Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/75/D/932/2000

26 juillet 2002

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante-quinzième session

8‑26 juillet 2002

CONSTATATIONS

Communication n° 932/2000

Présentée par:Mlle Marie-Hélène Gillot et al. (représentés par Mlle Marie-Hélène Gillot)

Au nom des:Auteurs

État partie:France

Date de la communication:25 juin 1999 (communication initiale)

Décisions antérieures:Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 juin 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:15 juillet 2002

Le 15 juillet 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 932/2000. Le texte des constatations est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Soixante-quinzième session

concernant la

Communication n° 932/2000 **

Présentée par:Mlle Marie-Hélène Gillot et al. (représentés par Mlle Marie-Hélène Gillot)

Au nom des:Auteurs

État partie:France

Date de la communication:25 juin 1999 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 932/2000 présentée par Mlle Marie‑Hélène Gillot et al., en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte les constatations suivantes:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les 21 auteurs sont M. Jean Antonin, M. François Aubert, M. Alain Bouyssou, Jocelyne Buret épouse Schmidt, Sophie Buston épouse Demaret, Michèle Garland épouse Philizot, Marie‑Hélène Gillot, Franck Guasch, Francine Guillot épouse Keravec, Albert Keravec, Audrey Keravec, Carole Keravec, Sandrine Keravec épouse Aubert, Christophe Massias, Jean‑Louis Massias, Martine Paris épouse Massias, Jean Philizot, Paul Pichon, Monique Quero‑Valleyo épouse Bouyssou, Thierry Schmidt, Sandrine Tastet épouse Sapey, tous citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie, collectivité d’outre‑mer de la France. Les auteurs affirment être victimes de la part de la France de violations du paragraphe 1 de l’article 2; du paragraphe 1 de l’article 12; et des articles 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par Mlle Marie-Hélène Gillot, elle-même auteur.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 5 mai 1998, deux organisations politiques de Nouvelle-Calédonie, le Front de Libération Nationale Kanak Socialiste (FLNKS), et le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) ainsi que le Gouvernement français signaient l’Accord dit de Nouméa. S’inscrivant dans le cadre d’un processus d’autodétermination, cet accord a fixé le cadre de l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie pour les vingt ans à venir.

2.2La mise en oeuvre de l’Accord de Nouméa a conduit à une révision constitutionnelle dans la mesure où il impliquait des dérogations à certains principes de valeur constitutionnelle, tels que le principe d’égalité dans le domaine notamment des droits politiques (corps restreint pour les scrutins locaux). Ainsi, par un vote conjoint du Parlement et du Sénat français, et une approbation du projet de révision constitutionnelle par le Congrès, la loi constitutionnelle no 98‑610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie ainséré dans la Constitution un titre XIII intitulé «Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie.» Celui-ci comprend les articles 76 et 77 suivants:

L’article 76 de la Constitution dispose:

«Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 13 décembre 1998 sur les dispositions de l’Accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française. Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l’article 2 de la loi no 88-1028 du 9 novembre 1988. Les mesures nécessaires à l’organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d’État délibéré en Conseil des ministres.».

L’article 77 dispose:

«Après approbation de l’accord lors de la consultation prévue à l’article 76, la loi organique, prise après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre: [...] − les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral [...] − les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l’accession à la pleine souveraineté.».

2.3Une première consultation a donc eu lieu le 8 novembre 1998. L’Accord de Nouméa a été approuvé par 72 % des suffrages exprimés, et le principe d’une ou plusieurs autres futures consultations a été arrêté. Les auteurs n’ont pas pu participer à ce scrutin.

2.4Les auteurs contestent les modalités de définition du corps électoral pour ces différentes consultations, telles qu’elles ont été fixées par l’Accord de Nouméa et mises en oeuvre par le Gouvernement français.

2.5Pour la première consultation, celle du 8 novembre 1998, le décret no 98-733 du 20 août 1998 portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle‑Calédonie prévue par l’article 76 de la Constitution, a défini le corps électoral par référence à l’article 2 de la loi no 88-1028 du 9 novembre 1988 (tel que d’ailleurs prévu au point 6.3 de l’Accord de Nouméa), à savoir: «sont admis à participer ... les électeurs inscrits à cette date sur les listes électorales du territoire et qui ont leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988».

2.6Pour les consultations futures, le corps électoral a été défini, par le Parlement français, par la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, en son article 218 (reprenant le point 2.2 de l’Accord de Nouméa) aux termes duquel:

«Sont admis à participer à la consultation les électeurs inscrits sur la liste électorale à la date de celle-ci et qui remplissent l’une des conditions suivantes:

a)Avoir été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998;

b)N’étant pas inscrits sur la liste électorale pour la consultation du 8 novembre 1998; remplir néanmoins la condition de domicile requise pour être électeur à cette consultation;

c)N’ayant pas pu être inscrits sur la liste électorale de la consultation du 8 novembre 1998 en raison du non-respect de la condition de domicile, justifier de ce que leur absence était due à des raisons familiales, professionnelles ou médicales;

d)Avoir eu le statut civil coutumier ou, nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux;

e)Avoir l’un de leurs parents né en Nouvelle-Calédonie et y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux;

f)Pouvoir justifier d’une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014;

g)Être nés avant le 1er janvier 1989 et avoir eu son domicile en Nouvelle‑Calédonie de 1988 à 1998;

h)Être nés à compter du 1er janvier 1989 et avoir atteint l’âge de la majorité à la date de la consultation et avoir eu un de leurs parents qui satisfait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998.

Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles, médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile.».

2.7Ne répondant pas aux critères ci-dessus exposés, les auteurs déclarent avoir été exclus de la consultation du 8 novembre 1998 et qu’ils le seront également pour les consultations prévues à partir de 2014.

2.8Les auteurs affirment avoir épuisé toutes les voies de recours internes afin de contester ces atteintes.

2.9Le 7 octobre 1998, les auteurs ont introduit une requête collective auprès du Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation du décret no 98-733 du 20 août 1998, et donc de la consultation du 8 novembre 1998 par le corps électoral restreint prévu à cet effet. Dans son arrêt du 30 octobre 1998, le Conseil d’État a rejeté cette requête. Il a, en particulier, précisé que la suprématie conférée aux engagements internationaux en vertu de l’article 55 de la Constitution ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle, et qu’en l’espèce, les dispositions des articles 2, 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, invoquées par les requérants, ne pouvaient prévaloir sur celles de la loi du 9 novembre 1988 (définissant le corps électoral dans le cadre du décret no 98-733 du 20 août 1998 relatif à la consultation du 8 novembre 1998) ayant valeur constitutionnelle.

