NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTE *

CCPR/C/85/D/1153/2003

22 novembre 2005

FRANÇAIS

Original: ESPAGNOL

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt- cinquième session

17 octobre ‑3 novembre 2005

CONSTATATIONS

Communication no 1153/2003

Présentée par  : Karen Noelia Llantoy Huamán (représentée par les organisations DEMUS, CLADEM et Center for Reproductive Law and Policy)

Au nom de  : L’auteur

État partie  : Pérou

Date de la communication  : 13 novembre 2002 (date de la lettre initiale)

Références  : Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 8 janvier 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des

constations  : 24 octobre 2005

Objet : Refus de prestations médicales à l’auteur dans le cas d’un avortement thérapeutique non punissable et explicitement prévu par la loi.

Questions de procédure : Justification suffisante des griefs – absence de recours interne utile.

Questions de fond : Droit à un recours utile; droit à l’égalité de traitement entre hommes et femmes; droit à la vie; droit de n’être pas soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée; droit aux mesures de protection qu’exige la condition de mineur et droit à l’égalité devant la loi.

Articles du Pacte : 2, 3, 6, 7, 17, 24 et 26.

Article du Protocole facultatif : 2

Le 24 octobre 2005, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication n o 1153/2003 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[Annexe]

Annexe

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

quatre-vingt- cinquième session

concernant la

Communication no 1153/2003**

Présentée par  : Karen Noelia Llantoy Huamán (représentée par les organisations DEMUS, CLADEM et Center for Reproductive Law and Policy)

Au nom de  : L’auteur

État partie  : Pérou

Date de la communication  : 13 novembre 2002 ( date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1153/2003 présentée au nom de Karen Noelia Llantoy Huamán en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Karen Noelia Llantoy Huamán, née en 1984. Elle se déclare victime de violations par le Pérou des articles 2, 3, 6, 7, 17, 24 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par les organisations DEMUS, CLADEM et Center for Reproductive Law and Policy. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Pérou le 3 octobre 1980.

Rappel des faits

2.1 L’auteur est tombée enceinte en mars 2001, alors qu’elle était âgée de 17 ans. Le 27 juin 2001, on lui a pratiqué une échographie à l’hôpital public Arzobispo Loayza de Lima, qui dépend du Ministère de la santé. L’examen a montré que le fœtus était anencéphale.

2.2 Le 3 juillet 2001, le docteur Ygor Pérez Solf, gynécologue-obstétricien à l’hôpital public Arzobispo Loayza de Lima, a informé l’auteur de l’anomalie du fœtus, en lui précisant qu’elle risquait de mettre sa propre vie en danger si elle poursuivait la grossesse. Le docteur Pérez a indiqué à l’auteur qu’elle pouvait soit poursuivre sa grossesse soit l’interrompre; il lui a recommandé la deuxième solution, en préconisant un curetage utérin. L’auteur a décidé d’interrompre sa grossesse et a donc subi tous les examens nécessaires, lesquels ont confirmé l’anomalie du fœtus.

2.3 Le 19 juillet 2001, lorsque l’auteur s’est rendue à l’hôpital accompagnée de sa mère pour subir l’intervention prévue, le docteur Pérez lui a annoncé qu’une autorisation écrite du Directeur de l’établissement était nécessaire. L’auteur étant mineure, c’est sa mère, Elena Huamán Lara, qui a fait la demande. Le 24 juillet 2001, le docteur Maximiliano Cárdenas Díaz, Directeur de l’hôpital, a répondu par écrit qu’il ne pouvait pas autoriser l’interruption de grossesse car celle-ci serait contraire à la loi, l’avortement étant puni, selon l’article 120 du Code pénal, « d’une peine privative de liberté de trois mois au maximum (2) lorsqu’il est probable que l’être en formation naîtra avec des tares physiques ou psychiques graves », et l’avortement thérapeutique étant seulement autorisé, conformément à l’article 119 du même Code pénal, lorsque « l’interruption de la grossesse est le seul moyen de sauver la vie de la mère ou d’éviter un dommage grave et permanent à sa santé ».

