Nations Unies

CCPR/C/132/D/3016/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

31 décembre 2021

Original : français

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 3016/2017 * , **

Communication présentée par :

G. P. et G. P. (représentés par un conseil, Alain Vallières)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et leurs enfants, A. et D.

État partie :

Canada

Date de la communication :

11 août 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 24 août 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

23 juillet 2021

Objet :

Expulsion du Canada vers l’Inde

Question(s) de procédure :

Compétence ratione materiae; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; immixtion arbitraire dans la vie de famille

Article(s) du Pacte :

6, 7, 9, 17, 23, 24 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1Les auteurs de la communication sont G. P., née le 23 juin 1989, et son époux, G. P., né le 20 octobre 1986, tous deux de nationalité indienne. Ils présentent la communication en leur nom et au nom de leurs deux enfants mineurs, A., née le 30 juin 2016, et D., né le 20 septembre 2013, tous deux de nationalité canadienne. Les auteurs ont demandé l’asile au Canada et font l’objet d’une mesure d’expulsion vers l’Inde à la suite du rejet par les autorités canadiennes de leur demande de statut de réfugié. Ils affirment que leur expulsion vers l’Inde constituerait une violation par l’État partie des droits qu’ils tiennent des articles 6, 7, 9, 17, 23, 24 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976. Les auteurs sont représentés par un conseil, Alain Vallières.

1.2Le 24 août 2017, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs vers l’Inde tant que la communication serait à l’examen. Le 23 février 2018, l’État partie a demandé la levée des mesures provisoires en ce qui concerne les auteurs, en raison de l’absence de risque de préjudice irréparable, comme le prescrit l’article 94 du règlement intérieur. Le Comité a rejeté cette demande le 16 novembre 2018. L’État partie a reporté le renvoi des auteurs et de leurs enfants, qui résident actuellement au Canada.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs se sont rencontrés en 2009 en Inde, dans la ville de Shahkot, où a débuté leur relation. Deux ans plus tard, ils ont informé leurs parents de leur désir de se marier. La famille de l’auteure s’est opposée à cette union en raison des différences de classe sociale et d’opinions politiques entre les deux familles. Ces dernières soutenaient des partis politiques différents. En septembre 2011, l’auteur a été attaqué dans la rue par quatre hommes, qui lui ont enjoint de mettre un terme à sa relation avec l’auteure. Les agresseurs ont pris la fuite en compagnie du père de l’auteure. Les policiers ont refusé de recevoir la plainte de l’auteur.

2.2En novembre 2011, les auteurs se sont mariés en secret. Au retour de leur lune de miel, le 29 novembre 2011, les policiers ont arrêté l’auteur en l’accusant d’avoir kidnappé l’auteure. L’auteur a été maltraité par les policiers lors de sa détention.

2.3De nouveaux problèmes sont survenus lorsque l’auteure est tombée enceinte. En avril 2013, le médecin qui la soignait l’a informée qu’il lui avait été demandé de mettre un terme à la grossesse et de la tuer. Les auteurs sont entrés en contact avec un « agent » et ont obtenu un visa pour le Canada en juin 2013.

2.4Les auteurs sont arrivés au Canada le 12 juillet 2013 avec un visa de tourisme et ont présenté une demande de protection le 27 juillet 2013. Le 25 avril 2014, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté leur demande pour manque de crédibilité, en raison des éléments suivants : réponses différentes à la même question ; renseignements importants omis dans leur formulaire d’asile ; aucune explication sur les raisons pour lesquelles ils avaient continué à vivre dans leur village entre 2011 et 2013, alors qu’ils avaient peur et se sentaient en danger ; et aucune explication sur les raisons pour lesquelles ils étaient revenus vivre dans le village après avoir appris que le médecin traitant de l’auteure avait reçu la demande de la tuer. La Commission a soulevé des doutes sur la possibilité qu’un politicien important en Inde se soit impliqué avec la famille de l’auteure pour commettre un crime d’honneur et a conclu que les auteurs n’avaient pas démontré qu’ils seraient exposés à une possibilité sérieuse d’être persécutés s’ils retournaient en Inde.