2.10Chaque auteur a, par ailleurs, demandé auprès de la Commission administrative de Nouméa son inscription sur les listes des électeurs admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998. Saisi par chacun des auteurs du refus d’inscription de la Commission, le tribunal de première instance de Nouméa a confirmé cette décision. Saisie, la Cour de cassation, dans son arrêt du 17 février 1999, a rejeté les pourvois de chacun des auteurs au motif qu’ils ne satisfaisaient pas aux conditions arrêtées pour la consultation du 8 novembre 1998 prévues à l’article 76 de la Constitution.

2.11Les auteurs estiment, en outre, que tout recours à l’encontre de la violation future, mais certaine de leur droit de vote pour les consultations à compter de 2014 est inutile et voué à l’échec. Ils font valoir que la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision no 99-410 DC du 15 mars 1999, ceci malgré des dérogations à des règles ou principes de valeur constitutionnelle, que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi par un particulier, et qu’aucun tribunal administratif ou judiciaire ne s’estime compétent pour annuler ou écarter une disposition législative organique fut-elle, selon les auteurs, en réalité anticonstitutionnelle. Ils soutiennent, en outre, que la jurisprudence issue de l’arrêt du Conseil d’État du 30 octobre 1998 (ci-dessus mentionné) ferme la voie à tout contrôle par le juge administratif de la compatibilité au regard d’un traité d’une loi trouvant son support explicite dans la Constitution. Cette théorie de l’écran constitutionnel est, d’après les auteurs, également suivie par la Cour de cassation, ce qui signifie l’échec de toute saisine future du juge électoral. Finalement, les auteurs concluent que tout recours contre la privation de leur droit de vote aux consultations à partir de 2014 est irrémédiablement voué au rejet, et pourrait même être sanctionné d’une amende pour recours abusif, ou d’une condamnation aux frais non compris dans les dépens.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs estiment, en premier lieu, illégitime le retrait de leur droit de vote pour les consultations de 1998 et à partir de 2014, car il porte atteinte à la jouissance d’un droit acquis et indivisible, ce qui est contraire à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Outre leur qualité de citoyens français, ils expliquent être titulaires d’une carte d’électeur et être inscrits sur la liste électorale de Nouvelle-Calédonie. Ils précisent qu’à la date de la consultation du 8 novembre 1998, leur durée de résidence en Nouvelle-Calédonie se situait entre au moins 3 ans et 4 mois et au plus 9 ans et 1 mois, et que deux auteurs, M. et Mme Schmidt sont d’ailleurs nés en Nouvelle-Calédonie. Ils déclarent avoir leur résidence permanente en Nouvelle-Calédonie, où ils souhaitent rester, ce territoire constituant le centre de leur vie familiale et professionnelle.

3.2Les auteurs soutiennent, en second lieu, que la privation de leur droit de vote constitue une discrimination à leur encontre n’étant ni justifiée, ni raisonnable et objective. Contestant les critères établis pour la définition des corps électoraux aux scrutins de 1998 et à compter de 2014, en raison des dérogations apportées aux règles de la France dans le domaine électoral et des violations ainsi commises à l’encontre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les auteurs soulignent les discriminations suivantes.

3.3Les auteurs font état, premièrement, d’une discrimination affectant uniquement les citoyens français en Nouvelle-Calédonie en raison même de leur résidence sur ce territoire. Ils font valoir que les critères de durée de résidence fixés pour les scrutins en cause dérogent au Code électoral applicable à tout citoyen français, quel que soit son lieu de résidence. Les auteurs estiment qu’il en résulte, d’une part, une pénalisation à l’encontre de ceux ayant choisi de résider en Nouvelle-Calédonie, et d’autre part, un traitement discriminatoire au regard du droit de vote parmi les citoyens français.

3.4Les auteurs invoquent, deuxièmement, une discrimination entre citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie selon la nature des scrutins. Les auteurs remettent en cause l’existence d’un double corps électoral, l’un commun à tous les résidents pour les élections nationales, et le second restreint à une partie des résidents pour les scrutins locaux.

3.5Troisièmement, les auteurs dénoncent une discrimination fondée sur l’origine ethnique ou l’ascendance nationale des citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie. Ils soutiennent que les autorités françaises ont établi un corps électoral ad-hoc pour les scrutins locaux, afin de favoriser les Kanaks et les Caldoches présentés comme des Calédoniens de souche, dont les représentants politiques ont signé l’Accord de Nouméa. Selon les requérants, cet Accord s’est fait au détriment des autres citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie originaires de la métropole (dont les présents auteurs), polynésiens, wallisiens, futuniens, et asiatiques et qui représentent une part importante des 7,67 % d’électeurs calédoniens privés de leur droit de vote.

3.6Quatrièmement, les auteurs estiment que le critère de définition du corps électoral restreint relatif à la naissance entraîne une discrimination entre citoyens ressortissants d’un même pays, la France.

3.7Cinquièmement, les auteurs perçoivent le critère relatif au lien parental comme discriminatoire.

3.8Sixièmement, les auteurs déclarent être victimes d’une discrimination fondée sur la transmission du droit de vote par voie héréditaire, résultant du critère sur le lien parental.

3.9Les auteurs soutiennent, en troisième lieu, que la durée de résidence pour être admis à la consultation du 8 novembre 1998, à savoir 10 ans, est excessive. Ils affirment que le Comité des droits de l’homme a estimé contraire à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques une durée de domicile de 7 ans fixée par la Constitution de la Barbade.

3.10Les auteurs considèrent également excessive la durée de résidence conditionnant le droit de vote aux consultations à partir de 2014, à savoir 20 ans. Ils font, à nouveau, valoir qu’il s’agit pour les autorités françaises d’établir un corps électoral au bénéfice des Kanaks et des Caldoches pour lesquels, au demeurant, le droit de vote est préservé des effets d’un séjour prolongé hors de la Nouvelle-Calédonie. Ils précisent que la durée de résidence avait été fixée à trois ans pour les référendums d’autodétermination de la Côte française des Somalis en 1959, du Territoire des Afars et des Issas en 1976 et de la Nouvelle-Calédonie en 1987. Il s’agissait, selon les auteurs, de prévenir le vote des fonctionnaires métropolitains mutés pour une période limitée, en général en deçà de trois ans, et donc sans projet d’intégration et pour lesquels le vote aurait soulevé des conflits d’intérêts. Or, les auteurs soulignent ne pas se trouver dans la situation de fonctionnaires métropolitains de passage en Nouvelle-Calédonie, mais dans celle de citoyens français y ayant fait le choix d’une installation durable et définitive. Ils prétendent, en outre, que la condition de 20 ans de résidence en Nouvelle-Calédonie est contraire à l’Observation générale no 25 (57) du Comité des droits de l’homme, en particulier son paragraphe 6.

