Nations Unies

CCPR/C/102/D/1557/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

21 juillet 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1557/2007

Présentée par:

Stefan Lars Nystrom et consorts (représentés par le Human Rights Law Resource Centre)

Au nom de:

L’auteur, sa mère, Britt Marita Nystrom, et sa sœur, Annette Christine Turner

État partie:

Australie

Date de la communication:

22 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er mai 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

18 juillet 2011

Objet:

Expulsion de l’auteur de son pays de résidence

Questions de procédure:

Griefs non étayés

Questions de fond:

Immixtion arbitraire dans la vie privée, la vie de famille et le domicile; droit à la protection de la famille; droit d’entrer dans son propre pays; droit de ne pas être soumis à une détention arbitraire; ne bis in idem; interdiction de la discrimination

Articles du Pacte:

2 (par. 1), 9 (par. 1), 12 (par. 4), 14 (par. 7), 17, 23 (par. 1) et 26

Articles du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Le 18 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1557/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1557/2007 **

Présentée par:

Stefan Lars Nystrom et consorts (représentés par le Human Rights Law Resource Centre)

Au nom de:

L’auteur, sa mère, Britt Marita Nystrom, et sa sœur, Annette Christine Turner

État partie:

Australie

Date de la communication:

22 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1557/2007 présentée au nom de Stefan Lars Nystrom et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 22 décembre 2006, est Stefan Lars Nystrom, de nationalité suédoise, né en Suède le 31 décembre 1973. Il présente la communication en son propre nom et au nom de sa mère, Britt Marita Nystrom, de nationalité suédoise, née le 27 mars 1942 en Finlande, et de sa sœur, Annette Christine Turner, de nationalité australienne, née le 12 octobre 1969 en Australie. Il affirme être victime de violations par l’Australie des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du paragraphe 4 de l’article 12, du paragraphe 7 de l’article 14, de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 23 et de l’article 26, ainsi que d’une violation du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec les articles susmentionnés. Il affirme également que sa mère et sa sœur sont victimes d’une violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Il est représenté par le Human Rights Law Resource Centre .

1.2Le 23 décembre 2006, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, en application de l’article 97 du Règlement intérieur, a rejeté la demande de mesures provisoires présentée par l’auteur afin d’empêcher son expulsion vers la Suède. L’auteur a été expulsé vers la Suède le 29 décembre 2006.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1La mère de l’auteur, née en Finlande, a émigré en Suède en 1950 lorsqu’elle s’est mariée. En 1966, le couple a émigré en Australie. Leur premier enfant, Annette Christine Turner, est né en Australie. En 1973, alors qu’elle attendait un deuxième enfant, la mère de l’auteur est retournée en Suède avec sa fille pour voir des membres de sa famille. Elle y est restée pour la naissance de l’auteur. L’auteur avait 25 jours quand il est arrivé en Australie avec sa mère et sa sœur et avait un passeport suédois. Ils sont arrivés le 27 janvier 1974.

2.2Les parents de l’auteur se sont séparés quand il avait 5 ans et sont à présent divorcés. Sa mère, son père et sa sœur vivent encore en Australie. Il n’a guère eu de contacts avec son père après le divorce. Sa mère est résidente permanente et sa sœur, qui est née en Australie, a un passeport australien. L’auteur a passé toute sa vie, depuis l’âge de 27 jours, en Australie, au bénéfice d’un visa de transition (permanent). Il a peu de liens avec la Suède, n’ayant jamais appris le suédois et n’ayant pas eu de contacts directs avec ses oncles, ses tantes et ses cousins vivant là-bas. En revanche, il a des liens étroits avec sa mère et sa sœur ainsi qu’avec ses neveux qui vivent en Australie. Il a eu accès à l’assurance maladie Medicare (système de santé publique) et a eu un permis de conduire australien. Il a bénéficié d’allocations de chômage plusieurs fois dans sa vie. Il a versé des impôts à l’État australien en tant que vendeur de voitures et cueilleur de fruits.

2.3L’auteur a des antécédents judiciaires importants au sens du paragraphe 7 de l’article 501 de la loi sur les migrations. Depuis l’âge de 10 ans, il a été condamné pour un grand nombre d’infractions, notamment pour viol aggravé sur un enfant de 10 ans lorsqu’il avait 16 ans, incendie volontaire et diverses infractions telles qu’atteinte aux biens, vol à main armée, cambriolage et vol simple, plusieurs contraventions routières et des infractions liées à la possession et la consommation de stupéfiants. L’auteur a été puni pour toutes ces infractions conformément au système de justice pénale national. À l’âge de 13 ans, il a été confié aux soins de l’État. Quand il a été expulsé, il n’était sous le coup d’aucune nouvelle condamnation et il ne lui restait pas de peine de prison à purger. L’auteur souffre d’un problème d’alcoolisme qui est à l’origine de la plupart des infractions dont il a été accusé. Il a été soigné pour ce problème et a appris à le contrôler.

2.4Le 12 août 2004, la Ministre de l’immigration a annulé le visa de transition (permanent) de l’auteur au motif que celui-ci ne satisfaisait pas au «critère de la personnalité» énoncé au paragraphe 6 de l’article 501 de la loi, du fait de ses antécédents judiciaires importants. En conséquence, l’auteur a été arrêté et placé en détention à la prison de Port Phillip où il est resté huit mois. Sa demande d’examen judiciaire de la décision d’annulation du visa a été rejetée par un magistrat fédéral mais a été approuvée ensuite par la chambre plénière de la Cour fédérale. La décision de la Cour, datée du 30 juin 2005, indiquait que «c’est une chose de dire que la responsabilité de déterminer qui devrait être autorisé à entrer ou à rester en Australie en fonction des intérêts de la communauté australienne incombe en dernier ressort au ministre compétent. Mais cela n’a rien à voir avec l’expulsion définitive d’un membre intégré de la communauté australienne qui n’a pas de liens suffisants ailleurs.». Son recours auprès de la Cour fédérale ayant abouti, l’auteur a été remis en liberté, a commencé à travailler et a trouvé une certaine stabilité.

2.5La Ministre a formé auprès de la Cour suprême (High Court) un recours qui a abouti, la Cour ayant décidé le 8 novembre 2006 que le visa de l’auteur devait être annulé et l’auteur expulsé d’Australie. L’auteur a donc été arrêté une nouvelle fois, le 10 novembre 2006, et placé au centre de rétention de Maribyrnong dans l’attente de son expulsion, qui a eu lieu le 29 décembre 2006. Pendant la période de rétention, il a été placé dans la catégorie des détenus «à haut risque» et soumis au régime cellulaire jusqu’à sa sortie. Avant qu’il ne soit expulsé, les autorités suédoises ont demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion pour des raisons humanitaires.

2.6L’auteur, ayant passé toute sa vie en Australie, croyait en avoir la nationalité. Il a réalisé qu’il était un étranger dans son propre pays lorsque les autorités de l’État partie ont évoqué la possibilité d’annuler son visa, en août 2003. Il ne savait pas qu’il était titulaire d’un visa car celui-ci lui était automatiquement conféré en vertu de la législation australienne. Il ne s’agissait pas d’un document distinct ni d’un tampon apposé sur son passeport. Sa mère elle-même pensait qu’il avait la nationalité australienne. Au début de leur séjour en Australie (notamment au cours des deux ou trois années qui ont suivi la naissance de l’auteur), la mère de l’auteur et son mari ont reçu des autorités australiennes des courriers les invitant à prendre la nationalité du pays. Or ces courriers ne faisaient jamais mention de leurs enfants, ce qui les a confortés dans l’idée que ceux-ci avaient en fait la nationalité australienne.

2.7L’auteur a signé une déclaration officielle valant acceptation de son expulsion vers la Suède car les autorités de l’État partie lui avaient dit que, s’il ne le faisait pas, il serait placé en détention pour une durée indéterminée dans l’attente de l’examen de sa plainte par le Comité. Il n’a bénéficié d’aucun conseil juridique avant de signer ce document. À son arrivée en Suède, les autorités suédoises n’étaient pas présentes à l’aéroport pour l’accueillir. Le Ministère suédois de la justice a affirmé dans la presse qu’il n’avait rien reçu des autorités australiennes demandant qu’une assistance temporaire soit fournie à l’auteur. Vu qu’il n’avait pas été expulsé vers la Suède pour exécuter une peine d’emprisonnement, l’auteur n’a reçu aucune aide des pouvoirs publics depuis son arrivée, hormis le versement d’allocations de chômage. Il a vécu quelque temps chez le beau-frère de sa mère, puis a loué un petit appartement qui lui coûtait la moitié de son allocation.

