Nations Unies

CCPR/C/110/D/2102/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 juin 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2102/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 110e session(10-28 mars 2014)

Communication présentée par:

Kalevi Paadar, Eero Paadar et sa famille, Veijo Paadar et Kari Alatorvinen et sa famille (représentés par un conseil, Johanna Ojala)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Finlande

Date de la communication:

22 septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 23 septembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

26 mars 2014

Objet:

Abattage forcé des rennes des auteurs

Question(s) de procédure:

Néant

Question(s) de fond:

Procédure inéquitable, droit à l’égalitéet à la non‑discrimination, droit des peuples autochtones de jouir de leur propre culture

Article(s) du Pacte:

14 (par. 1), 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif:

Néant

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (110e session)

concernant la

Communication no 2102/2011 *

P résentée par:

Kalevi Paadar, Eero Paadar et sa famille, Veijo Paadar et Kari Alatorvinen et sa famille (représentés par un conseil, Johanna Ojala)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Finlande

Date de la communication:

22 septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2102/2011présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteursde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont KaleviPaadar, Eero Paadar et sa famille (son épouse TaimiJetremoff et ses trois enfants mineurs, Hannu, Marko et PetriPaadar), VeijoPaadar et KariAlatorvinen et sa famille (son épouse Paula Alatorvinen et ses quatre enfants, Johanna, née le 13 décembre 1986, Jennika, née le 22 juin 1988, Joonas, né le 21 mars 1991 et JuuliAlatorvinen, née le 13 mars 2001). Tous, à l’exception deKariAlatorvinen, sont des autochtonessâmes. L’épouse et les enfants d’Alatorvinen sont aussi des Sâmes. Les auteurs affirment qu’il y a eu violation par la Finlande du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 26 et de l’article 27, seul et lu conjointement avec l’article premier, du Pacte. Ilssont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le23 mars 1976.

1.2Le 23 septembre 2011, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a prié l’État partie de s’abstenir de tout nouvel abattage forcé des rennes des auteurs tant que l’affaire était à l’examen. Le 23 mars 2012, l’État partie a indiqué qu’il s’était conformé à cette demande.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont éleveurs de rennes à temps plein. Ils vivent dans le village de Nellim et sont membres de la Coopérative d’élevage de rennes d’Ivalo («la Coopérative»), qui est constituée de deux groupes d’élevage, l’un au nord, autour du village de Nellim, et l’autre au sud, autour du village d’Ivalo. Le groupe d’élevage de Nellim et le village de Nellim forment une communauté sâme distincte à l’intérieur du territoire, plus vaste, de la Coopérative. Le groupe de Nellim est presque exclusivement composé de Sâmes et a conservé les méthodes traditionnelles d’élevage qui sont au cœur de la culture sâme. Les quatre auteurs et leur famille sont les dernières familles dont les revenus proviennent principalement de l’élevage des rennes. Les autres éleveurs du groupe de Nellim possèdent moins de rennes et l’élevage ne constitue pas leur source principale de revenus.

2.2Dans la région de Nellim, l’élevage des rennes est rendu difficile par la rudesse de l’hiver et le type de pâtures, différent de celui exploité par le groupe d’Ivalo. Outre les particularités liées aux pâtures, aux prédateurs et à l’enneigement, les méthodes employées par les deux groupes diffèrent en ce que l’élevage pratiqué par les auteurs repose exclusivement sur des pâturages naturels. Alors que les éleveurs du groupe d’Ivalo donnent à leurs rennes une quantité importante de nourriture, les auteurs ne donnent du fourrage à leurs rennes qu’en hiver pour les attirer vers des pâtures de lichen et les inciter à y rester. Le nourrissage des rennes ne fait pas partie des méthodes d’élevage sâmes, qui sont basées sur le pâturage libre.

2.3La Coopérative est un organisme de droit public. Il ne s’agit pas d’une association privée créée librement par ses membres, ni d’une unité traditionnelle d’élevage de rennes créée à l’initiative du peuple autochtone sâme qui, habituellement, pratiquait l’élevage au sein de communautés naturelles telles que le village ou la famille. Le système des coopératives a été imposé par la voie législative dans les années 1930 et il est actuellement régi par la loi sur l’élevage du renne («la loi») entrée en vigueur en 1990.

2.4La majorité des éleveurs membres de la Coopérative appartient au groupe d’Ivalo. Le groupe de Nellim compte moins de rennes et il est minoritaire pour la prise de décisions. Il a cherché sans succès à se séparer de la structure existante pour créer sa propre coopérative. Selon les auteurs, les désaccords au sein de la Coopérative sont nés de l’intervention de l’État, qui a créé des unités artificiellement vastes de gestion de l’élevage des rennes, au lieu de laisser les Sâmes déterminer eux-mêmes le type de communauté naturelle le plus adapté à leurs pratiques. L’élevage traditionnel des rennes chez les Sâmes est en effet basé sur de petits groupes d’éleveurs formés par des communautés naturelles qui possèdent leurs propres pâturages ancestraux.

2.5Conformément à l’article 21 de la loi, le Ministère de l’agriculture et des forêts fixe tous les dix ans le nombre maximum de bêtes sur pied que chaque coopérative peut avoir sur son territoire et le nombre maximum de rennes que chacun de ses membres peut posséder. En fixant le nombre maximum de têtes par troupeau, le Ministère doit veiller à ce que le nombre de rennes paissant sur le territoire d’une coopérative en hiver n’excède pas la capacité de régénération des pâturages d’hiver de cette coopérative.

2.6Conformément au paragraphe 1 de l’article 22 de la même loi, si le nombre de rennes sur pied que compte une coopérative, ou qui sont détenus par un propriétaire, dépasse le plafond fixé à l’article 21, la coopérative est tenue de décider, au cours de l’année d’élevage suivante, de réduire ce nombre pour le ramener au maximum autorisé. En vertu du paragraphe 2 de l’article 22, une coopérative peut décider, sur le fondement de motifs particuliers, que le nombre de rennes appartenant à un membre de la coopérative ne sera pas réduit, auquel cas des réductions équivalentes sont opérées auprès des autres propriétaires proportionnellement à la taille de leur troupeau. Conformément au paragraphe 3 de l’article 22, s’il s’avère au cours d’une l’année d’élevage que le nombre de rennes excédera l’année suivante le maximum autorisé, la coopérative peut décider de le réduire dès l’année en cours. La décision de la coopérative peut être exécutée immédiatement, à moins que le tribunal administratif n’en décide autrement à la suite d’un recours. Conformément au paragraphe 4 de l’article 22, si un propriétaire ne réduit pas le nombre de ses rennes en application de la décision de la coopérative, le président de la coopérative peut décider que celle-ci se chargera de cette réduction au nom dudit propriétaire.

