Nations Unies

CCPR/C/106/D/1912/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

9 juillet 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1912/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 106e session(15 octobre-2 novembre 2012)

Communication présentée par:

Ganesaratnam Thuraisamy (représentépar un conseil, Kathleen Hadekel)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

28 octobre 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 novembre 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

31 octobre 2012

Objet:

Expulsion vers Sri Lanka

Questions de procédure:

Griefs non étayés; incompatibilité avec le Pacte; non-épuisement des recours internes et défaut de fondement

Questions de fond:

Droit à la liberté et à la sécurité; torture et traitements cruels et inhumains; droit à la vie.

Articles du Pacte:

6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (106e session)

concernant la

Communication no 1912/2009 *

Présentée par:

Ganesaratnam Thuraisamy (représentépar un conseil, Kathleen Hadekel)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

28 octobre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1912/2009 présentée par Ganesaratnam Thuraisamy en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Ganesaratnam Thuraisamy, un Tamoul de nationalité sri-lankaise, né en 1949 à Sri Lanka (province du Nord). Il affirme que son expulsion du Canada vers Sri Lanka constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil, Kathleen Hadekel.

1.2Le 4 novembre 2009, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteur vers Sri Lanka tant que l’examen de la communication serait en cours.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un Tamoul né à Valvettithurai (région de Jaffna), le village d’origine des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). En juillet 1983, lors d’un voyage d’affaires à Colombo, il a été arrêté par la police qui le soupçonnait d’appartenir aux LTTE. Au cours de son interrogatoire, il a été maltraité et n’a été libéré que grâce à l’aide d’un marchand de poissons cinghalais. De 1984 à 1987, l’auteur a dirigé une entreprise de pêche dans son village. Le 23 juin 1987, le père de l’auteur a été tué et, lorsque l’auteur a réclamé son corps, il a été détenu et frappé par les militaires pendant six jours. Il a été de nouveau arrêté et détenu par l’armée en 1989. Les détentions de 1987 et 1989 ainsi que la torture qu’il a subie sont attestées par un certificat de la Société nationale de la Croix-Rouge de Sri Lanka daté du 17 décembre 2004. En 1990, lorsque les LTTE ont pris le contrôle de la péninsule de Jaffna, ils ont demandé à l’auteur de les soutenir, ce qu’il a refusé. Il a néanmoins été forcé de les aider à construire des bunkers.

2.2En 1994, alors qu’il se rendait à Valalai pour affaires, l’auteur a été arrêté et frappé à coups de crosse et de pied par des militaires, qui l’ont ensuite menacé pour qu’il ne signale pas les faits. En octobre 1995, lorsque les LTTE ont ordonné à tous les civils de quitter Jaffna, l’auteur et sa famille ont fui à Mannar et ont vécu dans un abri pour réfugiés. En juillet 1997, lors d’un échange de tirs entre les LTTE et l’armée régulière, l’auteur a été arrêté à Mannar puis maintenu neuf jours en détention. En août 1999, l’armée a arrêté plus de 1 000 personnes, dont l’auteur, qui a été menacé de mort s’il ne révélait pas l’emplacement des camps des LTTE. En mai 2000, l’auteur a été de nouveau détenu par l’armée pendant dix jours à Mannar. Il a été frappé à coups de tuyaux en plastique, de fil de fer barbelé et de bottes, et a été blessé à la poitrine (blessure attestée par un certificat médical). En octobre 2001, l’auteur est retourné dans son village avec sa femme et son fils. L’armée les a arrêtés et détenus pendant cinq jours pour un complément d’enquête, car elle soupçonnait la famille de couvrir les LTTE. Le 23 septembre 2002, l’auteur a été détenu par les LTTE pendant cinq jours et accusé de manquer de patriotisme. Il a été relâché à la condition qu’il soutienne leur action, faute de quoi son fils serait enlevé.

2.3À la suite de ces faits, l’auteur a connu des problèmes de sommeil et a souffert de dépression. Il a commencé à se cacher des LTTE, mais était aussi recherché par l’armée. Avec l’aide de son beau-frère, l’auteur et sa famille se sont rendus à Colombo, où un agent a aidé l’auteur à fuir le pays. Il a quitté Sri Lanka le 14 novembre 2002 et il est arrivé au Canada le 30 novembre 2002.

2.4Le 22 juin 2004, la demande d’asile de l’auteur a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). La CISR a fondé sa décision sur la version officielle des faits à Sri Lanka et a en conséquence rejeté la version de l’auteur comme étant dénuée de crédibilité. Le 29 octobre 2004, la demande d’autorisation d’examen judiciaire de cette décision que l’auteur avait déposée a été rejetée sans motifs par la Cour fédérale. Le 14 septembre 2007, la demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire (demande CH) présentée par l’auteur a été rejetée. Ne disposant que de moyens financiers restreints, l’auteur n’a pas formé de recours contre cette décision. Le 17 septembre 2007, sa demande d’examen des risques avant renvoi (demande ERAR) a été également rejetée. Tout en prenant en considération les problèmes que les civils tamouls à Sri Lanka ont dans le domaine des droits de l’homme, l’agent chargé d’examiner la demande (agent ERAR) a noté que l’auteur ne correspondait pas au profil d’un jeune homme tamoul susceptible d’être la cible des LTTE ou des autorités. Le 31 octobre 2007, la Cour fédérale a rejeté la requête en sursis à l’exécution du renvoi présentée par l’auteur et a ordonné son expulsion pour le 1er novembre 2007.

2.5Les 22 et 29 octobre 2007, sur les conseils d’un nouvel avocat selon lequel les premières demandes ERAR et CH n’avaient pas été présentées d’une manière propre à les faire aboutir, l’auteur a soumis ses secondes demandes ERAR et CH, appuyées par de nouveaux moyens de preuve. Il a produit une lettre d’un juge de paix de Sri Lanka qui décrit les souffrances de sa femme et de son fils depuis son départ et mentionne expressément que son fils a été arrêté et interrogé par les autorités sur le lieu où se trouve son père.

