Nations Unies

CCPR/C/108/D/1808/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 septembre 2013

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 1808/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 108e session(8-26 juillet 2013)

Communication p résentée par:

Sergey Kovalenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

8 mai 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 15 septembre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

17 juillet 2013

Objet:

Dispersion d’un rassemblement pacifique visant à commémorer la mémoire des victimes de la répression stalinienne, en violation du droit d’exprimer des opinions et du droit de participer à une réunion pacifique sans restriction injustifiée

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Droit à la liberté d’expression; restrictions licites; droit de réunion pacifique

Articles du Pacte:

19 (par. 2) et 21

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no1808/2008 *

Présentée par:

Sergey Kovalenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

8 mai 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1808/2008 présentée par M. Sergey Kovalenko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Sergey Kovalenko, de nationalité bélarussienne, né en 1975, habitant à Vitebsk (Bélarus). Il se déclare victime de violations par le Bélarus des droits énoncés au paragraphe 2 de l’article 19 et à l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 30 octobre 2007, avec une trentaine d’autres habitants de Vitebsk dont des parents avaient été tués dans des camps pendant les purges de Staline ou étaient morts de maladies liées au travail forcé en Russie soviétique dans les années 1930-1950, l’auteur a participé à une cérémonie commémorative à leur mémoire. L’auteur a participé à la commémoration parce qu’il considérait que le régime communiste (stalinien) était répressif et visait à faire disparaître le pluralisme politique dans la société soviétique. La participation à une cérémonie commémorative était donc une façon pour l’auteur et les autres participants d’exprimer collectivement leurs sentiments hostiles à la répression violente de toute forme de dissidence. La commémoration devait comporter la visite de l’endroit où certaines des victimes de la répression politique avaient été exécutées et enterrées, non loin du village de Polyai, et de deux cimetières près des villages de Voroni et de Kopti. Les participants devaient déposer des gerbes et ériger une croix.

2.2Lorsque le bus des participants est arrivé sur le parking proche du lieu de la commémoration près de Polyai, et que les participants ont commencé à sortir des couronnes, des bouquets, les éléments pour assembler la croix, etc., des fonctionnaires de police les ont sommés d’arrêter la cérémonie parce que le chef adjoint du Département des affaires intérieures du district de Vitebsk considérait qu’il s’agissait d’une manifestation de masse non autorisée (un «piquet»). Les participants ont refusé d’arrêter la cérémonie. L’auteur indique qu’à ce moment-là, il arborait un drapeau blanc-rouge-blanc qui symbolisait, selon lui, l’État du Bélarus et son indépendance, ainsi que le rejet du passé communiste. Les fonctionnaires de police lui ont demandé de le ranger, ce qu’il a fait, avant de le ressortir après l’érection de la croix dans le bois voisin, là où les victimes de la répression politique avaient été exécutées. Lorsque les participants sont montés dans le bus pour se rendre à Voroni et à Kopti, le chef adjoint du Département des affaires intérieures du district de Vitebsk est monté lui aussi et a annoncé qu’il dispersait le rassemblement et que tous les passagers du bus étaient en état d’arrestation parce qu’ils avaient participé à une manifestation de masse non autorisée. Les participants, dont l’auteur, ont protesté mais ont obtempéré.

2.3L’auteur et les autres participants ont été conduits, dans le même bus, au Département des affaires intérieures du district de Vitebsk (région de Vitebsk) où l’auteur a reçu une citation à comparaître pour avoir commis une infraction administrative prévue à l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives (non-respect de la procédure régissant l’organisation et la tenue de manifestations de masse ou d’un «piquet»).

