Nations Unies

CCPR/C/111/D/2041/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 août 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 2041/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7‑25 juillet 2014)

Communication présentée par:

Sergey Sergeevich Dorofeev(représenté par un conseil, Evgeny Pavlov)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

4 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 avril 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

11 juillet 2014

Objet:

L’auteur, accusé d’un crime passible de la peine de mort, n’a pas été informé de son droit à un défenseur et n’a pas été représenté pendant la procédure en annulation

Question ( s ) de fond:

Droit d’une personne qui n’a pas d’avocat d’être informée qu’elle a le droit d’être représentée par un défenseur, qui peut être commis d’office dans tous les cas où l’intérêt de la justice l’exige

Question(s) de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

14 (par. 3 d) et 5), 2 et 5

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 2041/2011 *

Présentée par:

Sergey Sergeevich Dorofeev(représenté par un conseil, Evgeny Pavlov)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

4 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 11 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2041/2011, présentée par Sergey Sergeevich Dorofeev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 4 juin 2010, est Sergey Sergeevich Dorofeev, de nationalité russe, né en 1973. Lorsqu’il a envoyé sa communication il exécutait une peine de vingt et un ans dans le centre pénitentiaire d’État à Udarny, dans la région de Zubovo‑Polyansky de la République de Mordovie, en Fédération de Russie. L’auteur se déclare victime de violations par la Fédération de Russie des droits qu’il tient des paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14, de l’article 2 et de l’article 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil, Evgeny Pavlov.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 11 avril 2006, l’auteur a été reconnu coupable d’un certain nombre d’infractions pénales, notamment en vertu de l’article 105 du Code pénal (meurtre), passibles d’une peine d’emprisonnement de vingt ans, de la réclusion à perpétuité ou de la peine de mort. L’auteur affirme que, conformément à l’article 48 de la Constitution et à l’article 51 du Code de procédure pénale, dans de telles circonstances, le ministère d’avocat est obligatoire en première instance et en annulation. L’auteur fait valoir que la juridiction de première instance ne l’a pas informé de son droit d’être représenté par un avocat pour le recours en annulation, en violation de l’article 11 du Code de procédure pénale et des articles 2 et 17 de la Constitution. Par conséquent, pendant l’examen du recours il n’avait pas de défenseur alors que son coaccusé était représenté par deux avocats. Le 13 juillet 2006, le verdict prononcé en première instance a été confirmé par la juridiction supérieure et il est donc devenu définitif. L’auteur soutient que, conformément à l’article 51 du Code de procédure pénale si le défendeur n’a pas engagé un avocat, la juridiction d’annulation est tenue de lui en commettre un d’office.

2.2Le 26 novembre 2007, l’auteur a demandé au Procureur de Moscou d’engager une procédure de contrôle de son affaire, au motif que son droit à la défense devant la juridiction supérieure avait été violé. Le Procureur a rejeté la demande le 29 février 2008. D’autres demandes similaires adressées aux Bureaux du Procureur de Moscou et du Procureur général les 21 mars 2008, 7 juin 2008, 8 avril 2009 et 5 octobre 2009, ont également été rejetées, respectivement les 14 mai 2008, 14 juillet 2008, 20 mai 2009 et 16 novembre 2009. Le 13 août 2008, l’auteur a adressé une demande de contrôle des décisions judiciaires à la Cour suprême, en faisant valoir le même grief. Dans une lettre datée du 8 septembre 2009 le Vice-Président de la Cour suprême précisait qu’aucune violation n’avait eu lieu pendant la procédure d’annulation et la Cour suprême a refusé de faire droit à sa demande. Le 1er janvier 2010, l’auteur a adressé une demande de contrôle au Président de la Cour suprême qui l’a rejetée à une date non précisée, au motif que la Cour suprême avait déjà refusé de faire droit à une requête identique. L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes possibles et utiles.