2.6Dans l’espoir que ces procédures auraient une issue favorable, l’auteur ne s’est pas présenté pour son expulsion le 1er novembre 2007. Il a agi de bonne foi, croyant qu’une décision serait rendue sur une demande correctement établie avant son renvoi du Canada. Il n’a pas tenté de se soustraire aux autorités. Il est resté dans l’appartement où il vivait avant l’ordonnance de renvoi. Tandis que la seconde procédure était en cours, il a reçu notification de la décision de la Cour fédérale du 5 février 2008 rejetant sans motifs la demande d’autorisation d’examen judiciaire de la décision de rejet de la première demande ERAR.

2.7Le 21 mai 2009, l’auteur a été convoqué à un entretien au cours duquel il a été avisé des deux décisions rejetant ses secondes demandes CH et ERAR, au motif que les persécutions qu’auraient subies sa femme et son fils ne suffisaient pas à établir un risque personnel de persécution ou de torture pour l’auteur. À la suite de cet entretien, il a été détenu par l’Agence des services frontaliers. Le 25 mai 2009, il a obtenu sa libération conditionnelle. Le 4 septembre 2009, la Cour fédérale a rejeté sans motifs les demandes d’autorisation d’examen judiciaire des décisions de rejet des secondes demandes CH et ERAR.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que son expulsion du Canada vers Sri Lanka l’expose à un risque réel de détention arbitraire, de torture et de traitements cruels et inhumains, y compris la mort. Dans le passé, il a été détenu et interrogé à plusieurs reprises par l’armée et porte les cicatrices des actes de torture qui lui ont été infligés par les autorités. À cet égard, l’État partie, dans la première décision CH, a admis comme preuve de ses détentions de 1987 et 1989 l’attestation de la Société nationale de la Croix-Rouge de Sri Lanka.

3.2L’auteur affirme en outre que le risque d’être arbitrairement arrêté et détenu à l’arrivée à l’aéroport à Sri Lanka a été corroboré par les médias et par la Cour européenne des droits de l’homme dans des affaires comparables (CEDH), et qu’il a de surcroît été arrêté autrefois parce qu’il était soupçonné d’appartenir aux LTTE et qu’il est un demandeur d’asile débouté venant de l’étranger. Il souligne aussi que la demande de documents de voyage présentée par les autorités canadiennes aux autorités sri-lankaises avertirait celles-ci de son retour et aggraverait le risque qu’il soit arbitrairement détenu, torturé et maltraité à son arrivée. Même s’il pouvait franchir les contrôles de l’aéroport sans être arrêté, il courrait un risque à Colombo, vu qu’il est un Tamoul du nord, ce qui est mentionné sur sa carte d’identité. Il fait aussi observer qu’il ne pourrait pas voyager vers le nord, en raison des restrictions de circulation imposées aux Tamouls et que, même s’il se rendait dans son village d’origine, il risquerait d’être victime de détention arbitraire et de torture car des personnes déplacées continuent d’être internées dans le nord. Il affirme en conséquence que son expulsion par l’État partie vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qui lui sont garantis par le paragraphe 1 de l’article 6, l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

3.3L’auteur souligne que la situation à Sri Lanka a considérablement évolué depuis avril 2009, lorsque l’État partie a pris ses plus récentes décisions de fond concernant l’auteur. Dans l’intervalle, les autorités sri-lankaises ont déclaré leur victoire militaire sur les LTTE, et la guerre ouverte entre les LTTE et les forces gouvernementales a donc perdu de son intensité. Cependant, au lendemain de la victoire militaire des forces gouvernementales, la répression et les violences exercées contre les civils tamouls n’ont pas diminué. Ceux-ci continuent de faire l’objet en permanence d’arrestations, de harcèlement et de persécutions à Colombo, ainsi que d’internements dans le nord et dans l’est. Quant aux possibilités de fuir à l’intérieur du pays qu’ont les Tamouls du nord, l’auteur cite les Lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) permettant d’évaluer les besoins de protection interne des demandeurs d’asile originaires de Sri Lanka, d’où il ressort que pour les Tamouls de la région du nord, il existe un risque accru de violation des droits de l’homme sur l’ensemble du territoire de Sri Lanka. Ces lignes directrices établissent en outre qu’il n’est pas possible d’identifier des catégories particulières de Tamouls exposés à ce risque et que, pour traiter des demandes d’asile présentées par des Tamouls du nord de Sri Lanka, il convient de présumer le bien-fondé des craintes de persécution.

3.4L’auteur cite en outre des rapports établis par International Crisis Group et Human Rights Watch sur la situation dans les camps de détention de personnes déplacées dans le district de Vavuniya. Il cite également l’évaluation qu’Amnesty International Canada a faite de son cas particulier, où il est affirmé qu’il court un risque sérieux de subir de graves violations de ses droits s’il est renvoyé à Colombo. De fait, dans la lettre datée du 1er juin 2009, il est dit qu’Amnesty International considère qu’en tant qu’homme tamoul débouté du droit d’asile, originaire de Valvettithurai dans la région de Jaffna, et qui doit, à son retour, résider à Colombo, l’auteur court un risque sérieux d’être victime de graves violations des droits de l’homme.

3.5Dans sa communication, l’auteur conteste les procédures de détermination du statut de réfugié et d’octroi de l’asile. Il considère que la décision de la CISR met en doute sa crédibilité en se fondant sur des contradictions mineures, liées à l’écart entre les renseignements fournis par l’auteur à propos du conflit et les informations officielles reçues des autorités sri‑lankaises. De l’avis de l’auteur, il ne faut jamais attendre de l’auteur des persécutions un exposé transparent des faits; c’est pourquoi le récit officiel des événements est tendancieux. La CISR n’a pas du tout pris en considération la question essentielle de la persécution de la population civile tamoule par les autorités sri-lankaises. L’auteur critique aussi le fait que la législation canadienne n’offre aucune possibilité de faire appel sur le fond d’une décision de la CISR. En l’occurrence, étant donné que dans le cadre d’une demande ERAR, seuls de nouveaux moyens de preuve peuvent être présentés, cette procédure n’a jamais été conçue comme un appel contre la procédure de la CISR, ce que l’auteur déplore.