2.7Au moment des faits, le nombre maximum de rennes autorisé était de 6 000 pour la Coopérative d’Ivalo. Les auteurs font valoir que ce nombre n’avait pas été dépassé au cours des quatre années antérieures à 2011. En fait, il n’avait été dépassé qu’une seule fois au cours de la décennie précédente (en 2004-2005).

2.8D’après les auteurs, depuis plusieurs années les plans d’abattage de la Coopérative sont conçus de telle manière qu’en pratique, le nombre de leurs rennes a chuté de façon spectaculaire, bien plus fortement que celui du groupe d’Ivalo. La raison en est la méthode appliquée par la Coopérative, qui ne tient pas compte du fait que, à la différence du groupe d’élevage d’Ivalo, les techniques naturelles d’élevage du groupe de Nellim, fondées sur la libre pâture, constituent un mécanisme automatique de contrôle de la taille du troupeau. Les pertes de jeunes rennes sont inhérentes aux méthodes traditionnelles d’élevage des Sâmes.

2.9Chaque année, une proportion importante des rennes nouveau-nés du groupe de Nellim disparaît dans la forêt en raison de divers facteurs naturels et, notamment, de l’action des prédateurs. À la période du rassemblement des troupeaux, entre octobre et janvier, 30 à 50 % des jeunes nés au printemps sont manquants. En comparaison, les pertes de jeunes subies par le groupe d’Ivalo sont beaucoup plus légères car les rennes restent plus près des établissements humains, ce qui limite leur exposition aux prédateurs. En outre, la zone d’élevage du groupe de Nellim est située dans une région plus vaste et isolée, aux confins de la Finlande, de la Norvège et de la Russie. Selon des études scientifiques récentes, les ours y sont nombreux, ce qui est la raison principale des lourdes pertes annuelles en jeunes. La législation en vigueur interdit de tuer et de déranger les ours et les aigles, soit toute l’année, soit au printemps et en été, ce qui correspond à la période durant laquelle se produisent les plus lourdes pertes de jeunes rennes. La seule manière légale d’éviter celles-ci serait d’abandonner la libre pâture sur pâturages naturels et d’introduire une alimentation complémentaire artificielle, ce qui à Nellim ne serait pas économiquement rentable et supposerait une modification forcée des pratiques traditionnelles d’élevage.

2.10Le fait que la pression de prédation s’exerce de manière inégale n’est pas pris en considération par la majorité au sein de la Coopérative lorsqu’elle décide du plan d’abattage. Le plan fixe un pourcentage d’abattage (généralement 70 % ou plus) basé sur le nombre de rennes adultes composant le troupeau des propriétaires à la fin de l’année d’élevage précédente, en mai. Par conséquent, le nombre d’animaux à abattre est déterminé sans que soient prises en compte les pertes intervenues au cours des mois précédents. Même si autour de 90 % des femelles adultes donnent naissance à un petit, plus de 50 % de ces petits ne sont plus en vie à la période du rassemblement. Les nouveau-nés ne sont pas pris en compte pour le calcul du nombre de rennes devant être abattus, mais ils peuvent être abattus pour satisfaire à l’obligation imposée aux éleveurs. Or, les éleveurs de Nellim, contrairement à ceux du groupe d’Ivalo, ne disposent pas d’un nombre suffisant de jeunes rennes pour atteindre leur quota d’abattage. Ils se voient donc contraints d’abattre des femelles adultes, sur lesquelles repose le capital productif de leur économie pastorale.

2.11En 2005 l’un des auteurs, Kalevi Paadar, a introduit un recours devant le tribunal administratif de Rovaniemi contre la décision de la Coopérative de réduire le nombre de rennes dans des proportions menaçant son activité professionnelle et son mode de vie en tant qu’éleveur de rennes sâme. Son recours a été rejeté le 13 décembre 2005, le tribunal ayant estimé que la décision de la Coopérative était légale. Kalevi Paadar a fait appel de ce rejet devant la Cour administrative suprême, laquelle a confirmé la décision du tribunal de Rovaniemi le 10 avril 2007.

2.12Le 31 mai 2007, lors de sa réunion de printemps, la Coopérative a approuvé le plan d’abattage pour l’année d’élevage 2007-2008. Celui-ci imposait des obligations d’abattage à tous les membres, sur la base d’un pourcentage identique calculé par rapport au nombre de bêtes sur pied que comptaient les troupeaux l’année précédente. Les rennes qui n’avaient pas été abattus au cours de l’année d’élevage 2006-2007 (les «arriérés») devaient être abattus en premier.

2.13Le 7 octobre 2007, lors de sa réunion d’automne, la Coopérative a décidé, concernant les arriérés de rennes à abattre, qu’elle se chargerait de l’abattage au nom des propriétaires. Cela signifiait pour les auteurs que tous les animaux qu’ils amenaient au rassemblement seraient abattus jusqu’à ce que les décisions de la Coopérative concernant la réduction du nombre de rennes prises l’année précédente aient été appliquées. Les auteurs étaient de surcroît tenus d’abattre une partie de leur troupeau correspondant au pourcentage d’abattage fixé pour l’année en cours. Selon eux, le nombre d’abattages total requis par la Coopérative dépassait le nombre de rennes adultes qu’ils possédaient à la fin de l’année d’élevage précédente. Même en tenant compte du nombre potentiel de jeunes (correspondant à 50 à 60 % du nombre de femelles adultes), les abattages imposés dépassaient le nombre total de rennes dont les auteurs estimaient pouvoir disposer à la période des rassemblements. Il ne leur resterait pratiquement aucun animal et ils ne seraient pas en mesure de poursuivre leur activité d’élevage car, conformément à la loi, les éleveurs ne peuvent faire l’acquisition de nouveaux rennes pour continuer l’élevage une fois qu’ils ont perdu l’ensemble de leur troupeau.

2.14Le cas de Nellim n’est pas unique dans les régions sâmes de la Laponie. Des litiges similaires opposent les coopératives et les groupes sâmes qui en sont membres au sujet du nombre de rennes à abattre. Cependant, la plupart des coopératives sâmes de l’État partie appliquent des systèmes d’abattage différents de celui employé à Ivalo, en ce qui concerne la manière dont les pertes de jeunes rennes sont prises en considération. Dans ces systèmes, des pourcentages d’abattage différents s’appliquent aux rennes adultes et aux jeunes, et les lourdes pertes en jeunes ne sont pas sanctionnées par des abattages supplémentaires de rennes adultes, comme dans le modèle d’Ivalo. Le problème fondamental posé par ce modèle est que la réduction du nombre de rennes n’est pas calculée par rapport au nombre réel de bêtes sur pied présentes lors des rassemblements, mais par rapport à un chiffre qui, au moment de l’abattage, est largement faussé. Les autres modèles permettent aux propriétaires de conserver leur part proportionnelle du troupeau de la coopérative indépendamment du fait qu’un nombre élevé de jeunes disparaisse.

