Nations Unies

CCPR/C/107/D/1785/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

6 juin 2013

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1785/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 107e session, 11-28 mars 2013

Communication présentée par:Andrei Olechkevitch (non représenté par un conseil)

Au nom de:L’auteur

État partie:Bélarus

Date de la communication:17 mars 2008 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 avril 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:18 mars 2013

Objet:Imposition d’une amende à un individu pour distribution de tracts, en violation du droit de répandre de l’information sans restrictions déraisonnables

Question de procédure:Épuisement des recours internes

Question de fond:Droit de répandre des informations; restrictions autorisées

Article du Pacte:19 (par. 2 et 3)

Article du Protocole facultatif:5 (par. 2 b)

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (107e session)

concernant la

Communication no 1785/2008*

Présentée par:Andrei Olechkevitch (non représenté par un conseil)

Au nom de:L’auteur

État partie:Bélarus

Date de la communication:17 mars 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1785/2008 présentée par M. Andrei Olechkevitch en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Andrei Olechkevitch, citoyen du Bélarus né en 1974. Il estime être victime d’une violation par le Bélarus de ses droits au titre du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 12 février 2008, alors que l’auteur distribuait des tracts invitant les habitants de la ville de Gomel à rencontrer M.Aleksandr Milinkevitch (ancien candidat à l’élection présidentielle), il a été appréhendé par la police, quil’a amené au commissariat du district des Soviets de Gomel et a dressé un procès-verbal pour une infraction administrative visée à l’article 23.24 (partie1) du Code des infractions administratives(21avril 2006). Cet article prévoit des sanctions en cas de violation des dispositions régissant l’organisation et le déroulement de réunions, de défilés de rue, de manifestations, d’autres manifestations de masse ou de piquets. Ces dispositions sont fixées par une loi spécifique sur les manifestations de masse (30 décembre 1997), dont l’article8 interdit à quiconque de produire et de diffuser des documents d’information sur la manifestation prévue tant que les autorités ne se sont pas prononcées sur la demande d’autorisation.

2.2Comme les tracts distribués par l’auteur contenaient des renseignements sur une réunion publique avec un homme politique, la police a considéré que l’auteur avait enfreint la loi. Le même jour, l’auteur a été déféré devant le tribunal du district des Soviets de Gomel. Le tribunal a rendu une décision établissant qu’en distribuant des tracts concernant une réunion non autorisée l’auteur avait enfreint les dispositions de l’article 23.24 (partie1) du Code des infractions administratives et a condamné l’auteur à une amende de 1050000roubles bélarussiens (équivalant à l’époque à environ 500 dollars des États Unis). L’auteur souligne que le montant de cette amende était alors supérieur à celui du salaire mensuel moyen au Bélarus.

2.3L’auteur fait observer que rien dans le dossier administratif n’indiquait que le tribunal avait fondé ses conclusions sur autre chose que sur le rapport de police constatant qu’il avait distribué des tracts. Par conséquent, le tribunal a dû se limiter à déterminer si l’auteur, en distribuant des tracts sur une réunion à venir, avait ou non enfreint les dispositions régissant l’organisation d’une manifestation pacifique. D’après l’auteur, ni la police ni le tribunal n’ont pris la peine de préciser les raisons pour lesquelles il était nécessaire, dans ce cas précis, de restreindre le droit de répandre des informations aux fins de l’article 19 du Pacte.

2.4Le 29 février 2008, le tribunal régional de Gomel, en appel, a confirmé la décision du tribunal de district, sans qualifier les actes de l’auteur à la lumière des dispositions du Pacte, bien que l’auteur en ait fait expressément la demande dans l’appel interjeté. Dans son mémoire d’appel, l’auteur a rappelé en particulier au tribunal qu’en cas de conflit les instruments internationaux en vigueur pour le Bélarus l’emportaient sur le droit interne et que, en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, le droit interne ne pouvait être invoqué pour justifier la non-application des dispositions du droit international; et que, en vertu de l’article 15 de la loi de l’État partie sur les accords internationaux, les principes universellement reconnus du droit international et les dispositions des instruments internationaux en vigueur pour le Bélarus faisaient partie intégrante du droit interne. L’auteur aaussi mentionné que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’article 19 du Pacte garantissent la liberté de répandre des informations.

