Nations Unies

CCPR/C/118/D/2195/2012*

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

21 décembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no2195/2012**,***

Communication présentée par :

Ch. H. O. (représenté par des conseils, Gib van Ert et Lesley Stalker)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

16 septembre 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 septembre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

3 novembre2016

Objet :

Expulsion d’un objecteur de conscience du Canada vers la République de Corée

Question(s) de procédure :

Incompatibilité des griefs avec le Pacte ; griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :

Risque pour un objecteur de conscience d’être poursuivi et emprisonné pour refus d’accomplir le service militaire en cas de renvoi forcé du Canada vers la République de Corée

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3) et 18 (par. 2)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteur de la communication est Ch. H. O., de nationalité coréenne (République de Corée), né en 1982, qui est arrivé au Canada en juillet 2008. Il a demandé le statut de réfugié, arguant de sa qualité d’objecteur de conscience au service militaire obligatoire dans son pays d’origine, mais sa requête a été rejetée et il est menacé d’expulsion. Il affirme que son expulsion par l’État partie vers la République de Corée, dont la date a été fixée au 9 octobre 2012, constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 2 et du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour le Canada le 19 mai 1976. L’auteur est représenté par des conseils, Gib van Ert et Lesley Stalker.

1.2La communication a été enregistrée le 21 septembre 2012. Conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas prier l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteur à titre de mesures provisoires.L’auteur a été expulsé vers la République de Corée le 9 octobre 2012. Il a ensuite été condamné à dix‑huit mois d’emprisonnement et a commencé à exécuter sa peine le 27 décembre 2012.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, âgé de 29 ans et de nationalité coréenne, a toujours été un adepte dévoué des Témoins de Jéhovah. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (ci-après la CISR) a considéré que l’auteur était « dans l’ensemble, crédible quand il faisait état de ses convictions religieuses personnelles ».

2.2Le groupe religieux des Témoins de Jéhovah est régi par le principe sacré selon lequel ses membres doivent rester neutres dans les domaines politiques et militaires. Ainsi, ils ne doivent participer à aucune forme de combat ou de service militaire et il leur est notamment interdit de porter les armes ou de suivre un entraînement militaire. Cet engagement de neutralité est sacro-saint.

2.3En 2002, quand il a atteint l’âge requis pour faire son service militaire, l’auteur a été convoqué à une visite médicale. À cette époque, le Gouvernement de la République de Corée étudiait la possibilité de mettre en place un service civil de remplacement pour les objecteurs de conscience. L’auteur a décidé de poursuivre ses études à l’étranger et il a obtenu un report de son service militaire. Il espérait que, quand il aurait terminé ses études, la législation aurait été modifiée et qu’il serait autorisé à accomplir ce service de substitution, non militaire.

2.4Début 2008, le Gouvernement nouvellement élu a annoncé qu’il ne modifierait pas la loi relative au service militaire. Prenant acte du fait que la République de Corée n’avait pas mis sa législation en conformité avec les dispositions du Pacte, l’auteur a décidé de se concentrer sur la recherche d’une solution à long terme à l’étranger. En mai 2008, il a abandonné ses études universitaires en sciences économiques et il est arrivé au Canada en juillet 2008. En octobre 2008, il a présenté une demande d’asile.

2.5En 2010, l’auteur a été inculpé d’infraction à la loi relative au service militaire, mais la procédure a été suspendue parce que les autorités ignoraient où il se trouvait. La même année, le frère de l’auteur, Y. H., a été condamné à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement pour objection de conscience au service militaire.

2.6La demande d’asile de l’auteur a été examinée le 19 janvier 2011 à Vancouver par la Section de la protection des réfugiés de la CISR. Dans ses observations écrites, l’auteur s’appuyait sur l’article 18 du Pacte et sur les constatations du Comité des droits de l’homme concernant les communications Yoon et Choi c. République de Corée (2006) et Jung et consorts c. République de Corée (2010), affirmant qu’il avait besoin d’une protection.

2.7Le 15 décembre 2011, la CISR a rejeté la demande d’asile déposée par l’auteur. Elle a considéré qu’en tant qu’objecteur de conscience, il serait probablement poursuivi et emprisonné à son retour en République de Corée et que, de ce fait, il subirait une discrimination ; elle l’a toutefois débouté au motif que la poursuite et l’emprisonnement d’objecteurs de conscience pour refus d’accomplir le service militaire ne constituaient pas une persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés. Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est appuyée sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale du Canada dans l’affaire Atesc. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 FCA 322.

