Nations Unies

CCPR/C/110/D/1935/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 mai 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1935/2010

Décision adoptée par le Comité à sa 110esession(10-28 mars 2014)

Communication présentée par:

O. K. (représentée par un conseil, Tony Ellis)

Au nom de:

L’auteur et son fils, N. K. (décédé)

État partie:

Lettonie

Date de la communication:

13 novembre 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er avril 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

19 mars 2014

Objet:

Enquête sur les circonstances du décès du fils de l’auteur

Question ( s ) de procédure:

Ratione materiae; non-épuisement des recours internes; abus du droit de présenter une communication

Question ( s ) de fond:

Droit à la vie; enquête efficace; torture

Article(s) du Pacte:

6 et 7

Article(s) du Protocole facultatif:

1, 3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (110e session)

concernant la

Communication no 1935/2010 *

Présentée par:

O. K. (représentée par un conseil, Tony Ellis)

Au nom de:

L’auteur et son fils, N. K. (décédé)

État partie:

Lettonie

Date de la communication:

13 novembre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2014,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est O. K., ancienne résidente de Lettonie, qui réside actuellement en Nouvelle-Zélande, agissant en son nom propre et au nom de son fils, N. K., décédé en 1994 à l’âge de 15 ans. L’auteur affirme que son fils est mort après avoir été roué de coups par une bande d’adolescents qui seraient de nationalité russe. Elle affirme que le fait que les autorités lettones n’aient pas enquêté sur la mort de son fils et les mauvais traitements qui l’ont précédée constitue une violation par la Lettonie des droits que son fils, N. K., tenait de l’article 6, et des droits qu’elle-même tient de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, Tony Ellis.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, O. K., ancienne ressortissante de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) et ancienne résidente de Lettonie, indique que, jusqu’en 1996, elle vivait à Riga, capitale de la Lettonie, où elle était professeur de russe. Son fils N. K., étudiant en art, vivait avec elle et sa grand-mère. La veille de son décès, il est sorti vers 18 heures. À 20 heures, il n’était pas rentré et l’auteur ignorait où il se trouvait. Vers 23 heures, des garçons du quartier ont averti l’auteur que son fils avait été conduit à l’hôpital no 1 de Riga après avoir été agressé par quatre garçons russes et qu’il saignait abondamment. L’auteur s’est immédiatement rendue à l’hôpital, qui se trouvait à une heure de chez elle. À son arrivée, elle a été informée que son fils était inconscient et sous assistance respiratoire et qu’elle ne pouvait pas le voir. Elle n’a pas été autorisée à voir son fils avant son décès vers 1 heure du matin le lendemain à la suite d’un «traumatisme crânien massif». Aux funérailles, l’auteur a constaté que son fils avait été gravement blessé à la tête.

2.2Pendant qu’elle attendait à l’hôpital, l’auteur a appris par le service d’admission de l’établissement que les quatre garçons russes dont on lui avait dit qu’ils avaient battu son fils avaient bu dans un hôtel bon marché du quartier. À une date non précisée, elle s’est rendue au poste de police le plus proche pour signaler les faits et communiquer les informations qu’elle avait recueillies sur les circonstances du décès. Un policier a pris note des renseignements et tous deux sont allés à l’hôtel en question, mais les suspects ne s’y trouvaient pas. L’auteur affirme que la police n’a pas vérifié le registre de l’hôtel pour relever les noms des quatre garçons russes et n’a pas non plus cherché à mener une véritable enquête. L’auteur est retournée au poste de police et a fait une autre déclaration, et on lui a dit de rentrer chez elle.

2.3Un examen post-mortem du corps de la victime a été réalisé le 2 janvier 1995. La cause du décès a été décrite comme suit: «traumatisme crânien massif; hématome épidural causé par une fracture à la base du crâne; traumatisme crânien causé par un objet contondant». Après l’enterrement, l’auteur a apporté le certificat de décès à la police pour l’aider dans son enquête. Cependant, l’enquêteur russe à qui elle a eu affaire était incapable de lire le certificat. Un an plus tard, l’auteur a été informée par téléphone par un enquêteur d’un autre poste de police que son fils était mort d’une crise d’asthme. Son fils, cependant, n’avait jamais souffert d’asthme. L’auteur affirme que les policiers qui ont enquêté sur la mort de son fils ont été soudoyés, ce qui était un problème endémique en Lettonie à cette époque. En conséquence, bien qu’elle ait déposé une plainte auprès de la police locale immédiatement après la mort de son fils, aucune enquête impartiale n’a été promptement menée. L’auteur fait valoir qu’elle souffre toujours du syndrome de stress post-traumatique et qu’elle cherche à savoir enfin quelle était la cause du décès de son fils, qui n’a pas fait l’objet d’une enquête appropriée, et pourquoi les autorités n’ont engagé aucune poursuite à la suite de cette agression.

