NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE *

CCPR/C/83/D/939/2000

8 avril 2005

Original: FRANÇAIS

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-troisième session

14 mars-1 er avril 2005

DÉCISION

Communication no 939/2000

Présentée par  : Georges Dupuy (non représenté par un conseil)

Au nom de  : L’auteur

État partie  : Canada

Date de la communication  : 4 novembre 1998 (date de la lettre initiale)

Références  : Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 97 (ex-règle 91) du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 août 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision  : 18 mars 2005

Sujet  : Non-divulgation d’un document au cours d’un procès au pénal

Questions de procédure  : Épuisement des voies de recours internes; étaiement de la plainte

Questions de fond  : Droit à un procès équitable; droits pour la préparation de la défense; droit à être jugé sans retard excessif

Articles du Pacte  : 2 3); 3; 14 3) b) et 26

Articles du Protocole facultatif  : 2 et 5 2)

[ANNEXE]

ANNEXE

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

– quatre-vingt-troisième session -

Concernant la

Communication no 939/2000**

Présentée par  : Georges Dupuy (non représenté par un conseil)

Au nom de  : L’auteur

État partie  : Canada

Date de la communication  : 4 novembre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2005

Adopte ce qui suit :

Décision sur la recevabilité

1. L’auteur est M. Georges Dupuy, de nationalité canadienne, né le 9 mai 1947. L’auteur se déclare victime de violations par le Canada du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 3, du paragraphe 3 b) de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits

2.1 Le 16 août 1991, M me Gascon, alors conjointe de l’auteur, a déposé une plainte contre ce dernier pour des menaces de mort qu’il aurait proférées à son encontre.

2.2 Suite à une enquête préliminaire le 19 décembre 1991, la Cour criminelle du Québec a déclaré, le 24 avri1 1992, l’auteur coupable d’avoir sciemment proféré, par téléphone, les ou vers les 12 et 15 août 1991, des menaces de causer la mort ou des blessures graves à M me Gascon. Le 12 mars 1993, le juge a prononcé une sentence suspendue de deux ans avec probation.

2.3 Le 15 février 1994, la Cour d’appel du Québec a refusé de modifier le verdict tandis que le 11 août 1994, la Cour suprême du Canada a rejeté la requête en autorisation de pourvoi de l’auteur. Ce dernier précise que les décisions des tribunaux ont reposé sur les seuls témoignages de M me Gascon et de lui-même.

2.4 L’auteur déclare avoir pris connaissance d’un rapport de police, lequel incluait une déclaration écrite en date du 16 août 1991 de M me Gascon à son encontre, en décembre 1994 seulement.

2.5 Le 3 avril 1995, en vertu de l’article 690 du Code criminel, l’auteur a demandé au Ministre de la justice d’ordonner la tenue d’un nouveau procès en raison de la non-divulgation de la déclaration précitée lors du procès.

2.6 Le 14 décembre 1995, l’auteur a engagé une poursuite en dommages contre le Gouvernement du Québec en raison, selon lui, de la conduite malicieuse du substitut du procureur de la Couronne en charge du dossier, car il n’avait pas transmis dans le cadre du procès la déclaration écrite en date du 16 août 1991.

2.7 Le 20 mars 1996, la Cour supérieure du district de Montréal a accueilli la requête en irrecevabilité du substitut du procureur et a rejeté le pourvoi de l’auteur. Le 17 juin 1997, la Cour d’appel a estimé que certaines allégations de la plainte du 14 décembre 1995 étaient susceptibles de donner éventuellement lieu à la réouverture d’un procès, a infirmé le jugement de première instance, et a décidé que le sort du présent pourvoi dépendait d’abord de la décision future du Ministre de la justice sur la requête de l’auteur en vertu de l’article 690 du Code criminel ainsi que du sort qui pourrait être réservé à un nouveau procès que le Ministre de la justice pourrait ordonner.

