Nations Unies

CCPR/C/105/D/1226/2003

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 août 2012

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 1226/2003

Constatations adoptées par le Comité à sa 105e session(9-27 juillet 2012)

Communication présentée par:

Viktor Korneenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

5 août 2003 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 novembre 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

20 juillet 2012

Objet:

Poursuites engagées contre le Président d’une association pour avoir utilisé du matériel informatique reçu à titre d’«aide étrangère non liée» pour préparer et surveiller des élections, et confiscation du matériel en question

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés; épuisement des recours internes

Questions de fond:

Droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial; droit de répandre des informations et des idées; droit à la liberté d’association; restrictions autorisées; droit de prendre part à la direction des affaires publiques; droit à une égale protection de la loi sans aucune discrimination

Article s du Pacte:

14 (par. 1), 19 (par. 2), 22 (par. 1), 25 (al. a) et 26

Article s du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (105e session)

concernant la

Communication no 1226/2003 *

Présentée par:

Viktor Korneenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

5 août 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1226/2003 présentée par Viktor Korneenko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Viktor Korneenko, de nationalité bélarussienne, né en 1957 et résidant à Gomel (Bélarus). Il affirme être victime de violations par le Bélarus du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble aussi soulever des questions au regard du paragraphe 2 de l’article 19, du paragraphe 1 de l’article 22 et de l’alinéa a de l’article 25 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est le Président de l’association régionale de Gomel «Initiatives civiles». Le 13 août 2001, les locaux d’Initiatives civiles ont été perquisitionnés par la Division de la sécurité de l’État du Comité exécutif de la région de Gomel (DSSC), qui détenait un mandat de perquisition délivré par le Procureur de la région de Gomel dans le cadre d’une enquête pénale ouverte en vertu de l’article 341 du Code pénal (profanation d’édifices et dégradation de biens) concernant des slogans politiques qui avaient été peints sur des immeubles de Gomel entre le mois de mai et le 9 août 2001. L’auteur affirme que cette perquisition, suivie de la saisie du matériel informatique d’Initiatives civiles par la DSSC, a été effectuée en violation de l’article 210 du Code de procédure pénale (Procédure de perquisition et saisie) et de l’Instruction relative à la procédure de saisie, d’enregistrement, de stockage et de transfert des éléments de preuve, espèces, objets précieux, documents et autres biens dans les affaires pénales (ci-après l’Instruction). Plus précisément, les ordinateurs saisis n’avaient pas été emballés et scellés par les enquêteurs ni par les autres agents qui avaient participé à la perquisition. Ce fait est documenté dans le rapport de perquisition du 13 août 2001.

2.2Le 17 août 2001, la DSSC a informé l’Inspection du Ministère des douanes du district de Zheleznodorozhniy à Gomel (ci-après le MTD) que, contrairement à ce que prévoyaient ses statuts en ce qui concerne ses activités, l’association Initiatives civiles utilisait le matériel informatique qu’elle disait avoir reçu au titre d’une aide étrangère non liée, et qui avait été saisi par la suite au cours de la perquisition, pour surveiller les élections parlementaires de 2000 et les élections présidentielles de 2001 au Bélarus ainsi que pour d’autres activités politiques, telles que l’établissement et la reproduction de publications et matériels de propagande non enregistrés.

2.3Le 18 août 2001, le dossier pénal (voir plus haut par. 2.1) a été transmis par la DSSC au Comité de la Division des enquêtes du Ministère de l’intérieur de la région de Gomel pour des raisons juridictionnelles. Le 9 octobre 2001, l’enquêteur de la Division a suspendu l’enquête préliminaire conduite dans cette affaire car toutes les possibilités d’identifier les individus qui avaient peint des slogans politiques avaient été épuisées, et il a ordonné à la DSSC de restituer le matériel informatique saisi à Initiatives civiles. Par une lettre du Directeur adjoint de la Division datée du 14 octobre 2002, l’auteur a été informé que les biens d’Initiatives civiles saisis par la DSSC au cours de la perquisition du 13 août 2001 n’avaient pas été jugés recevables en tant qu’éléments de preuve et n’avaient pas été transmis à la Division en même temps que le dossier en question. L’auteur ajoute qu’en vertu de l’article 27 de la Constitution du Bélarus et de l’article 8 du Code de procédure pénale, tout élément de preuve obtenu en violation de la loi est irrecevable et ne peut fonder l’ouverture d’une procédure pénale.

2.4À une date non spécifiée, l’auteur s’est plaint au Procureur de la région de Gomel d’une violation du Code de procédure pénale par l’enquêteur de la DSSC qui avait perquisitionné les locaux d’Initiatives civiles le 13 août 2001 et a demandé au Procureur de reconnaître que les éléments de preuve recueillis au cours de cette perquisition étaient irrecevables dans une procédure judiciaire. Le 12 octobre 2001, le Procureur a répondu que la perquisition des locaux d’Initiatives civiles avait été effectuée en exécution du mandat de perquisition qu’il avait lui-même délivré et conformément au Code de procédure pénale. Par la même lettre, l’auteur se voyait officiellement notifier que les poursuites pénales intentées contre les responsables d’Initiatives civiles dans cette affaire avaient été abandonnées le 9 octobre 2001 et qu’il devait se mettre en rapport avec la DSSC pour obtenir la restitution des biens saisis.

