Nations Unies

CCPR/C/112/D/2111/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 novembre 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 2111/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

SharmilaTripathi (representée par un conseil, TrackImpunityAlways-TRIAL)

Au nom de:

L’auteure, GyanendraTripathi (son mari) etC.T. (leur fille mineure)

État partie:

Népal

Date de la communication:

28 septembre 2011(date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21octobre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

29 octobre 2014

Objet:

Disparition forcée

Question(s) de fond:

Droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; reconnaissance de la personnalité juridique; liberté d’association; droit de l’enfant à des mesures de protection; droit à un recours utile

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 16, 22 et 24 (par. 1), pris isolément et lu conjointement avec l’article 2 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2111/2011 *

Présentée par:

SharmilaTripathi(representée par un conseil, TrackImpunityAlways-TRIAL)

Au nom de:

L’auteure, GyanendraTripathi (son mari) et C. T. (leur fille mineure)

État partie:

Népal

Date de la communication:

28 septembre 2011(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29octobre2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2111/2011, présentée par SharmilaTripathien vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteure de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteure de la communication est Sharmila Tripathi, qui présente la communication en son nom propre, au nom de son mari, Gyanendra Tripathi, et au nom de leur fille mineure, C. T. Tous trois sont de nationalité népalaise et sont nés, respectivement, le 1er janvier 1969, le 8 juin 1969 et le 21 janvier 2002. L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits que M. Tripathi tient des articles 6, 7, 9, paragraphes 1 à 4, 10, paragraphe 1, 16 et 22, pris isolément et lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les droits qu’elle-même tient de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, et les droits que sa fille mineure tient de l’article 7, lu conjointement avec les articles 2, paragraphe 3, et 24, paragraphe 1, du Pacte. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En raison du conflit armé sévissant dans le pays, les autorités de l’État partie ont proclamé l’état d’urgence en novembre 2001. L’ordonnance de 2001 relative aux activités terroristes et destructrices a autorisé les agents de l’État à procéder à des arrestations sur la base de simples soupçons de participation à des activités terroristes et différents droits de l’homme et libertés fondamentales garantis par la Constitution ont été suspendus. Dans ce contexte, les deux parties au conflit, y compris la police et l’Armée royale népalaise, ont commis des atrocités et les disparitions forcées sont devenues très répandues. En outre, en août 2003, l’armée a détenu arbitrairement plusieurs membres du Syndicat national indépendant étudiant du Népal (révolutionnaire) (ANNISU-R), branche étudiante du Parti communiste népalais-maoïste (PCN-M). Pendant cette période, la caserne de Maharajgunj à Katmandou, où étaient cantonnés les bataillons Bhairabnath et Yudha Bhairab de l’armée, est devenu tristement célèbre comme lieu où des maoïstes présumés étaient placés en détention et victimes de mauvais traitements, de torture, de disparition et d’assassinat.

2.2M. Tripathi était membre du Comité central de l’ANNISU-R et directeur de la division de l’éducation, à Katmandou. Le 2 août 2003 ou vers cette date, il a été arrêté par des militaires. Il a été détenu dans un lieu inconnu dans la vallée de Katmandou pendant dix-sept jours et placé au secret les trois premiers jours qui ont suivi son arrestation. Il a été gravement maltraité. Le 19 août 2003 ou vers cette date, il a été remis à la police et placé en détention au Bureau de la police de district à Hanumandhoka (Katmandou), jusqu’à sa remise en liberté le 5 septembre 2003. Il a alors habité chez un ami à Shantinagar, dans la municipalité de Banseshwor (district de Katmandou). Il s’est entretenu tous les jours au téléphone avec l’auteure jusqu’au 26 septembre 2003. Après cette date, l’auteure n’est plus parvenue à le joindre.

2.3Comme l’auteure savait que son mari avait rendez-vous avec un ami à la porte de Shantinagar le 27 septembre 2003, elle s’y est rendue. Cependant, un pompiste lui a dit qu’il avait vu un homme, qui correspondait à la description de son mari, être arrêté et emmené par un groupe de personnes en civil. L’auteure a supposé que son mari avait été emmené par l’Armée, ce qui était arrivé à beaucoup d’autres sympathisants maoïstes.

2.4Le 28 septembre 2003, l’auteure a essayé de signaler l’arrestation arbitraire de son mari au Bureau de la police de district à Hanumandhoka (Katmandou), mais on lui a dit que ces «incidents» ne relevaient pas de la compétence de la police. Le même jour, elle s’est rendue dans plusieurs casernes de l’armée dans la vallée de Katmandou pour tenter de savoir ce qu’était devenu son mari, sans succès. Elle a continué de se rendre régulièrement dans ces casernes jusqu’à la signature, en mai 2006, de l’accord de cessez-le feu entre le PCN-M et l’Alliance des sept partis. Même si elle n’a jamais été harcelée ni menacée, chaque fois qu’elle s’est rendue dans les casernes, elle s’est heurtée à la parfaite indifférence des officiers de l’armée.