2.5Par ailleurs, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a remarqué que les auteurs avaient présenté une tout autre histoire quand ils avaient déposé des demandes de visas auprès de l’ambassade du Canada à New Delhi. Bien que les auteurs aient nié en bloc ces informations, et affirmé que les signatures au bas des documents n’étaient pas les leurs et qu’il s’agissait d’une histoire créée de toutes pièces par leur « agent », la Commission n’a pu concevoir que les auteurs n’avaient absolument aucune idée de l’histoire racontée. Elle a aussi conclu que les signatures sur les demandes de visas étaient très semblables à celles apposées sur les documents remplis à leur arrivée au Canada.

2.6Les auteurs ont fait appel de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, alléguant qu’elle avait apprécié de manière erronée leur crédibilité. Le 21 octobre 2014, après avoir réexaminé toutes les preuves qui avaient été soumises, la Section d’appel des réfugiés de la Commission a rejeté l’appel des auteurs au motif qu’ils n’avaient pas réussi à démontrer que la Commission avait commis une erreur manifeste et dominante pouvant vicier sa décision. Leur demande de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour fédérale le 10 juillet 2015, cette dernière ayant jugé que la Section d’appel des réfugiés avait considéré et raisonnablement rejeté tous les griefs des auteurs.

2.7Le 26 janvier 2015, les auteurs ont déposé une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, qui a été refusée le 17 mai 2017. L’agent d’immigration a confirmé le manque de crédibilité des auteurs quant à leur histoire et a jugé qu’il n’y avait aucune preuve de leurs troubles de santé mentale, puisqu’aucun expert n’avait été consulté pour établir qu’ils éprouvaient des difficultés majeures d’ordre psychologique qui compliqueraient leur retour dans leur pays d’origine. En ce qui concerne les crimes d’honneur, l’agent a noté que l’Inde condamnait ces pratiques et disposait de ressources pour combattre ce problème. Par la suite, l’agent a indiqué que le niveau d’intégration de la famille au Canada n’était pas un facteur déterminant en soi pour une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. Les auteurs devaient démontrer que leur retour en Inde leur causerait des épreuves et des difficultés insurmontables, mais ce seuil n’avait pas été atteint.

2.8L’agent d’immigration a également considéré l’intérêt supérieur des enfants, tout en notant que celui-ci ne l’emportait pas nécessairement sur tous les autres facteurs réunis. Il a noté que bien que le garçon − âgé de quatre ans − soit suivi par un orthophoniste pour des difficultés de langage, il avait été établi que celui-ci était trilingue, et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la jeune fille − âgée d’un an et demi − le devienne également. Les difficultés de langage observées chez le garçon proviendraient d’infections répétées aux oreilles, mais grâce à son suivi par un spécialiste, il faisait des progrès constants. Quant à l’affirmation des auteurs selon laquelle le retour en Inde nuirait considérablement aux progrès de langage de leur fils, il a été noté qu’il n’y avait pas de preuve à l’appui de cette affirmation, puisque les auteurs n’avaient pas établi qu’il n’y avait pas de ressources médicales ou éducatives pour les difficultés de langage en Inde. Enfin, il a été déterminé que l’intérêt supérieur des enfants résidait dans la conservation de l’unité familiale et qu’aucune preuve démontrant que les parents ne seraient pas capables d’en prendre soin, une fois de retour dans leur pays d’origine, n’avait été produite.

