Nations Unies

CCPR/C/122/D/2292/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

12 juin 2018

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titrede l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif,concernant la communication no 2292/2013 * , **

Communication présentée par :

W. K. (représenté par un conseil, Mylène Barrière, puis Stéphanie Valois)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

23 octobre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 24 octobre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

27 mars 2018

Objet :

Expulsion du Canada vers l’Égypte

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés ; incompatibilité avec le Pacte

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; risque d’être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant

Article(s) du Pacte :

6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 17, 18 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de cette communication est W. K., citoyen égyptien né le 5 janvier 1975. L’auteur affirme que son renvoi en Égypte par le Canada constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 17, 18 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, car il craint d’être tué ou torturé en raison de son orientation sexuelle et de sa conversion de l’islam au christianisme. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 24 octobre 2013, le Comité, en application de l’article 92 de son règlement intérieur et agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Égypte tant que la communication serait à l’examen. Le 23 mars 2017, l’État partie a demandé la levée des mesures provisoires en ce qui concerne l’auteur, au motif que celui-ci n’avait pas suffisamment étayé ses griefs, qu’il n’avait pas épuisé les recours internes et que sa communication contenait des allégations incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte. Le Comité a rejeté cette demande le 17 juillet 2017. L’État partie a reporté le renvoi de l’auteur, qui réside pour le moment au Canada.

Rappel des faits tels que présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un citoyen égyptien et avocat de formation. Il s’identifie comme étant homosexuel. Dans la nuit du 24 au 25 décembre 2012, il a fait l’objet d’une agression par des membres des Frères musulmans au domicile qu’il partageait en Égypte avec Hany, son partenaire. Son partenaire a été assassiné, alors que l’auteur a été sévèrement blessé, ayant été frappé à la tête et ébouillanté à divers endroits du corps. Après cette attaque, l’auteur s’est réfugié chez une amie d’origine russe − Inna − qu’il avait rencontrée en mai 2012.

2.2En février 2013, avec l’aide d’Inna, l’auteur a fui l’Égypte pour se réfugier en Russie, où il a demandé l’asile en mars 2013, en omettant toutefois de mentionner son orientation sexuelle, craignant une réaction défavorable des autorités russes. Après avoir développé la foi chrétienne au cours de sa vie en Égypte, l’auteur s’est converti au christianisme le 9 juin 2013 et s’est adonné à une pratique religieuse constante et rigoureuse pendant son séjour en Russie. Il s’est marié avec Inna, mais il affirme qu’il s’agit d’un « mariage sur papier » contracté afin exclusivement de régulariser son statut en Russie. Pourtant, sa demande d’asile a été rejetée par les autorités russes, qui n’ont pas donné foi à ses allégations et qui l’ont enjoint de quitter la Russie au plus tard le 25 août 2013. Redoutant un retour en Égypte, où il alléguait avoir reçu des menaces de mort de la part de sa famille en raison de sa conversion religieuse, l’auteur s’est procuré un faux passeport pour se rendre au Canada.

2.3Le 11 septembre 2013, l’auteur est arrivé au Canada avec un passeport israélien frauduleux. Il a demandé l’admission au Canada pour quinze jours afin de rendre visite à une amie − Inna − et de découvrir des galeries d’art. Il était muni d’un billet de retour vers Tel Aviv. L’agente des services frontaliers lui a demandé s’il voulait demander l’asile au Canada, ou s’il craignait pour sa vie n’importe où dans le monde ou en Israël. L’auteur a répondu par la négative, ayant peur d’être renvoyé si son faux passeport était découvert. Après avoir tenté sans succès de joindre l’amie de l’auteur par téléphone, l’agente des services frontaliers a décelé certaines irrégularités sur son passeport et l’a questionné à ce sujet. L’auteur a admis avoir acheté ledit passeport et a expliqué qu’il ne voulait pas quitter le Canada parce qu’il avait de graves problèmes en Égypte en raison de son homosexualité, qu’il avait été attaqué et que son partenaire avait été tué. L’agente a rapporté cet événement à la déléguée du Ministre de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté du Canada, et a recommandé à celle-ci l’émission d’une mesure d’exclusion fondée sur la tentative d’entrer au Canada en utilisant des documents frauduleux.

2.4En conséquence, l’interdiction de territoire a été constatée par la déléguée du Ministre, qui a émis le même jour une mesure d’exclusion à l’égard de l’auteur. Ainsi, l’auteur n’a pas été en mesure de présenter une demande d’asile devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), en raison de la mesure d’exclusion. Il a ensuite été détenu pour détention d’un passeport frauduleux et parce que son identité ne pouvait donc pas être établie. Son renvoi était prévu pour le lendemain, mais l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a dû l’annuler en raison de l’état de santé de l’auteur qui s’était blessé en se coupant au poignet gauche avant de se rendre à l’aéroport. L’auteur a reçu des soins médicaux au centre de détention et a été informé que son renvoi aurait lieu la journée suivante. Il a reçu également un formulaire pour faire une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

2.5Le 13 septembre 2013, l’auteur a fait une demande de sursis intérimaire de la mesure de renvoi à la Cour fédérale. La demande est devenue théorique le jour même puisque l’auteur a été informé que son renvoi n’aurait pas lieu avant le 17 septembre 2013, après sa rencontre avec un agent de renvoi le 16 septembre 2013. Plusieurs dates ont été fixées pour le renvoi et ont ensuite été annulées. Le 16 septembre 2013, l’auteur a présenté une demande d’ERAR.

2.6Le 17 septembre 2013, l’auteur a fait une demande de sursis administratif visant à différer l’exécution de sa mesure de renvoi, jusqu’à ce que sa demande d’ERAR soit étudiée. Le 18 septembre 2013, sa demande de reporter le renvoi a été refusée. Le 23 décembre 2013, la Cour fédérale a rejeté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire relative à la décision de l’agent d’exécution.