2.4Le 31 octobre 2007, le tribunal du district de Vitebsk (région de Vitebsk) a reconnu l’auteur coupable de l’infraction administrative visée à l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives et l’a condamné à une amende de 620 000 roubles bélarussiens. Selon le jugement, devant le tribunal l’auteur a contesté la définition de ses actes en tant que participant à un piquet non autorisé en faisant valoir qu’il avait seulement participé à une commémoration à la mémoire des victimes de la répression, qu’il avait écouté ceux qui avaient pris la parole et qu’il avait brandi un drapeau blanc‑rouge-blanc qui symbolisait d’après lui l’État bélarussien. Le tribunal a rappelé l’article 2 de la loi du 30 décembre 1997 sur les manifestations de masse, qui dispose qu’un «piquet» est l’expression publique par un citoyen ou par un groupe de citoyens d’intérêts publics et politiques, personnels et autres, ou une protestation (sans cortège), y compris sous la forme de grève de la faim, sur toute question, avec ou sans l’utilisation d’affiches, de banderoles et d’autre matériel. Le tribunal du district de Vitebsk a conclu qu’en participant activement à une manifestation de masse dans un lieu public et, en particulier, en tenant des drapeaux dépliés et une croix pendant un long moment sur le parking avec les autres participants, l’auteur avait publiquement exprimé des intérêts personnels et autres.

2.5Le 8 novembre 2007, l’auteur a formé un recours en annulation auprès du tribunal régional de Vitebsk contre le jugement rendu le 31 octobre 2007 par le tribunal de district de Vitebsk. Dans le recours, il contestait la définition de ses actes par le tribunal. L’auteur a reconnu qu’il avait tenu un drapeau blanc-rouge-blanc, symbolisant l’État bélarussien, et affirmé qu’il n’avait pas brandi d’affiche, de banderole ou d’autre matériel de propagande et que par conséquent il ne pouvait pas avoir exprimé publiquement des intérêts de groupe, personnels ou autres ni une protestation. La commémoration s’était déroulée dans un bois éloigné, à l’abri des regards du public. L’auteur a fait observer également que même s’il avait effectivement pris part à une manifestation de masse («piquet») qui n’était pas autorisée, l’article 23.34 du Code des infractions administratives visait le non‑respect de la procédure régissant l’organisation ou la tenue d’une manifestation de masse ou d’un «piquet» et n’incriminait pas la simple participation à une manifestation de cette nature. De plus, au cours de la même période, les chrétiens du Bélarus avaient célébré la fête des morts, et l’exercice de rites religieux n’était pas régi par un texte de loi bélarussien. Enfin, l’auteur a affirmé que la commémoration à laquelle il avait participé était un rassemblement de citoyens pacifiques. Il y avait participé parce qu’il tenait à exprimer son hostilité à l’égard de la répression politique, et la commémoration ne représentait aucune menace pour la sécurité nationale, la sûreté et l’ordre publics, la préservation de la santé ou de la moralité publiques ou la sauvegarde des droits et libertés d’autrui. Par conséquent en l’arrêtant, les autorité l’ont empêché d’exercer son droit de réunion pacifique, garanti par la Constitution du Bélarus et par les instruments internationaux qui imposaient des obligations au Bélarus.

2.6Le 28 novembre 2007, le tribunal régional de Vitebsk a rejeté le recours de l’auteur, au motif que les preuves dont il était saisi lui permettaient d’établir que l’auteur avait participé, conjointement avec d’autres personnes, à un piquet non autorisé visant à exprimer des intérêts personnels ou autres. L’événement en question avait un caractère public, comme cela avait été établi par les dépositions de témoins et le contenu d’enregistrements vidéo. Les participants étaient restés un long moment sur le parking, en agitant des drapeaux en présence de passants. Par conséquent, le tribunal a conclu que la manifestation à laquelle l’auteur avait participé s’était tenue en violation des dispositions de l’article 2 de la loi sur les manifestations de masse, qui exigeait que les participants à la commémoration demandent aux autorités compétentes l’autorisation d’organiser la manifestation. Le tribunal de district avait correctement qualifié les actes de l’auteur, conformément à l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives. L’amende infligée à l’auteur avait été fixée dans les limites du montant prévu par la loi.

2.7Le 21 décembre 2007, l’auteur a demandé à la Cour suprême d’examiner les décisions du tribunal de district de Vitebsk et du tribunal régional de Vitebsk, dans le cadre de la procédure de contrôle (nadzor). Dans sa requête, l’auteur reprenait les arguments précédemment avancés dans son recours. Le 4 février 2008, un vice-président de la Cour suprême a rejeté la requête. La Cour suprême a tenu compte du fait que l’auteur avait déjà été condamné à une amende administrative en vertu de l’article 23.34, partie 1, du Code des infractions administratives, pour avoir participé à des piquets non autorisés. Les preuves versées au dossier indiquaient que l’auteur avait participé à une manifestation de masse non autorisée et, dans un enregistrement vidéo, on le voyait agiter un drapeau blanc-rouge-blanc avec l’intention d’exprimer certains intérêts. Le Vice-Président adjoint de la Cour suprême a donc conclu que les juridictions inférieures avaient correctement défini les actes de l’auteur, conformément à la partie 3 de l’article 23.34 du Code des infractions administratives.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son arrestation par la police le 30 octobre 2007 alors qu’il participait à la commémoration a porté atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Il maintient également que le tribunal a incorrectement défini ses actes de participation à une manifestation de masse.