2.4L’auteur indique qu’elle avait perdu son mari dans un accident de train trois mois avant la mort de son fils. Elle indique aussi que sa mère a eu une attaque cérébrale peu de temps après et qu’elle a dû s’occuper d’elle jusqu’à sa mort en mai 1996. Elle affirme qu’en raison de cette série malheureuse d’événements tragiques, elle a fait une dépression nerveuse et a commencé à avoir des problèmes psychiatriques graves, dont elle souffre toujours. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, elle fait valoir qu’elle n’était pas en mesure de faire davantage pression sur les autorités à cet égard. Elle ajoute qu’à l’époque, elle était de nationalité soviétique et n’avait qu’un permis de séjour en Lettonie, de sorte qu’elle ne pouvait pas insister. Après avoir tenté, en 1995, d’obtenir des réponses de la part des autorités de l’État partie sur les circonstances de la mort de son fils, elle aurait fait l’objet d’une «visite à la maison» et a reçu des menaces de mort contre elle et sa fille.

2.5L’auteur affirme en outre qu’à la suite de son remariage et de son émigration en Nouvelle-Zélande en 1997, ainsi que de la détérioration de son état de santé mentale, elle a été à la fois psychologiquement et physiquement incapable de continuer à suivre l’enquête sur la mort de son fils en Lettonie. Compte tenu du temps écoulé depuis les faits, elle a estimé qu’il était superflu de faire le point de l’enquête avec les autorités lettones lorsqu’elle a présenté la communication au Comité. Même si elle n’a pas épuisé tous les recours internes en Lettonie, elle affirme que son intention de le faire était claire et authentique, mais que des circonstances particulières l’ont empêchée de prendre les mesures nécessaires à cette fin et qu’il serait absurde de permettre à l’État partie de tirer profit de son refus d’enquêter. Elle affirme que la mort de son fils était un facteur important de son traumatisme et, partant, de son incapacité de poursuivre ses démarches.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le fait que les autorités de l’État partie n’aient pas enquêté sur les circonstances de la mort violente de son fils constitue une violation de leur obligation positive de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 6 du Pacte, y compris en prévenant les meurtres commis par des particuliers, en menant des enquêtes et en punissant les auteurs. Elle indique en outre qu’elle est convaincue que l’absence de véritable enquête sur la mort de son fils était motivée par des facteurs ethniques, car tant la bande de suspects qui avaient battu son fils que les policiers chargés de l’enquête étaient des Russes de souche, et non des Lettons. Elle estime que l’enquête avait été insuffisante et/ou avait visé à étouffer l’affaire et que la corruption avait également joué un rôle.

3.2Dans la mesure où elle a été privée du «droit de connaître» les circonstances dans lesquelles son fils est mort, ce qui équivaut à un traitement inhumain ou dégradant, l’auteur fait également valoir une violation de l’article 7 du Pacte en ce qui la concerne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par lettre du 4 octobre 2010, l’État partie a présenté un résumé des faits établis par les autorités compétentes peu de temps après les incidents en question. Il indique que vers la mi-journée, le 25 décembre 1994, le fils de l’auteur se rendait dans le centre de Riga avec des connaissances pour acheter de la nourriture et des boissons en vue d’une fête quand il a glissé sur la glace et est tombé. Dans la soirée du même jour, le fils de l’auteur est allé à l’hôtel où la fête avait lieu et a consommé environ 200 ml de vodka. Il s’est alors senti nauséeux, a vomi et s’est endormi vers 21 heures. Vers 23 heures, ses connaissances ont remarqué que de la salive mêlée de sang coulait de sa bouche et que les battements de son cœur étaient irréguliers. Elles ont essayé de le ranimer, ont appelé une ambulance et informé sa mère qu’il avait été conduit à l’hôpital. Le fils de l’auteur a été admis à l’hôpital vers 1 h 30 le 26 décembre 1994. À l’hôpital, un traumatisme crânien ayant entraîné une hémorragie massive dans la boîte crânienne a été constaté et une trépanation a été effectuée à 5 heures.