2.4 Le 16 août 2001, une assistante sociale, membre de l’Association professionnelle des assistants sociaux du Pérou, M me  Amanda Gayoso, a examiné le dossier et a conclu qu’il était souhaitable de procéder à une intervention médicale pour interrompre la grossesse « car la mener à terme ne ferait que prolonger l’angoisse et l’instabilité émotionnelle de Karen et de sa famille ». L’intervention n’a toutefois pas été pratiquée en raison du refus des médecins du Ministère de la santé.

2.5 Le 20 août 2001, le docteur Marta B. Rendón, psychiatre inscrite à l’ordre des médecins du Pérou, a établi un rapport sur l’état médico-psychologique de l’auteur, dans lequel elle conclut que « le prétendu principe du bénéfice pour le fœtus s’est traduit par un préjudice grave pour la mère, contrainte, sans nécessité, à mener à terme une grossesse dont l’issue fatale était connue d’avance, ce qui a considérablement contribué à provoquer un état de dépression, maladie qui peut avoir des conséquences graves pour le développement d’une adolescente et sa santé mentale future ».

2.6 Le 13 janvier 2002, l’auteur a accouché d’une petite fille anencéphale, trois semaines après la date normalement prévue pour l’accouchement; l’enfant a vécu quatre jours, au cours desquels sa mère a dû l’allaiter. Après la mort de sa fille, l’auteur a sombré dans une profonde dépression. Son état a été diagnostiqué par la psychiatre, le docteur Marta B. Rendón. L’auteur affirme également avoir souffert d’une inflammation de la vulve qui a nécessité un traitement médical.

2.7 L’auteur soumet au Comité la déclaration de deux médecins de l’association Center for Reproductive Rights, les docteurs Annibal Faúdes et Luis Tavara, qui ont étudié le dossier de l’auteur le 17 janvier 2003. Ces spécialistes soulignent que l’anencéphalie est toujours fatale pour le fœtus, qui meurt immédiatement après la naissance dans la plupart des cas, et qu’elle met en outre la vie de la mère en danger. Selon eux, en refusant d’interrompre la grossesse, le personnel médical a pris une décision préjudiciable pour l’auteur.

2.8 Concernant l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que cette condition n’est pas requise lorsque les recours judiciaires disponibles au niveau national sont inutiles en l’espèce, et elle rappelle que le Comité a confirmé à maintes reprises qu’un plaignant n’était pas tenu d’épuiser un recours qui ne serait pas utile. L’auteur ajoute qu’il n’existe au Pérou aucun recours administratif permettant d’interrompre une grossesse pour raisons thérapeutiques, ni aucun recours judiciaire suffisamment rapide et efficace pour qu’une femme puisse exiger des autorités qu’elles lui garantissent l’exercice du droit à un avortement légal dans le délai autorisé, au titre des circonstances particulières justifiant cette mesure. L’auteur indique également qu’elle n’a pas pu se faire assister d’un avocat en raison des moyens limités de sa famille et d’elle-même.

2.9 L’auteur affirme que la plainte n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale de règlement.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur invoque une violation de l’article 2 du Pacte, du fait que l’État partie n’a pas rempli son obligation de garantir l’exercice d’un droit. L’État aurait dû prendre des mesures au vu du refus systématique des médecins d’appliquer la disposition législative qui autorise l’avortement thérapeutique, ainsi qu’au vu de l’interprétation restrictive qu’ils en donnaient. Cette interprétation a été manifestement restrictive dans le cas de l’auteur, puisqu’elle a conduit à considérer qu’une grossesse d’un fœtus anencéphale ne présentait aucun danger pour la vie et la santé de la mère. L’État aurait dû prendre des mesures pour rendre la règle d’exception qui dépénalise l’avortement applicable dans les cas où l’intégrité physique et psychologique de la mère est en danger, de façon que cette dernière puisse bénéficier d’un avortement sans risque.

