Nations Unies

CCPR/C/133/D/3215/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 décembre 2021

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant lacommunication no 3215/2018 * , **

Communication présentée par :

Philippe Rudyard Bessis(représenté par un conseil, Frédéric Fabre)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

France

Date de la communication :

26 octobre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 octobre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

13 octobre 2021

Objet :

Liberté d’expression ; procès équitable ; liberté syndicale

Question(s) de procédure :

Épuisement des voies de recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un procès équitable ; droit à la liberté d’expression ; droit à la liberté syndicale

Article(s) du Pacte :

14, 19 et 22

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a))

1.1L’auteur de la communication est Philippe Rudyard Bessis, de nationalité française, né en 1954 en Tunisie. Il allègue une violation par l’État partie des droits qu’il tient des articles 14, 19 et 22 du Pacte. La France a adhéré au Protocole facultatif le 17 février 1984.L’auteur est représenté par un conseil, Frédéric Fabre.

1.2Le 13 juin 2017, une précédente communication de l’auteur datée du 1er mars 2017 et invoquant une violation de sa liberté d’opinion au titre des articles 2 (par. 3), 14 et 19 du Pacte a été enregistrée sous le numéro 2988/2017. Dans cette communication, l’auteur contestait une décision de la Chambre disciplinaire nationale de l’ordre national des chirurgiens-dentistes concernant sa radiation de l’ordre, par suite de la rédaction d’articles dénonçant les dysfonctionnements et les abus de fonctions de membres de l’ordre. Le 12 septembre 2017, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a accepté de joindre à la communication du 13 juin 2017 une soumission additionnelle de l’auteur datée du 13 juillet 2017, dans laquelle ce dernier invoquait de nouveaux griefs tirés des articles 17 et 25 du Pacte, concernant l’impossibilité d’exercer simultanément la profession de chirurgien-dentiste et la profession d’avocat.

1.3La présente communication, datée du 26 octobre 2017, qui porte sur des faits et des griefs différents, fait l’objet d’un examen séparé.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est avocat de profession et ancien Président du syndicat Dentistes solidaires et indépendants. Au moment des faits, il était également chirurgien-dentiste avant d’être radié de l’ordre national des chirurgiens-dentistes.

2.2L’auteur a publié un article sur le blog syndical de Dentistes solidaires et indépendants, en sa qualité de Président de ce syndicat. Dans cet article, il dénonçait les abus du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes, les relations douteuses qu’entretenait le Conseil avec l’Union française pour la santé bucco-dentaire, l’utilisation illégale des cotisations ordinales par le Conseil, les actes délictueux commis par ses membres, l’emploi douteux des fonds du Conseil, les sommes indûment perçues par les conseillers d’État et le chantage disciplinaire dont il avait été victime.

2.3L’auteur reproche à certains membres du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes d’abuser de leurs fonctions dans un but illégitime. Quatre d’entre eux ont décidé de le citer à comparaître pour diffamation devant le tribunal de grande instance de Paris. Comme base à leur accusation, les plaignants ont retenu les passages de l’article litigieux relatifs à l’utilisation irrégulière des cotisations ordinales, aux actes délictueux commis par les membres du Conseil national et au chantage disciplinaire.

2.4Le 12 janvier 2012, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé quatre jugements de relaxe en faveur de l’auteur et a condamné chacun des plaignants à lui payer 500 euros. Le 10 avril 2014, les plaignants ont fait appel de ces jugements.

2.5Dans son arrêt du 10 avril 2014, la cour d’appel de Paris a condamné l’auteur pour les propos tenus sur l’utilisation douteuse des cotisations ordinales par le Conseilnational de l’ordre national des chirurgiens-dentistes et sur le chantage disciplinaire. Il lui est reproché de ne pas avoir fait preuve de bonne foi et de n’avoir apporté aucun élément de preuve pour établir la vérité et l’effectivité du détournement des cotisations en question. La cour d’appel a jugé que les membres du Conseil n’avaient pas à titre individuel une mission de service public mais qu’ils pouvaient l’obtenir en agissant ensemble.

2.6L’auteur s’est pourvu en cassation contre l’arrêt en demandant à la Cour de cassation de confirmer le jugement du 12 janvier 2012. Le 1er décembre 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’auteur et considéré que la cour d’appel de Paris avait déjà apprécié le sens et la portée des propos incriminés, et avait retenu que les faits diffamatoires n’avaient pas été prouvés. La cour d’appel avait également écarté le bénéfice de la bonne foi en faveur de l’auteur.