2.3En date du 5 juillet 2011, l’auteur a indiqué que le 16 mars 2011 l’État partie avait réparé la violation mentionnée dans sa lettre initiale, soit quatre ans et huit mois après qu’elle a eu lieu. Il fait observer que lorsqu’il a adressé sa lettre initiale au Comité (le 4 juin 2010), il n’avait pas été remédié à cette violation puisque le verdict de condamnation n’avait pas fait l’objet d’un réexamen.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dit qu’il est victime de violations par l’État partie des droits garantis aux paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14, à l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 3 d) de l’article 14, et à l’article 5 du Pacte.

3.2L’auteur soutient que la participation d’un avocat de la défense lors du réexamen de l’affaire était nécessaire dans l’intérêt de la justice et que le fait que les juges ne l’aient pas informé de son droit ni commis d’office un avocat à cette occasion constitue une violation de ses droits au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte. Il fait également valoir que le Bureau du Procureur et la Cour suprême ont refusé d’examiner la décision sur le recours en annulation, en violation des droits qu’il tient du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Enfin, il affirme que l’État partie ne lui a pas offert de recours utile pour la violation de l’article 14 et que l’article 2 du Pacte a par conséquent été violé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.En date du 9 août 2011, l’État partie a indiqué que le 11 avril 2006 l’auteur avait été reconnu coupable de meurtre, de vol de voiture et d’autres infractions par le tribunal régional de Moscou, et condamné à vingt et un ans d’emprisonnement. Le 13 juillet 2006, la section judiciaire de la Cour suprême a confirmé le verdict en appel. L’examen du recours en annulation a été conduit en présence de l’auteur, mais sans qu’il soit représenté. En ce qui concerne la violation de son droit à la défense, le Procureur général adjoint de la Fédération de Russie a présenté une demande de contrôle des décisions judiciaires le 22 avril 2010, à laquelle il a été fait droit le 6 octobre 2010. Le 13 juillet 2006, la décision sur le recours en annulation a été invalidée et un nouvel examen a été effectué le 16 mars 2011. À cette audience, l’auteur était représenté par un avocat. Suite à cela, la peine a été ramenée à vingt ans d’emprisonnement. L’État partie affirme que la violation a été réparée par la voie d’un recours interne et que la communication est par conséquent irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.Dans une réponse du 13 septembre 2011, l’auteur a indiqué que selon le paragraphe 2 b) del’article 5, la règle de l’épuisement des recours internes ne s’appliquait pas lorsque les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Il affirme une nouvelle fois qu’afin d’être rétabli dans ses droits, il a déposé de nombreuses requêtes entre le 26 octobre 2007 et le 29 avril 2010, et que ses demandes d’examen des décisions sur le recours en annulation ont été rejetées à neuf reprises. Il précise que la décision de la Cour suprême du 17 février 2010 l’informait que la question avait déjà été examinée par la Cour suprême et qu’aucun autre recours devant cette juridiction n’était prévu par la loi; dans la lettre du 29 avril 2010 le Bureau du Procureur général indiquait que le Bureau avait déjà pris une décision concernant les questions soulevées par l’auteur et allait cesser de répondre à ses courriers. L’auteur soutient qu’en saisissant les institutions susmentionnées, il a épuisé tous les recours utiles avant de soumettre sa communication au Comité. Il affirme en outre que ce n’est que le 7 juillet 2010 qu’il a reçu la décision de la Cour suprême indiquant qu’une procédure de contrôle avait été engagée le 19 août 2010, c’est-à-dire après qu’il eut soumis sa communication au Comité. Il fait en outre valoir que la mise en œuvre des recours internes avait excédé un délai raisonnable, dans la mesure où plus de quatre ans avaient été nécessaires pour corriger la violation de ses droits. Il maintient que sa communication doit être déclarée recevable et examinée au fond.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1En date du 28 mars 2013, l’État partie a rappelé ses arguments sur la recevabilité de la communication. Il ajoute que, le 16 mars 2011, la Cour suprême a annulé les charges fondées sur les articles 116 (par. 1), 158 (par. 1), 325 (par. 2) et 167 (par. 1) du Code pénal, étant donné que les faits constitutifs de ces infractions étaient prescrits. En vertu de l’article 69 (par. 3) du Code pénal, l’auteur a été reconnu coupable des autres chefs fondés sur les articles 166 (par. 2 a) et b)) et 105 (par. 2 h) et l)) du Code pénal, et a été condamné à vingt ans d’emprisonnement. Le reste du verdict n’a pas été modifié.

