C omité des droits de l ’ homme
Communication no 1976/2010
Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7-25 juillet)
Communication présentée par: |
Petr Kuznetsov et consorts(non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
14 mars 2010(date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 24 septembre 2010(non publiée sous forme de document) |
Date des constatations: |
24 juillet 2014 |
Objet: |
Droit de se défendre avec l’assistance d’un défenseur de son choix; droit de répandre des informations; droit de réunion pacifique |
Question(s) de fond: |
Droit de se défendre avec l’assistance d’un défenseur de son choix; liberté d’expression; réunion pacifique |
Question(s) de procédure: |
Épuisement des recours internes; fondement des griefs |
Article(s) du Pacte: |
14 (par. 3 d)); 19 et 21 lus conjointement avec l’article 2 |
Article(s) du Protocole facultatif: |
2 et 5 (par. 2 b)) |
Annexe
Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (111e session)
concernant la
Communication no 1976/2010 *
Présentée par: |
Petr Kuznetsov et consorts(non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
14 mars 2010(date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24juillet 2014,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1976/2010présentée par Petr Kuznetsov, Yury Zakharenko, Anatoly Poplavny, Vasily Polyakov et Vladimir Katsora en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif
1.Les auteurs sont Petr Kuznetsov, né en 1981, Youri Zakharenko, né en 1959, Anatoly Poplavny, né en 1958, Vasily Polyakov, né en 1969, et Vladimir Katsora, né en 1957; tous sont de nationalité bélarussienne. Ils affirment être victimes d’une violation, par le Bélarus, de leurs droits au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 et des articles 19 et 21 lus conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1Le 7 mai 2009, les auteurs ont tenu un piquet devant le Département des affaires intérieures du Comité exécutif régional de la ville de Gomel. Ils sont restés devant le bâtiment pendant trente minutes, tenant des portraits de l’ancien Ministre de l’intérieur, Youri Zakharenko, qui avait disparu dix ans plus tôt. À la fin du piquet, les auteurs ont remis au Département des affaires intérieures une lettre dans laquelle ils relevaient la lenteur de l’enquête sur la disparition de M. Zakharenko et demandaient aux autorités de mener une enquête en bonne et due forme sur ce crime. Pendant le piquet, des policiers ont observé les activités des auteurs et les ont filmés, sans toutefois les aborder.
2.2Le 22 mai 2009, les auteurs ont été convoqués au Département des affaires intérieures du Comité exécutif régional de Gomel, où ils ont été accusés d’avoir commis une infraction administrative relevant de l’article 23.34, paragraphe 1, du Code des infractions administratives du Bélarus. Plus précisément, ils ont été accusés d’avoir organisé un rassemblement public sans avoir suivi la procédure prévue pour l’organisation de rassemblements dans la loi de 1997 sur les manifestations publiques dans la République du Bélarus. Conformément à cette loi, quiconque organise une manifestation publique est tenu d’en obtenir l’autorisation auprès des autorités exécutives locales quinze jours avant la date prévue. Les auteurs n’ont jamais sollicité une telle autorisation car, conformément aux dispositions de la même loi, le Comité exécutif régional de la ville de Gomel avait publié la décision no 299 du 2 avril 2008 («Rassemblements publics à Gomel»), désignant un lieu unique dans la banlieue de Gomel pour la tenue de rassemblements publics, mais les auteurs ne souhaitaient pas tenir leur piquet dans ce lieu car ils estimaient que cela n’aurait eu aucun sens.
2.3Le 25 juin 2009, le tribunal du district central de Gomel a reconnu les auteurs coupables d’avoir commis une infraction administrative relevant de l’article 23.24, paragraphe 1, du Code des infractions administratives en ayant tenu un piquet non autorisé, et a imposé à MM. Kuznetsov, Zakharenko, Poplavny et Polyakov une amende d’un montant de 350 000 roubles bélarussiens; M. Katsora a été condamné à trois jours de détention administrative. Le 26 juin 2009, les auteurs ont fait appel du jugement prononcé le 25 juin 2009 par le tribunal du district central de Gomel, mais ils ont été déboutés par le tribunal régional de Gomel le 22 juillet 2009. Dans le recours, les auteurs affirmaient, notamment, qu’il y avait eu violation de leur droit constitutionnel de réunion pacifique et de leurs droits au titre de l’article 21 du Pacte, car les restrictions imposées par la législation interne n’étaient pas justifiées par la nécessité de protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui.