2.5L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité dans des affaires similaires et souligne que la restriction apportée à son droit de répandre des informations n’était pas nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques, ou à la sauvegarde des droits et libertés d’autrui. Il relève que les droits garantis par l’article 19 ne sont pas absolus et peuvent faire l’objet de restrictions, mais ajoute que les dispositions de la loi sur les manifestations de masse qui limitent le droit de répandre des informations ne peuvent pas être vues comme étant conformes aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Pacte, puisqu’elles ne visent pas à protéger la sécurité nationale ou la sûreté publique ni l’ordre public, et ne sont pas nécessaires à la protection de la santé ou de la moralité publiques, ou à la sauvegarde des droits et libertés d’autrui.

2.6L’auteur explique qu’il a épuisé tous les recours internes efficaces qui étaient disponibles et note qu’il n’a pas formé de recours en vertu de la procédure de contrôle (nadzor) auprès de la Cour suprême car ces recours n’aboutissent pas systématiquement à un réexamen de l’affaire et ne sont donc utiles, comme relevé dans la jurisprudence du Comité.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir que l’application de la loi sur les manifestations de masse a entraîné une restriction injustifiée du droit de répandre des informations qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 2 juin et du 4 août 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il explique que le 12 février 2008 le tribunal du district des Soviets de Gomel a reconnu l’auteur coupable en application de l’article23.34 (partie 1) du Code des infractions administratives et l’a condamné à une amende. Le tribunal a établi que le 12 février 2008 l’auteur et une autre personne avaient distribué des tracts invitant la population à assister à une réunion non autorisée qui devait avoir lieu le 15 février 2008. La police avait saisi 1933 tracts en leur possession. L’État partie indique que devant le tribunal, M. Olechkevitch a reconnu sa culpabilité et qu’il n’a pas saisi le procureur pour contester l’action administrative dont il avait fait l’objet. La décision du tribunal a été confirmée en appel le 29 février 2008 par le tribunal régional de Gomel. Cette décision est devenue immédiatement exécutoire et ne pouvait plus être attaquée qu’en vertu de la procédure de contrôle (nadzor).

4.2L’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il explique qu’en vertu des dispositions du Code d’exécution des procédures pour les infractions administratives, l’auteur aurait pu déposer une demande de contrôle de la décision du tribunal régional de Gomel auprès du président de la juridiction supérieure, en l’espèce le Président de la Cour suprême, mais qu’il ne l’a pas fait.

4.3L’État partie explique que les recours formés en vertu de la procédure de contrôle, selon les dispositions de l’article 12.14 du Code d’exécution des procédures pour les infractions administrativesentraînent une vérification de la légalité de la décision contestée, de ses fondements et de son équité, à la lumière des arguments invoqués dans le mémoire de recours. Si le tribunal établit qu’il y a matière à améliorer la situation de l’intéressé, la décision antérieure peut être réexaminée en partie, même si l’intéressé ne l’a pas expressément demandé dans son recours. Ainsi, selon l’État partie, l’argument de l’auteur selon lequel la procédure de contrôle est inefficace est dénué de fondement.

4.4Sur le fond, l’État partie rejette les griefs de l’auteur, qu’il estime non fondés. Il explique qu’en vertu de l’article 23.34 du Code des infractions administratives, le non-respect des dispositions régissant l’organisation ou le déroulement de rassemblements, réunions, manifestations diverses constitue une infraction administrative passible d’un avertissement, une amende, ou une détention administrative. Les pièces du dossier, notamment les tracts en question, font clairement apparaître que la réunion prévue n’était pas autorisée. Les tracts appellent la population à assister à la réunion. Étant donné que l’autorisation n’avait pas été accordée, les actes de l’auteur ne pouvaient qu’être considérés comme contraires aux dispositions régissant l’organisation de manifestations de masse. L’auteur a enfreint l’article 8 de la loi sur les manifestations de masse, en vertu duquel tant que l’autorisation d’organiser une manifestation de masse n’a pas été accordée, il est interdit à quiconque, sans aucune exception, de préparer et de distribuer des matériels d’information à ce sujet.