2.8 Le 7 mai 2001, la Ministre de la justice a refusé le pourvoi de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur déc1are être innocent et avoir été condamné, en réalité, sur la base de fausses accusations de M me Gascon afin de s’accaparer la demeure patrimoniale dans le cadre d’une séparation du couple.

3.2 L’auteur soutient que la déclaration écrite de M me Gascon ne lui a pas été, sciemment et malicieusement, transmise dans le cadre du procès afin d’affaiblir sa défense. L’auteur estime que cette déclaration constituait une nouvelle preuve qui aurait permis de contester la version de la plaignante. Dès lors, l’auteur affirme être victime d’une erreur judiciaire. Il accuse également le retard pris dans la décision du Ministre de la justice en vertu de l’article 690 du Code criminel.

3.3 L’auteur explique que son cas résulte de la politique gouvernementale sexiste du Québec de répression des hommes en matière de violence conjugale au bénéfice de groupes extrémistes féministes, et donc portant atteinte à l’égalité des conjoints.

3.4 L’auteur se plaint enfin de difficultés à trouver un emploi en raison de sa condamnation figurant en particulier dans son casier judiciaire. Il déclare que les voies de recours internes ont été épuisées telles que ci-dessus exposées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le mérite de la demande

4.1 Dans ses observations du 21 juin 2002, l’État partie fait valoir, à titre principal, que la communication est irrecevable. En premier lieu, il soutient que les recours internes n’ont pas été épuisés relativement au grief de violation de l’article 14.3 b). D’après l’État partie, la décision prise aux termes de l’article 690 du Code criminel peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada aux termes de l’article 18.1 de la loi sur la Cour fédérale. La Cour peut ainsi casser la décision prise et retourner l’affaire au décideur afin qu’une nouvelle décision soit prise. L’État partie précise que la Cour fédérale a, d’ailleurs, eu à traiter d’une demande de contrôle judiciaire à la suite d’un refus de nouveau procès alors que le demandeur alléguait qu’un document, en l’occurrence le rapport médical de la victime, n’avait pas été remis à l’accusé avant ou pendant le procès. La Cour a cependant refusé d’intervenir au motif qu’il avait été établi que l’accusé avait connaissance de ce document avant même le procès. La loi sur la Cour fédérale prévoit un délai de 30 jours pour présenter une demande de contrôle judiciaire. La Cour peut, sur demande, accorder un délai supplémentaire. La décision de la Cour fédérale, Section de première instance, peut être portée en appel devant la Cour d’appel fédérale. Cette dernière décision peut également faire l’objet d’un appel devant la Cour suprême du Canada sur autorisation de cette dernière. L’État partie estime que l’auteur de la présente communication ne peut être excusé de n’avoir pas épuisé les voies de recours internes parce qu’il n’a pas respecté les délais prescrits.

4.2 En second lieu, l’État partie soutient l’absence de violation prima facie de l’article 14 du Pacte. Il estime, en effet, qu’en réalité, l’auteur demande au Comité de réévaluer les conclusions de fait et de crédibilité des instances canadiennes. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation de la preuve faite par les tribunaux nationaux sauf en cas de déni de justice. Selon l’État partie, dans le cas d’espèce, l’auteur n’a pas établi un déni de justice car sa condamnation repose sur son témoignage et l’appréciation de celui-ci par la Cour. Or, la Cour d’appel du Québec a rejeté l’appel à l’encontre de la condamnation et la Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation de pourvoi à l’encontre de cette décision. L’État partie souligne, à cet égard, l’importance du principe de l’autorité de la chose jugée. En outre, l’auteur s’est prévalu de la demande de clémence aux termes de l’article 690 du Code criminel après avoir épuisé les droits d’appel et prétendu que le procès n’était pas équitable au regard en particulier de l’article 14.3 b). Selon l’État partie, l’auteur fait valoir devant le Comité les mêmes motifs que ceux fournis à l’appui de sa demande de clémence, à savoir que la déclaration de M me Gascon aurait dû lui être communiquée lors du procès. L’État partie soutient que la démarche à suivre dans le cas d’espèce repose sur celle issue de l’arrêt Stinchcombe précité où la Cour suprême du Canada indique qu’en cas d’omission de divulguer des renseignements, la question est de savoir si la divulgation de ces renseignements aurait pu influer sur l’issue du litige. L’État partie mentionne également sur cette approche la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Canada.

