Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/78/D/953/2000

29 juillet 2003

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑dix‑huitième session14 juillet‑8 août 2003

DÉCISION

Communication n o 953/2000

Présentée par:Ernst Zündel (représenté par un conseil, Mme Barbara Kulaszka)

Au nom de:L’auteur

État partie:Canada

Date de la communication:21 août 2000 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du règlement intérieur, transmise à l’État partie le 14 novembre 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:27 juillet 2003

[ANNEXE]

ANNEXE

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

− Soixante‑dix‑huitième session −

concernant la

Communication n o  953/2000 **

Présentée par:Ernst Zündel (représenté par un conseil, Mme Barbara Kulaszka)

Au nom de:L’auteur

État partie:Canada

Date de la communication:21 août 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 juillet 2003,

Adopte la décision ci-après:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Ernst Zündel, citoyen allemand né le 24 avril 1939, résidant au Canada depuis 1958. Il se déclare victime d’une violation par le Canada des articles 3, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques («le Pacte»). Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits

2.1L’auteur se présente comme éditeur et militant, ayant défendu le groupe ethnique allemand contre des allégations fallacieuses d’atrocités relatives au comportement des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa communication a pour origine une affaire jugée par le Tribunal des droits de la personne du Canada, à l’issue de laquelle il a été reconnu responsable au regard de la loi canadienne sur les droits de la personne d’avoir exposé les Juifs à la haine et au mépris sur un site Internet connu sous le nom de «Zundelsite». Il ressort par exemple des documents présentés au Comité par les parties que l’un des articles de l’auteur affiché sur ce site sous le titre «Did Six Million Jews Really Die?» («Est-il vrai que six millions de Juifs sont morts?») conteste le fait que 6 millions de Juifs sont morts pendant l’Holocauste.

2.2En mai 1997, après qu’un survivant de l’Holocauste eut porté plainte contre le site de l’auteur devant la Commission canadienne des droits de la personne, le Tribunal canadien des droits de la personne a ouvert une enquête. Au cours des audiences, le 25 mai 1998, le Tribunal n’a pas voulu autoriser l’auteur à soulever une «exception de vérité» à l’encontre de la plainte et à prouver que les déclarations publiées sur le «Zundelsite» étaient véridiques. Le Tribunal n’a pas jugé approprié de débattre de l’exactitude ou l’inexactitude des déclarations publiées sur le site en question, car cela «n’aurait fait qu’introduire un bon motif de plus de contretemps, de coûts et d’injures à la dignité des victimes présumées de ces déclarations».

2.3Peu de temps après, l’auteur a obtenu de la Tribune de la presse parlementaire canadienne, organisme non gouvernemental sans but lucratif auquel est confiée l’administration courante des installations de presse du Parlement canadien, une réservation pour tenir une conférence de presse le 5 juin 1998 dans la salle de presse Charles Lynch de l’Édifice du centre, dans l’enceinte parlementaire. L’auteur répondait selon lui aux conditions à remplir pour réserver cette salle. Dans le communiqué de presse annonçant la conférence, daté du 3 juin 1998, l’auteur indiquait qu’il parlerait de la décision provisoire du Tribunal canadien des droits de la personne, qui avait jugé la vérité irrecevable comme moyen de défense. Les passages pertinents de ce communiqué se lisent comme suit:

«La nouvelle Inquisition à Toronto! Le Gouvernement essaie de mettre la main sur l’Internet!

La Commission canadienne des droits de la personne et son tribunal disent à Ernst Zündel:

Que la vérité n’est pas un moyen de défense;

Que l’intention n’est pas un moyen de défense;

Que le fait que les déclarations publiées sont vraies est sans pertinence!

La décision provisoire en cause a été rendue le 25 mai 1998 après une année d’audiences par le Tribunal canadien des droits de la personne qui procède actuellement au jugement d’un site Web implanté aux États-Unis, le «Zundelsite», à l’adresse http://www.webcom.com/ezundel.

(Pour le texte complet de la décision, voir les pages jointes.)»

2.4Le 4 juin 1998, des adversaires des thèses de l’auteur qui protestaient contre le fait que celui‑ci utilise la salle Charles Lynch s’étant adressés à plusieurs membres du Parlement et la Tribune de la presse ayant refusé d’annuler la réservation de la salle, la Chambre des communes a adopté à l’unanimité la décision suivante: «La Chambre ordonne que Ernst Zündel ne soit pas autorisé à pénétrer dans les locaux de la Chambre des communes pendant le cours et jusqu’à la fin de la présente session».

