Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/77/D/743/1997

5 mai 2003

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑dix‑septième session

10 mars‑4 avril 2003

DÉCISION

Communication no 743/1997

Présentée par:Ngoc Si Truong (représenté par un conseil, M. Ian White)

Au nom de:L’auteur

État partie:Canada

Date de la communication:26 avril 1996

Décisions antérieures:Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le 25 février 1997 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:28 mars 2003

[ANNEXE]

DÉCISION PRISE PAR LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTUDU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL

RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

− Soixante‑dix‑septième session −

concernant la

Communication no 743/1997*

Présentée par:Ngoc Si Truong (représenté par un conseil, M. Ian White)

Au nom de:L’auteur

État partie:Canada

Date de la communication:26 avril 1996

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2003,

Adopte la décision ci‑après:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.1L’auteur de la communication est Ngoc Si Truong, né au Viet Nam le 31 mars 1964 mais affirme être actuellement apatride. Il se trouvait sous le coup d’un arrêté d’expulsion du Canada à la date de présentation de la communication. Il dit être victime d’une violation par le Canada des alinéas a et b du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7, 9, 13 et 17 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 23 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En mai 1978, l’auteur a fui illégalement le Viet Nam de crainte d’être enrôlé dans les forces armées vietnamiennes alors que le Viet Nam était en conflit avec le Cambodge. Le père de l’auteur, décédé en 1975, avait été général dans les anciennes forces armées sud‑vietnamiennes. Le 20 octobre 1980 (à l’âge de 16 ans), l’auteur est arrivé au Canada et a obtenu le statut de résident permanent. Sur sa fiche d’immigrant et dans son dossier d’accession au statut de résident permanent, il est identifié comme «apatride/stateless». En avril 1985, l’auteur a été reconnu coupable de voies de fait ayant cause des lésions corporelles et d’agression caractérisée et condamné à neuf mois d’emprisonnement et deux ans de probation, à purger concurremment. En 1988, il a été i) reconnu coupable d’introduction par effraction et de vol ainsi que d’attaque à main armée et condamné à des peines consécutives de quatre mois et de deux mois d’emprisonnement, ii) reconnu coupable de voies de fait ayant cause des lésions corporelles et condamné à un an d’emprisonnement et à deux ans de probation, et iii) reconnu coupable de conduite alors que ses facultés étaient affaiblies et condamné à sept jours d’emprisonnement et à une amende. En juin 1991, l’auteur s’est rendu au Viet Nam avec sa carte de résident canadien et un visa de tourisme à durée limitée et s’est marié à une Vietnamienne qui a demandé le statut de résident permanent au Canada en faisant valoir son union avec l’auteur.

2.2Compte tenu des condamnations pénales dont a fait l’objet l’auteur, le 8 juillet 1992, les autorités canadiennes ont ordonné son expulsion conformément à l’article 27 de la loi sur l’immigration, qui punit d’expulsion les résidents permanents reconnus coupables d’infractions pénales graves. En 1993, l’auteur a été condamné pour conduite alors que ses facultés étaient affaiblies à 14 jours d’emprisonnement. Le 15 juillet 1993, il a été débouté de l’appel qu’il avait interjeté devant la Division des appels de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en se fondant sur «l’existence de motifs d’ordre humanitaire». Il a alors sollicité l’autorisation de demander la révision de cette décision au Tribunal fédéral. Toutefois, par inadvertance, l’avocat qui le défendait à l’époque n’ayant pas demandé à la Division des appels de motiver par écrit sa décision dans les 10 jours prescrits celle‑ci a refusé de produire une décision motivée. Le 10 novembre 1993, le Tribunal fédéral a rejeté la demande présentée par l’auteur pour non‑soumission du dossier requis (y compris la décision motivée de la Division des appels).

