Nations Unies

CCPR/C/100/D/1346/2005

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

28 octobre 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Centième session

11-29 octobre 2010

Constatations

Communication no 1346/2005

Présentée par:

Vyacheslav Tofanyuk (représenté par sa mère, Tamara Shulzhenko)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

5 novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92/97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 janvier 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

20 octobre 2010

Objet:

Application rétroactive d’une loi provisoire

Questions de procédure:

Absence de fondement

Questions de fond:

Droit à l’application rétroactive de la loi avec atténuation de la peine

Article du Pacte:

15 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

2

Le 20 octobre 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1346/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (centième session)

concernant la

Communication no 1346/2005 **

Présentée par:

Vyacheslav Tofanyuk (représenté par sa mère, Tamara Shulzhenko)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

5 novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réunile 20 octobre 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1346/2005 présentée au nom de Vyacheslav Tofanyuk, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Vyacheslav Tofanyuk, russophone de nationalité ukrainienne né en 1974, qui exécute une peine d’emprisonnement à vie en Ukraine. Il affirme que ses droits ont été violés par l’État partie mais n’invoque aucun article précis du Pacte. Il semble toutefois que la communication soulève des questions au regard des articles 7, 14 et 15 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 octobre 1991. L’auteur est représenté par sa mère, Tamara Shulzhenko.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 10 avril 1998, le tribunal de la ville de Kiev a reconnu l’auteur coupable de meurtre avec préméditation en vertu de l’article 93 du Code pénal de 1960 et l’a condamné à mort. Son pourvoi en cassation a été rejeté par la Cour suprême le 2 juillet 1998.

2.2Le 29 décembre 1999, le Tribunal constitutionnel a déclaré que la peine capitale était inconstitutionnelle. À compter de cette date, la peine capitale étant supprimée, la peine la plus lourde en vertu de l’ancien Code pénal de 1960 était de quinze ans d’emprisonnement ou vingt ans en cas de grâce. L’auteur affirme qu’à la suite de la décision du Tribunal constitutionnel, il avait droit au réexamen de sa condamnation et à la commutation de sa peine en quinze ans d’emprisonnement en vertu des articles 6 et 54 du Code pénal et de l’article 58 de la Constitution.

2.3Le 22 février 2000, le Parlement (Verhovnaya Rada) a adopté une loi relative aux amendements apportés au Code pénal, au Code de procédure pénale et au Code de rééducation par le travail qui est entrée en vigueur le 4 avril 2000. En vertu de cette loi la peine de mort a été remplacée par l’emprisonnement à vie. La commutation de la peine de mort imposée à l’auteur en emprisonnement à vie a été confirmée le 23 août 2000. L’auteur affirme qu’il n’avait pas connaissance de la commutation de sa peine et que la nouvelle peine qui lui a été imposée signifie qu’il a été condamné deux fois pour la même infraction, ce qui constitue une violation de l’article 61 de la Constitution. Il dit que la nouvelle loi a alourdi la peine pour l’infraction qu’il avait commise par rapport à la peine prévue par la «loi provisoire» − le Code pénal qui était en vigueur entre le 29 décembre 1999, lorsque la décision du Tribunal constitutionnel a été adoptée, et le 4 avril 2000, lorsque la loi relative aux amendements apportés aux codes est entrée en vigueur.

2.4L’auteur ajoute que l’acte d’accusation et le jugement le concernant contiennent plusieurs erreurs ayant trait à sa situation professionnelle et à sa formation ainsi que des contradictions dans les déclarations des témoins. Il affirme que les juges n’ont pas été impartiaux et que la condamnation ne reposait que sur ses aveux et ne tenait pas compte des circonstances atténuantes. Il ajoute que le pourvoi en cassation bien argumenté préparé par son avocat a été remplacé par un autre, incohérent et vague, préparé par le même avocat.

2.5L’auteur déclare qu’il a adressé une requête au tribunal de la ville de Kiev le 20 janvier 2000, en vertu des parties 2 et 3 de l’article 74 du Code pénal. Il affirme qu’en vertu de l’article 411 du Code de procédure pénale le tribunal avait l’obligation de l’inviter à assister à la procédure et de réexaminer son cas. Or c’est en secret que le tribunal a commué sa condamnation à mort en emprisonnement à vie et il n’a répondu à la requête qu’en 2004. L’auteur affirme que sa requête a été déposée avant que la loi relative aux amendements apportés au Code pénal ne soit adoptée, et que le tribunal aurait dû répondre dans les délais fixés par la loi.