2.7Le 17 octobre 2013, après une audience tenue le 1er octobre 2013, sa demande d’ERAR a été rejetée en raison des contradictions identifiées par l’agente chargée de l’ERAR. L’agente a considéré que l’auteur n’avait pas fourni de preuves crédibles démontrant l’existence de sa prétendue relation homosexuelle ou l’attaque par des membres des Frères musulmans à son domicile, ni le risque provenant de sa famille en raison de sa conversion au christianisme. Ses explications subséquentes visant à élucider les contradictions et les irrégularités dans son témoignage ont, elles aussi, été jugées incohérentes et invraisemblables. Pour l’agente, il s’agissait d’une « simple possibilité » et elle a donc conclu que l’auteur ne risquait pas personnellement de subir un risque irréparable s’il était renvoyé en Égypte.

2.8Le 21 octobre 2013, l’auteur a fait une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du refus de sa demande d’ERAR. Le même jour, il a demandé le sursis de l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR soit tranchée. Pourtant, l’ASFC a accepté de reporter son renvoi en vue de lui permettre d’obtenir une réponse à sa demande d’ERAR.

2.9Le 4 avril 2014, la Cour fédérale a accordé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision négative quant à la demande d’ERAR de l’auteur, fixant l’audition de cette demande sur le fond au 2 juillet 2014. Le 7 juillet 2014, la Cour fédérale a accueilli l’appel et a renvoyé le dossier à un autre agent aux fins de réexamen, en considérant que l’agente chargée de l’ERAR n’avait rendu aucune conclusion explicite au sujet de l’orientation sexuelle de l’auteur, élément pourtant central de la demande de ce dernier. L’agente avait limité son analyse à la relation que l’auteur prétendait avoir entretenue avec Hany et à l’attaque dont tous les deux auraient été victimes dans la nuit du 24 au 25 décembre 2012. Pour la Cour, le fait de ne pas croire à la relation entre l’auteur et Hany ni au fait que ces derniers auraient été attaqués, d’une part, et le fait de ne pas croire à l’orientation sexuelle de l’auteur, d’autre part, constituaient deux questions distinctes. Une conclusion précise s’imposait, d’autant plus que l’agente, qui avait omis de conclure quant à l’orientation sexuelle de l’auteur, avait reconnu que la preuve documentaire établissait que les homosexuels encouraient des risques en Égypte et qu’ils faisaient l’objet d’un certain niveau de violence et de discrimination.

2.10Le 21 août 2014, un nouvel agent de l’ERAR a initié le réexamen de la demande de l’auteur. Les 5 et 22 septembre, et le 29 octobre 2014, l’auteur a fait parvenir des soumissions et des documents additionnels, parmi lesquels une lettre de son médecin traitant faisant état du diagnostic de stress post-traumatique et de son état dépressif, ainsi qu’une constatation des cicatrices causées par l’agression qu’il avait subie, un rapport psychologique et des lettres de cinq révérends. En outre, l’auteur a fait valoir que son apostasie avait été rendue publique sur Internet par Inna et communiquée à sa sœur, qui l’a transmise aux amis et aux connaissances de l’auteur. Il a également relevé que les autorités égyptiennes faisaient du profilage sur Internet ; il est donc possible que ces personnes aient eu connaissance de ces informations. Le 21 janvier 2015, une audience a été tenue toute la journée devant l’agent de l’ERAR. Les 22, 23, 26 et 30 janvier 2015 et le 20 février 2015, l’auteur a déposé des soumissions écrites, faisant état de sa crainte de persécution concernant sa conversion au christianisme, son orientation sexuelle et les opinions politiques qui lui étaient imputées. Il a également soumis des documents faisant état de la situation relative aux droits de la personne en Égypte et a déclaré encourir des risques supplémentaires puisque sa sœur, actrice renommée, et son époux, juge influent en Égypte, l’avaient dénoncé auprès d’amis, de membres de la famille et des autorités.

2.11Le 26 février 2015, la demande de l’auteur a été rejetée pour manque de crédibilité. L’agent a également considéré que l’auteur avait une habilité excellente pour adapter facilement son témoignage, mais que les maintes contradictions et improbabilités prouvaient que son histoire était fabriquée pour obtenir une protection au Canada. Pour l’agent, l’auteur n’avait pas démontré qu’il existait plus qu’une simple possibilité de persécution à son encontre aux termes de l’article 96 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), et qu’il n’avait pas établi qu’il courrait un risque de mort, de torture ou autres préjudices inusités aux termes de l’article 97 de la LIPR. Quant à sa conversion, l’agent a déduit que, malgré ses connaissances du christianisme, son baptême et sa fréquentation de l’église, l’auteur n’était pas un « chrétien véritable » et qu’il avait acquis ses connaissances du christianisme pour embellir sa demande de protection. L’agent a également considéré que l’auteur n’avait pas prouvé au-delà d’une simple possibilité qu’il serait perçu comme une personne convertie au christianisme s’il retournait en Égypte. Pour ce qui est de son homosexualité, l’agent a examiné les trois relations homosexuelles que l’auteur avait eues en Égypte et a conclu que l’auteur n’était pas homosexuel en raison de l’absence de preuves indiquant qu’il s’était engagé dans des relations homosexuelles avant son arrivée au Canada, ou qu’il adopterait un style de vie ou une activité homosexuelle s’il rentrait en Égypte. Enprésence d’une simple « probabilité de persécution », l’agent n’a pas été convaincu par le fait que l’auteur serait poursuivi par sa famille ou par les autorités pour sa prétendue orientation sexuelle ou sa conversion religieuse.

2.12Le 25 août 2015, la Cour fédérale a rejeté la demande de l’auteur de contrôle judiciaire du refus d’ERAR, en jugeant que les documents fournis par l’auteur, dont les éléments de preuve écrite, orale et visuelle, avaient démontré des contradictions majeures et qu’un manque de crédibilité ressortait clairement des incohérences de son cas. La Cour a confirmé l’analyse faite point par point par l’agent de l’ERAR, en considérant que ce dernier avait élaboré en détails les raisons pour lesquelles il avait trouvé l’auteur non crédible concernant l’obtention de son passeport, son orientation sexuelle et sa conversion religieuse. Selon la Cour, l’agent avait également démontré que l’homosexualité de l’auteur était entièrement mise en doute par ses relations avec des femmes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion constituerait une violation des articles 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 17, 18 et 27 du Pacte puisqu’il verrait sa liberté, sa sécurité et sa vie menacées, et encourrait un risque d’être soumis à la torture ou à des peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants en raison de son orientation sexuelle et de sa conversion de l’islam au christianisme. Sa liberté religieuse serait également violée. Il rappelle qu’il a déjà reçu des menaces de mort de la part de sa sœur et du mari de celle-ci, des personnes d’importance en Égypte.

