Nations Unies

CCPR/C/130/D/2584/2015*

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 janvier 2021

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2584/2015 ** , ***

Communication présentée par:

Alain Rosenberg et Sabine Jacquart (représentés par un conseil, Lord Lester of Herne Hill)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie:

France

Date de la communication:

15 décembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 mars 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations:

14 octobre 2020

Objet:

Traitement discriminatoire d’une religion et de ses membres

Question(s) de procédure:

Recevabilité ; autre procédure internationale d’enquête ou de règlement

Question(s) de fond:

Liberté de religion ; non-discrimination ; droit à un procès équitable ; indépendance et impartialité de la justice ; égalité des armes

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1), 14, 18 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a))

1.1Les auteurs de la communication sont Alain Rosenberg, de nationalité française, né le 23 mars 1949, et Sabine Jacquart, de nationalité française également, née le 30 janvier 1965. Ils prétendent être victimes d’une violation par la France des droits consacrés aux articles 2 (par. 1), 14, 18 et 26 du Pacte, entré en vigueur le 4 février 1981 pour l’État partie. Les auteurs sont représentés par un conseil, Lord Lester of Herne Hill.

1.2En application de l’article 93 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a accédé à la requête formulée par l’État partie d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond et en a informé l’État partie et les auteurs le 6 juillet 2015.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Alain Rosenberg est Directeur général de l’Association spirituelle de l’Église de scientologie et est scientologue depuis 1967. Il coordonne les activités religieuses de l’Église. Sabine Jacquart était Présidente de l’Association spirituelle de l’Église de scientologie au moment des faits et est scientologue depuis 1988. Cette association à but non lucratif propose des activités congréganistes, une formation religieuse, un programme de purification religieuse et du conseil spirituel.

2.2Selon les auteurs, la France a qualifié d’abusives et dépourvues de valeur scientifique les manifestations et croyances de la scientologie suivantes : l’audition, les cures de purification, le test de personnalité et les méthodes de financement. L’audition consiste en exercices spirituels et en questions posées par un auditeur, destinés à aider l’adepte dans sa quête personnelle et spirituelle de compréhension. Les cures de purification consistent en une détoxication du corps par l’utilisation de sauna et de diverses substances en vue d’une plus grande croissance spirituelle. Le test de personnalité, qui peut également servir de méthode de prosélytisme, consiste à identifier 10 traits de personnalité et permet de mesurer les progrès spirituels et individuels réalisés par l’adepte dans la suite du processus. Les méthodes de financement consistent en des donations par les fidèles en relation avec leur participation aux programmes de l’Église de scientologie. Les auteurs précisent que l’accès à l’Église de scientologie ou à ses activités n’est en rien conditionné par les contributions financières. Ils estiment que l’Église de scientologie accepte entièrement les principes de soumission à la loi et rejette tout comportement criminel.

2.3Le 29 février 1996 et le 1er décembre 1998, le Ministre de la justice a émis deux circulaires adressées aux magistrats du parquet les incitant à poursuivre 172 mouvements qualifiés de sectes par les Renseignements généraux, parmi lesquels l’Église de scientologie. Les circulaires insistaient sur la nécessité de collaborer étroitement avec les associations de lutte contre les sectes, dont l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (UNADFI), association subventionnée publiquement dont le but est de rassembler de l’information en vue de poursuites contre des mouvements sectaires. Depuis mars 1998, des sessions annuelles de formation sont organisées à l’École nationale de la magistrature, à la demande du Ministère de la justice, sur la thématique des sectes. La scientologie se voit consacrer des séances spécifiques sur la base d’informations fournies par l’UNADFI, qualifiées par les auteurs de biaisées et hostiles. Le 12 juin 2001, après une campagne médiatique menée par le Gouvernement depuis 1999 renvoyant implicitement à l’Église de scientologie, la loi no 2001-504 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales est entrée en vigueur. Introduite par Catherine Picard, députée et Présidente de l’UNADFI, cette loi insère dans le Code pénal le crime d’abus de faiblesse. Celle-ci a déclaré qu’il s’agissait d’un remède nécessaire au problème des poursuites entravées par le consentement, passé ou présent, des adeptes. Du 18 au 29 septembre 2005, la France a reçu la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction. Les auteurs renvoient à son rapport estimant que la politique du Gouvernement a peut-être contribué au climat de suspicion générale à l’égard des communautés inscrites sur une liste qui a été dressée suite à un rapport parlementaire, et qu’elle a porté atteinte au droit à la liberté de religion ou de conviction de certains membres de ces communautés ou groupes. En avril 2008, le Premier Ministre a chargé Georges Fenech de produire une étude sur la capacité du système judiciaire à combattre les abus sectaires. Les recommandations finales de cette étude appelaient à une formation des magistrats sur le crime d’abus de faiblesse consacré par la loi no 2001-504, et M. Fenech a été nommé en septembre 2008 Président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Le 19 septembre 2011, le Ministre de la justice a émis une circulaire adressée aux procureurs généraux près les cours d’appel et aux procureurs de la République près les tribunaux supérieurs d’appel. L’objet de ladite circulaire était de donner des instructions aux magistrats quant à la recherche des éléments constitutifs de l’abus de faiblesse, renvoyant à des exemples pratiques tels que les « tests », « cures de purification » ou « cours d’initiation répétés ». La circulaire renvoyait également à l’UNADFI comme partenaire prééminent dans les affaires impliquant des mouvements sectaires.