6.2Concernant la durée de la procédure interne, l’État partie affirme que, conformément à la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme, la période à prendre en considération commence le jour où une personne est «accusée», au sens autonome et matériel qu’il convient de donner à ce terme, et s’achève le jour où une accusation est finalement établie ou la procédure abandonnée. Il fait également valoir que la Cour avait relevé qu’il convenait de tenir compte uniquement la période pendant laquelle l’affaire avait effectivement été pendante, c’est-à-dire pendant laquelle il n’y avait pas eu de jugement effectif dans l’affaire, et de celle où les autorités avaient l’obligation de déterminer les charges retenues contre l’intéressé dans un «délai raisonnable». Par conséquent, l’État partie soutient que la période comprise entre le moment où la décision du tribunal concernant l’auteur est entrée en vigueur et le moment où elle a été annulée suite à la procédure de contrôle n’aurait pas été prise en considération par la Cour européenne des droits de l’homme. La période comprise entre le 6 octobre 2010, lorsque la Cour suprême a infirmé la décision sur le recours en annulation du 13 juillet 2006, et le 16 mars 2011, date de la nouvelle décision sur le recours en annulation, a été de cinq mois et dix jours. L’État partie affirme que la décision du tribunal du 13 juillet 2006 n’a pas été examinée avec un retard excessif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

7.1Dans une réponse du 5 juillet 2013, l’auteur a réaffirmé que sa communication devait être déclarée recevable (voir par. 5 plus haut). Il affirme avoir épuisé les recours utiles et soutient que, conformément à la jurisprudence du Comité, aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent être à la fois utiles et disponibles. Il fait en outre valoir que, dans sa jurisprudence, le Comité a affirmé que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’obligeait pas les auteurs d’une communication à épuiser des recours qui n’offrent pas de perspectives raisonnables de succès, et il soutient qu’il aurait été vain de former d’autres recours en l’espèce, puisque pendant quatre ans toutes les institutions lui ont répondu que l’examen du recours en annulation n’avait pas entraîné une violation de ses droits.

7.2En ce qui concerne la durée de la procédure, l’auteur répète qu’il considère que l’examen de la décision du 13 juillet 2006 a été excessivement long puisqu’il a fallu plus de quatre ans pour réviser un jugement qui avait été prononcé en violation de son droit à la défense. Il affirme que le fait que l’État partie n’ait pris aucune mesure pendant une période aussi longue pour corriger la violation de ses droits était une source d’angoisse et représentait donc une violation des articles 2, 5 et 14 du Pacte.

7.3L’auteur fait également valoir que les victimes d’erreur judiciaire ont un droit à indemnisation.

7.4L’auteur conteste l’argument de l’État partie qui affirme que la participation d’un défenseur commis d’office à l’examen de l’affaire lors de l’examen du recours en annulation, le 16 mars 2011, a entièrement réparé la violation de son droit à la défense. Il maintient que, bien que l’avocate ait perçu des honoraires correspondant à cinq jours de travail, il ne l’a vue que trois fois − deux fois au cours des audiences devant le juge (le 23 octobre 2010 et le 16 mars 2011) par le biais d’une visioconférence, et une autre fois en personne, au centre de détention, où il s’est entretenu avec elle pendant quinze minutes. L’avocate n’était pas présente lorsque l’auteur a examiné son dossier, au motif qu’elle devait s’occuper d’autres affaires, et l’auteur n’a pas eu la possibilité de la consulter au  sujet de sa défense. À l’audience sur le recours en annulation, elle n’a pas présenté de requête distincte, se contentant d’affirmer qu’elle appuyait le recours de l’auteur. Sa participation s’est limitée à ces interventions.

