Nations Unies

CCPR/C/119/D/2185/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2185/2012 * , **

Communication présentée par :

Bimala Dhakal, Rabindra Dhakal et Manjima Dhakal (représentés par un conseil, Philip Grant, de TRIAL : Track Impunity Always)

Au nom de :

Les auteurs et Rajendra Dhakal (leur époux, pèreet frère, respectivement)

État partie :

Népal

Date de la communication :

31 janvier 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 août 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

17 mars 2017

Objet :

Disparition forcée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture et traitements cruels et inhumains ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; reconnaissance de la personnalité juridique ; droit de l’enfant à des mesures de protection ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7, 9, 10, 16 et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Bimala, Rabindra et Manjima Dhakal, l’épouse, le frère et la fille de Rajendra Dhakal, respectivement. Ils présentent la communication en leur nom propre et au nom de Rajendra Dhakal. De nationalité népalaise, les auteurs sont nés les 27 août 1970, 25 septembre 1971, 29 septembre 1990 et 13 novembre 1968. Ils affirment que l’État partie a violé les droits que Rajendra Dhakal tient des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, les droits que Bimala Dhakal et Rabindra Dhakal tiennent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et les droits que Manjima Dhakal tient de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 24. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 14 août 1991. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Par suite du conflit armé qui a éclaté en 1996 entre le Gouvernement népalais et le Parti communiste népalais (maoïste), la situation des droits de l’homme dans l’État partie s’est nettement détériorée. Toutes les parties au conflit, y compris la police et l’Armée royale népalaise, ont commis des atrocités, et les disparitions forcées sont devenues monnaie courante. Des sources fiables indiquent qu’au cours des années 2003 et 2004, de très nombreux cas de disparitions forcées ont été constatés au Népal. Les victimes étaient principalement des sympathisants et des militants maoïstes, dont bon nombre d’étudiants, d’hommes et de femmes d’affaires, d’agriculteurs, de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme.

2.2Rajendra Dhakal et le premier auteur (Bimala Dhakal) ont trois enfants. Rajendra Dhakal était défenseur des droits de l’homme et membre du barreau népalais. Il travaillait au Progressive Legal Services Centre, un cabinet d’avocats, et présidait la section du district de Gorkha du Forum for the Protection of Human Rights. Jusqu’à 1995, il était également secrétaire de district du Front populaire uni du Népal, une organisation rassemblant différents groupes communistes. Il a démissionné de ce poste lorsque le Parti communiste népalais (maoïste) a déclenché le conflit armé, en février 1996. En mars 1996, il a été illégalement placé en détention par la police népalaise, avant d’être libéré sur ordre d’un tribunal de district en juin de la même année. Au cours de sa détention, il a été soumis à des mauvais traitements, torturé et privé de presque tout contact avec le monde extérieur. En juin 1998, il a été accusé d’agression sur la personne de fonctionnaires de police, de transport d’explosifs, de tirs indiscriminés et du meurtre d’un inspecteur de police adjoint dans le cadre d’une affaire d’homicide et de vol portée devant le tribunal de district de Tanahun. Un mandat d’arrêt et une citation à comparaître ont été délivrés contre lui. À cette époque, Rajendra Dhakal travaillait activement comme conseil dans des affaires concernant des actes de torture et de harcèlement imputables à des agents de l’État. Après la délivrance du mandat d’arrêt, il a commencé à recevoir des menaces de mort de la part des forces de sécurité, ce qui l’a décidé à abandonner sa carrière pour entrer dans la clandestinité en août 1998.

2.3Le 8 janvier 1999, Rajendra Dhakal participait à une réunion d’information politique à huis clos dans le village de Jamdi, près de Khairenitar (district de Tanahun). Alors qu’il s’approchait du cours d’eau qui traverse le village, des policiers l’ont arrêté. Deux instituteurs qui l’accompagnaient, P. B. T. et N. D. A., ont également été arrêtés et conduits au poste de police de Bel Chautara. Ils ont toutefois été séparés de Rajendra Dhakal, qui a été placé à l’isolement et n’a pas été revu depuis. Les instituteurs ont été libérés au bout de deux jours.

2.4Dans les jours qui ont suivi, le premier auteur, qui avait vu son mari pour la dernière fois un mois plus tôt à Chitwan, a eu vent de l’arrestation de Rajendra Dhakal. À sa demande, le deuxième auteur (Rabindra Dhakal) est parti à la recherche de son frère. Entre le 12 et le 19 janvier 1999, le deuxième auteur s’est rendu aux commissariats des districts de Tanahun, de Nawalparasi et de Kaski (Pokhara), ainsi qu’au poste de commandement du bataillon de la police armée de Pokhara. Partout, les responsables lui ont dit que son frère avait été transféré dans un autre commissariat. Au poste de commandement du bataillon de la police armée de Pokhara, il a été informé que Rajendra Dhakal avait été transféré au commissariat du district de Gorkha. Lorsqu’il s’est rendu dans ce commissariat, il a appris que Rajendra Dhakal s’y trouvait effectivement, mais il n’a pas été autorisé à le voir. Quelques semaines plus tard, le deuxième auteur a rencontré les deux instituteurs qui avaient été arrêtés en même temps que son frère. Ceux-ci lui ont dit que Rajendra Dhakal avait été arrêté le 8 janvier 1999 et transféré au commissariat de district de Tanahun. Depuis lors, on ignore où il se trouve. Le deuxième auteur a régulièrement informé le premier auteur, ainsi que sa famille, des démarches effectuées pour retrouver son mari.

