Nations Unies

CCPR/C/103/D/1316/2004

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 décembre 2011

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 1316/2004

Constatations adoptées par le Comité à sa 103e session,17 octobre-4 novembre 2011

Présentée par:

Mecheslav Gryb (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

9 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 30 septembre 2004 (non publiée sous forme de document); communication no 1316/2004 − décision de recevabilité adoptée le 30 mars 2009

Date de l ’ adoption des constatations:

26 octobre 2011

Objet:

Refus d’un ministre de délivrer une licence d’avocat

Question de procédure:

Fondement des griefs

Questions de fond:

Procès inéquitable; discrimination et persécution fondées sur des motifs politiques

Articles du Pacte:

2, 14, 19, 21 et 26

Article du Protocole facultatif:

2

Le 26 octobre 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1316/2004.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (103e session)

concernant la

Communication no 1316/2004 *

Présentée par:

Mecheslav Gryb (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

9 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité:

30 mars 2009

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1316/2004 présentée au nom de M. Mecheslav Gryb en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Mecheslav Gryb, de nationalité bélarussienne, né en 1938, qui affirme être victime d’une violation par le Bélarus des droits consacrés aux articles 2, 14 et 26 du Pacte. Bien que l’auteur ne l’invoque pas dans sa communication initiale, il soulève dans une note ultérieure des questions qui semblent relever de l’article 21. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un homme politique, ancien Président du Soviet suprême du Bélarus (1994-1996). Il est membre du barreau de Minsk depuis 1997. Sa licence d’avocat a été annulée en application du décret présidentiel no12 du 3 mai 1997 relatif à certaines mesures visant à améliorer les modalités d’exercice des professions judiciaires et notariales au Bélarus. On lui a proposé de repasser l’examen du barreau devant la Commission de qualification des avocats (la Commission) créée par le Ministère de la justice. C’est ce qu’il a fait, avec succès, le 1er juillet 1997.

2.2D’après l’auteur, l’examen était entaché de partialité du fait du parti pris qu’auraient manifesté des membres de la Commission, y compris le Président. L’auteur est convaincu que c’est parce qu’il était un dirigeant de l’opposition qui critiquait ouvertement le régime en place. Pour la même raison, le Ministre de la justice (le Ministre) aurait refusé de lui délivrer sa licence d’avocat après l’examen. Comme l’auteur l’a appris ultérieurement, le 7 juillet 1997, le Ministre, sans l’informer, avait donné l’ordre de reporter la délivrance de sa licence. Cette décision était fondée sur la découverte du fait qu’en mars 1997, l’auteur s’était vu infliger une amende par un tribunal à cause de sa participation, le 15 mars 1997, à une manifestation non autorisée organisée pour célébrer le troisième anniversaire de l’adoption de la Constitution du Bélarus de 1994.

2.3Le 30 juillet 1997, le Ministre a refusé de délivrer à l’auteur une licence d’avocat à titre permanent, au prétexte qu’il avait enfreint la législation alors en vigueur ainsi que les règles déontologiques de la profession. Ce refus était prétendument fondé sur le Règlement de la Commission de qualification (le Règlement).

2.4Sur ce point, l’auteur affirme que, lorsqu’il a repassé l’examen, le Ministre de la justice n’était pas habilité à reporter ou refuser la délivrance d’une licence à ceux qui avaient réussi l’examen de qualification. Le Règlement avait été adopté par le Ministre de la justice le 4 juin 1997. Le 29 juillet 1997, le même Ministre l’a modifié, obtenant notamment le droit de refuser la délivrance d’une licence; le Ministre a usé rétroactivement de ses nouvelles prérogatives dans le cas de l’auteur. En conséquence, d’après l’auteur, le refus du Ministre était illégal et l’application rétroactive de la version révisée du Règlement à son cas a nui à sa situation.

