NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/94/D/1275/200420 novembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quatorzième session13-31 octobrer 2008

CONSTATATIONS

Communication n o  1275/2004

Présentée par:

Anarbai Umetaliev et Anarkan Tashtanbekova (représentés par un conseil, M. Sartbai Zhaichibekov)

Au nom de:

Les auteurs et leur fils décédé, Eldiyar Umetaliev

État partie:

Kirghizistan

Date de la communication:

20 janvier 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 30 mars 2004 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

30 octobre 2008

Objet: Privation arbitraire de la vie d’un national kirghize au cours d’une opération de sécurité antiémeute; absence d’enquête adéquate et d’action en justice contre les responsables; déni de justice

Questions de procédure: Néant

Question s de fond: Droit à la vie; privation arbitraire de la vie; déni de justice; recours utile

Article s du Pacte: 6 (par. 1), 2 (par. 3 b) et c))

Article du Protocole facultatif: Néant

Le 30 octobre 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1275/2004 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑quatorzième session

concernant la

Communication n o  1275/2004 *

Présentée par:

Anarbai Umetaliev et Anarkan Tashtanbekova (représentés par un conseil, M. Sartbai Zhaichibekov)

Au nom de:

Les auteurs et leur fils décédé, Eldiyar Umetaliev

État partie:

Kirghizistan

Date de la communication:

20 janvier 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1275/2004, présentée par Anarbai Umetaliev et Anarkan Tashtanbekova en leur nom propre et au nom d’Eldiyar Umetaliev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication, Anarbai Umetaliev, Kirghize, né en 1953, et Anarkan Tashtanbekova, également Kirghize, née en 1958, sont les parents de M. Eldiyar Umetaliev, Kirghize né en 1979 et décédé le 18 mars 2002 à Kerben, au Kirghizistan. Les auteurs présentent la communication en leur nom propre et au nom de leur fils. Ils affirment qu’eux‑mêmes et leur fils ont été victimes de violations par le Kirghizistan des droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 6 et au paragraphe 3 b) et c) de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, M. Sartbai Zhaichibekov.

1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995.

Rappel des faits

2.1Le 5 janvier 2002, M. Azimbek Beknazarov, député au Parlement (le Zhogorku Kenesh) et membre d’un parti d’opposition, a été arrêté par la police dans la région de Djalal‑Abad au Kirghizistan au motif qu’en 1995, alors qu’il était enquêteur au bureau du procureur de la région, il n’avait pas ouvert d’enquête sur un meurtre. Ses partisans estimaient que les charges avancées contre lui visaient à le punir d’avoir critiqué le Gouvernement, en particulier d’avoir désapprouvé la cession à la Chine d’une partie du territoire kirghize dans le cadre d’un accord de délimitation de la frontière. Le 6 janvier 2002, ses partisans ont lancé une campagne pour demander sa libération.

2.2Le 17 mars 2002, les forces de l’ordre ont dispersé une manifestation de soutien organisée à Bospiek en faveur de M. Beknazarov, tuant quatre personnes et en blessant six. Le 18 mars 2002, une autre manifestation en faveur de la libération de M. Beknazarov s’est déroulée à Kerben, à proximité du Département des affaires intérieures du district d’Aksy, et a été dispersée par les forces de l’ordre qui ont tiré sur la foule, tuant Eldiyar Umetaliev et blessant six autres manifestants. Les auteurs ont présenté six déclarations sous serment de témoins oculaires, dont deux amis d’Eldiyar Umetaliev présents à la manifestation, qui décrivent les faits, l’utilisation d’armes automatiques ainsi que le type de voiture d’où a été tirée la balle ayant tué Eldiyar Umetaliev.

