Nations Unies

CCPR/C/117/D/2164/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 novembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2164/2012 * , **

Communication présentée par :

Sabita Basnet (représentée par un conseil, Philip Grant, TRIAL : Track Impunity Always)

Au nom de :

L’auteure et Milan Nepali (son époux)

État partie :

Népal

Date de la communication :

21 mai 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 juin 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

12 juillet 2016

Objet :

Disparition forcée

Question(s) de procédure :

Allégations insuffisamment étayées ; irrecevabilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; interdiction de la torture et des traitements cruels ou inhumains ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; respect de la dignité inhérente à l’être humain ; reconnaissance de la personnalité juridique et droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7, 9, 10 et 16

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est Sabita Basnet, qui présente la communication en son nom et au nom de son mari, Milan Nepali. Ils sont de nationalité népalaise, nés le 8 août 1970 et le 22 mai 1968, respectivement. L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits de M. Nepali au titre des articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1) et 16, pris isolément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 ; et ses propres droits au titre de l’article 7, pris isolément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 août 1991. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1À la suite du conflit armé qui a éclaté en 1996 dans l’État partie, on a constaté une nette détérioration de la situation des droits de l’homme au niveau national. Le nombre d’arrestations et de détentions arbitraires, d’actes de torture et de disparitions forcées a considérablement augmenté. Bien que le Parti communiste népalais-maoïste n’ait pas été déclaré « organisation terroriste » illégale par l’État partie avant 2001, des personnes soupçonnées de participation aux activités de ce parti ont été arrêtées par la Police népalaise en vertu de la loi no 2046 (1989) relative à la sécurité publique, ont été détenues au secret et ont disparu. Selon le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées ou involontaires, la majorité des cas de disparition qui lui ont été signalés se sont produits entre 1998 et 2004, dans le contexte des opérations anti-insurrectionnelles lancées par les forces de sécurité contre des membres et des sympathisants du Parti.

2.2L’auteure et son mari vivaient dans la municipalité de Katmandou, Dhapasi VDC, Wead no 3, au moment des faits. Ils avaient deux enfants mineurs, nés en 1994 et 1995. L’auteure affirme que son mari travaillait comme journaliste pour un quotidien de gauche (maoïste), Janadesh, depuis 1992. Elle occupait pour sa part un poste d’assistante administrative dans une entreprise privée. Tous deux étaient membres actifs du Parti communiste népalais-maoïste et participaient fréquemment à ses activités. Le mari de l’auteure, soupçonné d’être maoïste, avait déjà été arrêté et détenu par la police à deux reprises : en juillet 1995, avec l’auteure, et en mars 1997. Il avait été relâché au bout de dix‑sept jours et d’un mois, respectivement.

2.3Le 21 mai 1999, l’auteure et son mari se sont rendus ensemble dans la principale zone commerciale de Katmandou, en plein centre. Alors qu’ils se trouvaient à Sundhara, 6 ou 7 policiers non armés, certains en uniforme, se sont approchés, ont arrêté le mari de l’auteure et lui ont demandé de les suivre pour l’interroger. L’auteure affirme que, lors de son arrestation, son mari n’a été accusé d’aucune infraction. Il a été conduit dans une fourgonnette vers une destination inconnue. Elle affirme aussi n’avoir rien dit aux policiers car son mari avait déjà été arrêté et relâché à deux reprises. Elle ne voulait pas être identifiée comme sa femme pour éviter d’être arrêtée. Les jours suivants, elle s’est rendue à plusieurs reprises dans tous les postes de police principaux et secondaires de Katmandou, à la recherche de son mari, et ce, sans succès. À une date non précisée, le Bureau de police du district de Hannumandhoka (Katmandou) a informé l’auteure que son mari n’était pas autorisé à recevoir de visites, y compris de membres de sa famille, en application d’ordres donnés par la police et le Ministère de l’intérieur.

2.4Le 26 mai 1999, un ami du mari de l’auteure, A. M., a présenté une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême en faveur de M. Nepali. Il était indiqué dans la requête que M. Nepali avait été illégalement arrêté et emmené dans une fourgonnette par des policiers le 21 mai 1999 et que, malgré des demandes adressées à la police, aucune personne − y compris les membres de sa famille − n’avait été en mesure de le voir.

2.5L’auteure dit avoir reçu le 4 juin 1999 un appel téléphonique anonyme d’un homme qui affirmait que son mari était toujours détenu au siège de la Police népalaise à Naxal (Katmandou). Elle s’y est rendue le lendemain et a demandé à voir son mari. La police a refusé mais l’a autorisée à laisser des vêtements propres pour son mari. L’auteure affirme que, bien qu’elle n’ait pas pu voir son mari, la manière dont le policier de permanence a pris les vêtements pour les remettre à son mari était une façon implicite de reconnaître que ce dernier était bien détenu dans les locaux de la police. Par la suite, elle s’est rendue au siège de la police presque tous les jours, mais l’autorisation de voir son mari lui a été systématiquement refusée.