2.15Les auteurs ont introduit un recours devant le tribunal administratif de Rovaniemi contre la décision de la Coopérative en date du 7 octobre 2007 et ont demandé des mesures provisoires de protection. Ils faisaient valoir que l’application uniforme du plan d’abattage à tous les membres de la Coopérative privait les Sâmes de leurs sources de revenus et de leur culture et était donc discriminatoire à leur égard. Le 11 octobre 2007, le tribunal a ordonné d’interrompre l’abattage. À cette date, la Coopérative avait déjà abattu une partie du troupeau des auteurs. Le 19 octobre 2007, le tribunal administratif a rejeté le recours sans l’examiner au fond. Son jugement ne mentionnait pas l’origine sâme des auteurs, ni le Pacte. Le jour même les auteurs ont saisi en référé la Cour administrative suprême d’une demande en indication de mesures conservatoires, en précisant dans leur requête que l’abattage devait continuer le lendemain, un samedi. Comme il n’y avait personne pour statuer sur cette requête pendant le week-end, l’abattage s’est poursuivi le 20 octobre 2007. Le 23 octobre 2007, la Cour administrative suprême a néanmoins ordonné qu’il y soit mis fin.

2.16Le 4 avril 2008, la Cour administrative suprême a infirmé le jugement du tribunal administratif de Rovaniemi et lui a renvoyé l’affaire pour qu’il statue à nouveau. Dans son jugement du 15 août 2008, le tribunal administratif de Rovaniemi a rejeté les demandes des auteurs. Il a estimé que les membres de la Coopérative devaient être traités sur un pied d’égalité quelle que soit leur origine ethnique. Par conséquent, la décision de la Coopérative du 7 octobre 2007 ne pouvait être considérée comme discriminatoire à l’égard des Sâmes au regard de la Constitution et des instruments internationaux liant l’État partie.

2.17En septembre 2008, les auteurs ont fait appel devant la Cour administrative suprême, au motif que la mise en œuvre de la décision de la Coopérative du 7 octobre 2007 signifierait la fin de leurs activités d’élevage, car l’abattage forcé toucherait aussi leur «capital», à savoir les rennes femelles. Elle impliquerait donc la disparition du troupeau de Nellim en tant qu’unité indépendante, le nombre des éleveurs et des rennes restants étant insuffisant. La source des revenus des Sâmes à Nellim serait ainsi tarie. À l’appui de ces arguments, non contestés par la Coopérative, les auteurs faisaient notamment référence à l’article 27 du Pacte.

2.18La Cour a demandé au Gouvernement de lui soumettre un exposé concernant l’application de l’article 22 de la loi sur l’élevage du renne et les questions liées à la situation des Sâmes en tant que peuple autochtone. Des exposés ont été reçus du Ministère de l’agriculture et des forêts, du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la justice, de l’Institut finlandais de recherche sur le gibier et la pêche et de l’Association des éleveurs de rennes.

2.19Le 2 février 2011, la Cour administrative suprême a confirmé le jugement du tribunal administratif de Rovaniemi. Dans son arrêt, elle estime que les effets de la décision de la Coopérative «sur les modalités de mise en œuvre de l’abattage des rennes pour les années en cause ne sont pas de nature à porter atteinte aux conditions nécessaires pour assurer la préservation et l’exercice de la culture (sâme), même en tenant compte des différences potentielles entre les méthodes d’élevage des rennes. En outre, il convient en la matière de prendre en considération, d’une part, l’égalité de manière générale, c’est-à-dire entre tous les éleveurs de rennes et, d’autre part, la réalisation de l’égalité entre les éleveurs de rennes sâmes, notamment au regard des contraintes liées aux pratiques d’élevage traditionnelles. À cet égard, il n’a pas été démontré, au vu des arguments présentés par les deux parties, que la coopérative d’élevage des rennes aurait méconnu dans ses décisions certaines exigences en matière d’égalité, notamment dans sa décision concernant les modalités de l’abattage des “arriérés” des appelants. Pour les motifs précités, la décision de la Coopérative d’élevage de rennes d’Ivalo en date du 7 octobre 2007 sur les modalités de mise en œuvre de la réduction du nombre de rennes n’est contraire ni à la Constitution finlandaise ni aux libertés et droits fondamentaux et aux droits de l’homme».

2.20L’arrêt de la Cour est définitif et n’est pas susceptible de recours. Par conséquent, les recours internes ont été épuisés. Le 18 septembre 2011, le conseil de la Coopérative a décidé que les auteurs devaient abattre tous leurs rennes à compter du 26 septembre 2011.

2.21Les auteurs ajoutent que, ces dernières années, deux questions ont causé des tensions entre eux et les autres membres de la Coopérative. L’une concerne le fait que les pâturages des deux groupes d’élevage ont été séparés par une clôture, ce qui rend difficile la pratique des méthodes traditionnelles sâmes d’élevage et constitue sans doute l’une des raisons des pertes en jeunes plus lourdes subies par le groupe de Nellim. La clôture empêche le troupeau de Nellim d’emprunter ses itinéraires de transhumance naturels et de retourner à ses territoires de pâture hivernale après l’été. Vu que le groupe d’éleveurs d’Ivalo dispose de la majorité des voix au sein de la Coopérative, la clôture reste fermée à cette période de l’année. L’autre question concerne les activités forestières du Service finlandais des forêts. L’élevage traditionnel des rennes tel qu’il est pratiqué par les Sâmes dépend des forêts naturelles et pâtit de l’exploitation forestière, ce qui explique pourquoi le groupe de Nellim s’oppose aux coupes de bois et autres mesures sylvicoles dans la zone dont il dépend. Le groupe d’Ivalo est le seul groupe d’élevage du territoire sâme en Finlande qui pratique le nourrissage extensif des rennes et applique des méthodes d’élevage non traditionnelles. Ce groupe est donc moins vulnérable à l’exploitation forestière. Le groupe d’Ivalo et par conséquent la Coopérative d’Ivalo se sont activement opposés aux actions du groupe de Nellim et d’autres coopératives d’élevage sâmes en faveur de la réduction par le Service des forêts des activités d’exploitation forestière.