3.2 L’auteur affirme qu’elle a fait l’objet de discrimination, en violation de l’article 3 du Pacte, aux motifs suivants :

a) Discrimination dans l’accès aux services de santé, du fait qu’il n’a pas été tenu compte des besoins propres à son sexe. L’auteur affirme que l’absence de mesures officielles permettant d’éviter une violation du droit à un avortement légal pour raisons thérapeutiques, qui n’est exercé que par les femmes, conjuguée à l’arbitraire du personnel médical, a donné lieu à une pratique discriminatoire portant atteinte à ses droits, violation d’autant plus grave qu’il s’agissait d’une mineure;

b) Discrimination dans l’exercice de ses droits, du fait que l’auteur n’a pu bénéficier d’un avortement thérapeutique alors qu’elle y avait droit, en raison des attitudes et préjugés sociaux, ce qui a compromis l’exercice, sur un pied d’égalité avec les hommes, de ses droits à la vie, à la santé et au respect de sa vie privée ainsi que du droit de ne pas être soumise à des traitements cruels, inhumains et dégradants;

c) Discrimination dans l’accès à la justice, du fait que les fonctionnaires de la santé publique et du secteur judiciaire ont des préjugés à l’égard des femmes et qu’il n’existe aucun recours judiciaire utile pour faire respecter le droit de bénéficier d’un avortement légal lorsqu’il s’agit d’un cas prévu par la loi, dans le délai requis et dans des conditions appropriées.

3.3 L’auteur invoque une violation de l’article 6 du Pacte, indiquant que ce qu’elle a été obligée de vivre a entraîné de graves séquelles psychologiques dont elle ne s’est pas encore remise. Elle rappelle que le Comité a confirmé que le droit à la vie ne devait pas être compris dans un sens restrictif et que les États devaient au contraire le protéger par des mesures concrètes, y compris par des mesures visant à éviter que les femmes, en particulier celles sans ressources, n’aient recours à des avortements clandestins, dangereux pour leur vie et leur santé. L’auteur ajoute que le Comité a estimé que l’impossibilité pour une femme d’avoir accès à des services de santé génésique, tels que l’avortement, constituait une violation du droit de la femme à la vie, position qui a été confirmée par d’autres organes conventionnels comme le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. D’après l’auteur, en l’espèce la violation du droit à la vie réside dans le fait que l’État péruvien n’a pas pris de mesures pour lui permettre d’interrompre sa grossesse en toute sécurité alors qu’elle portait un fœtus non viable. L’auteur affirme qu’en refusant de pratiquer un avortement légal, le personnel médical ne lui a laissé que deux possibilités pareillement dangereuses pour sa vie et son intégrité : recourir à l’avortement clandestin, solution extrêmement risquée, ou poursuivre une grossesse dangereuse et traumatisante, qui a mis sa vie en danger.

3.4 L’auteur invoque une violation de l’article 7 du Pacte, considérant que l’obligation qui lui a été faite de poursuivre sa grossesse contre son gré constitue un traitement cruel et inhumain, en ce qu’elle a dû endurer la douleur de voir sa fille atteinte de malformations manifestes et de savoir que ses heures étaient comptées. L’auteur affirme que ce fut là une expérience épouvantable qui n’a fait qu’aggraver la douleur et l’angoisse déjà accumulées pendant la période où elle a été contrainte de mener sa grossesse à terme. Elle ajoute qu’on lui a ainsi imposé l’« enterrement prolongé » de sa fille et qu’après la mort de cette dernière, elle a sombré dans une profonde dépression.

3.5 L’auteur rappelle que le Comité a relevé que le droit protégé à l’article 7 du Pacte ne visait pas seulement les souffrances physiques mais également les souffrances mentales, et que cette protection était particulièrement importante dans le cas des mineurs . Elle rappelle aussi que lorsqu’il a examiné le rapport du Pérou, en 1996, le Comité a estimé que les règles restreignant la pratique de l’avortement avaient pour effet de soumettre les femmes à un traitement inhumain, en violation de l’article 7 du Pacte; en 2000, le Comité a signalé une fois encore à l’État partie que la répression pénale de l’avortement était incompatible avec les articles 3, 6 et 7 du Pacte .