2.5L’auteur affirme que le refus du Ministre est également contraire à l’article 10 de la loi sur les avocats (1993). Cette disposition dresse une liste sans équivoque de toutes les situations dans lesquelles une licence ne peut pas être délivrée. D’après l’auteur, la commission d’une infraction administrative n’aurait pas dû conduire au refus de lui délivrer une licence d’avocat. Il affirme en outre qu’en mars 1997, il bénéficiait encore de l’immunité parlementaire. Un membre du Parlement ne peut être poursuivi qu’avec le consentement exprès du Parlement. Cependant, dans son cas, le Procureur général aurait abusé de son pouvoir et, le 17 mars 1997, aurait donné des instructions écrites pour que la responsabilité administrative de l’auteur soit engagée, sans consulter le Parlement. L’auteur affirme qu’il s’est plaint en justice à ce sujet mais que sa plainte a été rejetée (il n’est pas fourni de dates exactes).

2.6L’auteur a contesté le refus que le Ministre lui avait opposé le 30 juillet 1997 auprès du tribunal du district de Moscou à Minsk mais sa plainte a été rejetée le 18 août 1997. Il a fait appel auprès du tribunal de la ville de Minsk, du Président du tribunal de la ville de Minsk et de la Cour suprême. Ses appels ont été rejetés, respectivement, le 5 septembre 1997, le 24 décembre 1997 et le 18 mars 1998.

2.7D’après l’auteur, la modification du Règlement du 29 juillet 1997 était illégale et visait à permettre de sanctionner les avocats qui s’opposaient au régime en place. L’issue de la procédure judiciaire engagée contre lui aurait également confirmé ses soupçons, à savoir que l’affaire avait déjà été décidée à l’avance. Il ajoute que les juges ne sont pas indépendants au Bélarus.

2.8Le 17 août 2004, l’auteur réaffirme que la décision du Ministre était prise à l’avance et qu’elle atteste de la discrimination dont il a été victime en tant qu’homme politique, à cause de ses opinions et de son attachement aux valeurs démocratiques. En 1996, en tant qu’ancien Président du Conseil suprême du Bélarus, on lui a accordé une pension à vie d’un montant équivalent à 75 % du salaire du Président actuel du Conseil suprême. Or, cette pension n’a jamais été actualisée et son montant en 2004 équivalait à 3 600 roubles du Bélarus (1,5 dollar des États-Unis) par mois. D’autres anciens présidents du Conseil suprême, également opposants au régime en place, ont été mis dans la même situation que l’auteur. Dans le même temps, le Président bélarussien, par voie de décret, a accordé des pensions à plusieurs anciens présidents du Conseil suprême et autres hauts fonctionnaires de la République socialiste soviétique de Biélorussie, ou de la République du Bélarus, qui appuyaient sa politique. Le montant de ces pensions est équivalent à 75 % du salaire actuel du Premier Ministre du Bélarus.

2.9L’auteur affirme, sans donner de détails, que depuis 1998 sa femme et lui sont exclus de manière illégale d’un régime spécial de soins médicaux et que la plainte qu’il a déposée à ce sujet auprès du Cabinet du Président est restée sans réponse.

2.10De plus, l’auteur est dans l’impossibilité d’exercer son métier d’avocat. En 1998, il a commencé à donner des cours dans un institut de droit privé. Quand les autorités l’ont appris, le recteur de l’institut a reçu l’ordre de le licencier immédiatement.

2.11L’auteur soutient qu’il lui est impossible d’obtenir une nouvelle licence d’avocat vu que la Commission de qualification est composée de représentants de l’administration présidentielle, de fonctionnaires du Ministère de la justice et d’avocats et qu’elle est présidée par le Vice-Ministre de la justice. Ainsi, sa situation ne s’est pas améliorée depuis 1997.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le droit à un procès équitable protégé par l’article 14 du Pacte a été violé car sa cause a été entendue par un tribunal qui n’était ni compétent, ni indépendant, ni impartial, en particulier parce que les juges au Bélarus dépendent du Ministère de la justice et que le défendeur dans cette affaire était précisément le Ministre de la justice.