3.2L’auteur allègue également que le Canada n’a pas évalué de façon raisonnable les risques associés à son renvoi.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 23 mai 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité, en demandant que la recevabilité et le fond de la présente communication soient considérés séparément. L’État partie considère que les allégations de l’auteur sont irrecevables pour deux motifs principaux : le non-épuisement des recours internes et l’incompatibilité de certaines allégations avec les dispositions du Pacte.

4.2Pour ce qui est du non-épuisement, l’État partie relève qu’au moment de la rédaction de ses observations la Cour fédérale avait reçu, le 4 avril 2014, la demande d’autorisation relative au contrôle judiciaire de la décision d’ERAR, mais que le pourvoi n’avait pas encore été entendu sur le fond. Si la demande d’ERAR était accordée, elle aurait pour effet de conférer à l’auteur l’asile ou le statut de personne à protéger, ce qui est la réparation recherchée par l’auteur devant le Comité. Par ailleurs, le régime d’ERAR a été considéré par le Comité comme un recours efficace qui doit être épuisé aux fins de recevabilité.

4.3L’État partie fait valoir que, lorsque l’auteur est arrivé au Canada avec un passeport frauduleux, des questions lui ont été adressées avant que la mesure de renvoi ne soit prononcée. Ainsi, deux agents d’exécution de la loi lui ont posé des questions claires et précises à deux reprises, pour savoir s’il avait besoin de protection,mais il a toujours maintenu qu’il n’avait de craintes dans aucun pays. Ce déni a rendu le statut de réfugié inapplicable à l’auteur. Toutefois, lorsqu’il a été avisé qu’une mesure de renvoi avait été émise à son encontre et qu’il ne pouvait plus revendiquer l’asile, l’auteur a altéré son récit et a indiqué qu’il craignait de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Égypte puisqu’il était homosexuel et qu’il s’était récemment converti au christianisme. L’auteur a ainsi eu droit à une évaluation des risques avant renvoi, qui lui a permis de contester son renvoi, y compris dans le cadre d’une audition orale, devant des autorités compétentes et impartiales. Toutefois, à l’issue d’une audition orale approfondie et sur la foi des représentations écrites des parties, les autorités canadiennes ont conclu que l’auteur n’était pas crédible s’agissant des risques de préjudice irréparable qu’il prétendait subir en cas de renvoi.

4.4En vue de permettre à l’auteur d’éclaircir les irrégularités dans son témoignage, le Ministère de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté a tenu une audition orale dans le cadre de l’ERAR le 1er octobre 2013. Des questions visant à élucider les contradictions des déclarations de l’auteur ont été posées à plusieurs reprises à celui-ci en des termes clairs. Pourtant, non seulement son récit original n’a pas été jugé crédible, mais ses explications subséquentes ayant pour but de corriger les contradictions ont été jugées incohérentes et peu plausibles. En plus, l’auteur n’a fourni aucune preuve objective de l’agression qu’il avait prétendument subi, ni du décès allégué de son partenaire dont il n’a pas révélé le nom de famille, ni aucun rapport médical faisant état des blessures qu’il aurait lui-même prétendument subies. Qui plus est, l’auteur n’a fourni aucune pièce justificative, tel qu’un certificat de décès ou un rapport médiatique faisant état de cette agression, qui puisse corroborer le décès de son partenaire, ni de photographie de ce dernier, seul ou en compagnie de l’auteur.

4.5L’État partie considère par ailleurs que les allégations de l’auteur sont incompatibles ratione materiae avec le Pacte dans la mesure où les États parties n’ont pas l’obligation de s’abstenir de renvoyer une personne même si elle encourt un risque que ses droits en vertu des articles 9 (par. 1), 17, 18 et 27 du Pacte puissent être violés car ces articles n’ont pas d’application au-delà du territoire de l’État partie. Le Canada peut donc expulser des ressortissants étrangers vers un État où ces articles risquent d’être violés. L’État partie fait observer que ce n’est qu’exceptionnellement que le Comité a donné une portée extraterritoriale aux droits garantis par le Pacte, respectant ainsi le champ d’application essentiellement territorial de cet instrument. Le fait de renvoyer l’auteur en Égypte n’équivaut pas à un quelconque manquement aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 (par. 1), 17, 18 et 27 du Pacte. Cette pratique est d’ailleurs conforme à l’application territoriale qu’a donnée la Cour européenne des droits de l’homme à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les États parties au Pacte n’ont pas l’obligation de s’assurer, avant de renvoyer des ressortissants étrangers dans leur pays d’origine, que les conditions dans cet État receveur s’accordent complètement et effectivement à toutes et chacune des garanties substantives du Pacte, ou encore que ces droits y seront respectés, à moins qu’elles ne constituent une violation des garanties énoncées aux articles 6 et 7 du Pacte. Limiter le pouvoir d’un État de contrôler l’immigration en ses frontières en accordant une portée extraterritoriale à tous les articles du Pacte reviendrait à nier la souveraineté d’un État. Par conséquent, les allégations de violation de ces articles sont incompatibles ratione materiae avec le Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte et à l’article 96 d) du règlement intérieur du Comité. De façon subsidiaire, l’État partie considère que l’allégation relative à l’article 17 est irrecevable pour non-épuisement des recours internes car celle-ci n’a jamais été soulevée devant les instances canadiennes.