2.22En 2010, une action en justice engagée par les Paadar contre le Service des forêts a débouché sur un accord entre les parties en vertu duquel l’essentiel des forêts restantes autour de Nellim a été épargné aux fins de l’élevage des rennes. Cependant, si les Paadar perdent leurs rennes, cet accord devient nul car il n’interdit l’exploitation des forêts en question que si les Paadar ou les membres de leur famille continuent à se consacrer à l’élevage des rennes.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que le fait que la Cour administrative suprême a rejeté leur appel sans avoir examiné les moyens juridiques, arguments et faits de la cause constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte par l’État partie. En outre, en demandant un exposé au Gouvernement, la Cour s’est soumise elle-même à l’exécutif, portant ainsi atteinte au droit des auteurs à une procédure équitable.

3.2L’abattage forcé de leurs rennes constitue pour les auteurs une violation de leur droit, garanti par l’article 27 du Pacte, de jouir de leur propre culture autochtone comme les autres Sâmes. Si tous leurs rennes sont abattus, les auteurs et leur famille ne pourront pas conserver leur mode de vie, ce qui signifie la disparition de leurs moyens de subsistance traditionnels. Les décisions de la Coopérative doivent prendre en considération les exigences liées à la préservation de la culture sâme, conformément au paragraphe 3 de l’article 17 de la Constitution finlandaise et à l’article 27 du Pacte.

3.3La décision de la Coopérative d’élevage de rennes d’Ivalo, organisme de droit public, relative à l’abattage des rennes des auteurs a un caractère discriminatoire, tant par son but que dans ses effets, et méconnaît l’article 26 du Pacte. Les auteurs ont été visés par des mesures d’abattage de leurs rennes disproportionnées en raison de leurs pratiques d’élevage sâmes, de leur origine ethnique sâme et de leur lutte contre la poursuite de l’exploitation forestière sur leurs terres ancestrales par le Service des forêts. Même si l’intention discriminatoire ne peut être démontrée au moyen d’éléments de preuve recevables devant un tribunal, les effets de l’abattage seraient discriminatoires en ce qu’ils affectent exclusivement les membres de la Coopérative appartenant au peuple autochtone sâme et employant les méthodes traditionnelles d’élevage qui sont inhérentes à leur culture.

3.4La menace qui pèse sur les auteurs de voir leurs rennes abattus parce que la loi sur l’élevage du renne ne reconnaît pas le mode d’élevage traditionnel pratiqué par les Sâmes résulte de l’absence de reconnaissance des droits fonciers de ce peuple par l’État partie. Les auteurs rappellent à ce propos les observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la Finlande dans lesquelles le Comité indiquait que «l’État partie devrait adopter dans de brefs délais des mesures décisives, de concert avec le peuple sâme, en vue de trouver une solution appropriée au litige foncier, en tenant dûment compte de la nécessité de préserver l’identité sâme, conformément à l’article 27 du Pacte» (CCPR/CO/82/FIN, par. 17). Les auteurs renvoient également au rapport du Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur les droits des populations autochtones, dans lequel il est indiqué que «la Finlande devrait intensifier ses efforts en vue de préciser et de protéger juridiquement les droits des Sâmes sur leur territoire et sur leurs ressources. Elle devrait en particulier garantir une protection spéciale pour l’élevage des rennes tel qu’il est pratiqué par les Sâmes, eu égard à la place centrale occupée par ce moyen de subsistance dans la culture et l’héritage du peuple sâme» (A/HRC/18/35/Add.2, par. 84).

3.5Les auteurs ajoutent que la langue sâme d’Inari est gravement menacée, car elle n’est plus parlée que par 300 personnes. Sa préservation dépend des communautés qui l’utilisent dans le cadre de pratiques collectives. Or Nellim compte parmi les principaux villages de locuteurs de cette langue et l’élevage des rennes par le groupe de Nellim est une pratique collective cruciale pour lui. Si les abattages prévus sont effectués, le groupe d’élevage de Nellim ainsi que l’élevage des rennes comme moyen de subsistance traditionnel des Sâmes du village de Nellim seront appelés à disparaître car le village est tributaire pour sa survie de l’élevage des rennes et du tourisme à petite échelle. Par conséquent, l’avenir du groupe et de l’ensemble du village − et donc de la langue sâme d’Inari − est menacé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale du 22 novembre 2011, l’État partie a indiqué qu’il ne formulait aucune objection à la recevabilité de la présente communication. Il a présenté des observations sur le fond le 23 mars 2012.

4.2L’État partie fait référence aux articles 21 et 22 de la loi sur l’élevage du renne. Il mentionne également le projet du Gouvernement relatif à cette même loi (HE 244/1989), selon lequel les conditions et les pratiques d’élevage des rennes varient en fonction des régions. Dans les régions montagneuses, elles font partie intégrante de la culture sâme et présentent des particularités locales. Le projet précise également que, dans l’ensemble, l’élevage des rennes comporte tant de traits communs qu’il serait injustifié de prévoir dans la loi des dispositions différentes selon les régions, mais qu’il est préférable d’y inclure uniquement des dispositions applicables à l’élevage des rennes en général.

4.3Conformément au nouveau système d’indemnisation instauré en application de l’article 14 de la loi relative aux dommages causés par le gibier (no 105/2009), une indemnisation devrait être versée pour la perte de jeunes rennes même si leurs restes ne sont pas découverts. Cette indemnisation peut être versée pour la période comprise entre le vêlage et le dernier jour du mois de novembre suivant. Son montant est calculé pour chaque coopérative sur la base du prix à la production de la viande de renne, du pourcentage estimé de vêlages dans la zone d’élevage considérée, du nombre de femelles sur le territoire de la coopérative et du taux estimé de mortalité des jeunes causée par les gros animaux sauvages sur ce territoire. Le montant de l’indemnisation accordée pour les autres rennes trouvés morts est multiplié par 1,5. Si la coopérative a subi des pertes exceptionnellement lourdes le montant de l’indemnisation est triplé.

4.4En ce qui concerne les procédures nationales dans la présente affaire, la Cour administrative suprême a déclaré dans son arrêt rendu le 11 février 2011 que la décision de la Coopérative concernant la réduction du nombre de rennes devait être appréciée du point de vue de l’égalité entre tous les propriétaires de rennes, d’une part, et entre les propriétaires sâmes, d’autre part. Or, le manquement aux exigences liées à l’égalité de traitement n’avait pas été démontré. À long terme, l’observation de l’article 21 de la loi sur l’élevage du renne devait contribuer à préserver la possibilité de pratiquer cette activité qui fait partie intégrante de la culture sâme. Ainsi, la décision d’abattage forcé prise par la Coopérative ne pouvait être considérée comme étant contraire à la Constitution ou au Pacte.