2.5En conséquence de cette décision, l’auteur n’a pu pénétrer dans l’enceinte parlementaire et a été empêché de tenir sa conférence de presse dans la salle Charles Lynch. Il a tenu une conférence de presse informelle sur le trottoir à l’extérieur de l’enceinte du Parlement.

Épuisement des recours internes

3.1L’action intentée par l’auteur contre les partis politiques ayant participé à l’adoption de la décision unanime lui interdisant de pénétrer dans l’enceinte du Parlement ainsi que contre certains membres du Parlement, en particulier parce qu’ils avaient violé sa liberté d’expression (garantie à l’alinéa b de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés), a été déclarée sans fondement par la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) le 22 janvier 1999. La Cour a considéré que les partis politiques, défendeurs en l’espèce, pouvaient être attaqués en effet mais que la plainte contre des membres du Parlement était à rejeter faute de motif raisonnable. Elle a soutenu que la Chambre des communes avait exercé son «privilège parlementaire» en refusant à l’auteur l’entrée dans ses locaux. La condition de nécessité était satisfaite puisque la décision interdisant l’accès de l’auteur aux locaux parlementaires était indispensable pour préserver le bon fonctionnement de la Chambre, son motif étant le souci de sauvegarder la dignité et l’intégrité du Parlement. La Cour a fait observer que la restriction imposée à la liberté d’expression de l’auteur ne visait que l’utilisation des locaux de la Chambre des communes et ne l’empêchait pas d’une manière générale d’exprimer son opinion.

3.2Le 10 novembre 1999, la cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel de l’auteur, expliquant que la question juridictionnelle qui se posait à elle était de savoir s’il fallait que la Chambre des communes ait, pour préserver son bon fonctionnement, la maîtrise de ses locaux, y compris le pouvoir d’en interdire l’entrée aux personnes de l’extérieur. Il ne s’agissait pas pour elle de déterminer s’il avait été nécessaire d’exclure l’auteur de l’enceinte parlementaire, car cela l’aurait amenée à s’interroger sur le bien‑fondé ou le mal‑fondé de la décision, ce qui eût réduit à néant tout «privilège» existant. Comme la maîtrise des lieux était un aspect complémentaire du bon fonctionnement du Parlement, les tribunaux outrepasseraient les limites constitutionnelles légitimes s’ils s’avisaient de porter atteinte au privilège en question. La décision d’exclure l’auteur ne relevait pas d’autre chose que de ce pouvoir de contrôler l’accès des personnes de l’extérieur à l’enceinte parlementaire et la plainte de l’auteur portait intégralement sur la question des privilèges parlementaires; elle avait donc été rejetée à juste titre.

3.3Le 29 juin 2000, la Cour suprême du Canada a débouté l’auteur de son pourvoi contre  la décision de la cour d’appel de l’Ontario.

Teneur de la plainte

4.1L’auteur se dit victime d’une violation des articles 3, 19 et 26 du Pacte puisque le droit de s’exprimer librement lui a été refusé.

4.2Pour l’auteur, la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte a été violée par la décision de la Chambre des communes l’excluant de l’enceinte parlementaire et, en particulier, de la salle de presse Charles Lynch. Selon lui cette décision était discriminatoire et violait les articles 3 et 26 du Pacte puisqu’il remplissait toutes les conditions requises pour réserver la salle en question, son exclusion étant «le premier cas dans l’histoire canadienne où une personne est interdite d’accès dans l’enceinte du Parlement […] en raison de ses opinions politiques».

4.3L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes et que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

5.1L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication dans une note verbale du 10 août 2001.

5.2L’État partie conteste la recevabilité de la communication en ce qui concerne les violations alléguées des articles 3 et 26 du Pacte, estimant que la plainte est à cet égard insuffisamment motivée. En particulier, l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il ne pouvait jouir des droits consacrés par le Pacte dans les mêmes conditions que les femmes au Canada (art. 3) et que son exclusion de l’enceinte parlementaire était un acte discriminatoire (art. 26). De plus, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ces allégations, dans la mesure où l’action qu’il a intentée ne portait que sur l’allégation selon laquelle la décision de la Chambre des communes violait sa liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et des libertés.

5.3L’État partie ne conteste pas la recevabilité du reste de la communication mais considère que la liberté d’expression de l’auteur, garantie par l’article 19, n’a pas été violée. Selon lui, bien que la décision de la Chambre des communes ait eu pour effet d’interdire à l’auteur l’accès à l’enceinte parlementaire, elle ne l’empêchait pas d’exprimer son opinion à l’extérieur de cette enceinte. L’État partie fait valoir que l’article 19 n’exige pas des États qu’ils garantissent à n’importe qui l’accès à n’importe quel endroit où l’intéressé souhaiterait exercer sa liberté d’expression.