2.7Le 26 mai 2016, l’auteur a introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, alléguant une violation de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) par l’État partie. Le 15 décembre 2016, la Cour l’a informé que sa requête avait été déclarée irrecevable par une décision à juge unique, car elle ne satisfaisait pas aux conditions des articles 34 et 35 de la Convention.

2.8Le 23 février 2017, la Cour des comptes a publié un rapport intitulé « L’Ordre national des chirurgiens-dentistes : retrouver le sens de ses missions de service public » à la suite d’une enquête menée par la Cour sur les conditions d’exercice des missions de service public de l’ordre et différents aspects de sa gestion. Dans son rapport, la Cour fait état de la mauvaise gestion financière des cotisations annuelles par les membres de l’ordre.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dénonce le caractère arbitraire de la décision de la cour d’appel de Paris au sens de l’article 14 du Pacte. Il soutient que les quatre plaignants, membres du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes, n’auraient pas dû être assignés au sens de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui concerne les diffamations envers les particuliers, mais bien au sens de l’article 31 de ladite loi, qui concerne celles commises envers les personnes investies d’une mission de service public. Ainsi, l’auteur avance que les quatre plaignants, représentés par les mêmes avocats, ont agi conjointement dans leur mission de service public, et non comme des particuliers, pour le compte du Conseil. Au sens de l’article 14 du Pacte, l’auteur estime que la décision de la cour d’appel de Paris, entérinée par la Cour de cassation, est arbitraire vu que ces juridictions n’ont pas pris en compte ni sanctionné la faute de procédure que les plaignants avaient commise. L’auteur soutient que les juridictions internes ont interprété à tort ses écrits pour parvenir à sa condamnation. Il ajoute qu’il n’a jamais mentionné un séjour de loisirs ou de villégiature pour désigner une réunion tenue à La Baule en 2005 par le Conseil, mais bien une conférence. Il n’a pas non plus invoqué un abus de confiance, mais « un transfert pour couvrir les frais d’une conférence déficitaire ».

3.2L’auteur dénonce le fait que l’avocate des plaignants était assistée de l’avocat officiel du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes, dont le rôle est de combattre toute concurrence déloyale. L’auteur rappelle que la loi ne permet pas à l’ordre d’agir en ce sens étant donné que le Conseil n’est pas un syndicat mais un ordre professionnel investi d’une mission de service public. L’auteur soutient que la justice ne peut le poursuivre que pour diffamation contre une personne chargée d’une mission de service public et non pour diffamation contre des personnes privées.

3.3Au titre de l’article 19 du Pacte, l’auteur soutient que la sanction prononcée contre lui porte atteinte à sa liberté d’expression. Il maintient que les faits dénoncés dans son article ont été établis par la suite par une enquête de la Cour des comptes, dans son rapport du 23 février 2017. Dans ce rapport, la Cour des comptes dénonce de nombreux dysfonctionnements de l’ordre national des chirurgiens-dentistes.

3.4L’auteur allègue en outre qu’il a subi une atteinte à sa liberté d’expression syndicale au sens de l’article 22 du Pacte. Il estime avoir agi en qualité de président syndical à travers un blog syndical contre les membres de l’ordre national des chirurgiens-dentistes. Il affirme que ces derniers ont utilisé leurs pouvoirs attribués dans le cadre d’une mission de service public pour l’écarter de la profession et démanteler son syndicat.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 25 septembre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication et demandé au Comité de déclarer celle-ci irrecevable.

4.2En ce qui concerne le grief tiré de l’article 19 lu conjointement avec l’article 22 du Pacte, l’État partie fait valoir que les faits présentés par l’auteur ont déjà été examinés par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il relève que l’auteur a présenté devant la Cour européenne des droits de l’homme une requête portant sur les mêmes faits et qu’il a été informé par une lettre du 15 décembre 2016 de ce que sa requête était irrecevable en application des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’État partie rappelle également la réserve qu’il a émise, lors de son adhésion au Protocole facultatif, concernant l’article 5 (par. 2 a)). Il rappelle la pratique du Comité selon laquelle une question ne peut être qualifiée d’« examinée » par une autre instance internationale lorsque l’affaire a été rejetée pour des motifs uniquement procéduraux. À l’inverse, une décision d’irrecevabilité fondée sur un examen même limité du fond constitue un examen au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif.