3.11Les auteurs invoquent des violations de la part de la France des articles 2, 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils souhaitent le rétablissement, par la France, de leurs pleins droits politiques. Ils demandent que la France modifie les dispositions de la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, afin de permettre leur participation aux consultations à compter de 2014.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1Dans ses observations du 23 octobre 2000, l’État partie estime, en premier lieu, que la communication des auteurs ne semble se heurter à aucun chef d’irrecevabilité. Dans la mesure où les auteurs justifient être exclus du corps électoral néo-calédonien consulté à la suite de l’Accord de Nouméa par référendum du 8 novembre 1998 et qui le sera à nouveau sur l’évolution du statut du territoire néo-calédonien entre 2014 et 2019; et avoir formé les recours disponibles devant les juridictions nationales − dont ils ont été définitivement déboutés − contre les actes de droit interne qu’ils critiquent, selon l’État partie, les auteurs doivent être regardés comme pouvant se prétendre − à tort ou à raison − victimes d’une méconnaissance du Pacte et comme ayant satisfait à l’obligation d’épuisement des voies de recours internes.

4.2L’État partie soulève aux fins de la recevabilité des questions de fond.

4.3A cet égard, l’État partie fait valoir que doit être écarté, en tant qu’il est manifestement incompatible avec la disposition invoquée, le grief tiré de la méconnaissance du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte, qui figure d’ailleurs dans l’argumentation des auteurs sans pour autant être repris dans leurs conclusions finales. D’après l’État partie, les modalités de définition du corps électoral appelé à participer aux consultations relatives à l’évolution du statut applicable au territoire de la Nouvelle‑Calédonie, si elles affectent incontestablement le droit de vote de certains citoyens, sont dépourvues de toute incidence sur la liberté de circulation et de choix d’une résidence des personnes se trouvant régulièrement sur le territoire français − dont la Nouvelle‑Calédonie fait partie.

4.4L’État partie soutient également que l’invocation des dispositions du paragraphe 1 des articles 2 et 26 du Pacte apparaît superfétatoire.

4.5D’après l’État partie, le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte pose, en effet, un principe de non-discrimination dans la jouissance des droits reconnus par le Pacte. Pour cette raison, il ne peut être invoqué qu’en combinaison avec l’un des autres droits figurant dans ce même instrument. En l’espèce, l’État partie estime inutile de l’invoquer conjointement avec l’article 25 relatif à la liberté de vote, lequel mentionne déjà par renvoi précisément audit article 2, l’interdiction de toute discrimination en cette matière. Selon l’État partie, la seule invocation de l’article 25 du Pacte suppose donc, en elle-même, le contrôle par le Comité du respect du paragraphe 1 de l’article 2.

4.6 l’État partie fait valoir que l’article 26 du Pacte pose un principe général d’interdiction de toute discrimination résultant de la loi qui, contrairement à celui posé au paragraphe 1 de l’article 2, peut être, selon la jurisprudence du Comité, invoqué de façon autonome. D’après l’État partie, par rapport à cette clause générale de non-discrimination, le renvoi au paragraphe 1 de l’article 2, contenu dans l’article 25 du Pacte, constitue donc unelex specialis, instituant un niveau de protection au minimum équivalent, sinon supérieur. l’État partie estime ainsi que l’invocation de l’article 26 du Pacte ne présente aucun intérêt supplémentaire pour les requérants par rapport à la simple invocation de cette disposition.

4.7L’État partie conclut ainsi que, sans préjuger du bien-fondé du grief de discrimination soulevé par les auteurs, son examen au regard du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte est sans objet, dans la mesure où ce grief pourra être tout aussi valablement apprécié sur le fondement des dispositions de l’article 25, pris isolément.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans leurs commentaires du 20 février 2001, les auteurs prennent acte de la non-opposition de l’État partie à la recevabilité de leur communication du point de vue formel.

5.2Ils rejettent la fin de non-recevoir invoquée par l’État partie relativement au paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte. Ils font valoir que la liberté de circulation à l’intérieur d’un État et le libre choix effectif de la résidence par un ressortissant du même État, garantis par l’article 12 du Pacte, n’existent que pour autant que cette mobilité ou cette fixation d’une nouvelle résidence n’est pas pénalisée par l’annulation d’un autre droit du Pacte, à savoir le droit de vote, par nature rattaché à la résidence. Les auteurs estiment que le droit de changer de résidence, aussi souvent que l’autorise l’article 12, n’aurait pas de sens si ce choix impliquait d’être privé de tous ses droits civiques au nouveau lieu de résidence, et ce pendant 10 à 20 ans.

5.3Les auteurs contestent également l’argumentation d’irrecevabilité de l’État partie fondée sur le caractère superfétatoire de l’invocation du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte. En conséquence, ils déclarent maintenir que les dispositions de droit interne qu’ils contestent portent atteinte tant au paragraphe 1 de l’article 2, conjointement avec les dispositions des articles 25 et 26, qu’à l’article 26 du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie concernant la recevabilité

6.1Dans ses observations datées du 22 février 2001, l’État partie fait part de ses observations liminaires sur la qualité de victime des auteurs. Il explique que les auteurs ne sauraient se prévaloir de la qualité de victimes d’une méconnaissance des dispositions du Pacte − au sens des articles 2 du Protocole facultatif et 90 du Règlement intérieur du Comité − en raison de la définition retenue pour les corps électoraux en cause, que si cette définition a eu ou aura pour effet de les écarter des scrutins litigieux.

6.2 l’État partie constate, sur la base des éléments fournis par les auteurs, que la plupart des auteurs ne remplissaient pas, à la date de la consultation du 8 novembre 1998, la condition de résidence de 10 ans requise (deux d’entre eux, M. et Mme Schmidt déclarent cependant avoir résidé en Nouvelle-Calédonie depuis leur naissance. L’État partie déclare ne pas voir dès lors la raison de leur exclusion du scrutin, sauf à ce que cette résidence ait été interrompue, ce qu’ils ne précisent pas). L’État partie conclut que la majorité des auteurs justifient donc d’un intérêt personnel à contester les conditions d’organisation de la consultation de novembre 1998.

6.3 l’État partie estime, en revanche, qu’il ressort des mêmes indications fournies par les 21 auteurs qu’à la date butoir du 31 décembre 2014, seule Mme Sophie Demaret se trouvera écartée des consultations futures du fait de l’application de la condition de résidence de 20 ans. D’après l’État partie, les 20 autres auteurs justifieront, à supposer qu’ils se maintiennent, comme ils déclarent en avoir l’intention, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, d’une durée de résidence supérieure à 20 ans et ils pourront donc prendre part aux différentes consultations. L’État partie conclut que 20 des 21 auteurs ne justifient pas d’un intérêt personnel à contester les modalités d’organisation des consultations futures, et donc ne sauraient se prétendre victimes d’une violation du Pacte, ce qui conduit à l’irrecevabilité de cette partie de leur communication.