2.8Le 3 janvier 2012, l’auteur a déposé auprès de la Cour fédérale du Canada une demande de contrôle juridictionnel de la décision rejetant sa demande d’asile. Dans cette demande, l’auteur soutenait notamment que la CISR avait commis une erreur en appliquant la décision Ates sans tenir compte des constatations ultérieures du Comité des droits de l’homme concernant les communications Yoon et Choi (2006), Jung et consorts (2010) et Min-Kyu Jeong et consorts (2011) ni de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale du Canada dans l’affaire De Guzman c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) 2005 FCA 436, selon laquelle la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés doit être interprétée à la lumière des obligations internationales relatives aux droits de l’homme qui incombent à l’État partie.

2.9 Le 17 avril 2012, la Cour fédérale du Canada a rejeté la demande de contrôle juridictionnel de l’auteur sans motiver sa décision. Le 12 septembre 2012, l’auteur a adressé une requête à Citoyenneté et Immigration Canada, lui demandant d’accélérer l’examen de sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, l’arrêté d’expulsion le concernant étant sur le point d’être pris. Le 13 septembre 2012, Citoyenneté et Immigration Canada a rejeté la requête de l’auteur visant l’examen accéléré de sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire et l’intéressé a appris qu’il serait expulsé vers la République de Corée le 9 octobre 2012. L’auteur a alors demandé le report de l’expulsion jusqu’à ce que cette demande soit examinée et tenté d’obtenir le traitement accéléré de celle-ci, mais en vain. Il a également introduit un recours administratif pour obtenir le report de son expulsion, sans succès. Il a alors présenté une demande de contrôle juridictionnel de la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) refusant de surseoir à son expulsion jusqu’à ce que sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire soit examinée par Citoyenneté et Immigration Canada. Il a ensuite demandé à la Cour fédérale de surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion jusqu’à ce qu’elle examine la demande de contrôle juridictionnel de la décision de l’ASFC. Il affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a manqué à l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, parce qu’il : a) ne lui a pas accordé le statut de réfugié au Canada alors qu’il risquait manifestement, en cas de renvoi, d’être emprisonné en République de Corée à cause de ses convictions religieuses ; et b) l’a expulsé vers la République de Corée où il serait emprisonné en qualité d’objecteur de conscience, en violation de son droit à la liberté de religion, garanti par l’article 18 du Pacte.

3.2L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité, en particulier à l’interprétation que fait celui-ci du paragraphe 1 de l’article 2, selon laquelle si un État partie prend une décision concernant une personne sous sa juridiction, dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne en vertu du Pacte seront violés sous une autre juridiction, l’État partie lui-même peut violer le Pacte.

3.3L’auteur affirme en outre que l’État partie a violé ses obligations au titre du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte en lui faisant subir une contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion (celle des Témoins de Jéhovah) ou une conviction de son choix, parce que l’État partie : a) ne lui a pas accordé le statut de réfugié ni une protection subsidiaire en raison de la persécution religieuse dont il serait victime en cas de renvoivers la République de Corée ; et b) l’a expulsé vers la République de Corée où il serait emprisonné en violation de son droit à la liberté de religion, garanti par l’article 18 du Pacte.

3.4L’auteur invoque un arrêt de la Chambre des Lords (Cour suprême du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) pour démontrer que la responsabilité des États en matière d’expulsion n’est pas seulement engagée dans les cas où il y a un risque pour la vie ou un risque de torture. Il s’appuie aussi sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a constaté une violation de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme − encore que l’affaire en question ne portait pas sur une expulsion −, pour faire valoir que la Convention européenne des droits de l’homme permet aussi de contester une extradition ou une expulsion dans des contextes différents de ceux où il y a risque de mort ou de torture, en particulier en cas de risque de violation particulièrement grave ou « flagrante » de la Convention.

3.5L’auteur soutient que l’État partie doit être tenu pour internationalement responsable de l’avoir expulsé vers un État dans lequel son droit à la liberté de religion serait manifestement et gravement violé en sachant que cette violation était imminente.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 28 mars 2013, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que la demande de statut de réfugié que l’auteur a présentée en arguant de sa qualité d’objecteur de conscience au service militaire obligatoire en République de Corée a été rejetée par la CISR parce que celle-ci a estimé que l’auteur n’était pas un réfugié ou une personne ayant besoin de protection au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

4.2L’État partie affirme que les griefs que l’auteur tire des articles 2 et 18 du Pacte sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et, partant, qu’ils sont irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Il soutient que l’article 18 n’est pas d’application extraterritoriale et n’interdit donc pas à un État d’expulser des étrangers vers un pays où leur droit à la liberté de religion risque selon eux d’être violé. Conformément à la jurisprudence du Comité, le Pacte n’est d’application extraterritoriale qu’en cas de risque réel de préjudice irréparable. Or l’État partie considère que tel n’est pas le cas en l’espèce. Il affirme également que l’article 2 du Pacte énonce des obligations générales à l’intention des États parties et qu’il ne peut pas donner naissance à un droit autonome ni être invoqué isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif.