3.6L’agent qui a examiné la demande lors de la première procédure ERAR a certes relevé les nombreuses violations des droits de l’homme commises contre la population tamoule et le fait que tous les Tamouls, et en particulier ceux qui, comme l’auteur, viennent du nord ou de l’est du pays, courent un risque de persécution ou de mauvais traitements, mais il a conclu que l’auteur ne risquait pas d’être victime de tels traitements puisqu’il n’était pas un jeune Tamoul, le seul élément probant lié à ce profil tenant au risque de recrutement forcé de jeunes Tamouls par les LTTE ou la faction Karuna. La demande CH a elle aussi été examinée par un agent ERAR sur la base du même raisonnement, ce qui a donc conduit à la même conclusion que dans la procédure ERAR.

3.7Quant à la procédure relative à la seconde demande ERAR, l’examen effectué par le même agent que dans la première procédure a essentiellement abouti à un calque de la première décision en dépit des faits nouveaux survenus à Sri Lanka et de la présentation de nombreux éléments nouveaux. S’il a reconnu que les autorités sri‑lankaises maintiennent des postes de contrôle pour tenter d’intercepter des sympathisants des LTTE, et que des violations des droits de l’homme, comme des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et des discriminations, continuent d’être commises contre les Tamouls, notamment originaires de l’est et du nord, l’agent ERAR a conclu que l’auteur, qui est un Tamoul, ne risquait pas de subir un tel traitement. L’auteur considère en conséquence que l’examen de sa demande ERAR a été partial et inéquitable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations sur la recevabilité et sur le fond communiquées le 4 mai 2010, l’État partie note que l’auteur a fondé sa communication sur précisément le même récit et les mêmes moyens de preuve et éléments de fait que ceux qui ont été jugés non crédibles par un tribunal interne compétent et par un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi, et qui ne permettent pas de conclure à l’existence, à l’avenir, d’un risque personnel et réel de torture ou de traitements cruels ou inhumains.

4.2L’État partie affirme que les allégations de l’auteur concernant le paragraphe 1 de l’article 6 et l’article 7 sont irrecevables pour non-épuisement des recours internes car l’auteur a soumis au Comité deux éléments de preuve (un rapport médical et une lettre d’Amnesty International) dont auraient pu être saisies les autorités internes. Ces documents pourraient encore être présentés à l’appui de nouvelles demandes ERAR ou CH. L’auteur a également manqué à l’obligation d’épuiser les recours internes en ne demandant pas l’examen judiciaire de la décision de rejet de sa première demande CH. À titre subsidiaire, la communication de l’auteur fondée sur le paragraphe 1 de l’article 6 et sur l’article 7 devrait être déclarée irrecevable en application de l’article 2 du Protocole facultatif parce que les griefs ne sont pas étayés. Les affirmations de l’auteur ne sont pas crédibles et il n’existe aucune preuve objective qui permettrait de conclure que l’auteur court personnellement un risque s’il retourne à Sri Lanka.

4.3Pour ce qui est des allégations de l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, l’État partie soutient qu’elles sont incompatibles avec les dispositions du Pacte en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif ou, à titre subsidiaire, qu’elles sont irrecevables faute d’être étayées en vertu de l’article 2 du Protocole. L’État partie considère que l’article 9 du Pacte n’est pas d’application extraterritoriale et n’interdit pas à un État d’expulser un ressortissant étranger vers un pays où l’intéressé prétend courir le risque d’être arbitrairement arrêté ou détenu. Si le Comité devait considérer que les allégations sont recevables, en tout ou en partie, l’État partie lui demande de conclure qu’elles sont dénuées de fondement.

4.4L’État partie fait observer qu’à l’appui de sa demande du statut de réfugié en date du 5 décembre 2002, l’auteur a prétendu qu’entre 1983 et 2002, date de son départ de Sri Lanka, il a été la cible des LTTE qui s’en sont pris à lui pour obtenir son soutien et de l’argent. À leur tour, les forces de sécurité sri-lankaises l’ont soupçonné d’être membre des LTTE et l’ont arrêté, détenu, interrogé, frappé et harcelé. Ses problèmes auraient commencé en 1983 lorsqu’il a été arrêté par la police à Colombo et maltraité durant son interrogatoire. En 1987, son père a été tué lors d’un échange de tirs entre les LTTE et l’armée. Lorsque l’auteur est venu réclamer le corps, il a été arrêté et frappé par les militaires, qui l’ont détenu pendant six jours. En juin 1990, les LTTE ont tenté d’obtenir son soutien et, devant son refus, l’ont forcé à creuser des bunkers. En août 1991, les LTTE lui ont demandé de l’argent. En mars 1994, il aurait été arrêté par l’armée, frappé à coups de crosse et de pieds, et délesté de la chaîne en or, de la bague, de la montre et de l’argent qu’il portait. En juillet 1997, il aurait été arrêté lors d’une rafle, interrogé pendant neuf jours et privé d’eau et de nourriture en quantité suffisante. Il a été de nouveau raflé par l’armée en novembre 1998 et insulté.

4.5L’État partie ajoute que, selon l’auteur, celui-ci aurait été arrêté en août 1999 lors d’une rafle d’un millier de personnes de cette région, interrogé et menacé avant d’être relâché le même jour. En mai 2000, l’auteur aurait été arrêté par l’armée à la suite d’une attaque à la grenade. Il aurait été frappé à coups de tuyaux en plastique, de fil de fer barbelé et de bottes. En octobre 2001, alors que lui-même, sa femme et leur fils adolescent étaient en route pour Valvettithurai, ils ont été arrêtés par l’armée et détenus pendant cinq jours. Ils ont déménagé à Valvettithurai où, en septembre 2002, les LTTE auraient détenu l’auteur pendant cinq jours, en portant des accusations contre lui et en l’agressant. Il a été libéré après que sa femme eut versé aux LTTE l’argent qu’ils exigeaient. Il lui a été demandé de venir rendre compte en décembre 2002. Les LTTE lui ont indiqué que s’il ne leur apportait pas un soutien régulier, ils enlèveraient son fils unique. Il est passé dans la clandestinité et a entendu dire que l’armée le recherchait. Lui et sa famille se sont rendus à Colombo où il a été présenté à un agent qui lui a proposé de l’aider à fuir le pays. L’agent lui a dit que le moment venu, il aiderait sa femme et son fils. L’auteur a donc fui au Canada tandis que sa femme et son fils restaient à Colombo.