4.3 L’État partie explique que la divulgation à l’auteur de la déclaration de la victime n’aurait pas influé sur le résultat du procès et qu’il a bénéficié d’un procès équitable. L’État partie précise que la condamnation criminelle au Canada pour avoir proféré des menaces de causer la mort ou des blessures graves repose sur la preuve hors de doute raisonnable apportée par le substitut du procureur de la Couronne que des menaces ont été proférées ( actus reus ) et que l’accusé a sciemment proféré de telles menaces ( mens rea ). L’État partie rappelle que les faits ayant donné lieu aux accusations auxquelles l’auteur faisait face à son procès le 24 avril 1992 lui étaient bien connus car M me  Gascon a, le 19 décembre 1991, témoigné et a été contre-interrogée sur ces faits lors de l’enquête préliminaire. En l’espèce, l’auteur avait admis avoir fait à M me Gascon les deux appels téléphoniques lors desquels des menaces auraient été proférées et que les mots qu’il a utilisés peuvent avoir été interprétés comme des menaces par M me Gascon.

4.4 Quoiqu’il ait nié avoir proféré des menaces, l’auteur a admis avoir dit, lors de la conversation téléphonique avec M me Gascon, le 12 août 1991, ce qui suit :

« Et c’est pour ça que je l’ai rappelée le 12, je veux dire pour ça, pour lui dire qu’elle avait été violente dans la voiture avec moi. J’ai parlé de ses hurlements, j’ai parlé de son attitude. Puis j’ai dit … je lui ai dit que ça pouvait avoir un accident fatal si ça recommençait, ce genre de situation. […] Peut-être qu’elle a interprété mes paroles comme des menaces de mort, c’est fort possible, je sais pas. […] Par la Cour. Q. Puis, là, vous nous dites que ce que vous lui avez dit, c’est que si jamais elle vous fait encore ça, vous pourriez perdre patience, vous pourriez mettre les freins rapidement... R. Bien. Q. ... et que ça pourrait être fatal? R. Oui, ça pourrait être un accident. Q. Pour qui? Pour qui? R. Bien, pour les deux ou … bien, s’il y a un accident de voiture, on sait pas qu’est-ce qui peut arriver, ça peut être moi dans l’accident qui meurt, peut-être les deux… » (Annexe B, transcription du procès, témoignage de M. Dupuy, p. 34 et 35).

4.5 Selon l’État partie, la Cour a considéré que ces paroles, indiquant une intention d’agir alors que M me Gascon se mit au volant de la voiture, constituait une menace et que ces paroles avaient été prononcées volontairement. Il n’est pas nécessaire que l’auteur ait eu l’intention de mettre ses menaces à exécution et de tuer M me Gascon pour établir la commission de 1’infraction.

4.6 Eu égard à la seconde menace de causer des blessures ou la mort, selon l’État partie, lors de l’appel téléphonique du 15 août 1991, l’auteur a indiqué ne pas se souvenir avoir dit les paroles que lui prête M me  Gascon, à savoir qu’en sortant de l’hópita1, il allait la tuer. Cependant, il indique penser avoir dit des choses qu’elle a peut-être mal interprétées, qu’elle a interprétées comme des menaces. Ainsi que l’a souligné la Cour dans le jugement, l’auteur a longuement hésité avant de nier avoir tenu les propos relatés par M me  Gascon.

