Auditorat militaire supérieur de Bukavu pour le meurtre de son époux. Le 6 août 2005, le Vice-Gouverneur de la province du Sud-Kivu − D. K. K. − a formé une commission indépendante d’enquête sur l’assassinat de Pascal Kabungulu. Le 10 août 2005, l’Auditeur militaire du Sud-Kivu a déposé une requête auprès du commandant de la dixième région militaire à Bukavu pour demander que le lieutenant T. I., le lieutenant R. et le major J. soient déférés devant l’Auditorat militaire supérieur. Les trois militaires étaient soupçonnés d’avoir organisé l’évasion des deux suspects du meurtre de Pascal Kabungulu, soit le lieutenant B. L. et le capitaine G. S. En plus de ce chef d’accusation, les trois militaires étaient accusés de violations des consignes et de tentative de meurtre. Par la même requête, l’Auditeur militaire a demandé que le capitaine G. S. et le lieutenant B. L. soient remis à la prison centrale en vertu du mandat d’arrêt provisoire enregistré à leur nom.

2.7Le 11 octobre 2005, l’un des conseils de Déborah Kitumaini a déposé une requête auprès de l’Auditorat militaire supérieur de Bukavu en vue d’obtenir une copie des pièces du dossier judiciaire.

2.8Le 11 novembre 2005, le rapport final de la commission d’enquête a identifié le caporal de l’armée P. L. M. comme étant celui qui, parmi les trois hommes présents cette nuit-là, avait tiré à bout portant sur la victime. La commission a dénoncé le comportement du lieutenant T. I. qui, notamment, avait tenté de remettre de l’argent à deux militaires pour qu’ils prennent la fuite à l’étranger en endossant l’entière responsabilité de l’assassinat. La commission d’enquête a conclu en proposant que « tous les auteurs présumés du meurtre de Pascal Kabungulu soient traduits devant la justice et en l’occurrence le tribunal militaire de garnison de Bukavu ».

2.9Le 28 novembre 2005, le procès pour le meurtre de Pascal Kabungulu a débuté au sein du tribunal militaire de garnison de Bukavu. Au moins quatre audiences ont été tenues dans les semaines suivantes, et un total de six individus ont été mis en examen et inculpés pour différentes charges liées au meurtre de Pascal Kabungulu. Le 21 décembre 2005, le tribunal a rendu un jugement déclinatoire de compétence en raison de la présence, parmi les prévenus, du lieutenant T. I. et du Vice-Gouverneur D. K. K., justiciables de la Haute Cour militaire ou de la Cour suprême de justice. À la suite de ce jugement, une série d’intimidations et de manipulations politiques, dénoncées par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme en 2006, a miné le bon déroulement des procédures judiciaires dans ce dossier et a retardé la reprise du procès. Entre-temps, malgré la procédure pendante contre lui, le lieutenant T. I. a été promu commandant de brigade intégrée basé à Goma, dans la province du Nord-Kivu.

2.10Les démarches pour que le procès reprenne se sont multipliées dans les mois suivants. En mai 2006, Amnesty International a adressé une lettre au Président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, demandant notamment que l’enquête sur l’assassinat de Pascal Kabungulu soit poursuivie et que les responsables soient arrêtés, conformément aux instruments internationaux en vertu desquels la République démocratique du Congo a pris des engagements. L’organisation Héritiers de la justice a systématiquement commémoré le jour anniversaire de la mort de Pascal Kabungulu, rappelant chaque année, au moyen de diverses publications ou activités, la nécessité que justice soit faite dans ce dossier.

2.11Le 23 mai 2007, le lieutenant B. L., qui était resté en détention préventive, a déposé une requête pour demander la reprise rapide du procès sur le meurtre de Pascal Kabungulu en dénonçant sa détention illégale de plus de vingt-deux mois. Le 31 juillet 2007, le Réseau national des ONG des droits de l’homme de la République démocratique du Congo a envoyé une lettre signée par 75 défenseurs des droits de l’homme congolais au Président Joseph Kabila pour lui demander d’œuvrer afin de faire avancer la procédure. Le 23 août 2008, le Réseau a envoyé une autre lettre aux autorités judiciaires congolaises pour demander la réouverture des procédures judiciaires.