2.5Le 21 janvier 1999, le deuxième auteur a déposé une requête en habeas corpus au nom de son frère, Rajendra Dhakal, auprès de la Cour suprême du Népal. Celle-ci a pris une ordonnance de justification à l’adresse, notamment, du Ministère de l’intérieur, de la direction générale de la police, à Naxal (Katmandou), des commissariats de district de Gorkha, Kaski, Nawalparasi et Tanahun, du bataillon de la police armée de Pokhara (Kaski) et du poste de police de Bel Chautara. Ces entités ont nié qu’elles détenaient l’intéressé. Elles ont également contesté les allégations du deuxième auteur selon lesquelles il avait été informé par des policiers que son frère avait été successivement transféré d’un commissariat à un autre (voir par. 2.4).

2.6Le 23 mars 1999, la Cour suprême a enjoint à la direction centrale de la police de faire rechercher Rajendra Dhakal dans tous les lieux de détention et de le lui présenter. Le 19 avril 1999, la police a nié savoir ce qu’il était advenu de Rajendra Dhakal et a signalé que celui-ci était recherché pour homicide, étant poursuivi devant le tribunal de district de Tanahun depuis 1998 pour le meurtre d’un inspecteur de police adjoint.

2.7En décembre 1999, les déclarations sous serment des deux instituteurs arrêtés en même temps que Rajendra Dhakal ont été produites devant la Cour suprême. Leurs auteurs confirmaient que Rajendra Dhakal avait été arrêté le 8 janvier 1999 par des policiers placés sous les ordres de l’inspecteur K. B. R. puis transféré au commissariat de district de Tanahun. Le Ministère de l’intérieur a ultérieurement informé la Cour que ses recherches n’avaient pas permis de localiser Rajendra Dhakal dans un lieu de détention.

2.8En août 2000, la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a publié un rapport sur sa mission au Népal dans lequel elle indiquait qu’elle avait été informée de la situation de Rajendra Dhakal (voir E/CN.4/2001/9/Add.2, par. 41). En 2001, Amnesty International a soumis le cas de l’intéressé au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Son nom figure en outre sur la liste des personnes disparues établie par la Commission népalaise des droits de l’homme et dans la base de données des personnes disparues au Népal établie par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

2.9Les auteurs soutiennent que le premier auteur mène de longue date des activités politiques modérées dans le cadre du Parti communiste népalais (maoïste), qu’après la disparition de Rajendra Dhakal, elle s’est activement engagée, auprès du deuxième auteur, dans une association dénommée « State Enforced Disappearance Family Society » et que, au début de l’année 2001, elle a été arrêtée au motif qu’elle aurait entretenu des contacts avec le parti maoïste. Des policiers lui ont dit que son mari avait déjà été tué par les forces de sécurité et l’ont menacée du même sort si elle continuait de prendre part aux activités des maoïstes. Elle a été détenue et a subi des mauvais traitements répétés au cours de ses interrogatoires, durant lesquels elle avait les yeux bandés et était sans cesse frappée à la tête avec une matraque. Elle a été libérée au bout de dix jours, mais avait l’obligation de se présenter tous les samedis au poste de police de Thantipokhari (comité de développement villageois de Palungtar), dans le district de Gorkha.

2.10La violence régnant au Népal empêchant le système judiciaire de fonctionner normalement, aucune autre mesure n’a été prise concernant le cas de Rajendra Dhakal jusqu’à la fin du conflit armé, en 2006. Le 28 août 2006, afin qu’il soit donné suite aux requêtes en habeas corpus déposées dans des cas de disparition forcée, la Cour suprême a décidé de créer une équipe spéciale dirigée par un juge de la Cour d’appel et chargée d’enquêter sur la disparition de quatre détenus, dont Rajendra Dhakal. L’équipe a conclu que celui-ci avait été arrêté par 10 à 12 policiers de Bel Chautara (Tanahun) placés sous le commandement de l’inspecteur K. B. R, qu’il avait été conduit au poste de police de Bel Chautara et qu’on l’avait fait disparaître. Elle a recommandé d’engager des poursuites pénales contre les auteurs des faits et d’accorder réparation aux membres de sa famille touchés par sa disparition.

2.11Le 1er juin 2007, la Cour suprême a statué sur les requêtes en habeas corpus visant 83 personnes disparues. Prenant acte des conclusions de l’équipe spéciale d’enquête, elle a jugé que l’arrestation et la disparition de Rajendra Dhakal étaient imputables à des membres des forces de sécurité et constaté que l’on ne savait pas ce qui était arrivé à l’intéressé, ni où il se trouvait. La Cour a notamment enjoint au Gouvernement d’adopter des dispositions législatives définissant et réprimant la disparition forcée et prévoyant l’ouverture de poursuites à l’encontre des responsables et l’indemnisation des victimes et de leur famille.

2.12Le 3 août 2007, le premier auteur a reçu 150 000 roupies népalaises de l’administration du district de Ghorka dans le cadre du plan d’indemnisation provisoire adopté par le Gouvernement. Le 14 avril 2008, elle a reçu 100 000 roupies du Ministère de la paix et de la reconstruction. Toutefois, les autres dispositions de l’arrêt rendu par la Cour n’ont pas été mises en œuvre par le Gouvernement. Les auteurs soutiennent qu’ils n’ont pas effectué d’autres démarches car eu égard à l’impunité prévalant dans le pays, attestée par la non-exécution des décisions de la Cour suprême, rien n’aurait servi de porter l’affaire devant les autorités policières ou judiciaires.