3.2L’auteur dénonce une violation des droits qu’il tient des articles 2 et 26 du Pacte, en ce qu’il n’a pas bénéficié d’une égale protection de la loi et qu’il a été persécuté à cause de ses opinions politiques. C’est pour cette raison que sa licence d’avocat ne lui a pas été délivrée, en application d’une décision illégale du Ministre de la justice. L’auteur se plaint également de ne pas pouvoir trouver du travail; il n’a jamais perçu sa pension spéciale d’ancien Président du Soviet suprême et a perdu ses droits à un régime spécial de soins médicaux.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 17 décembre 2004, l’État partie a expliqué qu’en vertu de l’article 11 de la loi sur les avocats, la Commission de qualification était habilitée à déterminer si une personne donnée pouvait exercer en tant qu’avocat. Le 29 février 1996, la Commission a fait passer un examen à l’auteur, qui était alors membre du Parlement. Sur la base de la décision rendue par la Commission, le Ministère de la justice a délivré à l’auteur, le 27 mai 1996, une licence portant le numéro 1238.

4.2D’après l’État partie, il est apparu par la suite qu’au moment où il avait passé l’examen, l’auteur avait le statut de fonctionnaire (employé de l’État). Conformément à la (nouvelle) loi alors en vigueur, sa licence d’avocat lui a été retirée. Il en est allé de même pour toutes les personnes qui avaient le statut de fonctionnaire lorsqu’elles avaient passé l’examen pour obtenir une licence d’avocat. Cependant, puisque l’auteur n’était plus fonctionnaire, on lui a proposé de repasser l’examen. C’est ce qu’il a fait, le 1er juillet 1997, à la suite de quoi la Commission a conclu qu’on pouvait lui délivrer une licence d’avocat. La Commission n’a indiqué, aux fins de l’article 10 de la loi sur les avocats, aucun motif de refuser à l’auteur le droit d’exercer le métier d’avocat.

4.3L’État partie fait observer qu’en vertu de l’article 32 du Règlement de la Commission de qualification (no1902/12 du 4 juin 1997), le Ministre de la justice est habilité à reporter la délivrance d’une licence d’avocat ou à annuler une telle licence lorsqu’il est établi que la décision de la Commission n’est pas appropriée, qu’elle va à l’encontre de la législation en vigueur ou des normes déontologiques de la profession d’avocat ou en présence de toute autre information attestant que l’intéressé n’est pas en mesure d’exercer la profession en question.

4.4Par l’ordonnance no75 du 7 juillet 1997, le Ministre de la justice a reporté la délivrance de la licence d’avocat de l’auteur et par l’ordonnance no91 du 30 juillet 1997, il a refusé la délivrance de la licence. La première ordonnance répondait à la nécessité de vérifier les circonstances de la commission d’une infraction administrative par l’auteur. Le refus de délivrer la licence était fondé sur le fait que l’auteur avait bien enfreint la législation en vigueur et les normes déontologiques de la profession d’avocat, car il avait commis une infraction administrative en participant à une manifestation non autorisée le 15 mars 1997, infraction pour laquelle le tribunal du district de Partizan à Minsk lui avait infligé une amende le 20 mars 1997.

4.5L’État partie explique que l’infraction administrative commise par l’auteur constituait une faute incompatible avec la fonction d’avocat et contraire aux prescriptions de la deuxième partie de l’article 18 de la loi sur les avocats ainsi qu’aux règles déontologiques de la profession d’avocat selon lesquelles les avocats sont tenus d’agir dans le respect de la loi et d’observer constamment les plus hautes normes de la profession.

4.6Étant donné que cet élément n’avait pas été pris en considération par la Commission de qualification lorsqu’elle s’était prononcée sur le cas de l’auteur, le Ministre de la justice était habilité à reporter ou à refuser la délivrance de la licence d’avocat à l’auteur. L’affirmation de l’auteur, qui prétend que le Ministère de la justice n’aurait pas dû tenir compte de l’amende qu’il avait reçue, va à l’encontre de la loi en vigueur.