7.5L’auteur affirme en outre qu’il a participé à l’audience sur le recours en annulation par visioconférence, alors qu’il avait demandé à être présent en personne, et qu’il n’a donc pas eu la possibilité de s’entretenir avec son avocat au sujet des arguments avancés par le procureur à l’audience. Il évoque un arrêt de la Cour constitutionnelle selon lequel il n’est pas établi que le prévenu a les mêmes possibilités sur le plan procédural d’examiner et d’évaluer les nouveaux éléments de preuve quand la visioconférence est utilisée, vu qu’il n’aurait pas eu la possibilité d’étudier avec son avocat les documents supplémentaires et autres éléments, non inclus dans les pièces écrites relatives au recours en annulation. L’auteur affirme en outre que la participation du prévenu à l’audience sur le recours en annulation est régie par l’article 376, paragraphe 3, du Code de procédure pénale et que la Cour constitutionnelle a maintes fois affirmé que la participation de l’inculpé constituait une garantie nécessaire au respect des droits de la défense et au règlement équitable de l’affaire en annulation. Il fait valoir de surcroît que dans l’intérêt de la justice, dans une procédure contradictoire, l’inculpé devrait avoir les mêmes droits que l’accusation et les autres participants au procès. Il affirme avoir demandé par écrit, à trois reprises, à être autorisé à participer en personne à l’audience en annulation mais que ses demandes ont été ignorées. L’auteur soutient par conséquent que la violation de son droit à la défense n’a pas été complètement corrigée lors de l’audience en annulation du 16 mars 2011, étant donné que le droit à un procès équitable comprend, entre autres choses, l’égalité des armes.

Observations complémentaires de l’État partie

8.En date du 19 novembre 2013, l’État partie a réaffirmé que par une décision du 6 octobre 2010 la Cour suprême avait établi que le droit de l’auteur de bénéficier d’une assistance en justice de qualité avait été violé et que l’affaire avait été réexaminée en annulation. D’après une note figurant au dossier, l’auteur avait demandé que sa défense soit assurée par un certain avocat, mais ce dernier a fait savoir que l’accord entre lui-même et l’auteur avait été annulé. Conformément à l’article 51 du Code de procédure pénale, la juridiction d’annulation a désigné une avocate pour protéger les intérêts de l’auteur. L’avocate s’est acquittée de ses obligations pour ce qui est d’assurer la défense de l’auteur. En particulier, le 20 décembre 2010 et le 10 mars 2011, elle a étudié le dossier; le 23 décembre 2010, elle a participé à une audience au cours de laquelle il a été statué sur la demande de réexamen de l’affaire formulée par l’auteur; le 9 mars 2011, elle a rendu visite à l’auteur au centre de détention; le 16 mars 2011, elle a pris part à l’audience en annulation. L’État partie réaffirme que le 16 mars 2011, la juridiction d’annulation a révisé le verdict prononcé contre l’auteur, excluant certaines des charges retenues contre lui et réduisant sa peine (voir plus haut par. 6.1). L’État partie fait valoir que, lorsqu’on lui a demandé s’il avait des requêtes supplémentaires à présenter à l’audience en annulation, l’auteur n’a pas précisé qu’il souhaitait revoir le dossier avec son avocate, ni sollicité de délai supplémentaire pour la consulter. De plus, dans ses demandes relatives à la procédure de contrôle de la décision du 16 mars 2011 portant sur le recours en annulation, datées du 14 juin 2011 et du 22 août 2011, l’auteur n’a invoqué aucune violation de son droit à la défense. L’État partie soutient que les allégations susmentionnées doivent être déclarées irrecevables en vertu des articles 2, 3 et 5 du Protocole facultatif et que les droits que l’auteur tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte n’ont pas été violés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé les droits consacrés par l’article 5 du Pacte. Il constate toutefois que cette disposition ne fait pas naître un droit individuel distinct. En conséquence, la plainte est incompatible avec le Pacte et irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.4Le Comité prend note des observations de l’État partie qui objecte que la communication devait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité relève toutefois que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif exige que la personne présentant la communication doit avoir épuisé tous les recours internes disponibles et il fait observer, en ce qui concerne la plainte initiale de l’auteur, que celui-ci avait présenté au moins neuf plaintes, y compris devant la plus haute instance judiciaire de l’État partie, et que celles‑ci avaient toutes été rejetées avant qu’il ne saisisse le Comité. Par conséquent, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’opposent pas à ce qu’il examine la requête en question.