2.12Le 29 août 2008, la Cour militaire du Sud-Kivu s’est déclarée incompétente en raison de la présence parmi les accusés du Vice-Gouverneur D. K. K., qui avait la qualité de justiciable de la Cour suprême de justice, et a renvoyé l’affaire devant la Cour suprême. Toutefois, selon les informations contradictoires recueillies par les auteurs, alors que cette décision laissait présumer que l’affaire serait dès lors transférée à la Cour suprême, le dossier aurait d’abord été transféré à la Haute Cour militaire. Ce n’est qu’en 2009 que le dossier aurait été transmis par l’Auditeur général auprès de la Haute Cour militaire au Procureur général de la République auprès de la Cour suprême.

2.13Plusieurs démarches − lettres, pétitions, communiqués de presse et campagnes publiques − ont été entreprises dans les années suivantes pour dénoncer les irrégularités dans la procédure judiciaire du dossier de Pascal Kabungulu et demander un suivi rapide de la part des autorités, pour assurer l’avancement de la procédure et ainsi connaître la vérité sur l’assassinat, trouver les responsables et garantir que ces derniers soient jugés dans le cadre d’un procès indépendant et équitable. Tout au long de l’année 2015, les auteurs ont fourni de multiples efforts pour localiser et faire avancer le dossier. Malgré les entretiens avec les fonctionnaires de la Haute Cour militaire et des autres instances impliquées ainsi que les correspondances engagées par l’organisation TRIAL International et le conseil de Déborah Kitumaini avec les autorités nationales, aucun dossier concernant le meurtre de Pascal Kabungulu n’a été retrouvé.

2.14Dix ans après l’assassinat de Pascal Kabungulu, la famille n’a toujours pas obtenu vérité et justice, ni aucune forme de réparation pour les dommages subis. Les circonstances de la mort de Pascal Kabungulu n’ont pas été élucidées, et les présumés auteurs et commanditaires de son assassinat sont toujours en liberté. Tous les membres de la famille ont souffert de traumatismes psychologiques par suite de ces événements. Aujourd’hui encore, les auteurs continuent d’avoir peur de représailles et craignent de voir leurs agresseurs apparaître à tout moment.

2.15Les auteurs font valoir : a) que toutes les mesures disponibles ont été prises afin d’épuiser les voies de recours internes ; b) que ces voies de recours ont excédé les délais raisonnables, puisque dix ans après le crime et le dépôt de plainte, l’assassinat de Pascal Kabungulu demeure impuni ; c) qu’au vu de la passivité des autorités et de l’impossibilité de localiser le dossier et d’y avoir accès, les voies de recours se sont avérées inefficaces et n’ont objectivement aucune chance de succès ; et d) qu’il est dangereux pour les auteurs d’utiliser les voies de recours internes, car ils ont fui la République démocratique du Congo à la suite des tentatives d’intimidations et des menaces subies de la part des personnes présumées responsables de l’assassinat de Pascal Kabungulu.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs invoquent la responsabilité directe de l’État partie dans la privation arbitraire du droit à la vie de Pascal Kabungulu, qui constitue une violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte.

3.2Nonobstant les enquêtes menées en 2005 et le début du procès devant le tribunal militaire de garnison, et malgré les démarches entreprises par les auteurs auprès des autorités judiciaires et politiques nationales, les procédures judiciaires restent bloquées. Les circonstances de la mort de Pascal Kabungulu n’ont pas été élucidées, et les présumés commanditaires de son assassinat sont toujours en liberté. Non seulement l’État partie n’a pas mené d’enquête appropriée mais, en réponse aux demandes d’accès au dossier des auteurs, les autorités nationales n’ont pas localisé le dossier ni expliqué à quel stade de la procédure l’affaire se trouvait. Aucune explication n’a été donnée sur les raisons pour lesquelles le dossier n’avait pas progressé pendant toutes ses années. Dix ans après l’assassinat de Pascal Kabungulu, sa famille n’a toujours pas obtenu vérité et justice, ni aucune forme de réparation pour les dommages subis. Ce déni de justice − qui doit être analysé dans le contexte général d’impunité pour les responsables des crimes contre les défenseurs des droits de l’homme, qui sévit dans le pays depuis des années − constitue une violation par l’État partie de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 6 (par. 1) du Pacte à l’égard de Pascal Kabungulu.