2.5Du 5 au 27 novembre 2001, les services du Ministère des douanes du district de Zheleznodorozhniy (Gomel) ont procédé à un contrôle fiscal des activités d’Initiatives civiles mais n’a constaté aucune infraction à la loi. Dans son rapport sur ce contrôle fiscal, cependant, il a utilisé les renseignements que lui avait fournis la DSSC le 17 août 2001 concernant l’utilisation du matériel informatique saisi au cours de la perquisition des locaux d’Initiatives civiles (voir par. 2.2 ci-dessus). Le 10 décembre 2001, le Ministère des douanes a rédigé et remis à la justice un rapport administratif concernant l’auteur. Celui-ci était accusé d’avoir commis une infraction administrative visée dans la partie 3 du paragraphe 4 du décret présidentiel provisoire no 8 relatif à certaines mesures destinées à modifier la procédure régissant l’acceptation et l’utilisation d’une aide étrangère non liée, en date du 12 mars 2001 (ci-après le décret présidentiel). Ce décret interdit l’utilisation d’une aide étrangère non liée aux fins de la préparation et de la tenue d’élections et de référendums, du rappel d’un député ou d’un membre du Conseil de la République, de l’organisation de rassemblements, réunions, défilés, manifestations, piquets de grève ou grèves, de la production et de la diffusion de matériels politiquement chargés et de l’organisation de séminaires et autres formes d’activités politiquement chargées destinées au grand public. Conformément au paragraphe 5.3 du décret présidentiel, l’aide étrangère non liée reçue doit être confisquée, et ses bénéficiaires encourent une sanction administrative (une amende), si cette aide étrangère a été utilisée à des fins impropres ou à l’une quelconque des fins interdites par la partie 3 du paragraphe 4 du décret.

2.6L’auteur fait observer que ce n’est pas la totalité du matériel informatique saisi au cours de la perquisition des locaux d’Initiatives civiles qui avait été reçue à titre d’aide étrangère non liée aux fins de ses activités statutaires. Par conséquent, le matériel informatique n’était pas sujet dans sa totalité aux sanctions prévues par le décret présidentiel.

2.7Le 25 janvier 2002, un juge des affaires administratives et des procédures d’application des lois du tribunal du district de Zheleznodorozhniy a examiné le rapport administratif du 10 décembre 2001 concernant l’auteur et a conclu qu’Initiatives civiles avait utilisé le matériel informatique reçu à titre d’aide étrangère non liée «aux fins de la surveillance prétendument indépendante des élections présidentielles de 2001 au Bélarus et de la conduite d’activités publicitaires connexes au cours des élections présidentielles de 2001 au Bélarus», en violation de la partie 3 du paragraphe 4 du décret présidentiel. Conformément au paragraphe 5.3 du décret, l’auteur a été condamné à une amende de 1 million de roubles bélarussiens, et la confiscation de 5 unités centrales, 2 imprimantes, 5 claviers et 5 souris a été ordonnée. L’auteur affirme que:

a)Pour établir sa culpabilité, le tribunal s’est fondé sur les éléments de preuve recueillis par la DSSC en violation du Code de procédure pénale. Tous les recours contestant la recevabilité de ces éléments de preuve qui ont été présentés par l’auteur et son conseil ont été rejetés par le tribunal au motif qu’ils étaient sans fondement. Au cours de l’audience, la juge a déclaré que bien que ces éléments de preuve eussent été recueillis en violation de la loi, elle n’avait aucune raison de ne pas croire un organisme public tel que la DSSC. Le témoignage de l’auteur et celui des témoins qui avaient déposé en sa faveur ont été écartés;

b)L’enquêteur de la DSSC qui a perquisitionné les locaux d’Initiatives civiles le 13 août 2001 a témoigné devant le tribunal qu’il n’avait pas scellé le matériel saisi comme il aurait dû le faire en vertu de la loi et qu’il avait été réprimandé pour cela par ses supérieurs. L’auteur relève que l’enquêteur a effectivement admis qu’il avait recueilli les éléments de preuve en violation de l’article 27 de la Constitution bélarussienne;

c)Le tribunal a refusé d’établir précisément quelles pièces du matériel informatique saisi produites comme éléments de preuve avaient été reçues au titre d’une aide étrangère non liée;

d)Le tribunal n’a pas tenu compte du fait que les informations qu’il considérait comme contraires à la partie 3 du paragraphe 4 du décret présidentiel auraient été téléchargées en l’absence de tout témoin et seulement le 7 octobre 2001, c’est-à-dire plusieurs mois après que la DSSC eut informé le Ministère des douanes de l’utilisation impropre du matériel en question par Initiatives civiles (voir plus haut par. 2.2).