5.4L’État partie affirme que même si le fait d’interdire l’enceinte parlementaire à l’auteur devait être considéré comme une restriction à sa liberté d’expression, cette restriction était justifiée selon le paragraphe 3 de l’article 19 et le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte. La décision d’interdiction était le résultat de l’exercice légitime du pouvoir législatif que les normes constitutionnelles confèrent à la Chambre des communes et qui, pour ce qui est des privilèges parlementaires, répondent à la condition fixée au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte («restrictions […] expressément fixées par la loi»).

5.5La restriction imposée à l’auteur avait pour objet de protéger le droit des communautés juives à la liberté de religion et à la liberté d’expression ainsi que leur droit de vivre dans une société sans discrimination et était étayée par le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte. Ainsi, le Comité des droits de l’homme, dans son Observation générale no 11 relative à l’article 20, a fait remarquer que les interdictions de cette sorte «sont tout à fait compatibles avec le droit à la liberté d’expression prévu à l’article 19, dont l’exercice entraîne des responsabilités et des devoirs spéciaux». Le fait que l’auteur a pendant près de 30 ans répandu dans le monde entier des documents niant l’Holocauste et les autres atrocités commises par les nazis contre les Juifs suffit à expliquer pourquoi la Chambre des communes craignait de voir les locaux parlementaires servir de tribune pour diffuser des opinions antisémites et la communauté juive exposée de ce fait à la haine et à la discrimination. L’État partie soutient que la décision en cause était non seulement justifiée au regard du paragraphe 3 de l’article 19, du paragraphe 2 de l’article 20 et du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte, mais aussi légalement prescrite en vertu de l’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui impose de prendre des mesures pour réprimer la diffusion d’idées fondées sur la supériorité et la haine raciale. Outre le respect de la réputation d’autrui, l’exclusion de l’auteur des locaux parlementaires avait pour objet la protection de l’ordre public et de la moralité publique. Puisque la protection des travaux parlementaires constituait un but légitime d’«ordre public» au sens du paragraphe 3 de l’article 19, la doctrine des privilèges parlementaires et la manière dont elle a été appliquée en l’espèce sont compatibles avec la notion d’ordre public. Comme l’antisémitisme est contraire aux valeurs de tolérance, de diversité et d’égalité que consacrent la Charte canadienne des droits et libertés et les autres lois nationales relatives aux droits de l’homme, la décision de la Chambre des communes concourait de surcroît à la protection de la moralité publique.

5.6L’État partie soutient que les restrictions imposées à l’auteur étaient «nécessaires», au sens du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, pour protéger les droits de la communauté juive, la dignité et l’intégrité du Parlement et les valeurs canadiennes que sont l’égalité et la diversité culturelle. Comparées aux risques que présentait la conférence de presse envisagée par l’auteur, aux effets préjudiciables de l’incitation à la haine sur l’ensemble de la société et à l’impression que l’on aurait eue que la conférence en question avait l’imprimatur officiel du Parlement ou du Gouvernement, les restrictions imposées à la liberté d’expression de l’auteur étaient minimes et, donc, proportionnées. Elles ne visaient qu’un lieu particulier, l’enceinte parlementaire, à laquelle aucune personne de l’extérieur n’a librement accès, et ne limitaient pas la liberté qu’avait l’auteur d’utiliser quelque autre tribune pour se faire entendre, à condition de ne pas dénigrer la communauté juive dans ses propos.

5.7L’État partie fait valoir que les privilèges parlementaires s’inscrivent parmi les conventions non écrites qui font partie de la Constitution canadienne et qui ont leur origine dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, dans la tradition historique et dans le principe selon lequel le pouvoir législatif est censé disposer des pouvoirs constitutionnels qui sont nécessaires à son bon fonctionnement. L’un de ces privilèges de l’organe législatif consiste à régir ses propres procédures internes. Il est étroitement lié au droit qu’a le Parlement de réglementer l’accès à ses locaux et d’en exclure les personnes de l’extérieur. Ces deux privilèges sont jugés essentiels pour permettre à l’organe législatif de préserver la dignité, l’intégrité et l’efficacité de ses travaux. L’importance de ces privilèges a été soulignée par la Cour suprême du Canada dans son arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse, dans lequel elle a déclaré que lorsqu’ils examinent l’exercice par le Parlement de ses privilèges naturels, «les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément aux privilèges est bonne ou mauvaise».