6.4L’État partie rappelle sa position quant à la fin de non-recevoir, d’une part, du grief tiré de la violation du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte en tant qu’il est manifestement incompatible avec la disposition invoquée, et d’autre part, de l’invocation du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte en raison de leur caractère superfétatoire.

Commentaires des auteurs sur les observations supplémentaires de l’État partie concernant la recevabilité

7.1Dans leurs commentaires du 9 mai 2001, les auteurs rejettent la fin de non-recevoir de l’État partie relativement aux 20 auteurs pour la partie de la requête concernant les scrutins à venir. Ils estiment que l’État partie n’a pas formulé d’argumentation d’irrecevabilité à leur égard dans ses observations du 23 octobre 2000, et que sa fin de non-recevoir en date du 22 février 2001 est tardive. Ils font également valoir que les 20 auteurs ne pourront participer aux consultations à partir de 2014, dans l’hypothèse où, conformément à leur droit tiré de l’article 12 du Pacte, ils quitteraient temporairement la Nouvelle-Calédonie pour une période qui ne leur permettrait plus de remplir la condition de 20 ans de résidence continue. Ils précisent, en outre, qu’il est exact que les deux auteurs nés en Nouvelle-Calédonie, M. et Mme Schmidt, avaient été exclus de la consultation du 8 novembre 1998 dans la mesure où ayant résidé hors de Nouvelle‑Calédonie entre 1988 et 1998, la condition des 10 ans de résidence continue n’était plus satisfaite.

7.2Les auteurs maintiennent également la partie de leur communication relativement au paragraphe 1 des articles 2 et 12, et à l’article 26 du Pacte, et contestent donc l’argumentation d’irrecevabilité de l’État partie.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

8.1Dans ses observations du 22 février 2001, l’État partie développe son argumentation sur le fond sur la partie de la communication qu’il estime recevable, en l’occurrence le grief de violation de l’article 25 du Pacte.

8.2Il rappelle que selon l’interprétation large qu’en a donnée le Comité des droits de l’homme dans son Observation générale no.25 du 12 juillet 1996, l’article 25 consacre notamment le droit des citoyens de voter lors des élections ou à l’occasion d’opérations référendaires (voir par. 10 de l’Observation). Cependant, le Comité admet que ce droit peut faire l’objet de restrictions, sous réserve que celles-ci reposent sur des critères raisonnables (id.). Il indique notamment que des critères discriminatoires tels que ceux prohibés au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte ne sauraient servir de fondement à ces restrictions (voir par. 6).

8.3L’État partie explique que les consultations faisant l’objet du présent litige concernent l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et la vocation éventuelle de ce territoire à accéder à l’indépendance. Elles participent à un processus d’autodétermination des populations de ce territoire, même si elles n’ont pas toutes pour objet direct de trancher la question de l’accession du territoire à la pleine souveraineté. D’après l’État partie, les considérations ayant présidé à l’adoption de l’article 53 de la Constitution, qui prévoit que «nulle cession [...] de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées» valent donc pour de telles consultations (que cet article leur soit d’ailleurs applicable ou non). L’État partie estime qu’il est donc dans la logique de ces consultations qu’elles se limitent à recueillir l’avis, non de l’ensemble de la population nationale, mais de celui des personnes «intéressées» à l’avenir d’un territoire limité et justifiant de particularismes.

8.4L’État partie poursuit son raisonnement en confirmant que le corps électoral arrêté, en conformité avec les options choisies par les négociateurs des accords de Nouméa, pour les différentes consultations en litige, est en effet un corps électoral «restreint», qui diffère du corps électoral «ordinaire», correspondant aux inscriptions sur les listes électorales.

8.5L’État partie confirme également qu’à la condition d’inscription sur les listes électorales, a été ajoutée, pour la première consultation organisée en novembre 1998, une condition de durée de résidence de 10 ans à la date du scrutin et, pour les consultations futures, il est requis des électeurs soit qu’ils aient été admis à participer à la première consultation, soit qu’ils justifient de liens particuliers avec le territoire de Nouvelle-Calédonie (naissance, liens familiaux, etc.) soit, à défaut, qu’ils résident depuis 20 ans sur le territoire à la date de la consultation en cause.

8.6D’après l’État partie, les auteurs ne semblent pas remettre en cause le principe de la limitation du corps électoral aux populations intéressées. Cependant, l’État partie rappelle qu’ils déclinent à l’appui de leur grief de violation de l’article 25 du Pacte les arguments suivants: violation du droit à voter; discrimination entre les citoyens français résidant en Nouvelle‑Calédonie et les autres citoyens; discrimination entre les résidents calédoniens eux‑mêmes selon la nature des scrutins; discrimination selon l’origine ethnique ou l’ascendance; discrimination selon le lieu de naissance; discrimination selon les liens familiaux; discrimination en raison de la transmission du droit de vote par voie héréditaire; durée de résidence excessive pour être admis à participer à la première consultation; durée également excessive pour être admis à participer aux consultations futures; retrait du droit de vote aux auteurs.

8.7À titre liminaire, l’État partie tient à signaler que, dans la mesure où l’article 25 du Pacte prévoit que le droit de participer à un scrutin peut subir des limitations raisonnables, l’argument des auteurs selon lequel ils bénéficieraient d’un droit absolu à prendre part aux consultations litigieuses ne peut qu’être écarté.

8.8L’État partie estime que le débat se limite donc à la question de la compatibilité des restrictions apportées au corps électoral avec les dispositions de l’article 25 du Pacte. Sur ce point, selon l’État partie, l’argumentation touffue des auteurs semble s’articuler autour de deux idées principales, à savoir: les critères retenus pour la définition du corps électoral seraient discriminatoires; et les seuils fixés pour la condition de durée de résidence seraient excessifs.

8.9À titre liminaire, l’État partie observe que le dispositif législatif contesté ne fait que reprendre les choix librement opérés par les organisations politiques locales représentatives qui ont négocié les accords de Nouméa. Selon l’État partie, en reprenant ces choix − ce à quoi il n’était nullement tenu − le législateur a donc manifesté son souci de tenir compte de l’avis des représentants des populations locales quant aux modalités de mise en oeuvre d’un processus visant à leur autodétermination. L’État partie considère que cette attitude a été de nature à garantir le libre choix de leur statut politique, que l’article 25 du Pacte vise précisément à protéger (voir Observation générale du Comité précitée, point 2).

8.10Néanmoins, l’État partie ne conteste pas que les choix ainsi opérés devaient l’être dans le respect des dispositions de l’article 25 du Pacte. Il considère, à cet égard, que ces dispositions ont été parfaitement respectées en l’espèce.