2.6Le 10 juin 1999, l’auteure, accompagnée d’une amie, K. B. s’est rendue de nouveau au siège de la police et a laissé d’autres vêtements propres à l’intention de son mari. Le policier de permanence lui a remis des vêtements sales appartenant à son mari pour les faire laver. Par la suite, l’auteure et son amie sont montées sur une colline non loin du siège de la police, du haut de laquelle elles ont pu voir l’intérieur du bâtiment. L’auteure dit avoir aperçu son mari pendant environ deux minutes alors qu’il était conduit aux toilettes puis ramené par un policier. Il était menotté mais semblait en relativement bonne santé physique. L’auteure a crié pour attirer l’attention de son mari, mais elle était trop éloignée et il n’a pas pu l’entendre. L’auteure affirme que c’était la seule fois où elle l’a vu après son arrestation. Le 20 juin 1999, des proches de M. Nepali ont adressé un appel écrit au Parlement dans lequel ils demandaient que soit rendu public le lieu où M. Nepali se trouvait et que celui-ci soit immédiatement relâché.

2.7Le 12 juillet 1999, la Cour suprême a annulé la requête en habeas corpus déposée par A. M. parce qu’il n’avait pas été établi que M. Nepali était bien en détention, A. M. n’ayant fourni aucun renseignement à la Cour sur le lieu où il était détenu. La Cour a fait observer que le Ministère de l’intérieur, le siège de la Police népalaise et le Bureau de l’administration du district de Katmandou affirmaient qu’ils n’avaient pas arrêté M. Nepali et que celui-ci n’était pas sous leur garde.

2.8L’auteure affirme que, le 6 août 1999, le Premier Ministre a rencontré des membres de l’Association des familles de victimes de disparitions dues à l’État, cofondée par elle ; et qu’en réponse à une demande d’information, le Premier Ministre a indiqué que leurs proches qui avaient disparu, dont M. Nepali, avaient été tués. L’auteure a demandé l’aide d’Amnesty International, qui, le 13 août 1999, a lancé un appel urgent demandant aux autorités népalaises de fournir des informations sur le sort de huit personnes arrêtées entre novembre 1998 et mai 1999, dont le mari de l’auteur.

2.9Le 17 août 1999, l’auteure a présenté une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême en faveur de son mari. Le Secrétaire du Ministère de l’intérieur, l’administrateur en chef du district et le siège de la Police népalaise ont fait savoir à la Cour que M. Nepali n’avait pas été arrêté. Le sous-inspecteur du Bureau de police du district de Hannumandhoka a déclaré que les allégations de l’auteure concernant l’arrestation de son mari par la police le 21 mai 1999 étaient fausses ; qu’aucun agent de police n’avait reçu l’ordre de l’arrêter ; et qu’il n’avait pas été illégalement détenu et torturé par la police ni n’avait été victime d’une disparition du fait de la police.

2.10Le 31 août 1999, un quotidien national, le Mahanagar Daily, a publié un article, selon lequel M. Nepali et cinq autres personnes, arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés d’être maoïstes, avaient été placés dans des conditions de haute sécurité dans les locaux de la police antiémeutes de la région de l’Ouest, à Pokhara (district de Kaski) et que, bien que le Premier Ministre ait déclaré qu’ils avaient été tués, certaines sources affirmaient qu’ils étaient toujours en vie et qu’ils avaient été torturés par la police. L’auteure soutient qu’elle n’a pas pu vérifier ces informations et qu’elle n’a pas pu se rendre à Pokhara pour rechercher son mari car elle devait s’occuper de ses deux jeunes enfants. Elle affirme en outre que c’était alors la dernière fois qu’elle recevait des informations sur le sort de son mari et l’endroit où il se trouvait.

2.11Le 6 septembre 1999, l’auteure a informé la Cour suprême que, selon le quotidien Mahanagar Daily, M. Nepali avait été transféré du siège de la Police népalaise à Katmandou, dans les locaux de la police antiémeutes à Pokhara.

2.12Les 10 et 20 septembre 1999, des membres de l’Association des familles de victimes de disparitions dues à l’État ont demandé au Premier Ministre de rendre publiques les informations concernant le sort de leurs proches, y compris celles concernant M. Nepali, et de traduire en justice les auteurs de ces disparitions.