4.7 L’État partie soutient que la condamnation de l’auteur repose d’abord sur l’appréciation de sa crédibilité et des déclarations qu’il a faites à la Cour. La Cour a conclu qu’il avait sciemment proféré les menaces de causer des blessures graves ou la mort même s’il n’avait pas l’intention de les mettre à exécution. D’après l’État partie, les deux éléments constitutifs de l’infraction, l’intention de transmettre la crainte par des paroles intimidantes et l’acte de prononcer de telles paroles ayant été établis, la raison pour laquelle les menaces ont été proférées n’est pas pertinente. L’État partie soutient que la déclaration de M me  Gascon n’apprend rien de nouveau ou de pertinent au sujet des éléments constitutifs du crime et n’aurait pas eu l’impact que prétend l’auteur. D’ailleurs, d’après l’État partie, selon ses prétentions, l’auteur aurait utilisé la déclaration seulement pour contre-interroger M me  Gascon sur deux éléments de cette déclaration, à savoir le « mobile du crime » et le mois des événements ayant mené aux accusations, ceci afin de porter atteinte à la crédibilité de M me  Gascon et donc d’obtenir un verdict différent.

4.8 L’État partie soutient que ce contre-interrogatoire n’aurait eu aucun impact. L’auteur allègue essentiellement que, dans sa déclaration écrite, M me  Gascon a indiqué que le « mobile du crime » était qu’elle désirait mettre fin à leur relation, ce que conteste l’auteur qui prétend plutôt qu’elle voulait s’accaparer la propriété de leur résidence commune. L’État partie estime que l’auteur semble confondre « mobile du crime » qu’il a été accusé d’avoir commis et « mobile du dépôt de la plainte », ou en d’autres termes la motivation de M me Gascon à porter plainte. Or, d’après l’État partie, même s’il avait été établi que le désir de M me Gascon de s’accaparer la propriété de la résidence commune avait motivé le dépôt de la plainte, cette question est totalement distincte de la notion de « mobile du crime » et n’est pas pertinente à la déclaration de culpabilité d’avoir sciemment proféré des menaces. En outre, l’État partie explique que contrairement à ce qu’allègue l’auteur devant le Comité, le « mobile » de l’infraction n’est pas pertinent quant à l’intention requise pour une déclaration de culpabilité. Conséquemment, même si l’appréciation des faits par la victime n’était pas avérée, le « mobile du crime » n’est pas un élément de l’infraction reprochée et n’a aucune pertinence.

4.9 Selon l’État partie, l’auteur ne pouvait ignorer le lien que faisait M me Gascon entre la séparation qu’elle lui avait annoncée et les menaces qu’il a proférées. Cette information lui avait été communiquée lors du témoignage de M me Gascon pendant l’enquête préliminaire. En outre, le témoignage de M me Gascon lors du procès commence par le rappel qu’elle lui avait annoncé son intention de le quitter à la fin juin 1991 et elle indique, en contre-interrogatoire, que l’auteur lui a reproché cette décision le 12 août lors de la première menace. Selon l’État partie, dès le début du contre-interrogatoire, l’avocat de l’auteur a tenté d’établir que les conjoints avaient un différend au regard de la vente de la maison tandis que M me Gascon a répondu que tel n’était pas le cas puisqu’il avait été décidé d’un commun accord d’attendre que l’auteur soit en meilleure santé avant de procéder à cette vente. L’avocat de l’auteur a donc contre-interrogé M me Gascon sur, selon les termes de M. Dupuy, le « mobile du crime ». Ainsi, en contre-interrogatoire lors du procès, M me Gascon a réitéré sa déclaration de même que son témoignage donné à l’enquête préliminaire en regard du différend avec l’auteur. Puisqu’il s’agit de son appréciation des faits et qu’elle n’a pas donné de versions différentes, l’État partie estime que le contre-interrogatoire sur ce point ne pouvait révéler ni contradiction ou incompatibilité susceptible de mettre en doute sa crédibilité. Qui plus est, lors de son témoignage au procès, l’auteur a donné sa version des événements ayant précédé les appels téléphoniques qu’il admet avoir faits et ayant motivé ces derniers. Selon l’État partie, ne s’agissant pas d’un élément de l’infraction, contrairement à ce que prétend l’auteur, la Cour n’a pas retenu contre lui « le fait [qu’il] n’acceptai[t] pas la rupture ». En tout état de cause, la Cour a pu apprécier les témoignages de l’auteur et de la victime quant aux événements ayant précédé et motivé les appels téléphoniques en cause et était en mesure de tirer les conclusions appropriées.