2.3Le 20 décembre 1993, les autorités canadiennes ont rejeté la demande de statut de résident permanent présentée par la femme de l’auteur (demande qui, selon celui-ci, aurait été probablement approuvée dans d’autres circonstances) compte tenu de l’arrêté d’expulsion prononcé à l’encontre de l’auteur. Le 21 décembre 1993, ce dernier a présenté au Tribunal fédéral une requête en réexamen de sa décision du 10 novembre 1993 de rejeter la demande de révision judiciaire qu’il lui avait présentée. Le 18 avril 1994, le Tribunal fédéral a rejeté cette requête. Le 4 mars 1994, l’auteur a formé recours contre la décision de rejeter la demande présentée par sa femme auprès de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

2.4Le 5 juillet 1994, le nouveau conseil de l’auteur a demandé une nouvelle fois à la Division des appels de motiver par écrit sa décision. Le 21 juillet 1994, il a été informé que le délai prescrit pour obtenir une décision motivée était écoulé et que celle‑ci ne serait pas fournie. Le 12 septembre 1994, le conseil a demandé à la Division des appels de prolonger le délai permettant d’obtenir le texte de la décision motivée. Le 5 octobre 1994, la Division a rejeté sa demande. Le 25 octobre 1994, l’autorisation a été sollicitée de présenter une demande de réexamen judiciaire de cette décision au Tribunal fédéral.

2.5Le 9 mars 1995, le Tribunal fédéral a rejeté cette demande sans fournir de raisons. Selon l’auteur, aucun autre recours n’est possible et tous les recours internes utiles ont été épuisés. En 1995, l’auteur a été accusé des chefs d’entrée par effraction, de détention illégale d’arme soumise à autorisation, de port d’arme dissimulée, de manipulation imprudente d’arme à feu, de détention d’arme prohibée et de plusieurs autres chefs connexes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que son expulsion vers un pays dans lequel il dit n’avoir aucun statut juridique constituerait un traitement cruel, inhumain et dégradant contraire à l’article 7. Il affirme qu’à la suite de son départ illégal du Viet Nam et de la perte de son statut de résident permanent au Canada, il est devenu apatride. En conséquence, une fois expulsé vers le Viet Nam, il ne pourrait y travailler, y résider ni y exercer les droits liés à l’emploi. Il fait observer que pour se rendre au Viet Nam en 1991, il avait dû demander un visa de quatre mois et n’était pas autorisé à y travailler. D’après lui, il pourrait être emprisonné dans un «camp de rééducation» du fait de son départ illégal du Viet Nam et des liens qu’avait son père avec l’ancien gouvernement sud‑vietnamien. L’auteur renvoie à l’Observation générale no 20 du Comité dans laquelle ce dernier a estimé que l’article 7 du Pacte avait pour but de «protéger la dignité et l’intégrité physique et mentale de l’individu». Il fait également référence à la jurisprudence du Comité et à celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui ont conclu que cette disposition pouvait couvrir les actes de torture et les pressions d’ordre psychologique.

3.2L’auteur affirme également en invoquant l’article 7 que son expulsion réduirait à néant sa vie de famille et que ses proches en souffriraient terriblement. Il affirme qu’il serait ainsi séparé de ses 3 sœurs, 3 beaux‑frères, 6 nièces, 3 neveux et 5 autres personnes (sans préciser de liens de parenté) résidant au Canada. Il fait valoir que le Comité a reconnu que la douleur et l’angoisse causées aux membres d’une famille pouvaient constituer une violation du Pacte.

3.3L’auteur affirme en outre que, pour les raisons exposées plus haut, son expulsion constituerait une violation de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 9). Il fait valoir que la «liberté» comprend le droit de fonder un foyer et d’élever des enfants. Il fait en outre référence aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés concernant le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et soutient que ce droit comprend le droit d’assurer sa subsistance ou d’exercer toute activité légale sans ingérence excessive du Gouvernement.

3.4L’auteur estime que son expulsion serait arbitraire et contraire à l’article 13, lu conjointement avec le paragraphe 3, alinéas a et b, de l’article 2, car elle n’est pas conforme à la loi et ne respecte pas les garanties prévues à l’article 13. S’appuyant sur l’Observation générale no 15 du Comité concernant l’article 13 du Pacte, il fait valoir que celui‑ci a donné une interprétation large du droit de ne pas être victime d’expulsion arbitraire. Dans le cas d’espèce, le refus de la Division des appels de produire par écrit les motifs de sa décision l’a empêché de contester devant le Tribunal fédéral la légalité de l’arrêté d’expulsion prononcé à son encontre. Il indique que la décision de la Division des appels devrait faire l’objet d’un réexamen judiciaire, compte tenu de ses conséquences, et pour s’assurer de l’objectivité et de l’indépendance de l’organe de décision. Il indique, en faisant référence à la jurisprudence du Comité, qu’il n’a pas bénéficié d’un recours utile pour contester son expulsion et qu’il n’existe aucune raison impérieuse de sécurité nationale qui justifierait de le priver d’un recours.