3.2L’auteur ajoute qu’il n’avait jamais été prévu de donner à la commémoration une visée politique, sociale ou économique, raison pour laquelle les participants n’avaient pas demandé l’autorisation de l’organiser. La commémoration à laquelle il avait participé n’était rien d’autre qu’un rassemblement pacifique de citoyens et les actes des participants n’ont pas porté atteinte aux droits et libertés d’autrui et n’ont pas causé de préjudice à des biens publics ou appartenant à des particuliers. D’après l’auteur, les autorités n’ont apporté aucun élément faisant apparaître une atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public pendant la commémoration, et ont reconnu ainsi qu’elle était effectivement pacifique. De même, elles n’ont pas apporté de preuves documentaires montrant que la vie et la santé d’autrui avaient été mises en danger ou qu’il y avait eu atteinte à la moralité ou aux droits et libertés d’autrui. L’auteur affirme donc que l’État partie a également violé le droit de réunion pacifique garanti par l’article 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale du 24 novembre 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que les arguments avancés par l’auteur au sujet de l’engagement illicite de sa responsabilité administrative au titre de l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives sont dénués de fondement. En vertu de l’article 35 de la Constitution, la liberté d’organiser des réunions, des rassemblements, des défilés, des manifestations et des «piquets» qui ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux droits des autres citoyens bélarussiens est garantie par l’État; la procédure applicable concernant la tenue de telles manifestations est réglementée par la loi. En l’occurrence, il s’agit de la loi sur les manifestations de masse, du 20 décembre 1997, qui fixe les procédures concernant la création de conditions propres à permettre la réalisation des droits et libertés constitutionnels des citoyens et la protection de l’ordre et de la sûreté publics durant la tenue de telles manifestations dans les rues, sur les places et en d’autres lieux publics.

4.2L’État partie relève que l’auteur ne conteste pas sa participation, le 30 octobre 2007, à une manifestation de masse, qualifiée par celui-ci de rassemblement pacifique, à savoir une commémoration. Au cours de cette manifestation tenue dans un lieu servant d’arrêt de bus, situé de plus sur la route Vitebsk-Liozno, des drapeaux blancs-rouges-blancs, comme celui arboré par l’auteur, ont été utilisés. L’État partie rejette l’opinion de l’auteur qui considère que ces drapeaux symbolisent l’État et son indépendance, et il note que ces couleurs ne constituent pas un symbole de l’État.

4.3L’État partie indique que le tribunal a pris une décision dûment fondée en concluant que l’auteur avait participé à une manifestation (un «piquet»), telle que définie à l’article 2 de la loi relative aux manifestations de masse. Cela est confirmé par le nombre de participants, l’utilisation de symboles non étatiques et l’intention des participants de placer des croix en un lieu librement choisi par eux. Les participants ont également prononcé des discours. Aucune autorisation n’avait été délivrée, et les participants en ont été dûment informés par la police, qui les a invités, en vain, à mettre un terme à la manifestation. C’est donc à bon droit que le tribunal a estimé que l’auteur avait participé à un piquet non autorisé. Cette infraction ayant été commise moins d’un an après une infraction similaire, c’est à juste titre que le tribunal a conclu qu’il existait, dans les actes de l’auteur, des éléments de l’infraction prévue à l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives.

4.4D’après l’État partie, aucune norme de droit international n’a été violée dans le cas d’espèce, contrairement aux allégations de l’auteur. Le principe d’égalité devant la loi est appliqué au Bélarus et l’État garantit la protection des citoyens. Le souhait d’un groupe de citoyens d’organiser une manifestation ou d’y participer ne saurait porter atteinte aux droits et liberté d’autrui. Tel est également le but des dispositions consacrées dans la loi relative aux manifestations de masse, et à l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives.