2.4Les auteurs ont contesté les décisions du tribunal régional en date du 22 juillet 2009 devant la Cour suprême, les 27 et 30 juillet et les 3, 5 et 12 décembre 2009, respectivement. Le 30 septembre 2009, pour l’un des auteurs, et le 21 janvier 2010, pour les autres, la Cour suprême les a déboutés et a confirmé le jugement rendu le 25 juin 2009 par le tribunal du district central de Gomel, affirmant en particulier que les dispositions de la Constitution et du Pacte garantissaient le droit à la liberté de réunion mais que les modalités de réalisation de ce droit étaient fixées par la loi de 1997 sur les manifestations publiques dans la République du Bélarus.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment que leur droit à la liberté d’expression et de réunion garanti aux articles 19 et 21 du Pacte a fait l’objet de restrictions arbitraires car ni le Comité exécutif de la ville de Gomel, dans sa décision no 299, ni les tribunaux n’avaient fourni, pour justifier la restriction de leurs droits, d’autres motifs que l’application formelle de la législation interne. Ils font valoir que la restriction en question n’était pas nécessaire au respect des droits ou de la réputation d’autrui, à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques (art. 19, par. 3), ni nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui (art. 22, deuxième phrase), et que, par conséquent, il y a eu violation des articles 19 et 21 du Pacte.
3.2Les auteurs affirment également qu’en promulguant une législation interne qui n’est pas entièrement claire et qui est en contradiction avec les articles 19 et 21 du Pacte, l’État partie a aussi manqué aux obligations découlant du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte. En particulier, outre qu’elle exige une autorisation préalable pour tous les rassemblements publics et qu’elle impose un lieu unique pour la tenue de tels rassemblements, la décision no 299 du Comité exécutif de la ville de Gomel impose aux personnes qui organisent des manifestations publiques de conclure à leurs frais des contrats avec les départements des affaires intérieures − pour assurer la protection de l’ordre public − avec des institutions médicales − pour la fourniture d’une assistance médicale − et avec une société de nettoyage − pour que les lieux soient nettoyés après le rassemblement. Les auteurs affirment que de telles exigences limitent jusque dans leur essence les libertés garanties aux articles 19 et 21, lus conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 2, du Pacte.
3.3Les auteurs affirment en outre qu’il y a eu violation de leur droit à un procès équitable, garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, en ce que le tribunal du district central de Gomel leur a refusé d’être représentés par l’avocat de leur choix en première instance, alors même que celui qu’ils avaient sollicité à titre privé était présent et disposé à participer à la procédure le 25 juin 2009.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Par une note verbale du 6 janvier 2011, l’État partie a notamment rappelé qu’il avait à plusieurs reprises exprimé au Comité sa préoccupation légitime quant à l’enregistrement injustifié de communications individuelles. Cette préoccupation visait essentiellement les communications émanant de particuliers qui, de manière délibérée, n’avaient pas épuisé tous les recours disponibles dans l’État partie, alors qu’ils auraient pu, par exemple, former un recours auprès du Bureau du Procureur en vue du contrôle d’une décision passée en force de chose jugée. L’État partie a ajouté que la présente communication avait été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif et que, par conséquent, aucun fondement juridique ne justifiait qu’il l’examinât.
4.2Par une lettre du 19 avril 2011, le Président du Comité a informé l’État partie, en particulier, qu’il découlait implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte que l’État partie devait fournir au Comité tous les renseignements qu’il détenait. L’État partie a donc été prié de communiquer de nouvelles observations sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie a également été informé qu’en l’absence d’observations de sa part, le Comité examinerait la communication sur la base des informations dont il disposait.
4.3Le 22 septembre 2011, l’État partie a été de nouveau invité à communiquer ses observations sur la recevabilité et sur le fond.
4.4Le 5 octobre 2011, l’État partie a notamment indiqué, au sujet de la présente communication, qu’aucun motif juridique n’en justifiait l’examen étant donné qu’elle avait été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif. Il a soutenu que les recours internes disponibles n’avaient pas tous été épuisés comme l’exigeait l’article 2 du Protocole facultatif puisqu’aucun recours n’avait été formé auprès du Bureau du Procureur au titre de la procédure de contrôle.
4.5Le 25 octobre 2011, l’État partie a été de nouveau invité à communiquer ses observations sur la recevabilité et sur le fond, et a été informé qu’en l’absence d’autres renseignements, le Comité examinerait la communication sur la base des informations figurant dans le dossier. Un rappel similaire a été adressé à l’État partie le 5 décembre 2011.
