Nations Unies

CCPR/C/119/D/2593/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

12 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2593/2015 * , **

Communication présentée par:

M. Z. B. M. (représentée par un conseil, Gunnar Homann)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Danemark

Date de la communication:

31 mars 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1er avril 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

20 mars 2017

Objet:

Expulsion d’une femme transgenre vers la Malaisie

Questions de procédure:

Griefs non fondés ; irrecevabilité ratione loci et ratione materiae

Questions de fond:

Risque de torture ou de mauvais traitements ; immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée ; liberté de pensée, de conscience et de religion ; égalité devant la loi ; interdiction de toute discrimination

Articles du Pacte:

7, lu conjointement avec 17 (par.1), 18 (par. 1) et 26

Article s du Protocole facultatif:

2 et 3

1.1L’auteure de la communication est M. Z. B. M., de nationalité malaisienne, née en 1977. Elle affirme que son renvoi forcé en Malaisie violerait les droits qu’elle tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 17, le paragraphe 1 de l’article 18 et l’article 26 du Pacte. Elle est représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.

1.2Le 1er avril 2015, le Comité, en application de l’article 92 de son règlement intérieur et par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure vers la Malaisie tant que la communication serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1L’auteure, qui était à sa naissance de sexe masculin, a grandi dans le district de Seremban, au nord de Kuala Lumpur. Elle est d’ethnie malaise et enregistrée en tant que musulmane, mais se considère comme hindoue. À l’âge de 16 ans, elle a quitté sa famille et a déménagé à Kuala Lumpur. Elle a également commencé à porter des vêtements de femme et à prendre des hormones féminines. Elle a travaillé dans un restaurant et fait du bénévolat pour une organisation non gouvernementale locale. Sa tâche en tant que bénévole consistait à sillonner les rues pour venir en aide à des personnes séropositives ou transgenres. En 1998 ou 1999, elle a été violée par plusieurs individus non identifiés.

2.2En 2007, l’auteure a subi, en Thaïlande, une opération chirurgicale de réassignation sexuelle. Sa carte d’identité malaisienne continuait toutefois d’indiquer qu’elle était de sexe masculin, cette mention n’étant pas modifiable, et de religion musulmane.

2.3Entre 2001 et 2010, il est arrivé à plusieurs reprises à l’auteure d’être arrêtée dans la rue pour un contrôle d’identité, puis placée en garde à vue par la police malaisienne pour une durée pouvant aller jusqu’à vingt-quatre heures, et d’être victime de violences physiques et sexuelles. Une fois, elle s’est rendue dans les bureaux de la police à Kuala Lumpur pour signaler son viol, mais la police a refusé d’enregistrer sa plainte, après quoi elle n’a plus osé signaler d’autres mauvais traitements.

2.4Selon l’auteure, en avril 2012, la police de Malacca l’a conduite dans un bureau du Département des affaires islamiques, où elle a été détenue jusqu’au lendemain. Avant de la relâcher, les policiers ont pris des photographies du tatouage qu’elle portait sur la main, au motif qu’en Malaisie il n’est pas permis aux musulmans d’avoir des tatouages ni de changer de religion. Ses chaussures de femme lui ont également été confisquées car il est interdit à un homme de porter des vêtements de femme. Lorsqu’ils l’ont remise en liberté, des membres du Département des affaires islamiques l’ont informée que son dossier serait transmis à un juge pour qu’il rende son verdict.

2.5L’auteure est arrivée au Danemark le 25 janvier 2014 et a présenté une demande d’asile le 4 février 2014. À la suite de trois entretiens menés par le Service danois de l’immigration les 24 février, 3 mars et 16 avril 2014, respectivement, elle a été déboutée de sa demande le 28 août 2014. Le Service danois de l’immigration a estimé que la description qu’elle avait faite de ses gardes à vue et des sévices sexuels qui lui auraient été infligés par la police en Malaisie était incohérente et peu plausible, en particulier au regard du fait qu’elle avait quitté la Malaisie pour se rendre plus de 20 fois en Inde, à Singapour et en Thaïlande, pour de courtes périodes. Le Service danois de l’immigration a également considéré qu’il était peu plausible que l’auteure ait dû attendre janvier 2014 pour quitter la Malaisie faute, selon elle, de moyens financiers, compte tenu de ses fréquents voyages à l’étranger, dont des vacances en Inde en octobre 2013. Il a aussi relevé que l’auteure n’avait fait l’objet d’aucune inculpation et n’avait pas été placée en détention entre sa dernière arrestation en avril 2012 et son départ en janvier 2014.