4.3L’État partie fait valoir que les motifs d’irrecevabilité établis par les articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme sont au nombre de six, à savoir : a) dépassement du délai de six mois pour présenter la requête à partir de la date de décision interne définitive ; b) caractère anonyme de la requête ; c) requête déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; d) non-épuisement des voies de recours internes ; e) requête manifestement mal fondée ou abusive ; et f) absence de préjudice important subi par le requérant. Eu égard au fait que la requête a été soumise dans le délai de six mois, non anonymement, à la Cour européenne des droits de l’homme uniquement, que les voies de recours internes ont été épuisées et que la condamnation de l’auteur à indemniser les parties civiles constitue un préjudice, l’État partie déduit que la Cour a rejeté la requête au motif qu’elle était manifestement mal fondée ou abusive. Dans l’un ou l’autre cas, l’État partie estime qu’une telle conclusion implique que la Cour a nécessairement examiné les griefs invoqués par l’auteur.

4.4En ce qui concerne la recevabilité de la communication fondée sur le grief tiré de la violation de l’article 14 du Pacte, l’État partie note, en premier lieu, que cet article garantit seulement l’égalité en matière de procédure et l’équité, mais ne saurait être interprété comme garantissant l’absence d’erreur de la part du tribunal compétent. Il estime qu’il n’appartient pas au Comité d’apprécier des éléments de fait et de preuve, sauf si l’appréciation des éléments de preuve a été manifestement arbitraire et a représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. L’État partie estime également qu’en l’espèce, l’auteur se borne à contester l’appréciation des éléments de fait et de droit telle qu’elle résulte des décisions rendues par les juridictions internes, faisant grief à la cour d’appel de Paris d’avoir commis une erreur de droit en examinant les faits allégués par les parties civiles sur le fondement des dispositions de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881, qui vise la diffamation envers un particulier, alors que les parties civiles auraient dû être regardées comme un « corps constitué » agissant au nom de l’ordre national des chirurgiens-dentistes, au sens de l’article 31 de cette même loi. En conséquence, les griefs de l’auteur sont exclusivement relatifs à la qualification juridique des faits de l’espèce en droit interne.

4.5En second lieu, l’État partie rappelle qu’au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes puisqu’il n’a pas invoqué devant la Cour de cassation son droit à un procès équitable et qu’en conséquence, le Comité doit déclarer irrecevable le grief tiré de la violation de l’article 14 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 16 novembre 2018, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il estime que le fait que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas répondu à ses griefs ne fait pas obstacle à l’examen de sa communication. Il fait valoir que dans sa nouvelle approche de la question, le Comité a établi que la motivation succincte de la Cour sur une communication individuelle n’impliquait pas que la question avait déjà été examinée, et qu’un rejet pour cause de procédure ne pouvait pas être considéré comme un examen au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. L’auteur rappelle que la lettre de la Cour européenne des droits de l’homme datée du 15 décembre 2016 ne donnait aucune explication de la décision. Il rejette l’argument développé par l’État partie selon lequel, au vu des motifs d’irrecevabilité établis par les articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, le juge aurait nécessairement rejeté la requête au motif qu’elle était manifestement mal fondée ou abusive. L’auteur a conclu qu’il était impossible de savoir pourquoi le juge avait rejeté la requête.

5.2L’auteur soutient que le moyen d’irrecevabilité présenté par l’État partie, lié à l’article 14 du Pacte, est inopérant. Il affirme que l’État partie n’a pas tenu compte du caractère arbitraire de l’interprétation des faits donnée par la cour d’appel de Paris, en violation de l’article 14 du Pacte. L’auteur estime qu’il n’aurait pas dû être condamné pour diffamation, puisque les faits dénoncés avec ses mots et non ceux de la cour d’appel de Paris étaient exacts et définitivement reconnus. L’auteur estime que l’appréciation des faits par la cour d’appel ayant amené à sa condamnation était arbitraire.

5.3L’auteur fait valoir que la contestation de la recevabilité de la communication liée au moyen tiré des articles 31 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 doit être rejetée. Il réfute l’argument de l’État partie faisant croire que la cour d’appel de Paris n’a fait qu’une simple interprétation de la loi en ne choisissant pas de faire une application de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881. L’auteur estime qu’en constatant que l’ordre national des chirurgiens‑dentistes et ses membres ne pouvaient être investis d’une mission d’intérêt général, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a commis un acte arbitraire en confirmant une condamnation arbitraire rendue par la cour d’appel de Paris contre lui. Il estime que si la cour d’appel s’était prévalue de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881, plutôt que de l’article 32 de ladite loi, elle aurait dû constater l’erreur dans les quatre assignations et le relaxer pour faute de procédure.