4.3L’État partie affirme que les griefs de l’auteur, notamment ses griefs implicites relatifs à l’existence d’un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ne sont pas suffisamment étayés et qu’ils ne sont donc pas recevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Il soutient que l’auteur n’a pas démontré à première vue que sa communication était recevable. Il soutient en outre que l’auteur n’a pas montré en quoi les faits relatifs aux violations des droits de l’homme signalés dans les prisons de la République de Corée avaient un rapport avec son cas personnel. L’auteur n’a pas non plus expliqué en quoi les mauvais traitements infligés à son frère étaient de quelque manière que ce soit liés aux allégations selon lesquelles lui-même subirait un préjudice personnel grave en cas de renvoi.

4.4De plus, l’État partie affirme qu’aucun élément n’indique que l’auteur court personnellement un risque de torture ou d’autre préjudice irréparable en République de Corée. Les rapports de pays les plus récents relatifs à la République de Corée indiquent que la législation nationaleinterdit la torture et les autres mauvais traitements et qu’aucun cas de recours à de telles pratiques par les agents de l’État n’a été enregistré. Ils indiquent également que les objecteurs de conscience condamnés à plus de dix-huit mois d’emprisonnement sont exonérés de leurs obligations militaires et de leur obligation de disponibilité au titre de la réserve militaire, sans se voir infliger d’autres amendes ou peines.

4.5L’État partie ajoute que la communication soumise par l’auteur ne comporte aucune information ni aucun élément nouveau comparés à ceux qui ont déjà été communiqués aux autorités nationales et examinés par celles-ci. Il affirme que, étant donné que les autorités canadiennes ont déjà examiné les griefs et éléments présentés dans la communication, le Comité ne doit pas réexaminer les faits ni les preuves, sauf si leur appréciation par les juridictions internes a été arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les informations soumises par l’auteur ne sauraient conduire à la conclusion que les décisions prises par les autorités de l’État partie sont de quelque manière que ce soit entachées de telles irrégularités. L’auteur n’a signalé aucun vice dans la procédure de prise de décisions ni aucun facteur de risque que les autorités de l’État partie n’auraient pas pris dûment en compte. L’État partie fait observer que l’auteur a bénéficié en l’espèce de toutes les garanties d’une procédure équitable. Il soutient que l’auteur est simplement en désaccord avec l’appréciation que la CISR a faite de sa situation particulière et des renseignements d’ordre général dans l’affaire le concernant, et qu’il tente d’utiliser le Comité comme un organe de recours pour obtenir une réévaluation des faits de l’espèce. L’État partie souligne que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions des autorités nationales qui sont les mieux placées pour apprécier les circonstances factuelles de l’affaire.

4.6L’État partie fait observer que la Cour fédérale du Canada a examiné et rejeté la demande de sursis à l’exécution de l’expulsion dont elle a été saisie par l’auteur. La Cour a conclu que l’auteur n’avait soulevé aucun grief sérieux quant au refus de l’agent de la CISR d’exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire et que les griefs de l’auteur relatifs aux risques de préjudice irréparable en cas d’expulsion avaient déjà été soigneusement examinés et rejetés, tant par la CISR que par la Cour fédérale elle-même dans son évaluation antérieure de la demande de contrôle juridictionnel de la décision rendue par la CISR. Pour l’État partie, la Cour a relevé qu’il ressortait clairement de la législation canadienne que la poursuite et l’emprisonnement d’objecteurs de conscience ne constituaient pas en eux-mêmes des actes de persécution, et ce, même si l’objection de conscience était fondée sur des motifs religieux. D’après l’État partie, pour autant que la durée de la peine et les conditions de détention n’enfreignent pas les normes internationales, l’incarcération ne constitue pas une peine ou un traitement cruel ou dégradant.

4.7En conclusion, l’État partie considère que la communication est entièrement dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 9 août 2013 relatifs aux observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication, l’auteur affirme qu’après son expulsion par le Canada, le 9 octobre 2012, il a été arrêté à son arrivée en République de Corée puis libéré sous caution. Il a par la suite été reconnu coupable et condamné à une peine de dix‑huit mois d’emprisonnement.

