Nations Unies

CCPR/C/99/D/1868/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

7 septembre 2010

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-neuvième session

12-30 juillet 2010

Décision

Communication no 1868/2009

Présentée par:

Fatima Andersen (représentée par Niels-Erik Hansen du Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Danemark

Date de la communication:

13 janvier 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 23 février 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:

26 juillet 2010

Objet:

Discours haineux contre la communauté musulmane au Danemark

Questions de procédure:

Griefs non étayés; non-épuisement des recours internes; qualité de victime

Questions de fond:

Discours haineux; discrimination fondée sur la conviction religieuse et droits des minorités

Articles du Pacte:

2 (par. 3), 20 (par. 2) et 27

Articles du Protocole facultatif:

1er, 2 et 5 (par. 2 b))

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-neuvième session)

concernant la

Communication no 1868/2009**

Présentée par:

Fatima Andersen (représentée par Niels-Erik Hansen du Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Danemark

Date de la communication:

13 janvier 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Mme Fatima Andersen, de nationalité danoise, née au Danemark le 2 septembre 1960. Elle affirme être victime d’une violation par le Danemark des droits consacrés par l’article 2, le paragraphe 2 de l’article 20 et l’article 27 du Pacte. Elle est représentée par M. Niels-Erik Hansen, du Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 6 avril 1972.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 29 avril 2007, le chef du Parti du peuple danois (PPD), la députée Pia Kjaersgaard, a comparé dans une déclaration faite à la télévision nationale danoise le foulard porté par les musulmanes au symbole nazi de la croix gammée. Un autre membre du PPD, le député Søren Krarup, avait peu de temps auparavant fait une comparaison similaire. L’auteur, qui est de confession musulmane, porte le foulard pour des raisons religieuses. Elle se considère personnellement insultée par cette comparaison du foulard à la croix gammée. En outre, une telle comparaison crée un environnement hostile et donne concrètement lieu à une discrimination à son égard. Par exemple, il lui est difficile de trouver un emploi à cause d’une double discrimination fondée sur son sexe et le fait qu’elle porte le foulard.

2.2Le 30 avril 2007, le conseil de l’auteur a dénoncé les propos de Mme Kjaersgaard à la police métropolitaine de Copenhague, invoquant une violation de l’article 266 b) du Code pénal danois. Le 20 septembre 2007, la police métropolitaine de Copenhague a informé le conseil que le Procureur public de Copenhague et de Bornholm avait décidé, le 7 septembre 2007, en vertu du paragraphe 2 de l’article 749 de la loi sur l’administration de la justice, de ne pas engager de poursuites à l’encontre de Mme Kjaersgaard. Dans sa lettre, la police métropolitaine de Copenhague ajoutait que le conseil avait la possibilité de contester cette décision auprès du Procureur général. Le 16 octobre 2007, le conseil a fait appel de la décision auprès du Procureur général; le 28 août 2008, ce dernier a confirmé la décision du Procureur public de Copenhague et de Bornholm, estimant que ni l’auteur ni son conseil ne pouvaient être considérés comme des plaignants légitimes dans cette affaire. Le Procureur général a ajouté que les déclarations couvertes par l’article 266 b) du Code pénal revêtaient habituellement un caractère trop général pour que ceux qui les contestent puissent être considérés comme des plaignants légitimes. Rien selon lui ne semblait indiquer que Fatima Andersen, l’auteur, pourrait être considérée comme une personne lésée au sens du paragraphe 3 de l’article 749 de la loi sur l’administration de la justice, vu qu’il ne pouvait être affirmé qu’elle avait un intérêt juridique réel, direct et personnel dans l’issue de l’affaire. En tant que représentant de l’auteur, le conseil ne pouvait donc pas non plus être considéré comme un plaignant légitime.