5.4L’auteur estime finalement que toutes les exceptions d’irrecevabilité présentées par l’État partie ne peuvent qu’être rejetées vu que ses griefs tirés du non-respect des articles 14, 19 et 22 du Pacte sont bien étayés et fondés.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

6.1Le 24 janvier 2019, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication.

6.2En ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article 14 du Pacte, l’État partie réitère qu’il n’appartient pas au Comité d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf dans le cas où la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont constitué un déni de justice, et que le Pacte garantissait l’équité des procédures mais ne pouvait être interprété comme garantissant l’absence d’erreur de la part des juridictions compétentes.

6.3En ce qui concerne la qualification pénale adoptée, l’État partie réfute le grief fondé sur le caractère arbitraire de la solution retenue par les juridictions nationales. Il souligne que celle-ci découle de l’application d’une règle existante et qu’elle a été solidement motivée par les juridictions nationales. L’État partie fait valoir que le choix de considérer les membres du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes comme de simples « particuliers » et non comme des « citoyens chargés d’une mission de service public » au sens de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 n’est que l’application de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, et était de ce fait parfaitement prévisible pour l’auteur. L’État partie rappelle que la Cour de cassation considère que ne relèvent pas de la catégorie des « citoyens chargés d’un service public » au sens de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 les agents qui ne sont pas investis de l’autorité publique, c’est-à-dire qui n’exercent pas des prérogatives de puissance publique, quand bien même « un intérêt public » s’attacherait à leurs services. Il fait valoir que l’auteur ne saurait prétendre qu’en refusant d’appliquer l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 au litige, la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation auraient « confondu syndicat et ordre professionnel » et « dénié que l’ordre national des chirurgiens-dentistes soit investi d’une mission de service public », rendant ainsi une décision arbitraire, dès lors que cette mission de service public, à la supposer établie, ne suffisait pas à faire de ses membres des « citoyens chargés d’un service public » au sens de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881. L’État partie estime que c’était conformément à la loi et à la jurisprudence que les parties civiles avaient fait citer l’auteur sur le fondement de la diffamation envers un particulier, et qu’on peut relever au demeurant qu’une telle incrimination est moins sévère que celle qui repose sur l’article 31 de la même loi. C’est en application de cette même jurisprudence que les juridictions nationales ont rejeté l’argumentation de l’auteur.

6.4En ce qui concerne le déni de justice allégué, l’État partie fait remarquer que l’auteur semble déduire la notion de déni de justice de la prétendue erreur de droit commise par les juridictions nationales. L’État partie soutient que le fait de trancher un litige dans un sens défavorable à l’auteur, ou même de commettre une prétendue erreur de droit, ne constitue pas un déni de justice au sens de l’article L141-3 du Code de l’organisation judiciaire, qui stipule qu’« [i]l y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d’être jugées». La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est développée sur la question du « déni de justice flagrant », renvoie à un procès manifestement contraire aux principes de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un procès équitable. L’État partie rappelle que l’auteur a été assisté d’un avocat à tous les stades de la procédure, qu’il a pu présenter ses observations sur les faits qui lui étaient reprochés et que les juges ont précisément répondu aux arguments et aux moyens soulevés par l’auteur.

6.5L’État partie rejette l’allégation de l’auteur selon laquelle le conseil des parties civiles était le même que celui de l’ordre national des chirurgiens-dentistes, et concernant la nécessité pour lui de produire quatre mémoires en défense distincts. Il souligne que ces circonstances ne sont pas de nature à violer son droit à un procès équitable, les parties restant libres de saisir seules ou collectivement le tribunal correctionnel et de se faire assister par le conseil de leur choix. L’État partie note que rien dans le dossier ne permet d’établir que les juridictions nationales auraient manqué d’indépendance ou d’impartialité dans le traitement de la procédure.

6.6En ce qui concerne la prétendue erreur dans l’appréciation des faits, l’État partie souligne que l’auteur se contente de remettre en cause l’appréciation des juridictions nationales sans démontrer en quoi les décisions rendues dans la procédure le concernant seraient « manifestement entachées d’erreur », c’est-à-dire que non seulement les juridictions nationales auraient commis une erreur dans l’appréciation des éléments de fait, mais cette erreur serait par ailleurs parfaitement évidente. L’État partie soutient que la cour d’appel de Paris n’a ni déformé les propos de l’auteur, ni ajouté des éléments qui y étaient étrangers, mais qu’elle s’est appuyée sur les « éléments extrinsèques » permettant de donner au texte incriminé son véritable sens. Il ajoute que des passages dans la communication de l’auteur tels « des voyages de simple villégiature » ou « un voyage d’agrément en “conférence” » font déduire que, selon l’auteur, la conférence de La Baule n’était que le maquillage d’un voyage d’agrément, confortant ainsi l’analyse de la cour d’appel de Paris.