4.5Depuis l’année 2000, le nombre maximum de rennes autorisé pour la Coopérative d’Ivalo est fixé à 6 000 bêtes et chaque éleveur peut posséder au maximum 500 bêtes. Selon l’État partie, ces chiffres sont suffisants pour permettre la poursuite de l’élevage traditionnel tel qu’il est pratiqué par les Sâmes.

4.6Au cours de l’année d’élevage 2004-2005, le nombre de bêtes sur pied que possédait la Coopérative avait atteint 6 080 au total. En conséquence, le 30 juillet 2005, la Coopérative a décidé d’adopter un plan d’abattage pour l’année d’élevage 2005-2006. Dans le cadre des recours introduits par Kalevi Paadar, la conformité de ce plan d’abattage aux exigences de la loi sur l’élevage du renne a été confirmée par un arrêt de la Cour administrative suprême. Le 31 mai 2006, la Coopérative a adopté un nouveau plan d’abattage. Le 31 mai 2007, elle a publié une liste d’abattages indiquant pour chaque membre les «arriérés», à savoir les rennes n’ayant pas encore été abattus, et les «suppléments», à savoir les rennes déjà abattus en dépassement du contingent d’abattages obligatoires. Ces décisions n’ont fait l’objet d’aucune réclamation.

4.7Le 7 octobre 2007, la Coopérative a décidé d’exécuter les mesures décidées. Les auteurs ont introduit un recours contre cette dernière décision devant le tribunal administratif de Rovaniemi. Le 12 octobre 2007, ce tribunal a décidé qu’il devait être sursis à l’exécution. Cependant, il a rejeté le recours le 19 octobre 2007, car les auteurs n’avaient pas formulé de réclamation contre le plan d’abattage qui était à l’origine de la décision d’abattage forcé et qui avait été approuvé lors d’une réunion de la Coopérative.

4.8Il ressort des conclusions des deux parties devant la Cour administrative suprême que la plupart des éleveurs membres de la Coopérative sont des Sâmes. En outre, selon le jugement du tribunal administratif de Rovaniemi, la Coopérative a calculé que les autochtones sâmes détiennent en moyenne 58 à 60 % de l’ensemble des voix à ses réunions.

4.9Le 23 octobre 2007, à la suite de l’appel formé par les auteurs, la Cour administrative suprême a interdit à titre provisoire de procéder à l’abattage. Le 2 avril 2008, elle a invalidé le jugement du tribunal de Rovaniemi et a renvoyé l’affaire au tribunal pour réexamen. La Cour administrative suprême a estimé que la décision du 7 octobre 2007 était susceptible de recours parce qu’elle constituait la première décision relative à l’abattage des rennes prise sur le fondement du paragraphe 4 de l’article 22 de la loi sur l’élevage du renne.

4.10Le tribunal administratif de Rovaniemi a réexaminé le recours mais l’a rejeté le 15 août 2008. Il a cependant confirmé l’interdiction d’exécuter la décision de la Coopérative jusqu’à l’adoption d’une décision définitive dans l’affaire en cause. Les auteurs ont interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative suprême qui les a déboutés le 11 février 2011.

4.11La création des coopératives d’élevage de rennes répondait à la nécessité de disposer d’unités administratives aux fins de l’organisation de l’élevage, notamment pour la distribution des subventions agricoles et l’indemnisation des dommages causés par les gros animaux sauvages. Leur taille importante est censée correspondre aux besoins locaux en matière d’élevage de rennes. La plupart comprennent parmi leurs membres des Sâmes et des non‑Sâmes. La loi finlandaise interdisant de collecter des données sur l’origine ethnique, il est impossible de fournir des statistiques officielles sur le nombre de membres sâmes ou non sâmes des différentes coopératives.

4.12Les auteurs indiquent que le groupe d’élevage de Nellim a souhaité se séparer de la Coopérative d’Ivalo pour créer sa propre coopérative. L’État partie précise que cela n’a pas été possible, faute d’accord au sein de la Coopérative d’Ivalo sur la question de la délimitation du territoire du groupe de Nellim.

4.13Les auteurs fondent principalement leur communication sur la pratique de l’élevage traditionnel des rennes par les Sâmes. Cependant, ils ne précisent pas ce qu’ils entendent par cette pratique. On ignore s’ils font référence à un mode de vie nomade, selon lequel les éleveurs se déplacent d’un lieu à un autre avec leurs troupeaux. Normalement, les éleveurs se déplacent en véhicules motorisés et vivent dans des bâtiments construits pour les besoins de l’élevage.

4.14Nonobstant l’existence de diverses méthodes d’élevage des rennes − traditionnelles, évolutives, mixtes ou modernes − tous les éleveurs ont la responsabilité commune de maintenir le nombre de leurs bêtes sur pied dans la limite du maximum autorisé, de manière à préserver la capacité de régénération des pâtures d’hiver de la coopérative. La population des rennes finlandais est dominée par les animaux femelles, pour maximiser la production de jeunes et les revenus des éleveurs. La forte proportion de jeunes dans les troupeaux a permis d’accroître le nombre de rennes. En principe, les jeunes sont abattus avant que les rennes ne se déplacent vers leurs pâturages d’hiver, ce qui permet d’éviter un broutage excessif de ceux-ci. L’objectif de ces pratiques est d’accroître la rentabilité de l’élevage des rennes et de préserver ainsi ce moyen de subsistance à l’avenir.

4.15Selon l’arrêt du 11 février 2011, la Coopérative compte des membres sâmes qui ont satisfait à leur obligation d’abattage. Il semble donc que la présente affaire ne porte pas sur l’inégalité de traitement entre les éleveurs sâmes et non sâmes, mais plutôt sur une divergence de vues entre les membres de la Coopérative. L’arrêt montre que les opinions diffèrent largement sur les méthodes d’élevage des rennes.