3.6 L’auteur invoque une violation de l’article 17, faisant valoir que le droit visé dans cet article protège les femmes de toute immixtion dans les décisions concernant leur propre corps et leur vie, et leur permet d’exercer leur droit de prendre des décisions en toute autonomie lorsqu’il s’agit de leur procréation. L’auteur soutient qu’en l’espèce l’État partie s’est immiscé de manière arbitraire dans sa vie privée, en prenant à sa place une décision relative à sa vie et à sa santé génésique qui a eu pour effet de la contraindre à mener sa grossesse à terme, ce qui constitue une violation de son droit à l’intimité. Elle ajoute que la prestation médicale dont elle avait besoin existait et que sans l’immixtion des agents de l’État dans sa décision, laquelle était légale, elle aurait pu interrompre sa grossesse. L’auteur rappelle que les fillettes et les adolescentes doivent bénéficier d’une protection spéciale en raison de leur condition de mineures, conformément à l’article 24 du Pacte et aux dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant.

3.7 L’auteur invoque une violation de l’article 24, pour n’avoir pas reçu de la part des services de santé l’attention particulière qu’exigeait sa condition de jeune adolescente. Les autorités qui ont refusé de pratiquer l’avortement ne se sont pas souciées de son bien-être ni de sa santé. L’auteur rappelle que, dans son observation générale n o  17 sur l’article 24, le Comité a indiqué que les États devaient également prendre des mesures d’ordre économique, social et culturel pour garantir le droit des mineurs à une protection spéciale. Par exemple, ils devraient prendre toutes les mesures possibles dans les domaines économique et social pour réduire la mortalité infantile et éviter que les enfants ne soient victimes de violations telles que, entre autres, des actes de violence ou des traitements cruels et inhumains.

3.8 L’auteur invoque une violation de l’article 26, parce que les autorités péruviennes, en considérant que son cas ne relevait pas de la disposition du Code pénal qui dépénalise l’avortement thérapeutique, l’ont placée dans une situation de vulnérabilité incompatible avec la garantie de protection de la loi prévue à l’article 26. Garantir à tous la protection égale de la loi exige d’accorder une protection spéciale à certaines catégories de personnes qui ont besoin, de par leur situation, d’un traitement particulier. En l’espèce, les autorités médicales, en donnant des dispositions pénales une interprétation extrêmement restrictive, ont placé l’auteur dans une situation vulnérable, négligeant de lui assurer la protection spéciale dont elle avait besoin.

3.9 L’auteur avance que la direction de l’hôpital, en interprétant de manière restrictive l’article 119 du Code pénal, l’a laissée sans défense. Elle ajoute que rien dans la lettre de la loi n’indique que la règle d’exception légale concernant l’avortement thérapeutique s’applique uniquement en cas de danger pour la santé physique. Or, les responsables de l’hôpital ont établi une distinction en divisant la notion de santé, au mépris de la règle juridique qui veut que là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. Relevant que la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », l’auteur affirme que le terme « santé » dans le Code pénal péruvien s’entend donc dans un sens large et entier, et que la protection prévue s’applique tant à la santé physique qu’à la santé mentale de la mère.

Absence de coopération de l’Etat partie au titre de l’article 4 du Protocole facultatif

4. Le 23 juillet 2003, le 15 mars et le 25 octobre 2004, des rappels ont été envoyés à l’État partie pour l’inviter à apporter au Comité des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité note que ces informations ne lui sont pas encore parvenues. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information quant à la recevabilité ou le fond des affirmations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur, dans la mesure où elles sont dûment étayées .

Délibérations du Comité

5.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité relève que, selon l’auteur, la même affaire n’a été soumise à aucune autre instance internationale d’enquête. Il prend note de l’argument de l’auteur qui affirme qu’il n’existe au Pérou aucun recours administratif permettant d’interrompre une grossesse pour raisons thérapeutiques, ni aucun recours judiciaire suffisamment rapide et efficace pour qu’une femme puisse exiger des autorités qu’elles lui garantissent l’exercice de son droit à un avortement légal dans le délai autorisé, au titre des circonstances particulières justifiant cette mesure. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle qu’un recours qui n’a aucune chance d’aboutir ne peut pas être considéré comme utile et n’a pas à être épuisé aux fins du Protocole facultatif . En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur. Il considère par conséquent que les conditions énoncées aux alinéas a) et b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