2.6L’auteur ajoute qu’après son arrestation, le 29 juin 1997, il a subi des mauvais traitements pendant les interrogatoires de police. Il a notamment été frappé avec une matraque en plastique et en a perdu connaissance.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son droit à l’application rétroactive de la loi avec atténuation de la peine a été violé vu que le tribunal n’a pas appliqué la «loi provisoire» lorsqu’il a commué sa condamnation à mort.

3.2L’auteur déclare que le texte de l’acte d’accusation et du jugement le concernant contient des erreurs factuelles et que les juges n’étaient pas impartiaux. De plus, sa condamnation ne reposait que sur ses aveux et ne tenait pas compte des circonstances atténuantes.

3.3L’auteur affirme que son droit au réexamen de sa condamnation en sa présence n’a pas été respecté et que l’imposition de la nouvelle peine signifie qu’il a été condamné deux fois pour la même infraction.

3.4L’auteur déclare qu’il a subi des mauvais traitements pendant les interrogatoires de police.

3.5Comme indiqué, l’auteur n’invoque aucun article du Pacte. Comme cela a été dit, il semble toutefois que la communication soulève des questions au regard des articles 7, 14 et 15 (par. 1) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 28 avril 2005, l’État partie a indiqué que l’auteur et son complice avaient été reconnus coupables de meurtre avec préméditation et condamnés à mort le 10 avril 1998. La culpabilité de l’auteur avait été établie par des déclarations de témoins et des expertises médico-légales.

4.2Pendant l’enquête préliminaire, l’auteur a reconnu sa culpabilité et a décrit en détail les circonstances du crime, y compris celles que seulement le meurtrier pouvait connaître. Il ne s’est plaint d’aucune méthode illégale qui aurait été employée au cours de l’enquête. Ses aveux ont servi de base à sa condamnation. Le tribunal a apprécié les éléments de preuve, qualifié les actes et rendu le jugement correctement. Les pourvois formés par l’auteur et son conseil ont été rejetés par la Cour suprême le 2 juillet 1998.

4.3Le 23 août 2000, la condamnation à mort de l’auteur a été commuée en emprisonnement à vie en vertu de la loi relative aux amendements apportés au Code pénal, au Code de procédure pénale et au Code de rééducation par le travail de l’Ukraine. Cette loi supprimait l’article 24 du Code pénal relatif à la peine de mort et le remplaçait par l’article 25 instituant l’emprisonnement à vie. En vertu du chapitre 2 de cette loi, les condamnations à mort qui n’avaient pas été exécutées au moment de l’entrée en vigueur de la loi devaient être mises en conformité avec celle-ci. La condamnation à mort de l’auteur a ainsi été commuée en emprisonnement à vie.

4.4L’État partie déclare que l’allégation de l’auteur qui affirme avoir été condamné deux fois pour le même crime est dénuée de fondement car il n’y a pas eu violation de la loi de procédure pénale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 11 juillet 2005, l’auteur a affirmé que les observations de l’État partie étaient dénuées de fondement et inexactes, ne contenaient que des informations d’ordre général et ne répondaient pas à la question des violations commises pendant l’enquête.

5.2L’auteur ajoute qu’après son arrestation il est resté dix jours sans qu’on lui attribue un défenseur. L’avocat désigné ensuite n’a pas défendu ses intérêts et n’était présent que pour la forme. Le lendemain de son arrestation l’auteur a subi des mauvais traitements et a été contraint de témoigner contre son complice. Son avocat l’a également convaincu que s’il le faisait sa peine serait plus légère. L’auteur a plus tard découvert que son avocat défendait aussi son complice malgré le conflit d’intérêts que cela représentait. Ses demandes de changement d’avocat ont été rejetées par le tribunal. Il ajoute que son avocat n’a pas cherché à modifier les chefs d’accusation ni à obtenir une expertise.

5.3L’auteur affirme que l’acte d’accusation et le jugement ne font pas mention d’éléments de preuve importants comme le nombre de blessures infligées à la victime par chaque personne, car on ne sait pas clairement qui est l’auteur des blessures et, en fin de compte, qui a tué la victime. Il ajoute que le jugement n’évoque pas l’intention de chacun des accusés mais, au contraire, généralise leurs actes et formule une conclusion générale.

5.4L’auteur ajoute qu’après sa condamnation à mort, son avocat a refusé de défendre ses intérêts en cassation et qu’il a donc dû solliciter l’assistance d’un autre avocat pour former un pourvoi. Cependant, il a découvert ultérieurement que le premier avocat avait bien formé un pourvoi en son nom, mais uniquement pour la forme. Il explique que son dossier contient donc deux pourvois en cassation. Il affirme que cela signifie qu’il n’a bénéficié d’aucune assistance juridique ni lors de l’enquête ni pendant le procès.