2.8L’auteur est arrivé en Suède en n’étant absolument pas préparé à la culture, à la langue et au climat. Le traitement qu’il a subi l’a plongé dans un état de grande confusion, d’épuisement, de colère et de tristesse. À l’exception des allocations de chômage, il n’a reçu aucune aide des pouvoirs publics ni de la communauté pour apprendre la langue et améliorer sa situation sociale. Cette détresse l’a fait retomber dans l’alcoolisme. Sa mère et sa sœur ne peuvent lui rendre visite faute de moyens financiers. La séparation a engendré une vive souffrance affective pour la famille, qui est irrémédiablement brisée.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère que la décision de l’État partie de l’expulser vers la Suède constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, du paragraphe 4 de l’article 12, du paragraphe 7 de l’article 14, de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 23 et de l’article 26, ainsi qu’une violation du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 7 de l’article 14, l’article 17 et le paragraphe 1 de l’article 23. Il affirme en outre qu’il y a eu violation à l’égard de sa mère et de sa sœur des droits garantis par l’article 17 et le paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

Article 12, paragraphe 4

3.2L’auteur affirme qu’en annulant son visa de transition (permanent), ce qui a abouti à son expulsion, l’État partie a violé son droit d’entrer dans son propre pays, énoncé au paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, et en particulier à l’Observation générale no 27 concernant la liberté de circulation, dans laquelle le Comité indique que les termes du paragraphe 4 de l’article 12 ne font pas de distinction entre les nationaux et les étrangers, que les personnes autorisées à exercer ce droit ne peuvent être identifiées qu’en interprétant l’expression «son propre pays», que la signification de l’expression «son propre pays» est plus vaste que celle du «pays de sa nationalité», et qu’elle n’est pas limitée à la nationalité au sens strict du terme, c’est-à-dire la nationalité conférée à la naissance ou acquise par la suite; l’expression s’applique pour le moins à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec un pays ou de ses prétentions à l’égard d’un pays, ne peut être considérée dans ce même pays comme un simple étranger. L’auteur attache une importance particulière à l’opinion individuelle des membres du Comité Mme Ewatt, Mme Medina Quiroga et M. Aguilar Urbina (auxquels s’étaient joints Mme Chanet, M. Prado Vallejo et M. Bhagwati) qui, dans l’affaire Stewart c. Canada, ont considéré que, «au regard des droits énoncés à l’article 12, l’existence d’un lien formel avec l’État n’entre pas en ligne de compte; le Pacte vise en l’occurrence les liens personnels et affectifs très forts qu’une personne peut entretenir dans le territoire sur lequel elle vit et avec l’environnement social qui y existe pour elle. Telle est la protection prévue au paragraphe 4 de l’article 12.».

3.3L’auteur fait observer qu’à la différence des personnes concernées dans Stewart c. Canada et Canepa c. Canada, il a passé toute sa vie en Australie, qu’il considère donc comme son propre pays. Il souligne que les travaux préparatoires du Pacte indiquent également une volonté d’interpréter de manière large l’expression «son propre pays» vu que celle-ci a été préférée à l’expression initiale «le pays dont il a la nationalité». L’auteur se réfère en outre à la décision rendue par la chambre plénière de la Cour fédérale australienne, selon laquelle il était un membre intégré de la communauté australienne et n’avait pas de liens avec la Suède. De fait, le Gouvernement australien avait reconnu qu’à compter du 2 avril 1984 (date retenue en raison de certaines modifications de la législation), l’auteur avait cessé d’être un immigré du fait qu’il s’était intégré dans la communauté australienne. Cette année-là, il a d’ailleurs reçu un visa de personne intégrée (absorbed person visa). Dans le cadre juridique australien, une personne cesse d’avoir le statut d’immigré au motif de son intégration lorsqu’elle devient membre de la communauté australienne ou est intégrée à la communauté du pays. Les liens qui l’unissent à l’État australien acquièrent alors la même importance que pour les nationaux australiens. Ainsi, l’auteur a dû se conformer aux lois fiscales, il pouvait voter et se présenter aux élections locales dans l’État de Victoria et pouvait être enrôlé dans les forces armées australiennes, qui ne sont pas composées exclusivement de nationaux. L’auteur ajoute qu’il aurait pu travailler dans la police ou un service public analogue s’il l’avait souhaité. Par conséquent, les liens qui l’unissent à l’Australie sont aussi forts que ceux de n’importe quel citoyen australien.

3.4En raison de ses antécédents judiciaires, à présent que l’auteur a été expulsé vers la Suède, il est peu probable qu’il soit autorisé à retourner en Australie. L’auteur fait valoir à ce sujet que la commission d’infractions pénales ne justifie pas à elle seule l’expulsion d’une personne de son propre pays, à moins que l’État ne puisse montrer qu’il existe des raisons de nécessité impérieuses et immédiates, comme la préservation de la sécurité nationale ou de l’ordre public, qui exigent une telle mesure. Le temps écoulé entre l’époque où l’auteur a commis les infractions les plus graves (dont la plupart remontent à son adolescence) et la mesure d’expulsion tout comme le fait qu’une importance modérée a été accordée au risque de récidive laissent à penser que la protection de la communauté australienne contre le comportement futur de l’auteur n’a pas constitué un facteur déterminant dans la décision prise par la Ministre de l’immigration. L’auteur considère par conséquent que la décision de l’État partie de l’expulser puis de lui interdire de retourner en Australie est arbitraire et contraire au paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte.

Article 14, paragraphe 7

3.5L’auteur affirme en outre que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 7 de l’article 14, qui dispose que nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été condamné. L’auteur fait valoir que l’annulation de son visa et l’expulsion qui a suivi représentent une peine supplémentaire au titre d’infractions pour lesquelles il a déjà été puni conformément à la loi australienne. Il relève l’emploi des mots «poursuivi ou puni» au paragraphe 7 de l’article 14. Il reconnaît qu’il n’a pas été jugé deux fois pour les mêmes infractions mais il affirme avoir été puni une nouvelle fois, par l’annulation de son visa de transition (permanent), la détention qui a suivi et son expulsion vers la Suède des années après les événements en question. L’auteur insiste sur le fait que sa détention pendant huit mois à la prison de Port Phillip, qui n’est pas un centre de rétention pour immigrants mais une prison ordinaire à sécurité maximale, où condamnés et prévenus sont détenus pour des raisons liées à des infractions graves, est une preuve solide de ce que les mesures prises par l’État partie à l’encontre de l’auteur constituent une punition au sens du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

Article 2, paragraphe 1, et article 26

3.6L’auteur affirme que le déni du droit de ne pas subir une double peine constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte en ce qu’une discrimination arbitraire a été exercée au motif de sa nationalité. Comme il est indiqué précédemment, l’auteur considère qu’il a été puni deux fois pour la même infraction. Ce type de double peine ne peut pas être imposé à un Australien. Le fait qu’une personne soit résidente de longue date sans avoir la nationalité du pays n’est pas un critère raisonnable et objectif pouvant justifier une décision qui porte atteinte aux droits énoncés au paragraphe 7 de l’article 14. L’auteur considère par conséquent que l’État partie a violé les droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 26, lus conjointement avec le paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

Article 17 et article 23, paragraphe 1

3.7L’auteur fait valoir que l’État partie a violé d’une part le droit d’être protégé contre toute immixtion arbitraire dans sa vie de famille, ce qui constitue une violation de l’article 17, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 23, et d’autre part le droit d’être protégé contre toute immixtion arbitraire dans son domicile, ce qui constitue une violation de l’article 17 du Pacte. Les liens qui l’unissent à sa mère et à sa sœur sont des liens familiaux au sens des articles 17 et 23. S’agissant d’une famille nucléaire, ces liens correspondent même à l’interprétation la plus restrictive qui puisse être faite de ces deux dispositions. Demander à un membre d’une famille de partir alors que les autres restent en Australie constitue une immixtion dans la vie de famille pour l’auteur, sa mère et sa sœur. Lorsqu’il n’était pas en prison ou dans un foyer d’accueil, l’auteur vivait généralement avec sa mère.

3.8L’auteur reconnaît que certes sa mère et sa sœur n’ont pas, à proprement parler, l’interdiction de lui rendre visite en Suède, mais il renvoie à la jurisprudence du Comité, qui considère que le refus d’un État partie de laisser un membre d’une famille demeurer sur son territoire alors que les autres ont le droit d’y rester peut représenter une immixtion dans la vie de famille de cette personne. La décision de l’expulser et d’obliger ses parents immédiats à choisir entre l’accompagner ou rester sans lui entraînerait, quelle que soit l’option, des perturbations importantes dans une vie de famille établie depuis longtemps, ce qui constituerait une violation de l’article 17, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

3.9Sur la notion de domicile, l’auteur renvoie à l’Observation générale no 16 concernant le droit au respect de la vie privée, dans laquelle le Comité indique que le terme «domicile» à l’article 17 du Pacte doit s’entendre du lieu où une personne réside ou exerce sa profession habituelle. L’auteur affirme que ce terme doit être interprété au sens large, de manière à comprendre la communauté dans laquelle une personne réside et dont elle est membre. Le fait que l’auteur n’ait pas la nationalité australienne n’entre pas en ligne de compte dans l’interprétation que le Comité donne de cette notion aux fins de l’article 17 du Pacte. En déracinant l’auteur du seul pays qu’il ait jamais connu, en coupant tout contact avec sa famille, ses amis et son emploi habituel et en l’expulsant vers un environnement étranger comme la Suède, où il n’a bénéficié d’aucun réseau de soutien ni d’aucune mesure d’aide à l’installation et où ses chances d’intégration étaient nulles, l’État partie s’est immiscé dans la vie de famille de l’auteur. Pour ce qui est du caractère arbitraire de cette mesure, l’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité, qui considère que dans les cas où un membre d’une famille doit quitter le territoire d’un État partie alors que les autres ont le droit de rester, les critères pour établir si l’immixtion dans la vie de famille des intéressés peut ou ne peut pas être justifiée objectivement doivent être considérés eu égard d’une part à l’importance des motifs avancés par l’État partie pour expulser l’intéressé et d’autre part à la situation de détresse dans laquelle la famille et ses membres se trouveraient suite à l’expulsion.

