Nations Unies

CCPR/C/108/D/1948/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 septembre 2013

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 1948/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa 108e session(8-26 juillet 2013)

Communication présentée par:

Denis Turchenyak et consorts (représenté par un conseil, Roman Kisliak)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

21 novembre 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 mai 2010 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

24 juillet 2013

Objet:

Procès inéquitable; liberté d’expression; réunion pacifique; discrimination

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes; griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Procès inéquitable; liberté d’expression; droit de réunion pacifique; discrimination

Article s du Pacte:

14 (par. 1), 19 (par. 2), 21 et 26

Article s du Protocole facultatif:

2, 5 (par. 2 a) et b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no 1948/2010 *

Présentée par:

Denis Turchenyak et consorts (représenté par un conseil, Roman Kisliak)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

21 novembre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1948/2010 présentée au nom de M. Denis Turchenyak et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Denis Turchenyak, né en 1963, Irina Lavrovskaya, née en 1951, Valery Fominsky, né en 1974 et Roman Kisliak, né en 1975; tous sont de nationalité bélarussienne. Ils se déclarent victimes de violations par le Bélarus des droits qu’ils tiennent des articles 14 (par. 1), 19 (par. 2), 21 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992.

Rappel des faits soumis par les auteurs

2.1Le 30 décembre 2008, les auteurs ont demandé au Comité exécutif de la ville de Brest l’autorisation d’organiser des manifestations (piquets) pendant trois jours consécutifs (les 15, 16 et 17 janvier 2009) pour appeler l’attention de la population sur les problèmes survenus durant la construction d’un monument commémorant le millième anniversaire de Brest. Ils précisaient que les piquets comprendraient 10 personnes, dont eux-mêmes, et se tiendraient de 13 à 15 heures dans une zone piétonnière de la rue Gogol à Brest.

2.2La demande a été examinée par le Vice-Président du Comité exécutif de la ville de Brest, qui a refusé, par une décision en date du 9 janvier 2009, d’autoriser les piquets à l’endroit indiqué. Le refus était fondé sur la décision no 1715 (25 octobre 2006) du Comité exécutif de Brest («Concernant la désignation d’un lieu unique pour l’organisation des rassemblements publics à Brest») en vertu de laquelle les rassemblements ne peuvent avoir lieu qu’au stade «Lokomotiv», conformément aux dispositions de la loi de 1997 relative aux manifestations publiques en République du Bélarus.

2.3Le 10 février 2009, les auteurs ont fait recours contre le refus devant le Comité exécutif de la région de Brest. Le 20 février 2009, ils ont reçu une réponse du Vice‑Président rejetant le recours au motif qu’il était sans fondement.

2.4Le 10 février 2009, les auteurs ont également contesté le refus du Comité exécutif de la ville de Brest devant le tribunal du district Lénine de Brest, invoquant une atteinte à la liberté d’expression. Le 3 mars 2009, ils ont complété leur recours en faisant valoir que le refus avait constitué une discrimination fondée sur leurs convictions. Le 4 mars 2009, le tribunal a rejeté le recours, déclarant qu’en vertu de la décision no 1715 (25 octobre 2006) du Comité exécutif de la ville de Brest, à l’exception des manifestations et défilés organisés par les autorités de l’État, le site désigné pour les manifestations de masse était le stade «Lokomotiv». Il a estimé que la décision rendue le 9 janvier 2009 par le Comité exécutif de la ville de Brest était légale et qu’elle ne violait pas les droits des auteurs. Il a également considéré que le grief de discrimination fondée sur les convictions n’était pas étayé puisque le Comité exécutif de la ville de Brest se prononçait sur le lieu des manifestations de masse organisées par les autorités de l’État au cas par cas. À l’audience, un des auteurs a demandé que le Président, le Vice-Président, ainsi qu’un autre employé du Comité exécutif de la ville de Brest soient convoqués pour être interrogés. La demande a été rejetée parce que le tribunal a considéré que la représentation du Comité était déjà suffisante et adéquate.

