Nations Unies

CCPR/C/106/D/1836/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 novembre 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1836/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 106e session(15 octobre-2 novembre 2012)

Communication p résentée par:

Vladimir Katsora (non représentépar un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

20 mai 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 10 décembre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

24 octobre 2012

Objet:

Détention administrative, en violation du droit de diffuser des informations sans restrictions déraisonnables, pour distribution de tracts

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes

Questions de fond:

Droit de répandre des informations; restrictions licites

Articles du Pacte:

2, 19, 21

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (106e session)

concernant la

Communication no 1836/2008 *

Présentée par:

Vladimir Katsora (non représentépar un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

20 mai 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1836/2008 présentée au nom de M. Vladimir Katsora en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Vladimir Katsora, de nationalité bélarussienne, né en 1983. Il se déclare victime de violations par l’État partie des droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21, lus conjointement avec l’article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En avril 2006, l’auteur, alors Vice-Président de la branche régionale de Gomel du «Parti civique unifié», a imprimé et distribué un tract informant la population de Gomel de la tenue d’une réunion prévue le 25 avril 2006. Le tract ne précisait ni le lieu ni l’heure exacts de la réunion. Au moment de sa distribution, l’auteur, qui était l’organisateur, n’avait pas encore reçu du Comité exécutif régional de Gomel l’autorisation d’organiser l’événement en question. Aux termes de l’article 8 de la loi du 30 décembre 1997 relative aux manifestations collectives, avant d’avoir reçu l’autorisation d’organiser une manifestation collective ni les organisateurs, ni d’autres personnes n’ont le droit de diffuser au public des informations au sujet de la date, du lieu et de l’heure de la manifestation, ni de rédiger et de distribuer des tracts, affiches et autres supports à ce sujet.

2.2Le 14 avril 2006, la police a saisi un certain nombre de tracts, distribués à Gomel par d’autres personnes. Le 18 avril, le tribunal du district de Zheleznodorozhny à Gomel a jugé l’auteur coupable de l’infraction administrative visée à l’article 167-1 (première partie) du Code des infractions administratives (non-respect de la procédure relative à l’organisation de manifestations, réunions, etc.) et l’a condamné à dix jours de détention administrative. À une date non précisée, l’auteur a saisi le tribunal régional de Gomel. Le 23 mai 2006, le Président de ce tribunal a confirmé la décision du tribunal du district de Zheleznodorozhny. L’auteur explique qu’il n’a pas fait appel de la décision du tribunal régional de Gomel auprès de la Cour suprême car, selon lui, la procédure de contrôle est inefficace au Bélarus puisqu’elle n’aboutit pas systématiquement au réexamen de l’affaire. L’auteur fait valoir la jurisprudence du Comité selon laquelle seuls les recours disponibles et utiles doivent être épuisés.

2.3Le 12 février 2008, l’auteur a de nouveau imprimé et distribué des tracts qui informaient la population de la tenue d’un débat entre Aleksander Milinkevitch, ancien candidat à la présidence, et les citoyens de Gomel. Le débat devait avoir lieu le 15 février 2008. Le 13 février, le Département des affaires intérieures du district de Soviet à Gomel a convoqué l’auteur et a établi un procès-verbal indiquant qu’il s’était rendu coupable de l’infraction administrative définie à l’article 23.34 (deuxième partie) du Code des infractions administratives (non-respect de l’ordonnance relative à l’organisation d’une manifestation collective ou d’un piquet de protestation). Le même jour, le tribunal du district de Soviet à Gomel a reconnu l’auteur coupable de cette infraction et l’a condamné à sept jours de détention administrative.

2.4Le 21 mars 2008, le tribunal régional de Gomel a prononcé en appel une décision, finale et exécutoire, confirmant le jugement du tribunal du district de Soviet. L’auteur a saisi la Cour suprême et, le 13 mai 2008, un vice-président de la Cour a rejeté sa demande de contrôle juridictionnel du dossier. Le Vice-Président a mentionné expressément l’article 8 de la loi relative aux manifestations collectives et le fait que les tracts litigieux avaient été imprimés et distribués sans autorisation officielle d’organiser un débat public à Gomel avec M. Milinkevitch.