Commentaires de l’auteur sur lesobservations de l’État partie

5.1 Le 17 septembre 2008, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il expliquequ’il n’a pas saisi le bureau du procureur parce que sa plainte n’aurait pas abouti au réexamen de l’affaire, vu que ce type de recours n’est pas efficace et n’entraîne pas un réexamen de l’affaire. Il relève que seuls les recours efficaces et accessibles doivent être épuisés.

5.2 En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui indique qu’il a distribué des tracts invitant à une réunion avant d’avoir obtenu l’autorisation, l’auteur relève qu’en vertu de l’article 8 de la Constitution, l’État partie accepte les principes universellement reconnus du droit international et veille à ce que le droit interne soit conforme à ces principes. Il souligne que les États parties doivent s’acquitter de bonne foi de leurs obligations internationales et qu’en vertu des articles 26 et 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, une partie à un accord international ne peut pas invoquer les dispositions du droit interne pour justifier la non-application du traité. Il note également qu’en vertu de l’article 15 de la loi de l’État partie sur les traités internationaux, les principes universellement reconnus du droit international et les dispositions des instruments internationaux auxquels le Bélarus est partie font partie intégrante du droit interne.

5.3 À cet égard, l’auteur note que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte garantit la liberté d’expression, y compris le droit de répandre des informations, et souligne que l’exercice de ce droit ne peut être restreintqu’à la condition de respecterles fins énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Les motifs invoqués par les tribunaux pour justifier les sanctions administratives prononcées à son encontre ne correspondent, selon l’auteur, à aucun des buts pour lesquels des restrictions sont autorisées, en violation des droits de l’auteur au titre de l’article 19, paragraphe 2, du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Par note verbale du 26 mars 2009, l’État partie a fait parvenir des informations complémentaires. Il relève tout d’abord que c’est à tort que l’auteur affirme qu’un recours auprès du bureau du procureur n’aboutit pas au réexamen d’une affaire et que la saisine de la Cour suprême en vertu de la procédure de contrôle (nadzor) n’est pas efficace. Pour étayer son propos, l’État partie fournit des statistiques qui montrent qu’en 2007 la Cour suprême a examiné 733 affaires administratives, y compris à la demande du bureau du procureur. Le Président de la Cour suprême a annulé ou modifié les décisions dans 116 cas (dont 63 à la demande du bureau du procureur). En 2008, 171 décisions ont été annulées ou modifiées, dont 146 qui avaient été réexaminées à la demande du bureau du procureur. Au total, 1071 affaires administratives ont été examinées par la Cour suprême en 2008. Ainsi, en 2007, la Cour suprême a annulé ou modifié des décisions dans 24,4 %des affaires administratives dont elle avait été saisie; en 2008, la proportion s’élevait à 29,6%.

6.2L’État partie affirme ensuite que l’argument de l’auteur selon lequel les sanctions administratives prises contre lui n’étaient pas justifiées au regard du paragraphe3 de l’article19 du Pacte est dénué de fondement. La loi sur les manifestations de masse régit l’organisation et le déroulement des rassemblements, réunions, manifestations, défilés de rue, piquets, etc. Son préambule indique clairement que son objectif est d’établir les conditions nécessaires à la réalisation des droits et libertés constitutionnels des citoyens et à la protection de la sécurité et de l’ordre publics lorsqu’une telle manifestation est organisée dans la rue, sur une place ou dans un autre lieu public. L’auteur a enfreint les restrictions prévues par l’article 23.34 du Code des infractions administratives et l’article 8 de la loi sur les manifestations de masse, qui sont nécessaires à la protection de la sécurité et de l’ordre publics pendant le déroulement des rassemblements, réunions, défilés de rue, etc.