3.10L’État partie a justifié l’expulsion de l’auteur par le fait que celui-ci avait des antécédents judiciaires importants et pouvait donc être considéré comme «persona non grata» selon les critères énoncés par la loi. Dans ses observations concernant la gravité et la nature des faits reprochés à l’auteur, la Ministre de l’immigration a particulièrement insisté sur le fait que l’auteur avait été condamné pour viol et coups et blessures volontaires graves en décembre 1990, et pour deux vols à main armée en février 1997. Elle a donc pris la décision d’expulser l’auteur près de quatorze ans après qu’il eut été condamné pour viol et coups et blessures volontaires et plus de neuf ans après qu’il eut exécuté la peine correspondante, sept ans après ses condamnations pour vol à main armée et plusieurs années après qu’il eut exécuté les peines correspondantes. En conséquence, l’auteur conclut que le temps écoulé avant que la Ministre ne prenne sa décision donne à penser non pas qu’elle considérait qu’il y avait une nécessité urgente de protéger la communauté australienne, mais plutôt qu’elle était résolue à punir davantage l’auteur pour les infractions qu’il avait commises. Pour toutes les raisons mentionnées, l’auteur considère que l’État partie a violé l’article 17 et le paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte en ce qu’il s’est immiscé arbitrairement dans sa vie privée, sa famille et son domicile et l’a arbitrairement privé du droit à la protection de sa famille. L’État partie l’a déraciné de son «domicile», que l’auteur définit comme étant la communauté australienne dans laquelle il a passé toute sa vie. Du fait de ses antécédents judiciaires, il est peu probable qu’il puisse retourner en Australie un jour et être auprès de sa famille dans un proche avenir.

3.11L’auteur considère également qu’en tant que personne ayant une nationalité différente, il a subi une discrimination dans l’exercice du droit à la protection contre toute immixtion arbitraire dans son domicile et du droit à la protection de sa famille. Il considère par conséquent que l’État partie a également violé le paragraphe 1 de l’article 2 et le paragraphe 26 du Pacte, lus conjointement avec l’article 17 et le paragraphe 1 de l’article 23.

Article 9

3.12L’auteur affirme enfin que sa détention pendant plus de neuf mois, principalement à la prison de Port Phillip (huit mois), constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Il fait observer que le paragraphe 1 de l’article 9 n’autorise la privation de liberté que si celle-ci est conforme à la loi et n’est pas arbitraire. Les autorités australiennes n’ont fourni aucun motif qui tienne compte de sa situation particulière pour justifier sa détention dans l’attente de l’issue des recours qu’il avait formés ou de son expulsion. L’auteur n’est pas entré en Australie illégalement et n’a pas tenté par fraude ou tromperie d’obtenir un visa ou une nationalité qu’il n’a pas et l’État partie n’a jamais prétendu qu’il l’avait fait. Le lourd passé judiciaire de l’auteur ne pouvait pas constituer le fondement de sa détention puisqu’il avait déjà exécuté les peines qui avaient été prononcées. Une détention fondée sur de tels motifs serait donc inutile et déraisonnable. L’auteur ajoute qu’il ne présentait aucun risque de fuite qui aurait fait de son placement en rétention en vertu de la législation relative à l’immigration une mesure proportionnée. À l’époque, il avait un emploi stable et avait des chances de récupérer son visa. Il n’avait aucun intérêt à fuir. L’État partie aurait pu employer d’autres moyens que l’incarcération, comme la mise en place d’un contrôle judiciaire ou le versement d’une caution, entre autres mesures, pour atteindre le même objectif. L’auteur affirme en conséquence que sa détention était arbitraire et constitue ainsi une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 7 février 2008, l’État partie a fait tenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il rejette les griefs de l’auteur au motif qu’ils ne sont pas suffisamment étayés et que les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne le paragraphe 7 de l’article 14. L’État partie affirme en outre que les affirmations de l’auteur ne sont pas fondées.

Article 9, paragraphe 1

4.2Pour ce qui est des griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie considère que la détention de l’auteur ne saurait constituer en soi un fondement suffisant pour le grief d’arbitraire à son égard et que cette détention était amplement justifiée. La détention de l’auteur était spécifiquement adaptée à l’objectif de l’expulsion, qui est considéré comme un objectif licite au regard du Pacte.

4.3Sur le fond, l’État partie fait valoir que l’auteur a été placé en détention après l’annulation licite de son visa pour des motifs tenant à sa personnalité, en application de la loi sur les migrations. Les agents d’immigration ont l’obligation de placer en rétention les personnes qui se trouvent en Australie sans visa valide, conformément à l’article 189 de la loi. L’article 196 fixe la durée de la rétention. Il prévoit que les non-nationaux retenus en application de l’article 189 doivent être placés dans un centre de rétention pour immigrants jusqu’à: a) leur renvoi d’Australie en application de l’article 198 ou de l’article 199; b) leur expulsion en application de l’article 200; ou c) l’obtention d’un visa. L’État partie considère que cette réglementation est adéquate et proportionnée aux buts recherchés que sont le maintien de l’intégrité du système d’immigration australien et la protection de la communauté australienne. Par conséquent, elle ne saurait être considérée comme arbitraire.

4.4L’État partie réfute le grief de l’auteur qui affirme que sa détention pendant huit mois dans la prison de Port Phillip a duré si longtemps qu’elle en était arbitraire. La Ministre de l’immigration exerçait les compétences que lui confère l’article 501 de la loi sur les migrations en décidant d’annuler le visa. Le placement en détention de l’auteur était une conséquence prévisible de cette décision puisqu’il était un corollaire de l’expulsion, laquelle avait un caractère automatique du fait de la décision de la Ministre. En outre, le traitement de l’appel formé par l’auteur devant la chambre plénière de la Cour fédérale a pris un certain temps, mais c’est l’auteur lui-même qui avait décidé de se pourvoir devant cette juridiction. Après que la chambre plénière de la Cour fédérale eut rendu sa décision, qui était favorable à l’auteur, ce dernier a été rapidement remis en liberté; l’État partie a contesté ensuite la décision devant la Cour suprême, qui lui a donné raison, et l’auteur a été arrêté une nouvelle fois. L’État partie ajoute que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, le fait que ce dernier a longtemps tenu en mépris la législation australienne et été alcoolique autorisait à penser qu’il pourrait ne pas se présenter aux autorités aux fins de son expulsion. Cette appréciation s’est révélée juste quand l’auteur a refusé de se soumettre à l’arrêté d’expulsion pris après la décision de la Cour suprême du 8 novembre 2006, obligeant ainsi les autorités à le placer sous escorte le 10 novembre 2006.

4.5Plusieurs éléments montrent que l’auteur a bénéficié d’un traitement raisonnable, nécessaire, approprié et prévisible, qui était proportionné aux buts recherchés dans les circonstances de l’espèce. Premièrement, il a toujours bénéficié d’un traitement conforme à la législation interne. Deuxièmement, il n’a pas satisfait au critère de la personnalité prévu à l’article 501 de la loi sur les migrations du fait de son lourd passé judiciaire. L’auteur a pu exposer ses arguments mais n’a pas convaincu la Ministre qu’il remplissait les conditions nécessaires pour être autorisé à rester en Australie. Enfin, l’auteur a proféré des menaces à différents stades de la procédure, ce qui a conduit les autorités d’immigration à considérer qu’il ne remplissait pas les conditions permettant de lui appliquer la procédure ordinaire de rétention prévue pour les immigrants.

4.6L’État partie fait valoir en outre que la Ministre s’est appuyée sur l’instruction ministérielle no 21 relative à l’exercice des compétences visées à l’article 501 de la loi sur les migrations pour rendre sa décision d’annulation du visa. Les liens de l’auteur avec sa mère, sa sœur et ses neveux constituaient des éléments à prendre en considération. Toutefois, le risque que ces liens soient rompus devait être apprécié au regard du danger auquel les autorités exposeraient la communauté australienne en autorisant l’auteur à rester sur le territoire national et des attentes de la communauté australienne. L’État partie souligne qu’il prend toutes les mesures raisonnables pour assurer la protection de la communauté australienne, en particulier des membres vulnérables comme les enfants et les jeunes. L’auteur a été condamné à l’âge de 16 ans pour viol et agression sur la personne d’un garçon de 10 ans. Dans son appréciation de la personnalité de l’auteur d’une part, et de la nécessité de protéger la collectivité d’autre part, la Ministre a pris en considération la gravité des infractions, le risque de récidive et la possibilité que l’annulation du visa ait un effet dissuasif. L’État partie relève que, depuis le viol et l’agression du garçon de 10 ans, l’auteur a été reconnu coupable de quelque 80 autres infractions, notamment de deux chefs de vol à main armée pour lesquels il a exécuté de longues peines de prison. La dernière condamnation remonte à 2002 et il semblait s’efforcer d’améliorer sa conduite. Il a cependant mis en place au fil du temps un schéma de récidive tel que la Ministre pouvait raisonnablement penser qu’il continuait de présenter un danger pour la collectivité. La Ministre a reconnu également que l’auteur n’avait pas tissé de liens avec la Suède et ne parlait pas le suédois, mais elle a finalement conclu que la gravité et la fréquence des délits commis l’emportaient sur ces considérations.