2.13Les auteurs avancent qu’ils ont pris toutes les mesures possibles pour épuiser les recours internes, mais que les procédures disponibles sont inefficaces et se prolongent au‑delà des délais raisonnables. La procédure engagée par la requête en habeas corpus a duré plus de sept ans et la décision définitive rendue par la Cour suprême le 1er juin 2007 n’a pas encore été exécutée ; ces délais dépassent la limite du raisonnable et rendent vain le dépôt d’une nouvelle plainte. En dépit de la décision de la Cour, les autorités népalaises n’ont pas enquêté sur les circonstances de la disparition de Rajendra Dhakal et on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu de celui-ci, ni où il se trouve. Les auteurs soutiennent qu’ils n’ont pas déposé de premier rapport d’information auprès de la police car cela n’aurait pas constitué un recours utile étant donné que, si un premier rapport doit nécessairement être enregistré pour qu’une enquête criminelle soit ouverte, ce document ne peut concerner que les infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires auxquelles l’État est partie. La disparition forcée n’étant à ce jour pas codifiée dans la législation de l’État partie, il est impossible pour les proches des victimes de déposer un premier rapport d’information concernant un tel acte. En outre, il n’est pas certain que le dépôt de ce document constitue un recours utile, la police ayant à de nombreuses reprises utilisé son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’enregistrer un rapport déposé. De plus, un éventuel processus d’établissement des faits dans le contexte d’un mécanisme de justice transitionnelle ne remplace pas l’accès à la justice et à une réparation pour les victimes de violations graves des droits de l’homme et leurs proches et ne saurait donc être considéré comme un recours au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs avancent que Rajendra Dhakal a été victime de disparition forcée et que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que les droits que le premier et le deuxième auteurs tiennent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et les droits que le troisième auteur (Manjima Dhakal) tient de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 24.

3.2Rajendra Dhakal a été arbitrairement privé de liberté par la police népalaise le 8 janvier 1999 et a été vu vivant pour la dernière fois dans une situation où sa vie était menacée alors qu’il se trouvait aux mains d’agents de l’État. L’arrestation arbitraire, les mauvais traitements puis la disparition forcée dont il a été victime sont intervenus dans un contexte où de tels actes constituaient une pratique généralisée et systématique. Bien que, dans sa décision du 1er juin 2007, la Cour suprême ait fait siennes les conclusions de l’équipe spéciale d’enquête et estimé que Rajendra Dhakal avait été conduit au poste de police de Bel Chautara et que la police l’avait ensuite fait disparaître, ses injonctions n’ont pas été exécutées et les autorités n’ont pas mené d’enquête approfondie et efficace en vue de déterminer où l’intéressé se trouvait et ce qu’il était advenu de lui. Dans ces circonstances, c’est à l’État partie de montrer qu’il s’est conformé à son obligation de garantir le droit à la vie de la personne sous son contrôle. En conséquence, étant donné que l’État partie n’a pas apporté la preuve du contraire, les auteurs soutiennent que la disparition forcée de Rajendra Dhakal constitue une violation des droits que celui-ci tient de l’article 6 du Pacte.

3.3La détention au secret et la disparition forcée de Rajendra Dhakal constituent un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. En maintenant l’intéressé en détention sans lui autoriser le moindre contact avec le monde extérieur depuis le 8 janvier 1999, les autorités l’ont mis à la merci de la police. De plus, compte tenu des circonstances qui ont entouré sa disparition, ainsi que des mauvais traitements qu’il a subis en détention par le passé et des menaces de mort dont il a fait l’objet de la part des forces de sécurité après qu’un mandat d’arrêt a été délivré contre lui, Rajendra Dhakal a probablement ressenti une profonde angoisse quant au sort qui lui serait réservé.

3.4Plus de douze années se sont écoulées depuis que Rajendra Dhakal a été arbitrairement privé de liberté, conduit au poste de police de Bel Chautara et victime d’une disparition forcée imputable à des policiers. Sa longue détention au secret constitue en elle‑même une violation de l’article 9 du Pacte. Même en admettant que son arrestation ait procédé d’un mandat en bonne et due forme, comme celui délivré le 7 août 1998 par le tribunal de district de Tanahun, aucune des procédures prévues par le droit népalais et le droit international n’a été respectée. Sa détention n’a été consignée dans aucun registre officiel, et sa famille ne l’a jamais revu. Il n’a jamais été accusé d’aucune infraction, ni présenté à un juge ou un autre agent public habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Il n’a pas pu déposer un recours en justice pour contester la légalité de sa détention.

3.5Les auteurs soutiennent que l’arrestation arbitraire, la détention au secret et la disparition forcée de Rajendra Dhakal, ainsi que le traitement qui lui a été infligé par la police, sont en eux-mêmes constitutifs de violations de l’article 10 du Pacte.