5.5L’auteur affirme également que la procédure n’était pas impartiale. Sa demande de faire interroger son propre témoin, dont le témoignage aurait été important, a été rejetée. Ce témoin n’a pas été interrogé non plus au cours de l’enquête préliminaire, malgré les demandes de l’auteur. L’auteur indique que sa demande n’a pas été consignée dans le procès-verbal d’audience et qu’il n’a donc d’autre preuve à fournir qu’une note écrite par ce témoin. Il affirme que le procès-verbal n’est pas complet et qu’il contient des informations inexactes concernant les déclarations des témoins. Il ajoute que le tribunal a également ignoré les circonstances atténuantes en vertu de l’article 40 du Code pénal telles que ses aveux et sa coopération lors de l’enquête.

5.6L’auteur affirme que tous les documents relatifs à son affaire sont rédigés en ukrainien, langue qu’il ne comprend pas. Il dit n’avoir pas bénéficié des services d’un traducteur. Il est indiqué dans le procès-verbal d’audience que c’est lui qui a demandé que les documents soient en ukrainien mais il soutient que cette affirmation est fausse.

Observations complémentaires des parties

6.Le 28 novembre 2005, l’État partie a exposé les mêmes faits que dans sa lettre précédente et a ajouté que les allégations de l’auteur relatives à des méthodes d’enquêtes illégales comprenant l’usage de moyens de pression physique n’avaient pas été confirmées. L’auteur exécutait sa peine dans la prison de Vinnits depuis 2001. Pendant cette période, il ne s’était plaint des conditions de détention ni à l’administration pénitentiaire ni à d’autres organismes d’État.

7.1Le 1er mars 2006, l’auteur a mentionné les travaux de recherche d’un étudiant du troisième cycle selon lesquels un moratoire sur l’exécution de la peine de mort avait été adopté en 1996, lorsque la Commission chargée d’abolir la peine de mort avait été créée, mais aucun texte législatif n’avait été adopté. Dans sa décision de 1999, le Tribunal constitutionnel a déclaré que l’article 24 et d’autres articles du Code pénal relatifs à la peine de mort étaient inconstitutionnels. Il a aussi demandé à la Cour suprême de mettre le Code pénal en conformité avec cette décision. La décision du Tribunal constitutionnel modifie en elle-même le droit pénal. En vertu de l’article 152 de la Constitution, les dispositions législatives qui sont déclarées inconstitutionnelles sont nulles à compter du moment où le Tribunal constitutionnel adopte sa décision. En conséquence, les modifications du Code pénal ont été introduites dès le 30 décembre 1999. En particulier, l’article 24 et 23 autres articles relatifs à la peine de mort sont devenus nuls. En vertu du droit ukrainien, la confirmation du Parlement n’est pas nécessaire pour que les amendements entrent en vigueur. Le Parlement ne fait que reproduire la décision du Tribunal constitutionnel. Il est chargé d’apporter des modifications qui n’ont pas encore été introduites par le Tribunal constitutionnel mais qui ne sont que la conséquence naturelle des changements décidés par le Tribunal.

7.2Se référant à l’étude susmentionnée, l’auteur suggère que l’emprisonnement à vie est contraire à la première partie de l’article 23 du Code pénal, selon lequel la peine la plus sévère est l’emprisonnement pour une période de temps définie, et que la nature de l’emprisonnement à vie est contraire à plusieurs dispositions de la Constitution et de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

7.3L’auteur déclare que les amendements apportés au Code pénal par le Parlement ont abouti à l’imposition d’une peine plus lourde que celle résultant de la décision du Tribunal constitutionnel. C’est cette dernière qui aurait dû être appliquée à son cas étant donné qu’en vertu de l’article 6 du Code pénal, la loi qui prévoit une peine plus légère est rétroactive. L’auteur suggère notamment que les personnes qui ont été condamnées à mort avant le 29 décembre 1999 (date de la décision du Tribunal constitutionnel), mais dont la condamnation n’a pas encore été exécutée, devraient bénéficier de la même procédure que celle établie à l’article 405 du Code de procédure pénale. La disposition de la «loi provisoire» susmentionnée devrait être fondée sur la deuxième partie de l’article 58 de la Constitution, qui dispose que la loi prévoyant la peine la plus légère doit être rétroactive malgré le fait qu’elle n’était pas encore en vigueur lorsque la peine a été établie.