6.7L’État partie soutient que les juridictions nationales n’ont pas non plus commis d’erreur manifeste quand elles ont jugé diffamatoires les propos de l’auteur sur l’utilisation des cotisations ordinales, en ce que ces derniers imputaient aux membres du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes l’infraction d’abus de confiance. L’État partie estime que, comme l’a relevé la cour d’appel de Paris, l’auteur a reproché aux membres du Conseil d’avoir organiséun détournement de fonds issus des cotisations ordinales à des fins contraires à leur destination et d’en avoir bénéficié, ce qui caractérise l’infraction pénale d’abus de confiance. L’État partie ajoute que l’auteur a d’autant moins de légitimité à affirmer que la cour d’appel de Paris a rajouté à ses propos qu’il a lui-même déposé, le 26 février 2008, une plainte pour abus de confiance en raison de l’utilisation suspecte des cotisations ordinales pour le financement de la conférence de La Baule en octobre 2005.

6.8L’État partie souligne que la preuve de la dérive institutionnelle de l’ordre national des chirurgiens-dentistes n’a été invoquée ni devant la cour d’appel de Paris, ni devant la Cour de cassation. L’auteur ne saurait donc reprocher aux juridictions internes de n’avoir pas répondu à un moyen non soulevé. En conséquence, l’État partie estime que les décisions des juridictions nationales n’étaient ni « de toute évidence arbitraires », ni manifestement entachées d’erreur, et ne représentaient pas un déni de justice, de sorte que l’allégation de l’auteur selon laquelle ces décisions auraient violé l’article 14 du Pacte est mal fondée.

6.9En ce qui concerne les griefs fondés sur la violation des articles 19 et 22 du Pacte, l’État partie souligne qu’il est inhabituel d’invoquer la violation de l’article 19 du Pacte conjointement avec la violation de l’article 22, ces deux articles étant autonomes et indépendants et n’ayant pas vocation à être invoqués conjointement au sein d’un même grief.

6.10L’État partie estime qu’en l’espèce, l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression et le droit à la liberté syndicale de l’auteur était prévue par une loi claire, accessible et dont la jurisprudence était prévisible pour ce dernier. L’État partie soutient que la condamnation civile de l’auteur pour diffamation poursuivait un objectif légitime − en l’espèce, le « respect des droits ou de la réputation d’autrui » − et que les textes de l’auteur portaient atteinte à l’honneur et à la réputation des parties civiles, qu’il accusait, d’une part, d’avoir organisé et financé avec les cotisations ordinales un week-end à La Baule sous couvert d’y organiser une conférence − faits caractérisant l’infraction d’abus de confiance − et d’autre part, d’avoir utilisé les procédures disciplinaires dans le seul but de faire taire leurs opposants. L’État partie fait valoir que l’auteur n’a apporté aucune preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle le motif de l’ingérence dans son droit à la liberté d’expression était de le censurer. L’État partie affirme que l’ingérence était proportionnée et que la condamnation civile de l’auteur était nécessaire dans une société démocratique. Il ajoute que l’auteur n’a pas été condamné par les juridictions nationales en raison des critiques générales formulées envers l’ordre national des chirurgiens-dentistes dans le cadre de son office de dirigeant syndical, mais pour avoir imputé à quatre membres de l’ordre des comportements très précis portant atteinte à leur honneur et à leur réputation. L’État partie soutient en outre que les juridictions nationales ont parfaitement pris en compte le contexte des propos tenus dans leur mise en balance des intérêts entre le droit à la liberté d’expression dans le cadre syndical et le droit des parties civiles au respect de leur honneur et de leur considération.

6.11L’État partie fait valoir que les juridictions nationales ont été amenées à rechercher l’existence d’une base factuelle aux propos tenus dans le cadre de leur analyse de la bonne foi de l’auteur. Il relève que les critiques formulées dans le rapport de février 2017 de la Cour des comptes ne portent pas sur les imputations précises pour lesquelles l’auteur a fait l’objet d’une condamnation civile, et n’évoquent en rien une quelconque utilisation abusive des juridictions ordinales par les membres du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes dans le but de nuire à leurs opposants. L’État partie estime que l’ingérence dans la liberté d’expression syndicale de l’auteur était proportionnée au but poursuivi eu égard à la nature civile de la condamnation. Il rappelle que l’auteur n’a pas été condamné pénalement pour les propos diffamatoires, puisqu’il a été relaxé par le tribunal correctionnel. Les propos litigieux ont seulement été qualifiés de faute, au sens civil du terme, par la cour d’appel de Paris, et, en conséquence, ont entraîné une condamnation de l’auteur à indemniser les parties civiles du préjudice subi.