3.5Enfin, l’auteur affirme que son expulsion constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à fonder un foyer et une vie de famille et, partant, une violation des droits que lui confèrent les paragraphes 1 et 2 de l’article 17 et les paragraphes 1 et 2 de l’article 23. Il soutient que le fait de le séparer de sa famille en l’expulsant est sans commune mesure avec son casier judiciaire et qu’il est abusif d’expulser quelqu’un qui est arrivé au Canada à l’âge de 16 ans. Se référant à la demande d’octroi du statut de résident permanent présentée par sa femme (qui a été rejetée) et aux membres de sa famille qui se trouvent au Canada, il fait valoir qu’il est le soutien de sa famille dans ce pays. Dans les circonstances présentes, selon lui, la notion de «famille» devrait être interprétée au sens large, et la protection de sa famille prime la volonté de l’État partie de l’expulser. L’auteur ajoute que les articles 17 et 23 devraient être aussi interprétés au sens large lorsqu’il existe des obstacles juridiques à l’établissement d’une vie de famille et des risques de persécution dans le pays vers lequel la personne est renvoyée. Du fait de son apatridie, il ne pourra rester indéfiniment au Viet Nam et subvenir aux besoins de sa famille.

3.6L’auteur affirme que la jurisprudence de la Cour européenne contient des cas dans lesquels celle‑ci a interdit, pour des motifs familiaux, l’expulsion de personnes ayant fait l’objet de condamnations pénales. Bien que le déni des droits familiaux puisse être assimilé à un traitement cruel ou dégradant contraire à l’article 12 de la Charte canadienne, l’auteur affirme qu’il ne dispose d’aucun recours interne utile pour faire valoir les droits en question.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1Dans une lettre datée du 4 juillet 1997, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas apporté d’éléments de fait établissant une forte présomption qu’il serait victime d’une violation par le Canada d’une des dispositions du Pacte s’il devait être renvoyé au Viet Nam. La communication est donc dénuée de fondement, incompatible avec les dispositions du Pacte et irrecevable.

4.2L’État partie fait observer que, si 200 000 personnes obtiennent chaque année le statut de résident permanent au Canada, il n’existe aucun droit d’obtenir ou de conserver ce statut et que certaines conditions peuvent s’appliquer. Ces conditions découlent pour la plupart des préoccupations de l’État partie en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses citoyens, la sécurité de ses institutions et l’application des lois. Pour ce qui est de la situation personnelle de l’auteur au Canada, l’État partie note qu’il vit avec l’une de ses sœurs et la famille de celle‑ci et qu’il n’a jamais eu d’emploi stable. L’État partie fait observer qu’il a demandé des documents de voyage pour l’auteur au Viet Nam, pays avec lequel il a conclu le 4 octobre 1995 un protocole d’accord par lequel le Viet Nam s’engageait à accepter le renvoi des citoyens vietnamiens sans autre nationalité qui avaient violé la loi canadienne et se trouvaient sous le coup d’un arrêté d’expulsion. À la date de la communication, le Viet Nam avait accepté le retour de 15 personnes relevant de cette catégorie et étudiait activement le dossier de l’auteur.

4.3En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre de l’article 7, l’État partie estime que la portée de cet article n’est pas aussi étendue que l’auteur le prétend. Par analogie avec l’affaire Vuolanne c. Finlande, l’État partie fait valoir que la plainte ne peut porter uniquement sur l’expulsion ou les conséquences logiques de cette expulsion. Il doit exister des raisons sérieuses de croire que les droits de l’auteur au titre de l’article 7 seront violés dans le pays d’accueil. En l’espèce, l’auteur n’a fourni aucun élément de preuve permettant de réfuter les affirmations du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés selon lesquelles les Vietnamiens rapatriés sont bien traités, et ses allégations selon lesquelles il pourrait être emprisonné dans un camp de rééducation ne sont que pure spéculation. L’État partie observe que l’auteur n’a pas hésité à retourner au Viet Nam il y a quelques années pour se marier et ne semble pas avoir été alors victime de discrimination de la part des autorités vietnamiennes, et encore moins d’actes justifiant d’invoquer l’article 7.