4.2L’État partie fait valoir que le même jour, l’auteur a déposé une plainte écrite auprès de la police en demandant que les coupables soient recherchés car son fils était dans le service de réanimation, dans un état grave. Elle a été interrogée en qualité de témoin et, le même jour, la police a interrogé les garçons qui étaient avec le fils de l’auteur la veille et à la fête. Les garçons ont également été interrogés à plusieurs reprises les jours suivants.

4.3Le fils de l’auteur est décédé le 28 décembre 1994 à l’hôpital. Le 30 décembre 1994, une autopsie a été pratiquée. Selon ses résultats, la cause du décès était un traumatisme crânien survenu quelques jours avant la mort. Le 2 janvier 1995, il a été décidé d’ouvrir une enquête pénale au titre du paragraphe 2 de l’article 105 du Code pénal (violences volontaires ayant entraîné des lésions corporelles graves). Le 6 janvier 1995, l’agent responsable a demandé les dossiers médicaux du fils de l’auteur, qui ont été reçus le 16 janvier 1995 et dans lesquels il était signalé un premier traumatisme crânien survenu en 1993. Le 15 janvier 1995, les membres du personnel de l’hôtel qui travaillaient la nuit où les faits se sont produits ont été interrogés par la police. Ils ont déclaré qu’ils n’avaient pas été témoins d’une quelconque dispute entre les personnes présentes dans la chambre d’hôtel et qu’il n’y avait aucun signe de bagarre sur les lieux. Les 22 et 27 octobre 1997, les connaissances du fils de l’auteur qui se trouvaient avec lui le 25 décembre 1994 ont été de nouveau interrogées. Elles ont dit qu’elles l’avaient vu glisser sur la glace et tomber en arrière. Le 16 mars 2001, la procédure pénale a été transmise à un autre poste de police, conformément à l’article 129 du Code de procédure pénale, pour complément d’enquête avant le procès. Le 30 décembre 2004, l’enquête pénale a été close car le délai de prescription de l’infraction présumée avait expiré.

4.4L’État partie présente le texte des dispositions de la législation interne en vigueur à l’époque qu’il juge pertinentes en l’espèce: l’article 220 du Code de procédure pénale et les articles 27, 38 et 39 de la loi sur la police.

4.5L’État partie fait valoir en outre que la communication est irrecevable car elle est dénuée de lien avec l’article 6 du Pacte. Il soutient que, contrairement aux allégations de l’auteur qui affirme que son fils a été victime d’un meurtre, il est fermement convaincu que ce décès ne résulte pas d’un acte criminel mais de la combinaison d’événements malheureux − traumatisme crânien précédent, conditions météorologiques, glissade et chute sur la glace. Il conclut que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif car elle est dénuée de lien avec l’article 6 du Pacte.

4.6L’État partie fait également valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles avant de présenter la communication au Comité. Il affirme que l’auteur aurait pu déposer une plainte pour inaction de la police, conformément à l’article 27 de la loi sur la police, mais qu’elle ne l’a pas fait. Il affirme également que l’auteur, en sa qualité de témoin dans l’affaire pénale, a aussi eu la possibilité de se plaindre des actes de la police auprès du Bureau du Procureur, conformément à l’article 220 du Code de procédure pénale, mais qu’elle n’a pas usé de ce droit. Il note en outre que le fait que l’auteur soit étrangère n’avait pas d’incidence sur son droit de se plaindre, car ce droit ne dépendait pas de la nationalité mais était déterminé par son statut dans la procédure pénale (à savoir sa qualité de témoin). Il fait valoir enfin que, même si son état mental ne lui permettait pas de suivre l’enquête activement, l’auteur aurait pu demander une aide judiciaire ou l’aide d’un tiers en qui elle avait confiance, par exemple sa fille. De plus, l’auteur ayant émigré dans un autre pays 13 ans auparavant, les autorités de l’État partie ne disposaient pas d’informations concernant l’adresse où envoyer la correspondance officielle. En conséquence, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas exprimé de manière suffisamment claire son intention de suivre l’enquête activement en exerçant son droit de se plaindre des actes des policiers auprès de différentes institutions et n’a donc pas épuisé les voies de recours internes avant de présenter sa communication au Comité.