Article 12, paragraphe 4

4.7En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 12, l’État partie considère que les griefs sont irrecevables faute d’être étayés. L’auteur affirme que l’Australie est son propre pays sur la base de preuves indirectes qui ne lui sont pas favorables. Il n’a pas la nationalité australienne aux fins du Pacte et il est par conséquent soumis aux dispositions internes applicables aux non-nationaux. N’ayant pas de visa valide, l’auteur ne séjourne pas légalement en Australie. L’État partie renvoie à l’Observation générale no 15 relative à la situation des étrangers au regard du Pacte, dans laquelle le Comité affirme que, «en principe, il appartient à l’État de décider qui il admet sur son territoire».

4.8En ce qui concerne le fond, l’État partie note que l’auteur s’appuie en grande partie sur la jurisprudence du Comité dans l’affaire Stewart c. Canada.Outre qu’un nombre important d’opinions individuelles ont été formulées dans cette affaire, les constatations mêmes du Comité ne corroborent pas la conclusion de l’auteur de la communication à l’examen qui considère que l’Australie est son propre pays aux fins du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. Dans l’affaire Stewart c. Canada, le Comité indique plusieurs circonstances dans lesquelles le «propre pays» de l’auteur d’une communication ne serait pas nécessairement le pays de sa nationalité. Aucune des exceptions ne s’applique néanmoins à la situation particulière de l’auteur. Celui-ci n’a pas été déchu de sa nationalité, le pays dont il a la nationalité n’a pas cessé d’exister en tant qu’État et il n’est pas non plus apatride. Tous ces cas d’exception concernent des étrangers dont la nationalité est mise en doute, n’existe pas ou n’existe plus. D’un autre côté, l’auteur n’a jamais cessé d’avoir la nationalité suédoise. L’État partie cite le passage déterminant des constatations dans l’affaire Stewart c. Canada, dans lequel le Comité a estimé que la question qui se posait était de savoir «si une personne qui entre dans un État donné en vertu de la législation de cet État en matière d’immigration et sous réserve des conditions énoncées dans cette législation peut considérer que cet État est son propre pays alors qu’elle n’en a pas acquis la nationalité et qu’elle conserve la nationalité de son pays d’origine. La réponse pourrait éventuellement être positive si le pays d’immigration posait des obstacles déraisonnables à l’acquisition de la nationalité par les nouveaux immigrants. Toutefois, lorsque […] le pays d’immigration facilite l’acquisition de la nationalité et lorsque l’immigrant n’acquiert pas cette nationalité, soit par choix, soit du fait d’actes qu’il a commis le privant de la possibilité de l’acquérir, le pays d’immigration n’est pas considéré comme “son propre pays” au sens du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. Il y a lieu de noter à cet égard que si, lors de la rédaction du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, l’expression “pays de sa nationalité” a été rejetée, de même la suggestion visant à adopter l’expression “le pays de sa résidence permanente” a aussi été rejetée.».

4.9L’État partie souligne que, loin d’avoir posé des obstacles déraisonnables à l’acquisition de la nationalité, il a offert à plusieurs reprises à la mère de l’auteur et à son mari la possibilité de demander la nationalité australienne. Non seulement la famille Nystrom n’a pas profité de cette offre, mais l’auteur a également commis plusieurs délits, dont chacun le privait de la possibilité d’obtenir un visa pour rester en Australie, sans même parler de la possibilité d’en acquérir la nationalité. En ce qui concerne les liens étroits de l’auteur avec l’Australie, l’État partie renvoie à la jurisprudence dans l’affaire Madafferi c. Australie, dans laquelle le Comité a conclu que l’auteur de la communication ne pouvait pas revendiquer l’Australie comme son propre pays au sens du paragraphe 4 de l’article 12, même s’il était marié à une Australienne, s’il avait des enfants australiens et s’il avait un commerce en Australie. L’État partie conclut que, si le Comité a considéré que l’Australie n’était pas le propre pays de M. Madafferi, il ne saurait considérer a fortiori que l’Australie est le propre pays de l’auteur de la communication à l’examen, au sens du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. L’État partie ajoute que les titulaires d’un visa de personne intégrée entrent pleinement dans la catégorie des non-nationaux et sont soumis à la même réglementation en matière de visas au titre de la loi sur les migrations que les autres non-nationaux. Le visa de personne intégrée ne confère pas les mêmes droits que ceux dont jouissent les Australiens, en particulier il n’offre pas à celui qui en est titulaire une protection implicite contre l’expulsion. L’État partie conclut que le propre pays de l’auteur n’est rien d’autre que la Suède.

Article 14, paragraphe 7

4.10En ce qui concerne le paragraphe 7 de l’article 14, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes étant donné qu’il n’a jamais soulevé devant aucune juridiction interne la question du risque d’être soumis à une double peine. L’État partie conteste en outre la recevabilité de la communication pour défaut de fondement, dans la mesure où rien dans la communication ne permet d’établir qu’en annulant le visa l’État partie entendait punir l’auteur une deuxième fois pour les infractions qu’il avait commises.

4.11À propos du fond, l’État partie renvoie à l’article 5 de la loi sur les migrations, selon lequel la rétention des immigrants comprend la détention dans une prison ou un centre de détention provisoire du Commonwealth, d’un État ou d’un territoire. Lorsque l’agent d’immigration habilité décide qu’un détenu ne répond pas aux critères de placement dans un centre de rétention établi en application de la loi sur les migrations (par exemple du fait que l’intéressé a des antécédents de violence), il peut être décidé de placer cette personne dans un établissement pénitentiaire ou un centre de détention provisoire. L’auteur de la communication a un long et lourd passé de délinquance violente. Au terme de sa dernière peine d’emprisonnement, il a menacé de s’en prendre au personnel et aux détenus s’il était transféré dans un centre de rétention pour immigrants. Le niveau de surveillance dans ce type d’établissement est faible et les capacités permettant de faire face à des incidents violents sont très réduites. L’État partie affirme par conséquent que, dans l’intérêt du personnel et des autres personnes vivant dans le centre, de novembre 2004 à juillet 2005 l’auteur a été détenu à la prison de Port Phillip, dans l’État de Victoria, en application de l’article 189 de la loi sur les migrations.

4.12En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que les conditions de sa détention dans le centre de rétention d’immigrants de Maribyrnong constituaient une peine, l’État partie répond que ces conditions étaient adéquates et visaient à surveiller le syndrome aigu de sevrage alcoolique de l’auteur et son état d’anxiété. L’auteur a été placé à cet effet dans une pièce à part et a bénéficié de tous les soins médicaux nécessaires. Lorsqu’il est revenu au centre de rétention, en décembre 2007, l’auteur a refusé d’être placé dans un endroit autre que celui dans lequel il avait été placé la première fois. Il a déclaré qu’il ne voulait pas être mêlé aux autres personnes, en particulier à celles appartenant à des groupes ethniques autres que le sien. L’État partie conclut que les conditions de rétention de l’auteur ne sauraient être considérées comme une peine au sens du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte.

Article 17 et article 23, paragraphe 1

4.13En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, l’État partie fait valoir qu’ils ne sont pas suffisamment étayés dans la mesure où la communication ne montre pas que l’État partie n’a pas pris en considération tous les éléments pertinents quand il a pris la décision de retirer son visa à l’auteur. Lorsqu’elle a décidé d’annuler le visa, la Ministre de l’immigration a expressément tenu compte des obligations de l’État partie découlant de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23. L’instruction no 21 relative à l’exercice des pouvoirs prévoit l’examen de différentes conséquences pour la vie de l’intéressé qui vont au-delà de ce qui est visé à l’article 17 et au paragraphe 1 de l’article 23. L’État partie précise également que les griefs se rapportant à la mère et à la sœur de l’auteur ne sauraient être distingués de ceux qui concernent l’auteur lui-même puisqu’ils portent sur la même question.

4.14En ce qui concerne le fond, l’État partie maintient que l’article 17 et le paragraphe 1 de l’article 23 doivent être lus à la lumière du droit qu’a l’État partie, en vertu du droit international, de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers. Conformément à ce droit, le Pacte autorise l’État partie à prendre des mesures raisonnables pour maintenir l’intégrité de son régime migratoire, même lorsque ces mesures peuvent impliquer l’expulsion d’un membre d’une famille.

4.15Pour ce qui est de l’article 17, l’État partie renvoie à l’Observation générale no 16, relative au droit au respect de la vie privée, dans laquelle le Comité, lorsqu’il définit le domicile comme «le lieu où une personne réside ou exerce sa profession habituelle», se réfère aux habitations et éventuellement aux lieux d’activité économique, et non pas au pays tout entier. L’État partie renvoie à cet égard à l’ouvrage de Manfred Nowak CCPR Commentary, dans lequel le domicile est défini comme tous les types de logement «all types of houses» et l’espace couvert par un titre de propriété (ou tout autre titre juridique) («that area over which ownership (or any other legal title) extends»). L’État partie rejette en conséquence l’affirmation de l’auteur selon laquelle le terme «domicile», à l’article 17, pourrait recouvrir l’ensemble de l’Australie.