5.2L’auteur affirme que le préjudice qu’il annonçait dans la communication qu’il a soumise au Comité et dans sa demande de mesures provisoires s’est à présent concrétisé. Il indique aussi qu’il dénonce une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 2 et du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte, mais non de l’article 7, contrairement à ce qu’a déduit l’État partie. Il conteste en outre la manière dont la jurisprudence du Comité est interprétée par l’État partie, qui considère que les articles 6 ou 7 doivent avoir été violés dans l’État de destination pour que la responsabilité de l’État qui expulse soit engagée en vertu du Pacte.

5.3L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles et relève que cela n’est pas contesté par l’État partie. Il conteste l’assertion de celui-ci selon laquelle la plainte est irrecevable soit parce qu’elle concerne une violation par la République de Corée de ses obligations au titre du Pacte soit parce que le grief relatif à l’existence d’un risque de violation raisonnablement prévisible en cas de renvoi de l’auteur dans ce pays n’est pas étayé. L’auteur considère que ces arguments ne concernent pas la recevabilité mais le fond des griefs soulevés.

5.4L’auteur affirme en outre qu’au vu de sa situation particulière, de la politique de la République de Corée à l’égard des objecteurs de conscience et de la jurisprudence du Comité, l’État partie ne pouvait pas l’expulser sans enfreindre la loi. L’ayant fait, il a manqué à ses obligations en vertu du Pacte.

5.5L’auteur soutient qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 2, il incombe à chaque État partie de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte. Il affirme qu’il ressort clairement de la jurisprudence du Comité que les obligations qui incombent aux États parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 englobent les cas dans lesquels un État partie prend, en ce qui concerne une personne qui se trouve sous sa juridiction, une décision dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits que cette personne tient du Pacte seront violés. En expulsant l’auteur vers la République de Corée au lieu de l’autoriser à rester sur son territoire, l’État partie n’a pas respecté ni garanti les droits que l’auteur tient du Pacte, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 2.

5.6L’auteur estime en outre que son expulsion constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 18, lequel dispose que nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix. En expulsant l’auteur vers la République de Corée, malgré la certitude qu’il y serait condamné et emprisonné et qu’une fois libéré il serait victime de discrimination sur le marché de l’emploi, l’État partie a mis l’intéressé face à un dilemme : céder aux autorités de la République de Corée et accomplir son service militaire au mépris de sa religion et de ses convictions ou exécuter une peine d’emprisonnement. Menacer une personne d’une longue peine d’emprisonnement alors qu’elle obéit à ce que lui dicte sa conscience relève manifestement de la contrainte. Alors qu’il savait que la République de Corée allait emprisonner l’auteur, l’État partie l’a renvoyé dans ce pays et, ce faisant, a participé à la contrainte créée par une persécution religieuse.

5.7L’auteur demande au Comité de conclure que l’État partie a commis une violation du paragraphe 1 de l’article 2 et du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte, pris isolément et lus conjointement. Il le prie de déclarer qu’il a droit, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à un recours approprié et notamment à ce que l’État partie demande à la République de Corée d’effacer son casier judiciaire et de le remettre immédiatement en liberté, et lui accorde une indemnisation adéquate pour son expulsion illégale. L’auteur demande également au Comité de prier le Canada de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans des observations complémentaires du 21 janvier 2014, l’État partie renvoie à ses observations du 27 mars 2013 sur la recevabilité et sur le fond de la communication soumise par l’auteur. Il maintient que les griefs que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 2 et du paragraphe 2 de l’article 18 ne sont pas recevables parce qu’ils sont incompatibles avec le Pacte. À titre subsidiaire, il fait valoir que l’auteur n’a pas étayé le grief de violation par l’État partie du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte. Si toutefois le Comité devait estimer que la communication est partiellement ou entièrement recevable, celle-ci devrait être considérée comme étant entièrement dénuée de fondement parce que l’auteur n’a pas étayé les griefs qu’il soulève et n’a pas soumis de fait ni d’élément nouveaux.

6.2En ce qui concerne l’information communiquée par l’auteur, qui affirme avoir été reconnu coupable en République de Corée du chef de non-accomplissement du service militaire et condamné à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement, l’État partie relève que l’auteur fonde son affirmation sur les mêmes faits et éléments de preuve que ceux qu’il a présentés aux autorités canadiennes. Le groupe d’experts de la Section de la protection des réfugiés et la Cour fédérale du Canada ont constaté qu’il n’y avait pas de motif sérieux de croire que l’auteur serait exposé à un risque de persécution, de mort, de torture ou de peine ou traitement cruels ou inhumains en République de Corée.