6.12L’État partie soutient, en conséquence, qu’il résulte de ce qui précède qu’un juste équilibre a été pris en compte, dans les circonstances de l’espèce, entre la nécessité de protéger le droit de l’auteur à la liberté d’expression et celle de protéger les droits et la réputation des plaignants. Partant, il estime qu’aucune violation de l’article 19 du Pacte, lu à la lumière de l’article 22, ne saurait être constatée.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans ses commentaires du 7mai 2019, l’auteur dément avoir appelé les praticiens à ne pas payer leurs cotisations, mais affirme leur avoir demandé de ne pas payer indûment une deuxième cotisation. Il estime avoir été radié de l’ordre national des chirurgiens-dentistes pour avoir dénoncé les turpitudes des membres de l’ordre, et non pour une erreur ou une faute médicale. L’auteur rappelle que l’Inspection générale des affaires sociales avait déjà, en 2007, dénoncé le montant des indemnités que se versaient les membres de l’ordre des médecins. Il soutient que, malgré cette dénonciation, l’ordre national des chirurgiens‑dentistes a suivi la même pratique que l’ordre des médecins.

7.2L’auteur affirme qu’en l’espèce, les faits qu’il dénonce contre les membres de l’ordre national des chirurgiens-dentistes sont particulièrement graves. Ces faits ont été révélés par l’Inspection générale des affaires sociales et démontrés par la Cour des comptes, dans son rapport de février 2017. Il soutient également que la Cour de cassation a reconnu que les faits qu’il avait dénoncés avaient bien une base factuelle mais qu’ils n’étaient pas reconnus. Il estime que la qualification de « base factuelle suffisante » évoquée par l’État partie est trop imprécise. L’auteur estime que la construction jurisprudentielle impliquant qu’une condamnation pouvait être prononcée si les propos étaient « dépourvus de base factuelle suffisante et constituaient une attaque personnelle excédant les limites de la liberté d’expression » est trop imprécise et trop imprévisible.

7.3L’auteur réitère que l’État partie a violé l’article14 du Pacte vu que, d’une part, en dépit de l’absence de condamnation pénale, il a été condamné à indemniser les parties civiles, sans prise en compte de sa relaxe et, d’autre part, les juridictions internes lui ont interdit de profiter de la deuxième faute de procédure des parties civiles,dont l’assignation aurait dû se faire au sens de l’article31 de la loi du 29juillet 1881.

7.4L’auteur affirme que les quatre parties civiles l’ont cité à comparaître dans le cadre de leur mandat public et de leurs prérogatives de puissance publique. Il estime que lorsque le Président du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes et trois de ses membres utilisent les ressources financières du Conseil pour se défendre contre des reproches relatifs à l’exercice de leurs fonctions, ils agissent bien dans le cadre de leur mandat électif au sein de cet organe.

7.5L’auteur souligne que la Cour des comptes a bien confirmé que l’ordre national des chirurgiens-dentistes avait une mission de service public et des prérogatives de puissance publique. Il rappelle à l’appui de son raisonnement le titre du rapport de la Cour des comptes daté de février 2017 : «L’Ordre national des chirurgiens-dentistes: retrouver le sens de ses missions de service public». L’auteur rappelle également que les décisions de l’ordre peuvent faire l’objet de contestations devant le Conseil d’État, qui est le juge du contrôle des actes de la puissance publique.

7.6L’auteur insiste sur le fait que les mots « abus de confiance » utilisés par la Cour d’appel de Paris, suivie par la Cour de cassation, pour qualifier la description des faits n’existent pas dans le texte incriminé. Il souligne que sa condamnation par un juge pénal à des réparations civiles, sans tenir compte de sa relaxe, dans la même procédure, sur les mêmes faits, sur la même prévention et le même texte pénal, est arbitraire et représente un déni de justice, puisque sa relaxe ne trouve pas application.