4.16En ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 23, l’État partie convient qu’il s’est immiscé dans la vie de famille de l’auteur. Il maintient toutefois qu’il ne l’a pas fait illégalement ou arbitrairement. L’État partie rappelle l’Observation générale no 16 du Comité sur le droit au respect de la vie privée, dans laquelle il est dit qu’aucune immixtion ne peut avoir lieu, sauf dans les cas envisagés par la loi, qui doit elle-même être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte. L’État partie fait valoir que la loi sur les migrations prévoit la possibilité d’expulser des personnes ayant des antécédents judiciaires importants et qui n’ont pas la nationalité australienne. De telles dispositions sont conformes aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte puisqu’elles visent à protéger la communauté australienne contre d’éventuelles violations du droit fondamental à la vie, à la liberté et à la sécurité des individus. Les dispositions de l’article 501 de la loi relatives au critère de la personnalité déterminent précisément les circonstances dans lesquelles il peut être décidé d’annuler ou de refuser un visa, et toutes les décisions sont prises au cas par cas après examen du dossier de l’intéressé et en tenant compte des principes énoncés dans l’instruction no 21.

4.17L’État partie souligne que, dans sa jurisprudence, le Comité autorise et pratique la mise en balance des considérations relevant du paragraphe 1 de l’article 23 et des motifs avancés par l’État partie pour expulser une personne. En conséquence, le bouleversement dans la famille de l’auteur a été examiné eu égard à des facteurs tels que la protection de la communauté australienne et les attentes de cette communauté. Dans ces conditions, il a été décidé que la gravité des infractions commises par l’auteur et le risque pour la communauté australienne l’emportaient sur l’immixtion dans la famille de l’auteur. Cette décision a été prise dans le plein respect de la législation australienne. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Byahuranga c. Danemark, dans laquelle le Comité a considéré que le comportement délictueux de M. Byahuranga était d’une gravité telle qu’il justifiait l’expulsion de l’auteur du Danemark. Dans l’affaire à l’examen, l’auteur a commis des infractions pour lesquelles il a exécuté des peines beaucoup plus longues. En conséquence, la communauté australienne pouvait raisonnablement attendre de l’État partie qu’il assure sa protection par les mécanismes juridiques en place, notamment par l’annulation du visa au titre de la loi sur les migrations.

Article 2, paragraphe 1, et article 26

4.18En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 26 du Pacte, l’État partie fait valoir que les griefs de l’auteur n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. L’État partie ne reconnaissant pas de violation du Pacte au regard du paragraphe 7 de l’article 14, de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, il conteste catégoriquement les griefs de discrimination dans cette affaire et demande par conséquent au Comité de rejeter ces griefs pour défaut de fondement.

4.19Pour ce qui est du fond, l’État partie convient que les droits énoncés dans le Pacte s’appliquent à tous les individus, y compris les non-nationaux, mais il considère que les États parties ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers. Se référant à l’Observation générale no 15 du Comité relative à la situation des étrangers au regard du Pacte, ainsi qu’à l’Observation générale no 18 du Comité relative à la non-discrimination, l’État partie maintient que la Ministre de l’immigration a agi raisonnablement et de bonne foi en appliquant les dispositions de la loi sur les migrations. Elle a tenu compte des conséquences pour la famille de l’auteur et a mûrement pesé cet aspect eu égard aux autres considérations exposées dans l’instruction no 21, l’objectif ultime étant de protéger les droits de la communauté australienne dans son ensemble, ce qui, de l’avis de l’État partie, est tout à fait légitime au regard du Pacte. L’État partie fait observer que l’auteur a eu la possibilité d’exposer son cas en première instance et qu’il a eu également la possibilité de contester la décision de la Ministre devant les tribunaux. Il considère par conséquent qu’en l’espèce il a garanti le droit à l’égalité devant la loi.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité et le fond

5.1En date du 18 avril 2008, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il rejette tout d’abord l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa mère et sa sœur ne seraient pas victimes d’une violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 et donne sa propre interprétation de l’article 2 du Protocole facultatif, puis il fait valoir qu’il n’a pas consenti à son expulsion. Il a signé une déclaration valant acceptation de son expulsion uniquement parce que les agents d’immigration lui avaient dit que, s’il ne le faisait pas, il resterait détenu pour une durée indéterminée dans l’attente de l’examen de sa communication par le Comité.

Article 9, paragraphe 1

5.2En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 9, l’auteur ajoute que, contrairement à ce qu’avance l’État partie, il n’a pas prétendu que sa détention était illégale. Il a fait valoir que sa détention n’était pas raisonnable, nécessaire, proportionnée, appropriée et justifiée compte tenu de toutes les circonstances et était ainsi arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9. L’État partie n’a pas apporté la preuve du contraire. Sur ce point, l’État partie a ignoré la jurisprudence du Comité dans les affaires mettant en cause la politique des autorités australiennes qui consiste à placer systématiquement en rétention les non-nationaux en situation irrégulière, conformément à la loi sur les migrations.

5.3L’État partie affirme que l’auteur a formulé des menaces à différents stades de la procédure, mais il ne précise toutefois pas quelles étaient ces menaces. À l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur a longtemps tenu en mépris la législation australienne et été alcoolique, l’auteur répond qu’il a exécuté toutes les peines auxquelles il avait été condamné et que, avant d’être placé en rétention et expulsé, il contrôlait très bien son problème d’alcoolisme. L’auteur rejette les arguments de l’État partie liés au sujet de la décision rendue le 8 novembre 2006 par la Cour suprême et de la nécessité de le placer sous escorte le 10 novembre 2006 parce qu’il n’avait pas obtempéré à cette décision. Il conclut que l’État partie n’a pas été en mesure de réfuter les arguments qu’il a présentés au sujet du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

Article 12, paragraphe 4

5.4En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 12, l’auteur affirme que, contrairement à l’auteur de la communication Stewart c. Canada, il n’est pas dans une situation où l’État partie aurait facilité l’acquisition de la nationalité et où lui-même aurait délibérément choisi de ne pas l’acquérir. L’auteur n’a jamais pris de décision concernant sa nationalité parce qu’il n’a jamais pensé que c’était nécessaire. Il est arrivé en Australie alors qu’il n’avait que 27 jours. Il ne pouvait pas alors se faire une opinion sur la question. Il a ensuite vécu toute son enfance et sa vie d’adulte sans se rendre compte qu’il n’avait pas la nationalité australienne. L’auteur n’a réalisé qu’il n’avait pas la nationalité australienne qu’au moment où l’État partie a évoqué la possibilité d’annuler son visa, en août 2003. L’État partie n’a rien fait qui lui aurait permis de comprendre qu’il se trompait au sujet de sa nationalité. En premier lieu, l’État partie a invité les parents de l’auteur à prendre la nationalité australienne sans faire mention de leurs enfants. En deuxième lieu, l’État partie n’a tenu aucun compte de la situation de l’auteur pour ce qui est de la nationalité lorsque l’auteur a été confié à ses soins, en 1986. La garde de l’auteur ayant été retirée à ses parents, l’État est devenu son tuteur et aurait dû ainsi agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’auteur n’avait que 13 ans à l’époque, et même s’il avait un petit casier judiciaire, il aurait pu obtenir la nationalité australienne si l’État partie avait engagé la procédure en son nom. L’auteur maintient que l’argument de l’État partie qui affirme que les circonstances de l’espèce ne relèvent pas de l’une des exceptions énoncées dans l’affaire Stewart c. Canada est inapproprié puisque ces exceptions ne constituent pas une liste exhaustive.

5.5Réitérant les arguments qu’il a présentés sur la notion de «propre pays», l’auteur indique que les liens sociaux, culturels et familiaux qu’il a noués avec l’Australie, l’âge qu’il avait lorsqu’il est arrivé dans le pays et le fait qu’il a été pendant un temps sous la tutelle de l’État montrent qu’il a tissé avec l’Australie des liens de telle nature qu’il peut considérer l’Australie comme son propre pays au sens du paragraphe 4 de l’article 12.

Article 14, paragraphe 7

5.6Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne les griefs tirés du paragraphe 7 de l’article 14, l’auteur ne connaît pas de cas, dans la jurisprudence australienne, qui permettrait de penser qu’il pourrait bénéficier d’un recours utile en application de la règle de la common law protégeant les individus contre une double peine. L’État partie n’indique pas quels recours internes pourraient être formés. En Australie, la common law est soumise au droit écrit. Si une loi dûment adoptée prévoit des mesures entraînant une double peine, la common law ne peut empêcher qu’il soit donné effet à cette loi. La Ministre s’est prévalue du pouvoir que lui confère la loi sur les migrations pour annuler le visa de l’auteur. Sauf si l’État partie fait valoir que la disposition pertinente de la loi est invalide ou devrait être interprétée d’une façon plus restrictive, rien ne permet de prétendre qu’une doctrine de common law relative à la double peine l’emporterait, ou permettrait l’exercice d’un recours interne contre la compétence de la Ministre en vertu de l’article 501 de la loi. L’auteur affirme donc qu’aucun recours interne ne peut être exercé à cet égard.