4.6Les 11 et 12 mai 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a examiné la demande de l’auteur. Celui-ci était assisté d’un conseil et a produit des pièces justificatives et témoignages oraux. Il a eu la possibilité d’expliquer toutes éventuelles ambiguïtés ou contradictions. Le 18 juin 2004, la CISR, institution indépendante et spécialisée, a conclu que l’auteur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne ayant besoin de protection. La CISR a considéré que le manque de crédibilité de l’auteur était un élément déterminant pour l’examen de sa demande. Ainsi, dans son Formulaire de renseignements personnels, l’auteur avait prétendu ne pas savoir où se trouvait sa femme alors qu’il avait dit à la CISR qu’il lui téléphonait tous les mois. Il avait en outre indiqué dans son Formulaire de renseignements personnels que sa femme et lui avaient déménagé à Colombo en novembre 2001 alors qu’il avait déclaré plus tard à la CISR avoir appris en décembre 2002 que sa femme et son fils vivaient à Colombo. Lorsqu’il a été interrogé sur ces contradictions, il a répondu qu’il avait dû remplir le Formulaire de renseignements personnels en anglais, langue qu’il ne maîtrisait pas. Or, à l’ouverture de l’audience, il a affirmé comprendre parfaitement le contenu du Formulaire de renseignements personnels. La CISR a considéré que cela entamait sa crédibilité.

4.7L’auteur a produit une lettre d’un avocat sri-lankais pour tenter de corroborer son récit. Or, les renseignements qu’elle contient contredisent les déclarations faites précédemment par l’auteur, comme le fait que contrairement à ce qu’il avait déclaré, il s’était rendu plusieurs fois à Valvettithurai entre 1995 et 2002. L’auteur a communiqué une lettre d’un autre avocat sri-lankais affirmant que son fils avait été arrêté le 9 février 2002 en vertu de la loi sur la sécurité intérieure car il était soupçonné d’appartenir à un mouvement terroriste, alors que le rapport de police également communiqué par l’auteur indique que son fils avait été arrêté parce qu’il ne possédait pas de carte nationale d’identité et que la police avait conclu qu’il n’avait aucun lien avec un mouvement terroriste. La CISR a aussi relevé que, durant l’audience, l’auteur avait fait référence à des éléments importants comme les arrestations répétées de son fils dont il n’avait pas fait état dans le Formulaire de renseignements personnels. La CISR n’a pas compris pourquoi l’auteur, s’il craignait les LTTE, était retourné en 2002 à Valvettithurai, qui était leur lieu d’origine. Il y avait une contradiction entre ce retour et les craintes qu’il prétendait avoir. Enfin, la CISR a vu une incohérence dans le fait que l’auteur est resté à Sri Lanka pendant plus de vingt ans après le début de ses problèmes. En particulier, alors que l’auteur a affirmé que la détention subie en 2000 était la pire expérience qu’il ait connue, il a attendu deux années de plus avant de fuir au Canada. Le 29 octobre 2004, la Cour fédérale a refusé d’autoriser l’auteur à demander l’examen judiciaire de la décision de la CISR au motif qu’il n’y avait pas matière à contester la décision et qu’il ne restait pas à statuer sur une question grave.

4.8Le 11 février 2005, l’auteur a présenté une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH). À l’appui de sa demande, il a fait valoir que les deux parties, l’armée et les LTTE, le recherchaient et que sa femme et son fils vivaient dans la clandestinité. Il a aussi affirmé que le tsunami avait dévasté son terrain et emporté sa maison. L’État partie indique que l’examen d’une demande CH est confié à un agent qui tient compte de tous les éléments pour apprécier de manière discrétionnaire s’il y a lieu de faire droit à la demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire. Lorsque l’intéressé soutient qu’il encourrait des risques en cas de renvoi, comme le fait l’auteur, l’agent évalue les risques auxquels il pourrait être exposé dans le pays de renvoi. Dans des cas comme celui de l’auteur où la demande est fondée sur les risques encourus dans le pays d’origine, un agent ERAR spécialement formé examine la demande CH.

4.9Le 17 septembre 2007, la demande de l’auteur a été rejetée. L’agent ERAR chargé d’examiner la demande CH a admis que la maison et le terrain de l’auteur avaient été dévastés lors du tsunami de 2004, mais a estimé que le tsunami était une catastrophe naturelle qui avait touché toute la population de la côte de Sri Lanka. Il n’a pas cru l’auteur lorsque celui-ci a affirmé que sa maison avait été détruite par une bombe, ce qui contredisait ses dires sur la destruction de sa maison par le tsunami, d’autant que les photos de la maison détruite n’avaient été présentées aux autorités canadiennes qu’après le tsunami. Pour ce qui est des éléments de preuve produits, comme une lettre de la Société nationale de la Croix-Rouge de Sri Lanka datée de 2004 et une lettre de son avocat sri‑lankais datée de 2003, ils mentionnent seulement les arrestations et les actes de torture subis par l’auteur en 1987 et 1989 sans faire état d’arrestations plus récentes. L’agent a tenu compte de la situation des droits de l’homme à Sri Lanka au moment de sa décision et a reconnu qu’elle était marquée par des meurtres extrajudiciaires perpétrés tant par les autorités que par les LTTE et par d’autres violations graves des droits de l’homme. Néanmoins, même s’il est acquis que l’auteur a été arrêté en 1987 et 1989, celui-ci n’a pas établi qu’il avait eu des problèmes avec l’une ou l’autre des parties depuis lors. Il n’a donc pas été suffisamment démontré que l’auteur courrait personnellement un risque pour sa vie ou sa sécurité en cas de renvoi à Sri Lanka. L’auteur n’avait pas le profil personnel d’un «jeune Tamoul» risquant d’être recruté de force par les LTTE ou pouvant être soupçonné par les forces de sécurité d’être un membre ou un partisan des LTTE. L’auteur n’a pas saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation d’examen judiciaire de cette décision de rejet, comme il en avait le droit.

