Nations Unies

CCPR/C/132/D/2397/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 février 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2397/2014 * , **

Communication présentée par :

Viktor Sazonov (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

10 février 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 mai 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 juillet 2021

Objet :

Imposition d’une amende administrative à l’auteur au motif qu’il a posé avec un portrait

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté d’expression ; liberté de réunion ; discrimination

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3), 14 (par. 1), 19 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Viktor Sazonov, de nationalité bélarussienne, né en 1963. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec les articles 2 (par. 1 et 3), 19 et 26. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 19 février 2015, au titre de l’article 93 (par. 1) du Règlement intérieur du Comité, l’état partie a demandé au Comité d’examiner séparément la recevabilité et le fond de la communication. Le 12 septembre 2014, en application de l’article 93 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur soutient que, le 10 décembre 2012, jour du soixante-quatrième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des amis et lui ont exposé plusieurs portraits d’Ales Belyatsky devant le numéro 48A de la rue Budenniy, à Grodno, et par la suite, des photos d’eux brandissant les portraits ont été mises en ligne. Le 13 décembre 2012, cela lui a valu, ainsi qu’à ses amis, d’être accusé par la police locale de l’infraction administrative de participation à un rassemblement illégal (non autorisé).

2.2Le 5 janvier 2013, le tribunal du district Leninsky de Grodno a condamné l’auteur à une amende de 1 500 000 roubles bélarussiens pour violation de l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives, qui punit les infractions à la réglementation relative à l’organisation d’événements publics. Les seuls témoins cités à comparaître au procès étaient les policiers qui avaient déposé plainte contre l’auteur, alors qu’ils n’étaient pas présents sur place le jour de la manifestation. Aucune personne ayant assisté aux événements n’a été entendue.

2.3L’auteur déclare que, le 29 janvier 2013, il a interjeté appel de la décision du tribunal du district Leninsky, arguant qu’il n’avait enfreint aucune loi ni aucun règlement et n’avait pas organisé d’événement public, que la police ne l’avait jamais vu brandir un portrait et que les accusations portées contre lui reposaient sur des photos publiées en ligne alors que les policiers qui avaient déposé à la première audience avaient reconnu que le fait de mettre des photos en ligne n’était pas une infraction administrative. Le tribunal régional de Grodno a rejeté son recours et confirmé la déclaration de culpabilité prononcée par la juridiction inférieure et l’amende imposée.

2.4Le 21 mars 2013, l’auteur a formé un recours en supervision devant le tribunal régional de Grodno, faisant valoir les mêmes arguments que ceux formulés en appel et arguant de surcroît que le montant de l’amende était excessivement élevé, et a de nouveau été débouté. Il soutient qu’il a donc épuisé tous les recours internes utiles à sa disposition.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur avance que l’État partie a porté atteinte aux droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3). Il estime qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable et impartial, car les accusations portées contre lui reposaient intégralement et exclusivement sur les rapports de police et les photos publiées sur Internet, que personne n’avait vu être prises, et nul n’avait été témoin des actes qui lui étaient reprochés. Il soutient en outre que le Bélarus ne respecte pas ses obligations internationales, notamment celles mises à sa charge par le Pacte, et n’offre pas à toutes les personnes se trouvant sur son territoire un recours effectif leur permettant de défendre leurs droits devant les autorités judiciaires, administratives ou législatives compétentes, ni la possibilité d’obtenir réparation.

3.2L’auteur soutient que l’État partie a porté atteinte aux qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte en ce que son droit à la liberté d’expression n’a pas été respecté. De fait, il devrait être libre de prendre des photos à tout moment et en tout lieu, quand bien même les photos en question seraient interprétées comme des « messages politiques ».

3.3L’auteur soutient également qu’il a été porté atteinte au droit qu’il tient de l’article 26 du Pacte en ce qu’il est victime de discrimination fondée sur l’opinion politique, contre laquelle la législation de l’État partie n’offre aucune protection.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.Le 23 juillet 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication, soutenant que, au moment de la saisine du Comité, l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles et que, partant, la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Le 7 octobre 2014, en réponse à la demande du Comité, qui l’avait prié de fournir des commentaires sur le fond, il a fait valoir que l’article 2 du Protocole facultatif faisait obligation aux particuliers d’épuiser tous les recours internes disponibles, et non tous les recours internes effectifs, et a prié le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme de l’expliquer à l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Dans une note du 25 août 2014, en réponse aux observations de l’État partie, l’auteur avance que la procédure de contrôle n’est pas un recours effectif à épuiser. En effet, l’issue de cette procédure relève du pouvoir discrétionnaire des juges et des procureurs. De surcroît, le Comité estime depuis longtemps que la procédure de contrôle est une voie de recours inefficace et inutile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes, mais ne précise pas quels recours l’intéressé aurait dû épuiser. Dans ces circonstances, il estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec les articles 2 (par. 1 et 3) et 26. Toutefois, en l’absence de toute autre information pertinente, il estime que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Par conséquent, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité estime que les autres griefs de l’auteur, qui soulèvent des questions au regard de l’article 19 du Pacte, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur soutient que son droit à la liberté d’expression a été illégalement restreint en ce qu’il a été reconnu coupable d’une infraction administrative et s’est vu infliger une amende d’environ 1 500 000 roubles bélarussiens pour avoir participé à une manifestation. Le Comité doit donc déterminer si la sanction que les autorités ont imposée à l’auteur pour avoir posé en public avec le portrait d’un tiers constitue une violation de l’article 19 du Pacte.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 34 (2011), dans laquelle il a dit que la liberté d’expression était essentielle pour toute société et constituait le fondement de toute société libre et démocratique. Il fait observer que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise certaines restrictions à la liberté d’expression, y compris à la liberté de répandre des informations et des idées, à condition toutefois que les restrictions en question soient prévues par la loi et soient nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, il réaffirme que les restrictions imposées à la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large, à savoir qu’elles doivent être le moyen le moins intrusif de parvenir à l’objectif de protection recherché et doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

7.4Le Comité constate qu’imposer à l’auteur une amende sévère au seul motif qu’il a posé avec le portrait d’un tiers fait naître de sérieux doutes quant à la nécessité et à la proportionnalité des restrictions apportées aux droits que l’intéressé tient de l’article 19 du Pacte. Le Comité constate également que l’État partie n’a invoqué aucun motif prévu à l’article 19 (par. 3) du Pacte pour justifier la nécessité des restrictions imposées à l’auteur, ni démontré que les mesures prises constituaient le moyen le moins intrusif d’obtenir le résultat recherché et étaient proportionnées à l’intérêt à protéger. Dans ces circonstances, le Comité estime que, bien qu’elles soient fondées en droit interne, les restrictions imposées à l’auteur n’étaient pas justifiées au regard des dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte. Il conclut par conséquent qu’il a été porté atteinte aux droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte.

8Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, des droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, d’indemniser l’auteur comme il se doit, notamment en lui remboursant le montant de l’amende ainsi que le montant des frais de justice engagés dans le cadre des procédures internes. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, et notamment de réviser les dispositions et les modalités d’application de la législation sur les manifestations publiques afin de les rendre compatibles avec les obligations mises à sa charge par l’article 2 (par. 2) du Pacte et d’adopter des mesures propres à donner effet aux droits reconnus par l’article 19.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.