2.3Le corps d’Eldiyar Umetaliev a été transporté à la morgue en ambulance. Une autopsie a alors été réalisée par un médecin légiste du Centre médico-légal de la région de Djalal‑Abad en présence d’un médecin légiste du Centre médico-légal du district d’Aksy. À la demande d’un enquêteur, qui ne s’est pas présenté, on a interdit à l’avocat des auteurs d’assister à l’autopsie. Selon les auteurs, le médecin légiste d’Aksy a estimé qu’Eldiyar Umetaliev avait été tué par une balle d’arme automatique. Le rapport médico-légal officiel du 28 mars 2002, signé par le médecin légiste de Djalal‑Abad, indique en revanche que la victime a été tuée par un projectile de fusil de chasse. La cause de la mort d’Eldiyar Umetaliev inscrite dans le certificat de décès en date du 4 avril 2002, est une «plaie perforante au cou et à la lèvre supérieure provoquée par un projectile d’arme à feu». Les auteurs affirment que les blessures d’entrée et de sortie de la balle sur le corps de leur fils observées par l’avocat avant l’autopsie ne correspondent pas à des blessures de projectiles de fusil de chasse.

2.4Le 20 mars 2002, les auteurs ont déposé une requête auprès du Service de la sûreté nationale demandant qu’une enquête soit ouverte sur la mort de leur fils. Ils n’ont reçu aucune réponse. Le 23 octobre 2002, ils ont présenté au Procureur général une requête demandant l’ouverture d’une enquête, avec copie à M. Beknazarov, le député de l’opposition, dont l’affaire avait été classée et le mandat parlementaire rétabli le 28 juin 2002. Le 28 octobre 2002, M. Beknazarov s’est adressé au Procureur général pour demander une enquête sur la mort d’Eldiyar Umetaliev. Le 6 novembre 2002, le bureau du Procureur général a transmis la demande des auteurs au directeur du Département des enquêtes du Service de la sûreté nationale en lui demandant de prendre de nouvelles dispositions en vue d’élucider les circonstances de la mort d’Eldiyar Umetaliev. Le 26 novembre 2002, les auteurs ont soumis une nouvelle requête au Procureur général, au Premier Ministre et au directeur du Service de la sûreté nationale pour demander l’ouverture d’une enquête. Ils n’ont reçu aucune réponse.

2.5Une lettre du Service de la sûreté nationale, en date du 3 janvier 2003, a informé les auteurs que l’enquête pénale sur la mort d’Eldiyar Umetaliev était suspendue parce que les enquêteurs n’avaient pu identifier le ou les responsables. Cette lettre indiquait de plus que des unités opérationnelles spéciales du Service de la sûreté nationale et du Ministère des affaires intérieures avaient été chargées de mener une enquête complémentaire sur les circonstances de la mort de leur fils. Les auteurs se sont adressés ensuite au chef du Département de la sécurité publique du Ministère de l’intérieur pour demander l’ouverture d’une enquête. Le 16 janvier 2003, le chef du Département a répondu que le procureur du district d’Aksy avait ouvert, à une date non précisée, une enquête pénale sur les événements du 17 mars 2002 (Bospiek) et du 18 mars 2002 (Kerben). Le 22 mars 2002, le Procureur général avait chargé le Service de la sûreté nationale de poursuivre l’enquête. Le 28 décembre 2002, le tribunal militaire kirghize avait condamné à des peines d’emprisonnement quatre agents des forces de l’ordre. Selon les auteurs, ces condamnations ne concernaient que les événements de Bospiek du 17 mars 2002.

2.6Le 26 février 2003, le directeur adjoint du Département des enquêtes du Service de la sûreté nationale a envoyé aux auteurs une lettre dans laquelle il confirmait, notamment, que les responsables de la fusillade du 17 mars 2002 à Bospiek avaient été identifiés et traduits en justice, que l’affaire pénale concernant leur fils avait été disjointe de celle relative aux événements de Bospiek et était instruite séparément. L’enquête avait toutefois été suspendue parce que les enquêteurs n’étaient pas parvenus à identifier les responsables de la mort d’Eldiyar Umetaliev. Dans cette même lettre, il était une fois encore signalé aux parents d’Eldiyar Umetaliev que des unités opérationnelles spéciales du Service de la sûreté nationale et du Ministère des affaires intérieures avaient été chargées de mener une enquête complémentaire, qui se poursuivait, sur les circonstances de la mort de leur fils.