4.6L’État partie considère également que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes disponibles, rendant ainsi sa communication irrecevable. Le 4 avril 2014, la Cour fédérale a accordé la demande d’autorisation de contrôle judiciaire relative à la décision d’ERAR, qui est un recours qui pourrait effectivement fournir à l’auteur le redressement recherché.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 8 janvier 2016, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie, dans lesquels il réaffirme les griefs qu’il tire des articles 6, 7, 9, 17, 18 et 27 du Pacte.

5.2L’auteur fait valoir que le fait qu’il n’ait pas demandé l’asile immédiatement à son arrivée au Canada a eu pour effet qu’il n’a pu présenter son dossier devant la CISR. En raison de la mesure prise à son encontre par l’agente des services frontaliers à l’aéroport, il a fait l’objet d’une mesure de renvoi qui pouvait être exécutée sans délai puisque la procédure d’ERAR ne suspend pas le renvoi dans ces cas. Pour l’auteur, il s’agit d’une procédure qui viole le principe de non-refoulement. En outre, l’auteur n’a jamais été avisé de son droit à demander l’asile ou la protection du Canada et, une fois la mesure d’expulsion prise, les agents du Canada ne l’ont pas informé de son droit de faire une demande d’ERAR.

5.3L’auteur conteste également la procédure d’ERAR puisque la personne entendue ne bénéficie pas des mêmes garanties procédurales que dans une procédure judiciaire ou quasi judiciaire. Il allègue ainsi avoir souffert de plusieurs manquements aux règles d’équité procédurale par l’agent de l’ERAR. Au cours de la procédure d’ERAR, l’audience n’était pas enregistrée. En outre, l’agent avait dans son dossier toutes les notes des agents qui avaient interrogé l’auteur au point d’entrée, alors que celui-ci n’y avait pas eu accès. L’auteur relève aussi que l’agent a admis en tant que preuve une lettre de dénonciation sans lui en dévoiler le contenu. Faisant référence à des recherches qui démontrent la difficulté pour un demandeur d’asile d’établir les faits à l’origine de sa demande et des directives sur les procédures à mettre en place dans le cas de personnes vulnérables, l’auteur conteste le fait que la procédure d’ERAR ait mis l’accent sur sa crédibilité en lui opposant des notes d’entrevue prises dans des circonstances où il encourait le risque d’être renvoyé, alors qu’il était dans une situation psychologique très fragile. Dans ce contexte, les autorités auraient dû se rapporter aux preuves documentaires du dossier plutôt que de se concentrer sur la crédibilité de son témoignage. L’agente des services frontaliers a par ailleurs ignoré la preuve soumise concernant la pratique de la religion par l’auteur qui émanait de témoins crédibles et dignes de foi.

5.4Pour ce qui est de sa conversion, l’auteur fait référence à la preuve soumise avec son dossier et non contestée au cours de l’ERAR. Il fait également référence à la preuve documentaire jointe au dossier, selon laquelle étaient constatées une augmentation de l’intégrisme et de la persécution des chrétiens en Égypte ainsi que la condamnation à mort des convertis au christianisme. Il considère que ces preuves et documents démontrent que sa crainte de persécution en Égypte est fondée. Il ajoute que la carte d’identité égyptienne contient des informations quant à la religion de son détenteur. Malgré ces preuves et ces soumissions, l’agent de l’ERAR a rejeté sa demande de protection, sans motifs raisonnables. L’auteur considère que l’État partie aurait dû déterminer s’il avait une crainte bien fondée de persécution en cas de retour dans son pays. Il considère que cela n’a pas été fait, y compris par la Cour fédérale, et cela a ainsi mis sa vie en danger. Même s’il admet qu’il a commis des erreurs dans son témoignage, l’auteur souligne que certains faits ne sont pas contestés. Il a été démontré que sa conversion et sa foi chrétienne étaient connues par plusieurs personnes en Égypte et qu’une simple recherche de son nom sur Internet donnait accès à ces informations. Il était également démontré que l’Égypte surveillait de façon serrée les informations diffusées sur Internet. Pour l’auteur, ces faits sont suffisants pour démontrer les risques qu’il encourrait pour sa vie et sa sécurité en cas de retour en Égypte.

5.5Enfin, l’auteur fait référence à l’observation générale no 20 (1992) du Comité, qui indique que « les États parties ne doivent pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement ». Ensuite, il rappelle que le Comité a confirmé que, dès lors qu’il y a un risque prévisible de châtiment corporel, l’expulsion viole l’article 7 du Pacte si le risque est réel, c’est-à-dire si ce risque est une conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion. L’auteur invoque également l’affaire Judge c. Canada, dans laquelle le Comité a considéré que l’extradition du requérant du Canada vers les États-Unis violait les articles 6 et 7 du Pacte. En conclusion, l’auteur considère que l’État partie a violé ses droits prévus par les articles 6, 7, 9, 17, 18 et 27 du Pacte en n’évaluant pas sa crainte de façon conforme aux règles internationales et de façon à s’assurer que ses droits en vertu du Pacte sont respectés en cas de retour dans son pays.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 23 mars 2017, l’État partie a communiqué des observations supplémentaires sur la recevabilité et sur le fond. Il réitère ses observations antérieures et maintient que la communication est irrecevable au titre des articles 2 et 5 du Protocole facultatif parce que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, et au titre de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 96 d) du règlement intérieur parce que les allégations de violation des articles 9 (par. 1), 17, 18 et 27 sont incompatibles ratione materiae avec le Pacte. De façon subsidiaire, puisque l’auteur n’a jamais soulevé la violation de l’article 17 du Pacte devant les instances canadiennes, cette allégation devrait être déclarée irrecevable au motif du non‑épuisement des voies de recours internes. La communication devrait aussi être rejetée sur le fond puisque l’auteur n’a pas démontré que le Canada a manqué d’une quelconque façon aux obligations qui lui incombent au titre du Pacte.