5.7Sur le fond, tout en admettant l’argument de l’État partie qui affirme que la régulation raisonnable des flux migratoires en application de la législation en matière d’immigration ne peut pas être considérée comme une peine, l’auteur considère que les circonstances dans lesquelles son visa a été annulé constituent bien une peine. Il indique qu’il a été arraché à son foyer, à sa famille et à son emploi et a été privé de la possibilité de retourner en Australie après son expulsion. L’auteur réaffirme donc que l’annulation de son visa et l’expulsion qui a suivi constituent une peine puisqu’elles sont directement liées à ses antécédents judiciaires et aux condamnations dont il a fait l’objet. L’auteur rejette l’argument de l’État partie selon lequel la Ministre n’a jamais eu l’intention d’imposer à l’auteur une double peine, l’important étant à ses yeux les incidences concrètes de la mesure prise. L’auteur considère également que sa détention dans la prison de Port Phillip et dans le centre de rétention d’immigrants de Maribyrnong constituait dans les deux cas une peine aux fins du paragraphe 7 de l’article 14. L’État partie n’a pas apporté la preuve qu’il ne satisfaisait pas aux critères permettant une détention ordinaire. De plus, le simple fait que son incarcération à la prison de Port Phillip pendant huit mois était légale n’empêche pas que cette détention ait constitué une peine. Les arguments de l’État partie concernant les conditions satisfaisantes de sa détention sont sans objet. L’auteur conteste la présentation de ses antécédents judiciaires comme un long et lourd passé de délinquance violente, ce qui donne une idée fausse de son dossier, et en particulier de sa situation durant les dix dernières années.

Article 17 et article 23, paragraphe 1

5.8En ce qui concerne l’article 17 et l’interprétation du mot «domicile», l’auteur maintient que ce terme devrait être interprété au sens large de manière à viser la communauté et le réseau social du lieu où une personne réside ou exerce sa profession habituelle. Le domicile de l’auteur est son entourage direct et non pas l’ensemble de l’Australie.

5.9À propos du grief d’immixtion de l’État partie dans la famille de l’auteur, en violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, l’auteur affirme que cette immixtion était arbitraire et qu’il n’a jamais dit qu’elle était illégale. L’État partie n’a pas pesé comme il convenait les motifs qu’il avait d’expulser l’auteur au regard de la dureté de l’épreuve que sa famille subirait du fait de son expulsion. L’auteur rejette l’affirmation selon laquelle son expulsion est la conséquence directe de sa conduite répréhensible. Ce sont les condamnations pénales qui ont été la conséquence directe de sa conduite. En ce qui concerne les attentes de la communauté australienne, l’auteur indique qu’aucun élément n’est avancé qui permettrait d’éclairer la nature de ces attentes. Il se pourrait que la communauté s’attende à ce qu’une personne qui a passé toute sa vie en Australie soit autorisée à y rester et n’en soit pas expulsée vers un pays avec lequel elle n’a aucun lien véritable. À l’époque où il a commis les infractions sur lesquelles la Ministre s’est essentiellement fondée pour rendre sa décision, l’auteur était sous la tutelle de l’État. Lorsqu’il a déterminé l’importance qu’il convenait d’accorder à ces infractions, l’État partie n’a tenu aucun compte de la responsabilité qui lui incombait à l’époque en sa qualité de tuteur. L’auteur relève enfin que rien ne vient étayer l’affirmation de l’État partie selon laquelle il continue de présenter un danger pour la communauté australienne. L’auteur considère par conséquent qu’il y a eu violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 car l’immixtion dans sa famille était arbitraire.

Article 2, paragraphe 1, et article 26

5.10En ce qui concerne les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, l’auteur ne prétend pas que l’État partie ne devrait pas pouvoir établir une distinction entre les nationaux et les non-nationaux. L’État partie peut effectivement établir une telle distinction pour autant que le traitement ne constitue pas une violation du paragraphe 7 de l’article 14, de l’article 17 ou du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. L’auteur renvoie à l’Observation générale no 15 relative à la situation des étrangers au regard du Pacte, dans laquelle le Comité affirme que «dans certaines situations, un étranger peut bénéficier de la protection du Pacte même en ce qui concerne l’entrée ou le séjour: tel est le cas si des considérations relatives à la non-discrimination, à l’interdiction des traitements inhumains et au respect de la vie familiale entrent en jeu».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note l’objection de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour ce qui est du grief tiré du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte − du fait de l’annulation de son visa, de sa détention et de son expulsion il a été puni une nouvelle fois à raison d’infractions pour lesquelles il a déjà exécuté une peine d’emprisonnement. Le Comité note que l’objection de l’État partie porte sur le fait que l’auteur n’a pas soulevé ces questions devant les juridictions internes.

6.4Nonobstant cet argument, le Comité renvoie à son Observation générale no 32 sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il affirme que le paragraphe 7 de l’article 14 interdit de punir deux fois une personne pour la même infraction, mais n’interdit pas de prendre après la sanction des mesures «qui ne sont pas une sanction pour une infraction pénale au sens de l’article 14 du Pacte». La procédure permettant l’expulsion d’une personne qui n’a pas la nationalité de l’État partie n’entre en principe pas dans le champ d’application de l’article 14, et l’auteur n’a pas montré que la procédure qui lui a été appliquée visait à lui imposer une peine supplémentaire et non pas à protéger la population. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable pour défaut de fondement, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Le grief de discrimination, en violation du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26, lus conjointement avec le paragraphe 7 de l’article 14, est irrecevable pour le même motif.

6.5Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité des griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 4 de l’article 12, de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 lus conjointement avec l’article 17 et le paragraphe 1 de l’article 23, au motif qu’ils n’étaient pas étayés. Contrairement à l’État partie, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ces griefs en ce qu’ils le touchent lui-même et les griefs qu’il tire de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, à l’égard de sa mère et de sa sœur. Le Comité déclare par conséquent la communication recevable en ce qu’elle paraît soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 4 de l’article 12, de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 23 et de l’article 26 du Pacte, et il procède à l’examen de la communication quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

Article 9

7.2Le Comité note l’argument de l’État partie qui affirme que la détention de l’auteur pendant neuf mois avant son expulsion était légale et raisonnable, et découlait directement de l’annulation du visa de l’auteur, qui avait été décidée par la Ministre de l’immigration conformément à la législation nationale. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie relatif à la nécessité de placer l’auteur en détention dans une prison plutôt que dans un centre de rétention pour immigrants en raison des menaces que l’auteur aurait proférées contre le personnel et les personnes placées dans le centre de rétention et du risque de fuite. Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel les autorités auraient pu employer d’autres moyens que l’incarcération, par exemple la mise en place d’un contrôle judiciaire ou le versement d’une caution, pour atteindre le même objectif.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence et souligne que, même si la rétention d’étrangers séjournant illégalement sur le territoire de l’État partie n’est pas arbitraire en soi, la mesure peut être qualifiée d’arbitraire si elle n’est pas nécessaire compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire: l’élément de proportionnalité entre en jeu.. Dans l’affaire à l’examen, le Comité constate que l’auteur a été arrêté et détenu légalement comme suite à l’annulation de son visa, qui a fait de lui un résident en situation irrégulière au sens de la loi sur les migrations. De plus, l’auteur a été détenu dans l’attente de son expulsion, à laquelle il ne pouvait pas être procédé tant que tous les recours internes n’étaient pas épuisés. Le Comité note l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’incarcération de l’auteur était nécessaire en raison des antécédents judiciaires importants de ce dernier, du risque de récidive et de la nécessité, pour l’État partie, d’assurer la protection de la communauté australienne. Compte tenu de la décision de l’État partie d’annuler le visa de l’auteur, de la crainte que l’auteur puisse s’en prendre au personnel et aux retenus du centre de rétention, et du risque de fuite, le Comité considère que la détention de l’auteur dans l’attente de l’expulsion était proportionnée dans les circonstances particulières de l’espèce. En conséquence, le Comité conclut à l’absence de violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

Article 12, paragraphe 4

7.4En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, le Comité doit tout d’abord déterminer si l’Australie est bien le «propre pays» de l’auteur aux fins de cette disposition, puis déterminer si la privation du droit d’entrer dans ce pays serait arbitraire. Sur la première question, le Comité rappelle son Observation générale no 27 relative à la liberté de circulation, dans laquelle il a considéré que «la signification des termes “son propre pays” est plus vaste que celle du “pays de sa nationalité”. Elle n’est pas limitée à la nationalité au sens strict du terme, c’est-à-dire la nationalité conférée à la naissance ou acquise par la suite; l’expression s’applique pour le moins à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec un pays ou de ses prétentions à l’égard d’un pays, ne peut être considérée dans ce même pays comme un simple étranger.». À ce sujet, il considère qu’il existe des facteurs autres que la nationalité qui peuvent établir des liens étroits et durables entre une personne et un pays, liens qui peuvent être plus forts que ceux de la nationalité. Les termes «son propre pays» invitent à examiner des aspects tels que la résidence permanente, les liens personnels et familiaux étroits et l’intention de demeurer dans le pays, ainsi que l’absence de tels liens ailleurs.