4.4L’État partie conteste le fait que l’auteur soit apatride et note que dans quatre documents dont le Comité a été saisi par l’auteur, celui‑ci est identifié comme national vietnamien (sur son certificat de mariage vietnamien, dans la déclaration sous serment et dans le texte de son argumentation présentés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ainsi que dans le texte de son argumentation soumis au Tribunal fédéral). Il n’a pas fourni la preuve qu’il avait été déchu de la nationalité vietnamienne ou qu’il ne pouvait travailler au Viet Nam et y subvenir aux besoins de sa famille. En fait, il a récemment épousé une Vietnamienne, dont le droit de résidence au Viet Nam lui permettrait d’y avoir une vie de famille. L’auteur ne pourrait certes pas conserver les relations qu’il avait avec ses sœurs restées au Canada, mais sa mère et, semble‑t‑il, ses deux frères vivent au Viet Nam, ce qui atténuerait encore les conséquences de son expulsion.

4.5Concernant l’article 9, l’État partie estime qu’au Viet Nam, l’auteur ne serait privé d’aucun des droits qu’il considère inhérents à cet article. En tant que citoyen vietnamien, il  jouirait de tous les droits reconnus par ce pays s’il y retournait. Si un étranger faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion valable ne peut plus circuler librement dans l’État qui l’expulse, il n’y a pas violation de l’article 9 lorsque l’expulsion est légale et conforme au Pacte.

4.6En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre des articles 13 et 2 concernant l’expulsion arbitraire, l’État partie rappelle que l’auteur a été reconnu coupable d’infractions pénales graves, manquant ainsi à une condition importante du maintien de son statut de résident étranger. Il a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion à l’issue d’une procédure orale qui présentait toutes les garanties de forme. La décision de la Division des appels de rejeter son recours, prise conformément à la loi et compte tenu de toutes les circonstances de la cause, ne saurait être considérée comme arbitraire ou non conforme au Pacte. L’auteur disposait de multiples voies de droit pour obtenir de la Division des appels qu’elle communique ses motifs et s’il n’y est pas parvenu, c’est du fait de sa propre négligence et dans le respect de la légalité.

4.7L’État partie fait observer que la Division des appels est saisie de beaucoup trop d’affaires pour pouvoir systématiquement motiver par écrit ses décisions. Elle doit cependant le faire lorsqu’elle en reçoit la demande dans les délais prescrits. Ceux‑ci ont pour objet de garantir une restitution fidèle de la décision et doivent concorder avec les délais applicables aux recours ultérieurs concernant les décisions de la Division des appels et les autres décisions rendues en application de la loi sur l’immigration. À chaque étape de la procédure, l’auteur a été représenté par un conseil et les magistrats, les membres de la Division des appels et les juges du Tribunal fédéral qui se sont prononcés en l’espèce étaient tous indépendants. L’arrêté d’expulsion a donc été pris conformément à la loi et l’auteur avait largement la possibilité de demander le réexamen de cet arrêté, conformément à l’article 13. L’État partie fait valoir que la procédure de réexamen judiciaire ouverte à l’auteur satisfaisait aux conditions prévues à l’article 2 et que toute violation des droits consacrés par le Pacte aurait pu faire l’objet d’un recours utile devant les autorités judiciaires compétentes.