6.2Pour ce qui est du non-épuisement des voies de recours internes, l’État partie indique que l’auteur n’a pas soumis de demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (« demande CH »). Ce recours s’inscrit dans un régime d’exception dérogeant aux règles prévues par la loi pour l’obtention de la résidence permanente et permet l’octroi de la résidence permanente sur la base de motifs humanitaires. Un demandeur dont la demande CH est rejetée peut contester ce rejet devant la Cour fédérale. De plus, une demande de sursis judiciaire du renvoi peut être déposée à la Cour fédérale en attendant toute demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision CH négative. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la demande CH est un recours qui doit être épuisé avant que le Comité ne puisse considérer qu’une communication est recevable. Il souligne que, dans Dastgir c. Canada et Khan c.Canada, le Comité a observé que la possibilité de soumettre une demande CH faisait partie des recours internes disponibles pour accéder à une réparation efficace et a donc déclaré ces deux communications irrecevables en raison du non-épuisement des recours internes.

6.3L’État partie exprime toutefois ses inquiétudes dans les communications Warsame c.Canada et K. A. L. et A. A. M. L . c. Canada, selon lesquelles la demande CH n’est pas un recours qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité. L’État partie est en désaccord avec cette jurisprudence et fait valoir que, tenant compte de ses circonstances particulières, l’auteur possédait un droit en vertu de la LIPR de soumettre une demande CH. De plus, en vertu de l’article 25.1 de la LIPR, lorsqu’un individu soumet une demande CH, le ministre « doit » étudier son cas. Le Ministère de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté du Canada a donc l’obligation d’examiner chaque demande CH une fois celle-ci déposée. La demande CH est ainsi une procédure administrative juste et équitable, sujette au contrôle judiciaire qui, en cas de décision positive, permettrait à l’auteur de demeurer au Canada. Pour l’État partie, la demande CH est un recours interne efficace qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité par toute personne qui s’est vu refuser le statut de réfugié ou de personne à protéger. La charge de la preuve repose sur l’auteur pour démontrer qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles, ou que les recours qu’il n’a pas épuisés excéderaient des délais raisonnables ou ne seraient pas susceptibles de lui donner satisfaction.

6.4L’État partie rappelle que les allégations de l’auteur selon lesquelles le Canada aurait violé les articles 9 (par. 1), 17, 18 et 27 du Pacte sont incompatibles avec les dispositions du Pacte car elles ne sont pas d’application extraterritoriale.

6.5L’État partie considère ensuite que l’auteur n’a pas étayé ses allégations en relation avec les articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte. De plus, l’auteur ne précise pas pourquoi les articles 17, 18 et 27 seraient violés dans son cas et il n’apporte aucun élément de preuve pour étayer ses allégations au titre des articles 9 (par. 1), 17, 18 et 27 du Pacte. L’État partie considère que la communication est dénuée de fondement et qu’elle devrait donc être rejetée sur le fond.

6.6L’État partie rappelle que les instances décisionnelles canadiennes ayant examiné le dossier de l’auteur ont toutes conclu que ses allégations quant à son orientation sexuelle et sa conversion au christianisme − et quant aux prétendus risques de préjudice irréparable qui s’ensuivraient s’il était renvoyé en Égypte − ne sont pas crédibles et pas suffisamment étayées. Il rappelle aussi que l’auteur a eu droit à deux évaluations des risques avant renvoi, qui lui ont permis de contester son renvoi, y compris lors de deux audiences orales approfondies, chacune avec l’assistance d’une avocate et devant des autorités compétentes et impartiales. L’auteur a également contesté à deux occasions les décisions négatives de l’ERAR auprès de la Cour fédérale. Son témoignage, ses nombreuses représentations écrites et tous les autres éléments de preuve ont été pris en compte dans le contexte du nouvel ERAR. Selon l’État partie, cela est clairement démontré dans les motifs détaillés et exhaustifs de plus de 20 pages de l’agent de l’ERAR, et confirmé par la Cour fédérale qui conclut que la décision de l’agent, fondée sur une analyse exhaustive, était entièrement raisonnable et appuyée par la preuve au dossier. Représenté par des conseillers juridiques à toutes les étapes, l’auteur a eu de nombreuses occasions d’établir le bien-fondé de ses allégations et de présenter des preuves, conformément à la loi et aux règles d’équité procédurale. En plus, la communication de l’auteur devant le Comité et ses observations reprennent les prétentions et les documents qu’il a présentés aux instances décisionnelles canadiennes.

6.7Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle le fait de ne pas avoir demandé l’asile immédiatement au point d’entrée au Canada a eu pour effet qu’il n’a pas pu présenter une demande d’asile devant la CISR, l’État partie indique qu’une mesure d’exclusion a été prise à son encontre à son arrivée parce qu’il avait tenté d’entrer au Canada en utilisant des documents frauduleux, en contravention de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Selon l’article 99.3 de la LIPR, les personnes visées par une mesure d’exclusion ne peuvent pas par la suite présenter une demande d’asile devant la CISR. L’État partie affirme que l’auteur a été avisé de son droit à demander la protection au Canada le jour de son arrivée. À cet égard, il renvoie à ses observations initiales, où il a expliqué qu’avant de prononcer la mesure d’exclusion des questions claires et précises avaient été posées à l’auteur. Ce n’est que lorsqu’il a été déclaré inadmissible au Canada que l’auteur a informé l’agente des services frontaliers qu’il craignait un retour en Égypte et voulait présenter une demande d’asile. Il a donc été informé qu’il pouvait se prévaloir du régime d’examen des risques avant renvoi en présentant une demande d’ERAR. Ce jour-là, l’auteur a reçu un formulaire de demande d’ERAR et un autre lui a été donné le lendemain car il n’avait plus le premier en sa possession.

6.8L’État partie conteste également l’affirmation de l’auteur selon laquelle le Canada a tenté de le renvoyer dès le lendemain de son arrivée sans lui donner l’opportunité de présenter sa demande d’ERAR. En rappelant que l’auteur est arrivé avec un passeport frauduleux, l’État partie indique qu’il avait la possibilité de demander à un agent frontalier d’émettre un sursis administratif reportant son renvoi, ou à la Cour fédérale d’émettre un sursis judiciaire de l’exécution de la mesure de renvoi. Le 13 septembre 2013, l’auteur a présenté à la Cour fédérale une demande de sursis intérimaire de la mesure de renvoi. Celle-ci est devenue théorique le même jour puisque l’auteur a été informé par l’ASFC que son renvoi n’aurait pas lieu avant le 17 septembre. L’auteur a présenté sa demande d’ERAR le 16 septembre 2013 et l’ASFC a accepté de reporter son renvoi pour lui permettre d’obtenir une réponse à sa demande d’ERAR, même si, selon la LIPR, cette demande ne suspend pas la mesure de renvoi.