7.4Le 16 juillet 2007, le 4 juin 2008, le 2 décembre 2008 et le 26 décembre 2008, l’auteur a fourni des copies de ses recours auprès des tribunaux et du médiateur qui ont tous été rejetés. Il a également joint des extraits d’articles de presse et une analyse juridique réalisée par l’Institut de l’État et du droit sur la question de l’abolition de la peine de mort et son effet sur les personnes condamnées.

8.1Le 7 février 2008 et le 21 novembre 2009, l’État partie a indiqué que le Bureau du Procureur général n’avait trouvé aucun motif de réagir aux décisions de justice concernant l’auteur. Il se réfère à l’article 6 du Code pénal de 1960, qui dispose que les infractions et les peines sont déterminées par la loi qui est en vigueur au moment de la commission de l’infraction. Une loi qui supprime ou adoucit la peine pour une infraction est rétroactive et s’applique dès son adoption, même aux actes qui ont été commis avant celle-ci. Une loi qui instaure une peine pour une infraction ou prévoit une peine plus lourde ne peut être appliquée rétroactivement. L’État partie déclare que la décision du tribunal de la ville de Kiev est pleinement conforme à cette disposition du Code. La peine prévue pour les actes commis par l’auteur en vertu de l’article 93 a) du Code pénal de 1960, qui était en vigueur au moment où le crime a été commis, était de huit à quinze ans d’emprisonnement ou la peine de mort avec confiscation des biens. En vertu de la décision susmentionnée du Tribunal constitutionnel toutes les dispositions du Code pénal qui ont été déclarées inconstitutionnelles sont devenues nulles à compter de la date d’adoption de la décision. Dans la troisième partie de cette décision, le Tribunal constitutionnel recommandait au Parlement de mettre le Code pénal en conformité avec la décision. La loi relative aux amendements apportés au Code pénal, y compris à l’article 93, a été adoptée par le Parlement le 22 février 2000. Cependant, après la décision du Tribunal constitutionnel et avant les amendements apportés au Code pénal par le Parlement il n’existait aucune loi qui aurait aboli ou atténué la peine prévue pour les infractions visées à l’article 93 du Code pénal de 1960.

8.2L’État partie déclare en outre que d’après le Ministère de la justice, la disposition de l’article 24 du Code pénal de 1960 n’était appliquée que lorsque le crime était exceptionnellement grave et que les circonstances ne permettaient pas de prononcer une peine plus légère. Le chapitre 2 de la loi relative aux amendements apportés au Code pénal adoptée par le Parlement dispose que le réexamen des condamnations à mort qui n’ont pas été exécutées incombe au tribunal qui a prononcé la peine initiale.

8.3Le 27 mai 2009, l’État partie a indiqué qu’en vertu de l’article 85 de la Constitution, seul le Parlement était habilité à adopter des lois et à leur apporter des amendements. En vertu des articles 6 et 54 (par. 3) du Code pénal de 1960 et de l’article 405 du Code de procédure pénale, qui étaient en vigueur lorsque la décision du Tribunal constitutionnel a été adoptée, toute peine prononcée pour une infraction qui est plus lourde que la peine prévue par la nouvelle loi pour la même infraction doit être atténuée jusqu’au niveau maximum de la peine prévue par la nouvelle loi. Les mêmes dispositions figurent également à l’article 5 et à l’article 74 du Code pénal.

9.1Le 3 août 2009, l’auteur a déclaré que les observations de l’État partie étaient dénuées de fondement et que l’État partie n’avait pas tenu compte de la période allant du 29 décembre 1999 au 22 février 2000. Il réaffirme que pendant cette période, la peine de mort a été abolie et que la peine maximale prévue était de quinze ans d’emprisonnement. La référence de l’État partie à la loi relative aux amendements apportés au Code pénal qui a été adoptée le 22 février 2000 et qui est entrée en vigueur le 4 avril 2000 n’est pas pertinente dans son cas car cette loi a été adoptée après la décision du Tribunal constitutionnel. L’auteur affirme que l’article 6 et l’article 54 (par. 3) du Code pénal de 1960 et l’article 405 du Code de procédure pénale devaient être appliqués dans son cas et réclame la peine maximale prévue pour le crime qu’il a commis dans le Code pénal de 1960, soit quinze ans d’emprisonnement et non l’emprisonnement à vie, peine qui a été instituée beaucoup plus tard.