2.4La chronologie de ces évolutions législatives et institutionnelles doit, d’après les auteurs, être examinée en relation avec les poursuites judiciaires à leur encontre. Les auteurs estiment que ces évolutions étaient calculées aux fins d’influencer la procédure, et soulignent la concordance des dates entre les grandes étapes mises en place par les corps législatif et exécutif et celles des poursuites judiciaires dont ils font l’objet.

2.5En décembre 1998, l’avocat de l’UNADFI a déposé une plainte devant le juge d’instruction de Paris au nom de Mme M. contre les auteurs pour escroquerie en bande organisée, demandant la dissolution et l’interdiction de l’Église de scientologie. Mme M., qui avait rejoint l’Église de scientologie en mai 1998, aurait été victime de manipulation mentale. Les auteurs précisent que l’Église de scientologie a reversé la plupart de ses contributions financières à Mme M. Cette dernière s’est constituée partie civile en l’affaire par la suite, puis s’est retirée de la plainte comme partie civile en 2010. Le Procureur de la République a ouvert une procédure pénale et un juge d’instruction a été nommé en janvier 1999. Le cas de M. P. A. a été joint à l’enquête en juin 2000 pour escroquerie en bande organisée, bien que ce soit son frère qui avait contacté le Procureur et qu’il avait lui-même refusé de se constituer partie civile. Il a été qualifié de « victime consentante » après avoir engagé les finances de sa propre entreprise aux fins de rétribuer l’Église de scientologie pour ses services. Les auteurs précisent que ses contributions financières ont été remboursées. Le cas de M. E. A., fidèle de l’Église de scientologie de 1997 à 1999 et conseillé par l’UNADFI, a également été joint à l’affaire, en septembre 2000. Ce dernier s’est également constitué partie civile. Il s’est toutefois retiré de la procédure en décembre 2007, déclarant que le différend avec la personne qu’il accusait avait été résolu.

2.6Le 4 septembre 2006, le Procureur de la République a rendu un réquisitoire de non-lieu estimant qu’il n’y avait pas de preuve d’escroquerie ou d’un quelconque comportement criminel. Les arguments de manipulation mentale et de privation de volonté n’ont pas été établis, et le Procureur a noté que M. P. A. n’avait jamais déposé de plainte.

2.7Le 8 septembre 2008, le juge d’instruction a rejeté la décision de non-lieu du Procureur et a saisi le tribunal d’une ordonnance non conforme inculpant les auteurs d’escroquerie en bande organisée à l’encontre de Mme M. et de MM. E. A. et P. A. Le juge d’instruction s’est appuyé sur les concepts de sujétion psychologique et d’abus de faiblesse développés par la loi no 2001-504, se référant rétroactivement à la loi pour des faits commis entre 1997 et 1999.

2.8Le procès a eu lieu de mai à juin 2009 et n’a pas respecté, selon les auteurs, le principe d’équité prévu par le Pacte. Les auteurs allèguent qu’ils n’ont jamais su, malgré leur demande, si les juges qui se sont prononcés sur leur cas avaient suivi les sessions de formation organisées par l’École nationale de la magistrature sur la base d’informations fournies par l’UNADFI. Le27 octobre 2009, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la plainte de M. P. A., mais a condamné les auteurs pour escroquerie en bande organisée à l’encontre de Mme M. et de M.E. A. Le tribunal a estimé que les auteurs avaient exercé une sujétion psychologique sous couvert de la doctrine de la scientologie en convainquant de manière frauduleuse les victimes de ce qu’elles pourraient être aidées dans le seul but d’enrichir l’Église de scientologie. Lesauteurs ont interjeté appel et les audiences devant la cour d’appel de Paris ont commencé en octobre 2011. Les auteurs ont fait valoir que la décision du tribunal, qualifiant de frauduleuses les pratiques de l’Église de scientologie, constituait une ingérence dans la liberté religieuse de ses membres. Ils ont également dénoncé la violation du principe d’impartialité objective résultant de l’influence exercée par les pouvoirs publics sur les magistrats du parquet, au moyen de l’émission d’une nouvelle circulaire antisecte, le 19 septembre 2011 (complétant celles du 29 février 1996 et du 1er décembre 1998), soit quelques jours avant l’ouverture du procès en appel. Ils ont également soulevé la mise en place des sessions à l’École nationale de la magistrature, dont le contenu est élaboré par des personnes hostiles à la scientologie et parfois même menées par l’UNADFI ou ses avocats, cette même association qui se porte partie civile en l’espèce. Le 2 février 2012, la cour d’appel de Paris a maintenu la condamnation pour escroquerie en bande organisée et complicité d’exercice illégal de la pharmacie, utilisant le concept de sujétion psychologique aux fins d’écarter les lettres de Mme M. et de M. E. A. exprimant leur pleine satisfaction de l’Église de scientologie. La cour a estimé que l’Église de scientologie comme les auteurs avaient un dessein purement financier. Les auteurs rappellent qu’ils ont été condamnés alors même qu’ils n’avaient jamais été en relation avec les victimes présumées, pour le simple fait de coordonner les activités de l’Église de scientologie. Ils qualifient cette décision d’injuste. Les auteurs soulignent le fait que l’UNADFI a été reconnue comme partie civile en première instance comme en appel, et a influencé l’ensemble de la procédure alors même que les auteurs avaient dès le début contesté la recevabilité de la constitution de partie civile de l’UNADFI. Dans les deux instances, la constitution de partie civile de l’UNADFI n’a été jugée irrecevable qu’à l’issue de la procédure judiciaire. Les auteurs soulignent également le fait qu’en appel, aucune victime individuelle n’était présente puisque M. E. A. avait retiré sa plainte en 2007 et Mme M. en 2010. Le 16 octobre 2013, la Cour de cassation a maintenu la condamnation des auteurs à de lourdes amendes, les peines d’emprisonnement avec sursis ainsi que l’ordre de publier le jugement dans les principaux journaux nationaux ainsi que deux journaux internationaux.