4.8En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre des articles 17 et 23, l’État partie réaffirme que celui‑ci est un national vietnamien qui jouit des droits liés à sa nationalité et qu’un certain nombre de ses proches, y compris sa femme, sa mère et ses deux frères, vivent au Viet Nam. Il n’a pas fourni la preuve qu’il subvenait aux besoins de sa famille au Canada. En fait, il vit au domicile de sa sœur et de la famille de celle‑ci. L’État partie fait valoir que la portée de la notion de protection de la famille au sens du Pacte, dans le contexte de l’immigration, est définie par les articles 13, 17 et 23 lus conjointement, de sorte qu’un État, lorsqu’il envisage d’expulser un étranger, devrait mettre en balance les intérêts de la famille de l’intéressé et les intérêts de l’État. En l’occurrence, il a été dûment tenu compte de la situation familiale de l’auteur tout au long du processus de la prise de décision. Des critères comme l’âge, le nombre d’années passées au Canada, la présence de proches au Canada et à l’étranger, le degré d’intégration dans la société canadienne et l’installation réussie au Canada sont obligatoirement pris en considération. Les décisions prises n’ont pas été arbitraires et les garanties de procédure ont été dûment respectées. L’État partie indique que les critères appliqués en l’espèce ont été les mêmes que dans l’affaire Stewart c. Canada, dans laquelle le Comité a conclu qu’il n’y avait pas eu violation des articles 17 et 23 du Pacte, et qu’en l’espèce, les faits montrent que l’auteur a des liens familiaux beaucoup plus faibles avec le pays qui l’expulse que ce n’était le cas dans l’affaire Stewart.

4.9En ce qui concerne l’allégation de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 6, l’État partie conteste le fait que cet article puisse être invoqué dans la présente affaire. L’auteur n’a pas donné à entendre que son cas était apparenté aux affaires concernant la peine de mort, la mortalité infantile, les décès en détention sous la garde d’agents de l’État ou autres affaires similaires que le Comité a déjà examinées en relation avec l’article 6. Le droit de l’auteur à la vie n’est menacé ni au Canada ni au Viet Nam.

Commentaires de l’auteur

5.1Par une lettre datée du 27 octobre 1997, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie, en signalant que dans les documents des services de l’immigration de l’État partie, il est identifié comme «apatride/stateless». L’État partie ne peut donc pas prétendre qu’il a la nationalité vietnamienne alors que ses papiers confirment qu’il est apatride. Il fait aussi remarquer que lorsqu’il s’est rendu au Viet Nam en 1991, il a d’abord dû obtenir un visa de tourisme pour une période de quatre mois seulement et qu’il n’a pas été autorisé à travailler durant son séjour.

Observations complémentaires

6.1Dans une lettre datée du 16 mars 1998, l’État partie a répondu aux commentaires de l’auteur, en faisant observer que celui‑ci ne nie pas qu’il demeure un national vietnamien et que le Gouvernement vietnamien ne l’accepterait pas si tel n’était pas le cas. Le Protocole d’accord de 1995 exige seulement que le Viet Nam accepte ses nationaux s’ils ont fait l’objet de condamnations pénales au Canada. Le Viet Nam ne délivrerait pas de passeport ni d’autres pièces à l’auteur s’il n’était pas un national vietnamien.

6.2L’État partie fait remarquer que la mention «apatride/stateless» est en général utilisée sur les papiers d’immigration pour indiquer que la personne concernée ne se trouve pas sur le territoire de l’État dont elle a la nationalité, ne possède pas de document de voyage délivré par cet État et ne souhaite pas retourner dans celui-ci. Les agents qui remplissent ces documents n’ont pas les moyens de déterminer si l’intéressé est légalement apatride. L’État partie continue de considérer l’auteur comme un national vietnamien et poursuit ses pourparlers avec le Viet Nam sur cette base concernant son renvoi.

6.3L’État partie rappelle que le certificat de mariage de l’auteur délivré par les autorités vietnamiennes l’identifie comme un national vietnamien. De fait, l’auteur a déclaré sous serment qu’il était un national vietnamien devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et devant le Tribunal fédéral.