5.8L’État partie insiste sur le fait que le droit qu’a le Parlement de maîtriser sans partage son fonctionnement interne – domaine relativement restreint de l’activité législative – est essentiel pour la sauvegarde de son indépendance vis‑à‑vis du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. Soumettre à la révision judiciaire la décision qu’a prise le Parlement d’exclure de son enceinte une personne de l’extérieur non seulement ferait infraction au principe de la séparation des pouvoirs mais signifierait de surcroît que les décisions de cet ordre ne sont pas définitives, ouvrant la porte aux incertitudes et aux contretemps et empêchant les membres du Parlement d’accomplir leur important travail législatif. L’État partie affirme que puisque l’organe législatif est mieux placé que les tribunaux pour déterminer dans quelles conditions il peut conduire efficacement ses propres travaux, les tribunaux n’ont pas à se mêler de la manière dont le Parlement exerce ses privilèges.

5.9Si, inversement, le Comité devait juger recevable la plainte de l’auteur au titre des articles 3 et 26, l’État partie contesterait au fond cette partie de la communication et se réserverait le droit de présenter de nouvelles observations. Il soutient que l’auteur n’a pas fait l’objet de discrimination, son exclusion de l’enceinte parlementaire étant compatible avec les dispositions du Pacte, fondée sur des motifs raisonnables et ayant l’objectif légitime d’empêcher la diffusion de propos antisémites et de faire respecter les droits des membres de la communauté juive que garantit le Pacte.

Commentaires de l’auteur

6.1Dans une lettre du 13 novembre 2001, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il y réaffirme que sa plainte répond à toutes les conditions de recevabilité. Comme il en a été débouté par les tribunaux pour ce motif très général que constitue le privilège parlementaire, toute plainte en discrimination aurait été rejetée pour les mêmes raisons. Il note qu’il a été argué devant la cour d’appel de l’Ontario que ce privilège très étendu pourrait donner au Parlement le droit illimité d’agir de façon discriminatoire contre n’importe quelle personne ou n’importe quel groupe.

6.2L’auteur soutient que le privilège qu’a le Parlement de réglementer l’accès à ses locaux n’exonère pas l’organe législatif des obligations internationales de l’État partie en matière de droits de l’homme, d’autant plus que le Parlement lui‑même a souscrit à ces obligations lors de la ratification du Pacte.

6.3L’auteur affirme qu’en l’absence de tout moyen politique de s’opposer au pouvoir de l’État partie, les recours judiciaires étaient la seule voie qui s’offrait à l’auteur pour contester son exclusion de l’enceinte parlementaire.

6.4Pour ce qui est de la plainte au titre de l’article 19, l’auteur répète qu’il satisfaisait aux conditions à remplir pour utiliser la salle de presse puisque le sujet de sa conférence présentait un intérêt national. La Chambre des communes avait interdit la salle Charles Lynch à l’auteur pour l’empêcher d’utiliser une tribune connue pour être sérieuse pour exprimer son opinion et faire obstacle ainsi à la diffusion de la conférence de presse par la chaîne câblée d’audience nationale qui couvre les conférences tenues dans les installations de presse du Parlement.

6.5Selon l’auteur, rien ne prouvait qu’il avait l’intention d’inciter à la haine contre le peuple juif pendant la conférence de presse envisagée. Au contraire, le communiqué de presse expliquait qu’il allait parler de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne selon laquelle la vérité ne peut être invoquée comme moyen de défense dans une procédure engagée au titre du paragraphe 13 de la loi canadienne sur les droits de la personne. Des copies de cette décision avaient été préparées en vue de leur distribution. L’État partie n’en a pas moins invoqué de manière tendancieuse le prétexte de la moralité afin d’ajouter cette dimension à l’affaire. L’auteur insiste sur le fait que depuis qu’il est devenu officiellement résident au Canada en 1958, il n’a jamais été poursuivi ni condamné pour incitation à la haine contre le peuple juif. Une condamnation antérieure pour «propagation de fausses nouvelles» avait été annulée en 1992 par la Cour suprême du Canada, au motif qu’elle violait le droit constitutionnel de l’auteur à la liberté d’expression.

Observations supplémentaires de l’État partie

7.1Dans une note verbale du 30 mai 2002, l’État partie a fourni des renseignements sur l’interprétation par les tribunaux de la notion de privilège parlementaire et sur la décision définitive du Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Citron c. Zündel.

7.2Selon l’article 40 de la loi sur les droits de la personne, un individu ou un groupe d’individus qui pensent être victimes d’un acte discriminatoire peuvent déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne. Sous réserve de certaines conditions de recevabilité, la Commission est habilitée à enquêter sur la plainte et, si la plainte n’est pas rejetée, à s’interposer pour rechercher un règlement amiable. Si aucune conciliation n’est possible, la Commission peut renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne, organe quasi judiciaire indépendant habilité à tenir audience et à régler l’affaire par voie d’ordonnance.