2.8En droit bélarussien, la décision d’un tribunal de district de première instance dans une affaire administrative est définitive et ne peut être contestée dans le cadre d’une procédure administrative. Elle peut toutefois faire l’objet d’un recours au titre de la procédure de contrôle devant une cour régionale et devant la Cour suprême.

2.9Le 1er mars 2002, le Président de la cour régionale de Gomel a débouté l’auteur de sa demande de contrôle juridictionnel de la décision du tribunal du district de Zheleznodorozhniy en date du 25 janvier 2002.

2.10Le 5 mars 2002, le même juge du tribunal du district de Zheleznodorozhniy qui avait rendu la décision du 25 janvier 2002 a adressé à l’auteur une autre version de cette décision en y ajoutant une mention manuscrite indiquant que les cinq écrans saisis seraient également confisqués. L’auteur a considéré que par cette action le juge altérait une décision de justice ayant déjà force exécutoire et s’en est plaint, à une date non précisée, au Ministère de la justice. Par une lettre du Ministère de la justice datée du 10 avril 2002, l’auteur a été informé que sa plainte avait été examinée, que le juge avait effectivement commis une erreur et qu’il avait reçu en conséquence une sanction disciplinaire.

2.11Le 16 mai 2002, le Ministère de la justice a adressé au Président de la cour régionale de Gomel une lettre lui suggérant de prendre des mesures au sujet des omissions du juge dans l’examen de l’affaire administrative de l’auteur. Le 29 mai 2002, le Président de la cour régionale de Gomel a réexaminé l’affaire, annulé la décision du tribunal du district de Zheleznodorozhniy en date du 25 janvier 2002 et renvoyé l’affaire au même tribunal en lui demandant de la faire examiner par un juge différent.

2.12Le 23 juillet 2002, un autre juge du tribunal du district de Zheleznodorozhniy a examiné l’affaire administrative de l’auteur et a conclu de nouveau que l’association Initiatives civiles avait utilisé le matériel informatique reçu au titre d’une aide étrangère non liée «aux fins de la surveillance prétendument indépendante des élections présidentielles de 2001 au Bélarus et de la conduite d’activités publicitaires connexes au cours des élections présidentielles de 2001 au Bélarus», en violation de la partie 3 du paragraphe 4 du décret présidentiel. En vertu du paragraphe 5.3 du décret, l’auteur a été condamné à une amende de 1 million de roubles bélarussiens, soit 550 dollars des États-Unis, au taux de change de l’époque, et, cette fois, la confiscation de la totalité du matériel saisi a été ordonnée. L’auteur affirme que le tribunal s’est de nouveau appuyé sur les éléments de preuve obtenus par la DSSC en violation du Code de procédure pénale.

2.13Le 26 août 2002, le Président de la cour régionale de Gomel a débouté l’auteur de sa demande de contrôle juridictionnel de la décision du tribunal du district de Zheleznodorozhniy en date du 23 juillet 2002.

2.14Le 29 novembre 2002, le Procureur général adjoint a répondu par écrit aux plaintes répétées de l’auteur selon lesquelles les éléments de preuve obtenus illégalement par la DSSC le 13 août 2001 étaient irrecevables en justice. D’après la lettre reçue, aucune violation du Code de procédure pénale n’avait été commise dans l’obtention des éléments de preuve en question, aucune plainte ou objection n’avait été consignée dans le rapport de perquisition par l’un quelconque des membres du personnel d’Initiatives civiles présents au cours de la perquisition et de la saisie des biens, et il avait été impossible aux agents de la DSSC d’apposer les scellés sur le matériel saisi en raison de son volume. L’auteur affirme que l’article 210 du Code de procédure pénale et l’Instruction (voir plus haut par. 2.1) ne prévoient aucune exception à l’obligation d’apposer les scellés sur un objet saisi, quelle que soit sa taille; en l’absence de scellés, en vertu de l’article 27 de la Constitution du Bélarus, l’élément de preuve en question perd toute force probante.

2.15Le 30 décembre 2002, le premier Vice-Président de la Cour suprême a débouté l’auteur de sa demande de contrôle juridictionnel de la décision du tribunal du district de Zheleznodorozhniy en date du 23 juillet 2002 et a affirmé que la sanction administrative qui avait été imposée à l’auteur avait été déterminée conformément aux dispositions du décret présidentiel, compte tenu de l’infraction commise et de ses «données personnelles». L’auteur est d’avis que l’expression «données personnelles» renvoie à ses opinions politiques et à celles d’Initiatives civiles, en violation de l’article 26 du Pacte, qui interdit toute discrimination pour des motifs tenant aux opinions politiques.

2.16Le 6 février 2003, le chef de la Division des pétitions et de l’accueil des citoyens de la Cour suprême a rejeté la nouvelle demande de contrôle juridictionnel de la décision du tribunal du district de Zheleznodorozhniy en date du 23 juillet 2002 que l’auteur avait soumise au Président de la Cour suprême.