2.13À la demande de l’auteure, le 1er octobre 1999, la Cour suprême a délivré un mandat de perquisition visant la police antiémeutes de Pokhara. Le 24 janvier 2000, l’Inspecteur adjoint du bataillon de police de Pokhara a démenti l’information selon laquelle M. Nepali avait été détenu par ce bataillon. Le 11 février 2000, la Cour suprême a ordonné à l’Inspecteur général de la police de fournir, dans un délai de quinze jours, une réponse écrite concernant le lieu où se trouvait M. Nepali. N’ayant pas reçu de réponse, le 20 mars 2000, la Cour a renouvelé sa demande à l’Inspecteur général. Le 9 juin 2000, le siège de la police a informé la Cour qu’il n’avait pas été possible de localiser M. Nepali et que celui-ci n’était pas détenu par la police. Le 5 juillet 2000, la Cour suprême a statué sur la requête en habeas corpus présentée par l’auteure et a estimé qu’après avoir épuisé tous les moyens possibles de trouver le requérant, on ne pouvait affirmer que M. Nepali était détenu par la police et que la Cour n’était pas en mesure de prendre une décision sans preuves solides et sur la seule base « d’intuitions et de suppositions ».

2.14L’auteure signale qu’elle a déposé une plainte concernant la disparition de son mari auprès de la Commission nationale des droits de l’homme, créée en 2000. Le nom de son mari a été inscrit sur la liste des disparitions liées au conflit ; toutefois, aucune enquête n’a jamais été menée. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont établi des bureaux au Népal plusieurs années après la disparition de M. Nepali. Le nom de ce dernier est également inscrit dans la base de données du CICR relative aux personnes disparues.

2.15En outre, l’auteure affirme qu’environ un an après la disparition de son mari, l’affaire a fait beaucoup de bruit ; que, dès lors, son employeur l’a licenciée au motif qu’elle était maoïste ; qu’elle n’a pu engager aucune action en justice contre son employeur car elle n’avait pas de contrat permanent ; et qu’il lui était devenu fort difficile de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants. De surcroît, elle consacrait tout son temps à la campagne publique visant à localiser son mari et n’avait pas repris d’activité salariée jusqu’en 2007.

2.16En 2008, l’auteure a reçu 100 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation provisoire accordée aux parents d’une victime de disparition forcée. Cette indemnité ne saurait être considérée comme une indemnisation suffisante ni remplacer une réparation intégrale.

2.17L’auteure dit avoir épuisé tous les recours internes. Les requêtes en habeas corpus présentées par A. M. et par elle-même ont été annulées par la Cour suprême, la plus haute juridiction interne, et il n’y a pas d’autre voie de recours interne à épuiser. En outre, aucune voie de recours n’est disponible dans la pratique pour poursuivre les auteurs de disparitions forcées et d’actes de torture. La Commission nationale des droits de l’homme ne saurait être considérée comme offrant un recours utile. En ce qui concerne le dépôt d’une plainte auprès de la police, le premier rapport d’information, il ne concerne que les infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, laquelle ne mentionne pas les disparitions forcées ni les actes de torture. En outre, le dépôt d’un tel rapport dans les cas de disparition ne constitue pas un recours approprié, les autorités faisant généralement valoir que la mort de la personne ne peut être prouvée en l’absence du corps. Même si elle est interdite en vertu du paragraphe 4 de l’article 14 de la Constitution provisoire et du paragraphe 1 de l’article 3 de la loi relative à l’indemnisation en cas de torture, la torture n’a pas été incriminée en droit interne. La loi relative à l’indemnisation en cas de torture ne traite pas de la responsabilité pénale mais prévoit uniquement une indemnisation d’un montant maximum de 100 000 roupies, une demande devant être déposée dans les trente-cinq jours suivant l’acte de torture ou la remise en liberté du détenu. En 2007, la Cour suprême a ordonné d’incriminer la disparition forcée mais aucune mesure n’a été prise à cet égard.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que son mari est victime d’une disparition forcée et que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1) et 16, pris isolément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 ; et les droits qu’elle‑même tient de l’article 7, pris isolément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.2Le mari de l’auteure a été arbitrairement privé de liberté par les forces de sécurité le 21 mai 1999 et conduit au siège de la police à Naxal (Katmandou), où il a été vu pour la dernière fois par l’auteure et son amie, K. B. Le 31 août 1999, le Mahanagar Daily a publié un article selon lequel, bien que le Premier Ministre ait annoncé que M. Nepali avait été tué, ce dernier et les autres personnes arrêtées par les forces de sécurité étaient encore en vie et étaient détenus dans les locaux de la police antiémeutes de Pokhara. Bien que M. Nepali ait été vu vivant pour la dernière fois, dans des circonstances mettant sa vie en danger, aux mains d’agents de l’État partie et que sa privation de liberté ait été rapidement dénoncée par sa femme, les autorités ont systématiquement nié l’avoir arrêté et placé en détention. Sa privation arbitraire de liberté a eu lieu dans un contexte d’arrestations massives, de disparitions forcées et d’actes de torture visant des personnes soupçonnées d’être maoïstes. Compte tenu de ces circonstances, la charge de la preuve incombe à l’État partie qui doit donner à l’auteure une explication satisfaisante et convaincante, établissant avec certitude et révélant ce qui est arrivé à son mari et le lieu où il se trouve. En conséquence, l’État partie n’ayant pas démontré le contraire, l’auteure soutient que la disparition forcée de son mari en tant que telle puis son probable assassinat sont constitutifs d’une violation par l’État partie du droit reconnu à son mari par l’article 6.