2.9En conclusion, l’agent d’immigration a affirmé que l’intérêt supérieur des enfants ne serait pas compromis s’ils retournaient avec leurs parents en Inde. Les enfants garderaient d’ailleurs la citoyenneté canadienne, et rien ne les empêcherait de revenir au Canada à l’avenir, s’ils le désiraient. Le 9 août 2017, les auteurs ont déposé auprès de la Cour fédérale une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rejetant la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. L’autorisation a été accordée le 12 octobre 2017, et la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire le 5 février 2018. Concernant l’intérêt supérieur des deux enfants, la Cour fédérale a noté que l’agent d’immigration l’avait bien examiné. Il avait considéré le jeune âge des enfants, et avait ainsi noté que leur établissement au Canada était minimal, puisqu’ils dépendaient entièrement de leurs parents. L’agent d’immigration avait également considéré qu’il était dans le meilleur intérêt des enfants d’être avec leurs parents, étant donné que les auteurs avaient toujours donné les meilleurs soins à leurs enfants. Il avait également considéré le suivi de D. en orthophonie au Canada, mais noté que les auteurs n’avaient pas soumis de preuve que ce service ne serait pas accessible en Inde. Les auteurs n’avaient pas tenté de démontrer à l’agent d’immigration que les enfants devraient abandonner leur citoyenneté canadienne pour bénéficier de services d’éducation et de santé en Inde. Pour la Cour fédérale, la conclusion de l’agent d’immigration au chapitre de l’intérêt des enfants constituait donc une issue acceptable.

2.10En février 2016, les auteurs ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi et ont produit plusieurs affidavits et lettres qui décrivaient les faits en raison desquels ils avaient quitté leur pays. Le 17 mai 2017, l’agent d’immigration a rejeté leur requête en observant que les auteurs s’appuyaient sur les mêmes faits qui avaient été considérés comme non crédibles. En outre, les auteurs n’expliquaient pas la raison pour laquelle ils n’avaient pas été en mesure de produire ces affidavits et lettres durant la procédure d’asile. L’agent d’immigration a observé également que le prétendu état mental des auteurs n’était pas étayé par d’autres moyens de preuve telle une expertise psychologique. Enfin, quant aux allégations sur les crimes d’honneur et la situation des droits de l’homme en Inde, l’agent d’immigration les a rejetées dans la mesure où elles n’étaient pas corroborées par les faits ou événements liés au récit personnel des auteurs, qui avait déjà été jugé comme non crédible. Le 21 juillet 2017, les auteurs ont déposé auprès de la Cour fédérale une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision sur l’examen des risques avant renvoi, qui a été rejetée le 21 septembre 2017.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs allèguent une violation par l’État partie des articles 6, 7, 9, 17, 23, 24 et 26 du Pacte.

3.2Les auteurs invoquent l’article 6 du Pacte au motif qu’ils risquent d’être victimes d’un crime d’honneur perpétré par la famille de l’auteure. Ils indiquent que le danger pour eux découle de leur mariage et que la famille de l’auteure avait demandé au médecin qui la traitait de la tuer. Pourtant, même s’ils ont déposé plusieurs documents prouvant leurs dires, les autorités canadiennes n’ont pas voulu croire au danger pour les auteurs, et ont mis en doute leur crédibilité. Les conclusions sur la crédibilité reposent en grande partie sur des supputations ne se fondant nullement sur les preuves présentées.

3.3Sur le terrain de l’article 7 du Pacte, les auteurs soutiennent que les autorités canadiennes ont accès aux différentes sources qui démontrent les traitements inhumains et la corruption des policiers en Inde. En arrivant − avec leurs enfants − sans passeports valides, les auteurs seront plus que probablement interrogés pendant plusieurs heures. Or, l’auteur a déjà été maltraité lors d’un interrogatoire par des policiers. À la lumière des méthodes connues qu’utilisent les policiers indiens, l’auteur a une crainte justifiée d’être à nouveau maltraité.

3.4Au titre de l’article 9 du Pacte, les auteurs affirment que l’État partie détient des preuves documentaires démontrant que les personnes qui reviennent en Inde peuvent être détenues sans véritable base juridique, ce qui est nécessairement arbitraire. L’État partie devrait s’assurer que les auteurs ne feront pas face à ce type de situation.

3.5En ce qui concerne l’article 10 du Pacte, les auteurs considèrent que l’État partie est en possession de rapports qui démontrent que les personnes détenues en Inde ne sont pas traitées avec humanité. Même si les membres de la famille n’ont pas été torturés, il demeure que les conditions de détention ne respectent pas l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, qui fournit des indications précieuses pour l’interprétation du Pacte.

