Nations Unies

CCPR/C/109/D/1919-1920/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 décembre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communications nos 1919-1920/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 109e session(14 octobre-1er novembre 2013)

Communication s p résentée s par:

Alexander Protsko et Andrei Tolchin (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date des communication s:

22 août 2009 (dates des lettres initiales)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 24 novembre 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

1er novembre 2013

Objet:

Liberté d’expression; liberté de réunion

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes

Question de fond:

Restriction injustifiée du droit de répandre des informations

Articles du Pacte:

19 et 21

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (109e session)

concernant les

Communications nos 1919-1920/2009 *

Présentée par:

Alexander Protsko et Andrei Tolchin (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date des communication s:

22 août 2009 (dates des lettres initiales)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2013,

Ayant achevé l’examen des communications nos 1919-1920/2009, présentées par Alexander Protsko et Andrei Tolchin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs des communications et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1Les auteurs sont Alexander Protsko, ci-après «le premier auteur» (communication no 1919/2009), et Andrei Tolchin, ci-après «le second auteur» (communication no 1920/2009), tous deux de nationalité bélarussienne, nés respectivement en 1953 et 1959. Ils se disent victimes d’une violation par le Bélarus des droits qui leur sont garantis par les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ne sont pas représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 1992.

1.2Le 1er novembre 2013, conformément au paragraphe 2 de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner conjointement les deux communications, compte tenu des similarités qu’elles présentent sur les plans des faits et du droit.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1En avril 2009, à deux endroits différents dans la région de Gomel, les deux auteurs ont distribué des tracts annonçant la tenue prochaine de réunions pacifiques à la mémoire des personnes ayant trouvé la mort dans l’accident de Tchernobyl en avril 1986.

M. Protsko

2.2Le 22 avril 2009, à Bragin, le premier auteur a distribué des tracts annonçant la tenue prochaine dans ce village d’une commémoration pacifique, au cours de laquelle des couronnes et des fleurs devaient être déposées devant le monument à la mémoire de Vassily Ignatenko, décédé lors de l’accident de Tchernobyl.

2.3La police a arrêté M. Protsko et a établi un procès-verbal indiquant qu’il avait commis une infraction administrative prévue à l’article 23.34 de la première partie du Code des infractions administratives (qui prévoit des sanctions en cas d’infraction aux dispositions régissant l’organisation ou le déroulement de rassemblements, de réunions, de défilés de rue, de manifestations, de piquets et autres). L’auteur souligne que l’article 8 de la loi du 30 décembre 1997 sur les manifestations de masse interdit d’élaborer et de distribuer tout type de documents d’information concernant une manifestation avant que celle-ci n’ait été autorisée officiellement. Étant donné qu’il distribuait des tracts annonçant une manifestation qui n’avait pas été autorisée, les policiers ont estimé qu’il avait enfreint les dispositions relatives à l’organisation de réunions pacifiques. L’affaire a été immédiatement renvoyée au tribunal.

2.4Le jour même, le tribunal de district de Braginsk a reconnu M. Protsko coupable d’infraction à l’article 23.34 de la première partie du Code des infractions administratives et l’a condamné à une amende de 105 000 roubles bélarussiens. Il a également ordonné la confiscation des 600 tracts qui avaient été saisis.

2.5 Le 20 mai 2009, le tribunal régional de Gomel a rejeté l’appel que le premier auteur avait formé contre la décision du tribunal de district. Le premier auteur a saisi le Président de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle (nadzor), mais sa requête a été rejetée le 4 août 2009 par un vice-président de la Cour. Il fait valoir qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles sans obtenir réparation.

M. Tolchin

2.6 Le 23 avril 2009, à Narovlya, le second auteur a distribué des tracts annonçant la tenue dans cette ville d’une réunion pacifique au cours de laquelle des couronnes et des fleurs seraient déposées devant un monument à la mémoire des personnes ayant perdu la vie dans l’accident de Tchernobyl. La police a appréhendé M. Tolchin et a établi un procès-verbal pour infraction à l’article 23.34 de la première partie du Code des infractions administratives, au motif qu’il avait distribué des tracts concernant un événement non autorisé. Sur cette base, le 24 avril 2009, le tribunal de district de Narovlyansk a ordonné l’arrestation de l’auteur et son placement en détention administrative pour cinq jours. L’auteur a fait appel de cette décision mais le tribunal régional de Gomel l’a débouté le 15 mai 2009. La décision du tribunal de première instance est donc devenue définitive et exécutoire.

