CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.RESTREINTE*

CCPR/C/72/D/884/199931 juillet 2001

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑douzième session9‑27 juillet 2001

CONSTATATIONS

Communication no 884/1999

Présentée par:Mme Antonina Ignatane(représentée par un conseil, Mme Tatyana Zhdanok)

Au nom de:L’auteur

État partie:Lettonie

Date de la communication:17 mai 1998 (date de la lettre initiale)

Décision antérieure:Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 octobre 1999 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:25 juillet 2001

Le 25 juillet 2001, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 884/1999. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITREDU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIFSE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONALRELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES– Soixante‑douzième session –

concernant la

Communication no 884/1999**

Présentée par:Mme Antonina Ignatane(représentée par un conseil, Mme Tatyana Zhdanok)

Au nom de:L’auteur

État partie:Lettonie

Date de la communication:17 mai 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication no 884/1999 présentée par Mme Antonina Ignatane en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mme Antonina Ignatane, citoyenne lettone d’origine russe, exerçant la profession d’enseignante, née le 21 février 1943 à Riga. Elle affirme être victime de violations par la Lettonie des articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représentée par un conseil.

1.2Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour la Lettonie le 14 juillet 1992, et le Protocole facultatif le 22 septembre 1994.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Au moment des faits, Mme Ignatane était enseignante à Riga. En 1993, elle avait passé un examen de connaissance de la langue lettone devant une commission d’attestation, à l’issue duquel on lui a délivré un certificat d’aptitude linguistique, faisant valoir que sa maîtrise de la langue correspondait aux critères établis pour la connaissance du niveau 3 (supérieur).

2.2En 1997 l’auteur était candidate aux élections locales qui devaient avoir lieu le 9 mars 1997, inscrite sur la liste du Mouvement pour la justice sociale et l’égalité des droits en Lettonie. Le 11 février 1997, par décision de la Commission électorale de la ville de Riga, Mme Ignatane a été radiée de sa liste, en raison d’un avis du Centre de la langue nationale (CLN), faisant valoir la maîtrise insuffisante de la langue officielle par la candidate.

2.3Le 17 février 1997, l’auteur a déposé une plainte devant le Tribunal central de district contre cet acte de la Commission électorale, l’estimant illégal. Le Tribunal a transmis d’office l’affaire au Tribunal de première instance de Riga, qui a débouté l’auteur de sa demande le 25 février 1997. L’arrêt est entré en vigueur à la date de son prononcé.

2.4Le 4 mars 1997, Mme Ignatane a déposé une requête contre l’arrêt du 25 février auprès du Président de la Chambre civile de la Cour suprême de la Lettonie. Ce dernier a refusé de donner suite à sa demande, par une lettre datée du 8 avril 1997.

2.5Le 4 mars 1997, l’auteur a également saisi le parquet, par le biais du Procureur de la République. Le bureau du Procureur a examiné la demande et le 22 avril 1997 a déclaré qu’il n’y avait pas de raisons pour donner suite à la plainte, que l’arrêt en cause avait été pris dans le respect de la loi et n’était pas contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

2.6L’auteur a présenté au Comité la traduction des articles 9, 17 et 22 de la loi électorale du 13 janvier 1994, relative aux élections des conseils de ville, district, etc. Dans l’article 9 de ladite loi sont énumérées les catégories de personnes qui ne peuvent pas être nommées en tant que candidates aux élections locales. Le paragraphe 7 du même article prévoit que les personnes qui n’ont pas l’aptitude linguistique requise pour le niveau 3 (supérieur) de connaissance de la langue officielle ne peuvent pas être candidates. L’article 17 de la même loi dispose que si une personne, qui n’est pas diplômée d’une école où l’enseignement s’est déroulé en langue lettone, se présente comme candidate, une copie de son certificat d’aptitude linguistique du niveau 3 (supérieur) de connaissance de la langue officielle devrait être attachée à la demande de candidature. Le conseil de l’auteur explique à cet effet que la copie du certificat était exigée pour que le CLN puisse procéder à une vérification de son authenticité et non pas de sa validité.

2.7L’article 22 prévoit que la Commission électorale qui a enregistré une liste de candidats est seule compétente pour la modifier, uniquement:

«1)en rayant un candidat de ladite liste si: …

b)les restrictions de l’article 9 de la présente loi s’appliquent au candidat, …, et que dans les cas prévus dans le paragraphe 1 a, b et c du présent article, un candidat peut être rayé de la liste sur la base de l’avis de l’institution correspondante ou d’une décision de tribunal.