2.5L’auteur fait observer que l’article 8 de la loi relative aux manifestations collectives interdisant la publication dans les médias de la date, du lieu et de l’heure d’une manifestation collective, la préparation et la distribution de tracts, affiches et autres à cette fin avant réception d’une autorisation d’organiser la manifestation en question, ne remplit pas le critère de nécessité exigé par le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte: a) eu égard au respect des droits ou de la réputation d’autrui; ou b) eu égard à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. L’auteur fait remarquer que l’article 35 de la Constitution du Bélarus garantit le droit d’organiser des réunions, des rassemblements, des défilés de rue, d’autres manifestations et des piquets de protestation, à condition que ces manifestations ne portent pas atteinte à l’ordre public et respectent les droits des autres citoyens; ce même article dispose également que la procédure d’organisation des événements susmentionnés est définie par la loi. Selon l’auteur, cette loi, la loi relative aux manifestations collectives − et son article 8 en particulier − est incompatible avec les règles définies par les articles 19 et 21 du Pacte.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se dit victime de violations par l’État partie des droits qui sont les siens en vertu du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21, lus conjointement avec l’article 2, du Pacte. Selon lui, les autorités l’ont privé, sans justification, de son droit à la liberté d’expression et de son droit de réunion pacifique.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 19 février 2008, l’État partie explique qu’en vertu de l’article 35 de la Constitution, le droit d’organiser des réunions, des rassemblements, des marches, des manifestations et des piquets qui ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux droits des autres citoyens est garanti par l’État; la procédure d’organisation de tels événements est définie par la loi. La loi de 1997 relative aux manifestations collectives définit cette procédure, et a pour objet de créer les conditions permettant aux citoyens d’exercer leurs droits et leurs libertés constitutionnels et de protéger la sécurité et l’ordre publics lors de la tenue de tels événements dans les rues, sur les places et en d’autres lieux publics.

4.2L’État partie rappelle que, le 18 avril 2006, le tribunal du district de Zheleznodorozhny à Gomel a reconnu l’auteur coupable, en application de l’article 167-1 du Code des infractions administratives, de n’avoir pas respecté la procédure définie pour l’organisation d’une réunion et l’a condamné à dix jours de détention administrative. Cette décision a été confirmée par le tribunal régional de Gomel le 23 mai 2006.

4.3Le 13 février 2008, le tribunal du district de Soviet à Gomel a condamné l’auteur à sept jours de détention administrative pour violation de l’article 23.34 (deuxième partie) du Code des infractions administratives (non-respect de la procédure d’organisation d’une réunion). Le 21 mars 2008, le tribunal régional de Gomel a confirmé cette décision en appel. Le 13 mai 2008, un vice-président de la Cour suprême a rejeté la demande de l’auteur visant à obtenir le réexamen de son dossier dans le cadre d’une procédure de contrôle.

4.4L’État partie souligne qu’en application de l’article 12.11 du Code des infractions administratives (procédure/exécution), les demandes de réexamen d’une décision définitive dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel doivent être déposées dans un délai de six mois à compter de l’adoption de ladite décision. Aucune demande ne peut être examinée au-delà de l’expiration de ce délai. L’auteur n’a donc pas épuisé les recours internes car il n’a pas demandé le contrôle de son dossier auprès du Président de la Cour suprême et du Bureau du Procureur général. L’argument de l’auteur selon lequel la procédure de contrôle n’est pas une voie de recours utile dans la mesure où elle n’aboutit pas au réexamen de l’affaire est, pour l’État partie, une opinion personnelle de l’intéressé qui n’est aucunement étayée. En outre, l’auteur se contredit: en 2006, il n’a pas présenté de demande de contrôle mais, en 2008, il a saisi la Cour suprême d’une telle demande, reconnaissant ainsi l’utilité de la procédure.

4.5L’État partie décrit les possibilités de recours contre des décisions judiciaires portant sur une infraction administrative, y compris les demandes au titre de la procédure de contrôle. Il soutient que cette procédure est un recours utile. Il explique à cet égard que, sur 2 739 recours reçus par le Bureau du Procureur en 2008 contre des décisions portant sur des infractions administratives, 422 ont abouti. Au cours de la même période, le Bureau du Procureur général a présenté 105 motions de protestation à la Cour suprême au sujet de tels dossiers, dont 101 ont abouti.