4.7En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme être victime d’une violation de l’article 6 du Pacte, l’État partie fait valoir que, conformément à la jurisprudence du Comité, «l’ouverture d’une enquête pénale et ensuite de poursuites judiciaires représentent des recours nécessaires pour les violations de droits fondamentaux tels que ceux qui sont protégés par l’article 6». Il soutient que l’enquête menée dans cette affaire a établi la cause de la mort du fils de l’auteur et ses circonstances, et qu’aucun crime n’a été commis. Il reconnaît que l’enquête n’a pas abouti à une décision judiciaire, mais soutient que les éléments de preuve réunis suffisaient néanmoins à établir que la mort du fils de l’auteur était un accident tragique. En conséquence, il fait valoir qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 6 du Pacte.

4.8En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui fait état d’une violation de l’article 7 du Pacte, l’État partie fait valoir que dans sa jurisprudence, le Comité a constaté que les violations de l’article 7 résultant de la souffrance psychologique et de la détresse des victimes indirectes étaient dues au fait que les autorités de l’État ne leur avaient pas donné des informations suffisantes, portant ainsi atteinte à leur «droit de savoir» et leur faisant subir angoisse, tension et souffrance psychologique. L’État partie soutient que le cas d’espèce ne saurait être comparé à ces affaires, pour les raisons suivantes: le décès du fils de l’auteur n’a pas été causé par une activité criminelle, les autorités de l’État qui ont participé à l’enquête «ne peuvent pas être blâmées» pour ce décès, l’auteur ne s’est pas plainte de la qualité de l’enquête auprès du Bureau du Procureur et elle n’a pas informé les autorités de l’État de son changement de résidence. L’État partie conclut qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 7 du Pacte en l’espèce.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre du 9 mars 2011, l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi l’enquête pénale ouverte le 2 janvier 1995 et qui se poursuivait encore en 1997 a ensuite été bloquée jusqu’au 16 mars 2001, date à laquelle elle a été transférée à un autre poste de police. L’État partie ne donne pas non plus de détails ou d’explications sur ce qui s’est passé entre le 16 mars 2001 et le 30 décembre 2004, date à laquelle il a été décidé de classer l’affaire. L’auteur soutient que la seule explication raisonnable est qu’il n’y a pas eu d’enquête prompte et approfondie sur la mort de son fils et qu’une violation de l’article 6 devrait être constatée.

5.2En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’auteur fait valoir que, alors qu’il n’avait pas mené promptement une enquête pour déterminer si un crime (meurtre ou autre décès suspect) avait eu lieu, l’État partie a déclaré que la communication était irrecevable car le décès ne résultait pas d’actes criminels. Elle soutient que la conviction de l’État partie, selon qui il n’y a pas eu meurtre, se fonde sur une enquête déficiente, que la cause du décès n’a pas été déterminée par la justice et que, lorsque sa plainte a finalement été rejetée, dix ans après le début de l’enquête, rien n’a été fait pour lui notifier ce rejet.

5.3En ce qui concerne la question du non-épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’elle a déposé une véritable plainte afin d’épuiser ces voies de recours. Elle rappelle qu’elle avait de graves problèmes de santé mentale à la suite de la mort tragique de son mari, la mort de son fils et la maladie grave et la mort de sa propre mère, et qu’à l’époque elle n’était pas en mesure d’exercer ses droits.

5.4L’auteur note que l’État partie n’a pas fait d’observations concernant ses allégations de corruption généralisée de la police, qui prévalait au moment de la mort de son fils, ni les menaces de mort qu’elle a reçues contre elle-même et contre sa fille, qui l’ont également dissuadée de porter plainte auprès des autorités.