3.6Sur le terrain de l’article 17 du Pacte, les auteurs déclarent que la décision de l’État partie de les expulser en les obligeant ainsi à choisir entre laisser leurs deux enfants ayant la nationalité de l’État partie ou les prendre avec eux doit être considérée comme une immixtion dans la famille, à tout le moins, dès lors que cette mesure entraînerait des perturbations importantes quelle que soit l’option retenue pour une famille constituée depuis longtemps. Étant donné le nombre d’années passées au Canada, l’État partie doit justifier l’expulsion des parents en présentant d’autres éléments que la simple mise en œuvre de sa loi sur l’immigration, pour éviter que l’expulsion soit qualifiée d’arbitraire. Dans la présente affaire, le Comité doit conclure que l’expulsion des auteurs constituerait une immixtion arbitraire dans la famille, incompatible avec l’article 17 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 23, à l’égard de toutes les personnes au nom desquelles la communication est soumise.

3.7Les auteurs affirment que l’intérêt supérieur des enfants n’a pas été convenablement examiné par les autorités canadiennes. Expulser les auteurs et leurs enfants sans attendre que la demande de contrôle de la décision de refus de la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire déposée par les auteurs ait fait l’objet d’une décision définitive constituerait une immixtion arbitraire dans la famille, en violation de l’article 17 (par. 1) et de l’article 23 (par. 1) du Pacte.

3.8Pour ce qui est de l’article 24 du Pacte, les auteurs font valoir que l’agent d’immigration a noté le problème d’apprentissage de langage de leur fils D., mais a souligné également l’amélioration de sa situation découlant des services offerts dans son école. L’agent ne s’est toutefois pas questionné sur la possibilité pour des enfants canadiens n’ayant qu’un visa de tourisme de recevoir en Inde des soins et de fréquenter l’école où pourraient être octroyés de tels soins, pour autant que cela existe. En outre, la loi indienne interdit la double citoyenneté, ce qui fait que, lorsque la période de « visite » sera terminée, les enfants devront soit demeurer sans statut en Inde, soit revenir au Canada, où ils n’ont aucune famille et devront être confiés aux soins des services sociaux.

3.9Enfin, les auteurs invoquent l’article 26 du Pacte pour affirmer que le comportement de l’État partie est discriminatoire à l’égard des enfants canadiens dont les parents ont un statut précaire. Tout enfant au Canada peut étudier gratuitement au niveau secondaire et obtenir des aides à l’école et des services sociaux. En l’occurrence, D. ne pourra pas bénéficier de ces services, puisqu’il est forcé de quitter le territoire canadien par l’État partie. Les auteurs considèrent qu’on ne peut faire porter toute la responsabilité aux parents et que l’État partie est aussi responsable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 23 février 2018, l’État partie a envoyé des observations sur la recevabilité et le fond. Il soutient que la communication doit être déclarée irrecevable sur la base de l’incompatibilité avec les dispositions du Pacte et de l’absence de fondement des allégations. Dans l’éventualité où le Comité estimerait que la communication est recevable, l’État partie considère qu’elle est dénuée de tout fondement.

4.2Tout d’abord, l’État partie considère que les allégations concernant la violation des articles 6 et 7 du Pacte n’ont pas été suffisamment étayées. Les auteurs n’ont pas démontré qu’ils couraient personnellement un risque réel et prévisible de préjudice irréparable sur le terrain des articles 6 et 7 du Pacte, lequel pourrait déclencher l’obligation de non‑refoulement. Les autorités canadiennes ayant examiné l’ensemble des preuves orales et documentaires ont conclu que les allégations n’étaient pas crédibles et que les auteurs ne risquaient pas de subir un préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés en Inde, conclusion qui a été confirmée par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et par la Cour fédérale. En effet, les renseignements fournis en soutien de leurs allégations devant le Comité − qui sont exactement les mêmes que ceux fournis aux autorités décisionnelles canadiennes − ne démontrent pas que leur renvoi aurait pour effet de les exposer eux ou leurs enfants personnellement à un risque réel et prévisible de torture, de mort ou de tout autre préjudice irréparable semblable. L’État partie rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme en Inde ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture ou de subir de mauvais traitements à son retour dans ce pays.