2.9En conséquence de cette condamnation, Sabine Jacquart a déménagé au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord aux fins de pouvoir exercer sa religion en toute quiétude. Elle a laissé ses deux fils en France et souffre de sérieuses difficultés de santé dues à l’épreuve du procès et à ses conséquences. Alain Rosenberg, qui continue d’exercer son ministère religieux, est quant à lui harcelé par des groupes haineux lorsqu’il se rend à l’Église de scientologie ou en sort. En raison de sa condamnation, sa banque a refusé de lui octroyer un crédit et il s’est vu refuser l’autorisation de voyager aux États-Unis d’Amérique, où résident sa fille, son gendre, son fils et ses petits-enfants.

2.10Le 15 avril 2014, les auteurs et l’Association spirituelle de l’Église de scientologie ont adressé à la Cour européenne des droits de l’homme une requête invoquant la violation de leurs droits protégés par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Le 12 juin 2014, les auteurs ont reçu une lettre les informant de ce qu’un juge unique avait déclaré leur requête irrecevable « au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies ». Les auteurs soulignent que la lettre n’indiquait en rien les raisons pour lesquelles ces conditions n’étaient pas remplies, et que rien dans la lettre ne laissait présager de ce que le juge unique avait examiné l’affaire au fond. Les auteurs considèrent que leur cas est similaire à celui de l’affaire Achabal Puertas c. Espagne (CCPR/C/107/D/1945/2010), dans laquelle le Comité avait décidé de déclarer recevable la requête alors même que : a) l’Espagne avait émis une réserve similaire à celle de la France à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte ; et b) la Cour européenne des droits de l’homme avait informé la requérante par lettre succincte de ce qu’un comité de trois juges rejetait la recevabilité de sa requête au motif qu’elle ne faisait « apparaître aucune violation des droits et libertés consacrés dans la Convention ou ses protocoles ». Les auteurs estiment qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas de la décision de trois juges mais d’un juge unique et qu’il est impossible de savoir si un examen même limité du fond a bien été effectué. Ils ajoutent que le court délai entre la soumission de la requête et la décision du juge unique laisse présager de ce que ce dernier n’a pu examiner le cas sur le fond.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs estiment premièrement que la condamnation dont ils ont fait l’objet par les tribunaux français constitue un obstacle à leur droit ainsi qu’à celui des autres adeptes d’exercer et de manifester leur religion sans interférence de l’État. Ils estiment que les interférences de l’État français en l’occurrence ne sauraient être justifiées par l’article 18 (par. 3) du Pacte. Ils estiment en outre que les autorités juridictionnelles, en criminalisant les pratiques et croyances de l’Église de scientologie, n’ont pas respecté les principes de neutralité, de pluralisme, d’impartialité et d’équité en matière de croyances religieuses protégés par le Pacte.

3.2Les auteurs estiment deuxièmement que les articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte ont été violés. Ils affirment que l’Église de scientologie a fait l’objet d’un traitement différencié et de stigmatisation en ayant été qualifiée de « secte ». Ils estiment que le traitement subi par les auteurs n’aurait jamais été infligé aux fidèles d’une religion traditionnelle.

3.3Les auteurs estiment enfin que l’article 14 du Pacte a été violé. Ils affirment que l’attitude constante et publique du Gouvernement affichant son hostilité à l’égard de la scientologie ainsi que les pressions et incitations diverses sur les autorités judiciaires aux fins de poursuivre et de punir pénalement les représentants de l’Église de scientologie font douter de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux français en l’espèce. Ces doutes sont étayés par le fait que les juges, pour rendre leur verdict, se sont finalement appuyés sur les affirmations de trois personnes uniquement, qui ont toutes retiré leur plainte. Les auteurs allèguent également que le principe d’égalité des armes n’a pas été respecté en ce sens que l’UNADFI, en tant qu’association subventionnée publiquement et impliquée dans le processus de formation des magistrats dans la lutte contre les sectes, a joué un rôle prééminent dans l’ensemble du processus judiciaire en se portant partie civile contre les auteurs et l’Église de scientologie. Les auteurs rappellent que l’UNADFI a pu soumettre ses allégations et soumissions alors que l’association n’avait pas le droit d’ester en justice en l’espèce, ce qui a été reconnu par le tribunal de grande instance et la cour d’appel dans leurs jugements respectifs.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 11 mai 2015, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication et demandé au Comité de déclarer celle-ci irrecevable.