6.3L’auteur n’a pas avancé que les actes de procédure effectués au Canada − notamment les décisions rendues par la CISR et par la Cour fédérale ou l’examen de sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire − avaient directement violé les droits qu’il tient de l’article 18 du Pacte. Au contraire, les griefs de l’auteur selon lesquels sa condamnation et son emprisonnement par la République de Corée pour non-accomplissement du service militaire obligatoire pouvaient constituer une violation de ses droits au titre de l’article 18 du Pacte sont fondés sur le traitement qu’il risquait d’après lui de subir à son retour en République de Corée et qu’il considère comme la conséquence nécessaire et prévisible de la décision de l’État partie de l’expulser.

6.4L’État partie considère que, même si l’auteur pouvait démontrer qu’il serait victime de discrimination ou qu’il subirait des mauvais traitements en République de Corée à cause de ses convictions religieuses, la responsabilité de l’État partie ne serait pas engagée en vertu du Pacte. Lorsqu’un État partie expulse un étranger, il n’est tenu par aucune disposition du Pacte de garantir que les droits que la personne expulsée tient de l’article 18 du Pacte seront respectés dans l’État de destination.

6.5En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur qui fait valoir que l’application extraterritoriale du Pacte n’est pas, comme l’affirme l’État partie, limitée aux articles 6 et 7, et pour laquelle l’intéressé se fonde d’abord sur les constatations du Comité concernant quatre communications dans lesquelles, d’après lui, le Comité avait conclu que les États parties ont des obligations au titre de l’article 18 du Pacte, l’État partie affirme que le Comité n’a jamais constaté l’existence de telles obligations dans des affaires d’expulsion. Fait important, c’est seulement à titre exceptionnel que le Comité a conclu au caractère extraterritorial des droits garantis par le Pacte, reconnaissant ainsi que le champ d’application de ces droits est territorial. L’État partie affirme que les affaires concernant des objecteurs de conscience citées par l’auteur ne vont pas dans le sens d’un élargissement du champ d’application au-delà des articles 6 et 7 du Pacte dans le contexte d’expulsions. En effet, l’auteur lui-même reconnaît que les communications qu’il invoque dans ses observations portent sur des griefs soulevés au titre des articles 6 et 7 du Pacte aux fins d’une extension des obligations qui en découlent, extension que le Comité n’a pas encore admise. L’État partie affirme également que le préjudice allégué n’équivaut pas à la mort, à la torture ou à d’autres violations graves des droits de l’homme comparables et qu’il n’existe pas, à sa connaissance, de communication dans laquelle le Comité aurait conclu que l’expulsion d’un étranger vers un pays où un droit conventionnel autre que les droits consacrés par les articles 6 et 7 risque d’être violé constitue une violation des obligations de l’État expulsant au titre du Pacte. Le Canada est fermement convaincu que les États parties au Pacte ne sont nullement tenus, avant d’expulser des étrangers de leur territoire, de veiller à ce que les conditions existantes dans l’État de destination soient pleinement et effectivement compatibles avec tous les droits substantiels garantis par le Pacte.

6.6En ce qui concerne l’arrêt de la Chambre des Lords que l’auteur invoque pour tenter de démontrer que la responsabilité de l’État procédant à une expulsion ne se limite pas uniquement aux cas dans lesquels il y a un risque pour la vie ou un risque de torture, l’État partie affirme qu’il ressort de la jurisprudence de la Chambre qu’une telle extension de la responsabilité est réservée à des cas exceptionnels de violations flagrantes et extrêmement graves des droits reconnus par le Pacte revenant à un déni pur et simple de droits autres que ceux énoncés aux articles 6 et 7. Or, telle n’est pas l’approche retenue par le Comité. L’État partie affirme en outre que la situation de l’auteur ne révèle aucune circonstance impérieuse susceptible de conduire à la constatation d’une violation flagrante de l’article 18 du Pacte ou d’une violation de cette disposition aussi grave que la mort ou la torture, contrevenant aux articles 6 ou 7 du Pacte. L’État partie affirme que les exceptions à l’autorité de l’État doivent être limitées aux cas de préjudices graves et irréparables causés à la personne expulsée.