2.17Le 24 janvier 2003, l’auteur a attaqué devant la Cour constitutionnelle la décision du tribunal du district de Zheleznodorozhniy en date du 23 juillet 2002, qui avait été rendue sur le fondement des éléments de preuve recueillis en violation de l’article 27 de la Constitution du Bélarus. Par une lettre datée du 11 février 2003, le Président de la Cour constitutionnelle a confirmé qu’en vertu de cet article tout élément de preuve obtenu en violation de la loi était irrecevable et ne pouvait servir de fondement à l’ouverture de poursuites pénales, à une décision de justice ou à la prise d’une décision par quelque organisme public que ce soit. L’auteur a été informé qu’il avait le droit d’attaquer la décision devant la juridiction supérieure ou le procureur en présentant une demande de contrôle juridictionnel. Il était en outre indiqué dans la lettre que la Cour constitutionnelle avait confirmé à de nombreuses reprises l’applicabilité directe de l’article 60 de la Constitution du Bélarus garantissant le droit à la protection de la justice et qu’en refusant d’examiner les plaintes de citoyens les tribunaux engageaient leur responsabilité pour non-observation de la Constitution.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme avoir été privé du droit à l’égalité devant les tribunaux et du droit à la détermination de ses droits et obligations de caractère civil (art. 14, par. 1, du Pacte).

3.2L’auteur affirme que les autorités de l’État partie ont violé son droit à l’égale protection de la loi contre la discrimination (art. 26 du Pacte) pour des motifs tenant à ses opinions politiques.

3.3Bien qu’il n’invoque pas expressément ces articles, les faits présentés par l’auteur semblent aussi soulever des questions au regard du paragraphe 2 de l’article 19, du paragraphe 1 de l’article 22 et de l’alinéa a de l’article 25, pour ce qui est de la compatibilité du décret présidentiel avec le Pacte (voir le paragraphe 6.1 ci-dessous).

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 30 juillet 2008, l’État partie a rappelé la chronologie de l’affaire telle que résumée au paragraphe 2.1 ci-dessus et ajouté que les objets saisis au cours de la perquisition du 13 août 2001 avaient été emballés en 13 paquets et scellés. Il précise que le matériel informatique n’avait pas pu être emballé en raison de son volume et qu’il avait été transporté par les agents jusqu’aux locaux de la DSSC. Il affirme qu’il n’y a eu aucune violation de la procédure par les agents de la DSSC et que l’auteur en a été informé à de nombreuses reprises, notamment par les services du Procureur général.

4.2Le 23 juillet 2002, un juge du tribunal du district de Zheleznodorozhniy a condamné l’auteur à une amende de 1 million de roubles bélarussiens et ordonné la confiscation de tout le matériel informatique saisi en application du paragraphe 5.3 du décret présidentiel. L’auteur, en tant que Président d’Initiatives civiles, a été reconnu coupable d’avoir utilisé, du 14 avril au 13 août 2001, une aide étrangère non liée (sous forme d’un apport de matériel informatique) à des fins interdites par le décret présidentiel, à savoir la préparation et la conduite des élections présidentielles. Le juge a rendu cette décision en s’appuyant sur les éléments de preuve qui avaient été examinés au cours de la procédure judiciaire. Aucun fait corroboré ne montrait que certains éléments de preuve avaient été obtenus en violation de la loi. L’État partie conteste le grief formulé à l’audience par l’auteur, qui a affirmé avoir des raisons de croire que le but de la procédure était de discréditer Initiatives civiles et de le discréditer lui-même personnellement, et déclare que les opinions politiques de l’auteur étaient sans rapport avec la procédure judiciaire et n’avaient pas été prises en considération.

4.3L’État partie affirme que la procédure judiciaire menée dans l’affaire de l’auteur était publique et que l’auteur était représenté. Il est arrivé une fois que l’auteur conteste la manière de procéder du juge dont il estimait qu’il s’immisçait dans l’interrogatoire de l’un des témoins conduit par le représentant de l’auteur. L’État partie affirme que le juge avait le droit de poser des questions aux participants à tout stade de la procédure et que, pour cette raison, il existait des motifs fondés de rejeter les objections de l’auteur.

4.4L’État partie conclut qu’il y avait tout lieu de retenir la responsabilité administrative de l’auteur en vertu du paragraphe 5.3 du décret présidentiel.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 7 novembre 2010, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il fait valoir que si l’État partie a bien admis que le matériel informatique saisi n’avait pas été scellé en raison de son volume, il maintient que cela ne constitue pas une violation de la loi de procédure pénale. L’auteur renouvelle son affirmation initiale, à savoir que tout élément de preuve obtenu en violation de la loi est irrecevable et ne peut servir de fondement à l’ouverture de poursuites pénales (voir plus haut les paragraphes 2.1, 2.3 et 2.14). Renvoyant à la lettre du Président de la Cour constitutionnelle datée du 11 février 2003 à l’appui de son affirmation (voir plus haut le paragraphe 2.17), il déclare que les tribunaux qui ont examiné l’affaire administrative le concernant auraient dû rejeter tout élément de preuve obtenu en violation de la loi. L’auteur affirme qu’en engageant à son encontre une procédure pour une infraction administrative fondée sur un élément de preuve obtenu en violation de la loi, l’État partie a violé son droit à l’égalité devant les tribunaux et son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, conformément au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