6.9En ce qui concerne l’équité procédurale dans le réexamen de sa demande d’ERAR, l’État partie explique qu’une audience orale est dénuée de formalité et est de nature non accusatoire. Le but de l’audience est d’évaluer la crédibilité du demandeur de l’ERAR et peut être envisagée si l’agent de l’ERAR se trouve en présence d’éléments de preuve qui le portent à croire que le demandeur n’est pas crédible, comme c’était le cas en l’espèce. Elle permet au demandeur de l’ERAR de répondre aux questions soulevées en se faisant aider, au besoin, par un avocat.

6.10L’État partie affirme que l’agent de l’ERAR a tenu compte de la vulnérabilité de l’auteur en tant que demandeur d’asile et de son état psychologique pour évaluer sa crédibilité. La Cour fédérale, en révision judiciaire de la décision de l’agent, a confirmé que l’évaluation de l’agent concernant la crédibilité de l’auteur était raisonnable et que l’agent avait élaboré clairement les raisons pour lesquelles il trouvait le demandeur non crédible au regard de la preuve documentaire fournie.

6.11Finalement, contrairement aux prétentions de l’auteur, l’État partie considère que l’agent de l’ERAR ne s’est pas simplement concentré sur sa crédibilité pour arriver à sa décision. La Cour fédérale, en révision judiciaire de cette décision de l’ERAR, a conclu que la décision était entièrement raisonnable et a noté que cette décision avait été fondée sur une analyse de l’ensemble des documents fournis, qui appuyait les conclusions de l’agent.

6.12L’État partie déclare donc que l’auteur n’a pas établi que l’analyse des instances décisionnelles canadiennes était manifestement arbitraire ou représentait un déni de justice. Il rappelle que le Comité n’a pas pour fonction d’agir comme une quatrième instance qui révise les décisions prises par les autorités canadiennes compétentes, en particulier pour la détermination de l’existence de motifs sérieux de croire à un risque réel de préjudice irréparable en cas d’expulsion. Ni la communication de l’auteur ni ses commentaires n’établissent que les décisions des instances canadiennes ont souffert d’un vice quelconque.

6.13L’État partie considère par ailleurs que les allégations de l’auteur quant aux relations homosexuelles qu’il aurait entretenues en Égypte, y compris avec un dénommé Hany, sont entièrement mises en doute et ne sont nullement appuyées par des éléments de preuve objectifs. En particulier, l’auteur n’a fourni aucune preuve objective de la prétendue attaque ou du décès de son partenaire, dont il ne fournit aucune photographie ou certificat de décès. L’auteur ne fournit également aucun rapport médiatique faisant état de cette attaque, et aucun de ses amis ou membres de sa famille n’avaient rencontré Hany.

6.14En outre, l’audience orale en 2013 a révélé des contradictions quant aux blessures que l’auteur prétend avoir subies à la tête, et les preuves photographiques fournies ne montrent pas sur quelles parties du corps l’auteur aurait été attaqué. La lettre médicale que l’auteur a soumise au moment du réexamen de sa demande d’ERAR − et qu’il n’avait pas présentée à l’appui de sa communication initiale − fait état de blessures qu’il aurait subies et de cicatrices. Toutefois, elle n’explique pas les raisons pour lesquelles le médecin indique que les cicatrices sur le dos, les épaules et la tête de l’auteur ont été causées par l’attaque en 2012 et repose entièrement sur le récit de l’auteur.

6.15L’État partie indique également que la prétendue attaque n’a pas été menée par les autorités étatiques, ni avec la complicité de celles-ci. Le fait que l’auteur ait renouvelé son passeport égyptien deux mois avant la prétendue attaque remet en question toute allégation de persécution par les autorités égyptiennes à son encontre. Pour ce qui est de l’affirmation par l’auteur que sa sœur est une actrice renommée et que son beau-frère est un juge influent en Égypte, les éléments de preuve fournis par l’auteur (photos des sites Web YouTube et Facebook et articles de journaux) n’établissent pas que ces individus sont sa sœur et son beau-frère, et qu’ils auraient dénoncé son homosexualité aux autorités étatiques. De plus, le simple fait d’avoir été dénoncé par sa propre famille − ce que l’auteur n’a pas établi − ne démontre pas que l’auteur est ciblé par les autorités égyptiennes de sorte qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risquerait de souffrir d’un préjudice irréparable en cas de renvoi en Égypte. De plus, le fait que la carte d’identité égyptienne contienne des informations quant à la religion de son détenteur n’est pas suffisant pour inférer qu’en raison de cette carte d’identité l’auteur serait ciblé par les autorités égyptiennes et encore moins qu’il encourrait un risque de mort, de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était arrêté et/ou détenu par ces dernières.

6.16Pour ce qui est de la conversion de l’auteur, l’État partie allègue qu’elle est mise en doute en raison de l’incapacité de l’auteur à fournir des détails fondamentaux concernant sa foi et sa religion. Par exemple, lors de l’audience orale en 2015, l’auteur ne pouvait pas indiquer la date précise de son baptême. De plus, l’auteur ne pouvait pas − lors de cette même audience − indiquer quelle dénomination chrétienne il observait, ni énumérer les sacrements chrétiens, malgré ses prétentions d’avoir passé de nombreuses heures à étudier le christianisme et d’avoir fréquenté l’église depuis plus d’un an. Ensuite, l’État partie considère que les lettres de différents pasteurs d’églises au Canada qui attestent de la participation de l’auteur aux activités de ces églises fournissent néanmoins peu d’éléments pertinents pour appuyer la conversion et la foi de l’auteur. Ces lettres n’apportent aucune preuve, par exemple, sur ce qui a motivé l’auteur à se convertir au christianisme ; sur le fait que sa conversion est connue au-delà de la communauté de leurs églises, et encore moins en Égypte ; et sur le fait que l’auteur maintiendrait sa religion chrétienne s’il était renvoyé en Égypte.