Commentaires des auteurs au sujet des observations de l’État partiesur la recevabilité
5.Le 30 novembre 2011, M. Kuznetsov a indiqué qu’en effet, il ne s’était pas adressé au Bureau du Procureur général au titre de la procédure de contrôle, parce qu’il considérait que cette voie de recours n’était pas efficace. Il a affirmé que seuls les recours formés devant une juridiction étaient efficaces car ils donnaient lieu à un examen au fond. Il ne serait guère utile de s’adresser au Bureau du Procureur général au titre de la procédure de contrôle car seul un petit nombre d’agents publics pouvait décider d’engager une telle procédure et il n’y aurait pas d’examen au fond. De plus, lorsqu’une procédure de contrôle était engagée, elle ne portait que sur la question des normes de droit qui avaient été appliquées et ne supposait pas le réexamen des faits et des éléments de preuve. Renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’auteur a rappelé que si l’examen d’une affaire au titre de la procédure de contrôle était laissé au pouvoir discrétionnaire d’un petit nombre d’agents publics (par exemple le Procureur général ou le Président de la Cour suprême), l’obligation d’épuiser les recours internes prenait fin avec la procédure de cassation. De plus, conformément à la jurisprudence du Comité, les recours internes devaient être non seulement disponibles, mais aussi utiles. L’auteur a fait observer que dans sa décision concernant la communication no 1814/2008, Levinov c. Bélarus, le Comité avait rappelé qu’une motion de protestation déposée auprès du Procureur général au titre de la procédure de contrôle ne faisait pas partie des recours devant être épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, l’auteur a affirmé qu’il avait épuisé tous les recours internes utiles.
Observations supplémentaires de l’État partie
6.1Dans une note verbale du 25 janvier 2012, l’État partie a fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, il avait reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier de cet instrument pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclaraient victimes d’une violation de l’un des droits énoncés dans le Pacte. Cette compétence était reconnue sous réserve d’autres dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, notamment celles qui énoncent les critères de recevabilité et les conditions à remplir par les auteurs, en particulier l’article 2 et l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif. Le Protocole facultatif ne faisait pas obligation aux États parties d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation que fait celui-ci des dispositions du Protocole facultatif.
6.2Selon l’État partie, il s’ensuit que dans le contexte de la procédure d’examen des communications, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif, et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoyait, ne relevaient pas du Protocole facultatif. L’État partie a ajouté qu’il considérerait toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte comme incompatible avec le Protocole et qu’il la rejetterait sans faire la moindre observation sur la recevabilité ni sur le fond. Il a déclaré en outre que les décisions du Comité concernant les «communications ainsi rejetées» seraient considérées par ses autorités comme «non valides».
Délibérations du Comité
Défaut de coopération de l’État partie
7.1Le Comité prend note des affirmations de l’État partie, à savoir qu’il n’existe pas de motif juridique justifiant l’examen de la communication présentée par les auteurs, étant donné qu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, que l’État partie n’est pas tenu de reconnaître le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation que fait le Comité des dispositions du Protocole facultatif, et que toute décision prise par le Comité concernant la présente communication sera considérée comme «non valide».
7.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait observer en outre que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas sa décision relative à l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond de cette communication, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
Examen de la recevabilité
8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
8.3En ce qui concerne la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité relève que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés car les auteurs n’avaient pas engagé de procédure de contrôle auprès du Bureau du Procureur général. Renvoyant à sa jurisprudence, il rappelle que cette procédure en vigueur dans l’État partie, qui permet de réexaminer des décisions de justice devenues exécutoires, ne fait pas partie des recours qui doivent être épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Dans ces circonstances, il considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.