5.2L’auteur affirme en outre que le manque de compétence, d’indépendance et d’impartialité des tribunaux de l’État partie est également démontré par la manière dont l’affaire administrative le concernant a été examinée par un juge du tribunal du district de Zheleznodorozhniy le 25 janvier 2002 (voir plus haut les paragraphes 2.7 et 2.10) et par un autre juge du même tribunal le 23 juillet 2002 (voir plus haut le paragraphe 2.12). Il rappelle qu’aucune des plaintes qu’il a présentées aux présidents de la cour régionale de Gomel et de la Cour suprême n’a donné quelque résultat que ce soit.

5.3En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel les opinions politiques de l’auteur étaient sans rapport avec la procédure judiciaire et n’avaient pas été prises en considération (voir plus haut le paragraphe 4.2), l’auteur présente une brève chronologie des événements ayant précédé la perquisition des locaux d’Initiatives civiles le 13 août 2001, la saisie du matériel informatique et la décision de lui infliger une sanction administrative.

5.4Depuis 1996, l’auteur était le Président d’Initiatives civiles, association rassemblant plus de 300 citoyens résidant dans la région de Gomel qui participaient activement à la surveillance des élections à tous les niveaux dans l’État partie. Initiatives civiles prévoyait de déployer quelque 300 observateurs indépendants pour suivre les élections présidentielles qui devaient se tenir en septembre 2001. Tout le travail préparatoire était effectué dans les locaux d’Initiatives civiles et le matériel informatique saisi était un instrument clef du processus d’observation. L’auteur affirme que, la veille des élections (13 août 2001), les autorités de l’État partie ont perquisitionné les locaux d’Initiatives civiles et saisi son matériel sous le prétexte d’une affaire pénale sans aucun lien avec les activités de l’association en question. Peu après, Initiatives civiles a été dissoute par une décision de justice fondée sur un élément de preuve provenant des données sauvegardées sur le matériel informatique saisi.

5.5L’auteur renvoie à la lettre du Premier Vice-Président de la Cour suprême datée du 30 décembre 2002, dans laquelle celui-ci reconnaît que la responsabilité administrative de l’auteur a été retenue «compte tenu de ses données personnelles» (voir plus haut le paragraphe 2.15) et en conclut que les autorités de l’État partie ont violé son droit, garanti par l’article 26 du Pacte, à une égale protection devant la loi contre la discrimination pour des motifs tenant à ses opinions politiques.

Commentaires supplémentaires de l’État partie et de l’auteur

6.1En date du 23 mai 2011, le Comité a informé l’État partie qu’il avait commencé l’examen de la présente communication à sa 101e session (14 mars-1er avril 2011). Il a noté que la communication semblait également soulever des questions au regard des articles 19, 22 et 25 du Pacte, bien que ces articles n’aient pas été expressément invoqués par l’auteur. Le Comité a donc décidé de reporter l’examen de la communication afin de demander à l’État partie de lui soumettre des commentaires supplémentaires sur la lettre initiale de l’auteur en tenant compte de l’avis du Comité selon lequel celle-ci soulevait également des questions au regard des articles 19, 22 et 25 du Pacte.

6.2En date du 25 janvier 2012, l’État partie a fait valoir, à propos de la présente communication et d’environ 60 autres, que lorsqu’il est devenu partie au Protocole facultatif il a reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier, mais que cette reconnaissance de compétence est liée à d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles fixant les critères relatifs aux personnes qui présentent des communications et à la recevabilité des communications, en particulier les articles 2 et 5 du Protocole facultatif. Il soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties de reconnaître le Règlement intérieur du Comité et l’interprétation que fait le Comité des dispositions du Protocole facultatif, qui «ne peut être efficace que lorsqu’elle est faite conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités». Il affirme qu’«en ce qui concerne la procédure d’examen des plaintes, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif» et que «les références à la pratique traditionnelle du Comité, à ses méthodes de travail et à sa jurisprudence ne relèvent pas du Protocole facultatif». Il affirme en outre que «toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques sera considérée par l’État partie comme incompatible avec le Protocole et sera rejetée sans commentaire sur la recevabilité ou sur le fond». L’État partie déclare en outre que les décisions prises par le Comité sur les «communications rejetées» seront considérées par ses autorités comme «non valides».

7.1Le 21 mars 2012, l’auteur a fait valoir, par une argumentation détaillée, qu’en devenant partie au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer si une violation du Pacte a été commise ou non, et qu’en vertu de l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie. Il a ajouté que l’État partie était donc tenu de donner effet aux constatations du Comité et d’accepter ses normes, ses pratiques, ses méthodes de travail et sa jurisprudence.