3.3La détention au secret et la disparition forcée du mari de l’auteure constituent en elles-mêmes un traitement contraire à l’article 7. En le maintenant en détention, sans contact avec le monde extérieur depuis le 21 mai 1999, les autorités l’ont mis à la merci de ses ravisseurs et l’ont fait vivre dans un état d’angoisse permanente. En outre, d’après l’article du Mahanagar Daily, il a été victime de torture pendant sa détention dans les locaux de la police antiémeutes, à Pokhara.

3.4L’auteure fait observer que l’isolement et la privation de communication avec le monde extérieur prolongés constituent en eux-mêmes un traitement cruel et inhumain, préjudiciable à l’intégrité psychologique et morale de l’intéressé, ainsi qu’une violation du droit de tout détenu au respect de la dignité inhérente à l’être humain. Par conséquent, elle estime que, malgré les rares preuves concernant les conditions de détention de M. Nepali, son maintien au secret, sans accès aux recours légaux ni contacts avec les membres de la famille, constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

3.5Le mari de l’auteure a aussi été victime d’une violation des droits qu’il tient des paragraphes 1 à 4 de l’article 9. Le fait qu’il a été vu vivant pour la dernière fois au siège de la police à Katmandou, dans le contexte de l’augmentation du nombre d’arrestations de personnes soupçonnées de participer aux activités du Parti communiste népalais-maoïste, laisse supposer qu’il a été privé de liberté par des agents de l’État le 21 mai 1999. Aucun motif légal n’a été fourni pour expliquer sa privation de liberté. Sa détention n’a été consignée dans aucun registre officiel. Il n’a jamais été inculpé ni présenté à un juge ou à tout autre agent habilité par la loi à exercer le pouvoir judiciaire. Il n’a pas eu la possibilité d’introduire un recours devant un tribunal pour contester la légalité de sa détention.

3.6Compte tenu de sa disparition forcée et du fait que les autorités n’ont pas mené d’enquête efficace pour déterminer où il se trouvait et ce qui lui était arrivé, M. Nepali est depuis mai 1999 soustrait à la protection de la loi, ce qui l’empêche de jouir de ses droits de l’homme et de ses libertés. En conséquence, l’État partie est responsable d’une violation continue de l’article 16 du Pacte.

3.7Bien que l’auteure ait rapidement signalé la privation arbitraire de liberté et la disparition forcée de son mari, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante n’a été menée d’office. Personne n’a encore été cité à comparaître ni reconnu coupable de privation de liberté arbitraire, de disparition forcée et de torture. De même, si le mari de l’auteur n’est plus en vie, sa dépouille n’a pas été retrouvée, identifiée et rendue à ses proches. En conséquence, l’État partie a violé et continue de violer ses droits au titre des articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1) et 16, pris conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.8L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, car elle a été plongée dans une angoisse et une détresse profondes en raison de l’arrestation arbitraire puis de la disparition forcée de son mari, et des actes et omissions des autorités dans le traitement de cette affaire. À la suite de la disparition de son mari, elle a dû élever seule ses enfants. À ce sujet, elle fait valoir que les épouses et les familles des personnes disparues sont souvent stigmatisées au Népal.

3.9L’auteure prie le Comité de recommander notamment à l’État partie : a) d’ordonner d’urgence l’ouverture d’une enquête indépendante pour déterminer le sort de son mari et le lieu où celui-ci se trouve et, si son décès est confirmé, de localiser, d’exhumer, d’identifier et de respecter sa dépouille et de la restituer à la famille ; b) de traduire les responsables devant les autorités civiles compétentes afin qu’ils soient poursuivis, jugés et punis, et de rendre publics les résultats de ces mesures ; et c) de veiller à ce que les mesures de réparation couvrent le préjudice matériel et moral et que des mesures soient prises aux fins de restitution, de réadaptation, de satisfaction et de garanties de non-répétition. Elle demande en particulier que l’État partie reconnaisse sa responsabilité internationale, à l’occasion d’une cérémonie publique à laquelle assisteraient des représentants des autorités et des proches de M. Nepali, qui devraient recevoir des excuses officielles, et que l’État partie nomme une rue, érige un monument ou pose une plaque à la mémoire de toutes les victimes de disparition forcée et de torture durant le conflit armé interne, en mentionnant expressément le cas de de M. Nepali de sorte que celui-ci soit complètement réhabilité. Afin de réduire les souffrances psychologiques et mentales que les événements décrits plus haut ont causées à l’auteure et, d’une manière générale, le préjudice matériel qui lui a été infligé, l’État partie devrait également lui proposer sans délai une prise en charge médicale et psychologique gratuite, par l’intermédiaire de ses institutions spécialisées, et lui accorder l’accès à l’aide juridictionnelle gratuite si nécessaire. Pour garantir que de tels actes ne se reproduisent pas, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que les disparitions forcées et les actes de torture, ainsi que les différentes formes de participation à ces crimes, constituent des infractions autonomes en droit pénal, punies de peines appropriées tenant compte de leur extrême gravité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 22 août 2012, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité ; il conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés et que la communication est manifestement dénuée de fondement.