8.4Le Comité prend note de l’argument des auteurs qui affirment que l’État partie a manqué à ses obligations au titre du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, parce qu’il n’a pas adopté de mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus aux articles 19 et 21 du Pacte. Le Comité, rappelant sa jurisprudence, réaffirme que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Il considère également que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le fait que l’État partie manque à ses obligations découlant de l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte touchant directement la personne qui affirme être victime. Il note cependant que les auteurs ont déjà fait valoir une violation de leurs droits au titre des articles 19 et 21, résultant de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie, et il ne considère pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie a également manqué à ses obligations générales découlant du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, serait distinct de l’examen d’une violation des droits que les auteurs tiennent des articles 19 et 21 du Pacte. Il considère donc que les griefs des auteurs à ce titre sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
8.5Pour ce qui est du grief des auteurs qui affirment que les droits qu’ils tiennent de l’article 14 (par. 3 d)) du Pacte ont été violés en ce que le tribunal du district central de Gomel a refusé qu’ils soient représentés par l’avocat de leur choix en première instance, le Comité relève que les auteurs n’ont pas fourni de renseignements détaillés à ce sujet ni aucune preuve ou copie de leur plainte concernant un tel refus. En conséquence, et en l’absence d’autres renseignements pertinents dans le dossier, il considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur grief aux fins de la recevabilité, et déclare donc celui-ci irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
8.6Le Comité considère que les autres griefs des auteurs au titre des articles 19 et 21 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.
Examen au fond
9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.
9.2Le Comité prend note du grief des auteurs qui affirment que les autorités de l’État partie ont violé leur droit à la liberté d’expression garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, étant donné que quatre des auteurs ont reçu une amende de 350 000 roubles bélarussiens et que le cinquième a été détenu pendant trois jours pour avoir tenu en public des portraits de l’ancien Ministre de l’intérieur, qui avait disparu dix ans plus tôt, et pour avoir exprimé, le 7 mai 2009, lors d’un piquet non autorisé de trente minutes devant le Département des affaires intérieures du Comité exécutif régional de Gomel, leur préoccupation quant à la durée de l’enquête menée sur cette disparition. Le Comité relève également que les auteurs ont été sanctionnés en vertu de l’article 23.34, paragraphe 1, du Code des infractions administratives, pour avoir participé à un piquet non autorisé.
9.3Le Comité prend note du grief des auteurs qui affirment qu’en sus des dispositions peu claires de la loi de 1997 sur les manifestations publiques, qui exige une autorisation préalable pour tous les rassemblements publics et permet de limiter le nombre de lieux où de tels rassemblements peuvent être tenus, le Comité exécutif de Gomel, par sa décision no 299, impose aux personnes qui organisent des manifestations publiques de tenir les manifestations de masse dans un lieu particulier dans la banlieue de Gomel et de conclure à leurs frais des contrats avec les départements des affaires intérieures pour la protection de l’ordre public, avec un établissement médical pour la fourniture d’une assistance médicale aux participants et avec une société de nettoyage pour que les lieux soient nettoyés après le rassemblement, le tout avant que celui-ci n’ait lieu. Les auteurs affirment que de telles exigences limitent jusque dans leur essence les libertés garanties, entre autres, à l’article 19 du Pacte.
9.4Le Comité doit déterminer en premier lieu si l’application de l’article 23.34, paragraphe 1, du Code des infractions administratives dans le cas des auteurs, qui a abouti à la condamnation de quatre d’entre eux à une amende et à la détention administrative du cinquième auteur, a constitué une restriction du droit des auteurs à la liberté d’expression au sens du paragraphe 3 de l’article 19. Le Comité relève que l’article 23.34, paragraphe 1, du Code des infractions administratives prévoit que la responsabilité est engagée pour toute violation de la procédure régissant l’organisation ou la tenue de manifestations de masse. Il note également que, puisque l’État partie a imposé une «procédure pour la tenue de manifestations de masse», il a effectivement imposé des restrictions à l’exercice de la liberté de répandre des informations, garantie au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.
9.5Par conséquent, le Comité doit déterminer en second lieu si, en l’espèce, de telles restrictions sont justifiées au sens du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, c’est-à-dire si elles sont fixées par la loi et sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui, et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité; les restrictions de cet ordre «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire».
9.6Au vu de ce qui précède, le Comité note que même si les limitations qui ont été imposées, dans la présente affaire, au droit des auteurs de répandre des informations étaient licites au regard de la législation nationale, les autorités locales n’ont pas fourni d’explication ou de justification montrant en quoi elles étaient nécessaires aux fins de l’un des objectifs légitimes énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte ni quel danger les auteurs auraient pu représenter en montrant en public le portrait d’un ancien ministre de l’intérieur qui avait disparu et en exprimant leur préoccupation quant à la durée de l’enquête menée à ce sujet. Il conclut qu’en l’absence d’informations utiles dans les décisions prises par les autorités locales dans le contexte de la procédure administrative engagée contre les auteurs, et en l’absence d’observations précises de l’État partie sur ce point, les restrictions à l’exercice du droit des auteurs à la liberté d’expression ne sauraient être considérées comme nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ni à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, ou de la santé ou de la moralité publiques. Il estime donc qu’en l’espèce, les droits que les auteurs tiennent du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.