2.6Le 19 décembre 2014, la Commission de recours pour les réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration. Elle a noté qu’en dépit de la menace qui aurait été proférée par le Département des affaires islamiques en avril 2012, l’auteure n’avait pas fait l’objet de poursuites pénales et que, jusqu’à son départ en janvier 2014, elle était entrée et sortie du pays en toute légalité à plusieurs reprises. La Commission a conclu que l’auteure ne courrait pas un risque réel de persécution en cas de renvoi en Malaisie.

2.7Le 25 février 2015, l’auteure a demandé la réouverture de son dossier d’asile en faisant valoir qu’une procédure à son encontre était pendante devant le tribunal islamique de Malacca, où elle était accusée de se comporter en femme et de porter des vêtements de femme, ce qui était passible d’une amende ou d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement. Elle avait obtenu par l’intermédiaire de sa famille une copie des pièces, non datées, de son dossier. Le 10 mars 2015, la Commission a procédé à l’évaluation de ces nouveaux documents, mais a rejeté la demande de réouverture du dossier d’asile, estimant que les documents n’apportaient aucune nouvelle information importante. Il ressortait de la traduction des documents du tribunal islamique, effectuée par le Service danois de l’immigration, que l’enquête contre l’auteure semblait être en cours et que le dossier devait être transmis au parquet. Le mot clos figurait dans l’intitulé du courrier adressé à la sœur de l’auteure par le tribunal islamique. La Commission a dit douter que l’auteure soit reconnue coupable, car il n’y avait pas eu de poursuites. Le 25 mars 2015, l’auteure a présenté à nouveau sa demande de réouverture de dossier en affirmant que la Commission avait commis une erreur de traduction et que le terme traduit par « clos » aurait dû l’être par l’adjectif « confidentiel ». Le 30 mars 2015, la Commission a rejeté cette demande en faisant valoir que la révision de la traduction n’avait rien changé au fait que, depuis avril 2012, ni le Département des affaires islamiques ni personne d’autre n’avait donné suite aux accusations visant l’auteure et que, depuis cette date, celle-ci avait été en mesure d’entrer et de sortir légalement du pays sans aucun problème, jusqu’à son départ en janvier 2014, et qu’en outre elle n’avait plus été placée en détention, ni n’avait subi d’autres mauvais traitements.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que son renvoi forcé en Malaisie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte en ce qu’elle risquerait d’être victime de violences sexuelles de la part de la police malaisienne. Elle fait valoir qu’en tant que femme transgenre, elle appartient à un groupe minoritaire extrêmement vulnérable. La gravité du risque qu’elle court tient à son identité de genre et à son apparence, qui ne sont pas conformes aux règles de la charia et à cause desquelles elle a déjà été victime par le passé de violences sexuelles et de discrimination de la part des autorités malaisiennes.

3.2L’auteure dénonce également une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, faisant valoir que sa conversion à l’hindouisme, interdite par la charia, l’expose au risque d’être emprisonnée en cas de renvoi en Malaisie.

3.3L’auteure allègue aussi une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 17 et l’article 26 du Pacte, liée au fait que, dans le cadre de la procédure pendante à son encontre devant le tribunal islamique, son identité de genre et son apparence sont rendues publiques, ce qui constitue une violation de son droit à la vie privée. Au surplus, compte tenu de ses documents d’identité nationaux, en cas de condamnation à une peine de prison, elle serait détenue avec des hommes, ce qui l’exposerait à de nouveaux sévices.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 1er octobre 2015, l’État partie soutient que la communication est irrecevable ou, à titre subsidiaire, dépourvue de fondement. Il décrit également la nature et le fondement juridique des procédures menées devant la Commission de recours pour les réfugiés.

4.2Pour ce qui est des faits de l’espèce, l’État partie rapporte les déclarations faites par l’auteure devant les autorités danoises. L’intéressée a indiqué qu’elle ne s’était pas officiellement convertie à l’hindouisme parce que cela n’était pas permis par l’islam et qu’elle aurait eu des problèmes avec les autorités islamiques. Au cours de l’un des entretiens, elle a dit avoir été détenue par la police et forcée à pratiquer des fellations, et ce jusqu’en décembre 2012, alors que, dans un entretien ultérieur, elle a indiqué qu’elle avait été détenue et soumise à des sévices sexuels pour la dernière fois en 2010. En ce qui concerne ses voyages, l’auteure a déclaré s’être rendue à plus de 20 reprises en Thaïlande et une quinzaine de fois à Singapour.