2.7 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur, faisant référence à la jurisprudence du Comité en la matière, affirme que la procédure de contrôle dans l’État partie ne constitue pas un recours utile. En outre, dans les affaires administratives, le paiement d’une taxe de l’État est exigé pour déclencher la procédure de contrôle. La requête que l’auteur a adressée par la suite au Président de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle lui a été retournée sans avoir été examinée au motif qu’il ne s’était pas acquitté de cette taxe.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment que, dans leur cas, l’application de la loi sur les manifestations de masse a donné lieu à une restriction injustifiée du droit de répandre des informations sur une commémoration pacifique, protégé par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, et du droit de réunion pacifique, protégé par l’article 21 du Pacte.

3.2 Les deux auteurs affirment que les tribunaux n’ont pas expliqué pourquoi ils avaient été condamnés à une amende, se contentant de répéter qu’ils avaient manqué à l’obligation légale qui leur incombait d’obtenir une autorisation pour un rassemblement avant de distribuer des tracts à ce sujet. Les cours d’appel ont adopté leurs décisions sans évaluer à la lumière du Pacte les actes des auteurs, bien que ceux-ci aient formulé des requêtes spécifiques à cette fin. Les auteurs soutiennent que la restriction dont ils ont fait l’objet n’était pas nécessaire aux fins du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, à savoir au respect des droits ou de la réputation d’autrui, ni à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Aussi s’estiment-ils victimes d’une violation des droits garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 et l’article 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Par deux notes verbales en date du 25 janvier 2010, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond des communications. Il explique que, les 22 et 23 avril 2009, respectivement, les auteurs ont été reconnus coupables de distribution de tracts annonçant la tenue de commémorations sans l’autorisation préalable des autorités requise à cette fin, ce qui constituait une infraction. Les deux auteurs ont été appréhendés par la police et ont fait l’objet d’un procès-verbal pour infraction au Code des infractions administratives.

4.2 Le 22 avril 2009, le tribunal de district de Braginsk a reconnu M. Protsko coupable d’une infraction à l’article 23.34 de la première partie du Code des infractions administratives régissant l’organisation ou le déroulement des manifestations de masse, et l’a condamné à une amende de 105 000 roubles bélarussiens. Le 20 mai 2009, cette décision a été confirmée en appel par le tribunal régional de Gomel. Le 4 août 2009, le recours engagé par M. Protsko dans le cadre de la procédure de contrôle a été rejeté par un vice-président de la Cour suprême.

4.3 Le 24 avril 2009, le tribunal de district de Narovlyansk a reconnu M. Tolchin coupable d’une infraction à l’article 23.34 de la première partie du Code des infractions administratives et l’a condamné à cinq jours de détention administrative. Le 15 mai 2009, cette décision a été confirmée en appel par le tribunal régional de Gomel. Le 14 juillet 2009, le recours formé par M. Tolchin au titre de la procédure de contrôle lui a été renvoyé par la Cour suprême car il ne s’était pas acquitté de la taxe de l’État dont le paiement est obligatoire.

4.4L’État partie ajoute que, en vertu de l’article 12.1 du Code des infractions administratives, les décisions rendues en matière administrative peuvent être contestées par la personne contre laquelle la procédure administrative est engagée. Il note que M. Protsko n’a saisi ni le Département des affaires intérieures de Gomel, ni le Ministère de l’intérieur (ce que les dispositions de l’article 7.2 du Code de procédure et d’application des sanctions administratives lui auraient permis de faire) pour contester son placement en détention par le Département des affaires intérieures du district de Braginsk ou l’établissement par la police d’un procès-verbal pour infraction administrative. De même, M. Tolchin n’a pas formé de recours auprès de ces institutions au sujet de son arrestation ou du procès-verbal pour infraction administrative établi par le Département des affaires intérieures du district de Narovlyansk. Les auteurs n’ont pas non plus saisi le Bureau du Procureur pour solliciter un contrôle des décisions les concernant. L’État partie souligne également que M. Protsko n’a pas présenté de demande de contrôle au Président de la Cour suprême et que M. Tolchin n’a pas saisi directement le Président de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle. Aussi, selon l’État partie, les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles et il n’y a aucune raison de croire que ces voies de recours ne seraient pas accessibles ou seraient inopérantes.

4.5L’État partie ajoute que l’affirmation de M. Tolchin, qui prétend que la procédure de contrôle est inefficace, est dénuée de fondement. À l’appui de ses propos, il fournit des statistiques indiquant que, en 2009, le Bureau du Procureur a reçu 3 235 plaintes concernant des décisions relatives à des infractions administratives, et qu’il a été donné suite à 518 de ces plaintes. À la suite de l’introduction de motions de protestation par le Bureau du Procureur général, la Cour suprême a annulé et modifié 126 décisions finales concernant des infractions administratives et devenues exécutoires. Selon l’État partie, ces données montrent que la procédure de contrôle par le procureur (nazdor) est bien un recours efficace en matière de protection judiciaire et qu’un grand nombre d’affaires d’infractions administratives sont examinées chaque année à la suite de l’introduction de motions de protestation par le procureur. En ce qui concerne les pertes financières subies par les plaignants qui sollicitent le contrôle d’une décision, l’État partie note que le versement obligatoire d’une taxe de l’État est prévu par la loi et que la loi doit être respectée.