7.3En juillet et septembre 1996, le Comité du maire de Toronto sur les relations raciales et communautaires et Sabina Citron, survivante de l’Holocauste, ont déposé deux plaintes parallèles contre l’auteur, en invoquant le paragraphe 1 de l’article 13 de la loi sur les droits de la personne et en alléguant qu’en affichant des documents sur son site, l’auteur avait «fait utiliser un téléphone de façon répétée pour aborder des questions susceptibles d’exposer les Juifs à la haine ou au mépris». La Commission des droits de la personne lui ayant renvoyé la plainte pour examen au fond, le Tribunal des droits de la personne a rendu sa décision définitive le 18 janvier 2002, ordonnant que l’intimé […] «ou toute autre personne qui agit en son nom ou de concert avec lui cessent la pratique discriminatoire que constitue l’utilisation d’un téléphone de façon répétée» pour diffuser des messages du genre de celui dont le Tribunal est saisi ou les rendre consultables sur le «Zundelsite», «ou pour diffuser d’autres messages ayant sensiblement la même forme ou la même teneur qui sont susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de “motifs de distinction illicite” en contravention du paragraphe 1 de l’article 13 de la loi canadienne sur les droits de la personne».

7.4La loi canadienne de 1985 sur les droits de la personne dispose au paragraphe 1 de son article 13:

«Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord, d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir au service d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement, pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.».

Les critères en question sont précisés au paragraphe 1 de l’article 3 de cette loi:

«Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.».

7.5Outre la loi sur les droits de la personne, le Code criminel du Canada contient trois dispositions sur la «propagande haineuse» visant: a) le fait de préconiser le génocide (art. 318), b) «l’incitation à la haine en un endroit public» (art. 319, par. 1) et c) le fait de «fomenter volontairement la haine» (ibid., par. 2).

Délibérations du Comité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Comme il est tenu de le faire par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 3 du Pacte, le Comité constate que l’auteur n’a rien produit pour étayer des affirmations qui ne semblent pas correspondre aux intentions dudit article. Par conséquent, le Comité juge cette partie de la communication irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

8.4Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, le Comité note que l’État partie ne conteste pas l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a épuisé les recours internes contre la décision de l’exclure de l’enceinte de la Chambre des communes «pendant le cours et jusqu’à la fin de la présente session», dont la conséquence a été qu’il n’a pu tenir la conférence de presse qu’il avait annoncée. En conséquence, la plainte de l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 19 du Protocole facultatif n’est pas irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.5Toutefois, et bien que l’État partie soit disposé à examiner le fond de la communication, le Comité considère que la plainte de l’auteur est incompatible avec les dispositions de l’article 19 du Pacte et par conséquent irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Bien que le droit à la liberté d’expression, tel qu’énoncé au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, s’étende au choix du moyen, il n’équivaut pas à un droit illimité qu’aurait toute personne ou tout groupe de personnes de tenir des conférences de presse dans l’enceinte parlementaire ou de faire diffuser ces conférences de presse autrement. S’il est vrai que l’auteur avait réservé auprès de la Tribune de la presse parlementaire la salle de presse Charles Lynch et que cette réservation a été annulée par suite de la décision, adoptée à l’unanimité par le Parlement, d’interdire à l’auteur l’accès à l’enceinte parlementaire, l’auteur, note le Comité, est resté libre de tenir une conférence de presse ailleurs. Le Comité est par conséquent d’avis, après avoir soigneusement examiné les informations dont il dispose, que la plainte de l’auteur, fondée sur le fait qu’il n’a pas pu tenir une conférence de presse dans la salle de presse Charles Lynch, ne relève pas du droit à la liberté d’expression, protégé par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

8.6En ce qui concerne enfin l’allégation de violation de l’article 26 du Pacte, le Comité juge cette partie de la communication irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés comme le prévoit l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité relève dans la plainte déposée devant la cour de justice de l’Ontario que l’auteur se déclare victime d’une violation de son droit à la liberté d’expression, garanti au paragraphe b) de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, sans cependant alléguer une violation de ses droits à l’égalité reconnus au paragraphe 1 de l’article 15 du même instrument. L’argument de l’auteur selon lequel toute plainte pour discrimination aurait été rejetée en raison du privilège parlementaire est de pure conjecture et ne le dispensait pas de chercher à épuiser les recours internes.

9.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable au titre des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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