8.11L’État partie explique, en premier lieu, que le grief tiré du caractère discriminatoire des critères retenus pour la définition du corps électoral n’est pas fondé.

8.12D’après l’État partie, il existe, en effet, une différence objective de situation au regard des consultations en litige entre les personnes admises à prendre part au vote et celles qui ne le sont pas.

8.13À cet égard, l’État partie rappelle que les restrictions apportées au corps électoral sont dictées par l’objet même des consultations. L’État partie soutient que ceci est d’autant plus vrai que, comme le soulignent eux-mêmes les requérants, ils sont inscrits sur les listes électorales «ordinaires» jouissent sans restriction de leur droit de vote pour les consultations autres que celles qui intéressent le territoire de Nouvelle-Calédonie. D’après l’État partie, il est ainsi inexact d’affirmer qu’ils auraient été privés de leur droit de vote. Ce droit de vote a donc été restreint de sorte que les auteurs n’ont pas été ou ne seront pas (pour un seul des auteurs) consultés sur des questions auxquelles ils ne sont pas regardés comme étant «intéressés».

8.14L’État partie fait valoir qu’il est naturel de considérer que sont «intéressés» à des scrutins mis en oeuvre dans le cadre d’un processus d’autodétermination les personnes qui justifient d’attaches particulières avec le territoire dont le sort est en jeu, attaches qui légitiment leur participation au vote.

8.15L’État partie précise, qu’en l’espèce, le système contesté permet d’apprécier ces attaches en fonction de plusieurs éléments alternatifs, et non cumulatifs: la durée de la résidence sur le territoire; la détention du statut civil coutumier; la présence sur le territoire des intérêts matériels et moraux, combinée à la naissance de l’intéressé ou de ses parents sur le territoire; pour les personnes majeures nées après la consultation de 1998 le fait que les parents aient été admis à participer à cette consultation.

8.16L’État partie affirme qu’il s’agit là de critères objectifs, qui sont dépourvus de liens avec l’appartenance ethnique ou les choix politiques des populations et qui témoignent indiscutablement de l’intensité des liens des intéressés avec le territoire de Nouvelle-Calédonie. Selon l’État partie, il n’est pas douteux que les personnes remplissant l’une au moins des conditions posées sont plus intéressées au devenir du territoire que celles qui n’en remplissent aucune.

8.17L’État partie conclut qu’ainsi la définition retenue pour les corps électoraux a pour effet de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations objectivement différentes au regard des liens qu’elles entretiennent avec le territoire. Pour cette raison, selon l’État partie, elle ne saurait être retenue pour discriminatoire.

8.18L’État partie ajoute, qu’en admettant même, pour les seuls besoins du raisonnement, que la définition des corps électoraux revienne à opérer une discrimination positive, celle-ci ne serait pas contraire à l’article 25 du Pacte.

8.19À cet égard, l’État partie rappelle que dans son Observation générale no 18, le Comité affirme: «Dans les États où la situation générale de certains groupes de population empêche ou compromet la jouissance des droits de l’homme, l’État doit prendre des mesures spéciales pour corriger cette situation. Ces mesures peuvent consister à accorder temporairement un traitement préférentiel dans les domaines spécifiques aux groupes en question par rapport au reste de la population. Cependant, tant que ces mesures sont nécessaires pour remédier à une discrimination de fait, il s’agit d’une différenciation légitime au regard du Pacte».

8.20En sens inverse, selon l’État partie, le paragraphe 4 de l’article 2 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale prohibe de telles mesures dès lors que, sous prétexte de discriminations positives, elles auraient «pour effet le maintien des droits distincts pour des groupes raciaux différents».

8.21L’État partie fait valoir qu’au regard de ces dispositions, il apparaît que si les modalités d’organisation des consultations en cause avaient pour objet de favoriser une communauté (par exemple la communauté kanak) en l’admettant seule à participer au scrutin ou en accordant à ses membres un traitement ou une représentativité préférentielle par le biais d’un collège spécifique, la différence de traitement ainsi opérée n’aurait certainement pas été regardée comme une restriction admissible au regard de l’article 25 du Pacte.

8.22L’État partie souligne que, cependant, comme l’a relevé le Premier avocat général Louis Joinet dans ses conclusions, lorsque la Cour de cassation a eu à connaître du grief de discrimination en cause, les critères retenus pour la composition du corps électoral ne reposent pas sur la distinction entre caldoches et mélanésiens, mais sur celle faite entre résidents nationaux en fonction de la durée de leur domiciliation sur l’île et des attaches qu’ils justifient y avoir, quelle que soit leur origine mélanésienne, européenne, wallisienne ou autre.

8.23L’État partie explique que ces critères favorisent effectivement les résidents de longue date par rapport aux arrivants plus récents. D’après l’État partie, si pour cette raison, et en dépit des arguments exposés plus haut, cela pouvait être regardé comme une mesure de discrimination positive, celle-ci ne serait pas, par principe, contraire aux dispositions du Pacte, comme l’a souligné le Comité dans son Observation no 18 précitée. Celle-ci ne pourrait être censurée que si elle avait pour effet de maintenir des droits distincts pour des groupes raciaux différents ce qui, en raison des critères adoptés, n’est pas le cas en l’espèce.

8.24L’État partie affirme, en second lieu, que le grief tiré du caractère déraisonnable de la restriction apportée au corps électoral sur la base de la durée de résidence en Nouvelle-Calédonie n’est pas davantage fondé.

8.25 l’État partie rappelle l’argumentation des auteurs d’après laquelle les durées de 10 et 20 ans de résidence posées comme condition pour la participation aux consultations passées et à venir est contraire à l’article 25 du Pacte, dans la mesure où les seuils de durée de résidence auraient été fixés de manière excessive et aboutiraient à l’exclusion d’une partie importante du corps électoral.

8.26 l’État partie précise que les auteurs citent à l’appui de cette argumentation une jurisprudence du Comité selon laquelle une durée de sept ans fixée par la Constitution de la Barbade pour être éligible à la chambre des représentants aurait été jugée déraisonnable. L’État partie souligne, qu’en réalité, il ne s’agit pas là d’une position adoptée par le Comité, mais d’une opinion isolée émise par l’un de ses 18 membres au cours d’une séance, et qui n’a jamais été adoptée par le Comité lui-même. À aucun moment, le Comité n’a donc statué dans le sens indiqué par les requérants. L’État partie ajoute que ce dernier n’a d’ailleurs pas évoqué cette question lors de la présentation du deuxième rapport périodique de la Barbade en 1988.

8.27En outre, l’État partie soutient que dans son Observation générale sur l’article 25 du Pacte, le Comité ne cite aucun cas basé sur une durée de résidence considérée comme déraisonnable.