9.5Le Comité note que d’après l’État partie la violation des droits de l’auteur au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, commise lors du premier examen du recours en annulation avait été corrigée moyennant un recours interne. Toutefois la réouverture d’une procédure n’empêche pas le Comité de déterminer si un recours utile a été offert à l’auteur. Le Comité observe que la procédure en annulation a bien été rouverte, mais seulement quatre ans et huit mois après la violation; il considère que l’auteur a suffisamment étayé l’affirmation selon laquelle il a été victime d’une violation de l’article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Par conséquent, le Comité estime que les dispositions de l’article premier du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner ce grief.

9.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui tient pour irrecevables les allégations de l’auteur, lequel invoque une violation du droit à la défense garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte commise lors du second examen du recours en annulation, car l’auteur s’est abstenu de faire valoir ce grief dans ses demandes relatives à la procédure de contrôle. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une demande de contrôle des décisions judiciaires passées en force de chose jugée présentée à un procureur ne constitue pas un recours utile qu’il faut avoir épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il considère également que le dépôt auprès du président d’un tribunal d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires devenues exécutoires, subordonné au pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il y a des chances raisonnables qu’une telle demande assurerait un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Or l’État partie n’a pas montré que les demandes de contrôle adressées au président de la Cour suprême étaient accueillies et suivies d’effet dans des affaires portant sur le droit à un procès équitable − et n’a pas indiqué, le cas échéant, dans combien d’affaires elles avaient abouti. Dans ces circonstances, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’opposent pas à ce qu’il examine la communication.

9.7Le Comité estime que les allégations de l’auteur concernant les violations de son droit à la défense commises lors de l’examen du recours en annulation soulèvent des questions au regard des paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14 du Pacte, et de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 3 d) de l’article 14, du Pacte, et qu’elles ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Il déclare donc ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 5 du paragraphe 1 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

10.2En ce qui concerne le grief de violation des droits garantis au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte lors du premier examen du recours en annulation, le Comité observe qu’il n’est pas contesté que l’auteur, qui était jugé pour des infractions graves, dont l’une pouvait emporter la peine de mort, n’a pas été informé qu’il avait le droit à un conseil et qu’il n’a pas été représenté pendant la procédure de recours en annulation. Le Comité estime que cette situation a entraîné une violation du droit à la défense consacré par le paragraphe 3 d) de l’article 14. Il note que toutefois, le 6 octobre 2010, la Cour suprême de l’État partie a reconnu que le droit de l’auteur à la défense avait été violé, qu’elle avait infirmé la décision prise sur le recours en annulation le 6 juillet 2006, ainsi que le verdict prononcé contre l’auteur, et que l’affaire devrait faire l’objet d’un nouvel examen enannulation.