7.2L’auteur a également indiqué qu’il n’avait pas fait de demande de contrôle (nadzor) des décisions prises par les tribunaux de l’État partie auprès du ministère public car, conformément à la jurisprudence du Comité, l’auteur d’une communication est tenu d’épuiser les recours internes qui sont non seulement disponibles, mais aussi utiles. Or l’auteur note que le Comité a conclu dans d’autres affaires que la procédure de contrôle constituait une voie de recours extraordinaire et ne faisait pas partie des recours qui devaient être épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

8.1Le Comité prend note des observations de l’État partie, à savoir: qu’il n’existe pas de motif juridique d’examiner la communication présentée par l’auteur, étant donné qu’elle a été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif; que l’État partie n’est pas tenu de reconnaître le Règlement intérieur du Comité et l’interprétation faite par le Comité des dispositions du Protocole facultatif; et que les décisions prises par le Comité concernant les communications présentées plus haut seront considérées par ses autorités comme «non valides».

8.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Le Comité fait en outre observer que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1er). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux particuliers (art. 5 (par. 1 et 4)). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas la décision du Comité concernant l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond des communications, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3En ce qui concerne la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de ce que l’auteur a interprété les commentaires supplémentaires de l’État partie, datés du 25 janvier 2012, comme contestant la recevabilité de sa communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Le Comité prend note de l’explication de l’auteur selon laquelle il a épuisé tous les recours internes et n’a pas déposé de plainte auprès du ministère public car la procédure de contrôle juridictionnel ne constitue pas un recours interne utile. Le Comité note également que l’auteur a présenté une demande de contrôle juridictionnel auprès de la Cour suprême, laquelle a confirmé le jugement du tribunal de l’arrondissement Zheleznodorozhniy de Gomel du 23 juillet 2003. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la procédure de contrôle d’une décision de justice exécutoire constitue une voie de recours extraordinaire dont l’exercice est laissé à la discrétion du juge ou du procureur et qui est limitée à des points de droit. Dans ces conditions, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

9.4En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme être victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte, le Comité rappelle que le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial est garanti dans les procédures visant à décider soit du bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre l’intéressé soit d’une contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par la loi pénale interne. Toutefois, cette notion peut également être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. À ce propos, le Comité rappelle que la notion d’«accusation en matière pénale» a une signification autonome, indépendante des classifications utilisées par le système judiciaire des États parties, et doit être comprise au sens du Pacte. Le Comité doit donc déterminer si l’article 14 du Pacte est applicable dans la présente communication, c’est‑à‑dire si les sanctions imposées à l’auteur se rapportent à «une accusation en matière pénale» au sens du Pacte, quelle que soit leur qualification en droit interne.

9.5En ce qui concerne les conditions relatives à «la finalité et au caractère» des sanctions, le Comité note que, bien qu’elles soient administratives selon la législation de l’État partie, les sanctions prononcées contre l’auteur visaient à réprimer, par les peines infligées, les infractions qui lui étaient imputées et à exercer un effet dissuasif sur autrui − objectifs analogues à la finalité générale du droit pénal. Le Comité note en outre que les règles de droit qui ont été enfreintes par l’auteur visent non pas un groupe précis jouissant d’un statut particulier − ce qui serait le cas par exemple d’un règlement disciplinaire − mais toute personne possédant la qualité de récipiendaire d’une aide étrangère non liée au Bélarus; ces règles proscrivent un certain type de comportement et rendent celui-ci passible d’une sanction. Il en découle que le caractère général des règles et la finalité de la peine, qui est à la fois dissuasive et punitive, suffisent à montrer que les infractions en question avaient, au sens de l’article 14 du Pacte, un caractère pénal. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable ratione materiae, dans la mesure où la procédure menée au sujet de l’utilisation d’une aide étrangère (matériel informatique) pour la préparation et l’observation des élections entre dans le champ de «la détermination du bien-fondé» d’une «accusation en matière pénale» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.6Le Comité constate par ailleurs que l’allégation de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte concerne la manière dont les tribunaux de l’État partie ont examiné son affaire administrative, notamment le fait qu’ils ont retenu à son encontre une accusation en matière administrative fondée sur des «éléments de preuve obtenus en violation du droit». Le Comité fait observer que ces allégations portent essentiellement sur l’appréciation des faits et des preuves par le tribunal. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit prouvé que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice ou que le tribunal a manqué d’une autre façon à son obligation d’indépendance et d’impartialité. En l’espèce, l’auteur n’a pas démontré que, même si le matériel informatique saisi n’avait pas été emballé et scellé comme l’exige la loi de procédure pénale de l’État partie, la conclusion du tribunal à ce sujet avait un caractère arbitraire s’agissant de l’appréciation des preuves ou constituait un déni de justice. En conséquence, le Comité estime que les allégations de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ne sont pas suffisamment étayées et qu’elles sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.7Pour ce qui est du grief de violation de l’article 26 du Pacte invoqué par l’auteur au motif qu’il a été privé du droit à une égale protection de la loi contre la discrimination, le Comité considère que ce grief n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.8Le Comité considère que les autres allégations de l’auteur, qui soulèvent des questions au regard du paragraphe 2 de l’article 19, du paragraphe 1 de l’article 22 et de l’alinéa a de l’article 25 du Pacte, sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité doit examiner trois questions intimement liées. Il doit déterminer tout d’abord si la condamnation de l’auteur à une amende pour l’utilisation par Initiatives civiles de matériel informatique reçu au titre d’une aide étrangère non liée aux fins de la préparation et de l’observation des élections, ainsi que la confiscation du matériel en question constituent une restriction du droit de l’auteur à la liberté d’association, et si une telle restriction était justifiée. Le Comité constate que, selon l’auteur, le matériel informatique saisi était un élément essentiel du processus d’observation des élections entrepris par Initiatives civiles et les éléments de preuve obtenus à partir des données sauvegardées sur le matériel saisi ont motivé par la suite la dissolution d’Initiatives civiles par décision de justice. À ce propos, le Comité fait observer que le droit à la liberté d’association ne comprend pas uniquement le droit de créer une association mais garantit aussi le droit des membres de cette association de mener librement les activités statutaires de cette organisation. La protection conférée par l’article 22 du Pacte s’étend à toutes les activités d’une association et toute restriction de l’exercice de ce droit doit satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 2 de cette disposition. Vu que la saisie du matériel informatique et l’imposition d’une amende à l’auteur ont eu pour effet de mettre un terme à l’observation des élections par Initiatives civiles, le Comité considère que les faits constituent une restriction du droit de l’auteur à la liberté d’association.