5.5L’auteur soutient en outre que, le 3 octobre 1997, elle a informé les autorités de l’État partie de son déménagement en Nouvelle-Zélande et que, en 2007, elle a demandé si elle pouvait recevoir une pension de la Lettonie et de nouveau indiqué qu’elle vivait en Nouvelle-Zélande. Elle soutient également que, à cette époque, elle avait un passeport russe et que les autorités russes avaient son adresse en Nouvelle-Zélande. Elle fait valoir que les autorités de l’État partie étaient au courant de sa situation et que si elles avaient voulu prendre contact avec elle, elles auraient pu écrire à l’ambassade de Russie en Lettonie en lui demandant de faire suivre leur courrier. Elle affirme que les autorités lettones n’ont jamais essayé de prendre contact avec elle pour l’informer de l’évolution ou de l’arrêt de l’enquête sur la mort de son fils.

5.6L’auteur souligne que, selon les observations de l’État partie, l’enquête n’a donné lieu à aucune décision judiciaire et a duré dix ans alors qu’elle portait sur une affaire relativement simple d’agression. Elle fait valoir que le délai raisonnable pour conclure cette enquête n’aurait pas dû excéder une année et qu’il ressort clairement de la réponse de l’État partie qu’il y a eu des années d’inactivité pendant l’enquête. Elle réaffirme qu’il n’y a eu d’enquête menée promptement et approfondie sur la mort de son fils.

5.7L’auteur fait valoir en outre qu’elle avait le droit de connaître, dans un délai d’un an après le décès, non seulement la véritable cause de la mort de son fils, mais aussi ce que l’État partie affirme qu’il est arrivé à celui-ci. Elle n’aurait pas dû avoir à attendre dix ans (ce qui aurait été le cas si elle avait été informée en 2004) ni seize ans comme cela a en réalité été le cas. Elle soutient que les plaintes concernant un décès doivent donner lieu à une décision rapidement, car à défaut cela revient à décider du bien-fondé de la plainte; elle renvoie par analogie à la jurisprudence du Comité dans des affaires de garde d’enfants. Elle fait valoir qu’en mettant tellement de temps à enquêter et en ne l’informant pas de l’issue de l’enquête, l’État partie l’a amenée à souffrir en permanence de problèmes de santé mentale, ce qui constitue une violation de l’article 7 du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Par une lettre du 4 novembre 2011, l’État partie indique qu’il a communiqué au Comité tous les éléments qu’il était possible de réunir alors qu’un si long laps de temps s’était écoulé depuis les faits en question. En ce qui concerne le transfert de l’enquête sur la mort du fils de l’auteur à un autre poste de police en 2001, il précise que ce transfert a eu lieu dans le cadre du processus de réorganisation de la police de l’État. Il regrette que l’auteur n’ait pas exercé plus tôt son droit de se plaindre auprès des autorités responsables, ce qui explique pourquoi il n’y a pas d’autres documents concernant l’efficacité de l’enquête sur la mort de son fils. Il rappelle que, même si l’auteur a eu peur des menaces de la police, comme elle l’affirme, elle aurait pu soumettre une requête au Bureau du Procureur, ce qui aurait appelé l’attention des institutions de contrôle sur les éventuelles insuffisances de l’enquête. Il fait valoir également qu’il est difficile d’imaginer comment ces prétendues menaces auraient bien pu la toucher en Nouvelle-Zélande. Par conséquent, l’État partie ne voit pas d’explication raisonnable à l’inaction de l’auteur, qui a duré quinze ans avant qu’elle ne décide finalement de présenter une communication au Comité. Il renvoie en outre à la pratique du Comité, pour qui une explication raisonnable doit justifier qu’une communication lui soit présentée avec un retard considérable. Il fait valoir que, bien que l’auteur ait mis ce retard sur le compte de son état de santé mentale, les certificats médicaux qu’elle a produits indiquent qu’elle «ne souffre de problèmes de santé mentale que sporadiquement (c’est-à-dire pas en permanence)». Le fait que l’auteur ait décidé de se plaindre non pas en 1997, lorsqu’elle a déménagé en Nouvelle-Zélande, mais en 2010, conduit l’État partie «à douter de la sincérité de la volonté de l’auteur de connaître les circonstances de la mort de son fils».

6.2L’État partie fait observer que l’auteur s’est adressée à diverses institutions de l’État à propos de différentes questions et a pris contact avec ses proches à l’étranger; il en déduit que rien ne l’empêchait de présenter sa communication au Comité plus tôt. En outre, il soutient que le fait que l’auteur ait chargé un avocat de la représenter devant le Comité «témoigne clairement de sa capacité à avoir conscience des conséquences de ses actes et de sa capacité à formuler des pensées et des opinions avec un degré suffisant de clarté et de cohérence, nonobstant ses problèmes de santé sporadiques».