7.7L’auteur réitère que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles19 et 22 du Pacte vu qu’il a été poursuivi et puni pour un délit d’opinion, alors qu’il exerçait sa liberté syndicale. Il estime que sa condamnation n’est qu’une conséquence de son combat syndical et constitueune atteinte à sa liberté d’expression, en sa qualité de représentant syndical. L’auteur affirme en outre que les reproches à son égard s’appuient sur l’interprétation de sa lettre ouverte par les juridictions pénales,qui ont dû substituer des expressionstelles que « conférence » pour décrire le séjour à La Baule au profit de « séjour de villégiature », alors que le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juin 2013 puis le rapport de la Cour des comptes de février 2017 confirment la véracité des faits dénoncés. Il réitère que la justice ordinale est arbitraire, vu qu’il a été radié à vie de la profession de chirurgien-dentiste, dans le monde entier, pour cause d’un délit d’opinion.

7.8L’auteur estime, contrairement aux affirmations de l’État partie selon lesquellessa condamnation est proportionnée vu qu’il ne s’agit que d’une condamnation civile, le montant de ladite condamnation devant la cour d’appel de Parisétant de 26000euros en plus des frais et dépens de la procédure, que cette sanction est particulièrement grave pour un prévenu relaxé.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note des griefs de l’auteur, qui affirme que l’État partie viole les droits qu’il tient des articles 14 (par. 1), 19 et 22 du Pacte.

8.4Le Comité observe que l’auteur a présenté une requête portant sur les mêmes faits devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il a été informé par lettre du 15 décembre 2016 de ce qu’un juge unique avait décidé de déclarer « la requête irrecevable au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies ». Le Comité rappelle qu’en ratifiant le Protocole facultatif, la France a émis une réserve excluant la compétence du Comité pour connaître de questions qui étaient en cours d’examen ou avaient été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.5En référence à sa jurisprudence relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, le Comité rappelle que lorsque la Cour européenne des droits de l’homme déclare une requête irrecevable, non seulement pour vice de forme, mais aussi pour des motifs reposant, dans une certaine mesure, sur un examen au fond, il est considéré que la question a déjà été examinée au sens des réserves à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Il revient en conséquence au Comité de déterminer si, en l’espèce, la Cour est allée au-delà d’un simple examen des critères de recevabilité purement formels.

8.6Le Comité relève le caractère succinct du raisonnement exposé dans la lettre de la Cour européenne des droits de l’homme adressée à l’auteur, ladite lettre n’exposant aucune argumentation ou clarification quant au fondement de la décision d’irrecevabilité sur le fond. À la lumière de ces circonstances particulières, le Comité estime qu’il ne lui est pas possible de déterminer avec certitude que l’affaire présentée par l’auteur a déjà fait l’objet d’un examen même limité du fond au sens de la réserve formulée par l’État partie. Pour ces motifs, le Comité estime que la réserve formulée par l’État partie relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne constitue pas, en elle-même, un obstacle à l’examen au fond par le Comité.

8.7Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité au titre de l’article 14 du Pacte, arguant que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Le Comité note à cet effet l’argument de l’État partie selon lequel le grief fondé sur cet article n’a pas été invoqué devant la Cour de cassation. Le Comité note également l’argument de l’auteur qui soutient que sa communication est recevable eu égard à l’article 14 du Pacte, vu que l’interprétation des faits donnée par la cour d’appel de Paris est arbitraire. Le Comité observe néanmoins que l’auteur n’a pas fourni la preuve que ses griefs avaient bel et bien été soumis au titre de l’article 14 du Pacte et avaient fait l’objet de considération de la part des juridictions nationales. Le Comité réitère la règle selon laquelle, pour qu’une communication soit jugée recevable, il faut que tous les moyens de recours internes aient été épuisés.

8.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les griefs formulés par l’auteur en ce qui a trait à l’article 14 du Pacte sont irrecevables pour non-épuisement des voies de recours. Le Comité considère néanmoins que les griefs formulés par l’auteur au regard des articles 19 et 22 du Pacte sont suffisamment fondés, déclare que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que le fait que la cour d’appel de Paris l’a condamné à des réparations civiles en faveur des plaignants en dépit de sa relaxe constitue une violation de son droit à la liberté d’expression garantie par les articles 19 et 22 du Pacte. Il note également le grief de l’auteur selon lequel les faits qu’il a dénoncés dans son article ont été ultérieurement confirmés par la Cour des comptes dans son rapport du 23 février 2017. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression et le droit à la liberté syndicale de l’auteur était prévue par une loi claire, accessible et dont la jurisprudence était prévisible pour l’auteur, sa condamnation s’avérant donc légale, prévisible et proportionnée et poursuivant un but légitime, en l’espèce le respect des droits ou de la réputation d’autrui. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie qui soutient que les textes incriminés portaient atteinte à l’honneur et à la réputation des parties civiles, que l’auteur a accusées d’avoir organisé et financé avec les cotisations ordinales un week-end à La Baule en octobre 2005 − faits constitutifs d’abus de confiance − et d’avoir détourné les procédures disciplinaires dans le but de sévir contre leurs opposants.