4.3L’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas établi qu’il existait des motifs raisonnables de croire que son renvoi en Malaisie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

4.4Pour ce qui est des griefs que l’auteure tire des articles 17, 18 et 26 du Pacte, l’État partie note que l’auteure cherche à faire appliquer de façon extraterritoriale les obligations que ces dispositions font aux États. Les violations alléguées ne sont pas fondées sur le traitement infligé à l’auteure au Danemark ou sur un territoire sous contrôle effectif de ce pays, et l’État partie ne saurait donc en être tenu pour responsable. Le Comité n’a jamais examiné au fond aucune plainte concernant l’expulsion d’une personne qui craignait la violation dans l’État de réception de dispositions autres que celles des articles 6 et 7 du Pacte. Les griefs susvisés devraient par conséquent être déclarés irrecevables ratione materiae et ratione loci.

4.5Sur le fond, l’État partie fait valoir que si elle était expulsée vers la Malaisie, l’auteure ne serait pas exposée à un risque réel de traitement relevant de l’article 7 du Pacte. Pour accorder un permis de séjour au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi danoise sur les étrangers, la Commission exige que l’intéressé ait des raisons sérieuses de craindre qu’une forme de persécution précise, d’une certaine gravité, le vise personnellement en cas de renvoi dans son pays d’origine, ces craintes devant être étayées par des faits objectifs. Pour évaluer le bien-fondé d’une telle crainte, la Commission prend notamment en considération les informations disponibles sur les persécutions dont le demandeur d’asile a été victime avant de quitter son pays d’origine.

4.6Dans sa communication au Comité, l’auteure n’a pas apporté de précisions sur sa situation autres que celles déjà fournies, que la Commission a déjà évaluées le 19 décembre 2014 et les 10 et 30 mars 2015. Dans ces décisions, la Commission a examiné les motifs de la demande d’asile de l’auteure, ainsi que les documents et les informations sur sa situation qu’elle a produits à l’appui de sa demande, y compris les documents du tribunal islamique. La Commission a considéré comme un fait établi l’opération chirurgicale de réassignation sexuelle à laquelle s’est soumise l’auteure et n’a pu exclure qu’elle ait été placée en détention pour de courtes périodes, notamment en avril 2012. Elle n’a cependant pas considéré comme un fait établi que l’intéressée ait subi des sévices sexuels. Les déclarations de l’auteure au sujet des viols dont elle aurait été victime laissent de nombreuses incertitudes quant aux circonstances, au nombre des auteurs, aux événements et aux villes dans lesquelles ces faits se seraient produits. De manière générale, la Commission a estimé qu’il n’était pas plausible que l’auteure ait subi ce type d’agressions. Pour ce qui est des menaces formulées par le Département des affaires islamiques en avril 2012 concernant l’ouverture de poursuites judiciaires contre l’auteure, la Commission a souligné que rien n’avait été fait depuis lors pour mettre à exécution cette menace et que l’intéressée était entrée et sortie du pays à de nombreuses reprises entre avril 2012 et son départ en janvier 2014. La Commission a également fait observer que la plupart des événements mentionnés par l’auteure avaient eu lieu plusieurs années auparavant et que l’intéressée avait pu, dans une large mesure, mener une vie tolérable dans son pays d’origine, y compris avec sa famille, à Seremban, où sa mère avait été pour elle d’un grand soutien. La Commission a conclu que l’auteure n’était pas parvenue à établir la preuve du risque de persécution qu’elle courrait en cas de renvoi.

4.7L’État partie note que la Commission n’a pas estimé qu’à son retour l’auteure devrait dissimuler son identité sexuelle ou religieuse pour éviter d’être maltraitée. Bien que l’intéressée ait informé la police locale de son identité sexuelle et religieuse, elle a pu vivre une vie normale sans avoir subi de mauvais traitements. Dans son évaluation, la Commission a pris en considération la vulnérabilité particulière de l’auteure.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 5 février 2015, l’auteure a affirmé avoir démontré à suffisance qu’il existait des motifs sérieux de croire que son renvoi en Malaisie violerait l’article 7 du Pacte.