3.6Parce qu’il a été détenu au secret, puis victime de disparition forcée, et que les autorités n’ont pas mené de véritable enquête pour déterminer où il se trouvait et ce qui lui était arrivé, Rajendra Dhakal est soustrait de la protection de la loi depuis le 8 janvier 1999, ce qui l’empêche de jouir de ses droits de l’homme et de ses libertés fondamentales. En conséquence, l’État partie est responsable d’une violation continue de l’article 16 du Pacte.

3.7Bien que les auteurs aient rapidement signalé la privation arbitraire de liberté et la disparition forcée de Rajendra Dhakal et que la Cour suprême ait jugé que celui-ci avait bien été victime d’une disparition forcée imputable à la police, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante n’a été menée d’office par les autorités compétentes et on ne sait toujours pas ce qui lui est arrivé, ni où il se trouve. En outre, à ce jour, personne n’a été cité à comparaître ni déclaré coupable pour la privation arbitraire de liberté, la disparition forcée et les actes de torture dont l’intéressé a été victime, non plus que pour son éventuel décès et la dissimulation subséquente de son corps. Il en résulte que l’État partie a violé et continue de violer les droits de l’intéressé au titre des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.8L’État partie a violé les droits que le premier et le deuxième auteurs tiennent de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en ce que ceux-ci ont été plongés dans une angoisse et une détresse profondes par l’arrestation arbitraire puis la disparition forcée de leur proche, ainsi que par les actions et omissions des autorités à cet égard. La disparition de Rajendra Dhakal a eu de lourdes conséquences émotionnelles et psychologiques pour ses proches. Pour le premier auteur, cela a incontestablement bouleversé sa vie de famille et gravement compromis sa situation financière. Elle a eu des difficultés à subvenir aux besoins de ses enfants et à financer leur éducation. À une époque, elle prenait des médicaments pour surmonter son anxiété et ses épisodes dépressifs récurrents, et elle demeure profondément affectée par la disparition de son mari. Le deuxième auteur a été bouleversé par l’absence totale de coopération de la part des autorités policières et il a lui-même craint d’être arrêté du fait de ses fréquentes visites aux postes de police et de ses questions. Ne se sentant pas en sécurité à Gorkha, il a fini par décider de déménager au Japon, mais garde des contacts réguliers avec le premier auteur et sa famille. Même après son déménagement à l’étranger, il a fait des cauchemars récurrents, rêvant que son frère était roué de coups ou qu’il partait lui-même à sa recherche. Il a consulté un médecin pour tenter de surmonter sa souffrance et a suivi un traitement à base d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. L’État partie a systématiquement enfreint le droit des auteurs de connaître la vérité sur les circonstances de la disparition forcée de Rajendra Dhakal, de savoir ce qu’il est advenu de lui et l’endroit où il se trouve et d’être informés des progrès et résultats de l’enquête.

3.9Le troisième auteur est victime d’une violation des droits qu’elle tient de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 24. Âgée de 9 ans au moment de la disparition de son père, elle a souffert d’angoisse pour avoir grandi dans une situation financière précaire et été témoin des difficultés extrêmes qu’éprouvait sa mère pour subvenir aux besoins de la famille. Durant les années cruciales de son enfance, elle a dû supporter le fardeau émotionnel et social lié au fait de vivre dans une famille stigmatisée et entendre les histoires racontées au sujet de la mort de son père. Les difficultés financières de sa famille l’on contrainte à abandonner son projet de terminer sa scolarité à Katmandou et, aux alentours de 2001, elle a dû retourner à Gorkha.

3.10Les auteurs prient le Comité de recommander à l’État partie : a) d’ordonner qu’une enquête approfondie soit menée d’urgence pour déterminer ce qu’il est advenu de Rajendra Dhakal et où celui-ci se trouve ; b) de libérer Rajendra Dhakal, s’il est en vie, et, s’il est décédé, de retrouver, d’exhumer et d’identifier sa dépouille avec le respect voulu et de la restituer à sa famille ; c) de traduire les responsables devant les autorités civiles compétentes afin qu’ils soient poursuivis, jugés et punis et de rendre publique l’issue de leur procès ; d) de veiller à ce que les auteurs obtiennent une réparation intégrale et une indemnisation rapide, juste et appropriée ; et e) de veiller à ce que les mesures de réparation couvrent le préjudice matériel et moral subi et à ce que des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction soient prises et des garanties de non-répétition formulées. Ils demandent en particulier que l’État partie reconnaisse sa responsabilité internationale à l’occasion d’une cérémonie publique tenue en présence des autorités et des proches de Rajendra Dhakal et que ceux-ci reçoivent des excuses officielles. En outre, l’État partie devrait fournir aux auteurs une prise en charge médicale et psychologique immédiate et gratuite par ses institutions spécialisées et leur permettre d’accéder à l’aide juridictionnelle, en tant que de besoin, de sorte qu’ils bénéficient de recours utiles et suffisants. Afin de garantir que les actes concernés ne se reproduiront pas, l’État partie devrait prendre les mesures qui s’imposent pour que la disparition forcée et la torture, ainsi que les différentes formes de participation à ces crimes, soient érigées en infractions dans sa législation pénale et soient passibles de peines correspondant à leur extrême gravité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 10 octobre 2012, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité, arguant que les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes.

4.2L’État partie soutient que les allégations dont les auteurs tirent argument auprès du Comité ont été examinées par la Cour suprême du Népal dans le cadre de la procédure d’habeas corpus engagée par le deuxième auteur. Au cours de cette procédure, les autorités concernées ont toutes déclaré que Rajendra Dhakal n’avait pas été arrêté ni détenu par les forces de sécurité. Malgré le mandat de recherche délivré par la Cour suprême, il s’est avéré impossible de localiser Rajendra Dhakal.