4.10 Quant à l’incompatibi1ité des dates indiquées sur la déclaration de M me  Gascon, soulevée par l’auteur, l’État partie considère qu’il faut remarquer qu’à la première mention des événements sur la déc1aration, le mot « juin » a été biffé et remplacé par le mot « août ». Cependant, le mot « juin » se trouve à deux autres endroits en regard des menaces proférées par l’auteur. Selon l’État partie, le seul recours additionnel offert à l’auteur, s’il avait eu en sa possession la déclaration écrite lors du contre-interrogatoire, eût été de demander à M me  Gascon pourquoi la correction était incomplète. Même si M me  Gascon avait fourni une explication incorrecte, l’État partie estime que l’auteur, selon le droit de la preuve tel que cité dans la décision du Ministre de la justice, n’aurait pu faire la démonstration de l’inexactitude de ses dires.

4.11 L’État partie soutient que bien que, dans sa déclaration écrite, M me  Gascon ait parfois renvoyé au mois de juin plutôt qu’au mois d’août, elle a, tant dans son témoignage à l’enquête préliminaire qu’au procès, situé les événements au mois d’août. Le facteur déterminant est que l’auteur, à son procès, connaissait parfaitement la nature de l’infraction qui lui était reprochée ainsi que la façon dont on lui reprochait de l’avoir commis.

4.12 Considérant que la déclaration écrite de M me  Gascon ne révèle qu’une incompatibi1ité partielle quant aux dates des événements, ne présente aucune contradiction avec la teneur de ses témoignages, n’ajoute que des faits secondaires, et que la Cour a pu apprécier la crédibilité de M me  Gascon et de l’auteur, il ressort, selon l’État partie, que la révélation de ce document n’offre aucun moyen additionnel utile à la défense de ce dernier.

4.13 L’État partie ajoute, eu égard aux précédents développements, que l’auteur a bénéficié de la présomption d’innocence. D’après l’État partie, le juge a rendu sa décision sur une preuve hors de tout doute raisonnable apportée par le substitut du procureur de la Couronne en regard des différents éléments de l’infraction reprochée.

4.14 Eu égard au grief relatif aux conséquences de la condamnation, à savoir les difficultés à trouver un emploi, 1’État partie souligne qu’aux termes de la loi sur le casier judiciaire, toute personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale (dont le Code criminel) peut présenter une demande de réhabilitation à la Commission nationale des libérations conditionnelles à l’égard de cette infraction. Dans le cas de l’auteur, cette demande peut être faite cinq ans après l’expiration légale de la période de probation. La loi canadienne sur les droits de la personne interdit également la discrimination, notamment dans le domaine de l’emploi, fondée sur le sexe et l’état de la personne graciée. L’« état de la personne graciée » est défini par l’« état d’une personne physique qui a légalement

obtenu une réhabilitation qui, si elle a été octroyée ou délivrée en vertu de la loi sur le casier judiciaire, n’a pas été révoquée ou annulée ». Toute personne qui se croit victime de discrimination par un employeur ou un organisme visé par la législation fédérale peut déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. D’autre part, l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne prévoit que « Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon ». L’auteur dispose de recours en cas de violation de cet article, à savoir porter plainte auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec, saisir le tribunal des droits de la personne ou un tribunal de droit commun.

4.15 Relativement au grief de violation de l’article 2 3) du Pacte, l’État partie estime que cet article ne constitue pas un droit substantif comme tel, mais est accessoire à la violation d’un droit garanti par le Pacte. Pour l’État partie, une telle violation n’a pas été établie par l’auteur.