6.3L’État partie fait valoir que les allégations de corruption au sein de la police formulées par l’auteur ne sont étayées que par une «histoire d’espionnage» publiée par un journal et indique qu’il ne fera aucune autre observation à ce sujet.

6.4L’État partie fait observer que les allégations de l’auteur qui prétend avoir pris contact avec les autorités lettones peu après avoir déménagé en Nouvelle-Zélande ne sont étayées par aucun document. Il renvoie en outre aux articles 3 et 15 de la loi sur l’enregistrement de la population et affirme qu’il incombait à l’auteur d’informer le Bureau de la nationalité et des migrations de son lieu de résidence et de son adresse si elle voulait que les autorités de l’État puissent la joindre (par exemple, pour l’informer des résultats de l’enquête sur la mort de son fils).

6.5L’État partie fait observer en outre que si l’assertion de l’auteur, qui affirme avoir la nationalité russe, est avérée, alors l’auteur «cherche à tromper le Comité et le Gouvernement au sujet de sa nationalité». Il indique également que «les faits de la cause révèlent que l’auteur a auparavant abusé du droit de recevoir des prestations de la Lettonie», car, d’après les informations communiquées par l’Agence nationale d’assurance de sécurité sociale, elle a reçu, pendant près de trois années après le décès de son fils, des «prestations de l’État versées pour son fils mineur». Il fait valoir que les faits ci-dessus «suscitent des doutes sérieux quant à ses véritables intentions lors de la présentation de la présente communication au Comité» et soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif (abus du droit de présenter une communication).

6.6L’État partie conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu des articles 1er à 3 du Protocole facultatif ou invite le Comité à conclure qu’aucune violation n’a été commise.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif car elle n’a pas de lien avec l’article 6 du Pacte, l’État partie étant convaincu que la mort du fils de l’auteur ne résulte pas d’un acte criminel mais d’un accident. Il fait cependant observer que cette conclusion n’est pas fondée sur la conclusion officielle de l’enquête menée par les autorités de l’État partie, étant donné que cette enquête pénale a été engagée par l’État partie au titre du paragraphe 2 l’article 105 du Code pénal (violences volontaires ayant entraîné des lésions corporelles graves) et a été close à l’expiration du délai de prescription, laissant ainsi ouverte la possibilité que la mort de la victime ait résulté d’un crime. Dans ces circonstances, le Comité considère que les dispositions de l’article premier du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

7.4En ce qui concerne l’obligation énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, puisqu’elle n’a pas déposé de plainte pour inaction de la police en vertu de l’article 27 de la loi sur la police, ni de plainte concernant la carence de la police auprès du Bureau du Procureur en vertu de l’article 220 du Code de procédure pénale. Le Comité relève que, tout en reconnaissant qu’elle n’a pas épuisé les recours internes, l’auteur fait valoir que ses problèmes de santé mentale l’ont empêchée d’exercer ses droits, et que la corruption largement répandue au sein de la police à l’époque du décès de son fils et les menaces de mort la visant ainsi que sa fille l’ont dissuadée de porter plainte auprès des autorités. Le Comité constate cependant qu’hormis sa plainte initiale auprès de la police, l’auteur n’a pas entrepris d’autre démarche pour dénoncer l’inefficacité de l’enquête, à part des demandes d’informations faites oralement, la dernière remontant à un an après la mort de son fils. Le Comité constate également que l’auteur n’a pas apporté de preuve concrète de corruption dans le contexte de l’enquête menée sur la mort de son fils et qu’elle n’a fourni aucune information sur les menaces de mort dont elle fait état. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré que les recours internes qui lui étaient ouverts étaient inefficaces, ni qu’elle était dispensée pour une quelconque autre raison d’exercer ces recours. En conséquence, le Comité conclut que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.5Ayant abouti à une telle conclusion, le Comité décide de ne pas examiner l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur a abusé de son droit de présenter une communication.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Fabián Salvioli et M. Víctor Rodríguez-Rescia

1.Nous sommes au regret de ne pouvoir souscrire à la décision du Comité des droits de l’homme concernant la communication no 1935/2010, dans laquelle le Comité conclut, au paragraphe 8 a), «que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif». Nous ne sommes pas d’accord avec le raisonnement que le Comité a suivi pour conclure à l’irrecevabilité au motif que l’auteur «n’a pas démontré que les recours internes qui lui étaient ouverts étaient inefficaces, ni qu’elle était dispensée pour une quelconque autre raison d’exercer ces recours».