4.3Contrairement aux dispositions de la loi de 1992 sur les affaires auxquelles l’État est partie, les auteurs n’ont pas déposé de premier rapport d’information auprès de la police. S’ils le font, la police enquêtera sur l’affaire conformément à la loi. Les auteurs n’ont donc pas épuisé les recours internes disponibles.

4.4L’État partie fait observer que les violations des droits de l’homme alléguées objet de la communication auraient été commises au cours du conflit armé. En conséquence, il a décidé de créer une commission chargée d’enquêter sur les disparitions forcées, ainsi qu’une commission vérité et réconciliation, conformément à la Constitution provisoire népalaise de 2007. Des projets de loi à cet effet ont été présentés au Parlement. À la date de la soumission des observations de l’État partie, ces textes n’avaient pas encore été adoptés. Les deux commissions qui seront créées comme suite à leur adoption enquêteront sur des cas survenus pendant le conflit dans le but d’établir la vérité. L’État partie soutient que, dans ce contexte et à la lumière des efforts sincères qu’il a déployés pour créer des mécanismes de justice transitionnelle, on ne saurait conclure que la durée des procédures de recours interne a dépassé les délais raisonnables.

4.5L’État partie a versé 300 000 roupies à la famille de chacune des victimes du conflit armé qui n’ont pas été retrouvées, à titre de réparation provisoire. Les victimes pourront obtenir une réparation supplémentaire de la part de l’État une fois que le système de justice transitionnelle aura été créé.

4.6L’État partie soutient que le système de justice pénale existant fonctionne bien. En application de la loi de 1992 sur les affaires auxquelles l’État est partie, la police népalaise a enquêté sur certaines infractions commises au cours du conflit armé.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 14 décembre 2012, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie et répété les allégations formulées dans leur communication.

5.2Les auteurs soutiennent qu’en réponse à l’ordonnance de justification rendue par la Cour suprême dans le cadre de la procédure d’habeas corpus, les autorités se sont contentées de nier l’arrestation et la détention de Rajendra Dhakal, sans produire aucune preuve qu’une enquête avait été menée pour le localiser. En outre, les autorités n’ont pas contesté les conclusions de l’équipe spéciale d’enquête sur les détenus selon lesquelles la détention et la disparition forcée de l’intéressé étaient le fait de la police, conclusions sur lesquelles la Cour suprême a fondé sa décision. À ce propos, les auteurs font observer que le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires a signalé qu’au Népal, pour obtenir une ordonnance d’habeas corpus, il fallait nécessairement que les forces de sécurité admettent détenir la personne concernée, mais qu’aucune disposition légale ne contraignait celles-ci à dire la vérité, et que l’impunité continuait de régner.

5.3Les auteurs soutiennent qu’ils n’ont pas reçu 300 000 roupies de l’État partie à titre d’indemnisation provisoire. Comme il a été indiqué dans la communication (voir par. 2.12), une indemnité n’a été versée qu’au premier auteur. Les autres auteurs et Rajendra Dhakal n’ont reçu aucune indemnisation. Quoi qu’il en soit, le versement d’indemnités au titre de violations aussi graves que celles reprochées en l’espèce ne constitue pas un recours utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

5.4À la date où les auteurs ont présenté leurs commentaires, la création d’une commission vérité et réconciliation et d’une commission d’enquête sur les disparitions était incertaine. Bien qu’essentielles à l’établissement de la vérité, les enquêtes menées par des organes non juridictionnels ne peuvent en aucun cas remplacer l’accès à la justice et à des voies de recours pour les victimes de violations graves des droits de l’homme et leurs proches, le système de justice pénale étant le plus indiqué pour obtenir l’ouverture immédiate d’une enquête sur tel ou tel acte criminel et en punir les auteurs. En conséquence, les mécanismes de justice transitionnelle ne sauraient être considérés comme un recours utile devant être épuisé par les auteurs.

5.5Pour ce qui est de l’allégation de l’État partie selon laquelle ils n’ont pas déposé de premier rapport d’information, les auteurs rappellent leurs arguments précédents (voir par. 2.13). Étant donné que ni la disparition forcée, ni la torture, ni les exécutions extrajudiciaires n’ont été érigées en infractions dans l’État partie, ces crimes ne peuvent pas donner lieu au dépôt d’un premier rapport d’information ; en pratique, aucun recours n’est donc ouvert. Les auteurs ajoutent qu’en 1999, ils se sont adressés à la police à de multiples reprises. L’échec de leurs démarches les a conduits à présenter une requête en habeas  corpus le 21 janvier 1999. Ils font valoir, en outre, qu’il n’est pas certain que le premier rapport d’information constitue un recours utile puisqu’il ressort d’une décision rendue en 2008 par la Cour suprême que les cas d’homicide ne peuvent pas donner lieu au dépôt d’un tel rapport étant donné qu’ils relèvent de la compétence de la future commission vérité et réconciliation. Les auteurs soulignent que, si la loi de 1992 sur les affaires auxquelles l’État est partie prévoit des procédures en cas de meurtre et d’enlèvement, celles-ci sont inappropriées dans le cas de Rajendra Dhakal, celui-ci n’ayant pas été victime d’enlèvement mais de détention illégale puis de disparition forcée.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 4 avril 2013, l’État partie a présenté ses observations sur le fond, soutenant de nouveau que les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes et que des mesures avaient été prises pour établir un mécanisme de justice transitionnelle.