4.3Ensuite, l’État partie fait valoir que les allégations de violation desarticles 9, 10, 17, 23, 24 et 26 du Pacte, qui sont presque exclusivement axées sur ce qui pourrait advenir après le renvoi en Inde, sont incompatibles ratione materiae. Même si les auteurs étaient en mesure d’établir, par exemple, une menace à la sécurité de leur personne ou une immixtion dans leur vie personnelle survenant après leur renvoi − ce qui n’est pas le cas en l’espèce −, la responsabilité de l’État partie n’en serait pas pour autant engagée dans la mesure où celui-ci n’est aucunement responsable de cette menace. À titre subsidiaire, si une quelconque responsabilité quant aux épreuves anticipées par les auteurs pouvait lui incomber de façon extraterritoriale, l’État partie maintient que les difficultés anticipées en l’espèce ne sont pas de l’ordre de celles qui sont envisagées par les articles 9, 10, 17, 23, 24 ou 26 du Pacte. L’État partie soutient que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs au titre des articles 9, 10, 17, 23, 24 et 26 du Pacte, rendant ainsi leur communication irrecevable. Les allégations et éléments de preuve soumis par les auteurs ont déjà été examinés par les autorités canadiennes, qui ont toutes conclu que les auteurs n’étaient pas crédibles concernant les problèmes potentiels et allégués qu’ils pourraient avoir en Inde.

4.4Par ailleurs, pour ce qui est des allégations relevant des articles 17 et 23 du Pacte, l’État partie soutient que la décision de renvoyer les auteurs n’est pas une immixtion dans leur famille puisqu’il n’a pas pris de mesures pour séparer les enfants de leurs parents. L’État partie n’empêche pas les enfants d’accompagner leurs parents en Inde. De plus, bien que les enfants n’aient pas la nationalité indienne, les auteurs n’ont présenté aucune preuve démontrant que les autorités indiennes ne leur délivreraient pas de visas leur permettant de rendre visite à leur famille en Inde, y compris pour des séjours prolongés.Selon le site Web du Ministère de l’intérieur indien, les citoyens pourraient effectuer les démarches pour que leurs enfants obtiennent des cartes de « citoyen d’outre-mer indien » (OCI) ou de « personne d’origine indienne » (PIO), qui offrent des droits d’entrée et d’autres privilèges de longue durée à leurs détenteurs. Il semble donc que les auteurs peuvent entreprendre les démarches nécessaires pour demeurer en Inde avec leurs enfants, l’unité familiale étant ainsi maintenue. À titre subsidiaire, l’État partie est d’avis que même si le renvoi des auteurs constituait une immixtion dans leur vie de famille, ils n’ont pas suffisamment étayé leur allégation selon laquelle celle-ci serait arbitraire ou illégale. Le droit d’un membre de la famille de rester au Canada n’implique pas que les autres membres de la famille, ressortissants d’un autre État, disposent de ce même droit.

4.5L’État partie insiste sur le fait que les enfants des auteurs sont des citoyens canadiens et donc ne sont sujets à aucune mesure de renvoi du Canada. Le départ des enfants du Canada ne sera que le résultat d’une décision de leurs parents de les amener avec eux en Inde. Il n’y a donc pas de violation de l’article 24 du Pacte, puisqu’il n’y a pas d’acte étatique pris par le Canada. Les enfants, compte tenu de leur jeune âge, n’ont aucun lien familial ou socioculturel avec le Canada, et la communication des auteurs ne permet pas de tirer une conclusion inverse. Le fait pour les enfants de retourner en Inde ne constitue pas une violation de l’article 24 (par. 1) du Pacte par l’État partie, même s’ils devaient y être soumis à des conditions de vie moins faciles ou favorables que s’ils demeuraient au Canada. En outre, les autorités canadiennes ont dûment considéré les objections formulées au nom de l’intérêt supérieur des enfants tout au long du processus. Les auteurs ont eu accès aux multiples procédures administratives prévues par la loi canadienne et ont été représentés par un avocat lors de chacune d’elles.