6.3L’État partie ajoute que le droit d’exprimer librement une opinion est garanti par l’article19 à tous les citoyens des États parties au Pacte. En tant que partie au Pacte, il reconnaît et respecte pleinement ses obligations dans ce domaine. L’article 33 de la Constitution garantit la liberté d’opinion, de conviction et leur libre expression. Même si le droit à la liberté d’expression est considéré comme l’un des principaux droits de l’homme, il n’est pas absolu. L’article 19 ne fait pas partie des articles auxquels aucune dérogation n’est autorisée, dont la liste figure à l’article 4 du Pacte. Aussi, l’exercice de ce droit peut-il être limité par l’État, pour autant que les restrictions apportées soient fixées par la loi, aient un but légitime et soient nécessaires dans une société démocratique.

6.4En vertu de l’article 23 de la Constitution, les seules restrictions autorisées aux droits et libertés sont celles qui sont prévues par la loi et qui sont dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la protection de la moralité et de la santé de la population, et des droits et libertés d’autrui. De même, le paragraphe 3 de l’article19 du Pacte dispose que l’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du même article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales, et qu’il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et être nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui, à la sauvegarde de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

6.5D’après l’État partie, les dispositions citées plus haut permettent de conclure que le droit de recevoir et de répandre des informations ne peut être réalisé que conformément à la loi, c’est-à-dire dans le cadre de la législation existante d’un État partie au Pacte. La législation bélarussienne actuelle offre les conditions nécessaires à l’exercice de la liberté d’expression par les citoyens et à la réception et à la diffusion des informations.

6.6L’État partie affirme que l’auteur induit le Comité en erreur au sujet de la législation en vigueur. Ainsi, en vertu de l’article 2.15 (partie 2, point 7) du Code d’exécution des procédures pour les infractions administratives, un procureur peut, dans les limites de sa compétence, introduire une motion de protestation contre des décisions rendues en matière administrative lorsqu’elles sont contraires à la loi. L’article 12.11 (point 1) du Code dispose que les décisions rendues en matière administrative passées en force dechose jugée peuvent être réexaminées, notamment à la suite de l’introduction d’une motion de protestation par un procureur. L’article 12.14 (point 2) du Code dispose qu’après l’examen d’une motion de protestation, la décision contestée peut être partiellement ou totalement annulée et l’affaire peut être renvoyée pour nouvel examen. L’article 12.11 (point 3)fixe un délai de six mois pour introduire une motion de protestation, qui court à compter de la date d’entrée en vigueur de la décision contestée. Par conséquent, un recours auprès du bureau du procureur peut aboutir au réexamen au fond d’une affaire administrative. En l’espèce, l’auteur s’est délibérément abstenu d’exercer tous les recours internes qui lui étaient ouverts.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que l’auteur explique qu’il n’a pas sollicité le contrôle (nadzor) de la décision rendue par le tribunal du district des Soviets de Gomel le 12 février 2008 ni de celle rendue en appel par le tribunal régional de Gomel le 29 février 2008 parce que, selon lui, ce recours n’est ni efficace ni accessible. Le Comité prend également note des objections de l’État partie à ce sujet et, en particulier, des statistiques qu’il cite pour démontrer que la procédure de contrôle a été efficace dans un certain nombre de cas. Toutefois, le Comité note que l’État partie n’a ni indiqué si la procédure avait été appliquée avec succès dans des affaires concernant la liberté d’expression ni précisé, dans l’affirmative, le nombre de ces affaires. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les procédures de contrôle des décisions de justice devenues exécutoires ne constituent pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2b) de l’article5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

7.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé le grief de violation du paragraphe2 de l’article19 du Pacte. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité doit déterminer si la condamnation de l’auteur à une amende pour avoirdistribué des tracts concernant la tenue, à Gomel, de deux réunions publiques avec un opposant politique, pour lesquelles les autorités n’avaient pas donné leur autorisation, constitue une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe2 de l’article19 du Pacte.

8.3Le Comité rappelle à ce sujet son Observation générale no34, dans laquelle il a déclaré notamment que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Toutes restrictions imposées à la liberté d’expression doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité et «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire».