Le fait qu’un candidat: …

8)ne remplit pas les exigences correspondant au niveau 3 (supérieur) d’aptitude linguistique de la langue officielle, doit être certifié par un avis du CLN.»

2.8Enfin, Mme Ignatane rappelle que, suivant les déclarations du CLN lors du procès, des plaintes relatives à ses aptitudes en letton avaient été reçues par la commission d’attestation au Ministère de l’éducation. Or, explique l’auteur, c’est précisément ce ministère qui avait été impliqué en 1996 dans le conflit très médiatisé autour de la fermeture de l’école secondaire no 9 de Riga, dont elle était la directrice. L’enseignement dans cette école était dispensé en langue russe et sa fermeture avait eu un impact très négatif au sein de la minorité russe en Lettonie.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme qu’en la privant de la possibilité de se présenter aux élections locales, la Lettonie a violé les articles 2 et 25 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations du 28 avril 2000, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il objecte que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours ouvertes au plan national.

4.2Il fait également observer que l’auteur n’a pas contesté les conclusions du CLN, selon lesquelles ses capacités en letton ne seraient pas conformes au niveau requis pour être candidat aux élections (niveau 3). L’auteur aurait contesté uniquement la légalité de l’acte par lequel la Commission électorale l’avait rayée de la liste de candidats. Or, l’État partie estime les procédures devant le Tribunal comme étant légales et motivées et en pleine conformité avec la législation nationale, en particulier avec l’article 9, paragraphe 7, et l’article 22, paragraphe 8, de la loi sur les élections de conseils de ville et de district.

4.3L’État partie déclare que les dispositions de ladite loi sont conformes aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment en ce qui concerne l’Observation générale no 25 du Comité des droits de l’homme relative à l’article 25, suivant laquelle «toutes les conditions s’appliquant à l’exercice des droits protégés par l’article 25 devraient être fondées sur des critères objectifs et raisonnables». À cet effet, l’État partie déclare que la participation dans les affaires publiques exige un haut niveau de maîtrise de la langue officielle, et que cette condition préalable était raisonnable et basée sur des critères objectifs, déterminés par les règlements sur la certification d’aptitude à la langue officielle. Suivant ces règlements, indique l’État partie, le niveau 3 de maîtrise de la langue officielle est requis pour plusieurs catégories de personnes, y compris les représentants élus. Le niveau le plus haut (niveau 3) démontre que la personne est capable de parler couramment la langue officielle, de comprendre des textes choisis par hasard et de rédiger des textes dans la langue officielle, en relation avec les fonctions officielles de la personne.

4.4L’État partie estime ensuite qu’en ce qui concerne l’état réel de la maîtrise de la langue du requérant, il ressortait clairement de l’arrêt de la Cour que, s’il y avait des contestations relatives à la maîtrise de la langue nationale, on procédait à un examen dans le but d’établir si les capacités réelles correspondaient au degré attesté par le certificat. En ce qui concerne le cas d’espèce, l’État partie déclare que des plaintes ont été reçues par le Ministère de l’éducation et de la science, mettant en cause la connaissance du letton par la requérante, sans toutefois développer la question ou en apporter la preuve. Le 5 février 1997, il a été procédé à un examen, qui a fait apparaître que ses connaissances linguistiques ne correspondaient pas aux exigences pour le niveau 3. Ensuite la Cour s’est référée à des preuves matérielles (la copie de l’examen corrigée), qui avaient été présentées par le CLN pour appuyer ses conclusions quant à l’aptitude en letton de Mme Ignatane.

4.5Les conclusions de l’examen ont servi de base pour rayer le nom de la requérante de la liste de candidats aux élections et ceci était conforme à la loi en vigueur. La légalité de cette action avait été confirmée successivement par la Cour suprême et l’Office du Procureur.

4.6Concernant la contradiction alléguée entre le certificat de la requérante et les conclusions du CLN, l’État partie note que ces dernières n’avaient d’effet qu’en ce qui concerne la question de l’éligibilité de la candidate et en aucun cas n’impliquaient l’invalidation automatique du certificat, ni pourraient servir de base pour réviser sa convenance, sauf si sa détentrice n’en décidait autrement.

4.7L’État partie estime que l’auteur aurait pu intenter deux autres actions. La première: Mme Ignatane aurait pu demander un nouvel examen linguistique, comme indiqué par le CLN durant le procès. Cet examen aurait eu pour finalité de vérifier la convenance du certificat en possession de Mme Ignatane. La seconde possibilité: l’auteur aurait pu intenter une action judiciaire, en invoquant la discordance entre son certificat et les conclusions du CLN, en relation avec ses capacités électorales, ce qui amènerait la Cour à demander un nouvel examen pour vérifier l’authenticité du certificat.