7.5Dans la présente affaire, l’auteur est arrivé en Australie quand il avait 27 jours, sa famille nucléaire vit en Australie, il n’a aucun lien avec la Suède et ne parle par le suédois. D’un autre côté ses liens avec la communauté australienne sont suffisamment étroits pour qu’il ait été considéré comme un «membre intégré de la communauté australienne», par la chambre plénière de la Cour fédérale dans son arrêt en date du 30 juin 2005; il assume un grand nombre des devoirs de citoyen et a été traité comme tel dans plusieurs aspects de l’exercice des droits civils et politiques, comme le droit de voter aux élections locales ou le droit de servir dans l’armée. De plus l’auteur affirme qu’il n’a jamais pris la nationalité australienne parce qu’il pensait être australien. Il fait valoir qu’il a été placé sous la tutelle de l’État à l’âge de 13 ans et que l’État partie n’a jamais engagé de procédure de naturalisation pour toute la période pendant laquelle il a exercé la tutelle de l’auteur. Le Comité relève que l’État partie n’a pas réfuté le deuxième argument. Étant donné les circonstances particulières de l’affaire, le Comité considère que l’auteur a montré que l’Australie était son propre pays au sens du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, compte tenu des liens très forts qui le rattachent à l’Australie, la présence de sa famille dans ce pays, la langue qu’il parle, la durée de son séjour dans le pays et l’absence de tout lien avec la Suède autre que la nationalité.

7.6Pour ce qui est du caractère arbitraire de l’expulsion, le Comité rappelle son Observation générale no 27 relative à la liberté de circulation, dans laquelle il a établi que même une immixtion prévue par la loi doit être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et être dans tous les cas raisonnable eu égard aux circonstances particulières. Les États parties ne doivent pas, en privant une personne de sa nationalité ou en l’expulsant vers un autre pays, empêcher arbitrairement celle-ci de retourner dans son propre pays. Dans la présente affaire, la décision ministérielle d’expulser l’auteur a été prise près de quatorze ans après la condamnation pour viol et pour coups et blessures volontaires et plus de neuf ans après sa libération une fois exécutée la peine pour ces infractions, sept ans après des condamnations pour vol à main armée et plusieurs années après sa remise en liberté, une fois exécutée la peine correspondante; plus important encore la décision est intervenue à un moment où l’auteur avait entrepris de changer de conduite. Le Comité note que l’État partie n’a pas apporté d’argument justifiant une décision ministérielle aussi tardive. À la lumière de ces considérations, il estime que l’expulsion de l’auteur a été arbitraire et a donc constitué une violation du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte.

Article 17 et article 23, paragraphe 1

7.7En ce qui concerne les violations de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 dont seraient victimes l’auteur, sa mère et sa sœur, le Comité réaffirme, conformément à son Observation générale no 16 relative au droit au respect de la vie privée et à son Observation générale no 19 relative à la protection de la famille, que la notion de famille doit être interprétée au sens large. Le Comité réaffirme également, conformément à sa jurisprudence, qu’il peut y avoir des cas dans lesquels le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une immixtion dans la vie de famille de cette personne. Toutefois, le simple fait que certains membres d’une famille aient le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’éviction d’autres membres de la même famille une immixtion du même ordre. Le Comité rappelle que la séparation d’une personne d’avec sa famille par le biais d’une expulsion pourrait être considérée comme une immixtion arbitraire dans la famille et comme une violation de l’article 17 si, dans les circonstances de la cause, la séparation et ses effets sur l’auteur étaient disproportionnés par rapport aux objectifs visés.

7.8Le Comité considère que la décision d’un État partie d’expulser une personne qui a passé toute sa vie dans le pays et laisse derrière elle sa mère, sa sœur et ses neveux, vers un pays avec lequel elle n’a aucun lien autre que la nationalité, doit être considérée comme une «immixtion» dans la famille. Il note que l’État partie n’a pas contesté qu’il y avait eu immixtion en l’espèce. Le Comité doit donc déterminer si cette immixtion pourrait être considérée comme arbitraire ou comme illégale. Il relève tout d’abord que l’immixtion est légale puisqu’elle est prévue par la loi sur les migrations de l’État partie, qui dispose que le Ministre de l’immigration peut retirer un visa si son titulaire a été condamné à un emprisonnement de douze mois ou davantage. En l’espèce, l’auteur a été reconnu coupable d’infractions pénales graves et a été condamné à neuf ans d’emprisonnement au moins.

7.9En ce qui concerne la nécessité de prendre en considération d’une part l’importance des motifs avancés par l’État partie pour renvoyer l’auteur et d’autre part la situation de détresse pour la famille et les membres de la famille suite à l’expulsion, le Comité note l’observation de l’État partie qui affirme avoir pesé tous ces aspects et conclu qu’il fallait expulser l’auteur pour protéger la communauté australienne et répondre à ses attentes.

7.10Le Comité reconnaît que l’auteur a un lourd casier judiciaire. D’un autre côté, il note que l’auteur affirme qu’il a conservé des liens étroits avec sa mère et sa sœur malgré le temps qu’il a passé en détention ou sous la tutelle de l’État, qu’il avait entrepris de réduire sa dépendance à l’alcool et avait un emploi stable au moment où l’État partie a décidé d’annuler son visa, qu’il n’a aucun parent proche en Suède et que son expulsion a complètement rompu ses liens familiaux étant donné que sa famille n’a pas les moyens financiers de se rendre en Suède. Le Comité note en outre l’argument de l’auteur qui affirme que les infractions pénales qu’il a commises étaient le résultat de son alcoolisme, dont il s’était partiellement guéri, et que la décision d’expulsion a été prise près de quatorze ans après la condamnation pour viol et coups et blessures volontaires et plus de neuf ans après qu’il eut exécuté la peine correspondante, sept ans après ses condamnations pour vol à main armée et plusieurs années après qu’il eut exécuté les peines correspondantes.

7.11À la lumière des renseignements dont il est saisi le Comité considère que la décision d’expulser l’auteur a eu des conséquences irréparables pour l’auteur [et sa famille], qui étaient disproportionnées par rapport au but légitime de prévention de la récidive, en particulier au vu du laps de temps très long qui s’est écoulé entre la commission des infractions qui ont fondé la décision de la Ministre et l’expulsion. Étant donné que l’expulsion est une mesure ferme et que la famille de l’auteur n’a guère les moyens financiers de lui rendre visite en Suède ou même d’aller le rejoindre en Suède, le Comité conclut que l’expulsion de l’auteur a constitué une immixtion arbitraire dans la famille à l’égard de l’auteur [, de sa sœur et de sa mère], en violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

7.12Pour ce qui est du grief de l’auteur qui invoque une violation directe de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte dans le cas de sa mère et de sa sœur, le Comité note que la plupart des arguments avancés par l’auteur − sinon tous − se rapportent aux conséquences de la perturbation de la vie de famille pour l’auteur qui a été expulsé vers un autre pays. Le Comité note également que la mère et la sœur n’ont pas été déracinées et sont restées dans leur environnement familial, qui était établi en Australie. À la lumière des renseignements dont il est saisi le Comité ne peut donc pas conclure qu’il y a eu une violation séparée et distincte de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 à l’égard de la mère et de la sœur de l’auteur.

7.13Étant donné la conclusion à laquelle il est parvenu, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’expulsion de l’auteur vers la Suède a constitué une violation des droits qu’il tient du paragraphe 4 de l’article 12, de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment en l’autorisant à retourner en Australie et en lui apportant des moyens matériels pour faciliter son retour dans le pays. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Gerald L. Neuman et de M. Yuji Iwasawa

1.Nous ne pouvons nous associer à l’analyse et aux conclusions de la majorité concernant la présente communication. Nous sommes en désaccord avec l’appréciation faite par la majorité quant à la proportionnalité de l’expulsion de l’auteur vers la Suède, au vu des articles 17 et 23 du Pacte. Mais, nous divergeons plus encore sur la manière dont la majorité infirme la jurisprudence constante du Comité concernant le droit d’entrée dans «son propre pays» reconnu au paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte.

2.1Jusqu’ici, le Comité a interprété l’article 17 du Pacte, qui protège la vie de famille contre des immixtions arbitraires, et l’article 23 du Pacte, qui prévoit que la famille a droit à la protection de l’État, comme instituant des limites au pouvoir des États d’expulser des individus qui ne sont pas leurs ressortissants quand l’expulsion constituerait une immixtion déraisonnable dans la vie de famille des intéressés. Le critère de proportionnalité appliqué par le Comité pour apprécier le caractère raisonnable de ces immixtions est un moyen important de garantir les droits fondamentaux des immigrés et nous y adhérons sans réserve. Cependant, à propos des faits objet de la présente communication, nous ne pensons pas que l’application de ce critère doive conduire à une constatation de violation des droits de l’auteur.

2.2Il est de la responsabilité de l’État partie de garantir à la fois les droits de l’auteur et ceux des autres personnes qui résident sur son territoire. Devant le lourd casier judiciaire de l’auteur, l’État partie était fondé à user de son pouvoir, reconnu dans le droit interne et le droit international, de protéger ses résidents en renvoyant l’auteur dans le pays dont il avait la nationalité. Avant d’user de ce pouvoir, les fonctionnaires compétents ont pesé les arguments pour et les arguments contre, et ils ont opté pour l’expulsion. Si nous avions été à la place des fonctionnaires australiens compétents, nous n’aurions pas choisi d’expulser l’auteur, nous aurions accepté la responsabilité de l’État australien qui était d’assurer son éducation et nous lui aurions permis de rester. Mais nous ne pensons pas que le Pacte requière de l’État partie qu’il adopte ce point de vue, et dans les circonstances propres à l’affaire la décision opposée n’avait rien de disproportionné.