4.6Enfin, l’État partie affirme que les auteurs se sont mépris sur le rôle du Comité. Leur communication reprend intégralement les faits, preuves et allégations qui ont déjà été présentés aux instances canadiennes et ne s’attache essentiellement qu’à demander au Comité de renverser leurs conclusions. Les auteurs n’apportent aucun nouvel élément pouvant suggérer qu’ils risquent personnellement de subir un préjudice irréparable en Inde.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 27 juin 2018, les auteurs ont soumis des commentaires sur les observations de l’État partie, tout en réitérant leur plainte initiale. Contrairement aux affirmations de l’État partie, ils considèrent que leur situation n’a pas été étudiée en profondeur. Pour eux, une étude qui repose sur la crédibilité n’est pas une étude portant sur le fond d’une demande. Durant la procédure d’examen des risques avant renvoi, l’agent n’a pas examiné tous les documents, en ayant rejeté la majorité parce qu’ils se rapportaient aux événements précédemment évalués par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

5.2Les auteurs n’invoquent pas une situation générale en Inde, mais font valoir que les dangers les visent personnellement. L’État partie n’explique pas pourquoi il considère qu’un couple ayant fait un mariage intercaste interdit ne serait pas en danger. Le cas des auteurs offre également un exemple de situation dans laquelle des dommages irréparables pourraient être causés aux enfants. Dans la mesure où il n’existe pas d’informations dans les dossiers de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada quant à l’éducation et à l’accès aux soins de santé pour les enfants étrangers, il est plus que probable que ces derniers connaîtront des problèmes à cet égard. Tout retard dans l’éducation et tout défaut dans les soins de santé des enfants auront des effets irréparables.

5.3En ce qui concerne leurs enfants, les auteurs affirment que la plus grande partie du danger auquel ils sont exposés découle d’actes des agents canadiens. Les agents acceptent que des enfants canadiens soient envoyés vers un pays dont ils n’ont pas la nationalité avec un simple visa de tourisme. Personne ne semble s’inquiéter de ce qu’il adviendra des enfants au lendemain de l’expiration de leurs visas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note de ce que les auteurs affirment que leur expulsion vers l’Inde avec leurs deux enfants mineurs constituerait une violation des droits qu’ils tiennent des articles 6, 7, 9, 17, 23, 24 et 26 du Pacte.

6.5Le Comité note tout d’abord que les auteurs ont allégué une violation des articles 9, 17, 23, 24 et 26 du Pacte, mais sans apporter d’informations, d’éléments de preuve ou d’explications convaincantes quant à la manière dont l’État partie, en les renvoyant en Inde, commettrait une violation des droits qu’ils tiennent de ces articles. Il conclut donc que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note en outre des griefs tirés des articles 6 et 7 du Pacte selon lesquels, s’ils étaient renvoyés en Inde, les auteurs verraient leur sécurité et leur vie menacées en raison de leur mariage intercaste, qui n’a pas été approuvé par leurs parents. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Le Comité note que les autorités administratives et judiciaires canadiennes ont estimé que les déclarations des auteurs n’étaient pas crédibles. En outre, il note que l’État partie a relevé plusieurs divergences dans les déclarations faites par les auteurs dans leur demande d’asile et au cours des entretiens avec les autorités administratives. Il considère que les informations dont il dispose montrent que l’État partie a tenu compte de tous les éléments disponibles lorsqu’il a évalué le risque couru par les auteurs et a néanmoins estimé, en raison des incohérences marquées relevées dans leurs déclarations, que les auteurs n’avaient pas démontré la probabilité d’être exposés à un risque réel et personnel de préjudice irréparable en cas de renvoi en Inde, qui aurait justifié que l’asile leur soit accordé. Le Comité considère également que les auteurs n’ont pas suffisamment démontré la crédibilité de leurs déclarations et des documents qu’ils ont fournis aux autorités canadiennes. Il considère que, tout en étant en désaccord avec les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, les auteurs n’ont pas démontré que les décisions desdites autorités étaient arbitraires ou manifestement erronées, ou avaient constitué un déni de justice. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et la déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.