6.7Pour ce qui est des deux arrêts dans lesquels la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’État partie relève qu’aucune de ces conclusions n’a été formulée dans le contexte d’expulsions et rappelle que, si la Convention européenne des droits de l’homme n’empêche pas de s’appuyer sur des dispositions autres que les articles 2 et 3 pour contester une extradition ou une expulsion, une telle démarche ne peut aboutir qu’en cas de violation particulièrement grave ou « flagrante ». Or, cette condition n’est pas remplie en l’espèce car le traitement dont l’auteur est menacé ne présente pas un degré de gravité tel que la mort ou la torture. Qui plus est, l’auteur confirme qu’il ne soulève aucun grief relatif à une violation de l’article 7 du Pacte. L’État partie rappelle enfin qu’il n’est pas lié par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a pour lui aucune valeur de précédent.

6.8L’État partie renvoie également aux informations contenues dans des rapports de pays relatifs à la liberté de religion dans le monde consacrés à la République de Corée, dans lesquels il est indiqué « qu’il n’a pas été fait état de cas de violence sociale, de harcèlement ou de discrimination liés à l’appartenance religieuse, aux convictions ou aux pratiques religieuses ». Ces rapports indiquent en outre que les prisonniers et autres personnes privées de liberté ont droit aux visites dans des conditions raisonnables et sont autorisés à pratiquer leur religion. Selon les rapports de 2011 et de 2012 du Département d’État des États-Unis sur la liberté de religion, les objecteurs de conscience condamnés à plus de dix-huit mois d’emprisonnement sont dispensés de service militaire et exonérés de leurs obligations de disponibilité au titre de la réserve militaire, sans être condamnés à d’autres amendes ou peines. L’État partie affirme qu’il n’y a pas de raison de croire que l’auteur a été arrêté et mis en détention à cause de sa religion et souligne que l’existence d’une loi de portée générale prescrivant un service militaire obligatoire ou imposant des sanctions pour non‑accomplissement de ce service ne suffit pas à étayer une demande d’asile et ne peut constituer un motif sérieux de croire que l’auteur court un risque prévisible, réel et personnel de mort ou de torture. De plus, les modalités du service militaire dont il est question en l’espèce n’ont en elles-mêmes rien de foncièrement illégitime. En effet, elles ne violent pas les droits fondamentaux de l’homme ni les principes généraux du droit international. Si le Comité considère que le traitement de l’auteur en République de Corée constitue une violation des droits que l’intéressé tient de l’article 18 du Pacte, l’État partie réaffirme que ce n’est pas lui, mais la République de Corée, qui doit en être tenue pour responsable.

6.9En ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 2, l’État partie rappelle les constatations du Comité selon lesquelles les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent une obligation générale à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, car elles ne garantissent aucun droit autonome ou distinct aux particuliers. Étant donné que l’auteur n’a pas démontré l’existence d’une violation de l’article 18, les griefs concernant une violation du paragraphe 1 de l’article 2 sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et, partant, sont irrecevables.

Observations complémentaires de l’auteur

7.1Le 10 juin 2015, l’auteur a répondu aux observations complémentaires de l’État partie. Pour lui, ces observations n’apportent rien de nouveau sur la question de l’obligation pour les États parties de ne pas expulser une personne vers un pays où les droits qu’elle tient du Pacte risquent d’être violés.

7.2L’auteur indique qu’il a fait l’objet d’une condamnation pénale pour objection de conscience au service militaire en République de Corée et qu’il a ensuite été libéré de prison. Malgré ses qualifications, il n’a pas pu trouver d’emploi à cause de ses antécédents judiciaires et de la stigmatisation sociale liée au refus d’accomplir le service militaire. À ce propos, il renvoie à un rapport d’Amnesty international publié en 2015, intitulé Sentenced to Life : Conscientious Objectors in South Korea. Les difficultés rencontrées par l’auteur dans sa recherche d’emploi dans son pays natal sont la conséquence directe de son objection de conscience au port d’armes et elles constituent donc un préjudice irréparable dont le Comité devrait tenir l’État partie pour responsable.