2.5Le 29 septembre et le 1er octobre 2003, respectivement, un avocat agissant de sa propre initiative, M. S. P., et l’auteure ont saisi la Cour suprême de requêtes en habeas corpus concernant M.Tripathi. L’auteure a fait valoir que son mari avait été détenu illégalement par les forces de sécurité et a demandé à la Cour d’ordonner sa remise en liberté.

2.6Le 30 septembre et le 1er octobre 2003, la police, l’armée et le Ministère des affaires intérieures, entre autres autorités, ont informé la Cour suprême qu’ils n’avaient pas arrêté ni détenu M. Tripathi. Dans les semaines qui ont suivi, d’autres autorités ont également affirmé qu’elles ne l’avaient pas détenu. En octobre 2003, l’auteure a aussi signalé la détention arbitraire de son mari à la Commission nationale des droits de l’homme et a demandé à celle-ci de l’aider à obtenir sa libération.

2.7Le 13 novembre 2003, le Ministère de la défense, sans donner de détail ni d’explication, a informé la Cour suprême qu’il avait conclu des informations disponibles que Gyanendra Tripathi n’était pas détenu par l’Armée.

2.8Le 26 janvier 2004, la Cour suprême a annulé les requêtes en habeas corpus soumises par l’auteure et M. S. P. Elle a indiqué que ceux-ci n’avaient pas montré que M. Tripathi était détenu ni par qui il l’était, que, pour qu’un mandat de perquisition soit délivré, les requérants doivent aider la Cour en identifiant le lieu ou l’organisme à perquisitionner, et que c’est seulement une fois que l’on saurait où se trouvait le détenu qu’une nouvelle requête en habeas corpus pourrait être soumise. La Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de mener des enquêtes complémentaires.

2.9En mai 2006, le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) au Népal a publié un rapport d’enquête sur la détention arbitraire, la torture et les disparitions à la caserne de Maharajgunj (Katmandou) en 2003 et 2004. Ce rapport contenait une liste de personnes disparues dans laquelle figurait le nom de M. Tripathi et indiquait que des membres du bataillon Bhairabnath avaient placé en détention plusieurs membres de l’ANNISU-R, que ceux-ci étaient au secret et que l’Armée affirmait à leurs familles ou aux autres autorités qu’elle ne les avaient pas détenus. Il indiquait également que M. Tripathi était vivant et sous le contrôle du bataillon au moins jusqu’au 20 décembre 2003.

2.10Le 4 juillet 2006, la Commission nationale des droits de l’homme a constaté que M. Tripathi avait été arrêté, détenu à la caserne de Maharajgunj puis victime de disparition aux mains du bataillon Bhairabnath. Elle a recommandé au Gouvernement de le placer sous la protection de la loi et de poursuivre les responsables des infractions commises. Cependant, les autorités n’ont pris aucune mesure à cet égard.

2.11Le 1er juin 2007, la Cour suprême a rendu un arrêt concernant une autre requête en habeas corpus soumise par M. R. D. qui, agissant de sa propre initiative, avait ajouté à titre de requérants M. Tripathi et d’autres personnes qui avaient été détenues arbitrairement par des agents de l’État entre janvier 1999 et février 2004. La Cour a déclaré qu’ils avaient été arrêtés illégalement et victimes de disparition forcée aux mains de membres du personnel de sécurité, et a ordonné au Gouvernement de prendre des mesures immédiates pour que les auteurs rendent compte de leur actes, et notamment d’établir une commission d’enquête, d’incriminer la disparition forcée, de mener des enquêtes et de poursuivre les responsables des disparitions, et d’offrir une indemnisation et une assistance appropriées aux victimes et à leurs familles.

2.12Le 7 septembre 2009, la Commission nationale des droits de l’homme a publié un rapport concernant la caserne de Maharajgunj, dans lequel elle indiquait que le mari de l’auteure avait été détenu dans cette caserne puis avait disparu. Elle a aussi noté que 43 personnes placées en détention à la caserne de Maharajgunj avaient été emmenées au Parc national de Shivapuri, dans la vallée de Katmandou, et tuées entre décembre 2003 et janvier 2004.