5.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel elle cherche à faire appliquer les articles 17, 18 et 26 de façon extraterritoriale, l’auteure précise qu’elle fait valoir que les expériences qu’elle a vécues par le passé, associées aux informations générales disponibles au sujet de la situation des femmes transgenres en Malaisie, confirment qu’en tant que femme, son droit à la vie privée et à la liberté de religion serait bafoué en Malaisie. Sous l’effet cumulé de ces éléments, le risque de subir des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi s’en trouve accru.

5.3L’auteure dit que, malgré l’opération de réassignation sexuelle qu’elle a subie et la prise d’hormones féminines, son apparence physique − elle mesure 1,70 m, pèse 105 kg et chausse du 44, et semble donc inhabituellement grande pour une femme − fait qu’on la soupçonne d’être un homme habillé en femme. C’est très probablement la raison pour laquelle elle a souvent fait l’objet de contrôles d’identité par la police malaisienne et courrait à nouveau ce risque. En outre, à l’occasion de ces contrôles, les tatouages qu’elle porte sur la poitrine, la main gauche et le dos seraient découverts, ce qui donnerait lieu à son renvoi devant le tribunal islamique dans le cadre de la procédure toujours pendante à son encontre.

5.4L’auteure cite différents rapports d’organisations gouvernementales et non gouvernementales sur la situation des personnes transgenres en Malaisie. En particulier, il est dit dans un rapport de Human Rights Watch que la discrimination contre les personnes transgenres est généralisée et que la Cour fédérale a décidé en octobre 2016 d’infirmer une décision d’une juridiction inférieure qui avait déclaré contraire à la Constitution une disposition de la charia de l’État de Negeri Sembilan qui incriminait le travestissement. Selon un rapport du Département d’État des États-Unis d’Amérique, les personnes transgenres sont souvent poursuivies pour « attentat à la pudeur » au titre de la loi sur les délits mineurs et peuvent être condamnées à une amende, ou en cas de récidive, à une peine pouvant aller jusqu’à trois mois d’emprisonnement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note du grief de l’auteure qui affirme que son renvoi vers la Malaisie l’exposerait, en raison de sa prétendue conversion à l’hindouisme, au risque d’être emprisonnée, en violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, car la conversion est interdite par la charia en Malaisie. Le Comité prend toutefois note de la déclaration de l’État partie qui affirme que l’auteure avait indiqué aux autorités danoises qu’elle ne s’était pas officiellement convertie à l’hindouisme. L’auteure n’a d’ailleurs donné aucun détail au Comité au sujet de sa prétendue conversion ou des conséquences de celle-ci. Elle n’a pas fait valoir que la procédure engagée à son encontre devant le tribunal islamique de Malacca serait liée à sa conversion à l’hindouisme, ni qu’elle aurait été d’une quelconque autre manière victime de persécution en raison de sa conversion, et elle n’a pas non plus fourni de détails au sujet du risque de persécution qu’elle courrait en cas de renvoi ou de la nature de ces éventuelles persécutions. Dès lors, le Comité conclut que ce grief n’est pas suffisamment fondé et qu’il est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure cherche à faire appliquer les articles 17 et 26 du Pacte de façon extraterritoriale. Il relève cependant que l’intéressée a précisé que les griefs qu’elle soulevait devant le Comité étaient essentiellement fondés sur l’article 7 du Pacte et que le risque pesant sur les droits qu’elle tenait des articles 17 et 26 accentuait celui qu’elle soit soumise à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi en Malaisie. Le Comité estime donc que les griefs que l’auteure tire des articles 17 et 26 ne peuvent être dissociés de ceux tirés de l’article 7, qui appellent un examen au fond.

6.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les griefs que l’auteure tire de l’article 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés. Le Comité relève toutefois qu’en tant que personne transgenre, l’auteure fait partie d’un groupe particulièrement vulnérable en Malaisie, qu’elle affirme avoir été placée en détention et soumise à des violences sexuelles à plusieurs reprises en raison de son apparence et de son identité de genre, qui ne correspondent pas aux mentions figurant sur ses documents d’identité et contreviennent aux règles de la charia, et qu’elle a fait valoir que son renvoi en Malaisie l’exposerait au risque d’être de nouveau harcelée et maltraitée par la police. En conséquence, le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé aux fins de la recevabilité les autres griefs qu’elle tire de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 17 et l’article 26 du Pacte, en se fondant sur l’argument de son identité de genre.