7.3Pour ce qui est des griefs relatifs à une violation de l’article 2 soulevés par l’auteur, celui-ci affirme que l’État partie semble convenir que tous les recours internes disponibles ont été épuisés avant l’expulsion. L’auteur relève que le Comité considère depuis plus de vingt ans que l’objection de conscience au service militaire est une composante du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il réaffirme que le Comité a constaté que la pratique de la République de Corée consistant à emprisonner et à condamner les objecteurs de conscience contrevenait à l’article 18 du Pacte. L’auteur considère avoir établi qu’il courait un risque en démontrant que ses convictions religieuses sont sincères et en soumettant des documents attestant du traitement réservé aux objecteurs de conscience. Avant de l’expulser, les agents canadiens ont expressément reconnu qu’il risquait de subir ce préjudice. La question posée est celle de savoir si l’État partie doit être tenu pour responsable d’avoir remis l’auteur aux autorités de la République de Corée alors qu’il connaissait l’existence d’un risque réel de violation du droit à la liberté de religion que l’intéressé tient du Pacte. L’auteur maintient que l’État partie n’a pas tenu compte de ce risque avant de l’expulser.

7.4Pour l’auteur, l’argument de l’État partie selon lequel le Pacte n’est applicable que si l’auteur peut établir l’existence d’un risque pour la vie ou d’un risque de torture en République de Corée n’est pas compatible avec l’esprit du Pacte, ni avec la jurisprudence du Comité. L’auteur rappelle que l’observation générale no 31 du Comité (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte renvoie à « un risque réel de préjudice irréparable […], tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte » et que, par conséquent, l’interdiction de l’expulsion n’est pas limitée aux cas dans lesquels il y a un risque de mort ou de torture. L’auteur s’appuie également sur la jurisprudence du Comité dans la communication Kindlerc. Canada, dans laquelle il est indiqué que si un État partie prend une décision à l’égard d’un individu qui relève de sa juridiction et que la conséquence nécessaire et prévisible de cette décision est que les droits de l’individu, en vertu du Pacte, seront violés dans une autre juridiction, l’État partie lui-même peut commettre une violation du Pacte. En effet, il manquerait au devoir qui lui incombe conformément à l’article 2 de cet instrument s’il livrait une personne à un autre État dans lequel un traitement contraire au Pacte lui serait certainement infligé. L’auteur affirme qu’il ressort des constatations du Comité concernant la communication X. c. Danemarkque le Comité a fait preuve d’ouverture lorsque des griefs relatifs à un préjudice irréparable ont été soulevés au titre de l’article 18 du Pacte. L’auteur estime que la question est de savoir si l’État partie a l’obligation de ne pas expulser toute personne qui risque manifestement d’être poursuivie et emprisonnée dans le pays de destination à cause de ses convictions religieuses, et il rappelle que les droits énoncés à l’article 18 sont si essentiels qu’il est interdit d’y déroger, conformément à l’article 4 du Pacte.

7.5L’auteur soutient enfin qu’en l’expulsant vers la République de Corée au lieu de l’autoriser à rester sur son territoire, l’État partie n’a pas respecté ni garanti les droits qu’il tient du Pacte, en violation du paragraphe 1 de l’article 2. Il affirme en outre que son expulsion par l’État partie constitue également une violation du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte, qui dispose que nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix. En expulsant l’auteur vers la République de Corée, où il serait certainement condamné et emprisonné et subirait une discrimination sur le marché du travail après sa remise en liberté, l’État partie a sciemment participé à une telle contrainte.

7.6L’auteur prie le Comité de constater que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 2 et le paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte, pris isolément ou lus conjointement.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Le 21 septembre 2015, l’État partie a réaffirmé que, même si les risques allégués par l’auteur étaient prévisibles au moment de son expulsion, sa responsabilité en tant qu’État expulsant n’était pas engagée parce que ces risques ne constituaient pas un risque réel de préjudice irréparable, tel qu’envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, ainsi qu’énoncé dans l’observation générale no 31du Comité. Par conséquent, même si l’auteur avait pu établir qu’une violation de l’article 18 était prévisible − ce que l’État partie conteste −, le risque que de telles violations soient commises dans l’État de destination ne suffirait pas pour engager la responsabilité de l’État partie.

8.2L’auteur affirme que le Comité n’a jamais examiné quant au fond une communication concernant le renvoi d’une personne craignant « des violations des droits de l’homme de moindre gravité dans l’État de destination ». L’État partie affirme que le Comité ne doit pas reprendre en l’espèce l’approche de l’article 18 qu’il a retenue à propos de la communication X. c. Danemark. Il serait plus approprié que le Comité constate d’abord l’irrecevabilité du grief de fond soulevé au titre de cet article 18 et qu’il apprécie ensuite les faits invoqués à l’appui des risques allégués au cours de l’examen au fond, quand il examinera les griefs de fond que l’auteur tire de l’article 7.