6.17Finalement, concernant la situation des droits de la personne en Égypte, l’État partie rappelle que le Comité a établi clairement qu’une situation généralisée de violence dans un pays ne suffit pas pour démontrer une violation du Pacte. Le bien-fondé des allégations de risque à la lumière de la situation des droits de la personne dans un pays dépend des circonstances particulières de l’auteur. À cet égard, l’État partie soutient que les allégations de l’auteur ne sont que de simples affirmations et suppositions. Il ne suffit pas que l’auteur s’appuie sur une information générale quant à l’incidence de crimes perpétrés contre des apostats et des personnes homosexuelles en Égypte pour démontrer qu’il risquerait de subir un préjudice irréparable. Des éléments de preuve suffisants doivent être apportés pour démontrer un risque personnel encouru comme conséquence prévisible et nécessaire de son renvoi. Si les sources citées par l’auteur reflètent la situation véritable en Égypte, celles-ci n’établissent aucun lien causal avec les circonstances particulières de l’auteur et sont donc dénuées d’inférence dans la présente instance.

Commentaires de l’auteur sur les observations supplémentaires de l’État partie

7.1Le 6 juillet 2017, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations supplémentaires de l’État partie. Il rappelle qu’il voulait entrer au Canada pour y demander la protection, qu’il était en possession d’un passeport frauduleux et que c’est effectivement la raison pour laquelle une mesure d’exclusion a été prise à son encontre. Lorsque les agents l’ont questionné quant à sa crainte de retour dans son pays, il tentait toujours de démontrer qu’il s’agissait de sa réelle identité et de son passeport, et c’est pourquoi il a dit qu’il n’avait aucun problème dans aucun pays. L’auteur indique que la Convention relative au statut des réfugiés reconnaît que les réfugiés n’ont souvent pas d’autres alternatives que d’entrer dans un pays d’asile de façon illégale ou irrégulière. Les réfugiés ne peuvent donc pas être pénalisés de ce fait. L’auteur indique que le droit canadien a incorporé cette disposition dans sa législation interne puisqu’un réfugié ne peut être accusé d’une infraction pour l’usage de faux documents.

7.2Ensuite, l’auteur affirme que sa conversion n’a pas été évaluée adéquatement par l’agent de l’ERAR, qui a rejeté sans motif les différents documents présentés au soutien de ses allégations. Le fait qu’il avait été baptisé n’a jamais été remis en question et les différentes lettres des pasteurs n’ont pas été contestées. En plus, l’auteur utilise un nom d’artiste − Marco David − puisqu’il correspond mieux à son identité chrétienne.

7.3L’auteur allègue également que les lignes directrices d’immigration indiquent que tout ERAR subséquent est limité dans son analyse de la preuve. Le demandeur ayant déjà présenté une demande d’ERAR ne voit sa demande évaluée qu’en fonction des facteurs de risque apparus depuis le dernier ERAR effectué, à moins que l’agent estime qu’il serait dans l’intérêt de la justice de réexaminer une question déjà traitée dans un ERAR antérieur. Quant à la Cour fédérale, sa compétence est limitée à des questions de compétence, de principe de justice naturelle, d’équité procédurale ou d’erreur de droit, ou lorsque l’agent a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont il dispose. En plus de ces limitations de compétence, la jurisprudence de la Cour fédérale indique qu’elle ne doit intervenir que dans des cas très limités. En effet, la Cour suprême du Canada a émis un test du caractère raisonnable des décisions qui est fondé sur la « justification, la transparence et l’intelligibilité » de celles-ci. La Cour fédérale doit donc déterminer si la décision et sa justification sont raisonnables. Dans son cas particulier, la décision de la Cour fédérale est très courte et n’a pas répondu aux arguments de l’auteur selon lesquels l’agent n’avait pas évalué sa conversion religieuse, les documents à l’appui de celle-ci, et surtout le risque entraîné par cette conversion si l’auteur était renvoyé en Égypte. L’auteur considère donc que le recours de contrôle judiciaire, en raison de ses limitations, ne saurait protéger le demandeur contre le caractère arbitraire de la procédure d’ERAR.

7.4Quant à la demande CH, l’auteur fait valoir que cette demande n’entraîne pas le sursis des mesures de renvoi, ce qui a été reconnu par le Comité. De plus, la demande humanitaire ne saurait suppléer une demande de protection, ce qui a d’ailleurs été rappelé par la Cour suprême du Canada. L’auteur fait ensuite référence aux instructions concernant la limitation applicable à l’évaluation du risque dans le cadre d’une demande CH présentée au Canada − disponibles sur le site officiel du Gouvernement du Canada − selon lesquelles « les agents ne déterminent pas si une crainte fondée de persécution, un risque pour la vie, un risque d’être soumis à la torture ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités a été établi, mais peuvent prendre les faits sous-jacents en considération pour déterminer si le demandeur serait exposé à des difficultés s’il devait retourner dans son pays d’origine ». En se référant aux facteurs devant être évalués dans une demande CH, l’auteur considère qu’il s’agit d’une évaluation portant sur des considérations différentes de celles qui concernent le Pacte. Par conséquent, la demande CH n’est pas un substitut d’évaluation du statut de réfugié à laquelle l’auteur n’a pas eu droit.