4.2L’État partie a en premier lieu rappelé et résumé la procédure judiciaire nationale qui l’oppose aux auteurs. Il a en second lieu fait valoir que les faits présentés par les auteurs avaient déjà été examinés par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il relève que les auteurs ont présenté devant la Cour européenne des droits de l’homme une requête portant sur les mêmes faits et qu’ils ont été informés par une lettre en date du 12 juin 2014 de ce que leur requête était irrecevable en application des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’État partie rappelle également la réserve qu’il a émise, lors de son adhésion au Protocole facultatif, concernant l’article 5 (par. 2 a)). Il rappelle la pratique du Comité selon laquelle une question ne peut être qualifiée d’« examinée » par une autre instance internationale lorsque l’affaire a été rejetée pour des motifs uniquement procéduraux. À l’inverse, une décision d’irrecevabilité fondée sur un examen même limité du fond constitue un examen au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif.

4.3L’État partie fait valoir que les motifs d’irrecevabilité établis par les articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme sont au nombre de six, à savoir : a) dépassement du délai de six mois pour présenter la requête à partir de la date de décision interne définitive ; b) caractère anonyme de la requête ; c) requête déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; d) non-épuisement des voies de recours internes ; e) requête manifestement mal fondée ou abusive ; et f) absence de préjudice important subi par le requérant. Eu égard au fait que la requête a été soumise dans le délai de six mois, non anonymement, à la Cour européenne des droits de l’homme uniquement, que les voies de recours internes ont été épuisées et que la condamnation à deux ans de prison avec sursis et à une amende de 30 000 euros constitue un préjudice, l’État partie déduit que la Cour a rejeté la requête au motif qu’elle était manifestement mal fondée ou abusive. Dans l’un ou l’autre cas, l’État partie estime qu’une telle conclusion implique que la Cour a nécessairement examiné les griefs invoqués par les auteurs.

4.4Se référant aux allégations des auteurs selon lesquelles l’examen opéré par la Cour européenne des droits de l’homme peut être qualifié de sommaire, l’État partie soutient qu’il n’appartient pas au Comité de spéculer sur la qualité du travail des juges de la Cour. Il renvoie également à l’opinion dissidente de six des membres du Comité dans l’affaire Achabal Puertas c. Espagne . Rappelant que la question a été examinée par une autre instance internationale d’enquête conformément à la réserve formulée par la France, l’État partie demande au Comité de bien vouloir déclarer irrecevable la communication des auteurs.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Le 24 juin 2015, les auteurs ont fait parvenir leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils ont rappelé que la lettre de la Cour européenne des droits de l’homme datée du 12 juin 2014 ne donnait aucune explication de la décision et que l’État partie le reconnaissait lui-même. Ils soutiennent que le juge unique de la Cour n’a pas examiné la requête au sens de la réserve formulée par la France et que la communication doit donc être considérée comme recevable.

5.2Les auteurs rejettent l’argument développé par l’État partie selon lequel, au vu des motifs d’irrecevabilité établis par les articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, le juge aurait nécessairement rejeté la requête au motif qu’elle était manifestement mal fondée ou abusive. Ils qualifient le raisonnement de spéculatif et reposant sur la présomption de ce que la Cour européenne des droits de l’homme ne commet jamais d’erreurs. Ils concluent qu’il est impossible de savoir pourquoi le juge a rejeté la requête ou de déterminer s’il a procédé à ne serait-ce qu’un examen limité du fond.

5.3Se fondant sur le cas Achabal Puertas c. Espagne, les auteurs rappellent la similarité des deux affaires et notent que le Comité avait qualifié de succinct le raisonnement exprimé par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa lettre de rejet. La même qualification devrait être retenue en l’espèce. Les auteurs soutiennent que la transparence du raisonnement juridique est cruciale pour la confiance dans le système judiciaire et sa crédibilité.

5.4Les auteurs rappellent que cette affaire soulève de sérieuses difficultés légales en ce qui concerne leur droit à la liberté religieuse, leur droit à l’égalité et à la non-discrimination et leur droit à un procès équitable. Sur le plan international, ils estiment crucial de voir leur cas examiné alors que leur requête a été sommairement déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme sans qu’ils puissent comprendre les raisons de cette décision. Les auteurs demandent ainsi au Comité de déclarer la communication recevable, en conformité avec la décision prise dans l’affaire Achabal Puertas c. Espagne.

Observations complémentaires des auteurssur la recevabilité

6.1Le 15 janvier 2016, les auteurs ont soumis des observations complémentaires aux fins d’informer le Comité d’une réforme procédurale au sein de la Cour européenne des droits de l’homme. À la suite de la conférence de haut niveau intitulée « La mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme, notre responsabilité partagée », tenue à Bruxelles, les États membres ont salué l’intention exprimée par la Cour de motiver, de manière brève, ses décisions d’irrecevabilité de juge unique et l’ont invitée à mettre en œuvre cette intention dès janvier 2016.

6.2Les auteurs accueillent avec satisfaction cette réforme, mais notent que la décision n’étant pas rétroactive, ils ne pourront connaître les raisons de l’irrecevabilité de leur requête. Soulignant que la réforme de 2016 a pour but de corriger les défaillances de la procédure du juge unique, les auteurs rappellent que, dans ces circonstances, ils considéraient que le juge unique n’avait pas examiné leur affaire au sens de la réserve formulée par la France.

Décision du Comité sur la recevabilité

7.1Le 18 juillet 2017, le Comité a considéré la recevabilité de la communication.