4.6 En ce qui concerne l’incompatibilité alléguée de la loi sur les manifestations de masse avec les dispositions du Pacte, l’État partie fait valoir que la loi en question ne vise pas uniquement à réglementer l’organisation et le déroulement des manifestations de masse, réunions, défilés, manifestations, piquets et autres, mais aussi à réunir les conditions nécessaires à la réalisation des droits et libertés constitutionnels des citoyens, à la sécurité publique et au maintien de l’ordre dans la rue, sur les places publiques ou dans les autres lieux publics où se déroulent ces manifestations.

4.7 L’État partie déclare que, à la lumière des considérations ci-dessus, les allégations des auteurs qui prétendent que les sanctions administratives prises à leur égard constituent une violation des droits garantis par les articles 19 et 21 du Pacte ne sont pas fondées.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Par des lettres en date du 22 novembre 2010 (reçues en mars 2013), les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils maintiennent qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles car ils ont tous deux formé des recours en annulation contre les décisions rendues en première instance. Selon eux, il s’agit des seules voies de recours utiles, car elles donnent toujours lieu à un réexamen au fond. Les recours formés dans le cadre de la procédure de contrôle sont inopérants, car leur exercice est laissé à la discrétion d’un fonctionnaire et si une suite leur est donnée, l’examen auquel ils donnent lieu ne porte pas sur les faits et les éléments de preuve, mais uniquement sur des points de droit. Les auteurs notent que, d’après le Comité, les recours doivent être non seulement accessibles, mais aussi utiles. Ils ajoutent que la législation en vigueur au Bélarus ne permet pas aux particuliers de saisir la Cour constitutionnelle.

5.2M. Tolchin fait également valoir qu’il a saisi le Président de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle, mais que sa plainte n’a pas été examinée parce qu’il n’avait pas versé la taxe de l’État requise; il affirme qu’il n’avait pas les moyens de s’acquitter de cette taxe à l’époque. M. Protsko note qu’il a également saisi le Président de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle, mais que sa plainte a été examinée par un vice-président de la Cour suprême, qui a rejeté son appel.

5.3M. Tolchin souligne que les statistiques sur la procédure de contrôle en matière administrative que l’État partie a soumises n’indiquent pas combien de ces affaires concernaient des poursuites administratives engagées pour des raisons manifestement politiques contre des militants, notamment des militants politiques. Il doute que ces chiffres se rapportent à des affaires concernant les droits civils et politiques et explique qu’à sa connaissance, au cours des dix dernières années, la Cour suprême et le Bureau du Procureur général n’ont jamais demandé l’annulation d’une procédure administrative concernant les droits civils et politiques de Bélarussiens.

5.4 Les auteurs considèrent que tous les recours internes disponibles aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont été épuisés dans leur cas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note des arguments de l’État partie qui indique que les auteurs n’ont contesté ni leur arrestation ni les poursuites administratives engagées auprès du Ministère de l’intérieur et n’ont pas demandé au Bureau du Procureur d’engager une procédure de contrôle, que le premier auteur n’a pas sollicité de contrôle auprès du Président de la Cour suprême, et que le second auteur n’a pas versé la taxe requise pour l’examen de la demande de contrôle qu’il a soumise au Président de la Cour suprême.

6.4 Le Comité relève que l’État partie n’a pas expliqué en quoi la saisine du Département des affaires intérieures de Gomel ou du Ministère de l’intérieur aurait été un recours efficace dans le cas des auteurs, aux fins de l’épuisement des recours internes. En conséquence, il considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner les communications.

6.5 Le Comité prend également note de l’affirmation des auteurs pour qui la procédure de contrôle n’est ni efficace ni accessible. Il prend note des objections de l’État partie à ce sujet, en particulier des statistiques fournies pour démontrer que la procédure de contrôle s’est révélée efficace dans un certain nombre de cas concernant des affaires administratives. Il relève toutefois que l’État partie n’a pas précisé si la procédure de contrôle avait abouti au résultat escompté dans des affaires concernant la liberté d’expression ou le droit de réunion pacifique et, dans l’affirmative, dans combien d’affaires. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la procédure de contrôle de l’État partie, qui permet le réexamen de décisions de justice devenues exécutoires, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, Il considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner les présentes communications.