8.28D’autre part, l’État partie considère qu’en l’espèce, si la participation à la consultation de novembre 1998 était subordonnée à une durée de résidence de 10 ans et si celle aux consultations futures réclame une résidence de 20 ans, pour le cas où les intéressés ne remplissent aucune autre des conditions requises, ces conditions ne peuvent être regardées comme déraisonnables.

8.29L’État partie indique qu’il est exact que les seuils de durée de résidence ainsi fixés excédent celui de trois ans choisi pour plusieurs consultations antérieures (par exemple, la loi du 22 décembre 1966 sur la consultation relative à la Côte française des Somalis; la loi du 28 décembre 1976 sur la consultation relative au Territoire des Afars et des Issas).

8.30Cependant, d’après l’État partie, rien ne permet de penser que ces seuils, qui répondent à la nécessité de limiter les consultations aux populations jouissant d’un réel enracinement local, l’aient été dans des conditions déraisonnables au regard de l’article 25 du Pacte.

8.31L’État partie fait valoir qu’en premier lieu, ces seuils de durée de résidence répondent au souci, exprimé par les représentants des populations locales dans le cadre de la négociation des accords de Nouméa, de garantir que les consultations traduiront la volonté des populations «intéressées» et que leur résultat ne pourra être altéré par un vote massif de populations récemment arrivées sur le territoire, et n’y justifiant pas d’attaches solides. L’État partie estime que ce souci apparaît parfaitement légitime s’agissant de consultations mises en œuvre dans le cadre d’un processus d’autodétermination.

8.32L’État partie estime, en second lieu, que ces conditions n’ont conduit qu’à écarter une faible portion de la population résidente (environ 7,5 % de cette population) pour la première consultation et, à moins d’un changement démographique majeur, il en ira de même lors des consultations futures, pour lesquelles le critère de durée de résidence ne sera d’ailleurs pas le seul à permettre l’accès au vote.

8.33Enfin, selon l’État partie, aucune décision du Comité ne permet en l’état de tenir ces seuils, qui n’apparaissent déraisonnables ni dans leurs fondements, ni dans leurs conséquences pratiques, pour contraires aux dispositions de l’article 25 du Pacte.

8.34Pour l’ensemble de ces raisons, l’État partie considère que le grief de violation de l’article 25 du Pacte ne peut être que rejeté.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication

9.1Dans leurs commentaires du 9 mai 2001, les auteurs invoquent, à nouveau, la violation de la part de la France du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte, sur la base de l’argumentation précédemment exposée et par référence à l’Observation générale du Comité no 27 (67) sur la liberté de circulation, en ses paragraphes 2, 5 et 8.

9.2Ils déclarent maintenir la partie de leur communication relative à la violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte.

9.3Les auteurs rappellent leur position visant à l’examen par le Comité de la violation de l’article 26 du Pacte, indépendamment de toutes autres dispositions, ou en relation avec l’article 25 du Pacte.

9.4Les auteurs contestent les arguments de l’État partie de non-violation de l’article 25 du Pacte.

9.5Ils font valoir, à nouveau, en premier lieu, leur droit absolu, en tant que citoyens remplissant toutes les conditions objectives du statut d’électeur (en particulier celles relatives à la majorité civile, la non‑déchéance des droits civiques suite à une condamnation de droit commun, ou pour incapacité majeure) de voter à toutes les consultations politiques organisées au lieu de leur résidence électorale.

9.6Les auteurs rappellent qu’ils se considèrent comme relevant des populations «intéressées» par les consultations de novembre 1998 et à venir sur le statut de la Nouvelle-Calédonie. Ils mettent en avant leur intérêt personnel et leurs attaches suffisantes à l’égard de ce territoire. Ils affirment, en outre, que les citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie sont exclusivement concernés dans leur vie quotidienne par la «loi calédonienne» depuis l’adoption de la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999.

9.7Ils soutiennent, d’autre part, que le principe de «discrimination positive» ne peut s’appliquer en matière électorale, et ne peut se déduire de l’Observation générale no 18 du Comité des droits de l’homme.

9.8Ils expliquent, au demeurant, que le Comité prévoit une condition sine qua none pour l’édiction de mesures de discrimination positive, à savoir leur caractère temporaire, et le fait que la situation générale de certains groupes de population empêche ou compromet la jouissance des droits de l’homme.

9.9Or, d’après les auteurs, la condition de 20 ans de résidence continue pour la participation aux scrutins à venir ne correspond pas à une limitation dans le temps, mais à une situation pérenne d’exclusion de jure des requérants de la future nationalité calédonienne.

9.10Les auteurs se demandent, en outre, en quoi l’exercice de leur droit de vote et de ceux se trouvant dans leur situation empêche ou compromet la jouissance des droits de l’homme d’autres communautés calédoniennes. Ils affirment, à nouveau, que les dispositions régissant la participation aux consultations de 1998 et à partir de 2014, ont été conçues par les autorités françaises comme une mesure de favoritisme électoral consentie pour des raisons purement politiques. D’après les auteurs, ces autorités ont imaginé, à travers l’Accord de Nouméa, le critère faussement objectif d’un allongement de la durée de résidence afin d’établir une discrimination indirecte et insidieuse.

9.11Ils estiment que l’État partie n’a pas apporté de réplique sérieuse à leurs critiques relatives à la durée excessive de résidence continue conditionnant le vote aux scrutins de 1998 et à venir.

9.12Les auteurs avancent, pour leur part, les arguments suivants. Ils notent, en premier lieu, que les deux communautés principales de la Nouvelle-Calédonie regroupent, d’un côté, les habitants d’origine mélanésienne (soit 44 % de la population) et, de l’autre, les habitants d’origine caldoche (soit 30 % de la population). Les auteurs soutiennent, d’une part, que les partisans de l’indépendance ont toujours été minoritaires et que, d’autre part, depuis le résultat du référendum d’autodétermination de 1987 ayant massivement rejeté l’indépendance, tout autre scrutin similaire aboutirait, dans le contexte actuel, au rejet de l’indépendance avec toutefois des risques de désordres. Les auteurs expliquent que, dans ces conditions, le FLNKS (représentant les kanaks) a revendiqué auprès du RPCR (représentant les caldoches) − lequel y a trouvé son compte – une «entente» visant, d’une part, à interdire le plus possible aux ascendants non kanaks, non caldoches d’interférer dans le débat politique et l’avenir du territoire et, d’autre part, à conquérir pour le scrutin à partir de 2014, des voix d’électeurs kanaks supplémentaires en escomptant une évolution démographique supposée plus favorable de la communauté mélanésienne.

9.13Relativement à l’argument de l’État partie faisant valoir que les seuils de durée de résidence répondent au souci des représentants des populations locales dans le cadre de la négociation de l’Accord de Nouméa de garantir que les consultations traduiront la volonté des populations «intéressées», les auteurs affirment que cette préoccupation des partis politiques locaux ne constitue pas une cause exonératoire et encore moins une justification objective et légitime au sens du Pacte.