7.2Le Comité a observé que les auteurs avaient présenté une requête portant sur les mêmes faits devant la Cour européenne des droits de l’homme et que, par lettre du 12 juin 2014, ils avaient été informés de ce qu’un juge unique avait décidé de déclarer la requête irrecevable au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme n’étaient pas remplies. Le Comité a rappelé qu’en adhérant au Protocole facultatif, la France avait émis une réserve excluant la compétence du Comité pour connaître de questions qui étaient en cours d’examen ou avaient été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité a rappelé sa jurisprudence relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Il a également rappelé que lorsque la Cour européenne des droits de l’homme déclare une requête irrecevable, non seulement pour vice de forme, mais aussi pour des motifs reposant dans une certaine mesure sur un examen au fond, il est considéré que la question a déjà été examinée au sens des réserves à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, et qu’il revenait en conséquence au Comité de déterminer si, en l’espèce, la Cour était allée au-delà d’un simple examen des critères de recevabilité purement formels lorsqu’elle avait déclaré la requête irrecevable au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies.

7.4Le Comité a pris note de ce que la Cour européenne des droits de l’homme avait examiné la requête des auteurs et l’avait déclarée irrecevable au regard des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, le Comité a relevé le caractère succinct du raisonnement exposé dans la lettre de la Cour adressée aux auteurs, ladite lettre n’exposant aucune argumentation ou clarification quant au fondement de la décision d’irrecevabilité sur le fond. À la lumière de ces circonstances particulières, le Comité a estimé qu’il ne lui était pas possible de déterminer avec certitude que l’affaire présentée par les auteurs avait déjà fait l’objet d’un examen même limité du fond au sens de la réserve formulée par la France. Pour ces motifs, le Comité a estimé que la réserve formulée par la France relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne constituait pas, en elle-même, un obstacle à l’examen au fond par le Comité.

7.5Le Comité a pris note des allégations des auteurs selon lesquelles la criminalisation des pratiques et des croyances de l’Église de scientologie ainsi que les poursuites et condamnations associées avaient indûment porté atteinte à la liberté de religion de ses adeptes. Il a noté également leurs allégations selon lesquelles l’Église de scientologie et eux-mêmes avaient été soumis à un traitement inégal en comparaison des religions traditionnelles, et que les procédures judiciaires à leur encontre avaient violé les principes d’impartialité, d’indépendance et d’égalité des armes. Les auteurs ont affirmé, entre autres, que les poursuites et condamnations à leur encontre avaient été menées et prononcées dans un contexte plus large où des mesures juridiques et politiques affectant l’impartialité de ces procédures avaient été concomitamment mises en place par l’État partie. Ces mesures comprenaient : a) les circulaires émises en 1996 et en 1998 par le Ministre de la justice aux fins de poursuivre 172 mouvements qualifiés de sectes, parmi lesquels l’Église de scientologie ; b) la formation de magistrats sur la thématique des sectes par l’UNADFI, une association subventionnée publiquement ayant également joué un rôle important dans les poursuites judiciaires en déposant, parallèlement aux activités de formation, une plainte contre les auteurs et l’Église de scientologie ; et c) l’introduction en 2001 du crime d’abus de faiblesse dans la loi no 2001-504 ainsi que la circulaire de septembre 2011 émise par le Ministre de la justice adressée aux procureurs en vue d’identifier les pratiques des membres de l’Église de scientologie telles que les « tests », « cures de purification » et « cours d’initiation répétés » comme constitutives d’abus de faiblesse.

7.6Le Comité a noté également que l’unique motif de contestation de la recevabilité de la requête soulevé par l’État partie concernait la décision d’irrecevabilité de la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité a considéré en conséquence que les auteurs avaient suffisamment étayé leurs griefs, au stade de la recevabilité, selon lesquels les articles 2 (par. 1), 14, 18 et 26 du Pacte auraient été violés et que la plainte des auteurs était recevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Le 18 septembre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur le bien-fondé de la communication. En ce qui concerne la violation de l’article 18 du Pacte, il rejette l’argument des auteurs selon lequel les condamnations pénales qui ont été prononcées contre eux ne sont justifiées que par le seul fait de leur appartenance à l’Église de scientologie. L’État partie souligne que, conformément à l’article 18 (par. 3) du Pacte, si la liberté de croyance est absolue, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de restrictions légales nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. L’État partie souligne que la reconnaissance du droit à la liberté de religion reconnue par l’article 18 du Pacte ne permet pas d’échapper aux obligations pesant sur les personnes concernées et ne légitime pas la commission d’infractions pénales. C’est en ce sens que les auteurs ont été régulièrement condamnés du chef d’escroquerie en bande organisée et du chef de complicité d’exercice illégal de la profession de pharmacien, conformément aux articles 132-71 et 313-1 du Code pénal et L4223-1 du Code de la santé publique. L’État partie affirme que les condamnations pénales prononcées à l’encontre des auteurs ne les dispensent pas de continuer à manifester leur croyance, du moment que ces manifestations respectent le droit et les libertés fondamentales d’autrui. L’État partie explique en outre que la restriction alléguée par les auteurs est proportionnelle aux buts légitimes poursuivis par le législateur et prévue par la loi pénale française, qui punit l’escroquerie et l’exercice illégal de la profession de pharmacien. L’État partie indique également que ladite restriction poursuit un but légitime en ce qui a trait à l’article 18 (par. 3) du Pacte : faire cesser l’atteinte aux droits fondamentaux d’autrui et la menace pour la sécurité que représentaient les auteurs.