4.5L’État partie fait enfin valoir que l’auteur avait la possibilité d’engager un recours en vertu de la procédure de contrôle auprès de la Cour suprême et du bureau du Procureur. Il note que l’auteur a choisi de ne saisir que la Cour suprême et qu’il n’a donc pas épuisé tous les recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 11 janvier 2009, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il note qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, le Bélarus s’est engagé à créer les conditions d’ordre législatif ou autre propres à permettre l’exercice des droits reconnus aux personnes relevant de sa compétence. L’article 33 de la Constitution garantit le droit de chacun à la liberté de pensée et d’opinion et à la liberté d’expression, tandis que l’article 35 dispose que la liberté de tenir des réunions, des rassemblements, des défilés de rue, des manifestations et des «piquets» qui ne troublent pas l’ordre public et ne portent pas atteinte aux droits des autres citoyens du Bélarus est garantie par l’État. La procédure à suivre pour le déroulement de ces manifestations est fixée par la loi. L’auteur dit que ces droits peuvent être exercés par les citoyens bélarussiens en toutes circonstances, sous réserve des restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique pour garantir la sécurité nationale ou la sûreté publique, l’ordre public ou la sauvegarde de la santé et de la moralité publiques, ou des droits et des libertés d’autrui.

5.2L’auteur réaffirme que, lorsqu’il a été arrêté et jugé, il n’était pas accusé d’avoir par ses actes porté atteinte à la sécurité nationale ou à la sûreté publique. Il n’était pas non plus accusé d’avoir porté atteinte à l’ordre public ou d’avoir menacé la vie et la santé d’autrui, d’avoir porté atteinte à la moralité publique ou d’avoir violé les droits et libertés d’autrui. L’auteur affirme qu’il a été condamné à une amende pour le simple fait d’avoir participé à une manifestation («piquet»), qui aurait été organisée sans que la procédure régissant la tenue de manifestations de masse ait été respectée.

5.3L’auteur rappelle que l’article 23.34 du Code des infractions administratives n’interdit pas la simple participation à une manifestation. Il ajoute que quand il a été arrêté et jugé, il n’a pas été établi qu’il avait organisé lui-même ou dirigé la commémoration. Par conséquent, en tant que simple participant, il n’aurait pas dû être écarté du lieu de la manifestation et condamné à une sanction administrative. L’auteur explique qu’en l’écartant de cette commémoration les autorités de l’État partie l’ont empêché d’exercer le droit de réunion pacifique. Le caractère pacifique de la réunion est démontré par l’objectif, qui était de rendre hommage aux victimes de la répression stalinienne. Ce caractère pacifique n’a pas été contesté par les fonctionnaires de police qui ont arrêté l’auteur ni par les tribunaux qui ont examiné l’affaire ni par l’État partie dans les observations qu’il a adressées au Comité.

5.4L’auteur fait valoir qu’en dispersant la commémoration, les autorités de l’État partie lui ont également dénié le droit à la liberté d’expression. Il a exprimé son opinion au sujet de la répression politique passée en prenant part à la manifestation. Il ajoute qu’il a délibérément choisi cette manière d’exprimer son opinion, car elle ne constituait aucune menace pour la sécurité nationale ou la sûreté et l’ordre publics, la santé et la moralité publiques ou encore les droits et libertés des tiers. L’auteur reconnaît qu’il arborait un drapeau blanc-rouge-blanc − le drapeau national de l’État partie de 1991 à 1994, considéré à présent comme un drapeau national historique −, mais il explique que ce drapeau n’a jamais été considéré comme un symbole interdit. Il affirme par conséquent que les droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 de la Convention ont été violés.

5.5En ce qui concerne le recours devant le bureau du Procureur dans le cadre de la procédure de contrôle, l’auteur explique que la manière formaliste par laquelle la Cour suprême avait examiné sa demande de contrôle l’avait convaincu de l’inutilité de cette procédure.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans une note verbale du 14 mai 2009, l’État partie rappelle que le tribunal de district de Vitebsk (région de Vitebsk) a reconnu l’auteur coupable en vertu de l’article 23.34, partie 1, du Code des infractions administratives et l’a condamné à une amende. L’État partie réaffirme les arguments avancés précédemment et considère que la décision du tribunal est bien fondée.