2.5Le 16 mars 2009, les auteurs ont demandé au tribunal régional de Brest l’annulation de la décision du tribunal du district Lénine de Brest. Dans leur recours, ils affirmaient que le droit à un procès équitable avait été violé par le tribunal de première instance parce que celui-ci avait refusé de convoquer les témoins demandés pour qu’ils soient interrogés. Le 9 avril 2009, le tribunal régional de Brest a rejeté le recours en annulation et confirmé la décision de première instance.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que leur droit à la liberté d’expression et le droit à la liberté de réunion pacifique, garantis à l’article 19 (par. 2) et à l’article 21 du Pacte, ont été arbitrairement restreints parce que ni la décision du Vice-Président du Comité exécutif de la ville de Brest ni les décisions des juridictions nationales n’ont avancé pour justifier la restriction du droit d’organiser les piquets d’autre raison que l’application automatique de la décision no 1715 du 25 octobre 2006. Les auteurs font notamment valoir que la restriction en cause n’était pas justifiée par des raisons de sécurité nationale ou de sûreté publique, d’ordre public, de sauvegarde de la santé ou de la moralité publiques, et qu’elle n’était pas nécessaire à la protection des droits et des libertés d’autrui, de sorte qu’elle était contraire au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Ils indiquent que la restriction imposée aux 300 000 habitants de Brest, tendant à ce que les manifestations de masse soient organisées dans un seul lieu, qui plus est un stade éloigné du centre-ville et entouré de murs de béton, a pour effet de déplacer les manifestations à l’extérieur de l’espace public, et porte donc atteinte au droit à la liberté d’expression.

3.2Les auteurs affirment en outre que le refus d’autoriser les piquets dans des lieux autres que celui qui est désigné par la décision no 1715 représente une discrimination fondée sur leurs convictions, contraire à l’article 26 du Pacte, puisque le Comité exécutif de la ville de Brest a autorisé à de nombreuses reprises des manifestations de masse en dehors du lieu officiellement désigné. À l’appui de leur affirmation, les auteurs citent six cas dans lesquels le Comité exécutif a autorisé la tenue de telles manifestations.

3.3Les auteurs affirment en outre qu’en refusant de faire comparaître trois témoins essentiels qu’ils souhaitaient interroger, le tribunal du district Lénine de Brest a violé leur droit à un procès équitable, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Ils affirment aussi que le refus du tribunal de faire comparaître ces témoins montre que le juge avait déjà pris parti pour les autorités municipales, de sorte que sa décision ne pouvait pas être impartiale.

Observations préliminaires de l’État partie

4.1Dans une réponse du 8 juillet 2010, l’État partie a notamment relevé qu’aucun motif de droit ne justifiait un examen plus poussé des communications. Il ajoutait qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que les communications reçues par le Comité émanaient de particuliers et qu’il était «manifeste» qu’elles avaient été établies par un tiers (n’ayant pas la qualité de particulier), ce qui était incompatible avec l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. L’État partie demandait en outre au Comité de tirer au clair les liens entre les auteurs de la communication et les personnes qu’ils avaient désignées pour obtenir du Comité des renseignements confidentiels sur les plaintes, et d’indiquer quels articles du Protocole facultatif se rapportant au Pacte régissent la transmission directe par le Comité de renseignements confidentiels à des particuliers et à des tiers.

4.2Par une note verbale du 10 août 2010, le Comité a notamment signalé à l’État partie que le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires considérait qu’il n’y avait aucun obstacle à la recevabilité de la communication au titre de l’article premier du Protocole facultatif parce qu’elle était dûment signée par les auteurs et que rien dans le Protocole facultatif se rapportant au Pacte, dans le Règlement intérieur du Comité et dans ses méthodes de travail n’empêchait les auteurs de communiquer une autre adresse que la leur à des fins de correspondance s’ils le souhaitaient. Le Comité invitait en outre l’État partie à faire parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication dans le délai imparti.

4.3Par une note verbale du 3 septembre 2010, l’État partie a notamment indiqué que «faute de réponse détaillée à toutes les questions posées dans ses précédentes observations, la partie bélarussienne ne donner[ait] pas d’autre suite à la ou aux communications. Elle souligne avoir respecté ses obligations au titre de l’article premier du Protocole facultatif». L’État partie prenait note de la réponse du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires qui considérait qu’il n’y avait pas d’obstacles à la recevabilité de la communication au titre du Protocole facultatif, mais il estimait qu’il s’agissait d’un point de vue personnel qui ne créait pas et ne pouvait pas créer d’obligations légales pour les États parties au Pacte. Il faisait en outre observer que ses questions ne visaient pas les adresses communiquées aux fins de la correspondance relative, notamment, à la communication; toutefois, il demandait au Comité «de préciser le lien entre les tiers et la plainte de M. Turchenyak (…) et les raisons pour lesquelles ces tiers, qui ne relèvent pas de la juridiction du Bélarus, sont désignés dans les communications comme personnes à contacter, habilitées à obtenir du Comité des renseignements confidentiels». Enfin, l’État partie appelait l’attention du Comité sur le fait qu’il avait reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier du Protocole facultatif pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes de la violation d’un des droits énoncés dans le Pacte et non pour examiner des communications émanant d’autres personnes (tiers). L’État partie n’avait accepté aucune autre obligation au titre de l’article premier du Protocole facultatif et n’examinerait pas plus avant la présente communication, notamment.