9.2Le 28 octobre 2009, l’auteur a fourni une lettre de la Cour suprême concernant une autre personne condamnée et a déclaré que toute personne qui avait commis entre le 29 décembre 1999 et le 4 avril 2000 une infraction passible de la peine de mort en vertu du code précédent pouvait être condamnée à quinze ans d’emprisonnement, peine maximale prévue par l’ancien code à ce moment-là. Il a également fourni une lettre du Centre de recherches juridiques déclarant que la décision du Tribunal constitutionnel recommandait de modifier la législation mais ne retardait pas son application ainsi qu’une lettre d’un professeur de droit indiquant que les personnes dont la condamnation à mort avait été commuée en emprisonnement à vie pouvaient demander une grâce.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité note les allégations de l’auteur, qui affirme que l’acte d’accusation et le jugement contenaient des erreurs factuelles et manquaient de preuves, que le procès n’était pas impartial et que la condamnation ne reposait que sur ses aveux et ne tenait pas compte de circonstances atténuantes; la demande de l’auteur d’inviter un témoin à la barre a également été refusée. L’État partie, quant à lui, affirme que le tribunal a apprécié les preuves et rendu le jugement correctement. Le Comité observe que les griefs de l’auteur concernent l’appréciation des faits et des preuves par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que c’est généralement aux juridictions nationales qu’il incombe d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit prouvé que cette appréciation a été clairement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Les documents dont le Comité est saisi ne font apparaître aucun élément démontrant que les procédures judiciaires étaient entachées de tels vices. En conséquence, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs de violation des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14 et les déclare irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.4Le Comité note en outre les allégations de l’auteur qui affirme que son droit à la révision de sa condamnation en sa présence a été violé, que du fait de l’instauration de la nouvelle peine il a été condamné deux fois pour la même infraction, qu’il a subi de mauvais traitements pendant les interrogatoires de police, que son droit à l’assistance d’un conseil a été violé et qu’il n’a pas bénéficié des services d’un traducteur. Le Comité considère toutefois que l’auteur n’a pas fourni suffisamment de détails ou de documents à l’appui de ces allégations. En conséquence, le Comité conclut que les griefs tirés des articles 7 et 14 (par. 3 b), d) et 7) ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.5Enfin, le Comité estime que l’allégation de l’auteur qui affirme que son droit à l’application rétroactive de la loi avec atténuation de la peine a été violé est suffisamment fondée en ce qu’elle soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. En conséquence, il considère cette partie de la communication recevable et entreprend son examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

11.2Le Comité note le grief que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 15, à savoir qu’il aurait dû bénéficier de la «loi provisoire», c’est-à-dire de l’ancien Code tel qu’il se lisait une fois supprimées les dispositions relatives à la peine capitale déclarées inconstitutionnelles, qui était en vigueur entre le 29 décembre 1999, lorsque la décision du Tribunal constitutionnel a été adoptée, et le 4 avril 2000, lorsque la loi relative aux amendements aux codes est entrée en vigueur. L’État partie fait valoir qu’après la décision du Tribunal constitutionnel et avant les amendements apportés au Code pénal par le Parlement, il n’existait pas de loi qui aurait aboli ou adouci la peine pour les infractions visées à l’article 93 du Code pénal de 1960. Il affirme qu’en vertu de l’article 85 de la Constitution, seul le Parlement est habilité à adopter des lois et à leur apporter des amendements et que le chapitre 2 de la loi relative aux amendements apportés au Code pénal adoptée par le Parlement dispose que le réexamen des condamnations à mort qui n’ont pas encore été exécutées incombe au tribunal qui a prononcé la condamnation initiale.

11.3Conformément à la dernière phrase du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, si, postérieurement à l’infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier. En l’espèce, le Comité note que la peine d’emprisonnement à vie instituée par la loi relative aux amendements apportés au Code pénal, au Code de procédure pénale et au Code de rééducation par le travail de l’Ukraine est pleinement conforme au but de la décision du Tribunal constitutionnel, qui était d’abolir la peine de mort, peine plus lourde que l’emprisonnement à vie. La décision du Tribunal en elle-même n’impliquait pas la commutation de la peine prononcée à l’égard de l’auteur et n’instaurait pas de nouvelles peines qui auraient remplacé la condamnation à mort. En outre, à part les amendements cités relatifs à l’emprisonnement à vie, la loi n’a pas prévu ultérieurement de peine plus légère dont l’auteur aurait pu bénéficier. Dans ces circonstances, le Comité ne peut conclure qu’en remplaçant la peine capitale par l’emprisonnement à vie pour les crimes commis par l’auteur, l’État partie a violé les droits de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte à l’égard de l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]