4.16Le Ministère de l’agriculture et des forêts a mené une enquête sur les dégâts causés aux troupeaux de rennes par les animaux sauvages sur le territoire de la Coopérative d’Ivalo et conclu qu’ils ne différaient pas sensiblement des dégâts causés ailleurs dans la zone d’élevage ou le territoire sâme. Ainsi, en 2004, un ours a été à l’origine de pertes particulièrement lourdes au cours de la période de vêlage. Cependant, cet incident ne s’est pas produit sur le territoire de Nellim, mais dans la partie méridionale du territoire de la Coopérative. En vertu de l’article 41 de la loi sur la chasse, il est possible de demander l’autorisation exceptionnelle d’abattre un gros animal sauvage à l’origine de dommages. Les auteurs n’ont pas demandé d’autorisation exceptionnelle. En automne, ils ont la possibilité de chasser l’ours sur le territoire d’élevage des rennes, en respectant un certain quota. Au cours de la période couverte par la communication, ce quota n’a pas été atteint si rapidement que les auteurs n’auraient pas eu la possibilité d’en bénéficier. Les autorités compétentes n’ont pas connaissance de demandes d’autorisation visant l’abattage d’animaux sauvages causant des dommages aux troupeaux de rennes dans la région particulière de Nellim.

4.17Les auteurs indiquent qu’ils pratiquent l’élevage des rennes selon la méthode traditionnelle. D’après l’État partie, cette méthode devrait permettre aux éleveurs de surveiller l’étendue des dégâts causés aux troupeaux par les gros animaux sauvages de manière beaucoup plus efficace que la méthode de pâture entièrement libre. Le Conseil régional de Laponie a expressément proposé d’utiliser le gardiennage comme moyen de faire reculer les pertes causées aux troupeaux de rennes par les animaux sauvages.

4.18En ce qui concerne les griefs soulevés par les auteurs au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme que les juridictions nationales, y compris la Cour administrative suprême, ont examiné de manière approfondie la demande des auteurs − particulièrement sous l’angle des droits spéciaux dont les Sâmes sont titulaires − en tenant compte des obligations internationales relatives aux droits de l’homme et notamment de celles découlant du Pacte. Elles ont motivé leurs décisions de manière appropriée et détaillée. Une procédure équitable, tel que définie à l’article 14, est garantie lorsque la juridiction concernée, en l’espèce la Cour administrative suprême, dispose de toutes les informations nécessaires à un examen approfondi de l’affaire. Les garanties d’une procédure équitable imposent de veiller à ce que toutes les parties aient bénéficié du droit d’être entendues.

4.19L’État partie conclut que les faits de l’espèce ne font apparaître aucune violation des articles 14 et 26, ni de l’article 27 seul ou lu à la lumière de l’article premier du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 18 juin 2012, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils réaffirment que l’arrêt de la Cour administrative suprême sonne le glas de l’activité d’élevage de rennes du groupe de Nellim, fait qui n’est pas contesté par l’État partie. Les répercussions de la disparition complète d’un groupe entier d’élevage de rennes sont considérables, en ce qu’elles signifient pour les Sâmes un déni du droit de jouir de leur propre culture. Les pâtures et les situations respectives des groupes d’élevage de Nellim et d’Ivalo sont différentes − ce qui devrait être pris en considération dans les décisions concernant, notamment, l’abattage forcé. La législation et son application entraînent une différence et une inégalité de traitement entre ces deux groupes.

5.2Dans ses observations, l’État partie ne tient pas compte du rôle des prédateurs en l’espèce. Les auteurs contestent l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’indemnisation accordée pour couvrir les pertes est suffisante et constitue une façon efficace de remédier aux problèmes posés par les animaux particulièrement nuisibles. Premièrement, à Nellim les pertes de jeunes rennes sont extrêmement lourdes et atteignent à peu près le même niveau chaque année. Deuxièmement, la plupart des pertes sont causées par des ours appartenant à une population nombreuse installée dans la vallée de la rivière Paatsjoki. Pendant la période allant de 2000 à 2008, le taux de survie des jeunes de la Coopérative d’élevage de rennes de Paatsjoki s’est établi à 52 %, ce qui veut dire que presque la moitié des jeunes rennes avaient disparu dans la forêt avant le comptage d’automne. Au cours de la même période, les taux de survie pour les jeunes rennes des quatre auteurs ont été de 53 % (Kari Alatorvinen), 56 % (Eero Paadar), 58 % (Kalevi Paadar) et 58 % (Veijo Paadar), contre 66 % pour l’ensemble de la Coopérative d’Ivalo.

5.3Même si, à première vue, la différence entre les taux de survie des jeunes rennes du groupe de Nellim et de la Coopérative ne paraît pas considérable, elle suffit à empêcher les éleveurs de Nellim d’atteindre les quotas d’abattage fixés par la Coopérative. Le taux de survie de 66 % correspondant à l’ensemble de la Coopérative est calculé en tenant compte du taux beaucoup plus bas du groupe de Nellim, ce qui signifie que la différence est plus marquée qu’elle ne le paraît.

5.4En 2011, le Conseil régional de Laponie a publié un rapport sur les prédateurs et leur impact sur l’élevage des rennes. Selon ce rapport, la rentabilité économique de l’élevage du renne s’est effondrée en raison du nombre actuel de prédateurs dans la zone la plus touchée. Dans cette zone, la population d’ours est passée de 170 individus en 1995 à 370 à 420 en 2010 (soit une augmentation de 120 à 150 %). Les chiffres réels pourraient même être plus élevés car les personnes susceptibles de constater la présence de prédateurs sont moins nombreuses au nord de la Finlande que dans d’autres parties du pays. Le rapport indique également que les pertes survenues en été, causées notamment par des ours, sont très difficiles à repérer et à établir en raison de l’élimination rapide de la carcasse par les prédateurs et les charognards et du processus de décomposition.

5.5À propos du nouveau système d’indemnisation qui a été instauré pour couvrir les pertes de jeunes rennes sans qu’il soit nécessaire de les justifier, en application de la loi no 105/2009 relative aux dommages causés par le gibier, le Conseil régional fait observer que son fonctionnement s’est révélé inapproprié et problématique. Les auteurs affirment que cette constatation contredit la thèse de l’État partie selon laquelle le nouveau système aurait nettement amélioré la situation des propriétaires de rennes puisque le montant des indemnisations a augmenté malgré une diminution des dommages subis. Dans son rapport, le Conseil régional explique que le léger recul des pertes intervenu depuis l’année record de 2007 est dû à une diminution du nombre de rennes liée aux prédateurs. Selon une étude scientifique citée par le Conseil régional, les volumes d’abattage ont chuté simultanément dans les parties des zones d’élevage méridionales et orientales qui sont les plus touchées par les attaques de prédateurs. Vingt‑sept coopératives, c’est-à-dire presque la moitié des coopératives d’élevage de rennes de l’État partie, connaissent actuellement des difficultés liées aux prédateurs.