4.4Par une lettre du 28 octobre 2010, le Président du Comité a indiqué notamment que la communication avait été dûment signée par ses auteurs, qui se déclaraient victimes de violations. En ce qui concerne la décision des auteurs de confier à des tiers résidant en dehors du territoire de l’État partie le soin de recevoir en leur nom la correspondance du Comité, il fallait relever qu’aucune disposition du Protocole n’empêchait les auteurs de donner une adresse différente de la leur et de désigner des tiers comme destinataires de la correspondance du Comité. À ce propos, le Président soulignait que conformément à la pratique établie du Comité, les auteurs peuvent charger des représentants de leur choix, ne vivant pas nécessairement sur le territoire de l’État partie concerné, de recevoir la correspondance et de les représenter devant le Comité. Enfin, l’État partie a de nouveau été invité à faire parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Le 20 décembre 2010, un premier rappel lui a été adressé en ce sens.

4.5Par une note verbale du 6 janvier 2011, l’État partie a rappelé qu’il avait exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation au sujet de l’enregistrement injustifié de communications individuelles. Cette préoccupation visait essentiellement les communications émanant de particuliers qui délibérément n’avaient pas épuisé les recours internes disponibles dans l’État partie, alors qu’ils auraient pu par exemple former un recours auprès du Procureur contre des décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée, en vertu de la procédure de contrôle.

4.6L’État partie relève en outre que l’enregistrement de communications présentées par un tiers (conseil ou autre personne) au nom de particuliers qui allèguent la violation de leurs droits constitue incontestablement un abus du mandat du Comité ainsi que du droit de présenter des communications; l’enregistrement de ces communications est contraire à l’article 3 du Protocole facultatif. De plus, l’État partie a reconnu la compétence du Comité au titre de l’article premier du Protocole puisqu’il y a adhéré, mais il n’a pas accepté un élargissement de son mandat. À ce sujet, il relève que le Comité donne une «interprétation partiale et large (…) des règles fixées par les instruments internationaux concernés» et explique que l’interprétation des dispositions du Pacte et du Protocole facultatif s’y rapportant doit être strictement conforme aux articles 31, 32 et 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’État partie ajoute que selon l’interprétation correcte de l’article premier et du préambule du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, seules les communications présentées par les particuliers (et non par leurs représentants) peuvent être enregistrées par le Comité. Il s’ensuit que l’État partie rejettera toute communication enregistrée par le Comité en violation des dispositions des traités mentionnés et considérera toute décision de celui-ci concernant ces communications nulle et non avenue.

4.7Le 20 septembre 2011, un second rappel a été envoyé à l’État partie pour lui demander de faire parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

4.8Par une note verbale du 5 octobre 2011, l’État partie a fait savoir qu’aucun motif de droit ne justifiait l’examen de la communication, que ce soit sur la recevabilité ou sur le fond, parce qu’elle avait été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, outre qu’elle engageait des tiers qui ne relevaient pas de la juridiction de l’État partie. Celui-ci maintient que l’enregistrement de communications présentées par un tiers (conseil ou autre personne) au nom de particuliers invoquant une violation de leurs droits constitue un abus du mandat du Comité et un abus du droit de présenter une communication, visés à l’article 3 du Protocole facultatif.

4.9Le 25 octobre 2011, un troisième et dernier rappel a été envoyé à l’État partie pour lui demander de faire parvenir ses observations concernant la recevabilité et le fond de la présente communication.

4.10Dans une note verbale du 25 janvier 2012, l’État partie a renvoyé à ses précédentes observations, en particulier à celles du 6 janvier 2011. Il a rappelé qu’en adhérant au Protocole facultatif il avait reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier de ce texte pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction, qui se déclarent victimes d’une violation d’un des droits énoncés dans le Pacte. Cette reconnaissance de la compétence du Comité s’étendait à d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles qui énoncent les critères de recevabilité et les conditions à remplir par le particulier, c’est-à-dire l’article 2 et l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif. Le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le Règlement intérieur du Comité ni de souscrire à l’interprétation des dispositions du Protocole donnée par celui-ci. En ce qui concerne la procédure d’examen des communications, l’État partie fait valoir que les États parties au Protocole facultatif doivent s’appuyer avant tout sur les dispositions du Protocole et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, «ne relèvent pas du Protocole facultatif». Il ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte comme incompatible avec le Protocole et qu’il la rejettera sans faire la moindre observation sur la recevabilité ni sur le fond. L’État partie déclare en outre que les constatations du Comité sur les «communications refusées» seront considérées par ses autorités comme «non valides».