2.13L’auteure affirme qu’elle s’est efforcée d’épuiser toutes les voies de recours internes. Sa requête en habeas corpus a été annulée par la Cour suprême, la plus haute juridiction interne, et il n’y a pas d’autre voie de recours interne à épuiser. La Commission nationale des droits de l’homme ne peut pas être considérée comme offrant un recours utile. Quant au premier rapport d’information, cette procédure ne s’applique qu’aux infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, laquelle ne mentionne pas les disparitions forcées ni la torture. En outre, le dépôt d’un premier rapport d’information dans les cas de disparition ne constitue pas un recours approprié car les autorités font généralement valoir que la mort de la personne ne peut pas être prouvée en l’absence du corps. Même si la torture est interdite conformément à la Constitution provisoire et à l’article 3, paragraphe 1, de la loi de 2053 (1996) relative à l’indemnisation en cas de torture, elle n’a pas été incriminée en droit interne. La loi ne prévoit pas de responsabilité pénale mais uniquement une indemnisation d’un montant maximum de 100 000 roupies népalaises et la demande doit être faite dans les trente-cinq jours qui suivent les faits de torture ou la remise en liberté. Bien que la Cour suprême ait ordonné en 2007 d’incriminer la disparition forcée, aucune mesure n’a été prise à cet égard.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que son mari a été victime de disparition forcée et que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 6, 7 et 9, paragraphes 1 à 4, 10, paragraphe 1, 16 et 22, pris isolément et lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, les droits qu’elle-même tient de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, et les droits que sa fille mineure tient de l’article 7, lu conjointement avec les articles 2, paragraphe 3, et 24, paragraphe 1, du Pacte.

3.2L’auteure affirme que, même s’il n’y a pas de témoins oculaires du moment précis où son mari a été arrêté, il existe de solides raisons de croire que celui-ci a été victime d’une arrestation arbitraire le 26 septembre 2003, détenu à la caserne de Maharajgunj et victime de disparition forcée aux mains d’agents de l’État. En outre, compte tenu des témoignages et d’autres éléments de preuve concordants qui émanent de différentes sources fiables, il est raisonnable de présumer que son mari a été tué par des membres de l’Armée. Sa privation arbitraire de liberté a eu lieu dans un contexte d’arrestations massives, de disparitions forcées et de torture de personnes soupçonnées d’être maoïstes. Compte tenu de ces circonstances, la charge de la preuve incombe à l’État partie qui doit donner une explication satisfaisante et convaincante et établir avec certitude et révéler ce qui est arrivé à son mari et le lieu où il se trouve. En conséquence, étant donné que l’État partie n’a pas démontré le contraire, l’auteure soutient que la disparition forcée de son mari en tant que telle et le meurtre qui l’a suivie sont constitutifs de violations par l’État partie des droits reconnus à son mari par l’article 6 du Pacte.

3.3La détention au secret et la disparition forcée du mari de l’auteure constituent en elles-mêmes un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. En le maintenant en détention, sans contact avec le monde extérieur depuis septembre 2003, les autorités l’ont mis à la merci des officiers de la caserne de Maharajgunj. En outre, selon des témoins oculaires qui l’ont vu à la caserne, son mari était dans un très mauvais état et portait des marques de torture apparentes. Il a été solidement établi que la torture était une pratique courante à la caserne de Maharajgunj.

3.4Les conditions de détention de M.Tripathi à la caserne de Maharajgunj constituaient également une violation des droits reconnus par les articles7 et 10, paragraphe1, du Pacte. Selon les témoignages d’anciens détenus et les rapports de laCommission nationale des droits de l’homme et du Bureau du HCDH au Népal, les détenus étaient menottés et avaient les yeux bandés en permanence. Ils étaient placés dans des cellules surpeuplées, n’avaient qu’un accès limité à de la nourriture de très mauvaise qualité, et l’eau et les toilettes étaient sales. Ceux qui souffraient de maladies et d’infections ne recevaient pas de traitement médical.

3.5Le mari de l’auteure a aussi été victime de violations des droits consacrés par les paragraphes1 à 4 de l’article9 du Pacte. Le fait qu’il ait été vu en vie pour la dernière fois aux mains de l’Armée à la caserne de Maharajgunj, dans le contexte d’arrestations massives de personnes soupçonnées d’être des maoïstes, permet de présumer qu’il a été arrêté le 26septembre 2003 par des agents de l’État, sans aucun fondement juridique. Sa détention n’a pas été consignée dans un registre officiel ni enregistrée et ses proches ne l’ont jamais revu. Il n’a jamais été inculpé et n’a pas non plus été présenté à un juge ou à tout autre agent habilité par la loi à exercer le pouvoir judiciaire. Il n’a pas eu la possibilité d’engager une action devant un tribunal pour contester la légalité de sa détention.

3.6Compte tenu de sa disparition forcée et du fait que les autorités n’ont pas mené d’enquête efficace pour déterminer où il se trouvait et ce qui lui était arrivé, M. Tripathi est depuis septembre 2003 soustrait à la protection de la loi, ce qui l’empêche de jouir de ses droits de l’homme et de ses libertés. En conséquence, l’État partie est responsable d’une violation continue de l’article 16 du Pacte.

3.7L’auteure affirme que la détention arbitraire, la disparition forcée et la privation arbitraire présumée de la vie de son mari étaient directement liées à son appartenance àl’ANNISU-R et, en conséquence, constituent une violation du droit consacré au paragraphe1 de l’article22 du Pacte.

3.8Bien que l’auteure ait rapidement signalé la privation arbitraire de liberté et la disparition forcée de son mari, il n’y a eu aucune enquête d’office diligente, impartiale, approfondie et indépendante et le sort de son mari ainsi que le lieu où il se trouve restent inconnus. En outre, jusqu’à ce jour, nul n’a été convoqué ou condamné pour la privation arbitraire de liberté, la disparition forcée, la torture et la très probable exécution arbitraire dont son mari a été victime et la dissimulation subséquente de sa dépouille. Il en résulte que l’État partie a violé et continue de violer les droits consacrés par l’article6, paragraphe1, l’article7, l’article9, paragraphes1 à 4, l’article10, paragraphe1, et les articles16 et 22, luconjointement avec l’article2, paragraphe3, du Pacte.

3.9L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, car elle a été plongée dans une angoisse et une détresse profondes en raison de l’arrestation arbitraire puis de la disparition forcée de son mari, ainsi que des actes et omissions des autorités dans le traitement de ces problèmes. À la suite de la disparition de son mari, elle a dû élever sa fille toute seule. À ce sujet, elle fait valoir que les épouses et les familles des personnes disparues sont souvent stigmatisées au Népal.

3.10L’auteure affirme aussi que sa fille est victime d’une violation des droits qu’elle tient de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, et l’article 24, paragraphe 1, du Pacte. La fillette était âgée de un an et huit mois au moment de la disparition de son père. En tant qu’enfant, elle a été particulièrement touchée car elle a dû grandir sans pouvoir jouir d’une vie de famille et elle vit dans l’angoisse permanente de ne pas savoir où est son père et s’il va revenir.

3.11L’auteure demande au Comité de recommander à l’État partie: a) d’ordonner d’urgence une enquête indépendante pour déterminer le sort de son mari et le lieu où celui-ci se trouve et, s’il est décédé, de localiser, d’exhumer, d’identifier et de respecter sa dépouille et de la restituer à la famille; b) de traduire devant les autorités civiles compétentes les auteurs de ces actes afin qu’ils soient poursuivis, jugés et punis et de rendre publics les résultats de ces mesures; c) de suspendre provisoirement tous les officiers de l’armée à l’égard desquels il existe un commencement de preuve qu’ils ont pris part aux crimes commis contre son mari, en attendant le résultat de l’enquête; d) de veiller à ce que les personnes soupçonnées d’avoir commis ces crimes ne soient pas dans une position qui leur permette d’influer sur le déroulement de l’enquête au moyen de pressions, d’actes d’intimidation ou de représailles contre les plaignants, les témoins, leurs familles, leurs conseils ou d’autres personnes participant à l’enquête; e) de veiller à ce que l’auteure et sa fille obtiennent une réparation intégrale et une indemnisation rapide, juste et appropriée; f) de veiller à ce que les mesures de réparation couvrent le préjudice matériel et moral et que des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction soient prises et des garanties de non-répétition formulées. Elle demande notamment que l’État partie reconnaisse sa responsabilité internationale à l’occasion d’une cérémonie publique en présence des autorités et des proches de M. Tripathi qui devraient recevoir des excuses officielles et que l’État partie nomme une rue, érige un monument ou pose une plaque à la mémoire de toutes les personnes qui ont été victimes de disparition forcée et de torture au cours du conflit armé interne, en mentionnant expressément le cas de M. Tripathi de sorte que celui-ci soit complètement réhabilité. L’État partie devrait également fournir à l’auteure une prise en charge médicale et psychologique immédiate et gratuite par l’intermédiaire de ses institutions spécialisées, et lui permettre d’accéder à l’aide juridique, en tant que de besoin, afin de lui garantir des recours disponibles, utiles et suffisants. De même, la fille de l’auteure devrait bénéficier d’une bourse d’études jusqu’à la fin de ses études. Pour garantir que de tels actes ne se reproduisent pas, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les disparitions forcées et la torture, ainsi que les différentes formes de participation à ces crimes, constituent des infractions autonomes en vertu de son Code pénal, punies de peines appropriées tenant compte de leur extrême gravité. Enfin, l’État partie devrait mettre en place dès que possible des programmes d’éducation au droit international des droits de l’homme et au droit international humanitaire à l’intention de l’ensemble des membres des forces armées, des forces de sécurité et du personnel judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 10 mai 2012, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il fait valoir que la communication n’est pas conforme aux dispositions des alinéas b, c et f de l’article 96 du règlement intérieur du Comité. Il affirme que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes, car elle n’a pas déposé de premier rapport d’information auprès de la police pour les violations présumées des droits de l’homme dont elle fait état dans sa communication. En outre, les recours en habeas corpus comme celui qu’a engagé l’auteure se limitent à l’examen de la légalité d’une détention et un tribunal ne rend une ordonnance d’habeas corpus que s’il est prouvé que la détention a eu lieu.

4.2La législation en vigueur au moment où l’État partie a présenté ses observations permettait aux victimes de torture de demander une indemnisation. L’État partie indique aussi que des amendements au Code pénal et d’autres textes visant à incriminer la disparition forcée, ainsi que deux projets de loi portant création d’une Commission vérité et réconciliation et d’une Commission sur les disparitions étaient en attente d’approbation par le Parlement. La création de ces commissions a été convenue par le Gouvernement et le Parti communiste népalais-maoïste dans l’Accord de paix global du 21 novembre 2006 et est également prévue par l’article 33 q) et s) de la Constitution provisoire de 2007. Ces commissions auront compétence pour mener des enquêtes portant sur des infractions commises pendant le conflit armé, du 13 février 1996 au 21 novembre 2006.

4.3En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie soutient que les allégations de l’auteure ne sont pas fondées sur des faits et des preuves fiables, mais sur de simples soupçons. L’auteure affirme qu’il existe des raisons de croire que son mari a été exécuté arbitrairement par des agents de l’État à la caserne de Maharajgunj. Néanmoins, dans la requête en habeas corpus dont elle a saisi la Cour suprême, elle n’a pas indiqué où se trouvait M. Tripathi ni prouvé qu’il avait effectivement été arrêté et détenu par des agents de l’État.

4.4L’État partie indique que, en mai 2005, un comité a été mis en place et chargé d’enquêter sur la situation des personnes disparues. Au moment où l’État partie a soumis ses observations, ce comité avait mené des enquêtes sur la situation de 174 personnes disparues. Dans ce contexte et compte tenu des efforts sincères qu’il fait pour créer des mécanismes de justice transitionnelle, l’État partie demande au Comité de ne pas examiner la communication de l’auteure. Il souligne que la détention arbitraire et la disparition forcée présumées de M. Tripathi n’ont pas encore été prouvées et que seule une enquête indépendante peut déterminer ce qui lui est arrivé et le lieu où il se trouve et permettre de punir les responsables des violations de ses droits.

4.5La Cour suprême a ordonné que la somme de 100 000 roupies népalaises soit versée à la famille proche de toute personne disparue dont la situation n’avait pas été clarifiée. À ce titre, 300 000 roupies népalaises ont été allouées à l’auteure à titre d’indemnisation provisoire.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 23 juin 2012, l’auteure a rejeté les observations de l’État partie. Elle soutient que ses griefs sont suffisamment étayés et réaffirme que des preuves substantielles et concordantes, émanant de différentes sources fiables, montrent que son mari a été détenu arbitrairement puis victime de disparition forcée. Compte tenu de ces éléments de preuve et du contexte de répression systématique contre les sympathisants maoïstes, il est raisonnable de conclure que son mari courait un risque grave de subir des préjudices irréparables pour son intégrité et sa vie. À ce sujet, l’auteure souligne que son mari n’était pas seulement membre de l’ANNISU-R, mais aussi directeur de sa division de l’éducation et membre du Comité central à Katmandou. Par conséquent, son mari a été arbitrairement privé de liberté puis victime de disparition forcée et probablement tué par des membres de l’Armée.

5.2La communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication. Depuis 2003, l’auteure s’est adressée aux autorités pour leur demander d’élucider le sort de son mari et de déterminer le lieu où celui-ci se trouvait. Son espoir que la lumière soit progressivement faite sur le cas de son mari a été notamment renforcé par l’arrêt rendu par la Cour suprême le 1er juin 2007. Par la suite, l’auteure a hésité à demander la mise en œuvre de cette décision car elle craignait pour sa vie et celle de sa fille. Enfin, elle souligne que l’article 96 c) du règlement intérieur du Comité s’applique aux communications présentées après janvier 2012.

5.3En ce qui concerne la condition de l’épuisement des voies de recours internes, l’auteure estime que le recours en habeas corpus ne se limite pas à l’examen de la légalité d’une détention, mais vise aussi à obtenir la remise en liberté de la personne concernée si la détention est jugée arbitraire. Dans le cas de son mari, l’État partie a fait valoir que sa détention devait être prouvée pour qu’une ordonnance d’habeas corpus soit rendue. Toutefois, si tel était le fondement logique de ce recours, celui-ci n’aurait aucune utilité dans le cas d’une disparition forcée. Compte tenu de tous les éléments qui indiquaient que son mari avait été victime de disparition forcée, c’est aux autorités de l’État partie qu’il incombait d’enquêter sur les circonstances de sa détention et de déterminer ce qui lui était arrivé et le lieu où il se trouvait. L’auteure rappelle que le premier rapport d’information n’est pas un recours utile et que, même dans les cas où de tels rapports peuvent être déposés, la police refuse généralement de les enregistrer lorsque des policiers ou des membres de l’armée sont impliqués. Quant à l’argument de l’État partie qui fait valoir que les victimes de torture peuvent demander une indemnisation, l’auteure souligne que la loi relative à l’indemnisation en cas de torture est un texte de droit civil qui ne prévoit qu’une indemnisation et, éventuellement, des mesures disciplinaires applicables aux auteurs.

5.4À la date où l’auteure a présenté ses commentaires, il n’y avait aucune certitude quant à la mise en place des futures Commission vérité et réconciliation et Commission sur les disparitions et à leur capacité de mener des enquêtes et d’engager des poursuites diligentes, indépendantes et efficaces. En outre, ces commissions ne seraient pas des organes judiciaires et les projets de loi comportaient une clause prévoyant une amnistie générale pour les auteurs de violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, y compris les disparitions forcées. Bien qu’elles soient essentielles pour établir la vérité, les enquêtes menées par des organes non judiciaires ne sauraient en aucun cas remplacer l’accès à la justice et à des voies de recours pour les victimes de violations graves des droits de l’homme et leurs proches, le système de justice pénale constituant la meilleure voie pour obtenir l’ouverture immédiate d’une enquête sur des actes criminels et la punition des auteurs.

5.5L’engagement de respecter les droits de l’homme que l’État partie a exprimé dans ses observations n’est ni étayé ni pertinent dans le cas du mari de l’auteure. À ce sujet, il est souligné que l’État partie n’a pas donné effet à l’arrêt rendu par la Cour suprême le 1er juin 2007.

5.6La somme de 300 000 roupies népalaises reçue par l’auteure à titre d’indemnisation provisoire représente un montant dérisoire au regard du préjudice matériel et moral subi par l’intéressée et sa fille et ne saurait être considérée comme constituant un recours interne utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. En outre, une simple indemnisation d’ordre pécuniaire n’est pas suffisante pour des violations des droits de l’homme de cette nature. Dansle cas de violations flagrantes des droits de l’homme, les réparations doivent comprendre des mesures de restitution, de réadaptation, de satisfaction et des garanties de non-répétition.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité prend note des arguments de l’État partie qui affirme que l’auteure n’a pas épuisé ces recours car elle n’a pas déposé de premier rapport d’information auprès de la police, qu’elle peut demander une indemnisation en application de la loi relative à l’indemnisation en cas de torture et que le cas de son mari sera examiné dans le cadre des mécanismes de justice transitionnelle devant être mis en place conformément à la Constitution provisoire de 2007 et à l’Accord de paix global de 2006. Il prend également note des affirmations de l’auteure qui indique que le premier rapport d’information n’est pas un recours approprié, car cette procédure ne s’applique qu’aux infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, laquelle ne mentionne pas les disparitions forcées ni la torture, et que la loi relative à l’indemnisation en cas de torture ne prévoit pas de responsabilité pénale mais uniquement une indemnisation d’un montant maximum de 100 000 roupies népalaises. Le Comité relève que la requête en habeas corpus présentée par l’auteure a été annulée par la Cour suprême le 26 janvier 2004. Malgré les recommandations formulées par la Commission nationale des droits de l’homme le 4 juillet 2006 et l’arrêt rendu par la Cour suprême le 1er juin 2007, les circonstances de la disparition présumée du mari de l’auteure restent obscures et aucune enquête n’a encore abouti. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence dont il ressort qu’en cas de violation grave un recours judiciaire doit être ouvert. À ce sujet, il relève que les instances de justice transitionnelle qui doivent être mises en place ne sont pas des organes judiciaires. En conséquence, il considère que l’enquête a excédé les délais raisonnables et conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’opposent pas à ce qu’il examine la communication.

6.4Le Comité note que l’État partie renvoie à l’article 96 c) du règlement intérieur du Comité, sans faire d’observations à ce sujet. Il fait observer que la présente communication a été présentée le 28 septembre 2011 et que le nouvel article 96 c) est applicable aux communications reçues après le 1er janvier 2012. Il fait également observer que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation des communications et que le simple fait d’avoir tardé à lui en adresser une ne constitue pas en soi, sauf circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. Il est évident que, s’agissant de la détermination de ce qui constitue un retard excessif, chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres. Pour le moment, le Comité suit sa jurisprudence qui établit qu’une communication peut constituer un abus lorsqu’elle est présentée après un délai exceptionnellement long, sans raisons suffisantes pour justifier ce retard. Il note que, si l’auteure n’a engagé aucune procédure interne après la décision prise par la Cour suprême le 26 janvier 2004, elle a continué de s’efforcer de faire la lumière sur le sort de son mari après cette date et s’est adressée à différentes autorités. En outre, le 1er juillet 2007, la Cour constitutionnelle a rendu une décision concernant la détention arbitraire et la disparition forcée de plusieurs détenus, dont le mari de l’auteure. En conséquence, dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que le retard constaté ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note du grief tiré de l’article 22 du Pacte par l’auteure, qui affirme que la détention arbitraire, la disparition forcée et l’exécution extrajudiciaire dont son mari aurait été victime étaient directement liées à son appartenance à l’ANNISU-R, où il occupait des fonctions importantes. Il estime que cette allégation n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et la déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité considère que les autres griefs ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il estime donc que la communication est recevable et procède à l’examen des allégations concernant Gyanendra Tripathi au titre des articles 6, 7, 9, 10, paragraphe 1, et 16, pris isolément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte; concernant l’auteure au titre de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et concernant sa fille mineure au titre de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’allégation de l’auteure, qui affirme que même s’il n’y a pas de témoins oculaires du moment précis où son mari a été arrêté, plusieurs déclarations et témoignages indiquent que son mari a été arrêté par l’Armée le 26 septembre 2003, détenu au secret à la caserne de Maharajgunj et victime de disparition forcée aux mains d’agents de l’État. Selon l’auteure, les chances de retrouver son mari vivant sont minimes, car des éléments concordants portent à croire qu’il a été tué par des membres de l’Armée le 20 décembre 2003 ou vers cette date. Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie, qui soutient que les allégations de l’auteure sont fondées sur de simples soupçons et que, dans sa requête en habeas corpus, elle n’a pas pu prouver que son mari avait été arrêté et détenu par des agents de l’État. Le Comité réaffirme que la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent, l’État partie est le seul à disposer des renseignements voulus. Ilressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte formulées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Lorsque les allégations sont corroborées par des éléments crédibles apportés par l’auteur et que tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut considérer ces allégations comme suffisamment étayées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves ou des explications satisfaisantes.

7.3En l’espèce, le Comité note que, rapidement après avoir perdu contact avec son mari en septembre 2003, l’auteure s’est rendue dans plusieurs casernes de l’Armée à Katmandou pour essayer de savoir où il se trouvait et ce qui lui était arrivé. Cependant, les autorités ont nié qu’il avait été placé en détention. Le Comité relève aussi que, selon les rapports publiés par le Bureau du HCDH au Népal et la Commission nationale des droits de l’homme en 2006 et 2009, respectivement, et des témoignages d’anciens détenus à la caserne de Maharajgunj, le mari de l’auteure a été vu pour la dernière fois dans cette caserne, détenu par l’Armée, en décembre 2003. En outre, le 4 juillet 2006, la Commission nationale des droits de l’homme a constaté que M. Tripathi avait été arrêté, détenu à la caserne de Maharajgunj et victime de disparition forcée aux mains de membres du bataillon Bhairabnath. À la lumière des documents soumis par l’auteure, le Comité estime que l’État partie n’a pas donné d’explications suffisantes et concrètes pour réfuter les constatations et conclusions de la Commission nationale des droits de l’homme et du Bureau du HCDH au Népal. Il rappelle sa jurisprudence dont il ressort que dans les cas de disparition forcée, la privation de liberté suivie du refus de reconnaître ce fait ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue a pour effet de soustraire cette personne à la protection de la loi et de mettre gravement et constamment en danger sa vie, ce dont l’État est responsable. En l’espèce, l’État partie n’a fourni aucun élément démontrant qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie M Tripathi. Le Comité conclut donc que l’État partie a manqué à son devoir de protéger la vie M. Tripathi, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.4Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’entraîne une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son Observation générale no20 (1992) relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il a recommandé aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il prend note des allégations de l’auteure, qui affirme que son mari a été arrêté en septembre 2003 et détenu au secret à la caserne de Maharajgunj, sans contact avec le monde extérieur, et que lorsqu’il a été vu pour la dernière fois dans la caserne par d’autre détenus, il était dans un très mauvais état et portait des marques de torture apparentes. En l’absence d’informations de l’État partie qui réfuteraient ce qui précède, le Comité conclut que les faits décrits sont constitutifs d’une violation de l’article 7 du Pacte. Étant parvenu à cette conclusion, il n’examinera pas les griefs de violation de l’article 10 du Pacte.

7.5Le Comité prend note de l’angoisse et de la détresse dans lesquelles l’auteure et sa fille mineure, C. T., ont été plongées par la disparition de M. Tripathi en septembre 2003. L’auteure et sa fille n’ont jamais reçu d’explication appropriée des circonstances de la disparition de M. Tripathi. En outre, même si des éléments fiables portent à croire que les chances de le retrouver vivant sont minimes, aucune enquête n’a été menée pour déterminer ce qui lui était arrivé, et, en cas de décès de l’intéressé, pour rendre son corps à sa famille. Le Comité considère que les faits décrits font également apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteure et de sa fille. Étant parvenu à cette conclusion, il n’examinera pas les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte à l’égard de C. T.