3.3Pascal Kabungulu avait été victime de plusieurs épisodes de menaces et de tentatives d’intimidations et d’agression avant le 31 juillet 2005, par rapport à ses activités de défenseur des droits de l’homme. Notamment, au cours d’une audition devant l’Auditorat militaire en 2003, le lieutenant T. I. avait publiquement menacé de mort Pascal Kabungulu s’il n’arrêtait pas son travail d’enquête, qui accusait le lieutenant de corruption dans le secteur minier (voir note de bas de page 2). Les autorités nationales, pourtant au courant de ces menaces, n’ont pas pris au sérieux le besoin objectif de protection dont il faisait l’objet et n’ont adopté aucune mesure de protection à son égard. L’existence d’une pratique systématique de violences, notamment d’assassinats, à l’égard des défenseurs des droits de l’homme au Sud-Kivu confirme l’identification des défenseurs des droits de l’homme en République démocratique du Congo comme un groupe vulnérable de la population qui nécessite un besoin particulier de protection de la part du Gouvernement. Par conséquent, l’État partie a failli à son obligation de fournir à Pascal Kabungulu des mesures appropriées de protection lorsqu’il en était encore temps, et ce, en violation de son droit à la sécurité tel qu’il est consacré par l’article 9 (par. 1) du Pacte.

3.4Les auteurs ont enduré les souffrances dues à la perte d’un mari et d’un père dans une situation de détresse associée aux menaces reçues avant et après les faits. S’y ajoute l’angoisse associée à la nécessité de fuir précipitamment leur propre pays en raison du danger. De surcroît, le fait de ne pas avoir obtenu justice après plus de dix ans, nonobstant les nombreuses démarches engagées, a eu pour effet d’entretenir une angoisse continue pour la famille, qui n’a jamais été en mesure de faire son deuil. L’incertitude et l’attente causées par le déni de justice, la passivité et l’attitude d’indifférence des autorités, qui n’ont ni offert d’explication sur l’état de la procédure ni garanti aux auteurs l’accès au dossier, ne font qu’ajouter à la profonde souffrance de la famille. Les auteurs affirment que les souffrances subies, combinées à l’absence d’enquête rapide, approfondie et effective de la part de l’État partie, constituent un traitement contraire aux dispositions de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte à leur égard.

3.5De plus, les auteurs ont dû subir de nombreuses immixtions illégales dans leur vie privée, leur famille et leur domicile au cours des années précédant et suivant le meurtre. Plusieurs menaces et tentatives d’intimidations avaient déjà perturbé leur vie familiale entre 2003 et 2005. Le 31 juillet 2005, la famille a été victime d’une entrée par effraction dans son domicile, au milieu de la nuit, par des hommes armés qui ont été identifiés comme des agents de l’État. Après la mort de Pascal Kabungulu, mari et père, les auteurs n’ont bénéficié d’aucune protection à l’égard de leur famille. Au surplus, les menaces subies les ont obligés à fuir leur pays et à se réfugier d’abord en Ouganda, puis au Canada, en abandonnant tout derrière eux. Par conséquent, ces événements constituent de graves immixtions illégales et arbitraires dans leur vie privée, leur famille et leur domicile, en violation des articles 7 et 17, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 23 du Pacte, à leur égard.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Les 18 février 2016, 3 février 2017, 28 mai 2018 et 14 septembre 2018, le Comité a demandé à l’État partie de lui communiquer ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité regrette que l’État partie n’ait donné aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations des auteurs. Il rappelle que l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif oblige les États parties à examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et à communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs dans la mesure où celles-ci ont été étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes au droit à la vie, mais aussi celui de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son égard. Il rappelle sa jurisprudence aux termes de laquelle l’auteur d’une communication doit épuiser, aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, tous les recours administratifs ou judiciaires qui lui offrent des chances raisonnables d’obtenir réparation. Le Comité note que l’État partie n’a contesté la recevabilité d’aucun des griefs présentés. Il prend note, en outre, des informations et des pièces fournies par les auteurs au sujet des plaintes et des demandes qu’ils ont adressées par l’intermédiaire de leurs représentants auprès de différentes autorités de l’État partie, dont aucune n’aurait apparemment débouché sur la finalisation du procès pénal. Le Comité note qu’une période de quinze ans s’est écoulée depuis que le procès pour le meurtre de Pascal Kabungulu a débuté, le 28 novembre 2005, sans qu’une décision sur le fond soit délivrée et sans même que le dossier de la cause puisse être localisé. Il note aussi que les auteurs ont été forcés de fuir le pays et ont obtenu le statut de réfugiés au Canada, si bien que l’on ne pouvait attendre d’eux qu’ils forment des recours judiciaires en République démocratique du Congo. Le Comité estime, par conséquent, que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