9.7Le Comité prend note du grief de violation du droit à la liberté de réunion garanti à l’article 21 du Pacte lié au fait que les auteurs ont été reconnus coupables d’une infraction administrative, qu’une amende leur a été infligée et que l’un d’entre eux a été placé en détention au motif qu’ils n’avaient pas respecté la procédure établie pour l’organisation ou la tenue d’une manifestation. Dans ce contexte, il rappelle que les droits et libertés garantis à l’article 21 du Pacte ne sont pas absolus mais peuvent être soumis à des restrictions. La deuxième phrase de l’article 21 du Pacte dispose que l’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées a) conformément à la loi et b) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
9.8Dans la présente affaire, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit à la liberté de réunion des auteurs étaient justifiées en vertu de l’un quelconque des critères énumérés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Il constate, au vu des informations figurant dans le dossier, que les autorités locales n’ont pas fourni de justification ou d’explication montrant en quoi, dans la pratique, le fait que les auteurs aient brandi des portraits du Ministre de l’intérieur disparu et exprimé leur préoccupation quant à la durée de l’enquête était contraire à l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou à la protection de la santé ou la moralité publiques ou des droits et libertés d’autrui, comme il est énoncé à l’article 21 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut qu’en l’espèce l’État partie a également commis une violation du droit que les auteurs tiennent de l’article 21 du Pacte.
10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que les auteurs tiennent du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte.
11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs une réparation effective, y compris sous la forme du remboursement aux auteurs qui ont reçu une amende du montant de cette amende (valeur en juin 2009) et d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations du même type ne se reproduisent pas. À ce sujet, le Comité affirme une nouvelle fois que l’État partie devrait revoir sa législation, en particulier la loi du 30 décembre 1997 sur les manifestations de masse qui a été appliquée dans la présente affaire, en vue de garantir la pleine jouissance sur son territoire des droits reconnus par les articles 19 et 21 du Pacte.
12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement en biélorusse et en russe.
Appendices
Appendice I
[Original : anglais]
Opinion individuelle (concordante) signée de Gerald L. Neuman, d’Anja Seibert-Fohr, de Yuji Iwasawa et de Konstantine Vardzelashvili
1.Nous souscrivons aux conclusions tirées par le Comité au sujet de cette communication, mais nous sommes en désaccord avec une partie du raisonnement exprimé au paragraphe 8.4, où est examiné le grief des auteurs qui font valoir que l’État partie a manqué à ses obligations découlant du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, parce qu’il n’a pas adopté de mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus par ces articles. Dans ce passage, le Comité laisse ouverte la possibilité qu’un individu puisse invoquer les dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte conjointement avec une autre disposition du Pacte si le fait qu’un État partie manque à ses obligations découlant de ce paragraphe est «la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte touchant directement la personne qui affirme être victime».
2.Au lieu d’introduire les notions vagues de «cause immédiate» et de «violation distincte» comme conditions préalables pour établir une telle violation, le Comité aurait dû conserver son approche habituelle et considérer simplement que le grief des auteurs au titre du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 19 et 21, est irrecevable parce que les dispositions de ce paragraphe ne peuvent jamais être invoquées de la sorte, pas plus qu’elles ne peuvent être invoquées isolément. Le paragraphe 2 de l’article 2 énonce l’obligation objective qu’ont les États parties d’adopter des mesures d’ordre législatif ou autre, pour donner effet aux droits reconnus dans le Pacte. Pour autant, il ne confère pas à des individus le droit d’exiger d’un État partie qu’il adopte des mesures d’ordre législatif ou autre. En conséquence, le Comité a toujours estimé que le paragraphe 2 de l’article 2 énonce une obligation générale à l’intention des États parties sans consacrer un droit qui pourrait être invoqué dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Cette conclusion ne change pas lorsque ces dispositions sont lues conjointement avec un article protégeant un droit fondamental.