6.7Dès lors, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au titre de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 17 et l’article 26 du Pacte, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteure qui affirme qu’en cas de renvoi en Malaisie elle risque d’être victime de violences sexuelles de la part de la police malaisienne en raison de son identité de genre. L’intéressée fait valoir que, depuis l’opération de réassignation sexuelle et le traitement hormonal qu’elle a pris, et du fait qu’elle porte des vêtementsféminins, son apparence ne correspond plus aux mentions figurant sur ses documents d’identité, raison pour laquelle elle a plusieurs fois été arrêtée, soumise à des sévices sexuels par la police malaisienne et accusée, sur la base de la charia telle qu’appliquée dans l’État de Malacca, d’une infraction pénale passible d’une amende ou d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement. Compte tenu de ce qu’elle a vécu par le passé et du contexte général de pénalisation de la transsexualité et de persécution des femmes transgenres, dont attestent des rapports internationaux produits par l’auteure, celle-ci fait valoir qu’en raison de son apparence il est probable qu’en cas de renvoi en Malaisie elle soit constamment contrôlée et que les tatouages qu’elle porte augmentent le risque qu’elle soit renvoyée devant le tribunal islamique. Elle dit qu’étant donné l’existence d’une procédure pendante à son encontre devant le tribunal islamique de Malacca, son identité de genre serait rendue publique, en violation de son droit à la vie privée. Elle dit, en outre, que si elle était emprisonnée, elle serait détenue avec des hommes compte tenu de la mention figurant sur ses documents d’identité nationaux, ce qui l’exposerait à de nouveaux sévices.

7.3Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans lequel il se réfère à l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser une personne de leur territoire ou la transférer par d’autres moyens s’il existe des motifs sérieux de croire que celle-ci court un risque réel de préjudice irréparable,tel le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte qui interdit les traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité a aussi établi qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence et réaffirme qu’il convient d’accorder un poids considérable à l’analyse qu’a faite l’État partie et que c’est généralement aux juridictions des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les éléments de preuve en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

7.4En l’espèce, le Comité prend note de la reconnaissance par l’État partie du fait que l’auteure ait changé de sexe et qu’elle ait pu être détenue par le passé. Toutefois, le Service danois de l’immigration comme la Commission de recours pour les réfugiés ont effectué un examen approfondi des affirmations de l’intéressée et des éléments de preuve produits, et conclu que les allégations de détention, et en particulier de sévices sexuels, qu’elle avait formulées étaient insuffisamment étayées et incohérentes à différents égards, notamment en ce qui concernait le nombre, la date et le lieu de ces prétendus événements, ainsi que le nombre de leurs auteurs. À ce propos, le Comité relève que dans sa communication l’auteure décrit ces incidents d’une manière très générale. Pour ce qui est des poursuites sur le fondement de la charia et des menaces d’emprisonnement adressées à l’auteure à ce sujet en 2012, la Commission a également examiné les pièces du dossier afférentes à la procédure devant le tribunal islamique produites par l’auteure mais elle a relevé que, depuis avril 2012, aucune suite n’avait été donnée aux accusations portées contre l’intéressée et qu’entre cette date et son départ définitif en janvier 2014, l’auteure s’était fréquemment rendue à l’étranger sans jamais rencontrer aucun problème et n’avait pas été placée en détention ni harcelée d’une quelconque autre manière au cours de cette période. La Commission a également exprimé des doutes quant au fait que l’auteure ait retardé son départ jusqu’en janvier 2014 faute de moyens financiers, compte tenu des voyages à l’étranger qu’elle a mentionnés.

7.5Le Comité note que l’auteure n’a mis au jour aucune irrégularité dans le processus décisionnel, ni aucun facteur de risque dont les autorités de l’État partie n’auraient pas dûment tenu compte. Si elle a contesté les conclusions auxquelles sont parvenues les autorités danoises de l’immigration en ce qui concerne les faits, l’auteure n’a pas expliqué en quoi les procédures conduites par ces autorités auraient été arbitraires ou auraient constitué un déni de justice.

7.6Dès lors, le Comité ne saurait conclure que le renvoi de l’auteure en Malaisie constituerait une violation des droits qu’elle tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 17 et l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que le renvoi de l’auteure en Malaisie ne constituerait pas une violation des droits qui lui sont garantis à l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 17 et l’article 26 du Pacte.