6.2L’État partie relève que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte prévoit que toute personne a droit à la liberté d’expression, et que l’article 21 garantit le droit de réunion pacifique. Toutefois, le Pacte permet que certaines restrictions soient apportées à ces droits. L’État partie a mis en œuvre ces dispositions, notamment en les intégrant dans sa législation nationale et sa Constitution (art. 33 et 35 en particulier). En outre, l’article 23 de la Constitution permet que des restrictions soient apportées aux droits et libertés de l’individu, mais uniquement dans les cas prévus par la loi, dans l’intérêt de la sécurité nationale et de l’ordre public et pour protéger la moralité et la santé de la population ainsi que les droits et libertés d’autrui. Une analyse de l’article 35 de la Constitution révèle que le droit à la liberté d’organiser des manifestations de masse est consacré, mais la Constitution prévoit également une réglementation législative encadrant la tenue de telles manifestations. À l’heure actuelle, l’organisation et la tenue d’assemblées, de réunions, de défilés, de manifestations et de «piquets» sont réglementées par la loi sur les manifestations de masse du 7 août 2003. Cette loi prévoit un système d’autorisation (et non de notification) pour l’organisation de manifestations. Les restrictions concernant la tenue de manifestations ne peuvent être imposées que dans les cas prévus par la loi, dans l’intérêt de la sécurité nationale et de l’ordre public, en particulier par l’article 23.34 du Code des infractions administratives, et l’article 8 de la loi sur les manifestations de masse.

6.3En outre, l’État partie qualifie d’opinion personnelle, ne correspondant pas à la réalité, l’argument de l’auteur qui se dit convaincu de l’inutilité de la procédure de contrôle dans le cadre des infractions administratives, argument qui n’est pas fondé sur des faits ou des exemples concrets susceptibles de présenter un intérêt pour le fond de l’affaire. L’État partie précise qu’en vertu de l’article 12.1 du Code de procédure administrative et d’application des mesures administratives, toute décision relative à une infraction administrative peut être attaquée par la personne visée par la décision, une partie lésée ou leur représentant ou avocat, et le procureur de son côté peut introduire une requête visant à contester de telles décisions. Une décision qui a acquis la force de chose jugée peut également être réexaminée sur requête en contestation du Procureur. En 2008, le bureau du Procureur a reçu 2 739 plaintes concernant des décisions relatives à des infractions administratives. Il a été fait droit à 422 d’entre elles. En 2008, concernant les seules requêtes en contestation du Bureau du Procureur général, la Cour suprême a annulé ou modifié 146 décisions relatives à des infractions administratives qui avaient acquis la force de chose jugée. Ces chiffres démontrent que le système de contrôle devant le procureur est suffisamment efficace, et chaque année un nombre important d’infractions administratives sont réexaminées sur la base des requêtes en contestation du procureur.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas demandé au bureau du Procureur d’examiner le contentieux administratif dans le cadre de la procédure de contrôle; ainsi, d’après l’État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif. Le Comité prend également note des statistiques citées pour démontrer que la procédure de contrôle a été efficace dans un certain nombre de cas (voir plus haut par. 6.3). Toutefois, il note que l’État partie n’a pas indiqué si la procédure avait été appliquée avec succès dans des affaires concernant la liberté d’expression ou le droit de réunion pacifique ni précisé, si tel est le cas, le nombre de ces affaires. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les procédures de contrôle des décisions de justice devenues exécutoires ne constituent pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

7.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé le grief de violation du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme qu’en dispersant, le 30 octobre 2007, la cérémonie de commémoration organisée à la mémoire des victimes des répressions staliniennes en Russie soviétique, les autorités de l’État partie ont porté atteinte au droit à la liberté d’expression garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, étant donné que l’auteur a été écarté de la commémoration puis condamné à une amende de 620 000 roubles bélarussiens pour avoir exprimé publiquement des «intérêts personnels et autres» pendant un «piquet» non autorisé. Il note également que l’État partie objecte que l’auteur a été reconnu responsable d’une infraction administrative prévue à l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives pour avoir participé à une manifestation non autorisée, alors qu’il avait été précédemment condamné, dans une affaire différente, pour avoir enfreint la procédure régissant l’organisation et la tenue de manifestations de masse.