2.7Le 22 avril 2003, ainsi qu’à une autre date non précisée, les auteurs ont présenté au Président de la République kirghize et au directeur du Service de la sûreté nationale de nouvelles requêtes dans lesquelles ils posaient des questions précises sur l’avancement de l’enquête. Le 12 juin 2003, le Service de la sûreté nationale a répondu que l’enquête pénale ouverte pour déterminer les circonstances de la mort d’Eldiyar Umetaliev était menée par le Département des enquêtes du bureau régional de Djalal‑Abad du Service de la sûreté nationale. En conséquence, toute demande ultérieure de renseignements devait être adressée au Département des enquêtes du bureau régional de Djalal‑Abad du Service de la sûreté nationale.

2.8Le 17 juin 2003, les auteurs ont adressé au Président de la République kirghize une nouvelle demande d’enquête que le directeur adjoint du Département juridique du cabinet présidentiel a ensuite transmise au Président de la Cour suprême. Le 27 juin 2003, le Président adjoint de la Cour suprême a répondu que l’enquête pénale ouverte dans l’affaire de la mort d’Eldiyar Umetaliev se poursuivait et que toute demande ultérieure d’information devait donc être adressée aux organes chargés de l’enquête ou au bureau du procureur. Le 12 août 2003, les auteurs ont présenté au Premier Ministre une nouvelle demande d’enquête. Le 27 août 2003, le directeur adjoint du cabinet du Premier Ministre a répondu qu’en vertu de la séparation des pouvoirs le Gouvernement ne pouvait intervenir dans le traitement des enquêtes pénales par l’appareil judiciaire.

2.9Dans des requêtes datées du 10 septembre 2003, les auteurs ont demandé au directeur du Bureau du Service de la sûreté nationale du district d’Aksy et au directeur du Département des affaires intérieures du district d’Aksy de leur indiquer où en était l’enquête. Ils n’ont reçu aucune réponse. Le 10 septembre 2003, ils ont adressé une requête dans le même sens au procureur du district d’Aksy. Le 12 septembre 2003, le procureur du district d’Aksy a transmis la requête, avec une lettre d’accompagnement, au directeur du Département des enquêtes du Service de la sûreté nationale.

2.10Le 25 décembre 2003, l’avocat des auteurs a demandé au directeur du Centre médico‑légal de Djalal‑Abad de lui faire tenir des copies des certificats médicaux établissant la cause de la mort des cinq personnes, dont Eldiyar Umetaliev, tuées les 17 et 18 mars 2002. À une date non précisée, le Centre médico‑légal de Djalal‑Abad a répondu qu’il refusait de fournir un quelconque document en rapport avec les événements d’Aksy.

2.11Le 25 décembre 2003, les auteurs ont soumis une requête au Procureur général, avec copie à M. Beknazarov, le député de l’opposition, en vue d’être reconnus comme victimes dans l’enquête pénale sur la mort de leur fils et d’obtenir des renseignements précis sur cette enquête. Le même jour, ils ont adressé au directeur du Service de la sûreté nationale et au directeur du Département des enquêtes du Service de la sûreté nationale des requêtes dans le même sens, qui sont restées sans réponse.

2.12Le 8 janvier 2004, le Procureur général adjoint a transmis la requête des auteurs en date du 25 décembre 2003 au procureur de la région de Djalal‑Abad et lui a demandé d’informer les auteurs, ainsi que M. Beknazarov (qui avait appuyé la requête des auteurs) et le bureau du Procureur général, des mesures prises. À une date non précisée, le procureur de la région de Djalal‑Abad a répondu qu’une enquête pénale avait été menée par le Département des enquêtes du bureau régional de Djalal‑Abad du Service de la sûreté nationale, mais qu’elle avait été suspendue le 3 mai 2003 parce qu’il avait été impossible d’identifier les responsables. Il a en outre indiqué que le 4 décembre 2003, le bureau du procureur de la région de Djalal‑Abad avait réexaminé l’affaire et que l’enquête serait intensifiée.

2.13À une date non précisée, les auteurs ont engagé auprès du tribunal de district d’Aksy une action civile en réparation pour la mort de leur fils et le préjudice moral et matériel subi. À une date non précisée, le tribunal de district d’Aksy a rejeté cette demande des auteurs.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits garantis par l’article 6 (par. 1) et l’article 2 (par. 3 b) et c)) du Pacte, en privant arbitrairement Eldiyar Umetaliev de la vie, puis en ne prenant pas de mesures appropriées pour enquêter sur les circonstances de sa mort et en ne traduisant pas les responsables en justice.