2.3En vertu du paragraphe 3, alinéa 2) de l’article 99 de la loi sur l’administration de la justice, cette décision n’est pas susceptible d’appel. Selon l’auteur aucun autre recours administratif n’est disponible puisque le pouvoir de saisir les tribunaux d’affaires au titre de l’article 266 b) du Code pénal appartient exclusivement au parquet.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 2, le paragraphe 2 de l’article 20 et l’article 27 du Pacte. Elle fait valoir que sa requête est fondée sur une série de déclarations manifestement islamophobes qui relèvent d’une propagande haineuse à l’encontre des musulmans du Danemark, menée par d’importantes figures du PPD. Les déclarations faites par la députée Pia Kjaersgaard ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres d’atteintes aux droits des musulmans du Danemark. Étant donné que seuls les procureurs publics sont habilités à invoquer des violations de l’article 266 b) du Code pénal et que la liberté d’expression est toujours favorisée par rapport au droit de ne pas être l’objet d’un discours haineux, aucune plainte fondée sur le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte ne parvient aux tribunaux.

3.2Les propos comme ceux qui ont été tenus par certains membres du PPD font partie de la vaste campagne en cours visant à susciter la haine contre les musulmans du Danemark. Selon l’auteur, les hommes politiques qu’elle met en cause sont de nature à influencer l’opinion publique, dont des membres peuvent ensuite être amenés à commettre contre des musulmans innocents vivant au Danemark des crimes motivés par la haine. En vertu du paragraphe 2 de l’article 266 du Code pénal, les discours haineux constituent, lorsqu’ils relèvent d’une campagne de propagande menée par des partis politiques contre des groupes raciaux, ethniques ou religieux, une circonstance aggravante. L’auteur compare de telles campagnes à celles qui avaient conduit à l’holocauste ou au génocide au Rwanda. En autorisant de tels discours, les autorités danoises n’ont pas, selon l’auteur, reconnu la nécessité de protéger les musulmans contre les propos haineux et, partant, de prévenir des crimes motivés par la haine contre des membres de ce groupe religieux. L’État partie aurait ainsi commis une violation du paragraphe 2 de l’article 20 et de l’article 27 du Pacte.

3.3Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur se réfère à l’opinion du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale concernant la communication no34/2004, Gelle c. Danemark, dans laquelle le Comité a souligné que dans les affaires de violation de l’article 266 b) du Code pénal, le dernier mot revient au ministère public danois qui peut faire obstacle à toute tentative d’épuisement des recours internes contre la propagande raciste. Pour elle, en lui déniant le droit de faire appel, l’État partie l’a aussi privée de la possibilité d’épuiser les recours internes. L’auteur affirme par conséquent que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

3.4Pour ce qui est de la qualité de victime, l’auteur se réfère à la communication no30/2003 du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Communautés juives d’Oslo et de Trondheim c. Norvège, dans laquelle l’État partie avait fait valoir que l’auteur (les communautés juives) n’avait pas le statut de victime. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale avait alors adopté une approche de la notion de la qualité de «victime» similaire à celle suivie par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire Toonenc. Australie et par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Open Door and Dublin Well Women v. Ireland . Dans cette dernière affaire, la Cour avait reconnu à certains auteurs le statut de «victime» parce qu’ils appartenaient à une catégorie/groupe de personnes qui risquaient de subir dans l’avenir les effets néfastes des actes qui faisaient l’objet de la plainte. L’auteur affirme, par conséquent, qu’en tant que membre d’un tel groupe, elle est aussi une victime. En sa qualité de musulmane, les déclarations faites contre sa communauté ont une incidence directe sur sa vie quotidienne au Danemark. Non seulement les propos tenus l’ont blessée, ils l’ont aussi exposée aux attaques de certains Danois qui tiennent les musulmans responsables de crimes qu’ils n’ont pas commis. Enfin, ces déclarations ont pour effet direct de restreindre les chances de l’auteur de trouver un emploi vu l’image stéréotypée qui est donnée des musulmans.