4.2L’État partie soutient que les allégations de l’auteure concernant les circonstances dans lesquelles l’arrestation et la détention supposées de son mari auraient eu lieu ne sont étayées par aucune preuve directe ou indirecte. À cet égard, la Cour suprême a annulé les deux requêtes en habeas corpus déposées en faveur du mari de l’auteure parce que les requérants n’avaient pas été en mesure de démontrer que celui-ci était bien détenu par la police. Le fait que le sort de M. Nepali n’ait pas été établi et que l’on ne sache pas où il se trouve ne peut prouver les allégations selon lesquelles il aurait été arrêté et détenu par la police puis aurait disparu alors qu’il était aux mains de la police ou de toute autre autorité.

4.3L’État partie est vivement préoccupé par l’existence de violations des droits de l’homme commises pendant le conflit armé. Pour remédier à cette situation, il a décidé d’établir une commission chargée d’enquêter sur les cas de disparition et une commission vérité et réconciliation, conformément à la Constitution provisoire de 2007. À cette fin, des projets de loi relatifs à une commission vérité et réconciliation et à une commission sur les disparitions forcées ont été présentés au Parlement. À la date de la soumission des observations de l’État partie, ces projets de loi n’avaient toujours pas été adoptés. Les deux commissions qui seront créées une fois les projets adoptés enquêteront sur des cas survenus pendant le conflit, afin d’établir la vérité à leur sujet. L’État partie soutient que, dans ce contexte et à la lumière de ses efforts sincères pour mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle, on ne saurait conclure que les recours internes ont été anormalement longs. En conséquence, l’auteure n’a pas épuisé les recours internes.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 19 octobre 2012, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle fait valoir que les observations de l’État partie portent en réalité sur le fond plutôt que sur la recevabilité de la communication. À cet égard, elle souligne l’existence de preuves directes de l’arrestation, de la détention et de la disparition forcée ultérieure de son mari, comme elle l’a indiqué dans sa communication initiale, à savoir qu’elle a bien été témoin de son arrestation, qu’elle a reçu un appel anonyme le 4 juin 1999 l’informant du lieu où se trouvait son mari et que le 10 juin 1999, un policier de permanence au siège de la police lui a remis les vêtements sales de M. Nepali en échange de ceux, propres, qu’elle avait apportés ; le même jour, accompagnée de son amie K. B., elle a vu son mari de loin dans les locaux de la police ; enfin, un journal a par la suite signalé que son mari avait été transféré dans les locaux de la police antiémeutes, à Pokhara.

5.2En cas d’allégations de disparition forcée où la clarification des faits dépend de renseignements qui sont exclusivement entre les mains des autorités, l’État partie a l’obligation d’enquêter d’office et de bonne foi sur les allégations, même en l’absence de preuves directes. La requête en habeas corpus concernant le cas du mari de l’auteure a été annulée par la Cour suprême pour de pures raisons de forme au motif que l’auteure n’était pas en mesure de fournir de preuves concernant la détention de M. Nepali. L’État partie a fait valoir que la détention devait être prouvée pour qu’une ordonnance d’habeas corpus soit rendue. Or, si tel était le fondement logique de ce recours, celui-ci n’aurait aucune utilité dans le cas d’une disparition forcée. En l’espèce, ni la Cour suprême ni aucune autre autorité n’a procédé à une enquête efficace sur les circonstances de l’arrestation et de la disparition ultérieure du mari de l’auteure.

5.3À la date où l’auteure a présenté ses commentaires, il n’y avait aucune certitude quant à la mise en place des futures commission vérité et réconciliation et commission sur les disparitions forcées, ni en ce qui concerne leur capacité de mener des enquêtes et d’engager des poursuites sans délai, de manière indépendante et efficace. En outre, ces commissions ne seraient pas des organes juridictionnels et les projets de loi comportaient une clause prévoyant une amnistie générale pour les auteurs de violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, y compris de disparitions forcées. Bien qu’elles soient essentielles pour établir la vérité, les enquêtes menées par des organes non juridictionnels ne peuvent en aucun cas remplacer l’accès à la justice et à des voies de recours pour les victimes de violations graves des droits de l’homme et leurs proches, le système de justice pénale constituant la meilleure voie pour obtenir l’ouverture immédiate d’une enquête sur des actes criminels et la punition des auteurs. En conséquence, les mécanismes de justice transitionnelle ne sauraient être considérés comme un recours utile devant être épuisé par l’auteure.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 12 août 2013, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. Il répète que les allégations de l’auteure concernant l’arrestation de son mari le 21 mai 1999 par la police à Sundhara (Katmandou) et sa disparition ultérieure ne sont étayées par aucune preuve directe ou indirecte. D’après la réponse de la police métropolitaine de Katmandou, il n’y a aucune information ni dossier concernant le cas de M. Nepali. Comme suite à la requête en habeas corpus présentée par l’auteure, la Cour suprême a délivré un mandat de perquisition visant le bataillon de la police antiémeutes de Pokhara et l’Inspecteur général de la police, mais il n’a pas pu être établi que M. Nepali était détenu par la police.