5.6Le système d’indemnisation pour les pertes de jeunes instauré par la loi relative aux dommages causés par le gibier n’était pas encore en vigueur lorsque la Coopérative d’Ivalo a adopté les décisions d’abattage en cause dans la présente communication. Néanmoins, même si le système d’indemnisation fonctionnait correctement, le problème soulevé par les auteurs ne serait pas résolu. Les éleveurs perdant, du fait des prédateurs, un nombre de jeunes rennes beaucoup plus élevé que la majorité des éleveurs de la Coopérative devraient tout de même abattre leur capital productif (à savoir les femelles adultes) pour atteindre leur quota d’abattage. Une indemnisation pécuniaire, même substantielle, ne saurait remplacer la perte de leurs moyens de subsistance. En outre, selon le rapport du Conseil régional, l’indemnisation de la perte des jeunes rennes est en fait loin d’être substantielle et ne couvre pas les pertes réelles. Par exemple, en 2011, pour la Coopérative de Paatsjoki, l’indemnisation n’a représenté que 6 % du nombre total de jeunes rennes, alors que les pertes réelles sur l’année ont atteint près de 50 %.

5.7Le Ministère des affaires étrangères a demandé au Conseil parlementaire sâme de formuler un avis sur l’abattage forcé dans le groupe d’élevage de Nellim. Dans sa réponse, en date du 23 mars 2012, le Conseil déclare que la loi sur l’élevage du renne ne tient pas compte du mode traditionnel d’élevage des rennes pratiqué par les Sâmes, bien que le paragraphe 3 de l’article 17 de la Constitution finlandaise reconnaisse à ces derniers le droit de préserver et de développer leur langue et leur culture propres. En outre, le projet du Gouvernement relatif à la loi sur le Parlement sâme et à la modification de la Constitution énonce que l’élevage des rennes, la pêche et la chasse font partie intégrante de la culture et des modes de subsistance traditionnels des Sâmes. Dans sa décision, la Cour administrative suprême ne traite que de la méthode formelle de réduction du nombre de rennes et ne se prononce pas sur l’argument principal des auteurs, à savoir que la décision de la Coopérative sur l’abattage forcé est contraire à l’article 27 du Pacte. Les auteurs n’ont donc pas bénéficié d’une procédure équitable telle que la garantit le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Parlement sâme est d’avis que tous les éleveurs de rennes sâmes et les membres de leur famille doivent être en mesure de pratiquer l’élevage des rennes dans leur région d’origine en tant que partie intégrante de leur mode de subsistance et de leur culture, et que des dispositions législatives nationales inappropriées font obstacle à l’exercice de ce droit ou le menacent. Les communautés et la langue sâmes se développent et restent viables grâce à l’élevage des rennes. La décision d’abattage forcé prise par la Coopérative constitue une violation du droit des auteurs d’utiliser leur propre langue.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité observe que l’État partie n’a formulé aucune objection au sujet de la recevabilité et que les recours internes ont été épuisés. Vu qu’il a été satisfait à tous les critères de recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquée par les parties.

7.2Le Comité prend note du grief des auteurs qui affirment être victimes d’une violation de leur droit à une procédure équitable garanti par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte en ce que la Cour administrative suprême a rejeté leur appel sans avoir examiné les moyens juridiques, arguments et faits de la cause et qu’en sollicitant un exposé du Gouvernement, la Cour s’est soumise elle-même à l’exécutif. Le Comité considère que les documents dont il est saisi ne permettent pas de penser que les juridictions ont agi de manière arbitraire en évaluant les faits et les éléments de preuve dans le cas des auteurs, ni que les procédures ont été entachées d’irrégularités et ont été constitutives d’un déni de justice. En conséquence, le Comité ne considère pas que les faits dénoncés constituent une violation des droits que les auteurs tiennent du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

7.3Les auteurs affirment être victimes d’une violation des droits qui leur sont garantis par les articles 26 et 27 du Pacte, en ce que les décisions d’abattage forcé de leurs rennes prises en 2007 par la Coopérative d’élevage d’Ivalo, en application de l’article 22 de la loi sur l’élevage du renne, ont eu des effets discriminatoires à leur égard. Lorsqu’elle a fixé le nombre de rennes à abattre afin de respecter le nombre maximum de rennes que la Coopérative et chacun de ses membres sont autorisés à détenir, la Coopérative n’a pas pris en considération le fait que les auteurs pratiquent des méthodes d’élevage traditionnelles sâmes, ni le fait que ces méthodes s’accompagnent de pertes plus importantes de jeunes rennes. De ce fait, le pourcentage de réduction du troupeau imposé par la Coopérative à tous ses membres sur la base du nombre de leurs rennes au début de l’année d’élevage a eu des conséquences néfastes sur la situation des auteurs, car au moment de l’abattage, à l’automne, leurs troupeaux avaient subi des pertes plus lourdes que ceux des autres membres, en raison des prédateurs.

7.4L’État partie indique que, selon l’arrêt de la Cour administrative suprême, la Coopérative comprend des membres sâmes qui ont satisfait à leurs obligations d’abattage. Il semble donc que la présente affaire ait pour objet, non pas une inégalité de traitement entre les éleveurs sâmes et non sâmes, mais une divergence d’opinion entre les membres de la Coopérative. L’arrêt montre que les opinions diffèrent largement sur les méthodes d’élevage des rennes.

7.5De l’avis du Comité, il n’est pas contesté que les auteurs sont membres d’une minorité au sens de l’article 27 du Pacte et, en tant que tels, ont le droit de jouir de leur propre culture. Il n’est pas contesté non plus que l’élevage du renne constitue un élément essentiel de leur culture. Dans ce contexte, le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle que des activités économiques peuvent relever de l’article 27 si elles constituent un élément essentiel de la culture d’une communauté ethnique. Le Comité rappelle également qu’en vertu de l’article 27, un membre d’une minorité ne doit pas être privé du droit de jouir de sa propre culture, et que des mesures dont l’effet équivaut à un déni de ce droit ne sont pas compatibles avec les obligations au titre de l’article 27.

7.6Le Comité rappelle le paragraphe 6.2 de son Observation générale no 23 (1994), où il indique ce qui suit:

«Bien que les droits consacrés à l’article 27 soient des droits individuels, leur respect dépend néanmoins de la mesure dans laquelle le groupe minoritaire maintient sa culture, sa langue ou sa religion. En conséquence, les États devront également parfois prendre des mesures positives pour protéger l’identité des minorités et les droits des membres des minorités de préserver leur culture … en commun avec les autres membres de leur groupe. À cet égard, il convient de souligner que ces mesures positives doivent être prises compte tenu des dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte, en ce qui concerne tant le traitement réservé individuellement aux différentes minorités que le traitement réservé aux personnes appartenant à des minorités par rapport au reste de la population. Toutefois, si ces mesures visent à remédier à une situation empêchant ou entravant l’exercice des droits garantis à l’article 27, les États peuvent légitimement établir une distinction conformément au Pacte, à condition de se fonder sur des critères raisonnables et objectifs.».