3.5Contrairement à ce que pense le Procureur général, le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale est habilité, en tant que représentant légal de l’auteur, à déposer en son nom une plainte pour dénoncer des discours haineux. En tentant de porter atteinte à la protection garantie par le Pacte, par le déni d’un recours utile à des personnes victimes de discours haineux islamophobes, l’État partie viole aussi, selon l’auteur, l’article 2 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Le 23 avril 2009, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2L’État partie conteste la recevabilité de la communication parce que, ainsi que l’a confirmé le Comité des droits de l’homme, l’article 2 ne peut être invoqué par des individus que conjointement avec d’autres articles du Pacte. En outre, même le paragraphe 3 b) de l’article 2 oblige certes les États parties à veiller à ce que l’existence d’un droit à un tel recours soit déterminée «par une autorité judiciaire administrative ou législative compétente», mais un État partie ne saurait être raisonnablement obligé, sur la base de cet article, de rendre de telles procédures disponibles même pour des allégations qui ne sont guère fondées. Le paragraphe 3 de l’article 2 garantit uniquement une protection aux victimes présumées si leurs allégations sont suffisamment fondées pour être défendables au regard du Pacte.

4.3L’État partie ajoute que les propos mis en cause ne peuvent être considérés comme tombant sous le coup du paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte. Pour que des propos puissent l’être, ils doivent, aux termes de cette disposition, constituer un appel à la haine nationale, raciale ou religieuse. Un tel appel doit de surcroît constituer une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. Le fait qu’il s’agit d’un appel à la haine nationale, raciale ou religieuse ne suffit pas. L’appel doit être caractérisé en ce sens qu’il doit comporter une intention d’inciter à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. L’État partie nie que les propos en cause de certains membres du PPD puissent constituer de quelque manière que ce soit un appel à la haine religieuse. La déclaration dans laquelle ils ont comparé le foulard à la croix gammée s’inscrivait dans le cadre d’un débat public sur la manière dont les membres du Gouvernement devaient apparaître lorsqu’ils prenaient la parole à la tribune du Parlement. Dans ce contexte, un des membres du PPD a déclaré que, selon lui, autoriser une députée à porter le foulard islamique à la tribune du Parlement serait comparable à permettre à un membre du Parlement d’arborer la croix gammée lorsqu’il prend la parole à la tribune. Selon les travaux préparatoires de l’article 266 b) du Code pénal, il n’y a jamais eu d’intention d’imposer d’étroites limites aux thèmes pouvant faire l’objet d’un débat politique ni de spécifier la manière dont ces thèmes devaient être débattus. C’est surtout pendant les débats politiques que des déclarations pouvant être jugées offensantes par certains sont faites et, dans de telles situations, il convient d’accorder l’importance requise au fait qu’elles interviennent pendant un débat dans lequel, par tradition, les limites à l’utilisation d’allégations simplifiées sont amplement fixées. L’État partie estime donc que ce serait aller à l’encontre des principes fondamentaux du Pacte que d’en interpréter les dispositions comme imposant à l’État l’obligation positive d’intervenir dans un débat sur un thème d’actualité abordé au Parlement ou dans la presse, à moins qu’il y ait eu appel à la haine nationale, raciale ou religieuse ou incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.

4.4L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Il oppose la disposition de l’article 266 b) du Code pénal relative aux propos à connotation raciale discriminatoire − qui peut donner lieu à des poursuites et pour laquelle seules les personnes pouvant invoquer un intérêt personnel peuvent faire appel de la décision du Procureur général de ne pas poursuivre l’enquête − aux articles 267 et 268 relatifs aux déclarations insultantes, qui sont, eux, applicables aux propos racistes. Contrairement à l’article 266 b), l’article 267 autorise les poursuites privées. En d’autres termes, la victime ou la partie offensée doit engager des poursuites. L’auteur aurait pu entamer une procédure pénale contre Mme Kjaersgaard en application des articles 267 et 275 1) du Code pénal. En choisissant de ne pas le faire, elle ne s’est pas acquittée de l’obligation d’épuiser tous les recours internes disponibles. L’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme qui a par le passé déclaré une communication irrecevable parce que les auteurs qui avaient déposé une plainte pénale pour propos insultants au titre de l’article 267 avaient adressé la communication au Comité avant que la Haute Cour n’ait rendu sa décision finale dans l’affaire. Selon l’État partie cette jurisprudence signifie que, s’agissant des allégations d’incitation à la haine religieuse, il est nécessaire d’engager une procédure au titre de l’article 267 du Code pénal pour que les recours internes soient épuisés. Exiger que l’auteur épuise les recours internes en vertu de l’article 267 ne saurait être considéré comme contraire au Pacte même si les procureurs publics ont refusé d’intenter une action au titre de l’article 266 b), étant donné que les règles relatives aux poursuites au titre de la première disposition ne sont pas identiques à celles que prévoit la deuxième.

4.5Sur le fond, l’État partie fait valoir qu’il s’est entièrement acquitté de l’obligation d’assurer un recours utile en l’espèce, dans la mesure où les autorités danoises (le parquet) ont examiné la plainte pour discrimination raciale de l’auteur d’une manière rapide, approfondie et efficace, en pleine conformité avec les dispositions du Pacte. Le paragraphe 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte requiert en effet que toute victime d’une violation du Pacte puisse obtenir que sa plainte soit tranchée, entre autres, par une «autorité administrative» compétente selon le système juridique de l’État. En vertu de cette disposition du Pacte, il n’est pas nécessaire qu’une victime ait accès à la justice. S’il en allait autrement, les tribunaux seraient submergés d’affaires soumises par des personnes invoquant une violation du Pacte sur laquelle les tribunaux doivent statuer même si l’autorité administrative compétente selon le système juridique de l’État partie a déjà minutieusement examiné les allégations. Dans ces circonstances, il ne servirait à rien de charger une autorité administrative d’un tel examen. Le fait que la plainte pénale de l’auteur n’ait pas donné le résultat escompté, à savoir l’engagement de poursuites à l’encontre de Mme Kjaersgaard, est sans objet dans la mesure où le Pacte ne garantit pas telle ou telle issue dans une affaire portant sur des propos jugés insultants sur le plan racial. Dès lors, les États parties n’ont aucune obligation de poursuivre des personnes lorsque aucune violation des droits garantis par le Pacte n’a été relevée. À cet égard, il convient de souligner que la seule question soulevée par la présente affaire est celle de savoir s’il y a des raisons de présumer que les propos de Mme Kjaersgaard puissent tomber sous le coup de l’article 266 b) du Code pénal. L’appréciation qui incombait au parquet était donc un acte d’évaluation purement juridique ne nécessitant pas l’examen de preuves (la déclaration a été faite à la télévision nationale).

4.6L’État partie se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a clairement confirmé que le droit à la liberté d’expression était particulièrement important pour un représentant élu du peuple. La Cour a estimé que les ingérences dans l’exercice de la liberté d’expression d’un député de l’opposition appelaient un examen des plus minutieux. En l’espèce l’État partie considère que les autorités nationales qui ont examiné la plainte de l’auteur se sont pleinement conformées aux normes pouvant être inférées du paragraphe 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte.

4.7En ce qui concerne la possibilité de faire appel de la décision, le Directeur de la police de Copenhague a fait référence aux directives du ministère public danois concernant les appels (dont une copie a été jointe) qui stipulent entre autres, que toute personne qui estime être victime d’une infraction pénale peut interjeter appel. Toutefois, les tiers ne peuvent le faire que s’ils ont un intérêt particulier dans l’issue de l’affaire autre que le fait d’obtenir que l’auteur de l’infraction présumée soit condamné. Pour déterminer si une personne est partie à une affaire et, partant, habilitée à faire appel, les principaux critères à prendre en compte sont l’importance de l’intérêt qu’a la personne dans l’affaire et la mesure dans laquelle cet intérêt est étroitement lié à l’issue de l’affaire. Par conséquent, les individus qui dénoncent une violation, les témoins et les personnes apparentés ne peuvent être parties à une affaire pénale que s’ils ont qualité pour agir, c’est-à-dire un intérêt essentiel, direct, personnel et légal dans l’issue de l’affaire. Les déclarations qui tombent sous le coup de l’article 266 b) sont habituellement d’un caractère trop général pour qu’un individu puisse être habilité à faire appel. En l’espèce, le Directeur de la police a noté qu’il n’y avait aucune circonstance permettant de dire que l’auteur ou son représentant légal, le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale, était habilité à faire appel. L’État partie conclut donc que la décision du Directeur du parquet, qui était mûrement réfléchie et conforme aux règles danoises, ne peut être considérée comme allant à l’encontre du Pacte.

4.8L’État partie ajoute que les directeurs de la police sont tenus d’informer le parquet de toutes les affaires dans lesquelles une allégation de violation de l’article 266 b) n’est pas prise en considération. Ce mécanisme de notification a pour base le principe selon lequel le parquet est en mesure de réexaminer, dans le cadre de son pouvoir général de supervision, une affaire pour garantir que l’article 266 b) soit dûment et uniformément appliqué. À cet égard, il est fait référence à l’affaire concernant la publication de l’article intitulé «Le visage de Mahomet» et des 12 dessins qui l’accompagnent, dans laquelle le Directeur du parquet général a décidé, en raison de l’intérêt suscité par l’affaire dans l’opinion publique, d’examiner l’appel sans déterminer si les organismes et les personnes qui avaient contesté la décision du parquet régional pourraient être considérés comme habilités à faire appel. En l’espèce, toutefois, le Directeur du parquet n’a trouvé aucune raison de ne pas tenir compte à titre exceptionnel du fait que ni le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale ni l’auteur n’étaient habilités à faire appel de la décision.

4.9L’État partie rejette vigoureusement l’affirmation de l’auteur selon laquelle en s’abstenant de poursuivre Mme Kjaersgaard pour ses propos, les autorités danoises ont donné au PPD toute latitude pour qu’il se livre à une «campagne islamophobe et raciste systématique contre les musulmans et d’autres groupes minoritaires vivant au Danemark» et ont, par conséquent, manqué aux obligations positives qui leur incombent en vertu du Pacte. Il y a eu plusieurs poursuites engagées pour violation de l’article 266 b) du Code pénal à l’encontre d’hommes politiques à propos de déclarations faites au sujet des musulmans et/ou de l’islam, notamment d’activités de propagande visées à l’article 266 b) 2) du Code pénal. Les arguments avancés par l’auteur pour prouver le risque d’agression consistent seulement en une référence à une étude de 1999, d’où il ressort que des personnes originaires de Turquie, du Liban et de la Somalie vivant au Danemark faisaient l’objet d’attaques racistes dans la rue. Selon l’État partie, une telle étude ne peut être considérée comme une preuve suffisante que l’auteur a une raison sérieuse de craindre des attaques ou des agressions; Mme Andersen n’a, en réalité, donné aucune indication quant à d’éventuelles attaques − verbales ou physiques − dont elle a été concrètement victime en raison des propos de Mme Kjaersgaard, bien que, à la date de la présentation de la communication au Comité, presque deux années s’étaient écoulées depuis l’émission de télévision dans laquelle les propos mis en cause ont été tenus.

4.10L’État partie demande par conséquent au Comité de déclarer la communication irrecevable au motif que l’auteur n’a pas apporté le moindre élément attestant l’existence à première vue d’une violation du paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte et n’a pas épuisé les recours internes. Au cas où le Comité déclarerait la communication recevable, il lui est demandé de conclure à l’absence de violation du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre du 29 juin 2009, l’auteur a noté que dans la réponse de l’État partie aucune référence n’était faite à l’article 27 du Pacte. Elle estimait par conséquent qu’il y avait lieu de tenir pour acquis que le droit de pratiquer paisiblement sa culture et sa religion d’arborer les symboles y afférents n’est pas protégé. En vertu de l’article 27, les groupes minoritaires ont le droit d’avoir leur propre identité et ne doivent pas être obligés de «s’effacer» ou de se soumettre à une assimilation forcée. Ce droit doit être absolu. En affirmant que les déclarations en cause ne relevaient pas du paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte, l’État partie n’a pas traité la question de savoir si les limites imposées concernant les déclarations relèvent de l’obligation positive qu’ont les États parties, en vertu de l’article 27 du Pacte, de protéger le droit des minorités à leur propre culture et aux symboles de celle‑ci et leur droit de professer et de pratiquer leur propre religion.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours disponibles et utiles, l’auteur signale qu’il a fallu plus de seize mois aux autorités pour décider de ne pas enquêter plus avant sur sa plainte. Le principe d’objectivité semble également avoir été violé en l’espèce. Vu les déclarations dégradantes et insultantes faites de manière répétée par le groupement politique de Mme Kjaersgaard, il aurait été opportun d’examiner la question de savoir si les propos en cause pouvaient être classés dans la catégorie des activités de propagande, qui sont considérées comme une circonstance aggravante à l’article 266 b) 2) du Code pénal. Dans l’affaire Glistrup, l’accusation avait fait valoir et démontré que les déclarations en cause s’inscrivaient dans le cadre d’une activité systématique et continue et que les conditions requises pour appliquer l’article 266 b) 2) relatif à la propagande étaient réunies. En l’espèce en revanche le parquet n’a pas jugé nécessaire de procéder à une enquête et d’interroger la responsable politique concernée. L’obligation de mener une enquête rapide, approfondie et efficace n’a donc pas été respectée. Ce comportement est d’autant plus injustifié que l’auteur de la déclaration en cause a été identifié. L’auteur rappelle que les déclarations ne sont pas couvertes par l’immunité parlementaire. En protégeant les déclarations en cause sans procéder à une enquête, le parquet n’a pas effectué l’«évaluation d’ordre purement juridique» mentionnée par l’État partie. L’auteur rappelle également que, d’après l’Observation générale du Comité no 31 (2004) relative à l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, le fait de ne pas traduire en justice des auteurs de violations pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Se référant spécifiquement aux violations flagrantes des droits de l’homme, le Comité a estimé que l’impunité pouvait jouer un rôle important dans la répétition des violations. Aucun statut officiel ne justifie que des personnes accusées de telles violations soient exonérées de leur responsabilité juridique. L’auteur estime en outre que pour de telles violations, des recours purement administratifs sans possibilité de saisir un tribunal sont insuffisants et ne répondent pas aux exigences de l’article 2 du Pacte.

5.3L’auteur se réfère aux travaux préparatoires relatifs à l’article 266 b) du Code pénal, ainsi qu’à l’affaire Glistrup pour affirmer qu’il n’y avait eu aucune intention d’exclure les actes des hommes politiques ou les déclarations politiques du champ d’application de l’article 266 b), contrairement à ce que prétend l’État partie dans ses observations. Une modification a été apportée au Code pénal en 1996 pour y ajouter le paragraphe 2 de l’article 266 b) qui vise à contrecarrer les activités de propagande. L’amendement s’inscrivait dans un contexte marqué par des «tendances de plus en plus manifestes à l’intolérance, à la xénophobie et au racisme à la fois au Danemark et à l’étranger». Les actes de propagande, expression qui désigne la diffusion de manière systématique de déclarations discriminatoires en vue d’influer sur l’opinion publique, ont été considérés comme une circonstance aggravante nécessitant une peine d’emprisonnement plutôt qu’une simple amende. Le rapport explicatif contenait en outre une directive à l’intention du parquet, tendant à ce qu’il ne fasse pas preuve d’autant de retenue que par le passé pour ce qui est de porter des accusations si les actes en cause relèvent de la propagande. Dans l’affaire Glistrup, la Cour suprême a établi que l’article 266 b) était applicable dans la mesure où le défendeur, qui était un homme politique, «avait exposé un groupe de la population à la haine en raison de sa foi ou de son origine». La Cour a en outre noté que la liberté d’expression devait être exercée «dans le respect nécessaire des autres droits de l’homme, dont le droit à la protection contre une discrimination blessante et dégradante fondée sur la conviction religieuse».

5.4En ce qui concerne l’évaluation d’ordre juridique à laquelle le procureur aurait dû procéder, l’auteur fait valoir qu’un juste équilibre n’a pas été assuré entre tous les éléments qui entraient en ligne de compte. La déclaration mise en cause n’a pas été faite dans le cadre d’un échange entre deux partis rivaux mais représentait une attaque unilatérale contre un groupe vulnérable qui n’avait pas la possibilité de se défendre. En s’abstenant d’ouvrir une enquête en dépit de l’existence d’une jurisprudence de la Cour suprême reconnaissant qu’il y avait des limites à la liberté d’expression des hommes politiques, le parquet a privé l’auteur et le groupe minoritaire auquel elle appartient de la possibilité de soumettre l’affaire à un tribunal. L’auteur rappelle que le parquet danois avait déjà pris une série de décisions similaires de ne pas enquêter sur des plaintes concernant des déclarations faites par des hommes politiques et poursuivre leurs auteurs, se fondant sur la même fausse interprétation de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Glistrup. Certaines de ces décisions ont été portées devant des instances internationales, par exemple dans l’affaire Gelle c. Danemark (communication no 34/2004), dans laquelle le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a conclu à une violation de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

5.5L’auteur affirme qu’elle est en droit d’être considérée comme une victime dans la mesure où elle a été ciblée en tant que membre d’un groupe minoritaire, distingué par son symbole culturel et religieux. Elle a été exposée aux effets de la diffusion d’idées encourageant la haine culturelle et religieuse sans bénéficier d’une protection adéquate, en raison d’un changement injustifié dans la pratique en matière d’enquête et de poursuites. À l’appui de son argumentation, l’auteur cite la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, qui a reconnu dans un cas d’espèce que l’auteur avait avancé suffisamment d’arguments pour démontrer que le maintien de dispositions − qui risquaient à tout moment d’être appliquées et influaient en permanence sur les pratiques administratives et l’opinion publique − lui avait été et continuait de lui être préjudiciable. L’auteur se réfère également à la position du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale selon laquelle les victimes potentielles d’une violation devaient être considérées comme des victimes. Il appelle en outre l’attention sur l’incohérence de l’argument de l’État partie qui, tout en mettant un terme à l’enquête et en lui déniant le droit de faire appel de la décision du procureur, lui reconnaît le droit de déposer une plainte pour violation des droits de l’homme auprès de la police danoise (ce qu’elle a fait) et de recevoir des informations sur l’issue de la procédure. L’auteur se demande comment il est possible qu’elle puisse être considérée comme une victime à une étape de la procédure avant d’être, à une étape ultérieure, empêchée d’exercer ses droits.

5.6En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle qu’au Danemark la décision administrative du Directeur du parquet général est définitive et ne peut être contestée devant les tribunaux. Elle rejette fermement l’argument de l’État partie selon lequel elle aurait dû engager une procédure au titre de l’article 267 pour propos insultants. L’article 266 fait référence à un intérêt public ou un intérêt général de la société et vise à assurer une protection à un groupe (dimension collective) alors que les articles 267 et 268 se rapportent au concept traditionnel d’atteinte à l’honneur ou à la réputation de la personne et ont pour objet les actes ou les qualités morales d’une personne (dimension individuelle). Contrairement à ce que requiert l’article 267, une déclaration insultante ou dégradante visée par l’article 266 n’a pas besoin d’être fausse pour tomber sous le coup de cette disposition. Selon l’auteur, une procédure privée ne constitue donc pas, par définition, un recours pour obtenir le respect par l’État partie de ses obligations internationales. Dans l’affaire Gelle c. Danemark, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a estimé qu’il serait déraisonnable de demander à un requérant qu’il engage une procédure distincte en vertu des dispositions générales de l’article 267 après avoir invoqué sans succès l’article 266 b) du Code pénal pour des faits relevant directement de la lettre et de l’objet de cette disposition. En ce qui concerne la décision d’irrecevabilité rendue par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire Ahmad et Abdol -Hamid c. Danemark (communication no 1487/2006), l’auteur note que dans cette affaire les faits étaient différents de ceux de la présente cause étant donné que la communication concernait deux procédures, au titre de l’article 266 b), l’une à laquelle le second requérant était partie et l’autre, au titre de l’article 267, à laquelle le premier requérant était partie. Comme la communication a été présentée conjointement et que l’une des deux procédures était encore en instance au moment de l’examen de la communication, le Comité a déclaré celle-ci irrecevable dans son ensemble. L’État partie ne peut donc pas exciper de cet exemple pour demander que la présente communication soit déclarée irrecevable.

5.7Se fondant essentiellement sur la vaste jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur évoque l’équilibre qui doit être assuré entre la liberté d’expression dont les personnes publiques, notamment les hommes politiques et les fonctionnaires, doivent jouir et l’obligation qu’a l’État de restreindre cette liberté lorsqu’elle va à l’encontre d’autres droits fondamentaux.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, étant donné que l’auteur n’a pas engagé de procédure pour propos insultants, lesquels englobent les déclarations racistes (art. 267 et 275 1) du Code pénal), l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il note également que d’après l’auteur les deux dispositions (l’article 266 b) d’une part, et les articles 267 et 268 d’autre part) ne visent pas à protéger les mêmes intérêts (couvrant respectivement les intérêts collectifs et les intérêts privés) et que contrairement à ce que requiert l’article 267, il n’est pas nécessaire que des propos insultants ou dégradants relevant de l’article 266 soient faux pour tomber sous le coup de cette disposition. Il prend note de l’argument de l’auteur qui affirme que le fait d’engager une procédure privée ne constitue pas, par définition, un recours dont on peut se prévaloir pour obtenir l’exécution par l’État partie de ses obligations internationales. Le Comité considère que l’on ne peut raisonnablement s’attendre de l’auteur qu’il engage une procédure distincte au titre des dispositions générales de l’article 267 après avoir invoqué sans succès l’article 266 b) du Code pénal à propos de circonstances relevant directement de la lettre et de l’objet de cette disposition. En conséquence, le Comité conclut que les recours internes ont été épuisés.

6.4En ce qui concerne les griefs tirés du paragraphe 2 de l’article 20 et de l’article 27 du Pacte, le Comité note qu’aucun individu ne peut, dans l’abstrait et par voie d’actio popularis, contester une loi ou une pratique qui d’après lui est contraire au Pacte. Pour qu’une personne puisse affirmer qu’elle est victime d’une violation d’un droit protégé par le Pacte, elle doit prouver qu’un acte ou une omission de l’État partie a déjà eu un effet néfaste sur l’exercice d’un tel droit ou qu’un tel effet est imminent, par exemple en se fondant sur un texte législatif en vigueur et/ou sur une décision administrative ou judiciaire ou une pratique. Dans sa décision concernant l’affaire Toonen c. Australie, le Comité a considéré que l’auteur avait avancé suffisamment d’arguments pour démontrer que le maintien de dispositions − qui risquaient à tout moment d’être appliquées ou influaient en permanence sur les pratiques administratives − lui avait été et continuait de lui être préjudiciable. En l’espèce, le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré que les propos de Mme Kjaersgaard avaient des effets concrets sur elle ou que les effets concrets de cette déclaration étaient imminents et lui seraient préjudiciables. Le Comité considère par conséquent que l’auteur n’a pas établi qu’elle avait la qualité de victime aux fins du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.5Le Comité fait observer que l’article 2 ne peut être invoqué par des particuliers que conjointement avec d’autres dispositions du Pacte. Il ne peut être raisonnablement demandé à un État partie, en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 2, de faire en sorte que des procédures de ce type soient disponibles pour des plaintes qui ne sont pas suffisamment fondées et dont les auteurs n’ont pas été en mesure de démontrer qu’ils étaient directement victimes des violations en cause. Comme l’auteur n’a pas établi sa qualité de victime au regard du paragraphe 2 de l’article 20 et de l’article 27 du Pacte aux fins de la recevabilité, son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en application de l’article premier et de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adoptée en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]