3.2Les auteurs affirment en outre que comme l’État partie n’a pas pris de mesures appropriées pour enquêter sur les circonstances de la mort d’Eldiyar Umetaliev, ils ne peuvent obtenir une indemnisation pour sa mort et pour le préjudice moral et matériel subi.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication

4.1Dans une note du 24 mai 2004, l’État partie indique qu’Eldiyar Umetaliev est mort d’une blessure par arme à feu au cou pendant les événements du 18 mars 2002 à Kerben, dans le district d’Aksy. Les circonstances de son décès ont donné lieu à des investigations dans le cadre de l’enquête pénale ouverte sur les «émeutes». Conformément au Code de procédure pénale, quand l’affaire a été renvoyée au tribunal, les pièces relatives à la mort d’Eldiyar Umetaliev ont été séparées du reste du dossier. L’enquête pénale distincte engagée pour élucider les circonstances du décès d’Eldiyar Umetaliev est menée par le Département des enquêtes du bureau régional de Djalal‑Abad du Service de la sûreté nationale. Le ou les responsables n’ayant pu être identifié(s), l’enquête a été suspendue mais des «mesures opérationnelles» sont toujours mises en œuvre pour identifier et traduire en justice les responsables de la mort d’Eldiyar Umetaliev.

4.2L’État partie indique que l’action civile en réparation intentée par les auteurs pour la mort de leur fils et le préjudice moral qu’ils ont subi a été suspendue jusqu’à la clôture de l’enquête pénale.

Commentaires des auteurs sur les observations de l ’ État partie

5.1Dans une réponse du 5 août 2004, les auteurs affirment que, contrairement à l’affirmation de l’État partie selon laquelle des «mesures opérationnelles» continuent à être mises en œuvre pour identifier et juger les responsables de la mort d’Eldiyar Umetaliev, rien n’est fait concrètement pour poursuivre l’enquête. Ils n’avaient reçu aucune réponse claire ni aucune information pertinente des autorités avant la soumission de leur communication au Comité.

5.2Ce n’est qu’après avoir adressé leur communication au Comité que les auteurs ont été pour la première fois autorisés, le 14 mai 2004, à avoir accès au dossier de l’enquête pénale ouverte pour déterminer les circonstances de la mort de leur fils. Le 7 juin 2004, les auteurs ont reçu une copie du dossier de l’enquête. Ils y ont appris que l’enquêteur avait suspendu la procédure le 15 septembre 2002 parce qu’il n’avait pas été possible d’identifier les responsables de la mort de leur fils et que le délai imparti pour clore l’enquête était écoulé. Ces documents montrent en outre que le 3 mai 2003 le procureur a rouvert l’enquête et que, à une date non précisée, l’enquêteur a sollicité des informations auprès du Département des affaires intérieures de la région de Djalal‑Abad et du Département des affaires intérieures du district d’Aksy. Le dossier ne contient aucun élément indiquant qu’une réponse a été reçue de l’un de ces deux bureaux.