4.6Le 26 mai 2009, l’État partie a réitéré ses précédentes observations, ajoutant que l’article 8 de la loi relative aux manifestations collectives interdit de diffuser dans les médias des informations (date, lieu, etc.) ou de produire des tracts, affiches et autres concernant un événement qui n’est pas encore autorisé. M. Katsora distribuait des tracts contenant des informations sur une réunion devant avoir lieu avec M. Milinkevitch en février 2008, avant d’avoir reçu l’autorisation d’organiser la réunion; sa responsabilité a donc été engagée à juste titre.

4.7L’État partie explique que ses lois ne sont pas contraires à l’article 21 du Pacte. Il relève que cette disposition autorise des restrictions à la liberté de réunion si elles sont imposées conformément à la loi et sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. De la même manière, le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise des restrictions à la liberté d’expression: celles-ci doivent être fixées par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui, ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Les dispositions du Pacte sont inscrites dans le droit interne. Notamment, l’article 33 de la Constitution garantit la liberté d’opinion et de conscience et la liberté d’expression. L’article 35 de la Constitution garantit quant à lui la liberté de se réunir et d’organiser des rassemblements, marches, manifestations et piquets à condition que ceux-ci ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux droits d’autrui.

4.8L’État partie ajoute que l’article 23 de la Constitution permet des restrictions aux droits et libertés individuels mais seulement dans les cas prévus par la loi et lorsqu’elles sont nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, pour protéger la moralité publique, la santé publique, et les droits et les libertés d’autrui. Selon l’article 35 de la Constitution, qui protège la liberté de réunion, la procédure d’organisation de manifestations collectives est définie par la loi. La loi adoptée par les autorités à ce sujet est la loi de 1997 relative aux manifestations collectives. Cette loi prévoit la délivrance d’une autorisation et non un régime de notification. Les restrictions ne peuvent être imposées que si elles sont prévues par la loi et sont nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, pour protéger la moralité et la santé ainsi que les droits et libertés d’autrui.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 11 avril 2009, l’auteur remarque qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, un particulier doit épuiser tous les recours internes disponibles. Il fait valoir que, selon la jurisprudence du Comité, la procédure de contrôle n’est pas un recours qui doit être épuisé. L’auteur n’a pas utilisé toutes les possibilités qui lui étaient ouvertes de former des recours au titre de la procédure de contrôle dans la mesure où il estime que seuls les appels ordinaires aboutissent à un réexamen systématique du dossier et que la procédure de contrôle n’aboutit pas à un réexamen. Ainsi, selon lui, dans les deux procédures qui l’ont visé, les recours internes ont été épuisés à l’issue de l’examen des appels dont il avait saisi le tribunal régional de Gomel, moment où les décisions rendues en première instance sont devenues exécutoires.

5.2En ce qui concerne le fait qu’il a saisi la Cour suprême d’un recours au titre de la procédure de contrôle dans l’une des affaires le concernant, l’auteur explique que présenter une telle requête constitue un droit et non une obligation.

5.3Dans une note du 14 novembre 2009, l’auteur ajoute que les libertés protégées par les articles 19 et 21 peuvent être restreintes, mais seulement conformément au paragraphe 3 de l’article 19 ou à la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. À l’inverse, aux termes du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, chaque État partie s’engage à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, sans aucune distinction. Selon le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, chaque État partie s’engage à prendre, en accord avec ses procédures constitutionnelles et avec les dispositions du Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur.

5.4L’auteur soutient à cet égard que, à chaque fois que sont appliquées les dispositions de l’article 8 de la loi relative aux manifestations collectives, qui interdisent de diffuser des informations, tracts, affiches et autres concernant une manifestation collective pour laquelle aucune autorisation n’a encore été reçue, il y a violation des articles 19 et 21 du Pacte. Dans son cas, l’application de l’article 8 de la loi a constitué une restriction à son droit de répandre des informations et à son droit de réunion pacifique.