10.3Le Comité fait observer que, conformément au paragraphe 2 de l’article 22, toute restriction à la liberté d’association, pour être valable, doit satisfaire à toutes les conditions suivantes: a) elle doit être prévue par la loi; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2; c) elle doit être «nécessaire dans une société démocratique» pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une «société démocratique» dans le contexte de l’article 22 indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, font partie des fondements d’une société démocratique.

10.4Le Comité constate qu’en l’espèce la responsabilité de l’auteur a été retenue et le matériel informatique d’Initiatives civiles a été saisi en vertu du paragraphe 5.3 et du paragraphe 4 (partie 3) du décret présidentiel (voir le paragraphe 2.5 ci-dessus). Cependant, l’État partie n’a en rien démontré, bien qu’il lui ait été donné l’occasion de le faire, en quoi il serait nécessaire, au sens du paragraphe 2 de l’article 22, d’interdire et de sanctionner l’utilisation d’un tel matériel informatique «aux fins de la préparation et de la tenue d’élections et de référendums, du rappel d’un député ou d’un membre du Conseil de la République, de l’organisation de rassemblements, réunions, défilés, manifestations, piquets de grève ou grèves, de la production et de la diffusion de matériels politiquement chargés ainsi que pour l’organisation de séminaires ou autres formes d’activités politiquement chargées destinées au grand public».

10.5Le Comité constate également que l’activité pour laquelle la responsabilité de l’auteur a été retenue, à savoir l’utilisation de matériel informatique reçu au titre d’une aide étrangère non liée aux fins de la surveillance d’élections au Bélarus et d’activités publicitaires connexes, relève du champ d’application de l’alinéa a de l’article 25 du Pacte, qui reconnaît et protège le droit de tout citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques. À cet égard, le Comité rappelle son Observation générale no 25 (1996), selon laquelle les citoyens participent à la direction des affaires publiques en influant sur celles-ci par le débat public et le dialogue avec leurs représentants ou par leur capacité de s’organiser, entre autres choses.

10.6Le Comité rappelle également que l’exercice des droits protégés par l’article 25 du Pacte ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs consacrés par la loi, et qui soient raisonnables et objectifs. Étant parvenu à la conclusion que l’interdiction et la sanction de l’utilisation du matériel informatique reçu au titre d’une aide étrangère non liée pour la préparation et la surveillance des élections ne satisfont pas au critère de nécessité prévu au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, le Comité constate que les dispositions correspondantes de la législation nationale applicable peuvent également être exploitées pour restreindre abusivement les droits protégés par l’alinéa a de l’article 25 du Pacte.

10.7Le Comité note en outre que l’activité pour laquelle la responsabilité de l’auteur a été retenue, à savoir l’utilisation de matériel informatique reçu au titre d’une aide étrangère non liée aux fins de l’observation des élections et d’activités publicitaires connexes relève également du champ d’application du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, qui garantit notamment la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées. Le Comité doit ensuite déterminer si les restrictions imposées à l’auteur sont justifiées au regard du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, c’est-à-dire si elles sont prévues par la loi et nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité rappelle à cet égard son Observation générale no 34, dans laquelle il est souligné, entre autres, que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Outre que les restrictions apportées à l’exercice de ces libertés doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité, elles «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire».