5.3 En ce qui concerne les griefs de violation des articles 3 et 26 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses affirmations, en ce qu’elle ne lui a soumis aucun élément d’appréciation relatif aux faits permettant d’établir qu’elle a fait l’objet de l’une des formes de discrimination visées à l’article invoqué. Le Comité considère par conséquent que la partie de la communication relative aux articles 3 et 26 du Pacte est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4 Le Comité note que l’auteur invoque une violation de l’article 2 du Pacte. Il rappelle sa jurisprudence constante et affirme que l’article 2 énonce des obligations générales à l’intention des États parties et ne peut pas, en raison de son caractère accessoire, être invoqué isolément dans une communication soumise par un particulier en vertu du Protocole facultatif . Par conséquent, le grief de violation de l’article 2 sera analysé conjointement avec les autres affirmations de l’auteur.

5.5 En ce qui concerne les affirmations relatives aux articles 6, 7, 17 et 24 du Pacte, le Comité estime qu’elles sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et qu’elles semblent soulever des questions au regard de ces dispositions. Il y a donc lieu d’examiner sur le fond cette partie de la communication.

Examen sur le fond

6.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations reçues, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2 Le Comité note que l’auteur a fourni une déclaration de médecins attestant que sa vie a été mise en danger par sa grossesse. En outre, l’auteur a gardé des séquelles psychologiques importantes qui sont d’autant plus graves qu’elle est mineure, ainsi qu’il ressort du rapport établi par un psychiatre daté du 20 août 2001. Le Comité relève que l’État partie n’a produit aucun élément contestant ce qui précède. Il note en outre que les autorités médicales savaient que la vie de l’auteur était en danger, puisqu’un gynécologue-obstétricien de l’hôpital avait recommandé l’interruption de grossesse, laquelle devait être pratiquée dans ce même hôpital. Par leur refus postérieur d’assurer l’intervention requise, ces autorités auraient pu mettre en danger la vie de l’auteur. Celle-ci affirme qu’aucun recours utile ne lui permettait de s’opposer à cette décision. En l’absence d’informations de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur. Le Comité estime par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte.

6.3 L’auteur avance qu’en raison du refus des autorités médicales de pratiquer l’avortement thérapeutique, elle dû endurer la douleur de voir sa fille atteinte de malformations manifestes et de savoir que l’enfant mourrait très rapidement. Cette expérience n’a fait qu’aggraver la douleur et l’angoisse déjà accumulées pendant la période où elle a été contrainte de mener sa grossesse à terme. L’auteur a produit un certificat établi le 20 août 2001 par un psychiatre, lequel atteste qu’elle a sombré dans une profonde dépression, état qui a eu de graves conséquences compte tenu de son âge. Le Comité note que cette situation était prévisible, puisqu’un médecin de l’hôpital avait diagnostiqué l’anencéphalie du fœtus, mais que le Directeur de l’hôpital public a néanmoins refusé d’autoriser l’interruption de grossesse. Le Comité est d’avis que l’omission de l’État, qui n’a pas permis à l’auteur de bénéficier d’un avortement thérapeutique, est la cause des souffrances endurées par cette dernière. Dans son observation générale n° 20, le Comité a indiqué que le droit protégé à l’article 7 du Pacte ne vise pas seulement les souffrances physiques mais également les souffrances mentales, et que cette protection est particulièrement importante dans le cas des mineurs . En l’absence d’informations de la part de l’État partie à ce propos, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur. Le Comité estime par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la violation présumée de l’article 6 en l’espèce.

6.4 L’auteur fait valoir qu’en lui refusant la possibilité de bénéficier d’une intervention médicale visant à interrompre sa grossesse, l’État partie s’est immiscé de manière arbitraire dans sa vie privée. Le Comité relève qu’un médecin du secteur public a informé l’auteur qu’elle avait le choix entre poursuivre sa grossesse ou l’interrompre. L’auteur a décidé d’avorter, conformément à la législation interne qui autorise l’avortement lorsque la vie de la mère est en danger. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, dans la mesure où, au moment des faits, les conditions pour un avortement légal, tel que prévu par la loi, étaient réunies. Dans les circonstances du cas, le refus d’agir conformément à la décision de l’auteur de mettre fin à sa grossesse n’a pas été justifié et fait apparaître une violation de l’article 17 du Pacte.