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

5.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’il n’existe pas de motif de droit d’examiner la communication présentée par les auteurs puisqu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu d’accepter le Règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par ce dernier des dispositions du Protocole facultatif et que les constatations du Comité concernant la présente communication seront considérées par les autorités comme «non valides». Le Comité prend également note de l’observation de l’État partie qui fait valoir que l’enregistrement de communications présentées par un tiers (conseil ou autre personne) au nom de particuliers invoquant la violation de leurs droits constitue un abus du mandat du Comité ainsi qu’un abus du droit de présenter une communication.

5.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir son propre Règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait en outre observer qu’en adhérant au Protocole facultatif tout État partie au Pacte reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droit énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1). Le Comité relève en outre qu’en refusant aux particuliers le droit de se faire représenter par un conseil (ou par un tiers désigné) de leur choix devant le Comité, l’État partie manque aux obligations que lui impose le Protocole facultatif se rapportant au Pacte. En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure quelle qu’elle soit qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas sa décision relative à l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond des communications, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et pour ce qui est des griefs tirés des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte, le Comité relève que dans sa note du 6 janvier 2011 (voir plus haut par. 4.5), l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés, car les auteurs n’avaient pas engagé de procédure de contrôle auprès du bureau du Procureur. Toutefois, le Comité note que l’État partie n’a ni indiqué si la procédure avait été appliquée avec succès dans des affaires concernant la liberté d’expression et le droit à la liberté de réunion pacifique ni, si tel est le cas, précisé le nombre de ces affaires. Le Comité rappelle sa jurisprudence et souligne que ce type de procédure de contrôle des décisions de justice devenues exécutoires ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Dans ces circonstances, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment que les droits consacrés par l’article 14 (par. 1) du Pacte ont été violés en raison du rejet d’une de leur demande tendant à citer certains témoins à l’audience pour les interroger, le Comité note que la plainte a trait essentiellement à la façon dont les juridictions nationales ont apprécié les éléments de preuve et retenu ceux qui présentaient un intérêt particulier pour l’affaire. Le Comité fait observer que les allégations des auteurs concernent principalement l’examen des faits et des éléments de preuve par le tribunal. Il rappelle que, de manière générale, il appartient aux juridictions nationales des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans chaque cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ou que le tribunal a d’une autre façon manqué à son obligation d’indépendance et d’impartialité. Le Comité considère en l’espèce que les auteurs n’ont pas montré que les conclusions du tribunal pouvaient représenter un arbitraire dans l’évaluation des preuves ou équivalaient à un déni de justice. Par conséquent le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte et considère donc cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 26 du Pacte, et en l’absence dans le dossier d’informations utiles supplémentaires, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur plainte aux fins de la recevabilité et déclare par conséquent que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Enfin, le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les autres griefs, qui soulèvent des questions au regard des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il déclare cette partie de la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité prend note du grief des auteurs qui affirment que leur liberté d’expression et de réunion a été arbitrairement restreinte, étant donné que ni la décision du Vice‑Président du Comité exécutif de la ville de Brest ni les décisions des juridictions nationales n’ont avancé pour justifier la restriction du droit d’organiser des piquets d’autre raison que l’application automatique de la décision no 1715 du 25 octobre 2006 par laquelle le Comité exécutif a désigné un complexe sportif éloigné du centre-ville comme lieu habituel des rassemblements publics à Brest. Les auteurs affirment en outre que le fait de circonscrire des manifestations de masse en un lieu unique a pour effet de restreindre le droit de 300 000 citoyens de Brest de se réunir pacifiquement, en déplaçant la plupart des manifestations vers un espace isolé, un stade entouré de murs de béton, et revient donc à limiter arbitrairement les droits garantis par l’article 21 du Pacte.