6.2En ce qui concerne le conflit armé qui a eu lieu entre 1996 et 2006, l’État partie affirme qu’il s’est engagé à mener des enquêtes approfondies, à traduire les responsables en justice et à offrir réparation aux victimes de violation des droits de l’homme. À cet égard, l’État partie rappelle ses observations sur les mécanismes de justice transitionnelle et informe le Comité qu’un décret exécutif portant création d’une commission d’enquête sur les personnes disparues et d’une commission vérité et réconciliation a été promulgué.

6.3L’État partie a informé le Comité qu’il avait accordé à l’auteure une somme de 275 000 roupies et qu’elle recevrait un montant supplémentaire de 50 000 roupies au titre du programme d’indemnisation provisoire. Elle pourrait également recevoir une autre somme à titre de réparation, en fonction des recommandations futures de la Commission.

6.4L’auteure n’a pas déposé de plainte ou de premier rapport d’information qui permettrait à la police d’ouvrir une enquête sur le cas de son mari.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 1er octobre 2013, l’auteure a répondu aux observations de l’État partie concernant le fond. Selon elle, l’État partie fait les mêmes observations que dans sa précédente note et ne fournit aucun argument ni élément important à examiner. L’attitude de l’État partie témoigne d’une indifférence envers ses souffrances. Il ne lui a en particulier été fourni aucune information sur ce qui était arrivé à son mari et sur le lieu où il se trouvait et elle a dû se charger elle-même de tenter de découvrir la vérité.

7.2L’auteure renouvelle ses allégations concernant le premier rapport d’information et estime qu’il ne s’agit pas d’un recours qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les premiers rapports d’information conduisent rarement à l’ouverture d’une enquête sur la disparition de la personne concernée.

7.3L’auteure affirme qu’elle n’a reçu que 100 000 roupies en 2008 et non les montants que l’État partie déclare lui avoir versés (voir plus haut, par. 6.3). Cela constitue un montant dérisoire au regard du préjudice matériel et moral qu’elle a subi, et ne saurait être considéré comme un recours utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Réponses complémentaires des parties

8.1Le 10 janvier 2014, l’auteure a informé le Comité que le 2 janvier 2014, la Cour suprême avait déclaré inconstitutionnel le décret exécutif du 14 mars 2013, portant création d’une commission d’enquête sur les personnes disparues et d’une commission vérité et réconciliation. La Cour suprême a ordonné aux autorités népalaises de créer de nouvelles commissions dans les meilleurs délais.

8.2Dans des notes verbales datées du 11 août et du 11 décembre 2014, l’État partie a informé le Comité que la loi relative à la Commission vérité et réconciliation avait été adoptée par le Parlement en avril 2014 et qu’une commission chargée des disparitions forcées et une commission vérité et réconciliation seraient créées prochainement. L’État partie a décrit brièvement les principales dispositions de la loi et expliqué qu’il s’agissait là d’un instrument clef pour résoudre le problème des violations des droits de l’homme commises par le passé, tant par l’État partie que par des acteurs non étatiques. L’État partie a aussi signalé que les projets de loi visant à incriminer les faits de torture et de disparition forcée avaient été élaborés et allaient être à nouveau présentés au Parlement. Le système de justice pénale ne pouvait pas offrir une réparation intégrale aux victimes du conflit armé en l’absence de mécanismes de justice transitionnelle. À cet égard, les griefs de l’auteure seraient pleinement traités après la création de ces mécanismes. L’État partie a en outre réaffirmé que l’auteure avait reçu 275 000 roupies à titre d’indemnisation provisoire.