4.7D’après l’État partie, l’affirmation de l’auteur, qui soutient que le Ministre de la justice n’a pas le droit de modifier le Règlement de la Commission et d’établir les modalités de report ou de refus de délivrance d’une licence, est dénuée de tout fondement. Le Ministre y est habilité par la loi, en particulier par le décret no12 du 3 mai 1997 relatif à certaines mesures visant à améliorer les modalités d’exercice des professions judiciaires et notariales.

4.8L’État partie fait observer que l’auteur a demandé aux tribunaux de déclarer illégales les ordonnances du Ministre et de contraindre le Ministère de la justice à lui délivrer une licence d’avocat. Le 18 août 1997, le tribunal du district de Moscou à Minsk a rejeté sa demande. Cette décision a été confirmée en appel, le 25 septembre 1997, par le tribunal de la ville de Minsk. L’État partie affirme que ces décisions de justice sont légales et pleinement fondées. Les tribunaux ont constaté que le tribunal du district de Partizan à Minsk avait infligé une amende à l’auteur en mars 1997. Ils en ont conclu, à juste titre, que les ordonnances que le Ministre avait prises dans l’exercice de sa compétence étaient légales, étant donné que l’auteur avait enfreint la loi en vigueur.

4.9L’État partie ajoute que la Cour suprême a également examiné les griefs de l’auteur dans le cadre d’un réexamen en supervision et qu’elle a vérifié la légalité et les motifs des décisions rendues par les juridictions inférieures. La Cour suprême n’a trouvé aucune raison de contester ces décisions.

4.10L’État partie fait observer qu’à l’heure actuelle, l’auteur pourrait demander au Ministère de la justice l’autorisation de passer un nouvel examen devant la Commission de qualification des avocats.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 21 janvier 2005, l’auteur a affirmé que pour l’essentiel, les informations communiquées par l’État partie ne correspondaient pas à la réalité. Sa première licence d’avocat lui avait été délivrée en 1996. À ce moment‑là, il était membre du Conseil suprême du Bélarus, était docteur en droit et «avocat honoraire de la République du Bélarus». En novembre 1996, le Conseil suprême avait été dissous et l’auteur n’était plus membre du Parlement.

5.2En janvier 1997, l’auteur a commencé à exercer en tant qu’avocat au barreau de la ville de Minsk. Le 3 mai 1997, le Président bélarussien a promulgué le décret interdisant aux fonctionnaires d’obtenir une licence d’avocat et toutes les licences d’avocat qui avaient été délivrées à des fonctionnaires ont été annulées. Les personnes qui n’avaient plus le statut de fonctionnaire au moment où le décret avait été adopté pouvaient repasser l’examen de qualification. D’après l’auteur, le décret avait donc un effet rétroactif et portait atteinte aux droits de ceux qui avaient obtenu leur licence d’avocat avant son adoption. Il était également contraire à l’article 104 de la Constitution, conformément auquel les lois ne peuvent pas avoir d’effet rétroactif, à l’exception des situations dans lesquelles leur application ne limite pas ni n’annule la responsabilité des citoyens.

5.3L’auteur réaffirme que le Ministre de la justice n’avait pas le droit de refuser une licence à ceux qui avaient réussi l’examen de qualification des avocats. Le Ministre n’aurait obtenu ce droit que le 29 juillet 1997, après la modification du Règlement de la Commission de qualification. D’après l’auteur, cela est contraire à la Constitution du Bélarus ainsi qu’à l’article 67 de la loi sur les textes normatifs, qui dispose que les textes juridiques ne peuvent avoir d’effet rétroactif. L’auteur réaffirme que le refus de lui délivrer une licence d’avocat constitue un acte prémédité de persécution ouverte à son égard fondée sur ses activités d’opposant au régime.

5.4L’auteur affirme en outre que le simple fait d’avoir participé à un rassemblement (autorisé ou non) ne peut, d’après lui, justifier l’interdiction qui lui a été faite d’exercer en tant qu’avocat. Dans sa réponse, l’État partie n’a fait que répéter «les accusations qui avaient été inventées» contre lui.