7.3Le Comité note en outre que la décision no 1715 du Comité exécutif de la ville de Brest désignant un stade comme lieu unique de rassemblements publics (à l’exception des manifestations et défilés de rue) et les décisions ultérieures des juridictions nationales concluant que les restrictions imposées aux auteurs étaient conformes à la loi relative aux manifestations de masse et à la constitution du Bélarus n’avancent aucun motif justifiant la restriction imposée. Le Comité prend note en particulier de la décision du tribunal régional de Brest du 9 avril 2009, rendue dans le cadre d’une procédure aux fins d’annulation, par laquelle le tribunal a conclu que le refus d’autoriser les auteurs à organiser des piquets à l’endroit demandé était conforme à la loi car fondé sur la décision no 1715, en vertu de laquelle les manifestations de masse, y compris les piquets, c’est-à-dire la possibilité de se rassembler en un lieu précis pour soutenir ou contester une cause, avec ou sans documents d’information, ne peuvent avoir lieu qu’au stade «Lokomotiv».

7.4Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Il suppose notamment la possibilité d’organiser une réunion pacifique, y compris sous une forme fixe (comme un piquet) dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont, en règle générale, le droit de choisir un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public cible, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions a) imposées conformément à la loi et b) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, les États parties doivent chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

7.5En l’espèce, les auteurs avaient choisi de tenir un piquet de 13 à 15 heures durant trois journées consécutives dans une zone piétonnière de la ville de Brest dans le but d’appeler l’attention de la population sur les problèmes liés à la construction d’un monument commémorant le millième anniversaire de Brest, mais leur demande avait été rejetée. Dans ces circonstances et en l’absence d’explication de la part de l’État partie, le Comité considère que la décision des autorités de dénier aux auteurs le droit de se réunir pacifiquement dans le lieu public de leur choix était injustifiée. Il fait également observer, au vu des éléments figurant dans le dossier, que dans leurs réponses aux auteurs, les autorités n’ont pas démontré en quoi la tenue d’un piquet à l’endroit indiqué compromettrait nécessairement la sécurité nationale, la sûreté publique et l’ordre public, la sauvegarde de la santé et la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Le Comité note que l’interdiction de fait de se réunir dans les lieux publics de toute la ville de Brest à l’exception du stade «Lokomotiv» limite indûment le droit à la liberté de réunion. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le droit que les auteurs tiennent de l’article 21 du Pacte a été violé.

7.6Le Comité note que, selon les auteurs, leur droit de diffuser des informations concernant les problèmes posés par la construction d’un monument commémorant le millième anniversaire de Brest est protégé par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Les auteurs font valoir que la restriction en cause n’était pas justifiée par des raisons de sécurité nationale ou de sûreté publique, d’ordre public, de sauvegarde de la santé ou de la moralité publiques, qu’elle n’était pas nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui, et qu’elle a donc constitué une violation des droits garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.7Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte n’autorise certaines restrictions que si elles sont expressément prévues par la loi et nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Il renvoie à son Observation générale no 34, selon laquelle la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au plein épanouissement de l’individu, et sont essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions à l’exercice de ces libertés doivent répondre à des critères stricts de nécessité et de proportionnalité. «Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire.».

7.8Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de montrer que les restrictions imposées aux droits garantis à l’article 19 étaient en l’espèce nécessaires et justifiées et que même si en principe un État partie a la faculté de mettre en place un système visant à concilier la liberté des individus de répandre des informations et l’intérêt général qu’il y a à maintenir l’ordre public dans une zone déterminée, le fonctionnement de ce système ne doit pas être incompatible avec l’article 19 du Pacte. Le Comité note que l’État partie n’a pas fait parvenir ses observations sur le fond de la présente communication. Il relève toutefois que les autorités bélarussiennes ont refusé d’autoriser les auteurs à tenir leurs piquets dans le lieu de leur choix et ont, de ce fait, restreint leur droit d’exprimer leur préoccupation au sujet de la construction d’un monument commémorant le millième anniversaire de Brest, au seul motif que la décision no 1715 (25 octobre 2006) du Comité exécutif de la ville de Brest désigne un emplacement précis pour l’organisation de manifestations de masse. Le Comité note à ce sujet que les autorités n’ont pas expliqué dans quelle mesure les restrictions imposées aux droits garantis aux auteurs par l’article 19 du Pacte étaient justifiées au regard du paragraphe 3 de cet article. Dans ces circonstances, et en l’absence de toute information de l’État partie justifiant la restriction aux fins du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, le Comité conclut que les droits que les auteurs tiennent du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte. Il réaffirme que l’État partie a également manqué à ses obligations en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, sous la forme du remboursement des frais de justice engagés par les auteurs, ainsi qu’une indemnisation. Afin de garantir le plein exercice des droits consacrés à l’article 21 du Pacte sur son territoire, l’État partie devrait également revoir les dispositions de sa législation nationale qui ont été appliquées en l’espèce. Il est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement en biélorusse et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]