4.16 Eu égard au grief de violations des articles 3 et 26 du Pacte, l’État partie soutient qu’il n’existe aucune preuve de violation prima facie de ces articles. L’État partie fait valoir que sa politique n’est pas discriminatoire et vise à marquer un pas vers l’égalité entre hommes et femmes. De plus, toutes les interventions effectuées au Québec, qu’elles soient de nature policière, judiciaire ou autre, doivent s’effectuer en respectant les droits judiciaires et les garanties juridiques de toutes personnes impliquées, notamment l’impartialité et 1’indépendance judiciaire, tel que le prévoient la Charte des droits et libertés de la personne et la Charte canadienne des droits et libertés. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a d’ailleurs déjà conclu que la politique n’était pas discriminatoire dans le cadre d’une correspondance avec un citoyen qui l’avait saisie de la question.

4.17 Finalement, l’État partie soutient, à titre subsidiaire, que les allégations du requérant sont sans fondement pour les raisons ci-dessus développées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans ses commentaires en date du 30 août 2002, l’auteur conteste les arguments d’irrecevabilité pour non-épuisement des voies de recours internes de l’État partie au motif du retard indu de la décision du Ministre de la justice rendue en vertu de l’article 690 du Code criminel, le 7 mal 2001, pour une demande de l’auteur en date du 3 avri1 1995.

5.2 Il déclare également ne pas demander une réévaluation des conclusions de faits et de crédibilité des tribunaux canadiens, tout en estimant que la non-transmission de la déclaration de M me  Gascon essentielle pour sa défense ne peut se comprendre que dans le contexte du procès. L’auteur estime que le juge s’est construit un scénario en se fondant sur de simples réflexions exprimées par l’auteur au cours du procès et transformées ensuite de toutes pièces en accusation, ceci malgré l’accumulation de mensonges de M me Gascon.

5.3 Eu égard au document non transmis, l’auteur conteste les arguments de l’État partie et fait valoir que la déclaration écrite de M me  Gascon était essentielle pour permettre une défense pleine et entière. L’auteur estime que la preuve des intentions de l’accusé ( mens rea ) telles qu’elles ressortent de cette déclaration est pertinente pour l’appréciation de sa culpabilité contrairement à la position de l’État partie à ce sujet. L’auteur explique que son procès a consisté à avoir, d’un côté, la plaignante et le substitut du procureur préparant leurs stratégies basées sur la déclaration et, de l’autre, l’accusé privé de cette information stratégique. L’auteur explique qu’il aurait pu utiliser cette déclaration pour un contre-interrogatoire de M me  Gascon, non seulement sur le « mobile du crime » et les dates des événements, mais également sur de nombreux autres points, tous pertinents afin de démontrer, selon l’auteur, l’amp1eur et la gravité des accusations mensongères de M me  Gascon. En outre, selon l’auteur, quand bien même, la déclaration écrite contient les deux accusations de menaces de mort ayant abouti à sa condamnation, ceci ne justifie en rien le fait que ce document lui ait été, selon lui, caché.

5.4 L’auteur fait valoir que son affaire démontre un sexisme omniprésent propre à la politique d’intervention du Québec en matière de violence conjugale. En tant que Président de l’Association « Coalition pour la défense des droits des hommes du Québec » et Vice-Président du Groupe d’entraide aux pères et de soutien à l’enfant, l’auteur déclare avoir pu identifier de nombreux cas d’hommes lésés, notamment par la non-transmission de déc1aration écrite de plaignantes, révélant le traitement judiciaire réservé aux hommes. L’auteur estime que, dans son cas, les magistrats ont agi de façon malicieuse à son encontre, ne transmettant pas le document précité, tronquant les propos de l’auteur, et étant motivé par des positions féministes outrancières, le tout protégé par la Ministre de la justice.