2.Au contraire, puisqu’il s’agit d’une procédure pénale, nous sommes d’avis que l’auteur a fait le nécessaire pour qu’une enquête soit ouverte d’office sur la mort de son fils, comme il convient de le faire lorsqu’une infraction pénale relevant de l’action publique est signalée. Il incombait donc à l’État de mener l’ensemble de la procédure d’enquête avec la diligence voulue, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce puisque l’affaire a été classée au bout de dix ans du fait de l’expiration du délai de prescription sans qu’aucun jugement n’ait été rendu sur le fond.

3.Les faits présentés dans la communication touchent à l’absence d’enquête sur la mort du fils de l’auteur, laquelle serait la conséquence des coups portés par une bande d’adolescents apparemment de nationalité russe. Il ressort de l’étude du dossier que, quelques heures après les faits, l’auteur a déposé plainte au poste de police le plus proche, où sa déclaration a été enregistrée (par. 2.2). Elle a en outre pris des mesures pour faciliter l’enquête policière, et a notamment apporté le certificat de décès à la police. L’auteur a continué de suivre l’affaire jusqu’à ce que, environ un an après les faits, un enquêteur d’un autre poste de police l’informe que son fils était mort d’une crise d’asthme, alors qu’il n’était pas atteint de cette maladie et que l’examen post-mortem initial décrivait la cause du décès comme suit: «traumatisme crânien massif; hématome épidural causé par une fracture à la base du crâne; traumatisme crânien causé par un objet contondant».

4.D’après l’État, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles avant de présenter sa communication au Comité, puisqu’elle n’a pas déposé de plainte pour inaction de la police en vertu de l’article 27 de la loi sur la police, ni de plainte concernant la carence de la police auprès du Bureau du Procureur en vertu de l’article 220 du Code de procédure pénale. L’État partie n’a pas contesté que l’état de santé mentale de l’auteur ne lui permettait pas de suivre l’enquête activement, mais a affirmé que, même dans ces conditions, elle aurait pu demander une aide judiciaire ou l’aide d’un tiers en qui elle avait confiance, par exemple sa fille.

5.De l’avis des auteurs de la présente opinion individuelle, l’enquête policière ouverte le 2 janvier 1995 et close le 30 décembre 2004, à l’expiration du délai de prescription, relevait d’office de la responsabilité de l’État (puisqu’elle portait sur une infraction relevant de l’action publique) compte tenu de son caractère pénal. Contrairement à ce qui est le cas dans d’autres procédures, notamment civiles, il n’est pas nécessaire en matière pénale que l’action soit mise en mouvement par la partie concernée pour que des poursuites soient engagées et qu’une décision de justice, quelle qu’en soit la teneur, soit rendue. La plainte pénale déposée par l’auteur, mère de la victime, et les résultats de l’examen médico-légal pratiqué étaient des motifs suffisants pour ouvrir une enquête approfondie sur les faits. Au cours des dix années écoulées avant l’expiration du délai de prescription, il y a eu manque de diligence de la part des enquêteurs et de longues périodes pendant lesquelles aucune procédure n’a été engagée sur le fond.

6.L’enquête n’a été ni diligente ni rapide ni approfondie, et en conséquence la procédure a excédé des délais raisonnables. Or le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif dispose précisément qu’en pareil cas, l’intéressé est dispensé d’épuiser les recours internes. Compte tenu du caractère pénal de la procédure et de l’obligation faite à l’État d’ouvrir une enquête d’office, nous n’estimons pas nécessaire d’examiner si l’auteur avait des problèmes de santé mentale liés au décès tragique de son mari, au décès de son fils et à la maladie grave puis la mort de sa propre mère.

7.Le Comité aurait dû, au moins, déclarer la communication recevable pour permettre un examen de l’affaire au fond; la présente opinion ne préjuge en rien de l’issue qu’un tel examen aurait pu avoir.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]