8.2En ce qui concerne les griefs tirés des articles 2 et 26 du Pacte, l’État partie rejette l’argument des auteurs selon lequel ils ont été victimes de discrimination en raison de leur appartenance à l’Église de scientologie.Il rappelle que le Comité a toujours affirmé que toute distinction entre les personnes ne constitue pas forcément une discrimination, interdite au sens de l’article 26 du Pacte, dès lors que les critères fondant la distinction sont raisonnables et objectifs et que le but visé est légitime au regard du Pacte. L’État partie affirme qu’en l’espèce, les auteurs ont été condamnés pénalement des chefs d’escroquerie en bande organisée et de complicité d’exercice illégal de la profession de pharmacien du seul fait que les éléments constitutifs de ces infractions étaient réunis, sans tenir compte de leur appartenance à l’Église de scientologie, et que le mot « secte » n’a pas été utilisé par les juridictions françaises en l’espèce. À titre subsidiaire, l’État partie fait valoir que, lors même qu’une distinction touchant les auteurs pourrait être caractérisée, elle reposerait en tout état de cause sur des motifs objectifs et raisonnables. L’État partie considère en conséquence que le grief tiré de la violation des articles 2 et 26 du Pacte doit être écarté.

8.3Concernant le grief tiré de la violation de l’article 14 du Pacte, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas établi en quoi l’application de la loi qui a été faite par les juridictions internes constitue un déni de justice, une erreur manifeste ou une application arbitraire du droit. L’État partie rejette le grief fondé sur le défaut d’indépendance des juges. Il souligne que les circulaires de 1996 et de 1998 émises par le Ministre de la justice, invoquées par les auteurs, n’ont pas de valeur impérative. Quant à la loi no 2001-504, qui crée le délit d’abus frauduleux de l’état de faiblesse (inséré à l’article 223-15-2 du Code pénal), l’État partie rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà reconnu la conformité de celle‑ci avec l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est le pendant de l’article 18 du Pacte. L’État partie ajoute que cette loi n’a pas été appliquée en l’espèce par les juges. Il rejette l’argument selon lequel les positions publiques exprimées par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires à l’encontre de l’Église de scientologie sont constitutives de pression sur la justice française, dont l’indépendance est prévue à l’article 64 de la Constitution française.

8.4En ce qui concerne l’impartialité des juges, l’État partie estime que les auteurs n’ont pas établi en quoi la participation de l’UNADFI à la formation des magistrats a contribué à une mauvaise administration de la justice. L’État partie excipe du fait que les auteurs avaient la possibilité de récuser l’un ou plusieurs des magistrats sur le fondement de l’article 668 du Code de procédure pénale, s’ils avaient des doutes sur leur impartialité, ce qu’ils ont omis de faire. L’État partie précise que la renonciation à des plaintes par des victimes ne saurait éteindre l’action pénale, conformément au deuxième alinéa de l’article 2 du Code de procédure pénale. Concernant l’inobservance du principe de l’égalité des armes, l’État partie rejette l’argument des auteurs selon lequel l’UNADFI a joué un rôle majeur dans la procédure en cause. Il rappelle que la demande de constitution de partie civile de l’UNADFI a été rejetée par le tribunal de grande instance de Paris, décision confirmée aussi bien en appel qu’en cassation.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur le fond

9.1Dans leurs commentaires du 26 décembre 2018, les auteurs réitèrent que les autorités françaises n’ont pas respecté leurs droits fondamentaux, notamment leur droit de manifester leurs convictions religieuses en tant que membres de l’Église de scientologie, en violation de l’article 18 du Pacte. Ils estiment être victimes de discrimination religieuse, en violation des articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte, vu que l’Église de scientologie n’a pas été traitée de la même manière que d’autres religions traditionnelles. Ils réitèrent leurs allégations quant à la violation de l’article 14 du Pacte.

9.2Les auteurs font valoir que l’État partie n’a pas su justifier les restrictions qui leur ont été imposées dans la jouissance de leur liberté de religion, garantie par l’article 18 du Pacte. Ils estiment que leur condamnation pénale n’est motivée que par le seul fait qu’ils ont coordonné des activités religieuses de l’Église de scientologie, ce qui porte atteinte à leur droit de manifester leur religion. Les auteurs indiquent qu’ils ont subi des dénigrements publics injustifiés de la part des représentants du Gouvernement, qui ont qualifié l’Église de scientologie de secte et ses membres d’escrocs, motivés par le gain financier. Les auteurs soulignent que les manifestations de croyances de la scientologie, qualifiées par les tribunaux français de malhonnêtes, sont des activités spirituelles et de collecte de fonds nécessaires au fonctionnement de leur Église. Les auteurs réitèrent que les sessions de formation organisées par l’État partie à l’intention des magistrats depuis mars 1998, comprenant des séances consacrées à la scientologie basées sur des informations hostiles, et les circulaires des autorités, incitant la justice à sévir contre des groupes considérés comme des sectes, y compris l’Église de scientologie, constituent une atteinte à l’exercice de leur liberté de croyance. Quant à la qualification de secte attribuée à l’Église de scientologie, les auteurs rappellent que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà constaté que l’utilisation dans des documents officiels d’expressions péjoratives contre une communauté religieuse constituait une ingérence, dans la mesure où elle pouvait entraîner des conséquences négatives pour l’exercice de la liberté de religion. Les auteurs affirment en outre que la loi no 2001-504 a été spécifiquement conçue contre les adeptes de la scientologie. Ils soulignent qu’à la veille de l’audition de l’appel interjeté contre la décision du tribunal de Paris, le Gouvernement a publié une circulaire à l’intention des procureurs et copiée aux présidents des cours d’appel, faisant référence à certaines pratiques de l’Église de scientologie.