5.3En examinant le dossier d’enquête, les auteurs ont constaté qu’il y avait en fait deux rapports médico‑légaux, un du Centre médico‑légal de Djalal‑Abad daté du 28 mars 2002 (voir par. 2.3) et un du Bureau médico‑légal de la République daté du 25 avril 2002. Les auteurs renvoient au certificat du 25 avril 2002, dans lequel il est indiqué que la blessure au cou que portait Eldiyar Umetaliev était due à une balle de 5 à 6 mm de diamètre contenant du cuivre. L’expert concluait qu’il pouvait s’agir soit d’une balle de calibre 5,45 provenant d’une arme automatique AK‑74 (Kalashnikov) ou d’un pistolet PSM (arme automatique compacte), soit d’une balle de calibre 5,6 provenant d’une «carabine Bars» (fusil de chasse). Les auteurs affirment que les balles de carabine Bars ne contiennent pas de cuivre et que la balle doit donc provenir d’une arme automatique ou d’un pistolet, que seuls les militaires utilisent selon eux. Les auteurs affirment en outre que le rapport médical en question mentionne «l’extraction du dos et des fesses» d’Eldiyar Umetaliev d’une munition de 3 à 4 mm contenant du plomb. Selon le père d’Eldiyar Umetaliev et les déclarations sous serment des deux témoins présents à l’autopsie, les experts ont retiré du dos et des fesses d’Eldiyar Umetaliev non pas un mais trois fragments métalliques de 3 à 4 mm de diamètre. Les auteurs contestent en outre la conclusion de l’expert du Centre médico‑légal de Djalal‑Abad du 28 mars 2002 indiquant qu’Eldiyar Umetaliev présentait «une plaie perforante au cou et à la lèvre supérieure provoquée par un projectile d’arme à feu».

5.4Les auteurs font valoir que dans la recherche des responsables de la mort d’Eldiyar Umetaliev l’État partie n’a pas pris de mesures effectives, telles qu’un examen balistique par des experts des armes utilisées par les agents des forces de l’ordre ainsi que des balles d’armes automatiques et de pistolets ramassés sur les lieux. Ils affirment que pas un membre des unités spéciales ou ordinaires des forces de l’ordre n’a été interrogé au cours de l’enquête, malgré des témoignages accablants attestant que des membres de ces forces avaient ouvert le feu ce jour-là.

5.5Les auteurs affirment en outre que le 30 mars 2004 le Président du tribunal de district d’Aksy a suspendu leur action civile en indemnisation au motif que l’enquête pénale n’était pas close. La décision du 30 mars 2004 n’a pas été contestée devant la cour d’appel. Le 5 juillet 2004, le Présidium du tribunal régional de Djalal‑Abad, statuant en réexamen en supervision, a confirmé la décision du tribunal de district d’Aksy pour le même motif.

Réponses complémentaires de l ’ État partie concernant les commentaires des auteurs

6.Dans une réponse du 11 novembre 2004, l’État partie indique qu’à une date non précisée les auteurs ont à nouveau demandé que la décision du tribunal de district d’Aksy en date du 30 mars 2004 et la décision du tribunal régional de Djalal‑Abad en date du 5 juillet 2004 soient soumises à un réexamen en supervision. Le 8 octobre 2004, l’affaire au civil a été renvoyée à la Cour suprême qui l’examinera conformément à la procédure civile. L’enquête pénale ouverte pour élucider les circonstances de la mort d’Eldiyar Umetaliev est toujours suspendue, mais le Bureau du Procureur général pourrait la rouvrir à la réception de nouveaux éléments.

Commentaires des auteurs sur les réponses complémentaires de l ’ État partie

7.1Le 24 janvier 2005, en réponse à l’argument de l’État partie selon lequel la Cour suprême est saisie de l’action civile intentée par les auteurs (voir par. 6 ci‑dessus), les auteurs ont transmis une copie de la décision de la Cour suprême du 26 novembre 2004 confirmant la décision du tribunal régional de Djalal‑Abad du 5 juillet 2004 au motif que l’enquête pénale n’était pas close.

7.2Les auteurs ont en outre communiqué une copie d’une lettre adressée le 24 août 2004 à M. Beknazarov, le député, par le premier substitut du Procureur général l’informant, notamment, que le bureau du procureur était d’avis que «l’usage d’armes à feu par les agents du Ministère des affaires intérieures [lors des événements d’Aksy] était entièrement légal».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à ce sujet, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

8.3Le Comité estime que les griefs soulevés par les auteurs au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 3 b) et c) de l’article 2 du Pacte ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 6, le Comité rappelle son Observation générale no 6 relative à l’article 6 du Pacte et réaffirme que le droit consacré dans cet article est le droit suprême pour lequel aucune dérogation n’est autorisée, même dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, l’ouverture d’une enquête pénale et ensuite de poursuites judiciaires représente des recours nécessaires pour les violations de droits fondamentaux tels que ceux qui sont protégés par l’article 6. Il rappelle aussi son Observation générale no31 et affirme que, lorsque les enquêtes révèlent la violation de certains droits reconnus dans le Pacte, les États parties sont tenus de veiller à ce que les responsables soient traduits en justice.