6.2L’État partie a informé le Comité que le 13 mars 2013, le Président avait promulgué un décret concernant la création d’une commission pour la recherche des personnes disparues et la vérité et la réconciliation et qu’il avait l’intention de créer une commission de haut niveau à cette fin. Selon l’État partie, il serait inopportun que le Comité examine des cas se rapportant à la période du conflit au Népal alors que le mécanisme de justice transitionnelle est sur le point de devenir opérationnel.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 24 juin 2013, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond. Ils y jugent regrettable que l’État partie ne se soit pas exprimé sur le fond de la communication en ce que cela témoigne d’une indifférence à l’égard de leurs souffrances. L’État partie n’a notamment fourni aucune information sur ce qui est arrivé à Rajendra Dhakal ni sur l’endroit où celui-ci se trouve, laissant les auteurs assumer seuls la charge de découvrir la vérité.

7.2Les auteurs réitèrent leurs arguments concernant le premier rapport d’information et font valoir que le dépôt d’un tel rapport n’est pas un recours qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En outre, bien que la Cour suprême ait conclu dans sa décision du 1er juin 2007 que Rajendra Dhakal avait été victime d’une disparation forcée imputable à la police et ait ordonné une enquête, on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu de l’intéressé ni où il se trouve.

7.3Les auteurs réaffirment que le premier auteur a reçu 150 000 roupies le 3 août 2007 et 100 000 roupies le 14 avril 2008 à titre d’indemnisation provisoire pour la disparition forcée de Rajendra Dhakal. Lorsque les violations ont un caractère aussi grave que celles commises en l’espèce, le versement d’indemnités financières ne constitue toutefois pas un recours utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

7.4À la date à laquelle les commentaires des auteurs ont été soumis au Comité, les perspectives de voir créer une commission d’enquête sur les personnes disparues, la vérité et la réconciliation étaient nulles. Certes, le décret pertinent est entré en vigueur immédiatement, mais ses effets juridiques ont été suspendus par la Cour suprême.

Réponses complémentaires des parties

8.1Le 10 octobre 2013, l’État partie a réitéré ses observations au sujet du mécanisme de justice transitionnelle et de nouveau soutenu que les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes.

8.2L’État partie a fait valoir qu’il avait versé 300 000 roupies à la famille de Rajendra Dhakal à titre de réparation provisoire. Cette somme fait partie d’un forfait initial et ne constitue pas une indemnité pour les violations subies. Les victimes auront droit à une indemnisation appropriée une fois que leur situation aura fait l’objet d’une enquête.

8.3Les auteurs n’ont pas porté plainte auprès des autorités compétentes pour dénoncer la disparition forcée de Rajendra Dhakal, bien qu’un chapitre du Code général (Muluki Ain) réprime l’enlèvement et la prise d’otages.

9.Les 6 novembre 2013 et 10 janvier 2014, les auteurs ont informé le Comité que, le 2 janvier 2014, la Cour suprême du Népal avait déclaré le décret du 14 mars 2013 portant création d’une commission d’enquête sur les personnes disparues et la vérité et la réconciliation contraire à la Constitution et aux normes internationales. La Cour suprême a ordonné aux autorités d’établir une autre commission, sans toutefois fixer de délai précis pour ce faire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note qu’en 2011, le cas de Rajendra Dhakal avait été signalé au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, le Comité rappelle que les procédures et mécanismes extraconventionnels établis par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme pour examiner et rendre compte publiquement de la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou de violations généralisées des droits de l’homme dans le monde ne s’apparentent généralement pas à des instances internationales d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent, il considère que cette disposition ne fait pas obstacle à ce qu’il examine la communication.

10.3En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note des arguments de l’État partie, qui soutient que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes faute d’avoir déposé un premier rapport d’information auprès de la police et d’avoir porté plainte sur le fondement du chapitre du Code général (Muluki Ain) relatif à l’enlèvement et à la prise d’otages, et que le cas de Rajendra Dhakal sera traité dans le cadre des mécanismes de justice transitionnelle établis conformément à la Constitution provisoire de 2007. Le Comité prend également note des allégations des auteurs, qui soutiennent avoir signalé sans tarder la disparition de Rajendra Dhakal aux autorités, notamment la police, qu’ils ont saisies à plusieurs reprises ; que le dépôt d’un premier rapport d’information ne constitue pas un recours approprié car ce type de document ne peut concerner que les infractions visées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires auxquelles l’État est partie, qui ne couvre pas les disparitions forcées et la torture ; et que les mécanismes de justice transitionnelle ne remplacent pas l’accès à la justice et ne peuvent pas être considérés comme constituant des recours utiles qu’il convient d’épuiser. Le Comité constate en outre que le deuxième auteur a déposé une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême du Népal. Dans sa décision, rendue le 1er juin 2007, la Cour a estimé que Rajendra Dhakal avait été victime d’une disparition forcée imputable à la police et a ordonné aux autorités de mener une enquête afin de déterminer ce qui lui était arrivé et où il se trouvait. En dépit de cette décision et des efforts déployés par les auteurs, plus de dix-sept ans après les faits les circonstances exactes de l’arrestation et de la disparition de Rajendra Dhakal n’ont toujours pas été élucidées et aucune enquête n’a encore abouti. Le Comité rappelle en outre qu’il ressort de sa jurisprudence qu’en cas de violations graves, un recours judiciaire doit être ouvert, et que les organes de justice transitionnelle créés par la loi no2071 (2014) ne sont pas des organes juridictionnels. En conséquence, il considère que les recours identifiés par l’État partie ont été inefficaces et conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