9.3En ce qui concerne la violation des articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte, les auteurs soutiennent que leur religion n’a pas été traitée de la même manière que d’autres religions traditionnelles, qui n’ont jamais été jugées ou condamnées en raison de leurs pratiques fondées sur de nombreuses croyances non scientifiques, ni poursuivies pour fraude en raison des contributions financières qu’elles reçoivent de leurs fidèles.

9.4En ce qui concerne la violation de l’article 14 du Pacte, les auteurs indiquent que des responsables de la justice française ont clairement admis en octobre 2011 que les circulaires de 1996 et de 1998 étaient non seulement adressées aux procureurs, mais également diffusées pour information aux juges en exercice, en particulier aux présidents des cours d’appel. Les auteurs soulignent que, contrairement à ce qu’avance l’État partie, les déclarations des autorités ont été faites non pas après leur condamnation, mais avant et pendant les procès au pénal diligentés contre eux. Tout en reconnaissant qu’il est impossible de savoir dans quelle mesure cette campagne hostile a influencé les tribunaux, les auteurs soutiennent qu’elle a nui à l’impartialité de la justice.Les auteurs réitèrent leur grief fondé sur le non-respect du principe de l’égalité des armes en raison du rôle de l’UNADFI dans la formation des magistrats et comme partie civile au début de l’instance. Ils estiment que la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation n’ont pas suffisamment évalué le caractère inéquitable de la procédure sur la base de l’article 14 du Pacte.

9.5En conséquence, les auteurs demandent au Comité de rejeter les arguments de l’État partie sur le bien-fondé de leur plainte et de constater qu’ils ont été privés de leurs droits protégés par les articles 2, 14, 18 et 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité prend note du grief des auteurs, qui affirment que la condamnation dont ils ont fait l’objet constitue un obstacle à leur droit d’exercer et de manifester leur religion et que les interférences de l’État partie ne sont pas conformes à l’article 18 (par. 3) du Pacte. Il note également le grief des auteurs selon lequel les condamnations prononcées contre eux ne sont justifiées que par leur appartenance à l’Église de scientologie, et que les autorités françaises ont mené une campagne médiatique contre eux en plus d’avoir adressé aux magistrats du parquet des circulaires administratives qui visaient spécifiquement les activités de l’Église de scientologie. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie, qui estime que la reconnaissance du droit à la liberté de religion reconnue par l’article 18 du Pacte ne permet pas d’échapper aux obligations pesant sur les personnes concernées et ne légitime pas la commission d’infractions pénales, et que les condamnations pénales prononcées contre les auteurs sont basées sur des éléments objectifs qui caractérisent les faits d’escroquerie commise en bande organisée et d’exercice illégal de la profession de pharmacien conformément à la législation pénale en vigueur, indépendamment de leur appartenance religieuse. En outre, selon l’État partie, les condamnations pénales prononcées à l’encontre des auteurs ne les dispensent pas de continuer à manifester leur croyance, du moment que ces manifestations respectent le droit et les libertés fondamentales d’autrui. L’État partie ajoute que la restriction alléguée par les auteurs est proportionnelle aux buts légitimes poursuivis par le législateuret prévue par la loi pénale française, qui punit l’escroquerie et l’exercice illégal de la profession de pharmacien, et que ladite restriction poursuit un but légitime.

10.3Le Comité doit donc déterminer si cette restriction est autorisée par l’article 18 (par. 3) du Pacte. Le Comité rappelle que l’article 18 (par. 3) n’autorise les restrictions apportées aux manifestations de la religion ou des convictions que si lesdites restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publics, la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Il rappelle en outre que l’article 18 (par. 3) du Pacte doit être interprété au sens strict. Les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Il ne peut être imposé de restrictions à des fins discriminatoires ni de façon discriminatoire.

10.4Le Comité fait remarquer que les décisions judiciaires soumises à son appréciation ne lui permettent pas de conclure qu’elles ont été adoptées à l’encontre des auteurs simplement en raison de leurappartenance à l’Église de scientologie, mais plutôt en vue de poursuivre des faits considérés spécifiquement comme des infractions pénales, nommément les faits d’escroquerie en bande organisée et de complicité d’exercice illégal de la profession de pharmacien. Le Comité fait remarquer également que les auteurs n’ont pas pu établir que les restrictions prétendument imposées par l’État partie en raison de la manifestation de leur religion ou de leurs convictions étaient en dehors des conditions énumérées à l’article 18 (par. 3) du Pacte. Le Comité observe par ailleurs que les auteurs, dans leur communication, n’ont pas combattu le fondement des condamnations portées contre eux sur la base des éléments constitutifs des infractions portées à leur charge et pour lesquelles ils ont été poursuivis et condamnés. Il observe également que le seul fait d’appartenir à une confession religieuse n’est pas un motif d’exonération par rapport à la législation pénale nationale. Le Comité observe en outre que l’Église de scientologie continue à fonctionner sur le territoire de l’État partie et que les auteurs ne lui ont pas fourni d’éléments pertinents pouvant le porter à conclure que les condamnations pénales qui leur ont été infligées ne découlaient pas d’infractions à la législation pénale mais étaient laconséquence directe de leur appartenance à l’Église de scientologie. Le Comité constate qu’au vu des informations contenues dans le dossier, il n’est pas en mesure de conclure à la violation de l’article 18 du Pacte.