4.8Étant donné qu’aucune de ces actions n’a été intentée par l’auteur, l’État partie estime qu’il n’y a pas eu épuisement des voies de recours disponibles. L’État partie dénie également l’allégation de discrimination à l’égard de l’auteur sur la base de ses convictions politiques, étant donné que toutes les autres personnes sur la même liste ont été maintenues comme candidates aux élections.

Commentaires de l’auteur aux observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires, datés du 22 septembre 2000, le conseil reprend l’argument de l’État partie, selon lequel Mme Ignatane n’a pas mis en cause la conclusion du CLN que son niveau en letton ne correspondait pas au niveau maximal, mais a contesté la légalité de la décision de la Commission électorale de la rayer de la liste de candidats. Le conseil admet que Mme Ignatane a certes contesté la légalité de la décision de la Commission électorale, mais que cette décision a été prise exclusivement sur la base de la conclusion du CLN que le niveau de letton ne remplissait pas les exigences du niveau de connaissance maximal. En conséquence, déclare le conseil, l’auteur avait contesté la légalité de la décision de la Commission électorale de rayer son nom de la liste des candidats car elle avait été prise sur la base de la conclusion du CLN.

5.2Le conseil attire l’attention sur les mots utilisés par l’État partie: «le niveau 3 requis (le plus haut) pour pouvoir être candidat aux élections», auxquels on pourrait donner une mauvaise interprétation. Selon le conseil, il n’existe pas en droit électoral letton de dispositions relatives à un niveau particulier de connaissance de la langue officielle qui soit exigé uniquement dans le cadre électoral, mais c’est uniquement dans les règlements sur la certification de la connaissance de la langue officielle pour l’emploi que sont indiqués les trois niveaux exigés pour divers postes et professions, et le certificat d’aptitude linguistique de premier, second et troisième niveau de connaissance de la langue officielle correspondant est de portée générale.

5.3En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle la loi électorale en cause est compatible avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, comme prévu dans l’Observation générale sur l’article 25, le conseil déclare que les dispositions limitatives de l’article 9, paragraphe 7, et l’article 22, paragraphe 8, de ladite loi ne se basent pas sur des critères objectifs et raisonnables, comme l’Observation générale du Comité des droits de l’homme sur la non‑discrimination l’exige.

5.4L’article 9, paragraphe 7, de ladite loi prévoit que les personnes qui n’ont pas l’expérience de la langue officielle, correspondant aux exigences d’attribution du niveau de connaissance le plus haut (troisième), ne peuvent pas se présenter comme candidates aux conseils locaux et ne doivent pas être élues aux conseils. Suivant l’article 22, paragraphe 8, un candidat peut être rayé de la liste si ses capacités linguistiques ne correspondent pas aux exigences du niveau 3 d’aptitude linguistique de la langue officielle, après avis rendu par le CLN. Le conseil déclare qu’en pratique cette provision laisse la possibilité d’un nombre d’interprétations pratiquement infini et ouvre la porte à des décisions complètement discrétionnaires et arbitraires.

5.5Le conseil reprend ensuite la déclaration de l’État partie selon laquelle on déciderait de procéder à un examen des connaissances linguistiques d’un candidat aux élections, dans les cas où des plaintes étaient enregistrées contre lui. Si des plaintes n’étaient pas enregistrées, le CLN devrait envoyer des avis sur tous les candidats, consistant à une vérification de l’authenticité de la copie du certificat de letton des candidats. Le conseil énonce qu’à la suite d’une déclaration non fondée sur l’existence des plaintes relatives à un candidat, les résultats de l’examen subséquent, conduit par un seul examinateur qui est inspecteur principal à l’Inspectorat de la langue officielle, ne peuvent pas être qualifiés comme critères objectifs. Les pleins pouvoirs attribués à l’inspecteur principal ne sont pas comparables aux conséquences qu’ils causent, en particulier avec la disqualification d’un candidat aux élections. Une telle approche visant à vérifier les connaissances de la langue officielle donne la possibilité, si nécessaire, d’une disqualification de tous les candidats représentant une minorité.

5.6Le conseil indique ensuite les conditions dans lesquelles s’est produit l’examen. L’auteur était occupée par ses devoirs professionnels en donnant un cours d’allemand à une classe d’élèves quand ce cours a été interrompu, et Mme Ignatane a été amenée à faire un travail écrit en letton. L’examen a été conduit par une inspectrice, en présence de deux témoins qui étaient des enseignants employés par la même école. Le conseil déclare que dans de telles circonstances la présence de quelques fautes d’orthographe et autres, ayant servi de preuve des capacités limitées de l’auteur en letton, ne devrait pas être prise en considération.