8.3Le Comité doit déterminer en premier lieu si l’application de l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives, qui a entraîné l’arrêt de la commémoration et plus tard la condamnation à une amende, a constitué ou non dans le cas de l’auteur une restriction du droit à la liberté d’expression au sens du paragraphe 3 de l’article 19. Le Comité relève que l’article 23.34, partie 3, du Code des infractions administratives prévoit que la responsabilité est engagée pour toute violation de la procédure régissant l’organisation ou la tenue de manifestations. Il note également que puisque l’État partie a imposé une «procédure pour tenir des manifestations», il a effectivement posé des restrictions à l’exercice de la liberté de répandre des informations, garantie au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

8.4Le Comité doit déterminer en deuxième lieu si en l’espèce ces restrictions sont justifiées au sens du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, c’est-à-dire si elles sont expressément fixées par la loi et sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité; ces restrictions «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire».

8.5Le Comité note que, dans la présente affaire, l’État partie a fait valoir que les dispositions de la loi sur les manifestations de masse visaient à créer les conditions propices à l’exercice des droits et libertés constitutionnels des citoyens et à la protection de la sécurité et de l’ordre publics pendant les manifestations. Il note aussi que l’auteur a objecté que l’article 23.34 du Code des infractions administratives ne s’appliquait pas à son cas puisqu’il ne prévoit pas que la responsabilité administrative est engagée pour la simple participation à une manifestation. De plus, étant donné que les commémorations ne sont pas régies par la législation bélarussienne, les participants à la cérémonie qui a eu lieu le 30 octobre 2007 n’ont pas demandé aux autorités compétentes l’autorisation d’organiser une manifestation de masse. À ce propos, le Comité note que l’auteur et l’État partie divergent sur plusieurs points: la question de savoir si la cérémonie constitue une «manifestation de masse», qui devait donc suivre la «procédure régissant la tenue de manifestations», établie dans la loi sur les manifestations de masse, et si l’article 23.34 du Code des infractions administratives interdit la simple participation à une manifestation.

8.6Même si les sanctions prises contre l’auteur étaient licites en vertu de la législation nationale, le Comité note que l’État partie n’a pas apporté d’arguments montrant en quoi elles étaient nécessaires aux fins de l’un des objectifs légitimes énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte ni quel danger l’auteur aurait pu représenter en exprimant publiquement ses sentiments négatifs concernant les répressions staliniennes en Russie soviétique. Le Comité conclut qu’en l’absence d’explications utiles de la part de l’État partie, les restrictions à l’exercice du droit à la liberté d’expression ne peuvent pas être réputées nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre publics ou au respect des droits ou de la réputation d’autrui. Le Comité estime donc qu’en l’espèce les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 ont été violés.

8.7Le Comité note aussi le grief de violation du droit à la liberté de réunion consacré à l’article 21 du Pacte du fait que l’auteur a été arbitrairement empêché de tenir une réunion pacifique. Dans ce contexte, le Comité rappelle que les droits et libertés garantis à l’article 21 du Pacte ne sont pas absolus mais peuvent être soumis à des restrictions dans certaines situations. La deuxième phrase de l’article 21 du Pacte dispose que l’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées 1) conformément à la loi et 2) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

8.8Dans la présente affaire, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit de réunion étaient justifiées en vertu de l’un quelconque des critères énumérés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Le Comité relève que l’État partie affirme que les restrictions étaient conformes à la loi. Toutefois, l’État partie n’a pas donné d’informations montrant en quoi, dans la pratique, la cérémonie à la mémoire des victimes des répressions staliniennes pouvait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sûreté ou l’ordre publics, à la protection de la santé ou de la moralité publiques ou à la protection des droits et libertés d’autrui, comme il est énoncé à l’article 21 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut qu’en l’espèce l’État partie a également commis une violation du droit consacré par l’article 21 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Bélarus du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme notamment du remboursement de la valeur de l’amende au mois d’octobre 2007 et de tous frais de justice engagés par l’auteur, ainsi que d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations, et à les diffuser largement en biélorusse et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]