6.4Le 22 avril 1998, les observations complémentaires de l’État partie ont été communiquées au conseil de l’auteur qui a été invité à faire part de ses commentaires. En dépit de rappels envoyés le 25 septembre 2000 et le 12 octobre 2001, aucune réponse n’a été reçue du conseil.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité constate que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au seul motif qu’elle est sans fondement et/ou que les allégations de l’auteur sortent du champ d’application du Pacte. Le Comité note tout d’abord qu’il n’a pas besoin de déterminer si l’auteur est en fait apatride ou non. S’il n’a pas la nationalité vietnamienne, alors, sur la base des informations dont le Comité dispose, il n’est pas susceptible d’être expulsé vers le Viet Nam en vertu du Protocole d’accord et, du moins en l’état actuel des choses, sa communication est sans motif et dénuée d’objet. Le Comité procède donc, pour les besoins du raisonnement, sur la base la plus favorable à l’auteur, à savoir que celui‑ci est susceptible d’être expulsé vers le Viet Nam.

7.3Le Comité note que l’auteur n’a présenté aucun argument d’aucune sorte à l’appui de ses allégations au titre de l’article 6 et estime donc qu’elles sont irrecevables car elles n’ont manifestement pas été étayées.

7.4Pour ce qui est des allégations au titre des articles 2, 7, 9, 13, 17 et 23, le Comité constate que les arguments de l’auteur sont de deux ordres. Premièrement, il affirme que son expulsion le séparerait de sa famille au Canada, l’empêcherait d’avoir une vie de famille au Viet Nam du fait, en partie, qu’il n’est pas citoyen vietnamien, et l’exposerait à d’autres privations de ses droits dans ce pays. Deuxièmement, il fait valoir que la procédure d’expulsion engagée au Canada a été entachée d’irrégularités. Sur le premier point, le Comité note qu’en tant que national vietnamien, l’auteur aurait le droit de résider, de travailler et de subvenir aux besoins de sa famille au Viet Nam. De fait, il a épousé une Vietnamienne dans ce pays sans aucune difficulté en 1991. Comme son épouse, sa mère et ses deux frères vivent dans ce pays, l’auteur n’a pas démontré que son expulsion soulève, en vertu des articles 17 et 23, des problèmes familiaux dont il y a lieu de débattre aux termes du Pacte. Eu égard à la décision prise par le Comité dans l’affaire Stewart, dans laquelle il avait conclu qu’il n’y avait pas eu de violation des articles 7, 9, 13, 17 et 23 (entre autres) alors qu’elle concernait l’expulsion d’un individu qui était arrivé au Canada à un plus jeune âge, qui y avait vécu plus longtemps et dont toute la famille, à part un seul frère, résidait au Canada, l’auteur n’a pas étayé ses allégations sur le fond.

7.5S’agissant de l’allégation faite au titre de l’article 7, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il court un risque réel d’être soumis à de mauvais traitements de la part des autorités vietnamiennes, ce qui soulèverait d’autres questions au regard de l’article 7 du Pacte. À cet égard, le Comité i) que dans ses commentaires au sujet des observations de l’État partie, l’auteur n’a pas répondu à l’argument selon lequel il n’était pas exposé à un tel risque et ii) qu’en dépit du fait qu’il ait été invité plusieurs fois à commenter les observations complémentaires de l’État partie, l’auteur n’a pas saisi l’occasion pour étayer son affirmation. Compte tenu des paragraphes précédents, le Comité conclut que l’auteur n’a pas étayé ses allégations de violation des articles 7, 9, 17 et 23 du Pacte aux fins de la recevabilité de sa communication.

7.6En ce qui concerne les procédures engagées devant les autorités judiciaires et les services de l’immigration du Canada, le Comité note que l’auteur, secondé par un conseil, avait obtenu de la Division des appels un réexamen complet et indépendant de la décision d’expulsion. Même si l’on devait interpréter l’article 13 comme énonçant l’obligation d’autoriser un nouveau recours, le Comité note qu’un tel recours était de toute façon possible en vertu de la législation de l’État partie, sous réserve que l’auteur présente en temps voulu une requête aux fins d’obtenir le texte de la décision assortie de ses motifs. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle le fait de ne pas respecter le délai légal pour le dépôt d’une plainte signifie que les recours internes n’ont pas été épuisés, et conclut en conséquence qu’il serait inopportun pour l’auteur de faire valoir sur le fond son incapacité, due à son inadvertance, d’introduire un recours utile. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas étayé ses allégations de violation des articles 2 et 13 du Pacte aux fins de la recevabilité de sa communication.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale) en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe, dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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