5.7En outre, concernant l’affirmation de l’État partie suivant laquelle la participation dans les affaires publiques impliquait un haut niveau dans la maîtrise de la langue officielle et que cette condition préliminaire était raisonnable et répondait à des critères objectifs déterminés par les règlements sur la certification de l’aptitude de la langue officielle, le conseil indique que ladite condition préliminaire pour être candidat aux élections locales était déraisonnable. Il n’y aurait pas d’autres conditions préliminaires pour les candidats en général, notamment en ce qui concerne leur niveau d’éducation, leur aptitude professionnelle, etc. La seule condition préalable relative à l’aptitude en letton signifie, selon le conseil, que les droits d’élire et d’être élu n’étaient pas respectés et assurés à tous les individus sans distinction du fait de la langue. Le conseil affirme que pour environ 40 % de la population lettone, le letton n’est pas la langue maternelle.

5.8La condition préliminaire relative à la haute maîtrise du letton pour participer aux élections locales, selon le conseil, ne repose pas sur des critères objectifs. Toutefois, ceci ne veut pas dire que l’auteur est d’avis que les critères établis dans les règlements sur la certification d’aptitude de la langue officielle ne sont pas objectifs. Simplement, ces critères ne sont pas pris en considération, ajoute‑t‑il, quand on dispose (dans le paragraphe 8 de l’article 22 de la loi) qu’un candidat peut être rayé de sa liste s’il ne remplit pas les exigences correspondant au niveau 3 (supérieur) d’aptitude en letton et que ceci devrait être certifié par avis du CLN. Les règlements sur la certification d’aptitude à la langue officielle prévoient, selon le conseil, que l’aptitude linguistique était certifiée par une commission d’attestation spéciale, composée d’au moins cinq spécialistes de la langue. Les règlements décrivent en détail le processus d’examen et d’attestation, ce qui assure son objectivité et sa crédibilité. Des certificats de niveau 1, 2 ou 3 sont délivrés avec une durée de validité illimitée. L’article 17 de ladite loi prévoit que les candidats, qui n’ont pas obtenu de diplôme d’études secondaires dans un établissement où l’enseignement s’est poursuivi en letton, devraient présenter une copie de leur certificat de niveau 3 à la Commission électorale. Dans le cas d’espèce, l’auteur a présenté une telle copie à la Commission électorale de Riga. Or, l’avis du CLN, fondé sur le résultat d’un examen, conduit ad hoc par un seul inspecteur, sur la base de plaintes alléguées enregistrées au Ministère de l’éducation, n’est pas compatible, suivant le conseil, avec les exigences des règlements sur l’attestation de la langue officielle. D’ailleurs, continue‑t‑il, l’État partie admet que l’avis du CLN concerne exclusivement la question de l’éligibilité et en aucun cas n’implique l’invalidation automatique du certificat, ni ne peut servir de base pour la révision de l’authenticité de ce dernier.

5.9Enfin, le conseil revient sur l’affirmation de l’État partie selon laquelle toutes les voies de recours en droit interne n’ont pas été épuisées. Le conseil rappelle que l’arrêt de la Cour du 25 février 1997, confirmant la décision du 11 février 1997 de la Commission électorale de Riga, était définitif et entrait en vigueur au moment de son prononcé. La procédure spéciale de protestation qui existe contre de telles décisions est bien la procédure que l’auteur a suivie.

5.10Le conseil poursuit en indiquant que les recours doivent être non seulement adéquats et suffisants, mais également devraient permettre en pratique le rétablissement de la situation contestée. Les recours épuisés par l’auteur – la procédure spéciale de protestation de la décision de la Commission électorale – constituent l’unique recours qui aurait pu permettre l’accomplissement de l’objet de la plainte, c’est‑à‑dire autoriser l’auteur à se présenter aux élections pour le Conseil de la ville de Riga en 1997, en réintégrant son nom sur la liste électorale.