8.4Le Comité a pris note de l’explication donnée par l’État partie qui indique que, en vertu de la loi sur les manifestations de masse, aucune information sur une réunion prévue ne peut être diffusée tant que les autorités compétentes n’ont pas donné l’autorisation officielle d’organiser la réunion, et que l’action de l’auteur constituait une infraction administrative. L’État partie a également reconnu que le droit à la liberté d’expression ne pouvait être limité que conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19, sans toutefois expliquer comment dans ce cas précis les actes de l’auteur avaient concrètement porté atteinte aux droits ou à la réputation d’autrui, ou constitué une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques.

8.5 Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de montrer que les restrictions imposées au droit garanti par l’article 19 étaient en l’espèce nécessaireset que même si un État partie a la faculté de mettre en place un système visant à réaliser un équilibre entre la liberté des individus de répandre des informations et l’intérêt général consistant à maintenir l’ordre public dans une certaine zone, le fonctionnement de ce système ne doit pas être incompatible avec l’article 19 du Pacte. Étant donné que le tribunal régional de Gomel a refusé d’examiner la question de savoir si la restriction du droit de l’auteur de répandre des informations était nécessaire, et en l’absence d’autres renseignements utiles dans le dossier pour justifier les décisions des autorités à la lumière du paragraphe 3 de l’article 19, le Comité considère que les restrictions aux droits de l’auteur dans la présente affaire étaient incompatibles avec les obligations fixées dans cette disposition du Pacte. Il conclut, par conséquent, que l’auteur est victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Au vu de ce qui précède, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe2 de l’article 19 du Pacte.

10.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme du remboursement de la valeur actuelle de l’amende et des frais de justice engagés par l’auteur, ainsi que d’une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. À cet effet, l’État partie devrait revoir sa législation, en particulier la loi sur les manifestations de masse et son application, de façon à les rendre conformes aux dispositions de l’article 19 du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement en bélarusse et en russe.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (concordante) de M. Fabián Omar Salvioli, M. Yuval Shany et M. Víctor Manuel Rodríguez-Rescia

1.Nous approuvons la décision du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Olechkevitch c. Bélarus (communication no 1785/2008) à propos de la violation de l’article 19 du Pacte constituée par l’application à l’auteur de la peine prévue à l’article 8 de la loi sur les manifestations de masse dans la République du Bélarus, qui dispose que nul n’a le droit d’annoncer dans les médias la date, le lieu et l’heure d’une manifestation, ni de préparer et de distribuer des tracts, des affiches ou d’autres matériels à cet effet avant que l’autorisation d’organiser la manifestation n’ait été délivrée.

2.Toutefois, pour les raisons exposées plus bas, nous estimons que le Comité aurait dû constater que dans cette affaire l’État est également responsable d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte et que, compte tenu des faits établis, il aurait dû examiner la violation de l’article 19 à la lumière de l’article 21 du Pacte.

3.D’une façon incompréhensible, le Comité a limité lui-même sa capacité de constater une violation du Pacte en l’absence de grief juridique spécifique. Le Comité doit apprécier les preuves présentées par les parties avec rigueur et si les faits établis montrent qu’une violation du Pacte a été commise, il peut et doit − en vertu du principe jura novit curiae − inscrire l’affaire dans le droit. Les fondements juridiques de cette position et les raisons pour lesquelles elle ne suppose pas que les États se retrouvent sans défense ont déjà été exposés dans de précédentes opinions individuelles, auxquelles nous souscrivons.

a)Violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte

4.La responsabilité internationale de l’État peut naître de l’action du pouvoir législatif ou de toute autre branche habilitée à légiférer conformément à l’ordre interne de l’État. Le manquement à l’obligation énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 engage la responsabilité internationale de l’État; il peut résulter d’une action (l’adoption de normes incompatibles avec le Pacte) ou d’une omission (la non-mise en conformité des normes internes avec les dispositions du Pacte après ratification de celui-ci).