8.3Les 2 septembre 2014 et 12 janvier 2015, l’auteure a renouvelé ses allégations concernant les mécanismes de justice transitionnelle et fait valoir que plusieurs dispositions de la loi étaient incompatibles avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme et ne pouvaient lui offrir un recours utile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité note les arguments de l’État partie, qui soutient que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes, faute d’avoir fait enregistrer un premier rapport d’information auprès de la police, et que le cas de son mari serait pris en compte dans le cadre des mécanismes de justice transitionnelle établis conformément à la Constitution provisoire de 2007. Le Comité prend également note des allégations de l’auteure, qui affirme qu’un premier rapport d’information ne constitue pas un recours approprié, car cette procédure ne s’applique qu’aux infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, laquelle ne mentionne pas les disparitions forcées ni les actes de torture ; que la loi relative à l’indemnisation en cas de torture ne traite pas de la responsabilité pénale mais prévoit uniquement une indemnisation d’un montant maximum de 100 000 roupies ; et que les mécanismes de justice transitionnelle ne remplacent pas l’accès à la justice et ne sauraient être considérés comme un recours utile qui doit être épuisé. Le Comité observe que la requête en habeas corpus présentée par l’auteure a été annulée par la Cour suprême le 5 juillet 2000. Alors que l’auteure a signalé la disparition de son mari aux autorités dans les plus brefs délais, plus de dix-sept ans plus tard, les circonstances de la disparition ne sont toujours pas élucidées et aucune enquête n’a encore abouti. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence dont il ressort qu’en cas de violations graves, un recours judiciaire doit être ouvert. À ce sujet, le Comité observe que les organes de justice transitionnelle mis en place par la loi relative à la Commission d’enquête sur les personnes disparues et à la Commission vérité et réconciliation ne sont pas des organes juridictionnels. En conséquence, il considère que l’enquête a été inefficace et a dépassé les délais raisonnables et conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

9.4Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les allégations de l’auteure sont manifestement dénuées de fondement. Le Comité estime toutefois qu’aux fins de la recevabilité, l’auteure a apporté suffisamment d’arguments plausibles à l’appui de ses allégations. Vu qu’il est satisfait à toutes les conditions requises pour la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2Le Comité prend note du grief de l’auteure qui affirme que, le 21 mai 1999, son mari a été arrêté par des policiers à Sundhara (Katmandou) et emmené au siège de la police à Naxal (Katmandou) ; que, alors que son mari était au secret, elle a réussi à l’apercevoir de loin pour la dernière fois dans les locaux de la police le 10 juin 1999 ; et que, même si elle a rapidement signalé son arrestation et sa disparition aux autorités et a présenté une requête en habeas corpus, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante n’a été menée par les autorités. Le sort de son mari et le lieu où il se trouve demeurent inconnus à ce jour et personne n’a encore été cité à comparaître ni condamné pour les actes en cause. Dans ces circonstances, son mari est victime d’une disparition forcée.

10.3Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie qui soutient que les griefs de l’auteure sont fondés sur de simples soupçons et que, dans le cadre de la procédure d’habeas corpus, elle n’a pas pu prouver que son mari avait été arrêté et détenu par la police ou par d’autres agents de l’État. Le Comité réaffirme que la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent, l’État partie est le seul à disposer des renseignements voulus. Il est implicite dans le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations crédibles de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Lorsque les allégations sont corroborées par des éléments crédibles apportés par l’auteur et que tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut considérer ces allégations comme suffisamment étayées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves ou des explications satisfaisantes.

10.4Le Comité rappelle que si l’expression « disparition forcée » n’est pas explicitement utilisée dans l’un quelconque des articles du Pacte, la disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes qui représente une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument.

10.5En l’espèce, le Comité note qu’après avoir perdu contact avec son mari en mai 1999, l’auteure s’est rapidement rendue dans plusieurs postes de police à Katmandou à la recherche de celui-ci ; que, bien qu’au siège de la police à Naxal (Katmandou), il ne lui ait pas été permis de voir son mari, elle a été autorisée à laisser des vêtements propres pour lui et un policier de permanence lui a remis des vêtements sales appartenant à son mari ; qu’après le 10 juin 1999, date à laquelle elle aurait vu celui-ci pour la dernière fois, de loin, aux mains de la police dans les locaux du siège de la police, elle a continué de s’enquérir de son sort mais qu’elle a reçu des informations contradictoires. À cet égard, le Comité note que, selon un article du Mahanagar Daily, publié le 31 août 1999 et fourni par l’auteure, bien que le Premier Ministre de l’époque ait affirmé que M. Nepali avait été tué, celui-ci était encore en vie, détenu dans les locaux de la police antiémeutes à Pokhara et soumis à la torture ; tandis que, dans le cadre de la procédure d’habeas corpus devant la Cour suprême, les autorités ont nié que M. Nepali ait jamais été détenu par la police. Aucune autre information n’a été fournie sur le sort du mari de l’auteure et l’endroit où il se trouvait. Toutefois, le nom de M. Nepali figure sur la liste des disparitions liées au conflit de la Commission nationale des droits de l’homme et dans la base de données du CICR relative aux personnes disparues. À la lumière des documents soumis par l’auteure, le Comité estime que l’État partie n’a pas donné d’explications suffisantes et concrètes pour réfuter les allégations de l’auteure concernant la disparition forcée de son mari. Le Comité rappelle qu’en matière de disparition forcée, la privation de liberté, suivie du déni de reconnaissance de celle-ci ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue, soustrait cette personne à la protection de la loi et fait peser un risque constant et sérieux sur sa vie, dont l’État doit rendre compte. En l’espèce, l’État partie n’a fourni aucun élément démontrant qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie M. Nepali. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a manqué à son devoir de protéger la vie de M. Nepali, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