5.4Le Comité note que les auteurs ont également soulevé une violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte, du fait que l’État partie a failli à son obligation de fournir à Pascal Kabungulu des mesures appropriées de protection avant sa mort. Il considère toutefois que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs allégations à cet égard et note que Pascal Kabungulu ne semble pas avoir effectué de démarches devant les autorités nationales quant aux allégations d’atteinte à sa sécurité. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable au titre des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

5.5Le Comité estime en revanche que les auteurs ont suffisamment étayé leurs autres allégations aux fins de la recevabilité, et procède donc à l’examen au fond des griefs formulés au titre des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 17 et 23 du Pacte.

Examen au fond

6.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

6.2Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations des auteurs et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la règle relative à la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément à l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’examiner de bonne foi toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations des auteurs dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées.

6.3Le Comité note les allégations des auteurs selon lesquelles, le 31 juillet 2005, Pascal Kabungulu a été assassiné par trois hommes en uniforme, dans son domicile et en la présence de son épouse et de ses enfants. Le Comité note ensuite que le procès pénal ayant débuté le 28 novembre 2005 pour le meurtre de Pascal Kabungulu a mis en accusation principalement des militaires. Pourtant, après quinze ans, aucune décision n’a été délivrée sur le fond, et le dossier de la cause ne peut même plus être localisé. En l’absence de toute réfutation de la part de l’État partie, le Comité accorde le crédit voulu aux allégations des auteurs et conclut que l’État partie a dénié à Pascal Kabungulu le droit à la vie dans des circonstances particulièrement graves, puisque ce dernier a manifestement été victime d’une exécution extrajudiciaire aux mains d’agents de l’État, en violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte.

6.4Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que l’exécution de Pascal Kabungulu a causées aux auteurs en tant que parents directs. Il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard des auteurs.

6.5Le Comité note que l’État partie n’a fourni aucun élément justifiant ou expliquant que des militaires soient entrés en pleine nuit, de force et sans mandat au domicile de la famille de Pascal Kabungulu, avec actes de violence envers ce dernier et en présence des auteurs. Le Comité note aussi qu’après l’assassinat, les auteurs ont subi des menaces et ont dû quitter le pays afin de solliciter le statut de réfugiés au Canada. En l’absence d’observations de l’État partie et compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, le Comité considère que ces faits constituent une immixtion arbitraire et illégale dans la vie privée des auteurs, leur domicile et leur famille. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits des auteurs au titre de l’article 17 du Pacte.

6.6Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 23 (par. 1) du Pacte.

6.7Les auteurs invoquent également l’article 2 (par. 3) du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle qu’il attache de l’importance à la mise en place, par les États parties, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits garantis par le Pacte. Il rappelle son observation générale no 31 (2004), dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

6.8En l’espèce, les auteurs et même l’un des inculpés ont demandé à plusieurs reprises la continuation du procès pénal pour le meurtre de Pascal Kabungulu, commencé le 28 novembre 2005, pour éclaircir les circonstances de son décès. Au lieu de diligenter une telle procédure, et alors que, de toute évidence, il s’agissait d’une exécution extrajudiciaire perpétrée par des agents de l’État, les autorités de l’État partie semblent avoir refusé la continuation de la procédure après la déclaration d’incompétence du 29 août 2008 de la Cour militaire du Sud-Kivu. En outre, les autorités de l’État partie ne semblent plus être en mesure de localiser le dossier de la cause, ce qui continue de priver les auteurs de tout accès à un recours utile pour faire la lumière sur le meurtre de Pascal Kabungulu. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 6 du Pacte à l’égard de Pascal Kabungulu, et de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 7 du Pacte à l’égard des auteurs.

7.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 6 ainsi que de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 6 du Pacte à l’égard de Pascal Kabungulu. Il constate en outre une violation par l’État partie de l’article 7 lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) et de l’article 17 du Pacte à l’égard des auteurs.

8.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour : a) poursuivre d’une manière rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente l’instruction et la procédure pénale sur le meurtre de Pascal Kabungulu, et fournir aux auteurs des informations détaillées quant aux résultats de ces procédures ; b) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises ; et c) fournir aux auteurs une indemnité adéquate et des mesures de satisfaction appropriées. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.