9.3Le Comité note que l’État partie admet qu’Eldiyar Umetaliev a été tué le 18 mars 2002 lors des événements de Kerben, dans le district d’Aksy, et que son corps présentait une plaie au cou causée par une arme à feu. L’État partie se contente d’indiquer au sujet de l’enquête ouverte qu’elle a été suspendue parce que les responsables n’ont pu être identifiés. L’enquête n’a pas été close, ce qui empêche l’aboutissement de l’action en réparation intentée par les auteurs.

9.4Le Comité note aussi que, dans leur communication au Comité et de nombreuses lettres adressées aux autorités de l’État partie, les auteurs ont imputé la privation arbitraire de la vie dont leur fils a été victime aux forces de l’ordre de l’État partie et ont fourni à l’appui de leur requête des arguments suffisamment étayés établissant: a) qu’Eldiyar Umetaliev est mort, comme l’atteste son certificat de décès; b) que sa mort est intervenue aux mêmes moment et endroit que des opérations antiémeute menées par des membres des forces de l’ordre; c) que le rapport médico-légal du Bureau médico-légal de la République en date du 25 avril 2002 n’excluait pas que la blessure fatale à Eldiyar Umetaliev ait pu être causée par une balle de mitrailleuse ou de pistolet (armes qui, selon les auteurs, n’étaient alors et ne sont utilisées que par des militaires). Le Comité considère que les graves conséquences qu’a l’utilisation d’armes à feu en tant que telle pour l’exercice du droit à la vie justifiaient à tout le moins de diligenter une enquête distincte sur l’éventuelle implication des forces de l’ordre de l’État partie dans la mort d’Eldiyar Umetaliev. Le Comité note de surcroît que l’État partie n’a en rien démontré qu’il avait pris des mesures efficaces et réalisables conformément à l’obligation de protéger le droit à la vie lui incombant en vertu du paragraphe 1 de l’article 6, pour prévenir une privation arbitraire de la vie et ne pas commettre un tel acte.

9.5Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne peut reposer uniquement sur l’auteur de la communication, vu en particulier que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours les mêmes possibilités d’accès aux preuves et que, fréquemment, l’État partie est seul à détenir l’information pertinente. Il découle implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité l’information qu’il détient. En outre la privation de la vie est une question d’une extrême gravité. La loi doit donc contrôler et limiter strictement les circonstances dans lesquelles un individu peut être privé de la vie par les autorités. Le Comité relève que les arguments avancés par les auteurs suggèrent une responsabilité directe de l’État partie dans la mort d’Eldiyar Umetaliev du fait d’un usage excessif de la force et considère que ces affirmations, que l’État partie n’a pas contestées et que les auteurs ont suffisamment étayées, justifient la conclusion qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte à l’égard d’Eldiyar Umetaliev.

9.6Le Comité relève en outre que, alors que plus de six ans se sont écoulés depuis la mort d’Eldiyar Umetaliev, les auteurs ne connaissent toujours pas les circonstances exactes ayant entouré la mort de leur fils et que les autorités de l’État partie n’ont inculpé, poursuivi ou jugé quiconque en relation avec ces événements. L’affaire pénale reste suspendue sans que l’État partie ait indiqué exactement quand elle serait close. Le Comité estime que l’incapacité persistante des autorités de l’État partie à prendre des mesures appropriées pour enquêter sur les circonstances de la mort d’Eldiyar Umetaliev a effectivement privé les auteurs d’un recours. Le Comité note aussi que l’action civile en réparation pour la mort du fils des auteurs est suspendue jusqu’à l’achèvement de l’enquête pénale. Le Comité conclut que l’État partie a commis à l’égard des auteurs une violation des droits garantis au paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Kirghizistan des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, à l’égard d’Eldiyar Umetaliev, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, à l’égard des auteurs.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours effectif, sous la forme notamment d’une enquête impartiale sur les circonstances de la mort de leur fils, de poursuites à l’encontre des responsables et d’une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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