10.8Le Comité note qu’en l’espèce, bien qu’il lui ait été donné l’occasion de le faire, l’État partie n’a invoqué aucune raison précise pour laquelle les restrictions imposées aux activités de l’auteur pourraient être nécessaires à l’une des fins légitimes prévues au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de montrer que les restrictions apportées aux droits garantis à l’auteur par l’article 19 sont nécessaires et que bien qu’un État partie puisse adopter un système destiné à assurer un juste équilibre entre la liberté de chacun de répandre des informations et le maintien de l’ordre public dans un domaine donné dans l’intérêt de la collectivité, ce système ne doit pas être incompatible avec l’article 19 du Pacte. Le Comité considère qu’en l’absence de toute explication pertinente de la part de l’État partie, les restrictions à l’exercice du droit de l’auteur de rechercher, de recevoir et de répandre des informations, bien qu’autorisées par la législation nationale, ne peuvent pas être considérées comme étant nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public ou au respect des droits ou de la réputation d’autrui.

10.9Compte tenu des informations dont il est saisi et en l’absence de toute explication satisfaisante de la part de l’État partie à cet égard, le Comité conclut que la décision de condamner l’auteur à une amende pour l’utilisation par Initiatives civiles de matériel informatique reçu au titre d’une aide étrangère non liée aux fins de la préparation et de la surveillance des élections et de la conduite d’activités publicitaires connexes ainsi que la confiscation du matériel en question constituent une violation des droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 22, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19 et l’alinéa a de l’article 25 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 22, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19 et l’alinéa a de l’article 25 du Pacte. Il réaffirme que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective, sous la forme notamment du remboursement de la valeur actuelle de l’amende et des frais de justice encourus, de la restitution du matériel informatique confisqué ou du remboursement de sa valeur actuelle ainsi que d’une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir et doit faire en sorte que les dispositions contestées du décret présidentiel soient mises en conformité avec les articles 19, 22 et 25 du Pacte.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus par le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les faire diffuser largement en bélarussien et en russe dans le pays.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Gerald L. Neumanet M. Walter Kälin (concordante)

1.Tout en étant d’accord avec la décision du Comité dans la présente affaire, nous souhaitons aborder séparément deux questions accessoires, que nous aurions traitées d’une manière légèrement différente.

2.Premièrement, nous serions parvenus à la conclusion que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19 sans mentionner l’article 25. Tout en convenant que l’article 25 n’est pas sans objet dans la présente communication, nous estimons qu’il n’est pas absolument nécessaire de s’y référer et que le fait de l’aborder pourrait même créer une confusion dans l’esprit du lecteur quant aux implications générales de la décision. Le Comité se réfère à son Observation générale no 25 concernant l’article 25 du Pacte, et certaines des questions générales que cela soulève nous éloignent du contexte de la présente affaire. La communication traite essentiellement de la surveillance des élections par des observateurs de la société civile et non de la conduite de campagnes électorales. Si nous avons bien compris, le Comité ne prend pas position dans un sens ou un autre au sujet de la réglementation du financement de campagnes électorales, de partis politiques ou du soutien à des candidats particuliers par des sources étrangères. Ces questions mériteraient d’être examinées de manière approfondie dans le cadre d’une affaire où elles se poseraient réellement.

3.Deuxièmement, nous souhaiterions revenir sur la question de savoir pourquoi la violation concerne l’article 22 (liberté d’association) «lu conjointement avec» l’article 19 (liberté d’expression). L’auteur s’est vu infliger, à titre personnel, une amende et l’association à laquelle il appartient s’est vu confisquer son matériel, alors que ce matériel avait été simplement utilisé par l’association dans le cadre d’activités protégées par l’article 19. L’exercice par l’auteur, de concert avec d’autres, du droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées a entraîné des sanctions, subies en partie par l’auteur et en partie par l’association. Le Comité exige à juste titre que les restrictions imposées soient dûment justifiées mais l’État partie n’a pas fourni les preuves requises.

4.Les activités auxquelles se livre une association ne sont pas toutes suffisamment protégées par le seul article 22. Le Comité n’a relativement eu que peu d’occasions d’analyser le contenu du droit à la liberté d’association, l’ayant abordé surtout dans des affaires concernant la création, l’enregistrement ou la dissolution d’associations. Il dit au paragraphe 10.2 de sa décision, comme il l’a déjà fait remarquer par le passé, que l’article 22 protège le droit des membres d’une association d’accomplir leurs activités statutaires. Dans une certaine mesure, nous sommes d’accord avec cela. Par exemple, un État entraverait l’exercice de la liberté d’association s’il interdisait aux membres d’une association de se livrer collectivement à des activités que peuvent accomplir des personnes agissant individuellement, et les restrictions imposées constitueraient une violation de l’article 22 à moins qu’elles ne soient justifiées en vertu du paragraphe 2 de cet article. Nous ne pensons pas, toutefois, que dans un État qui interdit la consommation d’alcool (interdiction qui ne soulèverait aucune question au regard de la Convention), des individus auraient, en vertu de l’article 22, le droit de boire ensemble de la bière, simplement parce qu’ils constituent un club de buveurs de bière. Cet exemple trivial soulève une question touchant le contenu de l’article 22, que le Comité pourrait examiner dans le contexte de futures affaires.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]