6.6 Le Comité estime que les auteurs ont suffisamment étayé leur grief de violation des droits qui leur sont garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 et l’article 21 du Pacte. En conséquence, il déclare les communications recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité doit en premier lieu déterminer si la saisie des tracts et l’amende infligée au premier auteur, ainsi que les cinq jours de détention administrative auxquels le second auteur a été condamné pour avoir distribué des tracts annonçant la tenue d’une manifestation publique pacifique à la mémoire des personnes décédées dans l’accident de Tchernobyl, constituent des violations des droits garantis aux auteurs par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.3Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte fait obligation aux États parties de garantir le droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations. Il renvoie à son Observation générale no 34 (2011), selon laquelle la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu. Elles sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions éventuellement imposées à l’exercice de ces libertés doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire.

7.4 Le Comité note que la saisie des tracts, l’amende infligée au premier auteur et la détention du second auteur constituent des restrictions à l’exercice du droit de répandre des informations. En conséquence, il doit examiner si les restrictions imposées aux droits des auteurs telles qu’elles apparaissent dans les présentes communications sont justifiées au regard des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

7.5 Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions, qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et être nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il note que, si l’État partie impose une restriction aux droits garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, c’est à lui qu’il incombe de montrer que cette mesure était en l’espèce nécessaire et que, même si en principe les États parties ont la faculté de mettre en place un système visant à concilier la liberté des individus de répandre des informations et l’intérêt général qu’il y a à maintenir l’ordre public dans une zone déterminée, le fonctionnement de ce système ne doit pas être incompatible avec l’objet et le but de l’article 19 du Pacte.

7.6 Le Comité prend note du grief des auteurs qui estiment que les autorités n’ont pas expliqué, aux fins du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, pourquoi il était nécessaire de restreindre leur droit de répandre des informations sur des réunions pacifiques et de les soumettre à des procédures administratives en vue d’assurer le respect des droits ou de la réputation d’autrui ou de sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public, ou encore la santé ou la moralité publiques.

7.7Le Comité prend note des explications de l’État partie qui affirme que les deux auteurs ont fait l’objet de poursuites administratives pour avoir, en distribuant des tracts, enfreint les dispositions de l’article 23.34 de la première partie du Code des infractions administratives régissant l’organisation ou le déroulement des manifestations de masse. Il note que les deux auteurs ont été sanctionnés pour avoir diffusé des informations sur des commémorations futures dont la tenue n’avait pas été autorisée par les autorités locales, alors que les dispositions de la loi sur les manifestations de masse l’exigent. Il note également que, conformément à la loi sur les manifestations de masse, aucune information sur une réunion future ne doit être diffusée avant que la tenue de l’événement n’ait été officiellement autorisée par les autorités locales compétentes, et que le non-respect de cette règle constitue une infraction administrative prévue par cette la loi. À ce sujet, il prend note de l’explication de l’État partie qui fait valoir que la loi sur les manifestations de masse régit l’organisation et le déroulement des manifestations de masse, réunions, défilés, manifestations, piquets et autres, mais vise également à réunir les conditions nécessaires à la réalisation des droits et libertés constitutionnels des citoyens afin d’assurer l’ordre public et la sécurité dans les lieux publics où ces manifestations se déroulent. Il note toutefois que l’État partie n’a pas démontré que l’amende infligée au premier auteur et la détention du second auteur, indépendamment du fait qu’elles étaient fondées en droit, étaient nécessaires aux fins d’un des buts légitimes énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

7.8 Le Comité rappelle que les restrictions ne doivent pas avoir une portée trop large et que le principe de la proportionnalité doit être respecté non seulement dans la loi qui institue les restrictions, mais également par les autorités administratives et judiciaires chargées de l’application de la loi. Il a noté dans son Observation générale no 34 que lorsqu’un État partie invoque un motif légitime pour justifier une restriction à la liberté d’expression, il doit démontrer de manière spécifique et individualisée la nature précise de la menace ainsi que la nécessité et la proportionnalité de la mesure spécifiques particulière prise, en particulier en établissant un lien direct et immédiat entre l’expression et la menace. Le tribunal régional de Gomel n’ayant pas examiné la question de savoir si la restriction du droit des auteurs de répandre des informations était nécessaire aux fins du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, et en l’absence de toute autre information pertinente versée au dossier pour justifier les décisions des autorités, le Comité considère que, en l’espèce, l’État partie n’a pas montré que les restrictions imposées aux droits des auteurs correspondaient aux critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. En conséquence, il conclut que les auteurs sont victimes d’une violation par l’État partie des droits qui leur sont garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.9 À la lumière de cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs des auteurs au titre de l’article 21 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits garantis aux auteurs par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, sous la forme notamment du remboursement de la valeur actuelle de l’amende et des frais de justice encourus par les auteurs, ainsi que d’une indemnisation appropriée, y compris pour les cinq jours de détention. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cette fin, il devrait revoir sa législation, notamment la loi sur les manifestations de masse, et l’application de cette loi, afin d’assurer leur compatibilité avec l’article 19 du Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement en biélorusse et en russe dans le pays.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]