8.3En ce qui concerne les risques réels allégués par l’auteur, l’État partie affirme que les types de violations prévisibles dont il est fait état ne présentent manifestement pas le degré de gravité des préjudices prévisibles visés aux articles 6 et 7 du Pacte − mort, torture ou autres violations d’une gravité comparable. L’État partie relève que la peine qui a finalement été appliquée à l’auteur est moins lourde que celle qu’il prétendait être prévisible dans sa communication initiale, et il fait observer que les expériences de l’auteur en matière de recherche d’emploi, bien que prévisibles, ne présentent pas un caractère de gravité de nature à engager la responsabilité de l’État partie au titre de ses obligations en vertu du Pacte.

8.4L’État partie affirme également que les griefs soulevés par l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui sont fondés sur une prétendue absence de recours disponible, sont incompatibles avec le Pacte et, partant, irrecevables. Il soutient que le paragraphe 3 de l’article 2 n’énonce aucun droit substantiel autonome. Même si l’auteur avait pu étayer ses griefs concernant un risque de violations prévisible des droits qu’il tient du Pacte quand il a été expulsé par l’État partie − ce que celui-ci conteste −, ces violations n’engageraient pas la responsabilité de l’État partie en vertu du Pacte en tant qu’État expulsant et l’obligation prévue au paragraphe 3 de l’article 2 de garantir un recours utile ne lui serait pas applicable. De plus, l’État partie maintient que les griefs de l’auteur sont manifestement infondés parce qu’il ne les a pas étayés, y compris à première vue.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il relève également que l’auteur a présenté une demande d’asile qui a été rejetée par la CISR le 15 décembre 2011 , puis une demande d’autorisation qui a été rejetée le 17 avril 2012. L’auteur a aussi sollicité le report de son expulsion jusqu’à l’examen de sa demande de permis de résidence pour considérations d’ordre humanitaire, dont il a tenté d’obtenir le traitement accéléré, mais sans succès. Il a également sollicité, en vain, le report administratif de son expulsion, ainsi que le contrôle juridictionnel de la décision de rejet. Le Comité considère par conséquent que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles.

9.4Le Comité prend note des griefs de l’auteur, selon qui l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 2 en ne lui accordant pas le statut de réfugié, en lui refusant le bénéfice de la protection subsidiaire et en l’expulsant vers la République de Corée où il risquait de subir un préjudice irréparable à cause des poursuites qui seraient engagées contre lui et de la peine d’emprisonnement dont il était passible. Le Comité relève également l’argument de l’État partie pour qui le grief soulevé par l’auteur devrait être considéré comme irrecevable étant donné que les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte sont de nature subsidiaire et ne peuvent donner naissance à un droit autonome ni être invoqués isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énonce des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif.Il considère par conséquent que les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 2 du Pacte ne sont pas recevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité prend note du grief de l’auteur, selon qui l’État partie a violé le paragraphe 2 de l’article 18, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, en refusant de lui accorder le statut de réfugié ou la protection subsidiaire et en l’expulsant vers la République de Corée où il serait emprisonné en tant qu’objecteur de conscience, en violation de son droit à la liberté de religion. Le Comité prend également note du grief de l’auteur, qui affirme que les États devraient se garder d’expulser toute personne, non seulement vers un pays où celle-ci court un risque pour sa vie ou un risque de torture, mais également vers un pays où elle risque de subir une violation particulièrement grave ou « flagrante » des droits qu’elle tient de l’article 18 du Pacte. Il prend note de l’affirmation de l’auteur, pour qui la responsabilité de l’État partie devrait être engagée parce qu’il l’a expulsé vers la République de Corée où son droit à la liberté de religion, protégé par l’article 18, risquait d’être violé alors qu’il savait que l’auteur, qui est objecteur de conscience, y serait immédiatement poursuivi et condamné. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, selon qui les griefs soulevés par l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 18, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, sont irrecevables ratione loci et ratione materiae. Il rappelle que l’article 2 du Pacte implique pour les États parties l’obligation de ne pas expulser une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi. À ce sujet, le Comité relève que l’auteur ne soulève aucun grief au titre de l’article 7 du Pacte et qu’il n’avance aucun argument qui permettrait de conclure que les poursuites et la condamnation dont il a fait l’objet en qualité d’objecteur de conscience constituent un préjudice irréparable, tel que celui qui est envisagé par les articles 6 et 7. Par conséquent, le Comité considère que, dans sa communication, l’auteur n’a pas montré que l’État partie avait violé l’article 18, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, en l’expulsant et en l’exposant à un risque de poursuites et de condamnation en République de Corée qui aurait donné lieu à un préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité constate donc que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.