Réponses complémentaires des parties

6.1Le 15 novembre 2005, l’État partie réaffirme qu’en 1997, la licence d’avocat de l’auteur a été annulée en raison d’une réforme. Il en est allé de même pour tous les avocats qui se trouvaient dans cette situation. L’auteur a passé un nouvel examen; toutefois, peu de temps après il est apparu qu’en mars 1997, un tribunal lui avait infligé une amende, et que cette décision était entrée en vigueur.

6.2En vertu du Règlement de la Commission de qualification (4 juin 1997), le Ministre de la justice était habilité à refuser la délivrance d’une licence d’avocat dans certaines situations. La commission d’une infraction administrative est incompatible avec la fonction d’avocat. Par ses activités, l’auteur avait enfreint la deuxième partie de l’article 18 de la loi sur les avocats et, se fondant sur l’article 32 du Règlement de la Commission de qualification, le Ministre de la justice a, avec juste raison, refusé de lui délivrer une licence d’avocat. Le refus du Ministre a été confirmé par les tribunaux. Conformément à l’article 24 de la loi sur les avocats, une personne qui a commis une infraction incompatible avec la fonction d’avocat ne peut exercer à ce titre. Ainsi, rien ne montre qu’en l’espèce, le Ministère de la justice avait été partial. De plus, l’auteur avait la possibilité de repasser l’examen.

7.1Le 29 août 2007, l’auteur conteste une nouvelle fois les observations de l’État partie, affirmant qu’en novembre 1996, le Parlement du Bélarus a été dissous illégalement, ce qui lui a fait perdre son statut de membre du Parlement. L’auteur soutient que la réunion du 15 mars 1997 avait été autorisée par le conseil municipal de la ville de Minsk. Il a reçu une amende parce que, à cause du grand nombre de personnes présentes, il a fait quelques pas sur la route pour contourner un groupe de participants. Selon lui, en lui infligeant une amende, les autorités ont violé le droit de réunion pacifique. Ce fait semble soulever également des questions au regard de l’article 21 du Pacte, bien que cette disposition n’ait pas été expressément invoquée par l’auteur. Les autorités ont appliqué la loi à son égard de manière arbitraire, comme le confirme selon lui le montant particulièrement élevé de son amende, le plus important jamais enregistré à l’époque.

7.2L’auteur réaffirme qu’en raison du refus du Ministre, il ne peut pas travailler et que depuis 1998 il vit de sa pension d’ancien membre du Ministère de l’intérieur. La pension à vie à laquelle il a droit en tant qu’ancien Président du Soviet suprême ne lui a pas été versée, ce qui montre, d’après lui, qu’il est persécuté pour des motifs politiques.

8.1Le 2 mai 2008, l’État partie a expliqué qu’en 2005, les services du Procureur général du Bélarus avaient vérifié la légalité de la décision rendue le 18 août 1997 par le tribunal du district de Moscou à Minsk à propos de la plainte déposée par l’auteur contre le Ministre de la justice. Le tribunal avait rejeté la plainte de l’auteur, et ce rejet avait été confirmé par le tribunal de la ville de Minsk le 25 septembre 1997. La nouvelle plainte que l’auteur avait déposée auprès de la Cour suprême avait été rejetée par le Président adjoint de la Cour suprême.

8.2L’État partie réaffirme que le Ministre de la justice était habilité à reporter ou refuser la délivrance d’une licence d’avocat. Dans la présente affaire, le 7 juillet 1997, il a reporté la délivrance de la licence afin de vérifier les circonstances de l’infraction administrative qu’avait commise l’auteur. Le 30 juillet, le Ministre a refusé de délivrer la licence d’avocat. Étant donné que l’auteur s’était vu infliger une amende par le tribunal pour avoir participé au rassemblement de 1997, les tribunaux ont conclu que le Ministre avait agi dans les limites de ses pouvoirs et ont considéré que ses ordonnances étaient légales et la décision pleinement fondée.