7.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des allégations de l’auteure, selon qui le fait que son mari ait été vu en vie pour la dernière fois aux mains de l’Armée à la caserne de Maharajgunj, ainsi que le contexte d’arrestations massives de personnes soupçonnées d’être maoïstes, permet de présumer que, le 26septembre 2003, l’intéressé a été arrêté sans mandat, qu’il a été détenu au secret à la caserne de Maharajgunj et qu’il n’a jamais été présenté à un juge ou à une autre autorité habilitée par la loi à exercer le pouvoir judiciaire ni n’a eu la possibilité d’engager une action devant un tribunal pour contester la légalité de sa détention. À ce sujet, le Comité relève que l’État partie n’a pas réfuté les constatations faites par la Commission nationale des droits de l’homme dans son rapport du 4 juillet 2006. En l’absence d’explication pertinente de l’État partie, le Comité considère que les faits décrits sont constitutifs d’une violation de l’article 9 du Pacte.

7.7Pour ce qui est de l’article 16 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme que le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique si la victime était entre les mains des autorités de l’État quand elle a été vue pour la dernière fois et si, en même temps, il a été fait systématiquement obstacle aux efforts déployés par ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, ycompris de nature juridictionnelle (voir art. 2, par. 3, du Pacte). En l’espèce, l’auteure fait valoir que malgré les efforts faits par la famille de M. Tripathi, l’État partie n’a donné à celle-ci aucune information pertinente sur le sort de l’intéressé et le lieu où il se trouvait et que, malgré les recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme et l’arrêt rendu par la Cour suprême le 1er juin 2007, aucune enquête efficace n’a été menée pour déterminer où il se trouvait, ce qui l’a soustrait à la protection de la loi depuis septembre 2003. Le Comité estime donc que la disparition forcée de M. Tripathi le prive de la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

7.8L’auteure invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation aux États parties de garantir à chacun des recours accessibles, utiles et exécutoires permettant de faire valoir les droits garantis dans le Pacte. Le Comité réaffirme l’importance qu’il attache à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les allégations de violations de droits conformément au droit interne. Il renvoie à son Observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il déclare que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.En l’espèce, le Comité relève que, peu de temps après avoir perdu contact avec son mari, l’auteure s’est rendue dans plusieurs casernes à Katmandou, a tenté de signaler sa disparition au chef du district à Hanumandhoka et a saisi la Cour suprême d’une requête en habeas corpus. Malgré les efforts faits par l’auteure, près de douze ans après la disparition de son mari, aucune enquête approfondie et efficace n’a été menée à bien par l’État partie en vue d’élucider les circonstances entourant sa détention et aucune enquête pénale n’a même été ouverte en vue de traduire en justice les auteurs de ces faits. En conséquence, le Comité considère que l’État partie n’a pas procédé à une enquête approfondie et efficace sur la disparition du mari de l’auteure. De plus, la somme de 300 000 roupies népalaises reçue par l’auteure à titre d’indemnisation provisoire ne constitue pas une réparation appropriée proportionnée à la gravité des violations infligées. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font aussi apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, et des articles 7, 9 et 16 du Pacte, à l’égard de M. Tripathi, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteure et de C. T.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 6, paragraphe 1, des articles 7, 9 et 16 du Pacte, et de l’article 2, paragraphe 3, lu conjointement avec l’article 6, paragraphe 1, et les articles 7, 9 et 16 du Pacte, à l’égard de Gyanendra Tripathi, ainsi que des articles 7 et 2, paragraphe 3, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard de l’auteure et de C. T.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir à l’auteure un recours utile et notamment: a) de mener une enquête approfondie et efficace sur les circonstances entourant la détention de M. Tripathi et le traitement auquel il a été soumis à la caserne de Maharajgunj, et de donner à l’auteure des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête; b) de remettre M. Tripathi en liberté s’il est encore en vie; c) dans le cas où M. Tripathi serait décédé, de remettre son corps à sa famille; d) de poursuivre, de juger et de punir les responsables des violations commises; e) d’indemniser de manière appropriée l’auteure et sa fille ainsi que M. Tripathi, s’il est encore en vie, pour les violations subies; f) de veiller à ce que l’auteure et sa fille bénéficient des mesures de réadaptation psychologique et du traitement médical nécessaires, et que ceux-ci répondent à leurs besoins; g) de prendre les mesures de satisfaction appropriées. L’État partie est aussi tenu de prendre des mesures pour empêcher que de telles violations se reproduisent. À ce sujet, il devrait veiller à ce que sa législation permette de poursuivre les faits qui constituent des violations du Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles du pays.