10.4Puisque toutes les conditions de recevabilité sont satisfaites, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité prend note des allégations des auteurs, qui avancent que le 8 janvier 1999, Rajendra Dhakal a été arrêté illégalement par des policiers dans le village de Jamdi, conduit au poste de police de Bel Chautara, détenu à l’isolement puis victime de disparition forcée, et qu’à la demande du premier auteur, le deuxième auteur a rapidement signalé l’arrestation et la disparition de son frère aux autorités. Celles-ci n’ayant pas ouvert une enquête, il a déposé une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême du Népal. Malgré les efforts des auteurs, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante n’a été menée par les autorités et on ne sait toujours pas, à ce jour, ce qu’il est advenu de Rajendra Dhakal ni où il se trouve ; en outre, personne n’a été traduit en justice ni reconnu coupable pour les actes susmentionnés.

11.3Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que les allégations des auteurs ont été examinées par la Cour suprême du Népal dans le cadre de la procédure d’habeas corpus engagée par le deuxième auteur ; que dans le cadre de cette procédure, les instances concernées ont toutes déclaré que Rajendra Dhakal n’avait pas été arrêté ni détenu par les forces de sécurité ; et que, malgré le mandat de recherche délivré par la Cour suprême, l’intéressé n’a pas pu être localisé.

11.4Le Comité réaffirme que la charge de la preuve ne peut incomber au seul auteur d’une communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que dans bien des cas, seul l’État partie peut se procurer les informations pertinentes. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les violations du Pacte qui lui sont reprochées ou sont reprochées à ses agents, et de transmettre au Comité les renseignements dont il dispose. Lorsque les allégations formulées sont corroborées par des éléments crédibles et ne peuvent être vérifiées plus avant qu’au moyen de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut considérer qu’elles sont étayées à moins que l’État partie ne les réfute par des preuves ou explications satisfaisantes.

11.5Le Comité rappelle que si l’expression « disparition forcée » n’apparaît expressément dans aucun article du Pacte, la disparition forcée est néanmoins un ensemble particulier d’actes représentant une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument.

11.6En l’espèce, le Comité constate que les auteurs ont rapidement signalé la disparition de Rajendra Dhakal aux autorités en janvier 1999, et que dans le cadre de la procédure en habeas corpus engagée par le deuxième auteur devant la Cour suprême, plusieurs entités, dont le Ministère de l’intérieur, la direction centrale de la police, à Naxal (Katmandou), les commissariats des districts de Gorkha, Nawalparasi, Kaski et Tanahun, le bataillon de la police armée de Pokhara (Kaski) et le poste de police de Bel Chautara, ont nié avoir arrêté ou détenu Rajendra Dhakal. L’équipe spéciale d’enquête sur les détenus a toutefois conclu que celui-ci avait été arrêté par 10 à 12 policiers et conduit au poste de police de Bel Chautara, puis qu’on l’avait fait disparaître. Ces conclusions ont été ultérieurement confirmées par la décision du 1er juin 2007 par laquelle la Cour suprême a ordonné aux autorités d’enquêter sur les circonstances de la disparition de Rajendra Dhakal. Le Comité relève que l’État partie n’a présenté aucun élément de preuve propre à réfuter les conclusions de la Cour suprême. L’État partie a au contraire soutenu que nonobstant le mandat de recherche délivré par la Cour suprême, Rajendra Dhakal n’avait pas pu être localisé, sans toutefois donner au Comité aucune précision sur les mesures prises pour mener une enquête approfondie et efficace, ni sur l’issue de pareille enquête. On ignore toujours où se trouve Rajendra Dhakal et, s’il est décédé, son corps n’a pas été retrouvé ni rendu à sa famille. Le Comité rappelle que dans les cas de disparition forcée, la privation de liberté, suivie du refus de reconnaître celle-ci ou de la dissimulation du sort réservé à l’intéressé, soustrait celui‑ci à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque constant et sérieux qui engage la responsabilité de l’État. En l’espèce, l’État partie n’a fourni aucun élément démontrant qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de Rajendra Dhakal. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a manqué à son obligation de protéger la vie de Rajendra Dhakal, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

11.7Le Comité prend note des allégations des auteurs, qui avancent que la détention au secret de Rajendra Dhakal depuis le 8 janvier 1999, puis sa disparition forcée, constituent en elles-mêmes un traitement contraire à l’article 7. Le Comité est conscient que le fait d’être indéfiniment détenu sans contact avec le monde extérieur cause des souffrances profondes. Il rappelle son observation générale no20 (1992) relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties d’interdire la détention au secret. En l’espèce, en l’absence d’explication satisfaisante de l’État partie, le Comité estime que la disparition forcée de Rajendra Dhakal est constitutive d’une violation de l’article 7 du Pacte. Partant, il n’examinera pas le grief, fondé sur les mêmes faits, de violation de l’article 10 du Pacte.