3.Comme l’illustre le cas d’espèce, et comme le confirment de nombreuses autres affaires, le Comité peut reconnaître qu’une loi ou une pratique a contribué à une violation individuelle du Pacte sans qu’il soit nécessaire de mentionner le paragraphe 2 de l’article 2 dans la discussion. Des personnes peuvent être lésées dans leurs droits par une loi qui viole un droit fondamental, ou par l’application d’une loi, ou encore par l’absence de loi. Le Comité est compétent pour constater une violation des droits fondamentaux dans chacun de ces cas et recommander une mesure de réparation appropriée. Le fait d’ajouter une violation du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec une disposition de fond, n’accroîtrait en rien la protection de l’individu. Lorsqu’il étudie un grief de violation du Protocole facultatif, le Comité doit examiner l’effet des mesures d’ordre législatif ou autre sur les droits des auteurs de la communication. En examinant les violations de droits individuels et non celles d’obligations générales, il s’assure que les communications concernent des victimes dont des droits spécifiques ont été lésés concrètement, et non des personnes qui font objection dans l’abstrait à la manière dont un État partie met en œuvre le Pacte.
4.Modifier l’approche habituelle du Comité à cet égard pour établir de manière distincte des violations des obligations objectives de l’État partie n’apporterait rien de concret en matière de protection des droits de l’homme et ferait obstacle à l’exercice par le Comité de ses responsabilités en vertu du Protocole facultatif. Le fait de laisser ouverte la possibilité de constater des violations conjointes au titre du paragraphe 2 de l’article 2 entraînera le Comité dans des discussions stériles qui absorberont un temps déjà limité qui serait plus utilement employé à examiner des questions plus importantes ou à rendre plus rapidement des décisions concernant un plus grand nombre de communications. Malheureusement, le libellé du paragraphe 8.4 aggravera ce problème, en faisant des notions ambiguës de «cause immédiate» et de «violation distincte» des conditions préalables pour établir de telles constatations. La majorité n’explique pas dans quelle situation ces conditions seraient remplies et n’en donne pas d’exemple. Ce libellé risque fort de susciter des désaccords qu’il vaudrait mieux éviter.
5.Le Comité aurait dû plutôt reconnaître qu’il n’y a pas de «violations distinctes» des droits individuels, et indiquer clairement que le paragraphe 2 de l’article 2 ne peut pas être invoqué isolément ni conjointement pour faire valoir un grief dans une communication.
Appendice II
[Original : espagnol]
Opinion individuelle signée de Fabián Omar Salvioliet de Víctor Manuel Rodríguez‑Rescia
Nous approuvons la décision dans l’affaire Kuznetsov et consorts (communication no 1976/2010), dans laquelle le Comité a établi la responsabilité internationale de l’État du Bélarus pour une violation des articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Toutefois, nous ne partageons pas la position du Comité lorsqu’il déclare irrecevables les griefs des auteurs au titre du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 19 et 21, au motif que leur examen «ne serait [pas] distinct de l’examen d’une violation des droits que les auteurs tiennent des articles 19 et 21 du Pacte».
Dans la présente affaire, les faits qui donnent lieu à la responsabilité internationale de l’État sont différents, et constituent donc des violations distinctes du Pacte, qui doivent avoir un rapport direct avec la réparation accordée.
Le Comité a établi que les droits consacrés à l’article 21 du Pacte avaient été violés (par. 9.4 à 9.8 des constatations). Il aurait dû toutefois ajouter que l’État avait manqué à ses obligations découlant du paragraphe 2 de l’article 2 (lu conjointement avec les articles 19 et 21 en l’espèce) quand le Comité exécutif régional de la ville de Gomel a adopté la décision no 299 imposant aux personnes qui organisent des manifestations de conclure à leurs frais des contrats avec les départements des affaires intérieures (pour assurer la protection de l’ordre public) avec des institutions médicales (pour la fourniture d’une assistance médicale) et avec une société de nettoyage (pour que les lieux soient nettoyés après le rassemblement).
Le fait qui a entraîné la responsabilité internationale de l’État du Bélarus est l’adoption de la décision no 299, clairement incompatible avec l’obligation générale énoncée à l’alinéa 2 de l’article 2. Étant donné que cette décision a été imposée aux auteurs pour les empêcher de tenir une manifestation où ils auraient exprimé leur opinion, le Comité aurait dû conclure en l’espèce à une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21.
En conséquence, au lieu de recommander en termes généraux à l’État de «revoir sa législation» (par. 11 des constatations), il aurait été plus approprié de lui demander clairement d’abroger les textes incompatibles avec le Pacte (la loi de 1997 sur les manifestations publiques et la décision no 299 du Comité exécutif régional de Gomel) et de veiller à les remplacer par des dispositions qui soient entièrement conformes aux droits énoncés dans le Pacte.