7.5L’auteur conclut qu’en raison de son orientation sexuelle et de sa conversion il courrait en Égypte un risque pour sa vie, ainsi qu’un risque de torture, de peine cruelle, inhumaine et dégradante, ainsi qu’un risque pour sa liberté. Il ne pourrait pas vivre sa vie amoureuse, sexuelle ou pratiquer sa religion, mettant ainsi en cause les articles 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 17, 18 et 19 du Pacte. Il demande donc au Comité de reconnaître ces violations dans son cas.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

8.Le 23 mars 2018, l’État partie a soumis des informations supplémentaires sur la recevabilité et sur le fond de la communication, en réplique aux commentaires de l’auteur qui avaient été transmis à l’État partie pour information le 17 juillet 2017. Il rappelle que la demande CH est une procédure administrative juste et équitable, sujette au contrôle judiciaire qui, en cas de décision positive, permettrait à l’auteur de demeurer au Canada, et que la communication devrait donc être déclarée irrecevable en raison du non-épuisement des voies de recours internes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’auteur doit se prévaloir de tous les recours judiciaires internes pour satisfaire à la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que de tels recours semblent être utiles en l’espèce et soient de facto ouverts à l’auteur. Le Comité note que l’auteur n’a pas introduit une demande pour motifs d’ordre humanitaire et que l’État partie considère qu’il s’agit d’une voie de recours utile. Tout en notant les observations de l’État partie selon lesquelles la demande pour motifs d’ordre humanitaire pourrait permettre à l’auteur de résider de manière permanente au Canada, le Comité relève qu’il n’a pas été sursis au renvoi pendant l’examen de la demande pour motifs d’ordre humanitaire de l’auteur et estime par conséquent qu’une telle demande ne saurait être considérée comme un recours effectif dans les circonstances de l’espèce. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

9.4En ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre des articles 9 (par. 1), 17, 18 et 27 du Pacte, le Comité relève l’argument de l’État partie selon lequel son obligation de non‑refoulement ne s’étend pas aux cas de violation potentielle de ces dispositions et que ces griefs sont par conséquent irrecevables ratione materiae au titre de l’article 3 du Protocole facultatif. Le Comité relève en outre l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas clairement expliqué en quoi son renvoi en Égypte constituerait une violation des obligations de l’État partie en vertu de ces articles, et note en effet que l’auteur ne fournit pas d’arguments au soutien de ces allégations. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations au titre des articles 9 (par. 1), 17, 18 et 27 du Pacte, et déclare donc cette partie de la communication irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité relève en outre l’argument de l’État partie selon lequel les demandes de l’auteur sont irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif car elles n’ont pas été suffisamment étayées. Concernant les allégations de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, le Comité fait observer que l’auteur a expliqué qu’il craignait de rentrer en Égypte en raison de son orientation sexuelle et de sa conversion de l’islam au christianisme. Le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité l’auteur a suffisamment étayé ses allégations. Par conséquent, le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7, et passe donc à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles son expulsion en Égypte constituerait une atteinte à sa liberté, à sa sécurité et à sa vie en raison de son orientation sexuelle et de sa conversion de l’islam au christianisme. Il allègue également que l’État partie n’a pas évalué de façon raisonnable les risques associés à son renvoi.

10.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte (par. 12), dans laquelle il a fait référence à l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a également indiqué qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée aux fins de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur, ou a représenté un déni de justice.

10.4Le Comité prend note des affirmations de l’auteur au sujet de son orientation sexuelle, de sa conversion de l’islam au christianisme, du prétendu risque de persécution qu’il pourrait subir de la part de sa famille et des autorités en cas de retour en Égypte. Le Comité prend également note des documents cités par l’auteur au soutien de ses allégations, faisant état de graves atteintes aux droits de l’homme dont seraient victimes les homosexuels et les personnes converties au christianisme en Égypte. Le Comité constate toutefois que l’auteur ne fournit aucune argumentation spécifique permettant de conclure qu’il encourrait un risque réel et personnel en cas de retour et que les demandes et les arguments présentés par l’auteur ont été soigneusement examinés par les autorités de l’État partie dans le contexte de l’examen et du réexamen de sa demande d’évaluation des risques avant renvoi. Toutes ces autorités ont décelé des contradictions et des improbabilités dans les déclarations de l’auteur. En particulier, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas prouvé ni expliqué de manière convaincante pourquoi il serait dans l’impossibilité de prouver l’identité complète de son prétendu partenaire, ou la mort de celui-ci en Égypte. Il note également les arguments de l’État partie selon lesquels la lettre médicale soumise par l’auteur et faisant état de ses blessures et cicatrices n’explique pas les raisons pour lesquelles le médecin indique qu’elles ont été causées par l’attaque en 2012 (voir par. 6.14). Le Comité note que l’auteur n’a pas démontré de manière convaincante son lien de famille avec les personnes qu’il prétend être sa sœur et son beau-frère, ni que celles‑ci l’ont dénoncé aux autorités étatiques comme il le prétend. À la suite de l’analyse de son dossier, les autorités canadiennes ont conclu que les affirmations de l’auteur manquaient de crédibilité et que le fait que l’auteur serait persécuté en cas de retour en Égypte n’était plus qu’une « simple possibilité ».

10.5Le Comité relève que, bien que l’auteur conteste l’évaluation et la conclusion des autorités canadiennes concernant le risque de préjudice auquel il serait exposé en Égypte, il n’a présenté aucun élément pour étayer suffisamment ses allégations au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité considère que les informations disponibles montrent que l’État partie a tenu compte de tous les éléments dont il disposait pour apprécier le risque auquel l’auteur était exposé − y compris les rapports faisant état de la persécution des chrétiens, des personnes converties au christianisme et des homosexuels en Égypte − et que celui-ci n’a fait apparaître aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions. Le Comité considère également que, bien qu’il conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, l’auteur n’a pas montré que celles-ci étaient arbitraires ou manifestement erronées, ni qu’elles constituaient un déni de justice. En conséquence, le Comité considère que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par l’auteur ne démontrent pas qu’il serait exposé à un risque réel et personnel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 6 ou à l’article 7 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne peut pas conclure que les informations dont il est saisi montrent que les droits de l’auteur conformément au paragraphe 1 de l’article 6 et à l’article 7 du Pacte seraient violés s’il était renvoyé en Égypte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’expulsion de l’auteur vers l’Égypte, si elle était exécutée, constituerait une violation des droits que celui-ci tient du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte.