Présentée par:

Mansour Ahani(représenté par un conseil, Mme Barbara L. Jackman)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

10 janvier 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial prise en application des articles 86 et 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 11 janvier 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

29 mars 2004

Le 29 mars 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication n° 1051/2002. Ce texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF

SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingtième session

concernant la

Communication n o  1051/2002 **

Présentée par:

Mansour Ahani(représenté par un conseil, Mme Barbara L. Jackman)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

10 janvier 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 mars 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1051/2002, présentée au nom de Mansour Ahani en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, dont la lettre initiale est datée du 10 janvier 2002, est Mansour Ahani, ressortissant de la République islamique d’Iran (Iran), né le 31 décembre 1964. Lorsqu’il a présenté sa communication, il était détenu au centre de détention Wentworth Hamilton, à Hamilton (Ontario), en attente de l’achèvement de la procédure engagée devant la Cour suprême du Canada concernant son expulsion. L’auteur se déclare victime de violations, par le Canada, des articles 2, 6, 7, 9, 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 11 janvier 2002, en application de l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a prié l’État partie, dans l’éventualité où la Cour suprême, dans la décision qu’elle devait rendre le même jour, autoriserait l’expulsion de l’auteur, «de s’abstenir de procéder à l’expulsion jusqu’à ce que le Comité ait eu la possibilité d’examiner les allégations de l’auteur, en particulier lorsque celui‑ci affirme qu’il risque la torture, d’autres traitements inhumains, voire la mort, s’il est expulsé». Par une note du 17 mai 2002, le Comité, après avoir été informé par le conseil de l’auteur qu’il existait un risque réel que l’État partie ne donne pas suite à la demande de mesures conservatoires présentée par le Comité, a renouvelé sa demande. Le 10 juin 2002, l’État partie a expulsé l’auteur vers l’Iran.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 14 octobre 1991, l’auteur, venant d’Iran, est arrivé au Canada où il a sollicité une protection en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés et du Protocole y afférent, en se fondant sur ses opinions politiques et son appartenance à un groupe social particulier. Il a affirmé, à plusieurs reprises: i) qu’il avait été roué de coups par des membres du Comité de la révolution islamique en Iran parce qu’il était ivre, ii) que son renvoi en Iran mettrait sa vie en danger parce qu’il avait connaissance d’opérations secrètes iraniennes et des agents impliqués, connaissance qu’il avait acquise en tant que conscrit affecté de force dans la branche chargée de commettre des assassinats à l’étranger, placée sous l’autorité du Ministère iranien des affaires étrangères; iii) qu’il avait été emprisonné pendant quatre ans pour avoir refusé de participer à une attaque contre des trafiquants de drogue, alors qu’il s’agissait en fait d’une attaque au Pakistan contre le domicile d’un dissident iranien, où vivaient des femmes et des enfants; iv) qu’il avait été libéré après avoir prétendu s’être repenti. Le 1er avril 1992, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décidé que l’auteur était un réfugié au sens de la Convention en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier.

2.2Le 17 juin 1993, le Solliciteur général du Canada et le Ministre de l’emploi et de l’immigration, après avoir pris connaissance de renseignements secrets selon lesquels l’auteur était un assassin formé par le Ministère iranien des renseignements et de la sécurité («MIS»), ont tous deux attesté, en application du paragraphe 40 1) de la loi sur l’immigration («la loi»), qu’ils étaient d’avis que l’auteur ne pouvait être admis au Canada en vertu de l’article 19 1) de ladite loi, étant donné qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’auteur était susceptible de se livrer à des actes de terrorisme, qu’il était membre d’une organisation susceptible de se livrer au terrorisme, et qu’il avait commis des actes terroristes. Le même jour, l’attestation a été transmise à la Cour fédérale et copie en a été signifiée à l’auteur; conformément à l’article 40 1) 2) b) de la loi, celui‑ci a été placé en détention obligatoire et est resté en détention jusqu’à son expulsion neuf ans plus tard.

2.3Le 22 juin 1993, en application de la procédure légale visée à l’article 40 1) de la loi ayant pour but de déterminer si l’attestation délivrée par les ministres était «raisonnable compte tenu des informations disponibles», la Cour fédérale (juge Denault) a examiné à huis clos les renseignements secrets en matière de sécurité et pris connaissance d’autres éléments de preuve présentés par le Solliciteur général et le Ministre, en l’absence du requérant. La Cour a ensuite communiqué à l’auteur un résumé du dossier, lequel doit, aux termes de la loi, permettre à l’intéressé d’être «raisonnablement» informé des circonstances ayant motivé l’attestation, et être rédigé de manière à tenir compte des impératifs de sécurité nationale, et elle a invité l’auteur à y répondre.

2.4Plutôt que d’exercer son droit d’être entendu en vertu de cette procédure, l’auteur a contesté la constitutionnalité de l’attestation et sa mise en détention consécutive à cette procédure dans une action distincte engagée devant la Cour fédérale. Le 12 septembre 1995, la Cour fédérale (juge McGillis) a rejeté sa demande, faisant valoir que ladite procédure établissait un équilibre raisonnable entre les intérêts divergents de l’État et de l’individu et que la mise en détention de l’intéressé, motivée par l’attestation des ministres, dans l’attente de la décision de la Cour quant à son caractère raisonnable, n’était pas arbitraire. Les autres recours de l’auteur contre cette décision ont été rejetés par la Cour d’appel fédérale le 4 juillet 1996 et par la Cour suprême le 3 juillet 1997.

2.5La constitutionnalité de la procédure prévue à l’article 40 1) ayant été confirmée, la Cour fédérale (juge Denault) a examiné la question du caractère raisonnable de l’attestation et, après avoir procédé à de nombreuses auditions, a conclu, le 17 avril 1998, que celle‑ci était raisonnable. Parmi les éléments de preuve retenus figuraient des informations recueillies par des services de renseignements étrangers présentées à la Cour à huis clos, en l’absence de l’auteur, pour des raisons de sécurité nationale. La Cour a également entendu l’auteur qui a, en son propre nom, contesté le caractère raisonnable de l’attestation. Elle a estimé qu’il y avait des raisons de croire que l’auteur appartenait au MIS, organisation qui «soutient ou organise directement une grande variété d’activités terroristes, notamment l’assassinat d’opposants politiques dans le monde entier». La décision de la Cour fédérale sur ce point n’était pas susceptible d’appel ou de réexamen.

2.6Par la suite, en avril 1998, un agent principal d’immigration a établi que l’auteur ne pouvait pas être admis au Canada et a ordonné son expulsion. Le 22 avril 1998, l’auteur a été informé que la Ministre de la citoyenneté et de l’immigration allait évaluer le risque que posait l’auteur pour la sécurité du Canada, ainsi que le risque éventuel auquel il serait confronté s’il était renvoyé en Iran. La Ministre devait examiner ces questions pour déterminer, en vertu de l’article 53 1) b) de la loi (qui transpose l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés) si l’interdiction de renvoyer un réfugié au sens de la Convention dans son pays d’origine pouvait être levée en l’espèce. L’auteur a alors eu la possibilité d’adresser des observations à la Ministre sur ces questions.

2.7Le 12 août 1998, après que l’auteur eut objecté qu’il courait un risque évident d’être torturé en Iran, la Ministre a décidé, sans fournir de motifs et en se fondant sur une note jointe aux observations de l’auteur, d’autres documents pertinents et une analyse juridique effectuée par des fonctionnaires, que a) l’auteur représentait un danger pour la sécurité du Canada, et b) qu’il pouvait être directement expulsé vers l’Iran. L’auteur a alors engagé un recours destiné à faire contrôler la légalité de l’avis de la Ministre. En attendant qu’il soit statué sur sa demande, il a demandé à être remis en liberté conformément à l’article 40 1) 8) de la loi, 120 jours s’étant écoulés depuis que l’ordonnance d’expulsion avait été prise à son encontre. Le 15 mars 1999, la Cour fédérale (juge Denault), considérant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que sa libération pouvait constituer une menace pour la sécurité des personnes au Canada, en particulier des dissidents iraniens, a rejeté la demande de libération. La Cour fédérale d’appel a confirmé cette décision.

2.8Le 23 juin 1999, la Cour fédérale (juge McGillis) a rejeté le recours de l’auteur en contrôle de légalité, considérant qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la décision de la Ministre qui estimait que l’auteur représentait un danger pour le Canada et que la décision de l’expulser était raisonnable. La Cour a également rejeté des exceptions d’inconstitutionnalité, notamment en ce qui concerne la procédure par laquelle la Ministre a conclu que l’auteur représentait un danger. Le 18 janvier 2000, la Cour d’appel a débouté l’auteur, estimant que «la Ministre pouvait à bon droit conclure que [l’auteur] ne courait pas de risque grave, et encore moins celui d’être torturé» s’il était expulsé vers l’Iran. Elle est convenue qu’il existait des motifs raisonnables pour conclure que l’auteur était en réalité un agent des services secrets iraniens formé pour commettre des assassinats, et qu’il n’y avait pas de raison d’écarter l’avis de la Ministre selon laquelle il représentait un danger pour le Canada.

2.9Le 11 janvier 2001, la Cour suprême a rejeté à l’unanimité le recours formé par l’auteur, estimant que la décision de la Ministre de considérer ce dernier comme un danger pour la sécurité du Canada était «amplement justifiée». Elle a également considéré que la décision de la Ministre selon laquelle l’auteur ne courait qu’un «risque minimum» et non un risque substantiel d’être torturé en cas de renvoi en Iran, était raisonnable et «incontestable». S’agissant de la constitutionnalité de l’expulsion de personnes exposées à un risque en vertu de l’article 53 1) b) de la loi, la Cour a renvoyé au raisonnement qu’elle avait suivi dans une affaire similaire, Sureshc. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) qu’elle avait jugée le même jour et dans laquelle elle avait estimé que «sauf circonstances extraordinaires, une expulsion impliquant un risque de torture violera généralement les principes de justice fondamentale». Dans cette affaire, où il existait une présomption sérieuse de risque de torture, le requérant pouvait prétendre à des protections procédurales renforcées, notamment la communication de l’ensemble des informations et des avis sur lesquels prétendait s’appuyer la Ministre, la possibilité de contester, par écrit, les éléments de preuve et de se voir communiquer par écrit les motifs de la Ministre. Toutefois, dans la présente affaire, la Cour a estimé que l’auteur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir une présomption sérieuse de risque et bénéficier de ces protections. Elle a considéré que, dans la lettre de la Ministre indiquant qu’il représentait un danger pour le Canada et exposant les risques éventuels qu’il courait en cas d’expulsion, l’auteur a été pleinement informé «des griefs retenus contre lui par la Ministre, et il a eu la possibilité d’y répondre». Selon la Cour, la procédure suivie était donc conforme aux principes de justice fondamentale et n’a pas porté préjudice à l’auteur, bien que les protections énoncées dans l’affaire Suresh n’aient pas été appliquées.

2.10Le même jour, le Comité a indiqué qu’il avait sollicité, conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, l’adoption de mesures provisoires; les autorités de l’État partie ont néanmoins pris des dispositions pour procéder au renvoi. Le 15 janvier 2002, la Cour supérieure de l’Ontario (juge Dambrot) a rejeté l’argument de l’auteur selon lequel les principes de justice fondamentale consacrés par la Charte canadienne des droits et libertés interdisaient qu’il soit expulsé avant que le Comité n’ait examiné l’affaire. Le 8 mai 2002, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé cette décision, faisant valoir que l’État partie n’était pas tenu par la demande de mesures provisoires. Le 16 mai 2002, la Cour suprême a rejeté, à la majorité, la demande d’autorisation de recours formée par l’auteur (sans motiver sa décision). Le 10 juin 2002, l’auteur a été renvoyé en Iran.

Teneur de la plainte

3.1Dans sa communication initiale (précédant l’expulsion), l’auteur affirme que le Canada a violé, ou violerait s’il l’expulsait, les articles 2, 6, 7, 9, 13 et 14 du Pacte. Tout d’abord, il fait valoir que les procédures légales et administratives qui ont été appliquées ne sont pas conformes aux garanties prévues par les articles 2 et 14 du Pacte. En particulier, la décision discrétionnaire du Ministre de l’immigration de renvoyer une personne dans un pays peut être conditionnée par des considérations contraires aux droits de l’homme, et notamment la couverture négative d’une affaire par les médias. En outre, le rôle du Ministre de l’immigration dans la procédure d’expulsion n’est ni indépendant ni impartial. L’auteur soutient que le Ministre signe une attestation selon laquelle une personne présente une menace en matière de sécurité, dont il défend ensuite le caractère «raisonnable» devant la Cour fédérale, et requiert l’expulsion de l’intéressé à l’audience, tout cela avant de se prononcer sur le point de savoir si une personne susceptible ensuite d’être renvoyée devrait être expulsée. De l’avis de l’auteur, une telle décision, non motivée et subjective, ne devrait pas être prise par un élu mais par un tribunal indépendant et impartial.

3.2L’auteur soutient également que le processus est irrégulier aussi sur le plan procédural, dans la mesure où la personne contre laquelle l’action est engagée ne dispose pas d’informations suffisantes. L’intéressé est simplement informé que des agents de l’immigration vont recommander au Ministre de l’expulser en vertu de l’article 53 1) de la loi, sans fournir de motifs, et il est invité à faire des observations. Les arguments en réponse du Ministre n’étant pas communiqués à l’intéressé, celui‑ci n’est pas en mesure de les réfuter. Par ailleurs, le fait que la décision ne soit pas motivée rend impossible tout contrôle de légalité de la décision du Ministre.

3.3L’auteur fait valoir en outre que l’impossibilité d’introduire un recours ou une demande de contrôle de la décision de la Cour fédérale sur le «caractère raisonnable» de l’attestation initiale relative à la sécurité est irrégulière. De même, il n’a pas pu formuler de griefs (fondamentaux) concernant l’équité de la procédure à l’audience sur le «caractère raisonnable». Il affirme que la Cour n’apprécie pas les preuves présentées et ne procède pas à l’audition de témoins indépendants. Il n’y a pas de raisons de sécurité nationale justifiant une exception au respect de la procédure, tout comme il n’y avait pas, selon lui, d’éléments permettant d’établir qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale du Canada ou qu’il avait eu (ou simplement menacé d’avoir) un comportement criminel au Canada. De l’avis de l’auteur, l’argument de la sécurité n’est donc pas conforme aux normes établies dans les Principes de Johannesburg relatifs à la sécurité nationale, à la liberté d’expression et à l’accès à l’information de 1995.

3.4L’auteur affirme également qu’il a été détenu arbitrairement, en violation de l’article 9 du Pacte. Depuis sa détention en juin 1993, il n’a été autorisé qu’à demander le contrôle de sa détention 120 jours après l’adoption de l’ordonnance d’expulsion en août 1998. À cette date, il avait passé cinq années en détention sans avoir pu introduire de demande de libération sous caution, de contrôle de la détention ou d’habeas corpus (ce dernier recours n’étant pas ouvert aux non‑citoyens en ce qui concerne une détention en rapport avec la situation d’une personne au Canada). L’auteur souligne que sa détention en vertu de la loi sur l’immigration était non seulement obligatoire, mais aussi arbitraire étant donné que la Cour fédérale, tout en la qualifiant de «malheureuse» n’a pas considéré que sa détention constituait une atteinte à la liberté. Il s’agit là selon lui d’un exemple de traitement discriminatoire des non‑citoyens. Il affirme également qu’il est pervers, et par conséquent arbitraire, de continuer à maintenir une personne en détention alors qu’elle exerce un de ses droits fondamentaux, à savoir l’accès aux tribunaux.

3.5L’auteur soutient que son expulsion l’exposerait à la torture, ce qui constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Il renvoie à l’Observation générale no 15 du Comité concernant la situation des étrangers au regard du Pacte, et à l’Observation générale no 20 sur l’article 7, ainsi qu’à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Chahalc. Royaume ‑Uni, pour faire valoir que le principe de non‑refoulement ne souffre aucune exception. Il affirme que l’État partie commet donc une double erreur en affirmant i) qu’il ne court pas le risque d’être torturé, et ii) que même s’il courait un tel risque, il peut être expulsé dans la mesure où il représente une menace pour la sécurité nationale.

3.6En ce qui concerne l’argument selon lequel il court effectivement le risque d’être torturé, l’auteur fait référence à un grand nombre de rapports et d’éléments de preuve concernant la situation des droits de l’homme en général en Iran, et notamment en ce qui concerne la détention arbitraire, la torture, les meurtres extrajudiciaires et sommaires de dissidents politiques. Il soutient que dans son affaire, l’officier principal de renseignements canadien qui a témoigné pensait qu’il avait peur de ce qui pouvait lui arriver en Iran et qu’il avait fait défection. En outre, le statut de réfugié lui avait été accordé après une audition approfondie. Il soutient que son affaire occupe une large place dans l’actualité et qu’il ignorait qu’il pouvait demander une audition à huis clos. Sa coopération avec les autorités de l’État partie, et les informations (confidentielles) qu’il leur a fournies, ainsi que le fait qu’il résiste à l’expulsion pouvaient «très probablement» être considérés comme une trahison par l’Iran, qui suivait l’affaire. Les informations dont disposait l’État partie, ou qu’il avait lui‑même données, au sujet de ses liens passés avec le MIS, montraient donc, à l’évidence, qu’il risquait d’être torturé en Iran.

3.7De même, l’auteur craint d’être exécuté en Iran s’il est expulsé, ce qui constituerait une violation de ses droits au titre de l’article 6. Il soutient également à titre subsidiaire, qu’en vertu de l’article 7, sa détention depuis juin 1993 en cellule, dans un centre de détention à court terme, sans programmes ou sans occupation rémunérée est en soi cruelle.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans ses observations du 12 juillet 2002, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication, en faisant valoir que, pour les motifs indiqués ci‑dessous, les demandes sont toutes irrecevables parce que leur bien‑fondé n’a pas été établi prima facieet parce qu’elles ne sont pas étayées quant au fond. En outre, certains éléments de la communication sont également réputés irrecevables dans la mesure où les voies de recours internes n’ont pas été épuisées.

4.2En ce qui concerne la violation de l’article 2, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle cet article confère un droit accessoire, plutôt qu’un droit autonome, qui ne s’exerce qu’après qu’une autre violation du Pacte ait été établie. Aucune violation prima facien’a donc été établie. Selon une autre hypothèse, il n’y a pas eu de violation − la Charte canadienne des droits et libertés, qui s’inscrit dans l’ordre constitutionnel de l’État partie, protège les droits consacrés dans le Pacte, et les juridictions internes ont conclu que la Charte n’a pas été violée. S’agissant de l’argument selon lequel les citoyens et les non‑citoyens ne jouissent pas sur un pied d’égalité des droitsconsacrés dans la Charte, l’État partie affirme que la plupart des droits, et notamment le droit àlavie, à la liberté et à la sécurité de l’individu, s’appliquent à toutes les personnes au Canada. Ausujet de la liberté d’expression et d’association, la Cour suprême a soutenu dans l’affaire Suresh que ces droits ne s’appliquent pas aux personnes qui, pour reprendre la terminologie de l’État partie, «sont où ont été associées à des éléments dirigés vers la violence». Cette conclusion s’applique également aux Canadiens et aux non‑Canadiens.

4.3En ce qui concerne les griefs de violation des articles 6 et 7 en cas de renvoi en Iran, l’État partie fait valoir que les faits, tels qu’établis par ses juridictions, ne semblent pas confirmer ces allégations. En outre, l’auteur n’est pas crédible compte tenu de l’incohérence de ses déclarations concernant sa participation au MIS, du caractère peu plausible de certains aspects importants de son histoire, et de sa malhonnêteté répétée et avérée. De surcroît, ce sont les opposants au régime iranien, plutôt que des personnes ayant le profil de l’auteur, qui sont actuellement victimes de violations des droits de l’homme.

4.4Pour ce qui est des allégations de risque, l’État partie souligne que les collaborateurs de la Ministre ont estimé que l’auteur courait un «minimum» de risques, conclusion qui a été confirmée par toutes les juridictions fédérales, y compris la Cour suprême qui l’a considérée comme «incontestable». En outre, les juges ont clairement établi le fait que l’auteur n’était pas crédible en raison notamment du caractère incohérent, contradictoire, fantaisiste et, à plusieurs reprises, mensonger de ses déclarations. Ils se sont également fondés sur le fait que l’auteur a reconnu avoir reçu une formation spécialisée lorsqu’il a été recruté par les services secrets, qu’il a dévoilé les détails de l’assassinat de deux dissidents et qu’il a été en contact avec les services secrets après s’être vu accorder le statut de réfugié, allant même jusqu’à rencontrer un «assassin connu» en Europe. L’État partie fait référence à l’approche du Comité qui considère que sa fonction n’est pas, en général, d’apprécier les éléments de preuve ou de revenir sur les éléments de fait établis par les juridictions internes, et souhaite avoir la possibilité de faire des observations complémentaires au cas où le Comité déciderait d’examiner les conclusions de fait.

4.5De l’avis de l’État partie, les éléments de preuve provenant de sources indépendantes ne confirment pas les allégations de l’auteur selon lesquelles il court un risque. L’État partie observe que les rapports cités par l’auteur concernent essentiellement l’arrestation et le procès de réformistes, de dissidents et d’autres opposants au Gouvernement, plutôt que des personnes ayant le profil de l’auteur, c’est‑à‑dire des membres, anciens ou actuels, du MIS. En effet, selon les plus récents rapports du Département d’État des États‑Unis sur la situation des droits de l’homme, les agents du MIS sont les auteurs, plutôt que les cibles, de persécutions, et commettent «de nombreuses violations graves des droits de l’homme». S’il est vrai que la situation des droits de l’homme en Iran demeure problématique, l’État partie, s’appuyant sur des rapports d’Amnesty International et du Représentant spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en République Islamique d’Iran, observe des signes de progrès dans le sens d’une diminution des cas de torture. Par ailleurs, dans ses décisions, le Comité contre la torture n’a pas estimé que la situation des droits de l’homme en Iran se caractérisait par «un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives». Par conséquent, la situation générale des droits de l’homme ne présente pas, en soi, les caractéristiques ou la gravité propres à appuyer les allégations de l’auteur.

4.6D’après l’État partie, l’affirmation de l’auteur selon laquelle il serait sommairement exécuté pour trahison s’il venait à être expulsé est une simple supposition servant ses propres intérêts. L’auteur n’a pas établi qu’une telle éventualité serait la conséquence «nécessaire et prévisible» de son expulsion, alors qu’il avait pleinement la possibilité de le faire à chaque degré de juridiction au Canada. D’autre part, à supposer qu’il soit considéré comme un traître, il n’a pas démontré que son procès et le châtiment qui lui serait infligé ne seraient pas conformes au Pacte. De même en ce qui concerne la torture, les juges ont estimé que le risque encouru était minime. L’État partie souligne que le statut de réfugié a été accordé à l’auteur avant qu’il ne se rende de son plein gré en Europe avec un commandant du MIS et que les services de sécurité canadiens ne s’intéressent à lui. Il ajoute que si l’on avait découvert plus tôt que l’auteur était en fait un agent qualifié, celui‑ci n’aurait pas été autorisé à entrer au Canada. L’État partie rejette également l’idée que la connaissance que l’Iran pourrait avoir de l’affaire doit impliquer la torture, ainsi que l’affirmation, dénuée de fondement, selon laquelle l’officier supérieur de renseignements canadien pensait que l’auteur avait fait défection. De même, l’auteur n’a fourni aucun élément permettant d’établir que sa famille a été maltraitée, ni démontré pour quelle raison sa prétendue coopération avec les autorités canadiennes conduirait à ce qu’il soit torturé. Par conséquent, ces prétentions sont, dénuées de fondement prima facie.

4.7Pour ce qui est du grief de violation de l’article 7 liée aux conditions de détention, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas introduit d’action de ce chef en vertu de la Charte, bien qu’il ait été informé de cette possibilité; les voies de recours internes n’ayant pas été épuisées, cette réclamation est donc irrecevable. En tout état de cause, l’absence d’activité durant la détention ne saurait être considérée comme cruelle et l’auteur n’a pas démontré que ses conditions de détention avaient eu des effets néfastes sur son état physique ou mental.

4.8Concernant la détention arbitraire, l’auteur aurait pu contester la décision de la cour d’appel fédérale confirmant sa détention, en vertu de l’article 40 1) 8) de la loi devant la Cour suprême, mais n’a pas jugé bon de le faire. Il n’a pas non plus présenté, par la suite, de demande de libération au titre de cet article. En conséquence, les griefs sont irrecevables pour non‑épuisement des recours internes.

4.9En tout état de cause, il n’y a pas de présomption sérieuse de violation de l’article 9 dans la mesure où la détention n’était pas arbitraire. À cet égard on peut s’inspirer de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales («Convention européenne»), qui autorise expressément la détention dans la perspective d’une expulsion. En effet, dans l’affaire Chahal citée par l’auteur, la Cour européenne a estimé qu’une telle détention est justifiée dès lors que la procédure d’expulsion est en cours et qu’elle est menée avec la diligence voulue. La détention de Chahal au motif que des secrétaires d’État successifs avaient estimé qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale n’était pas arbitraire au vu des pièces disponibles pour contrôler les éléments relatifs à la sécurité nationale. L’État partie soutient également qu’il n’est pas non plus arbitraire de détenir un non‑Canadien aux termes d’une procédure qui a permis à deux ministres de conclure, conformément à la loi, qu’une personne avait des antécédents de terroriste ou était susceptible de commettre des actes terroristes, étant entendu qu’un juge se prononce ensuite rapidement sur cette conclusion. Sur les 22 affaires dans lesquelles cette procédure a été suivie, 11 ont été examinées en 1 à 2 mois, trois en 3 à 4 mois, quatre en 6 à 13 mois, et une est en cours.

4.10L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’insistance d’une personne à ne pas vouloir quitter le territoire d’un État est un élément pertinent pour évaluer l’article 9. De même, la Commission européenne des droits de l’homme a soutenu qu’une personne ne saurait se plaindre de la durée d’une procédure si, à aucun moment, elle n’a demandé qu’il soit mis fin rapidement à la procédure ni engagé une action contentieuse en ce sens. L’auteur n’a pas demandé à la Ministre de la citoyenneté et de l’immigration d’exercer ses prérogatives en vertu de l’article 40 1) 7) de la loi afin de libérer, a titre dérogatoire, une personne désignée dans une attestation de sécurité.

4.11L’État partie soutient qu’il a fait preuve de diligence en conduisant la procédure d’expulsion, et que la durée de celle‑ci est imputable à l’auteur. En effet, tous les retards antérieurs à l’audience sur le «caractère raisonnable» de l’attestation de sécurité étaient dus à la requête d’ajournement présentée par l’auteur afin de contester la constitutionnalité de la procédure. L’auteur a laissé s’éterniser la procédure sans accomplir les démarches qui lui incombaient pour la faire progresser. En fait, l’État partie énumère les nombreuses mesures qu’il a prises au cours de cette période en vue de faire avancer rapidement la procédure. De même, après l’adoption de l’ordonnance d’expulsion, le retard supplémentaire s’explique par les nombreux recours engagés par l’auteur. L’État partie détaille les mesures qu’il a prises pour accélérer les procédures décrites dans la chronologie de l’affaire et observe que, pour sa part, l’auteur n’en a pris aucune.

4.12En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme que le recours en habeas corpus n’est pas ouvert aux non‑citoyens pour la détention en matière d’immigration, l’État partie fait valoir que la poursuite de la détention étant tributaire du résultat de l’audience de la Cour fédérale concernant le «caractère raisonnable» de l’attestation de sécurité, il est inutile de procéder à une audience distincte sur la détention. En d’autres termes, l’audience obligatoire sur le «caractère raisonnable» est un contrôle légal de la détention, qu’il appartient au Parlement d’ordonner dans de tels cas. Les juridictions canadiennes ont également affirmé que cette procédure remplace utilement et de manière adéquate le recours en habeas corpus. L’État partie rejette donc l’allégation de l’auteur selon laquelle les juridictions internes, tout en qualifiant sa détention de «malheureuse», ont estimé qu’elle ne constituait pas une atteinte à la liberté: les juges ont en fait considéré que, s’il est vrai que l’attestation a pour effet immédiat l’arrestation et la mise en détention, sort habituellement réservé aux criminels, les articles 7 et 9 de la Charte, qui protègent tous deux les libertés, n’avaient pas été violés.

4.13En ce qui concerne la plainte en vertu de l’article 13 du Pacte, l’État partie soutient premièrement que, conformément à la jurisprudence du Comité, cette disposition exige qu’un étranger soit expulsé conformément aux procédures prévues par la loi, à moins que l’État n’ait agi de mauvaise foi ou qu’il ait abusé de ses prérogatives. L’auteur n’a pas soutenu, et encore moins établi, une telle exception en l’espèce, et il serait donc opportun que le Comité défère à l’appréciation des autorités canadiennes sur les points de fait et de droit. Deuxièmement, l’État partie invoque des considérations de sécurité nationale eu égard aux procédures suivies. Dans sa jurisprudence, le Comité a estimé qu’«il − ne lui − appartient pas de contrôler la façon dont un État souverain évalue le danger que représente un étranger pour la sécurité nationale» et qu’il respectait une telle évaluation en l’absence d’arbitraire. L’État partie invite le Comité à appliquer les mêmes principes, tout en soulignant que la décision d’expulsion n’a pas été sommaire, mais au contraire mûrement réfléchie au cours de procédures approfondies et équitables, à l’occasion desquelles l’auteur a été légalement représenté et a pu présenter de nombreux arguments.

4.14 En ce qui concerne l’audience de la Cour fédérale en vue de statuer sur le «caractère raisonnable» de l’attestation de sécurité, s’il est vrai que des questions constitutionnelles ne peuvent être soulevées à cette occasion, puisqu’il s’agit d’une procédure en référé, celles‑ci peuvent faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité distincte, que l’auteur lui‑même a soulevée devant la Cour suprême. L’État partie observe que le juge a la «lourde tâche» de s’assurer que l’auteur est raisonnablement informé par le biais d’un résumé des griefs retenus contre lui, et que celui‑ci peut présenter des moyens de défense et citer des témoins; d’ailleurs, l’auteur lui‑même a procédé au contre‑interrogatoire de deux officiers canadiens des services de sécurité.

4.15Pour ce qui est de la procédure de détermination du risque par la Ministre, l’État partie souligne que la Cour suprême a précisé dans l’affaire Suresh quelles étaient les exigences minimales en matière d’équité, à savoir notamment que la décision devait être motivée, lorsqu’il existait de sérieuses présomptions de torture. Quant à l’objection selon laquelle la décision est prise par un ministre ayant préalablement participé à l’affaire, l’État partie souligne que les juridictions examinent, par le biais du contrôle de légalité, la conformité de la décision au droit. Tout en déférant à l’appréciation des éléments de preuve effectuée par le Ministre, à moins que cette appréciation ne soit manifestement déraisonnable, les juges insistent pour que tous les facteurs pertinents, et eux seuls, soient pris en considération. L’État partie soutient que les procédures suivies ayant été justes, conformes au droit, et correctement appliquées puisque l’auteur a pu être représenté en justice, et sans le moindre élément de partialité, de mauvaise foi et d’irrégularité, l’auteur n’a pas établi l’existence d’une présomption sérieuse de violation de l’article 13.

4.16S’agissant des plaintes se rapportant à l’article 14, l’État partie considère cette disposition inapplicable dans la mesure où la procédure d’expulsion ne consiste à déterminer ni le bien‑fondé d’une accusation en matière pénale ni des droits et obligations «de caractère civil». Il s’agit plutôt d’une procédure de droit public, dont le caractère équitable est garanti à l’article 13. Dans l’affaire Y.L. c. Canada , le Comité, compte tenu de l’existence du contrôle de légalité, ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si une procédure devant un conseil de révision des pensions constituait une action «de caractère civil», alors que dans l’affaire V.M.R.B., il n’a pas tranché le point de savoir si une telle qualification pouvait s’appliquer à une procédure d’expulsion puisqu’en tout état de cause la plainte n’était pas fondée. L’État partie fait valoir que l’article 6 de la Convention européenne et l’article 14 du Pacte étant équivalents, le Comité devrait être convaincu par la jurisprudence importante et constante selon laquelle une telle procédure ne relève pas du champ d’application de cet article. Partant, cette réclamation est irrecevable ratione materiae.

4.17En tout état de cause, la procédure suivie a été conforme aux dispositions de l’article 14: l’auteur a eu accès aux tribunaux, il a eu connaissance du dossier, il a eu toute latitude pour donner son avis et faire des observations tout au long de la procédure, et il a été représenté en justice à tous les stades de la procédure. L’État partie renvoie également à la décision du Comité dans l’affaire V.M.R.B. dans laquelle le Comité a considéré que le processus d’attestation en vertu de l’article 40 1) de la loi sur l’immigration était conforme à l’article 14. Il n’y a donc pas de présomption sérieuse de violation du droit invoqué.

4.18Par une note du 6 décembre 2002, l’État partie, tout en réaffirmant que selon lui le Comité avait des attributions limitées en ce qui concerne la réévaluation des faits et des éléments de preuve, a néanmoins fourni de nombreuses informations complémentaires sur ces questions, au cas où le Comité souhaiterait les réexaminer. L’État partie soutient qu’une juste appréciation des informations fournies conduit inévitablement aux mêmes conclusions que celles auxquelles sont parvenues les juridictions internes, à savoir que l’auteur était un agent qualifié du MIS, qu’il ne courait qu’un minimum de risques en Iran et que ses preuves n’étaient ni crédibles ni dignes de foi.

Autres questions soulevées par la demande de mesures provisoires du Comité

5.1Par une lettre du 2 août 2002 adressée au représentant de l’État partie auprès de l’Organisation des Nations Unies à Genève, le Comité, par l’intermédiaire de son Président, a vivement déploré l’expulsion de l’auteur, intervenue en dépit de sa demande de mesures provisoires. Le Comité a sollicité une explication, par écrit, des raisons pour lesquelles sa requête n’avait pas été prise en compte, et demandé à l’État partie comment il entendait se conformer à de telles requêtes à l’avenir. Par une note du 5 août 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de suivre de près la situation ainsi que le traitement qui serait réservé à l’auteur après son expulsion vers l’Iran, et d’adresser au Gouvernement de la République islamique d’Iran les représentations qu’il jugeait propres à empêcher toute violation des droits de l’auteur en vertu des articles 6 et 7 du Pacte.

5.2Par des lettres datées du 5 décembre 2002, l’État partie, en réponse à la demande d’information du Comité, a indiqué qu’il approuvait pleinement le rôle important confié au Comité et qu’il ferait toujours tout son possible pour coopérer avec lui. Il a précisé qu’il prenait les obligations qui lui incombaient en vertu du Pacte et du Protocole facultatif très au sérieux, et qu’il s’y conformait pleinement. L’État partie souligne que parallèlement à ses obligations en matière de droits de l’homme, il a aussi le devoir d’assurer la sécurité publique au Canada et de veiller à ce que le pays ne devienne pas un refuge pour les terroristes.

5.3L’État partie fait observer que ni le Pacte ni le Protocole facultatif ne comporte de dispositions concernant les demandes de mesures provisoires et il fait valoir que de telles demandes sont des recommandations qui n’ont pas un caractère obligatoire. Néanmoins, en général, l’État partie répond favorablement à ces demandes. Comme dans d’autres affaires, il a examiné attentivement la demande en question avant de conclure, au vu des circonstances de l’espèce et notamment de la conclusion (confirmée par les tribunaux) que l’auteur ne courait qu’un risque minime en cas d’expulsion, qu’il n’était pas en mesure de retarder l’expulsion. Il souligne que sa décision a été jugée légale et conforme à la Charte canadienne des droits et libertés par les plus hautes juridictions. L’État partie fait valoir que, dans le contexte de l’immigration, les mesures provisoires soulèvent «quelques difficultés particulières» puisqu’il peut arriver que d’autres considérations priment. Les circonstances particulières de l’espèce ne devraient donc pas être interprétées comme un désengagement de l’État partie vis‑à‑vis des droits de l’homme ou du Comité.

5.4Pour ce qui est de la demande du Comité de suivre le sort réservé à l’auteur en Iran, l’État partie a souligné que l’auteur ne relevait pas de sa juridiction, et qu’il lui était demandé de suivre la situation d’un ressortissant d’un autre État partie sur le territoire de cet État. Toutefois, soucieux de coopérer de bonne foi avec le Comité, l’État partie a précisé que les autorités iraniennes l’avaient informé que le 2 octobre 2002 l’auteur se trouvait en Iran et qu’il était en bonne santé. En outre, le 26 septembre 2002, un représentant de l’ambassade d’Iran a contacté l’État partie pour l’informer que l’auteur avait téléphoné afin de savoir ce qu’étaient devenus les trois bagages qu’il avait laissés au centre de détention. L’ambassade a accepté de remettre les bagages en question à l’auteur. De l’avis de l’État partie, une telle attitude montre que l’auteur ne craint pas le Gouvernement iranien et que celui‑ci accepte de lui venir en aide. Enfin, le 10 octobre 2002, l’auteur s’est rendu à l’ambassade de l’État partie en Iran où il a rencontré deux fonctionnaires auxquels il a remis une lettre. Ni dans la conversation ni dans la lettre, l’auteur n’a fait état de mauvais traitements, mais il a plutôt évoqué les difficultés qu’il avait à trouver un emploi. Selon l’État partie, cela montre que l’auteur pouvait se déplacer librement dans Téhéran. L’État partie a précisé qu’il avait indiqué à l’Iran qu’il espérait que ce dernier respecterait pleinement ses obligations internationales en matière de droits de l’homme, notamment à l’égard de l’auteur.

Commentaires du conseil de l’auteur

6.1Par une lettre datée du 10 septembre 2003, le conseil de l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. En ce qui concerne la procédure, l’avocate indique qu’elle avait reçu des instructions de l’auteur avant qu’il ne soit expulsé: il lui avait demandé de maintenir la communication s’il était inquiété mais de la retirer s’il n’avait aucun ennui à son retour en Iran, de façon à ne pas l’exposer à un risque accru. D’après un coup de téléphone reçu un mois après l’expulsion, l’avocate pensait que l’auteur avait été arrêté à son arrivée mais n’avait pas été maltraité et avait été remis en liberté. Plus tard elle a entendu des rumeurs de source journalistique selon lesquelles il avait été placé en détention ou tué. Après avoir essayé à maintes reprises d’appeler la famille, l’avocate a appris que l’auteur se trouvait dans un autre lieu ou qu’il était malade, ou les deux. Des agents de l’État canadien ont fait savoir qu’ils avaient eu plusieurs contacts de l’auteur à l’automne 2002 mais depuis lors ils n’avaient plus rien signalé. Amnesty International de son côté était dans l’impossibilité de donner des détails sur la situation. Dans ces circonstances le conseil ne pouvait que supposer qu’il était arrivé quelque chose à l’auteur et maintenait donc la communication.

6.2Pour ce qui est du fond, le conseil ne souhaite pas maintenir le grief relatif aux conditions de détention, reconnaissant que sur ce point les recours internes n’ont pas été épuisés. En ce qui concerne les autres griefs, l’avocate développe son argumentation au sujet de la procédure suivie par les autorités de l’État partie. La première attestation de danger pour la sécurité a été délivrée par deux élus (ministres) sans que l’auteur ait pu apporter le moindre élément permettant de déterminer s’il y avait de bonnes raisons de croire qu’il appartenait à une organisation terroriste ou qu’il était lui‑même engagé dans des activités terroristes. L’unique audience que la Cour fédérale a tenue par la suite à ce sujet a été consacrée à déterminer seulement si la conclusion qu’il y avait lieu de croire à l’appartenance à une organisation terroriste était elle‑même raisonnable. Les preuves à charge ont été examinées ex parte et à huis clos sans avoir été appréciées par la Cour ni confirmées par des témoins. Le conseil fait valoir que la décision de déclarer que l’auteur représentait une menace pour la sécurité nationale, qui a été ensuite considérée en regard du risque de préjudice encouru par l’auteur au stade de l’expulsion par un haut fonctionnaire élu (un ministre), a été prise à l’issue d’une procédure inéquitable. Quant à la décision d’expulser l’auteur, les tribunaux qui l’ont réexaminée se sont attachés exclusivement à déterminer si elle était manifestement arbitraire, sans chercher à savoir si elle était fondée.

6.3Le conseil répond aux arguments de l’État partie au sujet de la crédibilité de l’auteur en renvoyant à la pratique du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui considère qu’un manque de crédibilité ne signifie pas que la peur d’être soumis à des persécutions ne soit pas bien réelle. Le conseil relève que la première fois que l’auteur a demandé le statut de réfugié, la demande a été déclarée recevable alors qu’il y avait des variations dans le récit qu’il avait fait de son passé; de plus les organes de sécurité canadiens ont détruit les preuves qu’ils détenaient, notamment les interrogatoires de l’auteur et les enregistrements obtenus par polygraphe, et n’ont fourni que des résumés. Ces preuves auraient pu être appréciées comme c’est le cas devant la Commission de réexamen en matière de sécurité, où un conseil indépendant, présentant toutes les garanties du point de vue de la sécurité, peut appeler des témoins et procéder à un contre‑interrogatoire pendant une audience à huis clos.

6.4Le conseil conteste ensuite la décision rendue par la Cour suprême après l’envoi de la communication au Comité. Elle souligne que M. Suresh, dont le recours a été accueilli au motif que les garanties de procédure avaient été insuffisantes, et l’auteur, dont le recours a été rejeté, se sont vu appliquer l’un et l’autre la même procédure. Dans le cas de l’auteur, la Cour a fondé sa décision sur le fait qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments pour montrer qu’il risquait d’être soumis à la torture; or pour que la procédure soit équitable il est impératif que cette question précise puisse être tranchée. Tout ce dont l’auteur a bénéficié c’est d’un contrôle judiciaire postérieur à la décision de la question de savoir s’il était «raisonnable» d’arriver à cette conclusion ce qui, de l’avis du conseil, est un traitement particulièrement superficiel s’agissant d’une décision qui pourrait avoir pour résultat la torture ou la mort. Le conseil rappelle aussi que dans l’affaire Suresh la Cour avait envisagé certaines situations extraordinaires dans lesquelles un individu pouvait être renvoyé dans son pays alors qu’un risque réel de torture avait été démontré, contrairement à l’interdiction absolue de la torture posée en droit international.

6.5Sur la question de la crédibilité de l’auteur, le conseil fait remarquer que le responsable canadien de la sécurité a confirmé à l’audience consacrée à la délivrance de l’attestation l’allégation de l’auteur qui affirmait être un transfuge − le seul point douteux portant sur la question de savoir s’il avait fait défection pour éviter de rejoindre le MIS ou après l’avoir d’abord rejoint. Quoi qu’il en soit, son départ d’Iran fait de lui un opposant, réel ou perçu comme tel, au régime iranien et c’est ainsi qu’il est décrit dans la presse. Un agent consulaire iranien lui a rendu visite en détention, avant qu’il soit expulsé, et le Gouvernement iranien connaît parfaitement ses griefs et la nature de l’affaire. En tout état de cause le conseil estime qu’il est déloyal d’avancer l’argument de la crédibilité alors qu’une grande partie des éléments qui ont servi à fonder la conclusion de menace pour la sécurité ont été produits lors d’une audience à huis clos et ex parte sans avoir été appréciés. Le conseil fait également valoir qu’il est inexact de décrire l’auteur comme un agent du régime qui par conséquent ne pourrait pas être victime d’exactions, vu que, ayant fui le pays et donné au Canada des renseignements touchant la sécurité, il a toutes les chances d’être considéré comme un opposant au régime. Si, comme on l’a laissé entendre, l’auteur était simplement un agent infiltré «démasqué» il ne se serait pas opposé à son expulsion pendant ses neuf ans de détention. De plus, il faut rappeler à ceux qui prétendent que la situation en Iran s’améliore et que l’usage de la torture y est moins généralisé que récemment un Canadien a été torturé et tué dans ce pays, affaire qui a été reconnue par les autorités. Le sort probable d’un opposant est d’être soumis à la torture et d’être exécuté et non pas de bénéficier d’un jugement équitable, ce dont l’État partie n’apporte rigoureusement aucune preuve. De plus, d’après le conseil, l’État partie n’a exercé aucune surveillance pour éviter que l’auteur soit inquiété à son retour en Iran.

6.6Sur la question du risque de torture ou d’autres formes de traitement cruel, le conseil relève que la Cour suprême a qualifié d’«incontestable» la conclusion selon laquelle l’auteur courait seulement un risque minimum, ayant fait preuve d’une «déférence considérable» à l’égard de la décision de la Ministre, qui portait sur des questions dépassant largement le domaine de compétence des juridictions de contrôle. En ce qui concerne le risque réel, le conseil fait remarquer qu’il était impossible de «prouver» ce qui risquait d’arriver à l’auteur, mais que celui‑ci avait tiré des conclusions raisonnables à partir des faits connus, en particulier l’intérêt que le Gouvernement iranien portait à son cas, les violations des droits fondamentaux commises en Iran à l’égard de ceux qui sont perçus comme des opposants au régime, le fait que sa coopération avec de hauts responsables canadiens à qui il avait divulgué des renseignements secrets était de notoriété publique, etc.

6.7Au sujet des questions de la détention arbitraire et de la procédure d’expulsion au regard des articles 9, 13 et 14 du Pacte, le conseil fait valoir que l’auteur est resté en détention pendant cinq ans en application d’un régime obligatoire et automatique, avant que la détention ne soit réexaminée. En vertu du régime établi par la loi, l’attestation de danger pour la sécurité donne automatiquement lieu à la détention des étrangers jusqu’à ce que soit achevée la procédure, qu’un arrêté d’expulsion soit prise contre l’intéressé et que celui‑ci reste au Canada pendant 120 jours encore. La décision de placer l’auteur en détention n’a pas été prise par un juge, le recours en habeas corpus ne lui était pas ouvert puisqu’il était un étranger placé en détention en application de la loi sur l’immigration et l’action en inconstitutionnalité qu’il avait engagée contre la procédure d’attestation a été rejetée. Le conseil souligne que l’État partie pouvait très bien utiliser d’autres procédures de renvoi qui n’auraient pas eu les effets que celle qui a été appliquée. Elle fait remarquer que la pratique de l’État partie dément sa théorie quand il affirme que la détention est nécessaire pour préserver la sécurité nationale parce qu’en fait tous les terroristes présumés ne sont pas placés en détention. Elle rappelle que dans l’affaire V.M.R.B., la détention n’était pas automatique ni obligatoire, contrairement au régime appliqué à l’auteur, et que la justification de la détention était réexaminée une fois par semaine. Elle invoque les affaires Torres c. Finlande et A. c. Australie pour faire valoir que les non‑nationaux ont le droit de contester sur le fond la légalité de leur détention devant un tribunal, sans délai et de nouveau à des intervalles raisonnables. Elle relève que la Convention européenne des droits de l’homme, en vertu de laquelle a été adoptée la décision Chahal, citée par l’État partie, prévoit spécifiquement la détention aux fins d’émigration.

6.8Au sujet de la demande de remise en liberté une fois écoulés 120 jours à compter de la date de l’ordonnance d’expulsion, faite par l’auteur en application de l’article 40 1) 8) de la loi, le conseil indique que la remise en liberté peut être ordonnée si l’intéressé n’est pas expulsé dans un délai raisonnable et si la remise en liberté ne risque pas de porter atteinte à la sécurité de la nation ou des personnes. La Cour fédérale a conclu qu’il appartenait à l’auteur de prouver que ces deux conditions étaient réunies; mais la juridiction du premier degré et la juridiction d’appel ont estimé l’une et l’autre que l’auteur pourrait être expulsé dans des délais raisonnables s’il ne s’adressait pas de façon répétée aux tribunaux et que donc il ne remplissait pas cette condition. La cour d’appel a estimé aussi que comme il avait été placé en détention pour des raisons de sécurité, l’auteur devrait normalement être tenu de montrer «qu’il y a eu quelque changement important dans les circonstances de l’affaire ou des éléments de preuve nouveaux, qui n’étaient pas connus auparavant» pour pouvoir être remis en liberté en application du mécanisme de réexamen de la détention: de l’avis du conseil, cette conclusion est manifestement contraire à l’obligation faite dans le Pacte d’obtenir un contrôle de novo de la décision de placement en détention.

6.9Le conseil rejette l’argument de l’État partie qui affirme que l’audience de la Cour fédérale consacrée à l’examen du «caractère raisonnable» de l’attestation de sécurité constituait un contrôle suffisant de la légalité de la détention, faisant valoir que cette audience portait exclusivement sur le caractère raisonnable de l’attestation et non pas sur la justification de la mesure de détention. De plus, si cette audience constituait un contrôle de la détention, il ne serait pas nécessaire de procéder à un nouveau contrôle 120 jours après l’arrêté d’expulsion. En réponse à l’argument qui veut que la détention prolongée était imputable à l’auteur lui‑même, le conseil objecte que même si la procédure d’examen du caractère raisonnable de l’attestation de sécurité s’était déroulée sans interruption, il se serait écoulé des mois avant qu’elle ne soit achevée, avant que l’enquête en vue de l’expulsion ne soit ouverte et avant que les 120 jours ne soient écoulés pour permettre le contrôle de la détention en application de l’article 40 1) 8). Le conseil fait remarquer qu’il est arrivé dans des affaires moins compliquées que celle de l’auteur que le contrôle de la détention ne soit ouvert que bien après un an. Enfin, elle relève que l’État partie n’a jamais aidé l’auteur à trouver un autre pays de destination. Dans son cas il n’y avait aucune autre possibilité que la détention puisqu’il ne pouvait pas se rendre dans un autre pays.

Observations supplémentaires de l’État partie

7.1Dans une lettre datée du 15 octobre 2003, l’État partie objecte que les éléments avancés par le conseil au sujet des faits survenus après l’expulsion sont insuffisants pour permettre de conclure que l’auteur a effectivement été arrêté, a disparu, a été torturé ou soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte et encore plus insuffisants pour conclure qu’il existait un risque réel quand il a été expulsé. L’État partie souligne que le conseil reconnaît que l’auteur n’a pas été maltraité quand il est arrivé en Iran et que les rumeurs de source journalistique selon lesquelles il

avait «été placé en détention ou tué» étaient antérieures à la date à laquelle il s’était présenté à l’ambassade du Canada à Téhéran. L’État partie ajoute que dans la semaine du 6 au 10 octobre 2003, un représentant du Canada à Téhéran a parlé à la mère de l’auteur qui lui a fait savoir que son fils était en vie et se portait bien, malgré un ulcère pour lequel il était en traitement. D’après l’État partie, la mère de l’auteur a indiqué que son fils n’avait pas encore de travail et qu’il menait «une existence à peu près normale». Il ne donne pas de détails sur les circonstances dans lesquelles s’est déroulé cet entretien, par exemple sur son caractère confidentiel. L’État partie affirme qu’il n’a pas commis de violation des droits garantis par le Pace en expulsant l’auteur vers l’Iran.

7.2L’État partie conteste en outre l’utilisation qui est faite des décisions du Comité et d’autres organes internationaux. Pour ce qui est de la décision dans l’affaire Ferrer ‑Mazorra, où la Commission interaméricaine des droits de l’homme a conclu que les nationaux cubains que Cuba refusait d’accepter ne pouvaient pas être détenus indéfiniment, l’État partie objecte qu’en l’espèce, il n’y a pas eu de présomption de détention automatique et indéterminée. L’auteur n’a pas été placé en détention sur «une simple hypothèse» mais sur la base de l’attestation délivrée par deux ministres certifiant qu’il représentait une menace pour la sécurité de la population canadienne. De plus, contrairement à l’affaire des Cubains, une décision d’expulsion avait été prise et la détention était une mesure appropriée et justifiée à cette fin.

7.3En ce qui concerne le fait que la Cour fédérale a considéré que c’était à l’auteur qu’il incombait de justifier le bien‑fondé de sa demande de remise en liberté en vertu de l’article 40 1) 8), l’État partie relève que la Ministre avait déjà satisfait à l’obligation de justifier l’arrestation et par conséquent il aurait fallu recommencer la longue procédure qui avait déjà eu lieu si la charge de justifier le maintien en détention devait incomber à la Ministre. Une fois qu’il a été montré qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un étranger appartient à un groupe terroriste, il n’est donc pas arbitraire d’imposer à cette personne la charge de justifier sa demande de remise en liberté. Pour ce qui est du contrôle judiciaire de la légalité de la détention, exigé par le Comité dans l’affaire A. c. Australie, l’État partie fait valoir que l’audience de la Cour fédérale consacrée à déterminer si la mesure était «raisonnable», qui a assuré un contrôle réel et non pas simplement un contrôle de pure forme, satisfait à cette exigence. La durée de la procédure − temps pendant lequel l’auteur était détenu – a été raisonnable dans les circonstances puisque c’est essentiellement du fait des propres décisions de l’auteur, notamment de son refus de quitter l’État partie, qu’elle a été prolongée. L’État partie ajoute que quand il a apprécié la question de la détention fondée sur une présomption non justifiée individuellement soulevée dans l’affaire A. c. Australie, le Comité a fait une distinction avec l’affaire V.M.R.B., laquelle ressemble davantage à l’affaire à l’examen. Dans l’affaire V.M.R.B. comme dans la présente, c’était l’appréciation d’un ministre qui avait conduit à l’arrestation de l’individu en cause. La détention dans ce cas était raisonnable et nécessaire à l’égard d’un individu qui représentait une menace pour la sécurité nationale et elle n’a pas duré au‑delà de la période pour laquelle elle avait pu être justifiée.

Inobservation par l’État partie de la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité

8.1Le Comité constate, dans les circonstances de l’espèce, que l’État partie a manqué à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en expulsant l’auteur avant qu’il ait pu examiner son grief d’atteinte irréparable aux droits consacrés dans le Pacte. Le Comité relève que la torture est, avec l’imposition de la peine capitale, la plus grave et la plus irréparable des conséquences que peuvent avoir sur une personne les mesures prises par l’État partie. En conséquence, les mesures prises par l’État partie qui peuvent donner lieu à un risque de préjudice irréparable, comme l’indiquait à priori l’initiative du Comité qui a demandé des mesures provisoires, doivent être examinées attentivement selon les critères les plus rigoureux.

8.2Demander des mesures provisoires en application de l’article 86 de son règlement intérieur adopté conformément à l’article 39 du Pacte constitue un élément essentiel du rôle du Comité en vertu du Protocole facultatif. Ne faire aucun cas de cette demande, en particulier en prenant des mesures irréversibles telles que l’exécution de la victime présumée ou son expulsion du territoire d’un État partie vers un pays où il risque la torture ou la mort affaiblit la protection des droits énoncés dans le Pacte par l’intermédiaire du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2En ce qui concerne le grief de détention arbitraire en violation de l’article 9, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que ce grief est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes sous la forme d’un pourvoi devant la Cour suprême relativement à la demande de remise en liberté en application de l’article 40 1) 8) de la loi. Le Comité relève que, légalement, le droit de demander la remise en liberté en se prévalant de cet article ne pouvait pas être exercé avant août 1998, après expiration du délai de 120 jours à compter de la délivrance de l’arrêté d’expulsion, ce qui faisait un total de cinq ans et deux mois à partir du placement en détention. En l’absence d’arguments de l’État partie montrant quels recours internes auraient pu être ouverts à l’auteur avant août 1998, le Comité estime que le grief de violation de l’article 9 concernant la période avant août 1998 n’est pas irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. En revanche, le fait que l’auteur ne se soit pas pourvu devant la Cour suprême pour demander sa remise en liberté en application de l’article 40 1), 8) rend irrecevable, pour non‑épuisement des recours internes, ses griefs de violation de l’article 9 relativement à sa détention à partir de cette date. En conséquence, ces griefs sont irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.3Le Comité constate que le conseil de l’auteur a retiré les griefs relatifs aux conditions de détention, reconnaissant que les recours internes n’ont pas été épuisés, et n’a donc pas à examiner cette question.

9.4Le Comité note que l’État partie fait valoir que les autres griefs sont irrecevables étant donné qu’à la lumière de l’argumentation de fond qui porte sur les faits et le droit pertinents, les griefs soit sont insuffisamment étayés, aux fins de la recevabilité, soit ne relèvent pas de la compétence du Pacte ratione  materiae, soit les deux. Dans ces conditions le Comité estime plus approprié d’examiner les griefs dans le cadre de l’examen de la communication sur le fond.

Examen au fond

10.1Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.2Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 9 tirés de la détention arbitraire et du fait qu’il n’aurait pas eu accès à la justice, le Comité note que l’auteur fait valoir que son placement en détention comme suite à la délivrance de l’attestation de menace pour la sécurité intérieure et son maintien en détention jusqu’à son expulsion constituaient une violation des dispositions de cet article. Le Comité relève que l’auteur a été placé en détention à titre obligatoire dès que l’attestation de danger pour la sécurité a été délivrée, mais que, en vertu la loi de l’État partie, la Cour fédérale est tenue d’examiner rapidement, c’est‑à‑dire dans la semaine qui suit, l’attestation et les éléments de preuve sur lesquels elle se fonde afin de déterminer s’il s’agit d’une mesure «raisonnable». Si la Cour établit que l’attestation n’est pas raisonnable, la personne visée est remise en liberté. Le Comité note, conformément à sa jurisprudence, qu’un placement en détention sur la foi d’une attestation de danger pour la sécurité intérieure établie par deux ministres pour des motifs liés à la sécurité nationale, ne constitue pas ipso facto une détention arbitraire, incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Toutefois, étant donné que l’individu placé en détention en vertu d’une attestation de ce type n’a pas été reconnu coupable d’une infraction pénale ni condamné à une peine d’emprisonnement, cet individu doit pouvoir, conformément au paragraphe 4 de l’article 9, faire examiner par une autorité judiciaire la légalité de sa détention, c’est‑à‑dire obtenir le contrôle du bien‑fondé de la mesure de détention puis par la suite des contrôles à intervalles suffisamment fréquents.

10.3S’agissant de l’allégation de violation du paragraphe 4 de l’article 9, le Comité est disposé à accepter qu’une audience de la Cour fédérale tendant à établir le «caractère raisonnable» de l’attestation de danger pour la sécurité, tenue rapidement après le placement obligatoire en détention sur la base d’une telle attestation délivrée par un ministre, constitue en principe un contrôle judiciaire de la légalité de la détention suffisant pour satisfaire aux prescriptions du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte. Il relève toutefois que, lorsque la procédure judiciaire visant notamment à déterminer la légalité de la détention se prolonge, la question se pose de savoir si la décision judiciaire est prise «sans délai», comme l’exige cette disposition, sauf si l’État partie fait en sorte que la détention soit provisoirement autorisée par décision de justice séparée. Dans le cas de l’auteur, aucune autorisation de la sorte n’existait, mais sa détention obligatoire jusqu’à l’achèvement de la procédure concernant le «caractère raisonnable» de l’attestation a néanmoins duré quatre ans et dix mois. Bien que cette durée soit en grande partie imputable à l’auteur, qui a préféré contester la constitutionnalité de la procédure de délivrance de l’attestation de danger pour la sécurité au lieu de demander à être entendu dans le cadre de la procédure d’examen du «caractère raisonnable» de cette attestation par la Cour fédérale, cette dernière procédure a comporté plusieurs audiences et a duré encore neuf mois et demi après le rejet définitif de son recours en inconstitutionnalité, le 3 juillet 1997. Ce délai est à lui seul, de l’avis du Comité, trop long eu égard aux prescriptions du Pacte selon lequel il doit être statué sans délai sur la légalité d’une détention. En conséquence, il y a eu violation des droits de l’auteur en vertu du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

10.4En ce qui concerne la détention ultérieure de l’auteur pendant 120 jours à compter de la date de l’arrêté d’expulsion avant qu’il puisse déposer une demande de remise en liberté, le Comité estime que cette période de détention a fait suite de manière suffisamment immédiate à une décision de la Cour fédérale pour pouvoir être considérée comme ayant été autorisée par un tribunal et qu’il n’y a donc pas eu sur ce point violation du paragraphe 4 de l’article 9.

10.5Pour ce qui est des allégations de violation des articles 6, 7, 13 et 14 relatives à l’expulsion de l’auteur et à la procédure à l’issue de laquelle il a été expulsé, le Comité relève tout d’abord que, à l’audience visant à établir le caractère raisonnable de l’attestation de danger pour la sécurité, la Cour fédérale a donné à l’auteur un résumé l’informant suffisamment des accusations portées contre lui. Le Comité note que la Cour fédérale avait conscience qu’elle avait la «lourde responsabilité» de faire en sorte dans cette procédure que l’auteur connaisse dûment les faits qui lui étaient reprochés et puisse y répondre et que l’auteur a effectivement pu défendre sa cause et interroger des témoins. Étant donné les questions de sécurité nationale qui étaient en jeu, le Comité n’est pas convaincu que cette procédure ait été injuste à l’égard de l’auteur. De plus, rappelant le rôle limité qui est le sien dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve, le Comité ne discerne pas dans les documents dont il est saisi le moindre élément donnant à penser qu’il y ait eu mauvaise foi, abus d’autorité ou tout autre élément arbitraire qui entacherait l’appréciation faite par la Cour fédérale de l’attestation certifiant que l’auteur était impliqué dans une organisation terroriste. Le Comité note aussi que le Pacte ne prévoit pas, de droit, une possibilité de recours contre toutes les décisions prises par un tribunal, au‑delà des affaires criminelles. Il n’a donc pas à déterminer si l’arrestation de l’auteur et la procédure relative à l’attestation relèvent du champ d’application de l’article 13 (en tant que décision en vertu de laquelle un étranger légalement présent sur le territoire est expulsé) ou de l’article 14 (en tant que décision portant sur des droits et obligations de caractère civil), vu qu’en tout état de cause l’auteur n’a pas montré qu’il y a eu violation des dispositions de ces articles dans la conduite par la Cour fédérale de l’audience consacrée à déterminer le caractère «raisonnable» de l’attestation.

10.6En ce qui concerne le grief de violation des mêmes articles tiré de la décision ultérieure de la Ministre de la citoyenneté et de l’immigration qui a établi que l’auteur pouvait être expulsé, le Comité note que dans l’affaire qu’elle a examinée le même jour, l’affaire Suresh, la Cour suprême a confirmé que la façon dont la Ministre s’était prononcée dans cette affaire sur la question de savoir si l’individu visé par la mesure d’expulsion risquait un préjudice important et s’il devait être expulsé pour des motifs liés à la sécurité nationale était fautive parce qu’elle était inéquitable étant donné qu’il n’avait pas eu connaissance de tous éléments matériels sur lesquels la Ministre avait fondé sa décision, qu’il n’avait pas eu la possibilité de faire valoir des arguments par écrit et que de surcroît la décision n’était pas motivée. Le Comité fait observer en outre que quand l’un des droits les plus fondamentaux protégés par le Pacte, c’est‑à‑dire le droit de ne pas être soumis à la torture, est en jeu, il faut veiller le plus scrupuleusement possible à garantir l’équité de la procédure appliquée pour déterminer si l’intéressé court un risque réel de torture. Le Comité souligne que, en l’espèce, ce risque avait été mis en avant par la demande de mesures provisoires de protection qu’il avait adressée.

10.7De l’avis du Comité, en ne donnant pas à l’auteur, dans ces circonstances, les garanties de procédure réputées nécessaires dans l’affaire Suresh, au motif que l’auteur de la présente communication n’avait pas démontré prima facie le risque qu’il courait, l’État partie n’a pas satisfait à l’obligation d’équité. Le Comité note à ce sujet que justifier cette absence de protection par le motif avancé par l’État partie relève du raisonnement circulaire dans la mesure où l’auteur aurait peut‑être pu faire valoir que le risque qu’il courait était suffisamment grand s’il avait été autorisé à exposer ses arguments concernant le risque de torture qu’il courrait au cas où il serait renvoyé dans son pays, et pu, à cette fin, se fonder sur tous les griefs retenus contre lui par les autorités administratives pour contester une décision énonçant les motifs pour lesquels la Ministre avait considéré qu’il pouvait être expulsé. Le Comité souligne que, comme pour le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture impose à l’État partie non seulement de s’abstenir de commettre lui‑même la torture mais aussi de prendre avec diligence les mesures voulues pour éviter qu’un individu en situation de risque soit soumis à un tel traitement dans un État tiers.

10.8Le Comité relève en outre que l’article 13 est en principe applicable à la décision ministérielle concernant le risque de préjudice puisqu’il s’agit d’une décision qui a donné lieu à une expulsion. Étant donné que la procédure interne permettait à l’auteur d’exposer des motifs (limités) militant contre son expulsion et d’obtenir un certain degré de contrôle de son cas, il ne serait pas approprié pour le Comité d’accepter l’idée que, dans l’affaire à l’examen, il existait des «raisons impérieuses de sécurité nationale» qui dispensaient l’État partie de l’obligation faite dans cet article d’assurer les garanties de procédure en question. De l’avis du Comité, en ne donnant pas à l’auteur les garanties de procédure accordées au plaignant dans l’affaire Suresh, au motif qu’il n’avait pas montré qu’il courait un risque, l’État partie a enfreint les dispositions de l’article 13 en vertu desquelles il était tenu d’autoriser l’auteur à faire valoir les raisons militant contre son expulsion compte tenu des griefs retenus contre lui par les autorités administratives et à faire réexaminer entièrement son cas par une autorité compétente, ce qui impliquait de lui donner la possibilité de faire des observations sur les documents présentés à cette autorité. Le Comité estime donc qu’il y a violation de l’article 13 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7.

10.9Le Comité note que, étant donné que les dispositions de l’article 13 concernent directement la situation de la présente affaire et contiennent des éléments relatifs à un procès équitable qui sont également l’objet de l’article 14 du Pacte, il ne conviendrait pas, compte tenu de l’économie du Pacte, d’appliquer directement les dispositions plus larges et plus générales de l’article 14.

10.10 Ayant établi que la procédure qui a abouti à l’expulsion de l’auteur avait été irrégulière, le Comité n’a pas besoin de se prononcer sur l’ampleur du risque de torture qui existait avant l’expulsion de l’auteur ou sur la question de savoir si l’auteur a subi des tortures ou des mauvais traitements à son retour en Iran. Cela dit, le Comité renvoie en conclusion à l’avis de la Cour suprême qui a estimé dans l’affaire Suresh que l’expulsion d’un individu dans le cas où l’existence d’un risque important de torture a été établie n’empêchait pas nécessairement l’expulsion dans tous les cas. Comme il n’a pas été établi par les juridictions de l’État partie ni par le Comité lui‑même qu’un risque de torture important existait bien dans le cas de l’auteur, le Comité n’exprime pas d’avis sur la question mais note que l’interdiction de la torture, notamment telle qu’elle est faite à l’article 7 du Pacte, est une interdiction absolue qui ne souffre d’être mise en balance avec aucune autre considération.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits constatés font apparaître des violations par le Canada du paragraphe 4 de l’article 9, et de l’article 13, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte. Le Comité réaffirme que l’État partie a manqué aux obligations qui lui sont faites en vertu du Protocole facultatif en expulsant l’auteur avant qu’il se soit prononcé sur la communication.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris une indemnisation. Étant donné les circonstances de l’affaire, l’État partie, qui n’a pas fait ce qu’il devait pour déterminer si l’auteur courait un risque de torture tel qu’il en interdisait son expulsion, est tenu a) d’assurer réparation à l’auteur s’il apparaît qu’il a effectivement subi des tortures après avoir été expulsé, et b) de prendre les mesures qui peuvent être nécessaires pour garantir que l’auteur ne sera pas, à l’avenir, soumis à la torture du fait de sa présence dans l’État partie et de son expulsion. L’État partie est également tenu d’éviter que des violations analogues ne soient commises à l’avenir, notamment en prenant les mesures voulues pour garantir que les demandes de mesures provisoires de protection formulées par le Comité soient respectées.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando

Je ne puis souscrire à la conclusion du Comité selon laquelle les faits dont il est saisi en l’espèce font apparaître des violations par l’État partie du paragraphe 4 de l’article 9 ainsi que de l’article 13 lu conjointement avec l’article 7.

En ce qui concerne l’article 13, le Comité dit: «il ne serait pas approprié pour le Comité d’accepter l’idée que, dans l’affaire à l’examen, il existait des “raisons impérieuses de sécurité nationale” qui dispensaient l’État partie de l’obligation faite dans cet article d’assurer les garanties de procédure en question». (10.8). De l’avis du Comité, l’auteur aurait dû bénéficier des mêmes garanties de procédure que celles qui avaient été accordées à Suresh, autre Iranien se trouvant dans une situation analogue. Or la raison pour laquelle l’auteur n’a pas bénéficié de cesgaranties de procédure est que contrairementà Suresh , il n’a pas démontré qu’il existait dans son cas uneprésomption sérieuse de risque de torture s’il était renvoyé en Iran. Considérant que l’établissement d’un tel risque est la condition préalable à l’octroi des garanties de protection, la conclusion du Comité selon laquelle l’auteur aurait dû en bénéficier lui aussi équivaut à dire qu’il faudrait en quelque sorte mettre la charrue avant les bœufs, position qui me paraît logiquement intenable.

Pour ce qui est du paragraphe 4 de l’article 9, le Comité reconnaît que la durée de la procédure en l’espèce est en grande partie imputable à l’auteur qui a préféré contester la constitutionnalité de l’attestation de danger pour la sécurité au lieu de demander à être entendu lors de l’examen par la Cour fédérale du «caractère raisonnable» de cette attestation. Il aboutit pourtant à la conclusion que cette procédure ayant elle‑même duré neuf mois et demi, les prescriptions du paragraphe 4 de l’article 9 selon lequel il doit être statué «sans délai» sur la légalité de la détention n’ont pas été respectées (10.3). Néanmoins, la procédure d’examen du caractère raisonnable de l’attestation par la Cour fédérale imposait au juge la lourde tâche de faire en sorte que l’auteur soit dûment informé des faits qui lui étaient reprochés de façon qu’il puisse préparer sa réponse et au besoin interroger des témoins. En outre, considérant que l’affaire visée concernait l’expulsion d’un étranger pour «des raisons impérieuses de sécurité» et que le tribunal devait apprécier plusieurs faits et éléments de preuve, une procédure durant neuf mois et demi ne semble pas être une procédure qui excède des délais raisonnables. On pourrait ajouter que le Comité ne précise pas pourquoi il ne serait pas approprié pour lui d’accepter l’idée que, dans l’affaire à l’examen, il existait des raisons impérieuses de sécurité nationale pour l’État partie (10.8), puisque c’est avant tout à l’État partie concerné qu’il appartient d’en juger, sauf s’il agit en cela de manière manifestement arbitraire ou infondée, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas.

(Signé) Nisuke Ando

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M me  Christine Chanet

Je partage la position constante du Comité selon laquelle un titre de détention administrative pour des motifs de sécurité nationale ne constitue pas en soi une détention arbitraire.

Néanmoins, une telle détention pour ne pas être ainsi qualifiée doit être en conformité avec les exigences subséquentes de l’article 9 du Pacte. Faute de quoi, l’État commet une violation du paragraphe 1 de l’article 9 (première phrase) en ce qu’il ne garantit pas le droit de chacun à la liberté et à la sûreté de la personne.

L’article 9 n’est pas le seul article du Pacte qui, à mon point de vue, doit recevoir une telle interprétation.

Ainsi, l’exécution d’une femme enceinte, violation flagrante du paragraphe 5 de l’article 6, constitue une atteinte au droit à la vie tel que prévu au paragraphe 1 de l’article 6.

Il en est de même dans le cas d’une personne qui est exécutée sans avoir pu exercer son droit à un recours en grâce en violation du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte.

Ce raisonnement est transposable aux articles du Pacte qui, d’emblée, dans le premier paragraphe, posent un principe et définissent dans le corps du texte les modalités qui s’imposent pour garantir le droit (art. 10); celles‑ci prennent soit la forme d’actes positifs que l’État doit assurer, comme par exemple l’accès au juge, soit d’interdictions, comme il en est au paragraphe 

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-5 de l’article 6.

En conséquence, lorsqu’une prisonnière n’a pas eu accès au juge, sans délai, ainsi que l’envisage le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte, le paragraphe 1 de l’article 9 (première phrase) est méconnu.

(Signé) Christine Chanet

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle (dissidente) de Sir Nigel Rodley , M. Roman Wieruszewski et M. Ivan Shearer

Nous ne sommes pas d’accord avec la conclusion du Comité selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 4 de l’article 9. Le Comité semble admettre, quoique en des termes qui donnent à penser qu’il n’en est pas certain, que les quatre premières années de détention de l’auteur ne constituaient pas une violation du paragraphe 4 de l’article 9, étant donné qu’il avait choisi de ne pas participer à la procédure d’examen du «caractère raisonnable» de l’attestation de danger pour la sécurité en attendant l’issue de son recours en inconstitutionnalité (voir ci‑dessus par. 10.3). Il admet également que cette procédure est conforme aux prescriptions du paragraphe 4 de l’article 9. En conséquence, pour conclure à une violation, il se fonde uniquement sur le fait qu’elle a duré neuf mois et demi, ce qui en soi constitue une violation du droit à ce qu’il soit statué sans délai sur la légalité de la détention. Il n’explique pas en quoi cette durée précise viole la disposition en question. Il n’existe pas non plus d’élément sur lequel il aurait pu fonder sa décision. Rien ne prouve que la procédure a excédé des délais raisonnables ou, si tel a été le cas, que la responsabilité en incombe à telle ou telle partie. En l’absence d’information à ce sujet ou de toute autre explication sur le raisonnement du Comité, nous ne pouvons pas nous associer à sa conclusion.

( Signé) Nigel Rodley

( Signé) Roman Wieruszewski

( Signé) Ivan Shearer

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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