5.5 Dans ses commentaires additionnels du 7 mars 2003, du 15 juin 2003 et du 26 octobre 2004, l’auteur rappelle son argumentation sur l’épuisement des voies de recours internes reposant principalement sur le retard excessif de la décision du Ministre de la justice rendue en vertu de l’article 690 du Code criminel. Il ajoute que le Code criminel ne prévoit aucun droit d’appel contre cette décision. Enfin, il affirme que la jurisprudence au titre des demandes de contrôle judiciaire tirée de l’affaire William R. c. The Honourable A. Annee McLellan , Minister of Justice and Attorney General of Canada (cf. note de bas de page 4) n’est pratiquement connue de personne, n’est pas répertoriée, et est en contradiction avec le Code criminel.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 Dans ses observations du 11 août 2003, l’État partie réitère sa position sur 1’irrecevabilité de la communication, et subsidiairement, son absence de fondement.

6.2 L’État partie précise en particulier que bien que la décision du Ministre de la justice (voir 5.6) ne soit pas susceptible d’appel, elle est, par ailleurs, sujette au contrôle judiciaire de la Cour fédérale comme toute décision prise par un « office fédéral », tel que défini dans sa version actuelle depuis le 1 er  février 1992 par la loi sur la Cour fédérale. La décision prise aux termes de l’artic1e 690 du Code crimine1 peut donc faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada aux termes de l’article 18.1 de la loi sur la Cour fédéra1e. La Cour peut casser la décision prise et retourner l’affaire au décideur afin qu’une nouvelle décision soit prise si un des motifs justifiant son intervention est établi (voir par. 4.1). Il s’agit donc, d’après l’État partie, d’un recours qui aurait pu donner satisfaction à l’auteur. L’État partie ajoute que l’affaire Williams, disponible sur Internet, établit clairement l’existence d’un recours domestique, et que l’auteur ne peut être excusé de ne pas avoir épuisé un tel recours.

Considérations relatives à la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 du règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facu1tatif se rapportant au Pacte.

7.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationa1e d’enquête ou de règ1ement.

7.3 Concernant le grief de violation de l’article 14.3 b) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 3), le Comité a pris note des arguments d’irrecevabilité de 1’État partie pour non-épuisement des voies de recours internes (voir par. 4.1 et 6.2) et des commentaires de l’auteur à cet égard. Le Comité constate, qu’en l’espèce, l’auteur reconnaît ne pas avoir présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Ministre de la justice du 7 mai 2001 en raison, d’une part, du retard excessif accusé pour une telle décision, et d’autre part, du manque de connaissance par le public de la jurisprudence au titre de l’affaire Williams que l’auteur, en outre, estime contraire au Code criminel (voire par. 5.5). Après examen des pièces du dossier, le Comité estime, en premier lieu, que le grief tiré de la durée excessive de la procédure au titre de l’article 690 du Code criminel ne saurait être retenu dans la mesure où l’auteur ne s’est pas plaint de retards auprès de la Ministre de la justice au cours de la procédure. Le Comité considère en outre que l’auteur n’a pas réfuté de façon valable les développements de l’État partie faisant valoir que la demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Cana aux termes de l’article 18.1 de la loi sur la Cour fédérale constituait de fait un recours disponible et utile. Le Comité estime également que l’argument de l’auteur quant à la non-connaissance d’un tel recours ne peut être reconnu et ne saurait être imputé à l’État partie. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4 Relativement aux griefs de violations des articles 3 et 26 du Pacte, le Comité estime que les allégations de l’auteur faisant valoir que sa condamnation et la non-divulgation de la déclaration de M me  Gascon résultent d’une politique prétendument sexiste du Québec n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 Concernant le grief de l’auteur relatif aux difficultés à trouver un emploi du fait de la mention de sa condamnation dans son casier judiciaire, le Comité estime que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes quant à cette allégation de discrimination. En conséquence, cette partie de la communication n’est pas recevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité décide :

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2, et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à 1’État partie et à l’auteur.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport annuel.]