9.14Ils rejettent également l’observation de l’État partie d’après laquelle les 7,5 % de résidents calédoniens écartés pour les consultations en cause représentent une faible proportion de la population de la Nouvelle-Calédonie. Ils précisent, par ailleurs, qu’il s’agit en réalité de 7,67 % des électeurs inscrits sur les listes électorales à la date de la consultation du 8 novembre 1998.

9.15Finalement, les auteurs concluent, à nouveau, à une violation de la part de la France de l’article 25 du Pacte.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

10.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Relativement à la qualité de victimes des auteurs au sens de l’article 1 du Protocole facultatif, le Comité a constaté que l’État partie reconnaissait l’intérêt personnel des auteurs à contester les conditions d’organisation de la consultation de novembre 1998.

10.4Concernant les consultations futures à compter de la date butoir du 31 décembre 2014, le Comité a examiné l’argumentation de l’État partie d’après laquelle seule Mme Sophie Demaret en sera écartée car ne satisfaisant pas à la condition de résidence de 20 ans. Selon l’État partie, a contrario, les 20 autres auteurs justifieront, à supposer qu’ils se maintiennent, comme ils déclarent en avoir l’intention, en Nouvelle-Calédonie, d’une durée de résidence supérieure à 20 ans permettant leur participation aux futures consultations. Ces 20 auteurs ne justifient donc pas, selon l’État partie, d’un intérêt personnel à agir et, dès lors, ne peuvent prétendre à la qualité de victimes, d’où l’irrecevabilité de cette partie de la communication. Le Comité a également pris note des arguments des auteurs faisant valoir inter alia qu’outre Mme S. Demaret, ils ne pourront participer aux consultations futures, dans l’hypothèse où, conformément à leur droit tiré de l’article 12 du Pacte, ils quitteraient temporairement la Nouvelle-Calédonie pour une période qui ne leur permettrait plus de satisfaire à la condition de 20 ans de résidence continue.

10.5Après examen des arguments invoqués et autres éléments de la communication, le Comité constate que 20 des 21 auteurs ont, d’une part, souligné leur souhait de demeurer en Nouvelle‑Calédonie, ce territoire constituant le lieu de leur résidence permanente et le centre de leur vie familiale et professionnelle, et d’autre part, formulé à titre purement hypothétique, plusieurs éventualités à savoir, d’un côté, un départ temporaire de Nouvelle-Calédonie et de l’autre une période d’absence, laquelle, selon la situation propre à chaque auteur, arrivée à un certain seuil, conduirait à une exclusion des consultations futures. Le Comité estime que ces derniers arguments tels que soulevés par les auteurs, et au demeurant en contradiction avec leur argumentation principale quant à leur résidence permanente présente et future en Nouvelle‑Calédonie, ne dépassent pas le cadre des éventualités et des possibilités théoriques. Dès lors, seule Mme S. Demaret, n’ayant pas d’ores et déjà 20 ans de résidence en Nouvelle‑Calédonie, peut prétendre à la qualité de victime au regard des consultations projetées, au sens de l’article 1 du Protocole facultatif.

10.6Relativement aux plaintes de violations du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte, le Comité a pris note des arguments de l’État partie concernant l’incompatibilité ratione materiae de ces allégations avec les dispositions du Pacte. Le Comité considère que les éléments présentés par les auteurs et précédemment examinés ne sont pas suffisamment étayés et ne permettent donc pas d’établir la recevabilité des griefs au regard de l’article 2 du Protocole facultatif (par.5.2).

10.7En ce qui concerne les allégations de violations des articles 25 et 26 du Pacte, le Comité estime que les éléments avancés au titre de l’article 26 peuvent être examinés, dans le cas d’espèce, à travers les dispositions de l’article 25. Le Comité déclare cette partie de la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard de l’article 25 et estime que la plainte doit être examinée sur le fond, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen sur le fond

11.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.2Le Comité doit déterminer si les restrictions apportées au corps électoral pour les consultations locales du 8 novembre 1998 et à compter de 2014 constituent une violation de l’article 25 du Pacte, comme l’affirment les auteurs.

12.1Les auteurs soutiennent, en premier lieu, être détenteurs d’un droit absolu, acquis et indivisible à voter à toutes les consultations politiques organisées au lieu de leur résidence.

12.2Le Comité rappelle sur ce point sa jurisprudence au titre de l’article 25 du Pacte, à savoir que le droit de vote n’est pas un droit absolu et que des restrictions peuvent y être apportées à condition qu’elles ne soient pas discriminatoires ou déraisonnables.

13.1Les auteurs font valoir, en second lieu, que les critères retenus pour la définition des corps électoraux des scrutins locaux dérogent aux règles de la France en matière électorale (le droit de vote ne pouvant être conditionné qu’au critère d’inscription sur une liste électorale; soit de la commune du domicile réel, quelle que soit la durée de résidence; soit de la commune de résidence effective depuis six mois) et par là même entraînent des restrictions discriminatoires à leur encontre et contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

13.2Afin d’examiner le caractère discriminatoire ou non des critères en litige, conformément à sa jurisprudence ci-dessus mentionnée, le Comité estime que l’évaluation de toutes restrictions doit se faire au cas par cas, sur la base en particulier de l’objet des restrictions et du principe de proportionnalité

13.3Dans le cas d’espèce, le Comité a pris note du fait que les scrutins locaux s’inscrivaient dans le cadre d’un processus d’autodétermination des populations de Nouvelle-Calédonie. À cet égard, il a pris en considération l’argumentation de l’État partie selon laquelle ces consultations politiques − dont les modalités ont été fixées par l’Accord de Nouméa, et consacrées selon le type de scrutin par le vote du Congrès ou du Parlement − de par leur objet devaient permettre de recueillir l’avis, non de l’ensemble de la population nationale, mais des personnes «intéressées» à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

13.4Bien que le Comité ne soit pas compétent au titre du Protocole facultatif pour examiner une communication alléguant une violation du droit à l’autodétermination protégé par l’article 1 du Pacte, il peut interpréter l’article 1, lorsque ceci est pertinent, afin de déterminer si les droits protégés dans les parties II et III du Pacte ont été violés. Le Comité estime, en conséquence, que dans le cas d’espèce, les dispositions de l’article 1 peuvent être prises en compte dans l’interprétation de l’article 25 du Pacte.