10.6Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles la détention et la disparition forcée de son mari constituent en elles-mêmes un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contacts avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) concernant l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. En l’espèce, en l’absence d’une explication satisfaisante de l’État partie, le Comité estime que la disparition forcée du mari de l’auteure est constitutive d’une violation de l’article 7 du Pacte. Étant parvenu à cette conclusion, il n’examinera pas les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte pour les mêmes faits.

10.7Le Comité prend également note de l’angoisse et de la tension causées à l’auteure par la disparition de son mari. En particulier, l’auteure n’a jamais reçu d’explication suffisante sur les circonstances entourant la disparition ou le décès présumé de M. Nepali, dont le corps ne lui a pas été restitué. En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité considère que les faits font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteure.

10.8Le Comité prend note des allégations de l’auteure au titre des paragraphes 1 à 4 de l’article 9, selon lesquelles son mari a été placé en détention sans mandat d’arrêt, n’a jamais été présenté à un juge ni à aucune autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires et n’a pas eu la possibilité d’introduire un recours devant un tribunal pour contester la légalité de sa détention. En l’absence de réponse de l’État partie sur ce point, le Comité estime que la détention du mari de l’auteure constitue une violation des droits qu’il tient de l’article 9 du Pacte.

10.9En ce qui concerne le grief de violation de l’article 16, le Comité prend note des allégations de l’auteure qui affirme que son mari a été arrêté par des policiers en sa présence ; que depuis lors, l’État partie ne lui a pas fourni d’informations pertinentes sur le sort de son mari et l’endroit où il se trouve ; et qu’aucune enquête efficace n’a été menée pour déterminer le lieu où il se trouve, ce qui le maintient en dehors de la protection de la loi. Le Comité est d’avis que la soustraction délibérée d’un individu à la protection de la loi constitue un déni du droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si toute tentative des parents de la victime pour se prévaloir de recours utiles a été systématiquement entravée. Le Comité estime donc que la disparition forcée de M. Nepali le prive de la protection de la loi et de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

10.10L’auteure invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes judiciaires et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il renvoie au paragraphe 15 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui dispose notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, le Comité constate que, peu après le placement en détention de son mari, l’auteure a cherché à obtenir des informations auprès de différents postes de police et qu’elle a ensuite présenté une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême et une plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme. Plus de dix-sept ans après la disparition du mari de l’auteure, en dépit des efforts déployés par celle-ci, l’État partie n’a mené à bien aucune enquête approfondie et efficace en vue d’élucider les circonstances entourant sa détention, sa disparition forcée et son décès présumé et aucune instruction criminelle n’a même été ouverte aux fins de traduire en justice les auteurs des actes en cause. L’État partie n’a pas démontré l’efficacité et le caractère approprié des enquêtes menées par les autorités ni expliqué les mesures concrètes qui auraient été prises pour éclaircir les circonstances entourant la disparition et le décès possible de M. Nepali ; il n’a pas non plus retrouvé sa dépouille pour la rendre à sa famille. Le Comité estime donc que l’État partie n’a pas procédé rapidement à une enquête approfondie et efficace sur la disparition de M. Nepali. De surcroît, les 100 000 roupies reçues par l’auteure à titre d’indemnisation provisoire ne constituent pas une réparation adéquate, proportionnée à la gravité des violations commises. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9 et 16, à l’égard de M. Nepali ; et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteure.

11.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte ; et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, à l’égard de M. Nepali. Les faits font aussi apparaître des violations de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard de l’auteure.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits consacrés par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête approfondie et efficace sur la disparition de M. Nepali et de fournir à l’auteure des informations détaillées quant aux résultats de son enquête ; b) si le mari de l’auteure est décédé, de retrouver sa dépouille et de la remettre à sa famille ; c) de poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises et de rendre publics les résultats de ces mesures ; d) de veiller à ce que l’auteure bénéficie gratuitement des mesures de réadaptation psychologique nécessaires et d’un traitement médical approprié ; et e) d’assurer à l’auteure et à M. Nepali, s’il est en vie, une réparation effective, y compris sous la forme d’une indemnisation adéquate et de mesures de satisfaction appropriées, pour les violations subies. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. Il devrait en particulier veiller à ce que : a) sa législation permette d’engager des poursuites pénales contre les auteurs de violations graves des droits de l’homme comme des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées ; et b) toute disparition forcée donne lieu rapidement à une enquête impartiale et efficace.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles du pays.