10.3Concernant le grief de l’auteur qui affirme que l’État partie ne lui a pas assuré un recours utile pour la violation des droits qu’il tient de l’article 14, le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte prévoit que les États parties doivent veiller à ce que toute personne dispose de recours accessibles et utiles pour faire valoir ses droits consacrés par le Pacte et que la cessation d’une violation continue est un élément essentiel du droit à un recours utile. Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que le recours dont il disposait pour la violation de son droit à la défense, à savoir la procédure de contrôle des décisions judiciaires conformément à la législation de l’État partie, n’a pas été efficace, dans la mesure où elle a duré plus de quatre ans. Le Comité observe que la violation du droit de l’auteur à la défense a été finalement reconnue par la Cour suprême de l’État partie, et qu’un nouvel examen du recours en annulation a pu avoir lieu, mais que cela s’est produit plus de quatre ans après la violation. Il fait en outre observer que, durant ces quatre années, l’auteur a présenté de nombreuses requêtes afin que la procédure de contrôle soit engagée, requêtes qui ont été à chaque fois rejetées par le Bureau du Procureur général de Moscou, le Bureau du Procureur général et la Cour suprême. Compte tenu des faits dont il est saisi, le Comité conclut que, étant donné que la mise en œuvre de la procédure de contrôle a fait l’objet d’un retard excessif, l’auteur n’a eu accès à un recours utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte que lorsque la Cour suprême a infirmé la décision sur le recours en annulation. Le Comité considère par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

10.4Ayant conclu à une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs de violation du paragraphe 5 de l’article 14.

10.5Le Comité observe que l’auteur affirme que son droit à la défense au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte a été violé lors du second examen du recours en annulation parce qu’il n’a vu son avocate commise d’office que trois fois, que celle-ci n’était pas présente lorsqu’il a étudié son dossier, qu’il n’a pas eu la possibilité de la consulter au sujet de sa défense et qu’elle ne s’est pas acquittée avec diligence de son obligation d’assurer sa défense. Le Comité constate toutefois que, en l’espèce, l’avocate de l’auteur a examiné le dossier de l’affaire, participé aux audiences prévues au tribunal et appuyé son recours. Il relève en outre que l’auteur n’a déposé aucune requête aux fins de consulter l’avocate davantage au sujet de la procédure ou des preuves présentées à l’audience. À ce propos, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’un État partie ne peut avoir à répondre des erreurs éventuellement faites par un défenseur, à moins qu’il ne soit clairement apparu au juge que le comportement de l’avocat était incompatible avec les intérêts de la justice, ou que cela aurait dû lui apparaître. Les pièces dont le Comité est saisi n’indiquent pas que tel ait été le cas en l’espèce et, en conséquence, il n’y a pas matière à constater une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 pour ce motif.

10.6Le Comité prend note en outre des allégations de l’auteur qui affirme que le droit à la défense qu’il tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte a été violé au cours du second examen du recours en annulation parce qu’il a participé à l’audience par visioconférence. Le Comité estime que le paragraphe 3 d) de l’article 14 s’applique en l’espèce car le tribunal a examiné les éléments de fait et de droit relatifs à l’affaire, et a procédé à une nouvelle évaluation de la question de la culpabilité ou de l’innocence. Il rappelle qu’en vertu du paragraphe 3 d) de l’article 14, les personnes accusées d’une infraction pénale ont le droit d’être présentes au procès, et que les procès en l’absence de l’accusé ne peuvent être autorisés que dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, par exemple lorsque l’accusé, bien qu’informé du procès suffisamment à l’avance, refuse d’exercer son droit d’y être présent. Le Comité relève que l’auteur dit avoir soumis à trois reprises des requêtes écrites afin d’être autorisé à participer en personne à l’audience sur le recours en annulation, mais que celles-ci ont été ignorées. Il prend aussi note de l’allégation de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas eu la possibilité de consulter son avocate au sujet des arguments avancés par le procureur. Le Comité constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits de l’auteur au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 3 d) de l’article 14.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie à reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.