Décision du Comité concernant la recevabilité

9.1Le Comité a examiné la recevabilité de la communication à sa quatre-vingt-quinzième session, le 30 mars 2009. Il s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et a noté qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

9.2Le Comité a également pris note des allégations de l’auteur qui affirme que, contrairement aux exigences de l’article 14 du Pacte, sa cause n’a pas été entendue par un tribunal compétent, impartial et indépendant. L’auteur affirme en outre, sans donner davantage d’explications, que dans son cas les juges n’avaient pas répondu à un certain nombre de points qu’il avait soulevés. Il a enfin affirmé que les juges au Bélarus n’étaient pas indépendants, puisqu’ils relèvent du Ministère de la justice. Pour sa part, l’État partie a répondu que toutes les décisions rendues dans le cas de l’auteur étaient légales et pleinement fondées. Le Comité a relevé que les allégations de l’auteur avaient trait principalement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve, il a rappelé qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et a décidé que cette partie de la communication était irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif car elle n’était pas suffisamment étayée.

9.3De même, en l’absence de toute autre information ou explication pertinentes, le Comité a considéré que l’allégation générale de l’auteur relative à l’absence d’indépendance de la magistrature de l’État partie n’était pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle était donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.4Le Comité a également pris note de l’affirmation de l’auteur qui se déclare victime de discrimination parce qu’il a été privé de son droit à un régime spécial de soins médicaux et que les lettres qu’il a envoyées à ce sujet sont restées sans réponse. En outre, sa pension d’ancien Président du Conseil suprême n’a jamais été actualisée ni versée alors que d’autres fonctionnaires de haut niveau, partisans du régime en place, y compris d’anciens présidents du Soviet suprême − donc des personnes se trouvant exactement dans sa situation − ont reçu personnellement des pensions à vie par décret présidentiel. Le Comité a noté que l’État partie n’avait pas fait d’observations précises sur ces allégations, mais en l’absence de toute autre information ou explication pertinentes sur cette question et étant donné que les documents figurant au dossier ne permettaient pas de vérifier si ces allégations avaient déjà été portées devant les autorités compétentes et les juridictions de l’État partie, le Comité a estimé que cette partie de la communication n’était pas suffisamment étayée et qu’elle était donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité a noté qu’il n’était pas contesté que la licence d’avocat de l’auteur ne lui avait pas été délivrée parce qu’il avait enfreint la législation en vigueur en participant à une manifestation non autorisée en mars 1997, acte qui constitue une infraction administrative au Bélarus. L’auteur a affirmé qu’en violation de l’article 2 du Pacte, ce fait avait été exploité de manière arbitraire par le Ministre de la justice, qui cherchait à le sanctionner pour ses opinions politiques. Le Comité a noté que bien que l’auteur ne l’ait pas invoqué expressément, ses allégations soulevaient des questions au regard de l’article 21 du Pacte (voir par. 7.1). Compte tenu du lien étroit entre les droits protégés par les articles 19 et 21 du Pacte, le Comité a estimé que la communication pouvait aussi soulever des questions au regard de l’article 19 du Pacte. En particulier, le Comité a décidé qu’il devrait déterminer si le refus de délivrer la licence au motif de l’amende administrative n’avait pas constitué une violation des droits de l’auteur en vertu de ces articles. Le Comité a estimé que les allégations de l’auteur à ce sujet avaient été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En conséquence, il a déclaré que cette partie de la communication était recevable, en ce qu’elle soulevait des questions au regard des articles 19 et 21 pris séparément ou lus conjointement avec l’article 2, et de l’article 26 du Pacte.