5.11D’après le conseil, l’État partie se contredit dans ses propos, dans le sens que, d’un côté, il déclare qu’il ne pouvait pas admettre que les voies de recours internes avaient été épuisées étant donné qu’aucune des deux possibilités de recours qu’il énumère pour vérifier l’authenticité du certificat de l’auteur n’avait été utilisée et, de l’autre, il déclare que, d’après la communication, l’auteur mettait en cause la légalité de la décision de la rayer de la liste de candidats, sans remettre en cause les conclusions du CLN que son niveau en letton ne correspondait pas au niveau 3 requis. En tout état de cause, chacune des deux procédures énumérées par l’État partie pour vérifier l’authenticité du certificat de l’auteur supposait des procédures de plusieurs mois au moins et ceci n’aurait pas permis à l’auteur de se présenter aux élections de 1997. À cet effet, le conseil rappelle que la décision d’éliminer l’auteur a été prise 26 jours avant les élections. Les contraintes de temps excluaient toute possibilité d’entreprendre ultérieurement toute action juridictionnelle autre que la voie suivie par l’auteur.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour non‑épuisement des voies de recours internes, étant donné que l’auteur n’a pas contesté l’acte par lequel le CLN avait conclu que ses connaissances ne correspondaient pas au niveau requis, mais a contesté la décision de la Commission électorale par laquelle on l’avait rayée de la liste. Le Comité ne peut pas suivre le raisonnement de l’État partie selon lequel ceci montrait que l’auteur n’avait pas épuisé les voies de recours disponibles, car à ce moment‑là l’auteur était en possession d’un certificat attestant sa connaissance de la langue officielle au niveau requis, lequel était valide et légalement établi, ce que d’ailleurs l’État partie ne conteste pas.

6.3Le Comité note également les arguments du conseil qui affirme que les recours énumérés par l’État partie n’étaient pas des recours utiles et que l’État partie n’a ni apporté la preuve que lesdits recours étaient utiles, ni même contesté ces arguments. Il prend en considération également la remarque du conseil selon laquelle, de toute manière, les recours énumérés par l’État partie exigeaient plusieurs mois pour aboutir et leur épuisement n’aurait pas permis à l’auteur de se présenter aux élections. Le Comité constate que les commentaires du conseil ont été portés à l’attention de l’État partie, mais que celui‑ci n’a pas répondu. Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne fait obstacle à la recevabilité de la communication.

6.4En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et décide de procéder à son examen au fond, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’État partie a violé les droits que les articles 2 et 25 confèrent à l’auteur en n’autorisant pas celle‑ci à être candidate aux élections locales tenues en mars 1997.

7.3L’État partie estime que la participation à la conduite des affaires publiques exige une très bonne connaissance de la langue officielle de l’État partie et que la condition d’ordre linguistique à remplir pour pouvoir être candidat aux élections est par conséquent raisonnable et objective. Le Comité note que l’article 25 du Pacte garantit à tout citoyen le droit et la possibilité d’être élu, au cours d’élections périodiques et honnêtes, sans discrimination fondée sur aucun des motifs énoncés à l’article 2, y compris la langue.

7.4Le Comité note que, dans le cas présent, la décision d’un seul inspecteur prise quelques jours avant les élections, et qui allait à l’encontre de ce qui avait été attesté quelques années auparavant par le certificat d’aptitude délivré pour une durée illimitée par une commission d’experts spécialisés dans la langue lettone, a été suffisante pour servir de base à la décision de la Commission électorale, par laquelle l’auteur a été rayée de la liste de candidats aux élections municipales. Il constate que l’État partie ne conteste pas la validité dudit certificat pour son utilisation professionnelle par l’auteur, mais qu’il oppose les résultats de l’examen de l’inspecteur en ce qui concerne la question de l’éligibilité de l’auteur. Le Comité relève également que l’État partie n’a pas contesté la déclaration du conseil selon laquelle le droit letton n’envisage pas de niveaux distincts de maîtrise de la langue officielle pour se présenter aux élections, mais qu’on applique les niveaux établis et certifiés dans d’autres cas. Le résultat du réexamen a abouti à empêcher l’auteur d’exercer son droit de participer à la vie publique, conformément à l’article 25 du Pacte. Le Comité note que le premier examen de 1993 avait été conduit dans le respect des formes et avait été évalué par cinq experts, alors que le réexamen de 1997 a été conduit de façon ad hoc et évalué par une seule personne. Le fait d’annuler la candidature de l’auteur, par suite du réexamen qui n’a pas été basé sur des critères objectifs et pour lequel l’État partie n’a pas apporté la preuve qu’il était procéduralement correct, n’est pas compatible avec les obligations de l’État partie souscrites au titre de l’article 25 du Pacte.

7.5Le Comité conclut que Mme Ignatane a subi un préjudice réel en étant empêchée de se présenter aux élections locales dans la ville de Riga en 1997, parce qu’elle avait été rayée de la liste des candidats au motif que sa connaissance de la langue officielle était insuffisante. Le Comité des droits de l’homme considère que l’auteur est victime d’une violation de l’article 25 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2.

8.Conformément à l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à Mme Ignatane une réparation utile. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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