7.7Dans la présente affaire, les auteurs affirment que leurs pertes en jeunes rennes sont plus lourdes que celles du groupe d’Ivalo. Or, les éléments soumis au Comité ne comportent pas de chiffres à ce sujet. Les auteurs fournissent des données chiffrées sur le nombre de leurs rennes et la réduction imposée par la Coopérative pour la période 2010‑2011, mais non pour 2007-2008 et les années antérieures. La progression des réductions qui leur ont été imposées avant 2007, notamment par rapport à celles imposées aux autres membres de la Coopérative, n’est pas claire non plus et l’on ne voit pas, concrètement, comment ils en sont arrivés à une situation où tous leurs rennes devraient être abattus. En l’absence d’informations à ce sujet, le Comité n’est pas en mesure de conclure, au vu des éléments limités dont il dispose, que les conséquences des méthodes de réduction du nombre de rennes de la Coopérative d’Ivalo pour les auteurs étaient de nature à constituer une violation des droits garantis aux articles 26 et 27 du Pacte. En dépit de cette conclusion, le Comité estime important de rappeler que l’État partie doit être conscient lorsqu’il prend des mesures susceptibles d’avoir une incidence sur les droits consacrés par l’article 27 que, bien que certaines activités ne constituent peut-être pas en soi une violation de cet article, ces activités, prises ensemble, peuvent porter atteinte aux droits des Sâmes de jouir de leur propre culture.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles 26 et 27 du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de Walter Kälin, Víctor Manuel Rodríguez Rescia, Anja Seibert-Fohret Yuval Shany

Nous ne sommes pas en mesure de souscrire aux constatations du Comité qui a estimé que les faits dont il était saisi ne faisaient pas apparaître de violation de l’article 27 du Pacte. Nous regrettons que la décision de la majorité ne tienne pas suffisamment compte des faits de l’espèce. D’après les faits que les auteurs ont exposés, et qui n’ont pas été contestés, le conseil de la Coopérative d’élevage de rennes d’Ivalo a décidé que les auteurs − membres du groupe d’éleveurs de Nellim − devaient abattre tous leurs rennes à compter du 26 septembre 2011. La décision d’abattre les rennes des auteurs découle du système de coopératives instauré par l’État en application de la loi sur l’élevage du renne de 1990. En vertu du paragraphe 1 de l’article 21 de cette loi, le Ministère de l’agriculture et des forêts fixe le nombre maximum de bêtes sur pied que chaque coopérative peut avoir sur son territoire. Conformément au paragraphe 1 de l’article 22 de la loi, si le nombre de rennes sur pied que possède une coopérative ou un propriétaire dépasse un certain plafond, la coopérative doit décider de réduire le nombre de rennes pour qu’il ne dépasse pas le nombre maximum autorisé. Si le propriétaire ne réduit pas le nombre de ses rennes conformément à la décision de la coopérative, le président de la coopérative peut décider que celle-ci exécutera la décision pour le compte du propriétaire. En l’espèce, le recours que les auteurs ont formé contre la décision de la Coopérative de procéder à la réduction du nombre de rennes sur la base du plan d’abattage qu’elle avait adopté pour l’année d’élevage 2007-2008 a été rejeté par le tribunal administratif de Rovaniemi et la Cour administrative suprême. En conséquence, les auteurs subissent l’abattage de tous leurs rennes.

L’élevage de rennes est un élément essentiel de la culture des auteurs et il est donc protégé par l’article 27 du Pacte, selon lequel les personnes appartenant à des minorités ethniques ne peuvent être privées du droit de jouir, en commun avec d’autres, de leur propre culture. Par le passé, la méthode employée par le Comité a consisté à déterminer si l’ingérence de l’État partie dans cette activité d’élevage atteignait un seuil tel que ledit État partie ne protégeait pas de manière adéquate le droit des auteurs de vivre selon leur culture.

Dans la présente affaire, l’abattage de tous leurs rennes constituerait pour les auteurs une ingérence particulièrement grave qui porterait atteinte aux droits qui leur sont garantis par le Pacte, en ce qu’il les priverait de leur moyen de subsistance, essentiel pour qu’ils continuent à jouir de leur propre culture. Nous sommes conscients de ce que cette ingérence ne résulte pas d’un ordre direct d’abattre les rennes des auteurs prononcé par un organe de l’État partie mais plutôt de la décision prise par la Coopérative d’élevage de rennes d’Ivalo. Cependant, conformément à l’article 27 du Pacte, un État partie ne doit pas seulement s’abstenir de prendre des mesures qui équivaudraient à priver les membres de minorités du droit de jouir de leur propre culture, mais il est également tenu de prendre des mesures positives de protection «contre les actes commis par d’autres personnes se trouvant sur le territoire de l’État partie». À cet égard, nous admettons qu’il est raisonnable et compatible avec l’article 27 du Pacte d’autoriser les coopératives d’élevage à imposer des quotas d’abattage à leurs membres aux fins de la loi sur l’élevage du renne, qui vise à limiter le nombre de rennes pour des motifs économiques et écologiques et pour assurer la préservation et le bien-être de la minorité sâme. Cela étant, dans les cas de conflit apparent entre la législation, qui semble protéger les droits de la minorité dans son ensemble, et son application à un seul membre de cette minorité, le Comité s’est appuyé sur la considération suivante: une limitation des droits d’un individu appartenant à une minorité doit non seulement reposer sur une justification raisonnable et objective compte tenu des circonstances particulières de l’espèce mais doit aussi faire la preuve de sa nécessité pour la survie et le bien-être de la minorité dans son ensemble. L’État partie n’a pas montré que l’abattage de tous les animaux des auteurs était nécessaire pour atteindre cet objectif, et les éléments dont dispose le Comité ne nous permettent pas de conclure qu’en l’espèce l’objectif de limitation du nombre de rennes n’aurait pas pu être atteint par un autre moyen, ni que la réalisation de cet objectif justifiait la décision d’abattre tous les rennes des auteurs malgré son incidence très importante sur le droit des auteurs de jouir de leur propre culture. Pour ces raisons, nous concluons que le Comité aurait dû constater une violation des obligations qui incombent à l’État partie au titre de l’article 27 du Pacte.

[Fait en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]