Observations complémentaires de l’État partie

10.1Dans une note verbale datée du 24 mars 2009, l’État partie a présenté des informations complémentaires. Il rappelle ses précédentes observations et ajoute que les griefs de l’auteur, qui affirme que le Ministère de la justice n’aurait pas dû refuser de lui délivrer une licence d’avocat au motif qu’il avait participé à une manifestation non autorisée, ne sont pas compatibles avec la législation en vigueur, en particulier l’article 24 de la loi sur les avocats. L’État partie explique que l’avocat qui commet une infraction administrative commet un acte qui est incompatible avec cette profession et qu’il n’était donc pas possible de délivrer une licence d’avocat à l’auteur. Par conséquent, on ne peut pas considérer que le Ministère de la justice a agi de façon partiale dans la présente affaire.

10.2Les licences d’avocat étant délivrées pour une période de cinq ans au Bélarus, l’auteur a aujourd’hui la possibilité de se présenter une nouvelle fois à l’examen du barreau devant le Ministère de la justice.

10.3L’État partie ajoute que le 18 août 1997, la plainte déposée par l’auteur pour contester le refus du Ministre de la justice de lui délivrer une licence d’avocat a été rejetée par le tribunal du district de Moscou à Minsk. Cette décision a été confirmée en appel par le tribunal de la ville de Minsk, le 25 septembre 1997. En mars 1998, l’auteur a présenté une requête de réexamen en supervision auprès de la Cour suprême, qui a été rejetée par un président adjoint. L’auteur n’a pas saisi d’autres autorités habilitées à demander le réexamen en supervision d’une affaire civile, ce qui fait que, selon l’État partie, les recours internes n’ont pas été épuisés dans la présente affaire.

Commentaires de l’auteur

11.1L’auteur a fait part de ses commentaires dans une note datée du 3 juin 2011. Il note tout d’abord que l’État partie n’a pas présenté d’observations concernant la décision de recevabilité du Comité, qu’il n’a donné aucune information au sujet des griefs tirés des articles 19 et 21 du Pacte, et qu’il n’a pas exposé les raisons qui pourraient justifier une restriction des droits qu’il tient de ces dispositions.

11.2En ce qui concerne la question du non-épuisement des recours internes, l’auteur rappelle qu’il a présenté une requête de réexamen en supervision auprès de la Cour suprême, sans succès. Conformément à l’article 439 du Code de procédure civile, les autorités habilitées à engager un réexamen en supervision sont le Président de la Cour suprême (ou l’un de ses adjoints) ainsi que les présidents des tribunaux de la région et de la ville de Minsk (ou leurs adjoints).

11.3L’auteur relève en outre qu’il a été condamné à une amende pour avoir participé à un rassemblement non autorisé visant à commémorer l’adoption de la nouvelle Constitution du Bélarus. Il n’a pas participé à la manifestation en tant qu’avocat, mais en tant que simple citoyen. Il a été condamné à une amende en vertu d’un décret présidentiel, et non des dispositions d’une loi, ce qui constitue une violation de l’article 21 du Pacte.

11.4L’auteur fait en outre observer qu’aux termes des dispositions des Principes de base relatifs au rôle des avocats, ceux-ci, «comme tous les autres citoyens, doivent jouir de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion. En particulier, ils ont le droit de prendre part à des discussions publiques portant sur le droit, l’administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l’homme et d’adhérer à des organisations locales, nationales ou internationales, ou d’en constituer, et d’assister à leurs réunions sans subir de restrictions professionnelles du fait de leurs actes légitimes ou de leur adhésion à une organisation légitime. Dans l’exercice de ces droits, les avocats doivent avoir une conduite conforme à la loi et aux normes reconnues et à la déontologie de la profession d’avocat». Malgré cela, l’auteur a été condamné à une amende pour avoir participé à un rassemblement, fait qui a été utilisé par la suite pour refuser de lui délivrer la licence d’avocat, bien qu’il ait passé l’examen de qualification.