9.3Le Comité observe néanmoins que, si l’auteur a contesté avoir accusé les plaignants d’abus de confiance, il a tout de même porté plainte contre eux sur ce chef devant le tribunal correctionnel de Paris. Le Comité relève que l’État partie rétorque que l’auteur n’a pas fait la preuve des accusations émises contre les plaignants en se référant à des imputations précises, et que la publication du rapport de la Cour des comptes en février 2017 ne saurait absoudre l’auteur de son obligation de respecter la réputation d’autrui. En effet, les critiques formulées dans le rapport de la Cour des comptes ne porteraient pas sur les imputations précises pour lesquelles l’auteur a fait l’objet d’une condamnation civile, et n’évoqueraient en rien une quelconque utilisation abusive des juridictions ordinales par les membres du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes dans le but de nuire à leurs opposants.

9.4Le Comité note le grief de l’auteur selon lequel sa condamnation n’est qu’une conséquence de son combat syndical et constitue une atteinte à sa liberté d’expression, et qu’en définitive, il a été puni pour un délit d’opinion. Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas été condamné au pénal, mais uniquement au civil par la cour d’appel de Paris pour des propos litigieux qualifiés de faute qui ont causé préjudice aux plaignants. Le Comité note que l’auteur considère que sa condamnation par la cour d’appel de Paris à 26 000 euros, en plus des frais et dépens de la procédure n’est ni nécessaire, ni proportionnelle. Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel l’ingérence dans la liberté syndicale de l’auteur était proportionnée au but poursuivi en raison de la nature civile de la condamnation pour avoir imputé à quatre membres de l’ordre national des chirurgiens-dentistes des comportements portant atteinte à leur honneur et à leur réputation. L’État partie soutient en outre que les juridictions nationales avaient pris en compte le contexte des propos tenus dans leur mise en balance des intérêts entre le droit à la liberté d’expression dans le cadre syndical et le droit des parties civiles au respect de leur honneur et de leur considération, et atteint un juste équilibre dans cette évaluation.

9.5Le Comité doit donc déterminer si la restriction à la liberté d’expression de l’auteur est autorisée par l’article19 du Pacte. À cet égard, il rappelle que des restrictions au droit sont permises dans deux domaines limitatifs seulement, qui peuvent avoir trait soit au respect des droits ou de la réputation d’autrui, soit à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toutefois, les restrictions qu’un État partie impose à l’exercice de la liberté d’expression ne peuvent pas compromettre le droit lui‑même. En l’espèce, le Comité relève que l’auteur n’a pas démontré en quoi la condamnation civile prononcée contre lui ne visait pas la protection des droits et la réputation des plaignants, comme le souligne l’État partie dans ses observations.

9.6Au titre de l’article 22 du Pacte, le Comité souligne que l’auteur n’a pas démontré en quoi l’État partie avait enfreint son obligation de garantir le droit de l’auteur de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts. Le Comité observe également que les restrictions alléguées par l’auteur ne touchent pas la liberté d’association proprement dite, mais la liberté d’expression, eu égard à l’article 19 du Pacte.

9.7Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel, en vue de parvenir à sa condamnation, les juridictions de l’État partie ont interprété ses propos pour l’incriminer. Il prend note également de l’argument de l’État partie, qui affirme que les accusations de l’auteur renvoient au délit d’abus de confiance qui a d’ailleurs fait l’objet d’une plainte précise de l’auteur contre les plaignants.

9.8Le Comité fait remarquer que les décisions judiciaires soumises à son appréciation ne lui permettent pas de conclure qu’elles ont été adoptées à l’encontre de l’auteur en raison de son appartenance au syndicat Dentistes solidaires et indépendants. Il fait remarquer également que l’auteur n’a pas pu établir que les restrictions prétendument imposées par l’État partie entravaient sa liberté d’expression syndicale et allaient à l’encontre des articles 19 et 22 du Pacte.

9.9Au vu de ce qui précède, le Comité estime quel’auteur n’a pas démontré en quoi sa condamnation à indemniser les plaignants au civil constituait une violation des articles 19 et 22 du Pacte. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des droits que l’auteur tient des articles 19 et 22 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation par l’État partie des droits que l’auteur tient des articles 19 et 22 du Pacte.