4.10L’État partie souligne que l’examen des risques est confié à des agents hautement qualifiés qui prennent en considération les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme. Ils se tiennent également au courant de l’évolution de la situation dans les régions considérées et ont accès aux informations les plus récentes. Le 17 septembre 2007, la demande ERAR a été rejetée. La décision ERAR était fondée sur les mêmes motifs que la décision sur la demande CH.

4.11Le 23 octobre 2007, l’auteur a saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation d’examen judiciaire et le 24 octobre 2007, il a sollicité un sursis à l’exécution du renvoi dans l’attente de la décision. Tout en considérant que la situation à Sri Lanka était incontestablement alarmante et qu’il se produisait des violations massives des droits de l’homme dans ce pays, la Cour a estimé que l’auteur n’était pas parvenu, comme l’avait constaté l’agent ERAR, à démontrer qu’il courait personnellement un risque. Elle a donc rejeté la demande de l’auteur aux fins de sursis à l’exécution du renvoi. L’expulsion de l’auteur a été fixée au 1er novembre 2007. L’auteur ne s’est pas présenté à cet effet et il est resté illégalement au Canada. Le 5 février 2008, la Cour fédérale a refusé d’autoriser une demande d’examen judiciaire de la décision de rejet de la demande ERAR.

4.12Le 22 octobre 2007, à peu près en même temps que la présentation de sa demande d’autorisation d’examen judiciaire du rejet de sa première demande ERAR, l’auteur a présenté une autre demande ERAR. Cette demande était pour l’essentiel identique à la première. L’auteur y a ajouté des renseignements concernant sa femme et son fils qui auraient voyagé pendant deux ans hors de Sri Lanka, dans des pays voisins. À leur retour, le fils de l’auteur aurait été plusieurs fois arrêté. L’agent ERAR n’a examiné que les éléments de preuve postérieurs à la première demande ERAR. La demande de l’auteur a été rejetée au motif que celui-ci ne présentait pas le profil d’un Tamoul qui risquerait de subir des persécutions et que sa situation n’était pas différente de celle de tous les Tamouls vivant à Sri Lanka pour qui il n’existait qu’une simple possibilité de persécution. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation d’examen judiciaire déposée par l’auteur le 4 septembre 2009. La seconde demande présentée par l’auteur le 29 octobre 2007 aux fins d’obtention d’un permis de résidence fondé sur des considérations humanitaires a été rejetée le 21 avril 2009. Sa demande d’autorisation d’examen judiciaire a été rejetée le 4 septembre 2009.

4.13L’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes pour ce qui est de ses griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7, parce qu’il a soumis au Comité deux éléments de preuve postérieurs aux décisions rendues sur ses dernières demandes ERAR et CH lesquels, de ce fait, n’ont pas été examinés par les autorités internes. Il s’agit d’un rapport médical daté du 26 juin 2009 et d’une lettre d’Amnesty International datée du 1er juin 2009. L’État partie s’appuie sur la jurisprudence du Comité telle qu’elle ressort de sa décision concernant l’affaire Dawood Khan c. Canada, dans laquelle le Comité a considéré que l’auteur aurait dû soumettre le rapport médical à l’appui des recours internes avant de lui présenter sa communication. Le Comité a considéré qu’il n’était pas trop tard pour présenter, sur la base du nouveau rapport, une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi ou de résidence permanente pour motifs humanitaires. L’État partie soutient aussi que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes car il n’a pas présenté de demande d’autorisation d’examen judiciaire contre la première décision rendue le 14 septembre 2007 sur la demande CH (voir par. 4.10 ci-dessus).

4.14L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte. Malgré la défaite des LTTE en mai 2009, l’auteur prétend qu’il reste menacé par les autorités sri-lankaises parce qu’il est un Tamoul du nord de Sri Lanka, qu’il a été précédemment arrêté et détenu par l’armée et que son corps porte les cicatrices d’actes de torture. La communication est fondée sur les mêmes faits et, pour la plus grande part, les mêmes éléments de preuve que ceux qui ont été présentés aux tribunaux canadiens et à l’agent chargé de l’examen des risques, dont les décisions ont été examinées et confirmées par la Cour fédérale. Il n’est nullement expliqué pourquoi l’un ou l’autre des documents aujourd’hui communiqués au Comité n’ont pas pu être obtenus au cours des procédures internes engagées par l’auteur, qui ont duré plus de cinq ans. Sans vouloir préjuger de la valeur probante de ces documents, dont l’appréciation relèverait de l’agent ERAR indépendant chargé d’examiner toute éventuelle demande future de protection, l’État partie note que les deux documents ne sont pas fondés sur une connaissance indépendante de la situation personnelle de l’auteur. Le rapport médical ne fait que confirmer que l’auteur présente des cicatrices à la poitrine qui sont compatibles avec les actes de torture passés dont il fait état. Quant à la lettre d’Amnesty International, elle évoque de façon générale les risques auxquels l’auteur est exposé en raison de son profil de Tamoul du nord de Sri Lanka, débouté du droit d’asile et qui affirme avoir été victime de violences dans le passé.

4.15Rien en soi ne laisse penser que l’auteur courrait personnellement un risque de torture ou de mauvais traitements à Sri Lanka. L’État partie rappelle qu’il n’incombe pas au Comité de réexaminer l’appréciation des faits et moyens de preuve à moins qu’il ne soit manifeste que l’appréciation par les tribunaux internes a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. Les éléments soumis par l’auteur ne sauraient conduire à une telle conclusion. Néanmoins, si le Comité décidait de réexaminer l’appréciation qui a été faite de la crédibilité de l’auteur, la seule conclusion à laquelle conduirait l’examen de la totalité des moyens de preuve serait que les allégations de l’auteur ne sont pas crédibles. À cet égard, l’État partie renvoie aux contradictions relevées par la CISR qui ont été mentionnées plus haut (voir par. 4.6 et 4.7).

4.16En ce qui concerne la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité contre la torture de l’ONU telle qu’elle ressort de sa décision concernant l’affaire V. N. I. M.c. Canada , dans laquelle le Comité a conclu que les allégations de l’auteur n’étaient pas crédibles ni corroborées par des éléments objectifs. Le Comité a donc estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la situation générale des droits de l’homme dans le pays de renvoi. Même si des Tamouls peuvent être arrêtés et interrogés aux postes de contrôle de la sécurité et que des violations des droits de l’homme de certains hommes tamouls continuent d’être signalées à Sri Lanka, cela ne suffit pas en soi à établir une violation du Pacte si l’auteur est renvoyé dans ce pays. Cependant, si le Comité des droits de l’homme souhaite prendre en considération la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, l’État partie soutient que cette situation s’améliore depuis la défaite infligée aux LTTE par le Gouvernement en mai 2009. La réinstallation des personnes déplacées progresse rapidement et les autorités ont renforcé leur présence militaire et policière dans le nord et l’est du pays pour maintenir la paix. L’État partie fait valoir en outre que les Tamouls constituent environ 20 % de la population de Colombo et que toute personne a la possibilité de séjourner à Colombo sans avoir à informer au préalable les autorités locales, à condition de s’enregistrer auprès de la police locale. S’il est vrai que le nombre de postes de contrôle n’a pas été sensiblement réduit à Colombo, aucune arrestation n’a été signalée à ces postes depuis juin 2009. L’État partie considère donc qu’il existe pour l’auteur de réelles possibilités de fuir à l’intérieur du pays et que l’auteur n’a pas démontré qu’il ne pourrait pas vivre en sécurité à Colombo s’il préférait ne pas retourner dans sa région d’origine. L’État partie conclut que l’auteur n’a pas apporté de preuves suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement le risque d’être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 6 ou de l’article 7 du Pacte. Ses griefs à ce titre sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.17En ce qui concerne le grief que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie réaffirme que cette partie de la communication devrait être déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte. L’auteur ne prétend pas avoir été arrêté ou détenu par l’État partie en violation du paragraphe 1 de l’article 9, mais il affirme qu’en l’expulsant vers Sri Lanka où il risquerait d’être arbitrairement détenu, l’État partie violerait cette disposition. L’État partie insiste sur le petit nombre de droits auxquels le Comité a reconnu une portée extraterritoriale, dont ne fait pas partie celui garanti au paragraphe 1 de l’article 9. Il cite l’Observation générale no 31 d’où il ressort que seules les violations les plus graves des droits fondamentaux peuvent constituer des exceptions au pouvoir de l’État de déterminer les conditions dans lesquelles les étrangers sont autorisés à pénétrer sur son territoire et à y demeurer. L’État partie soutient qu’une arrestation ou une détention arbitraires ne constituent pas un préjudice grave et irréparable au sens de l’Observation générale no31. En conséquence, il demande que les griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 9 soient déclarés irrecevables comme étant incompatibles avec les dispositions du Pacte. À titre subsidiaire, il demande au Comité de les déclarer irrecevables parce que non étayés.

4.18À titre subsidiaire, l’État partie prie le Comité de rejeter les demandes de l’auteur comme étant dépourvues de fondement.

4.19Enfin, pour répondre aux critiques de l’auteur concernant la procédure de détermination du statut de réfugié et d’octroi de l’asile, l’État partie rappelle au Comité qu’il est appelé non pas à examiner le système canadien en général, mais à se demander si, dans le cas d’espèce, l’État partie s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 24 juin 2010, l’auteur rejette les observations de l’État partie en affirmant qu’elles ne visent que la recevabilité de l’affaire. L’État partie se borne à soutenir que la communication est dénuée de fondement sans étayer son argumentation. L’auteur s’attache donc dans ses commentaires à la question de la recevabilité de la communication. Pour ce qui est du fond de celle-ci, la lettre initiale de l’auteur a déjà traité cet aspect.

5.2L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’auraient pas été épuisés. Ni une nouvelle demande ERAR ni une nouvelle demande CH ne protégeraient l’auteur contre son expulsion du Canada. D’ailleurs, la législation de l’État partie prévoit expressément que ce type de demande n’a pas d’effet suspensif sur l’exécution de l’expulsion de l’auteur. De plus, la position de l’État partie est hypocrite dans la mesure où, dans le cadre interne, il considère que ces éléments de preuve ne seraient pas recevables à l’appui d’une nouvelle demande ERAR ou CH parce qu’ils auraient pu être communiqués lors des précédentes demandes. En l’espèce, l’agent ERAR qui a pris la décision sur la seconde demande ERAR de l’auteur a refusé de prendre en considération des éléments de preuve se rapportant à des faits antérieurs à la première demande ERAR. Ainsi, le rapport médical ne serait pas examiné dans le cadre d’une nouvelle demande ERAR dans la mesure où il se rapporte à des faits anciens.

5.3Dans le cadre des demandes CH, en droit interne, l’État partie considère que le principe de la res judicata s’applique à toutes les questions sur lesquelles il a été précédemment statué ou qui auraient pu être soulevées par l’auteur lors de l’examen d’une précédente demande et que, de ce fait, les éléments de preuve qui auraient pu être produits à l’appui d’une précédente demande ne seront pas examinés. L’auteur rejette donc l’argument de l’État partie qui prétend qu’il pourrait soumettre ces éléments de preuve à l’appui d’une nouvelle demande ERAR ou CH, étant donné qu’en droit interne, la position de l’État partie est précisément qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération ces éléments dans le cadre de telles demandes.

5.4De plus, le rapport médical confirme simplement que l’auteur présente des cicatrices à la poitrine et à l’abdomen, fait qui a été mentionné dans sa demande d’octroi du statut de réfugié et ses demandes ERAR et CH et dont la véracité n’a jamais été niée par l’État partie. La situation est donc sensiblement différente de celle qui existait dans l’affaire Dawood Khan c.Canada où l’élément de preuve en question était un rapport médical sur l’état psychologique de l’auteur attestant qu’il souffrait de troubles post-traumatiques, fait nouveau dans la procédure. En outre, la lettre d’Amnesty International n’expose aucun fait nouveau. Elle ne fait que rappeler des informations sur Sri Lanka accessibles à tous en donnant l’avis de l’organisation sur la situation de l’auteur. Le fait que cette lettre n’a pas été produite plus tôt ne saurait permettre de conclure au non-épuisement des recours internes.

5.5L’affirmation de l’État partie, selon lequel l’auteur, en ne demandant pas l’examen judiciaire de la décision de rejet de sa première demande CH, n’aurait pas épuisé les recours internes, est considérée comme dénuée de fondement par l’auteur. Celui-ci a présenté une nouvelle demande CH qui a été rejetée. S’il avait sollicité l’examen judiciaire et que celui-ci lui avait été accordé, la Cour fédérale n’aurait rien fait de plus que d’ordonner à l’État partie de statuer de nouveau sur la demande CH, ce qu’il avait déjà fait en l’espèce dans le cadre de la nouvelle demande CH. L’auteur considère pour toutes ces raisons qu’il a épuisé les recours internes. De fait, la seule raison pour laquelle l’auteur reste au Canada tient à ce que le Comité a demandé à l’État partie, à titre de mesure provisoire, de surseoir à l’expulsion.

5.6Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie, selon lequel l’auteur n’aurait pas démontré l’existence d’un risque au regard du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, l’auteur fait valoir que l’agent ERAR a reconnu les risques auxquels sont exposés les Tamouls du nord et de l’est de Sri Lanka mais n’a pas correctement appliqué la loi à cet état de fait. Les éléments de preuve présentés par l’auteur font clairement apparaître l’existence de risques de mort et de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. C’est d’ailleurs sur la base de ces éléments que le Comité a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires.

5.7L’État partie considère que le récit de l’auteur n’est pas crédible et n’est pas étayé par des éléments objectifs. Or, non seulement les faits exposés par l’auteur démontrent que le risque réel de violation du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7 et 9 du Pacte ne dépend nullement des allégations que l’État partie a estimées non crédibles, mais celui-ci n’est pas fondé à prétendre que les risques ne sont pas étayés par des éléments objectifs. Un très grand nombre de preuves documentaires établissent les risques courus par toute personne ayant le profil de l’auteur. De plus, alors que l’État partie soutient que l’auteur a la possibilité de fuir dans le pays, à Colombo où, selon lui, il pourrait résider à condition de s’enregistrer auprès de la police, le Rapport de 2009 du Département d’État des États-Unis sur les pratiques en matière de droits de l’homme à Sri Lanka (US Department of State country report on Human Rights practices: Sri Lanka) publié le 11 mars 2010 indique que la police de Colombo a refusé d’enregistrer des Tamouls du nord et de l’est, comme l’exige le règlement 23 relatif à l’état d’urgence, les obligeant parfois à rentrer chez eux dans des régions touchées par le conflit. Colombo n’est donc pas un endroit sûr pour l’auteur. L’État partie mentionne que les Tamouls venant de l’ouest peuvent être interrogés aux postes de contrôle, ce qui est précisément la situation de l’auteur. De plus, un interrogatoire par les autorités sri-lankaises entraîne fréquemment des violations de l’article 7 du Pacte. La communication de l’auteur à cet égard est donc suffisamment étayée.

5.8En ce qui concerne l’argumentation de l’État partie au regard de l’article 9 du Pacte, l’auteur ne conteste pas le point de vue de l’État partie selon lequel la détention, ou même la détention arbitraire, ne sont pas en elles-mêmes constitutives d’un préjudice irréparable, mais il affirme avoir clairement démontré dans sa communication et ses commentaires qu’en l’espèce, le risque de détention arbitraire auquel il serait exposé à Sri Lanka irait de pair avec le risque de subir en détention des actes de torture ou des peines cruelles et inhabituelles. Ainsi, le risque de violation du paragraphe 1 de l’article 9 ne peut être dissocié d’un risque réel de violation de l’article 7 du Pacte.

5.9L’auteur considère donc que, quels que puissent être les avantages et les inconvénients du système, le fait est que celui-ci n’a pas assuré la protection des droits les plus fondamentaux de l’auteur et qu’il incombe désormais au Comité de conclure en ce sens.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que selon l’État partie, l’auteur n’aurait pas épuisé les recours internes parce qu’il a soumis au Comité deux nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été auparavant examinés par les autorités internes; et parce qu’il n’a pas présenté de demande d’autorisation d’examen judiciaire de la décision de rejet rendue le 14 septembre 2007 sur sa première demande CH. Le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui affirme que la position de l’État partie consiste à rejeter des éléments de preuve relatifs à des faits antérieurs à la procédure concernant la première demande ERAR, ce qui est le cas des deux documents cités, et que ces documents ne font que corroborer les allégations de l’auteur précédemment rejetées pour manque de crédibilité. Il note en outre que l’auteur affirme qu’il a présenté une nouvelle demande CH qui a été rejetée, et que ni une nouvelle demande ERAR ni une nouvelle demande CH ne constitueraient pour lui un recours utile puisqu’elles ne le protégeraient pas contre son expulsion du Canada.