11.8Le Comité prend note de l’angoisse et de la détresse dans lesquelles les trois auteurs ont été plongés du fait de la disparition de Rajendra Dhakal en janvier 1999. En dépit de leurs efforts et de la décision rendue par la Cour suprême le 1er juin 2007, les auteurs n’ont jamais reçu d’explication suffisante au sujet des circonstances entourant la disparition de l’intéressé et, au cas où celui-ci serait décédé, son corps n’a pas été rendu à sa famille. En l’absence d’explication satisfaisante de l’État partie, le Comité estime que ces faits font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard des auteurs. Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas les griefs tirés de la violation des droits du troisième auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

11.9Le Comité prend note des allégations formulées par les auteurs au titre de l’article 9 du Pacte, à savoir que Rajendra Dhakal a été arrêté par la police sans qu’un mandat ait été délivré contre lui. Même en admettant qu’il ait été arrêté en vertu d’un mandat en bonne et due forme, comme celui qui a été délivré le 7 août 1998 par le tribunal de district de Tanahun, aucune des procédures prévues par le droit népalais et le droit international n’ont été respectées. L’intéressé n’a jamais été présenté à un juge ou un autre agent public habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et n’a pas pu contester la légalité de sa détention devant un tribunal. À cet égard, le Comité constate que l’État partie n’a pas contesté les conclusions formulées par la Cour suprême dans sa décision du 1er juin 2007. En l’absence d’explication satisfaisante de l’État partie, le Comité estime que les faits décrits sont constitutifs d’une violation de l’article 9 du Pacte.

11.10En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 16 du Pacte, le Comité note que les auteurs soutiennent que Rajendra Dhakal a été arrêté par des policiers ; qu’en dépit de leurs efforts, l’État partie ne leur a pas fourni d’informations suffisantes au sujet de sa disparition ; et que malgré la décision rendue par la Cour suprême le 1er juin 2007, aucune enquête n’a véritablement été menée pour déterminer ce qui lui était arrivé et où il se trouvait, en conséquence de quoi il est soustrait à la protection de la loi depuis le 8 janvier 1999. Le Comité est d’avis que la soustraction délibérée d’une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si les efforts déployés par les proches de la victime pour exercer leur droit à un recours effectif ont été systématiquement entravés. Le Comité estime donc que la disparition forcée de Rajendra Dhakal a soustrait celui-ci à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

11.11Les auteurs invoquent le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte ont été violés. Le Comité estime qu’il est important que les États parties créent des mécanismes judiciaires et administratifs chargés d’examiner les allégations de violations des droits. Il renvoie à son observation générale no31 (2004), relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui dispose notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte (par. 15). En l’espèce, le Comité constate que, peu après le placement en détention de Rajendra Dhakal, le deuxième auteur a cherché à obtenir des informations à son sujet auprès de différentes instances et a ensuite présenté une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême. Le 1er juin 2007, la Cour a estimé que Rajendra Dhakal avait été victime d’une disparition forcée imputable à la police et a ordonné aux autorités de mener une enquête. Malgré les efforts déployés par les auteurs et la décision rendue par la Cour suprême, plus de dix-sept ans après la disparition de Rajendra Dhakal l’État partie n’a toujours pas mené de véritable enquête approfondie en vue de déterminer les circonstances de sa détention et le lieu où il se trouve et de traduire en justice les responsables. L’État partie n’a pas démontré en quoi les enquêtes menées par les autorités étaient efficaces et suffisantes, ni expliqué quelles mesures concrètes avaient été prises, le cas échéant, pour éclaircir les circonstances entourant la disparition de Rajendra Dhakal, comme la Cour suprême du Népal l’avait ordonné dans sa décision du 1er juin 2007. Si l’intéressé est décédé, l’État partie n’a pas tenté de retrouver son corps pour le rendre à sa famille. Le Comité estime donc que l’État partie n’a pas enquêté sur la disparition de Rajendra Dhakal avec toute la diligence voulue. De surcroît, les sommes reçues par la famille de celui-ci à titre de réparation provisoire ne constituent pas une réparation proportionnée à la gravité des violations commises. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 et les articles 7, 9 et 16, à l’égard de Rajendra Dhakal ; ainsi qu’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard des auteurs.

12.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, ainsi qu’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16, à l’égard de Rajendra Dhakal, et des violations de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard des auteurs.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés un recours utile et de leur accorder pleine réparation. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête approfondie et efficace sur la disparition de Rajendra Dhakal et de fournir aux auteurs des informations détaillées sur l’issue de cette enquête ; b) de retrouver le corps de Rajendra Dhakal, si celui-ci est décédé, et de le remettre à la famille ; c) de poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises et de rendre publiques les mesures prises à l’encontre de ces personnes ; d) de veiller à ce que les auteurs puissent bénéficier gratuitement de tous les soins médicaux et psychologiques nécessaires et adéquats ; et e) d’offrir une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées aux auteurs, ainsi qu’à Rajendra Dhakal s’il est en vie, pour les violations subies. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. Il devrait en particulier faire en sorte que sa législation prévoie l’exercice de poursuites pénales contre les auteurs de violations graves des droits de l’homme telles que les actes de torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées, et que toute disparition forcée donne lieu à une enquête rapide, impartiale et efficace.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’il est établi qu’une violation a été commise, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie s’est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.