5.5L’auteur ajoute que, en ce qui le concerne, les tribunaux n’ont pas expliqué en quoi les restrictions aux droits qu’il tire des articles 19 et 21 du Pacte étaient justifiées. De la même manière, dans ses réponses, l’État partie n’a pas expliqué pourquoi les restrictions imposées à la diffusion par l’auteur d’informations concernant une réunion devant se tenir entre un politicien connu et les citoyens ainsi que d’informations concernant une réunion pacifique, étaient nécessaires au regard des buts légitimes énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 et de la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne l’obligation énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui objecte que l’auteur n’a pas formé de recours au titre de la procédure de contrôle auprès du Président de la Cour suprême du Bélarus et du Bureau du Procureur et qu’il n’a dès lors pas épuisé les recours internes. Le Comité relève par ailleurs que l’auteur explique ne pas avoir saisi le Président de la Cour suprême du Bélarus ou le Bureau du Procureur d’une requête au titre de la procédure de contrôle dans la mesure où ce contrôle ne constitue pas un recours interne utile, encore qu’il ait formulé une telle demande, rejetée par un vice-président de la Cour suprême en mai 2008. Le Comité relève en outre que l’État partie n’a pas indiqué si, et dans l’affirmative, dans combien de cas, les demandes de procédures de contrôle avaient abouti dans les affaires concernant la liberté d’expression. Le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, réaffirme que les procédures de contrôle visant des décisions de justice qui sont entrées en vigueur ne constituent pas une voie de recours devant être épuisée aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

6.4Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs au regard du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, du Pacte. Il déclare ainsi la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité a pris note de l’argument de l’auteur selon lequel l’application de la loi relative aux manifestations collectives a enfreint les droits qui sont les siens au titre du paragraphe 2 de l’article 19 et du paragraphe 21 du Pacte. Le Comité doit donc d’abord déterminer si la restriction du droit de l’auteur à la liberté d’expression (droit de diffuser des informations) et sa condamnation à une détention administrative pour avoir distribué des tracts concernant deux réunions, l’une en 2006, l’autre en 2008, dont la tenue n’avait pas encore été autorisée, ont porté atteinte aux droits qu’il tire du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.3Le Comité rappelle à cet égard son Observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression dans laquelle il a déclaré notamment que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société démocratique. Les restrictions imposées à leur exercice doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité et «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire».

7.4Le Comité prend note en outre de l’explication donnée par l’État partie selon laquelle l’auteur s’est vu infliger une sanction administrative, en application du droit interne, pour violation de la procédure prévue pour l’organisation et la tenue d’une réunion. Il rappelle qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte certaines restrictions sont permises, qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé et de la moralité publiques. Le Comité doit donc examiner si les restrictions imposées au droit de l’auteur à la liberté d’expression, bien qu’étant prévues par la loi, étaient justifiées au regard de l’un des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19.

7.5Le Comité note que l’État partie a expliqué que la loi relative aux manifestations collectives a pour objectifs de créer les conditions permettant aux citoyens d’exercer leurs droits et libertés constitutionnels et de protéger la sécurité et l’ordre publics au cours de manifestations publiques dans les rues, sur les places et en d’autres lieux publics. Il relève cependant que l’État partie n’a pas expliqué précisément en quoi les restrictions imposées aux droits reconnus à l’auteur en vertu du paragraphe 2 de l’article 19 étaient justifiées au regard du paragraphe 3 du même article du Pacte pour atteindre ces objectifs. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de montrer que les restrictions imposées aux droits garantis à l’auteur par l’article 19 sont nécessaires et que bien qu’un État partie puisse adopter un système destiné à assurer un juste équilibre entre la liberté de chacun de répandre des informations et le maintien de l’ordre public dans un domaine donné dans l’intérêt de la collectivité, le système ne doit pas être incompatible avec l’article 19 du Pacte. compte tenu des informations dont il dispose et en l’absence de toute explication pertinente de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que l’imposition de sanctions à l’auteur pour avoir distribué, avec d’autres personnes, des tracts informant la population d’une manifestation collective qui n’était pas encore autorisée, sans indication de la date ni du lieu et annonçant la tenue d’un débat avec un ancien candidat à la présidence, ne peuvent être considérées comme des restrictions à l’exercice de la liberté de l’auteur de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées qui puissent être nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ou au respect des droits ou de la réputation d’autrui. En conséquence, le Comité conclut que dans les circonstances de l’espèce, les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

7.6Dès lors, le Comité décide de ne pas examiner séparément le grief formulé par l’auteur au titre de l’article 21 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits reconnus à l’auteur en vertu du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme notamment du remboursement des frais de justice qu’il a encourus, ainsi que d’une indemnisation. L’État partie est tenu en outre de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus par le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations dans le pays, et à les faire diffuser largement en bélarussien et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]