5.Le Bélarus a ratifié le Pacte le 12 novembre 1973 et a adopté le 20 décembre 1997 la loi sur les manifestations de masse, laquelle définit les sanctions applicables aux infractions visées par le Code des infractions administratives. L’article 8 de cette loi, qui interdit de produire et de diffuser des informations concernant des manifestations publiques avant que l’autorisation d’organiser les manifestations en question n’ait été délivrée, rend ineffectif le droit de répandre des informations protégé par l’article 19 du Pacte; contrairement à ce qui devrait être, l’article 8 de la loi sur les manifestations de massefacilite la violation de l’article 19 du Pactepar les autorités de l’État en leur permettant de soumettre la liberté d’expression à des restrictions étendues. L’article 8 de la loi sur les manifestations de masseest, par conséquent, incompatible avec le Pacte et contraire à l’obligation de donner effet aux droits reconnus dans le Pacte qui découle du paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 19.

6.M. Olechkevitch dénonce clairement la manière dont cette disposition lui a été appliquée, comme il ressort des paragraphes 2.1 et 3 de la communication. De plus, le Comité a pris note de l’argument de l’auteur qui fait valoir que «les dispositions de la loi sur les manifestations de masse qui limitent le droit de répandre des informations ne peuvent pas être vues comme étant conformes aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Pacte…» (par. 2.5 des constatations).

7.L’auteur a exposé on ne peut plus clairement ses griefs et l’État a eu amplement l’occasion de les contester et de les réfuter dans les réponses et observations complémentaires qu’il a adressées au Comité. Nous estimons, par conséquent, que si le Comité a conclu à bon droit à une violation distincte de l’article 19, il aurait dû également constater une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec l’article 19.

b)Violation de l’article 19 lu conjointement avec l’article 21

8.Un élément complémentaire à prendre en considération est le contexte général dans lequel les faits se sont produits: le Comité ne peut pas faire abstraction, aux fins de son analyse, de l’objet des tracts qui était d’appeler à un rassemblement public. L’objectif premier de l’application à l’auteur de la restriction prévue à l’article 8 de la loi de 1997 était d’empêcher la tenue du rassemblement. Cette mesure a entraîné une violation du droit de réunion pacifique que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte. Lorsqu’un État partie cherche à justifier une restriction de la liberté d’expression,le niveau de la preuve doit être particulièrement élevé afin d’éviter que la restriction ait pour effet d’entraver l’exercice de l’un quelconque des droits consacrés par le Pacte. Cela n’a pas été le cas en l’espèce.

9.Le droit de réunion pacifique est garanti par l’article 21 du Pacte. Les faits établis devant le Comité montrent qu’en l’espèce l’interdiction de la distribution des tracts a entraîné une violation du droit à la liberté d’expression (art. 19) ainsi qu’une violation de l’article 19 lu conjointement avec l’article 21 puisqu’elle a également porté atteinte au droit de réunion pacifique.

c)Décision sur le fond de l’affaire Olechkevitch

10.Pour les raisons exposées plus haut, nous estimons que le paragraphe 9 des constatations du Comité aurait dû se lire comme suit: 9. Au vu de ce qui précède, le Comité des droits de l ’ homme, agissant en vertu du paragraphe  4 de l ’article  5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l ’auteur tient du paragraphe  2 de l ’article  19 du Pacte, de l ’article  19 lu conjointement avec l ’article 21 et du paragraphe  2 de l ’ article 2 lu conjointement avec l ’article 19 .

d)Réparation recommandée dans l’affaire Olechkevitch: confirmation de l’évolutionde la jurisprudence du Comité

11.Au paragraphe 10 de ses constatations dans l’affaire Olechkevitch, le Comité ne se contente pas de dire que l’auteur doit obtenir une réparation complète; il indique expressément ce que l’État partie doit faire pour garantir que des faits analogues ne se reproduisent pas, en l’occurrence revoir sa législation, en particulier la loi sur les manifestations de masse et son application, de façon à les rendre conformes aux dispositions du Pacte. Le Comité confirme ainsi la position concernant la réparation qu’il avait adoptée dans l’affaire Schumilin c. Bélarus, différente de celle qu’il avait adoptée dans l’affaire Tulzhenkova, et qui constitue un progrès.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinoiset en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]