2.3Au moment où la décision considérée a été prise, l’auteur était âgé de plus de 30 ans et n’avait ni femme ou compagne ni enfant en Australie. Sa famille dans ce pays se réduisait à sa mère, sa sœur et la famille de sa sœur, et un père avec lequel il n’avait aucun contact. L’auteur dément avoir eu des parents en Suède, or sa famille australienne était restée en contact avec eux, et un de ses oncles l’a pris chez lui après son arrivée en Suède. En Suède, comme en Australie, les technologies de communication modernes existent.

2.4Ni les constatations antérieures du Comité, ni la jurisprudence des organes régionaux des droits de l’homme ne corroborent la conclusion que l’expulsion d’un adulte se trouvant dans cette situation familiale et dont le casier judiciaire est aussi chargé constitue une immixtion disproportionnée dans la vie de famille. Jusqu’à ce jour, le Comité a accordé plus d’importance qu’il ne le fait ici à l’intérêt qu’ont les États à prévenir le crime.

2.5La majorité reproche également à l’État partie d’avoir laissé s’écouler trop de temps entre le moment où l’auteur avait commis les crimes les plus graves et la décision d’expulsion. Nous pensons que cette position va à l’encontre de la protection des droits de l’homme. Il ne s’agit pas ici d’un individu qui a mené une vie exemplaire, après des erreurs de jeunesse dont il est appelé sans raison à subir une nouvelle fois les conséquences. Dans la présente affaire, l’auteur, condamné pour vol à main armée, n’a pas tardé après sa sortie de prison à commettre une série de nouveaux délits, vol d’automobiles et mise en danger d’autrui notamment, qui ont amené l’État partie à agir. Le Comité ne devrait pas dissuader les États de donner à leurs résidents susceptibles d’expulsion une chance de montrer qu’ils se sont amendés, en affirmant qu’en cas de décision tardive il n’y a plus d’option d’expulsion, même en cas de récidive.

2.6Pour les raisons qui viennent d’être exposées, nous ne pouvons pas affirmer que l’État partie a violé les droits de l’auteur au regard des articles 17 et 23 en l’expulsant vers la Suède. Mais nos divergences face aux constatations de la majorité ne s’arrêtent pas là.

3.1La majorité renonce aussi à son interprétation constante du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte qui stipule: «Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays.». La fonction première de cette disposition était de protéger résolument le droit des citoyens d’un État de ne pas être exilés ou empêchés de retourner dans leur pays. La structure du Pacte permet de penser − les travaux préparatoires le confirment − que le libellé de l’article 12 a été rédigé avec soin afin que ce droit ne soit pas affecté par les restrictions à la liberté de mouvement autorisées par le paragraphe 3 de l’article 12. Il ne fallait pas non plus que les citoyens soient soumis à une double procédure consistant d’abord à les priver de la nationalité, puis à appliquer la procédure d’expulsion des étrangers visée à l’article 13. Dans ses constatations dans l’affaire Stewart c. Canada, le Comité, après avoir évoqué le problème du retrait de la nationalité, a mentionné d’autres formes de manipulation du droit sur la nationalité auxquelles il ne devrait pas être permis de recourir pour ne pas accorder la protection prévue au paragraphe 4 de l’article 12, telles que le cas «de personnes dont le pays de nationalité aurait été intégré ou assimilé à une autre entité nationale au sein de laquelle elles n’auraient pas été reconnues comme des nationaux» et peut-être «les apatrides privés arbitrairement du droit d’acquérir la nationalité de leur pays de résidence». Toutefois, lorsque «le pays d’immigration facilite l’acquisition de la nationalité et lorsque l’immigrant n’acquiert pas cette nationalité, soit par choix, soit du fait d’actes qu’il a commis le privant de la possibilité de l’acquérir, le pays d’immigration n’est pas considéré comme “son propre pays” au sens du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte». Dans son interprétation, le Comité a évité de conditionner entièrement ce droit à l’attribution formelle de la nationalité par l’État tout en maintenant un lien entre le droit et le concept de nationalité, élément fondamental du droit international dont l’importance est aussi reconnue au paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte.

3.2Dans les présentes constatations, la majorité renonce à tout lien avec la nationalité et adopte une approche plus large, qui avait été défendue dans des opinions dissidentes et que le Comité a évoquée, sans pour autant être approuvée, dans son Observation générale no 27 relative à l’article 12. Le paragraphe 7.4, tel que conçu par la majorité, reprend un passage d’une opinion dissidente émise dans l’affaire Stewart c. Canada et omet de faire mention d’obstacles déraisonnables à l’acquisition de la nationalité. Ce paragraphe donne à penser que la résidence permanente et les liens personnels (et souvent impossibles à prouver) sont les critères qui permettent de déterminer si les non-ressortissants peuvent affirmer qu’un État est leur «propre pays» au sens du paragraphe 4 de l’article 12.

3.3Cet élargissement du champ d’application du paragraphe 4 de l’article 12 comporte à tout le moins deux risques. Soit cet élargissement entraînera une augmentation considérable du nombre de non-ressortissants qu’un État ne peut pas renvoyer dans leur pays de nationalité, même s’il existe des raisons sérieuses qui touchent à l’intérêt public et à la protection des droits d’autrui pour mettre un terme à leur statut de résidents. Il est vraisemblable que l’interdiction visée au paragraphe 4 de l’article 12 s’applique même dans le cas où l’expulsion risquerait de constituer une immixtion proportionnée dans la vie de famille au sens des articles 17 et 23, sans quoi la nouvelle interprétation de la majorité n’aurait aucun sens. En outre, le paragraphe 7.6 du texte de la majorité reprend un passage de l’Observation générale no 27, à savoir que les cas dans lesquels la privation du droit d’une personne d’entrer dans son propre pays pourrait être raisonnable, «s’ils existent, sont rares».

3.4Soit l’approche de la majorité aura pour effet d’affaiblir la protection conférée traditionnellement par le paragraphe 4 de l’article 12 aux ressortissants et à une catégorie restreinte de quasi-ressortissants d’un pays. Cet affaiblissement pourrait même résulter d’une interprétation fondée moins sur la structure et l’objet du paragraphe 4 de l’article 12 et davantage sur la lettre même de cette disposition, laquelle, à propos de l’entrée dans son «propre pays», interdit uniquement la privation «arbitraire» de ce droit.

3.5Selon nous, le Comité ne devrait ni affaiblir la protection prévue au paragraphe 4 de l’article 12 en atténuant la rigueur de la norme qu’il renferme, ni accorder une sorte de seconde nationalité de facto à des quantités de résidents non ressortissants.

3.6Concernant les faits propres à la présente affaire, nous pouvons concevoir une conclusion très limitée qui est que l’auteur devrait être traité comme un ressortissant australien parce que les autorités de l’État partie ne lui ont pas accordé la nationalité à l’époque où, adolescent, il était sous la tutelle de l’État. Mais telle n’est pas l’interprétation de l’article 12 exposée par la majorité au paragraphe 7.4, et telle n’est pas non plus l’interprétation adoptée par la majorité dans les constatations adoptées à la présente session dans une autre affaire, à savoir l’affaire Warsame c. Canada, dans laquelle la question de la non-attribution de la nationalité ne se pose pas. La présente décision est fondée sur une réinterprétation très large du paragraphe 4 de l’article 12 à laquelle nous ne souscrivons pas.

(Signé) Gerald L. Neuman

(Signé) Yuji Iwasawa

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle (dissidente) de Sir Nigel Rodley, Mme Helen Keller et M. Michael O’Flaherty

Nous pouvons difficilement nous associer à la constatation du Comité concluant à une violation du paragraphe 4 de l’article 12, pour les raisons exposées dans l’opinion dissidente de M. Neuman et de M. Iwasawa. Le Comité semble s’appuyer sur l’Observation générale no 27 pour considérer que l’Australie est le propre pays de l’auteur. Certes, il est dit dans l’Observation générale que «la signification des termes “son propre pays” est plus vaste que celle du “pays de sa nationalité”». Ce que le Comité omet de prendre en compte c’est que tous les exemples donnés dans l’Observation générale sur l’application de ce concept plus vaste se rapportent à des personnes qui n’ont pas de nationalité effective. Il s’agit dans ces exemples de «nationaux d’un pays auxquels la nationalité aurait été retirée en violation du droit international»; de «personnes dont le pays de nationalité aurait été intégré ou assimilé à une autre entité nationale dont elles se verraient refuser la nationalité»; et d’«apatrides privés arbitrairement du droit d’acquérir la nationalité de leur pays de résidence» (Observation générale no 27, par. 20).

Aucun de ces exemples ne correspond à la présente affaire. Il est également hors de doute que l’auteur a une nationalité effective, à savoir la nationalité suédoise. D’autre part, l’État partie n’a pas répondu à l’affirmation de l’auteur qui affirme qu’il ignorait qu’il n’était pas citoyen australien, affirmation dont la vraisemblance trouve confirmation dans le fait que l’État partie a assumé sa tutelle pendant une période importante de sa vie et une période de formation. Dans un cas aussi exceptionnel, un cas limite, nous refusons de conclure de manière décisive que le paragraphe 4 de l’article 12 n’avait pas pu être violé. Nous considérons néanmoins au vu de ses constatations de violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, que le Comité aurait pu et dû s’abstenir de prendre la voie qu’il avait suivie de manière encore moins explicable dans l’affaire Warsame c. Canada.

(Signé) Sir Nigel Rodley

(Signé) Helen Keller

(Signé) Michael O ’ Flaherty

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]