6.5 L’auteur invoque une violation de l’article 24 du Pacte, pour n’avoir pas reçu de l’État partie l’attention particulière qu’exigeait sa condition de mineure. Le Comité note la vulnérabilité spécifique de l’auteur en tant que mineure. Il révèle en outre qu’en l’absence d’informations de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, dans la mesure où, pendant et après sa grossesse, elle n’a pas reçu l’appui médical et psychologique nécessaire pour les circonstances spécifiques de son cas. Le Comité estime par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 24 du Pacte.

6.6 L’auteur invoque une violation de l’article 2 du Pacte étant donné qu’aucun recours utile ne lui a été ouvert. En l’absence d’informations de la part de l’État partie, le Comité estime qu’il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, à savoir qu’elle n’a bénéficié d’aucun recours utile et conclut, par conséquent, que les faits dont il est saisi fait également apparaître une violation des articles 2 et 3, en rapport avec tous ceux invoqués aux paragraphes précédents.

7. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 2, 7, 17 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur une réparation, sous forme d’indemnisation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Fait en espagnol (version originale), en français et en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

OPINION DISSIDENTE DE M. SOLARI-YRIGOYEN

Je n’approuve pas l’opinion de la majorité des membres du Comité qui n’a pas conclu à une violation de l’article 6 du Pacte dans la communication. Mon opinion dissidente se fonde sur les éléments suivants:

Examen au fond

Le Comité note que l’auteur, alors mineure, et sa mère ont été informées par le gynécologue-obstétricien de l’hôpital public de Lima, qu’elles avaient consulté pour la grossesse de la jeune fille, que le fœtus était anencéphale et qu’il mourrait fatalement à la naissance. Il lui a indiqué qu’elle avait deux options: 1) mener sa grossesse à terme, ce qui mettrait en danger sa propre vie ou 2) interrompre la grossesse en subissant un avortement thérapeutique, et il lui a recommandé la deuxième solution. Ayant entendu le conseil du spécialiste qui l’avait mise au courant du risque vital qu’elle courait en menant la grossesse à son terme, l’auteur a décidé de suivre ce conseil et accepté la deuxième solution; elle a donc subi tous les examens cliniques nécessaires qui ont confirmé l’avis du médecin concernant le risque vital pour la mère et la mort certaine du fœtus.

Les certificats médicaux et psychologiques que l’auteur a joints à sa communication apportent la preuve de toutes ses affirmations concernant le risque vital qu’elle encourait en poursuivant sa grossesse. Malgré ce risque, le directeur de l’hôpital public n’a pas autorisé l’avortement thérapeutique qui est pourtant prévu par la loi de l’État partie, considérant qu’il ne s’agirait pas d’un avortement thérapeutique mais d’un avortement volontaire et injustifié réprimé par le Code pénal. Il n’a produit aucune décision légale qui puisse étayer sa position, laquelle n’entrait pas dans le cadre de son domaine de compétences professionnel, ou qui puisse infirmer les avis médicaux mettant en garde contre les risques graves pour la vie de la mère. Le Comité relève de plus que l’État partie n’a apporté aucun élément de preuve pour contrer les affirmations de l’auteur et les preuves qu’elle avait elle-même produites. Le refus de pratiquer l’avortement a non seulement mis en danger la vie de l’auteur mais a eu pour elle des conséquences graves, ce qui a également été démontré au Comité par des certificats valables.

Il n’y a pas que les actes qui ôtent la vie à autrui qui constituent une violation de l’article 6 du Pacte; la violation se produit aussi quand la vie est mise gravement en danger, comme cela a été le cas dans la présente affaire. En conséquence je considère que les faits dont le Comité était saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte.

[ Signé ] Hipólito Solari-Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]