11.5Enfin, l’auteur fait remarquer qu’avant le refus dont il a fait l’objet le 30 juillet 1997, le Ministère de la justice n’avait jamais refusé de délivrer une licence d’avocat au motif que l’intéressé avait participé à une réunion pacifique. Selon lui, cela ne s’est jamais reproduit par la suite. D’après l’auteur, ces faits montrent qu’il était spécialement visé et qu’il a été traité de façon discriminatoire en raison de ses activités politiques d’opposant et des critiques qu’il avait formulées contre le régime en place.

Réponses complémentaires de l’État partie

12.1L’État partie a fait tenir des informations complémentaires dans une note verbale datée du 10 août 2011. Il rappelle les faits de l’affaire et ajoute qu’en février 1997, l’auteur a présenté une requête de réexamen en supervision auprès de la Cour suprême du Bélarus, qui a été rejetée en vertu d’une décision d’un président adjoint de la Cour suprême. Conformément au paragraphe 1 de l’article 439 du Code de procédure civile, le réexamen en supervision peut être ordonné par le Président de la Cour suprême ou ses adjoints ou par le Procureur général ou ses adjoints. L’État partie ajoute que rien dans le Code de procédure civile n’empêche de présenter d’autres requêtes auprès de la même juridiction de supervision. Par conséquent, selon l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles.

12.2Le Comité note que l’État partie n’a pas présenté de demande formelle pour solliciter la révision de la décision de recevabilité adoptée le 30 mars 2009 dans la présente affaire.

Examen au fond

13.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

13.2L’auteur a affirmé qu’il avait été condamné à une amende après avoir participé à un rassemblement pacifique visant à commémorer l’anniversaire de l’adoption de la Constitution du Bélarus en 1994 et que la licence d’avocat ne lui avait pas été délivrée pour cette raison, bien qu’il ait passé l’examen de qualification. Il a affirmé qu’il avait été victime de discrimination fondée sur des motifs politiques, du fait qu’il appartenait à un mouvement d’opposition critique à l’égard du régime en place, et que la licence n’avait été refusée à aucun des autres avocats qui se trouvaient dans la même situation. Le Comité considère que ces griefs soulèvent des questions au regard des articles 19, 21 et 26, lus conjointement avec l’article 2 du Pacte. L’État partie n’a pas répondu à ces allégations en prenant spécifiquement en considération les dispositions du Pacte visées, mais a expliqué que la licence de l’auteur n’avait pas été délivrée parce qu’il avait été condamné pour une infraction administrative du fait qu’il avait participé à une manifestation non autorisée en violation d’un décret présidentiel relatif aux rassemblements de masse, manquant ainsi aux devoirs de l’avocat énoncés dans la loi relative aux avocats.

13.3Le Comité rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Il note en outre que les droits et libertés consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte ne sont pas absolus et peuvent faire l’objet de restrictions dans certaines situations. Le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte dispose que ces restrictions doivent être fixées par la loi et être nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. De même, la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte dispose que l’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

13.4Le Comité note que dans la présente affaire, l’État partie s’est contenté d’expliquer que l’auteur avait été condamné à une amende conformément à la loi, en application des dispositions du Code des infractions administratives, ce qui avait eu pour conséquence, conformément à la loi relative aux avocats, que la licence d’avocat ne lui avait pas été délivrée. Toutefois, le Comité relève que l’État partie n’a pas expliqué en quoi la non-délivrance d’une licence d’avocat à l’auteur était justifiée et nécessaire aux fins du paragraphe 3 de l’article 19 ou de la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Dans les circonstances de l’espèce, et en l’absence de toute autre information utile dans le dossier, le Comité considère qu’il y a eu violation des droits consacrés au paragraphe 2 de l’article 19 et à l’article 21 du Pacte.

13.5À la lumière de la conclusion ci-dessus, le Comité décide de ne pas examiner séparément le grief tiré de l’article 26, lu conjointement avec l’article 2, du Pacte.

14.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte.

15.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, qui devrait consister notamment à lui délivrer de nouveau la licence d’avocat et à lui accorder une réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie devrait en outre veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

16.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte, et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations, à les faire traduire en bélarussien et à les faire diffuser largement dans les deux langues officielles de l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]