6.4Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort que l’auteur doit faire usage de tous les recours judiciaires pour satisfaire à la prescription énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur. Il note que, tout au long de la procédure, l’auteur a affirmé avoir été torturé. À la lumière des informations dont il dispose, le Comité considère qu’aucune des deux voies de recours mentionnées par l’État partie (demande ERAR et demande CH) en l’espèce n’aurait pour effet de suspendre ou d’empêcher l’expulsion de l’auteur vers Sri Lanka. Il considère en outre que compte tenu de la législation en vigueur dans l’État partie et de la nature des documents en cause, il est peu vraisemblable que la présentation de ceux-ci aurait modifié l’issue de la procédure. Le Comité considère donc que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les griefs de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte ne sont pas étayés. En ce qui concerne l’article 6, le Comité note que les renseignements dont il dispose n’offrent pas de motifs suffisants pour croire que l’expulsion de l’auteur vers Sri Lanka l’exposerait à un risque réel de violation de son droit à la vie. Les arguments de l’auteur à cet égard consistent en des allégations générales faisant état du risque d’arrestation et de détention arbitraires, susceptibles de conduire finalement à sa mort, mais ne visent aucune circonstance particulière donnant à penser que sa vie serait en danger. Dans ces conditions, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs au titre de l’article 6 du Pacte. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Pour ce qui est des griefs de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, selon lequel cette disposition n’est pas d’application extraterritoriale et n’interdit pas à un État d’expulser un ressortissant étranger vers un pays où celui-ci prétend courir le risque d’être arbitrairement arrêté ou détenu. Il prend également note des allégations de l’auteur qui affirme que le risque de détention arbitraire à Sri Lanka va de pair avec le risque de subir en détention des actes de torture ou des peines cruelles et inhabituelles. Il conclut donc que le risque de violation du paragraphe 1 de l’article 9 ne peut pas être dissocié du risque réel de violation de l’article 7 du Pacte.

6.7En ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre de l’article 7 du Pacte, le Comité constate que l’auteur a exposé les raisons pour lesquelles il craint d’être renvoyé à Sri Lanka, en se fondant sur les arrestations et les traitements qu’il aurait subis tant de la part des autorités que des LTTE. Le Comité note aussi que l’auteur a fourni des preuves documentaires à l’appui de ces allégations qui sont suffisamment sérieuses pour justifier un examen au fond. Il conclut donc que les griefs de l’auteur au titre tant de l’article 7 que de l’article 9 sont recevables et procède à leur examen sur le fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité estime nécessaire de garder présent à l’esprit que l’État partie est tenu, en vertu de l’article 2 du Pacte, de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, y compris en ce qui concerne l’application des procédures d’expulsion des étrangers.

7.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur, selon lequel un Tamoul du nord de Sri Lanka qui a été plusieurs fois dans le passé détenu et torturé par l’armée sri-lankaise, comme en témoignent les cicatrices qu’il garde à la poitrine, est exposé, en cas de renvoi, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Il note que selon l’État partie, les demandes présentées par l’auteur aux autorités internes ont été essentiellement rejetées au motif que l’auteur manquait de crédibilité, compte tenu des contradictions dans ses déclarations et de l’absence de preuves à l’appui de ses allégations. Il note en outre que l’État partie fait valoir, comme l’a constaté l’agent ERAR au niveau national, que même s’il est acquis que l’auteur a été arrêté en 1987 et 1989, celui-ci n’a pas établi qu’il avait eu depuis lors des problèmes avec l’armée ou avec les LTTE et qu’en conséquence, il n’est pas suffisamment démontré que l’auteur serait exposé à des risques réels pour sa vie ou sa sécurité en cas de renvoi à Sri Lanka. Le Comité prend note enfin de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur ne correspond pas au profil d’un jeune homme tamoul qui risquerait d’être victime de persécution et que sa situation n’est pas différente de celle de tous les Tamouls vivant à Sri Lanka.

7.4Le Comité rappelle son Observation générale no31 dans laquelle il se réfère à l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable. Il rappelle aussi qu’il appartient généralement aux instances des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve afin de déterminer l’existence d’un tel risque.

7.5Dans les circonstances de l’espèce, le Comité estime qu’une attention insuffisante a été prêtée aux allégations de l’auteur qui affirme qu’il court un risque réel d’être torturé s’il est expulsé vers son pays d’origine, compte tenu du fait que la torture est largement pratiquée à Sri Lanka. Le Comité relève que les contradictions soulignées par l’État partie n’étaient pas directement liées aux allégations de torture de l’auteur et ne sauraient suffire à entamer la crédibilité de l’ensemble de ses allégations relatives aux actes de torture et au harcèlement que lui ont infligés tant l’armée que les LTTE dans le passé. Contrairement à ce qu’affirme l’État partie, pour qui l’auteur n’a pas prouvé que, comme il le prétend, il avait été torturé par l’armée après 1989, l’auteur a indiqué que les cicatrices qu’il porte à la poitrine attestent d’actes de torture subis récemment. Cet élément matériel aurait dû conduire les autorités de l’État partie à demander une expertise indépendante pour établir les causes possibles des cicatrices en question et l’époque à laquelle les blessures ont été infligées.

7.6De fait, c’est aux agents de la CISR et de l’ERAR qu’il incombait d’écarter tout doute ayant pu subsister quant à la cause de ces cicatrices. L’État partie n’a pas sollicité l’avis d’un expert sur l’origine des cicatrices constatées sur la poitrine de l’auteur et l’époque à laquelle les blessures ont été infligées, et a fondé sa décision de rejeter la demande d’asile déposée par l’auteur sur de simples contradictions qui ne sont pas d’une importance décisive au regard de l’allégation générale relative au risque encouru par l’auteur en tant que Tamoul originaire du nord de Sri Lanka.

7.7Le Comité estime donc que les éléments dont il est saisi montrent qu’une attention insuffisante a été prêtée aux allégations de torture de l’auteur et au risque réel que celui-ci encourrait s’il était expulsé vers son pays d’origine, compte tenu des informations attestant que la torture est largement pratiquée à Sri Lanka. Malgré tout le respect dû aux autorités d’immigration en ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve dont elles étaient saisies, le Comité considère que cette affaire méritait un examen plus approfondi. Il considère donc que l’arrêté d’expulsion pris contre l’auteur constituerait une violation de l’article 7 du Pacte s’il était exécuté.

7.8Compte tenu de ses conclusions concernant l’article 7, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les griefs tirés de l’article 9 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que le renvoi de l’auteur vers Sri Lanka constituerait une violation de ses droits au titre de l’article 7 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile consistant notamment en un réexamen complet du grief de l’auteur relatif au risque de traitement contraire à l’article 7 auquel il serait exposé s’il était renvoyé à Sri Lanka, compte tenu des obligations de l’État partie découlant du Pacte. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]