10.5Quant aux allégations soulevées au titre des articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte, le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel l’Église de scientologie a été stigmatisée, qualifiée de secte et traitée différemment d’une religion traditionnelle. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie, qui affirme que la condamnation des auteurs tient des seuls faits délictueux qui leur ont été reprochés, que lesdits faits ont été dûment caractérisés d’escroquerie en bande organisée et de complicité d’exercice illégal de la profession de pharmacien, conformément aux articles 132-71 et 313-1 du Code pénal et L4223-1 du Code de la santé publique.

10.6Le Comité rappelle son observation générale no 18 (1989), dans laquelle la discrimination est définie au paragraphe 7 comme la « distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Toutefois, une différence de traitement fondée sur les motifs énumérés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas systématiquement une discrimination, pour autant qu’elle repose sur des critères raisonnables et objectifs, dans la poursuite d’un but légitime. Le Comité observe qu’en l’espèce, les auteurs n’ont pas démontré en quoi les condamnations pénales prononcées contre eux émanaient d’une différence de traitement fondée sur des critères déraisonnables, mettant en doute l’objectivité des juridictions nationales et la poursuite d’un but légitime. Le Comité observe que les auteurs affirment que la violation de leurs droits au titre des articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte repose sur le fait qu’ils ont été traités différemment en tant que scientologues. Le Comité rappelle toutefois que, selon les déclarations faites par les auteurs eux-mêmes, les circulaires du Ministre de la justice émises en 1996 et en 1998 concernaient 172 mouvements qualifiés de sectes et pas seulement l’Église de scientologie. Le Comité note que rien dans la loi no 2001-504, incorporant l’infraction d’abus de faiblesse dans le Code pénal, ne semble indiquer que l’Église de scientologie était particulièrement visée. Le Comité note également que le tribunal de grande instance de Paris, dans sa décision du 27 octobre 2009, a condamné les auteurs non pas pour leurs convictions religieuses, mais pour escroquerie en bande organisée et pour complicité d’exercice illégal de la profession de pharmacien. La cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 2 février 2012, a confirmé ces condamnations. Le Comité note enfin que la Cour de cassation, dans son arrêt du 16 octobre 2013, a également confirmé les condamnations. Par conséquent, les juridictions internes ont systématiquement abordé les éléments constitutifs des infractions pénales contre les auteurs et les lourdes conséquences financières de leurs activités sur les victimes, qui, même si elles ont retiré par la suite leurs plaintes, ne l’ont fait qu’après de nombreuses années de litige et après remboursement des contributions qu’elles avaient apportées à l’Église de scientologie. Le Comité note en outre que des membres d’autres religions traditionnelles ont également été condamnés en France pour des infractions similaires et qu’en l’espèce, les tribunaux n’ont pas utilisé le mot « secte » pour s’adresser à l’Église de scientologie, qui continue de fonctionner librement dans le pays. Sur la base des informations contenues dans le dossier, le Comité, en conséquence, n’est pas en mesure de conclure que les droits des auteurs garantis par les articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte ont été violés.

10.7En ce qui concerne la violation de l’article 14 du Pacte, le Comité note l’argument des auteurs selon lequel l’hostilité manifeste des autorités à l’égard de l’Église de scientologie, l’adoption de la loi no 2001-504 ainsi que les pressions et incitations sur les autorités judiciaires visant à condamner les représentants de l’Église de scientologie mettent en doute l’indépendance et l’impartialité des tribunaux français en l’espèce. Le Comité note également que les auteurs affirment que le principe d’égalité des armes n’a pas été respecté en ce sens que l’UNADFI, subventionnée par l’État et ayant pris part à la formation des magistrats, a joué un rôle majeur dans l’ensemble du processus judiciaire, notamment en se portant partie civile contre les auteurs et l’Église de scientologie. Le Comité observe toutefois que les auteurs n’ont pas établi en quoi l’émission de circulaires par le Ministre de la justice, destinées aux magistrats du parquet et diffusées pour information aux juges en service, nuirait nécessairement à l’indépendance des magistrats du siège. Pour ce qui a trait aux plaintes déposées et qui ont été ultérieurement retirées, le Comité observe que, selon le deuxième alinéa de l’article 2 du Code de procédure pénale, la renonciation à des plaintes par des victimes ne saurait éteindre l’action pénale. Le Comité note également que la loi no 2001-504 n’a pas été appliquée en l’espèce par les juges. En ce qui concerne l’UNADFI, la qualité de partie civile au procès ne lui a pas été reconnue par le tribunal de grande instance et par la cour d’appel dans leurs jugements respectifs. Le Comité observe également que la législation de l’État partie accorde la possibilité aux auteurs de récuser les juges de la cause, possibilité dont ils ne se sont pas prévalus.

10.8Le Comité rappelle que les dispositions de l’article 14 du Pacte de façon générale visent une saine administration de la justice. Toutefois, au vu des informations contenues dans le dossier, le Comité n’est pas en mesure de conclure qu’il y a eu un comportement arbitraire ou un déni de justice par les juridictions internes, ou que les juges de la cause, étant intervenus dans trois instances distinctes, ont violé leur obligation d’indépendance et d’impartialité aussi bien en première instance que dans le cadre des recours interjetés ultérieurement.

11.Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent des articles 2 (par. 1), 14, 18 et 26 du Pacte.