13.5Relativement aux griefs des auteurs, le Comité constate, comme le confirme d’ailleurs l’État partie, que les critères relatifs au droit de vote aux consultations ont pour effet d’établir un corps électoral restreint, et donc une différenciation entre, d’un côté, ceux étant exclus du droit de vote − dont le(s) requérant(s) selon le scrutin en cause −, et de l’autre ceux étant admis à l’exercer, en raison de leurs attaches suffisantes au territoire dont l’évolution institutionnelle est en jeu. La question que doit trancher le Comité est donc de savoir si cette différenciation est compatible avec l’article 25 du Pacte. Le Comité rappelle que toute différenciation ne constitue pas une discrimination, si elle est fondée sur des critères objectifs et raisonnables et si le but visé est légitime au regard du Pacte.

13.6Le Comité doit, tout d’abord, examiner si les critères de définition des corps électoraux restreints répondent à celui de l’objectivité.

13.7Le Comité constate que, conformément à l’enjeu de chaque scrutin, outre la condition d’inscription sur les listes électorales, les critères retenus sont, d’un côté, pour la consultation de 1998 portant sur la poursuite ou non du processus d’autodétermination, la condition de durée de résidence en Nouvelle-Calédonie et, de l’autre, pour les consultations futures portant directement sur l’option de l’indépendance, la prise en compte de conditions supplémentaires relatives à la détention du statut civil coutumier, la présence sur le territoire des intérêts matériels et moraux, combinée à la naissance de l’intéressé ou de ses parents sur le territoire. Il ressort donc, au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’échéance de l’autodétermination, que les critères sont plus nombreux et prennent en compte les particularismes attestant l’intensité des liens au territoire. En effet, à la condition de durée de résidence (se distinguant des seuils de durée de résidence) permettant de déterminer un lien à caractère général vis-à-vis du territoire, s’ajoutent des liens plus spécifiques.

13.8Le Comité considère que les critères ci-dessus exposés reposent sur des éléments objectifs de différenciation entre résidents dans leur relation à la Nouvelle-Calédonie, à savoir les différentes formes d’attaches à ce territoire, spécifiques ou générales, ceci conformément au but et à la nature de chaque scrutin. Se pose, néanmoins, la question des effets discriminatoires ou non de ces critères.

13.9Eu égard au grief des auteurs de discrimination à leur encontre fondée sur l’appartenance ethnique ou l’ascendance nationale résultant de la consultation de 1998, le Comité prend note de leur argumentation selon laquelle les résidents français de Nouvelle-Calédonie originaires de la métropole (dont les présents requérants), polynésiens, wallisiens, futuniens, antillais et réunionnais représentent une part importante des 7,67 % d’électeurs calédoniens exclus de ce scrutin.

13.10À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que le critère retenu pour la consultation de 1998 établit une différenciation entre résidents quant à leur situation relationnelle au territoire sur la base de la condition de durée de «résidence» (à distinguer de la question des seuils de durée de résidence), ceci quelle que soit leur origine ethnique ou leur ascendance nationale. Le Comité considère, en outre, que les arguments des auteurs manquent de précisions relativement à l’importance numérique des groupes préalablement mentionnés − majoritaires ou non − parmi les 7,67 % d’électeurs exclus du droit de vote.

13.11Le Comité estime en conséquence, qu’il n’a pas été établi que le critère retenu pour le scrutin de 1998 a pour objet et pour effet d’établir des droits distincts pour des groupes ethniques ou d’ascendance nationale différents.

13.12Relativement aux griefs des auteurs de discriminations à leur encontre fondées sur la naissance, les liens familiaux, et la transmission du droit de vote par voie héréditaire (cette dernière violation étant issue, selon les auteurs, des critères sur les liens familiaux), et donc résultant des critères retenus pour les consultations à compter de 2014, le Comité considère, en premier lieu, que les résidents satisfaisant à ces critères se trouvent dans des situations objectivement différentes de celle des auteurs dont le lien au territoire repose sur la durée de résidence. Le Comité constate, en second lieu, d’une part, que la durée de résidence est prise en compte dans les critères retenus pour les scrutins futurs, et d’autre part, et surtout que ces critères sont alternatifs. L’identification des électeurs parmi les résidents français de Nouvelle-Calédonie ne repose donc pas uniquement sur les attaches particulières au territoire (telles que la naissance et les liens familiaux) mais aussi, à défaut, sur la durée de résidence. Il ressort ainsi que chaque lien spécifique ou général au territoire − identifié à travers des critères sur l’attache à la Nouvelle-Calédonie − a été retenu parmi les résidents français.

13.13Le Comité estime, finalement, qu’en l’espèce, les critères de définition des corps électoraux restreints permettent de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations objectivement différentes au regard de leurs attaches à la Nouvelle-Calédonie.

13.14Le Comité doit, ensuite, examiner si la différenciation résultant des critères ci-dessus mentionnés est raisonnable et si le but visé est légitime au regard du Pacte.

13.15Le Comité a pris note de l’argumentation des auteurs soutenant que de tels critères, bien que consacrés par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 et la loi organique du 19 mars 1999, dérogeaient non seulement aux règles nationales en matière électorale, mais également étaient illégitimes au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

13.16Le Comité rappelle que, dans le cas d’espèce, l’examen de l’article 25 du Pacte implique la prise en compte de l’article 1. Le Comité estime, en l’occurrence, que les critères établis sont raisonnables dans la mesure où ils s’appliquent strictement et uniquement à des scrutins s’inscrivant dans un processus d’autodétermination. De tels critères ne peuvent donc être justifiés − ce que fait l’État partie − qu’au regard de l’article 1 du Pacte. Sans pour autant se prononcer sur la définition de la notion de «peuples» visée par l’article 1, le Comité considère, en effet, que dans le cas d’espèce, il ne saurait être non raisonnable de limiter la participation aux consultations locales aux personnes «intéressées» à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie et justifiant d’attaches suffisantes à ce territoire. Le Comité note, en particulier, les conclusions du Premier avocat général de la Cour de cassation, faisant valoir que dans tout processus d’autodétermination, des limitations au corps électoral sont légitimées par la nécessité de s’assurer d’un ancrage identitaire suffisant. Le Comité prend également en considération la reconnaissance par l’Accord de Nouméa et la loi organique du 19 mars 1999 d’une citoyenneté de Nouvelle-Calédonie (non exclusive de la citoyenneté française mais liée à cette dernière) traduisant la communauté de destin choisi et fondant les restrictions apportées au corps électoral en particulier pour la consultation finale.

13.17En outre, selon le Comité, les restrictions au corps électoral résultant des critères retenus pour les scrutins de 1998 et à compter de 2014 respectent le critère de proportionnalité dans la mesure où celles-ci sont limitées ratione loci aux seuls scrutins locaux d’autodétermination et donc sans incidences sur la participation aux élections générales tant législatives, présidentielles, européennes que municipales ainsi qu’aux scrutins référendaires.

13.18Le Comité estime, en conséquence, que les critères de définition des corps électoraux pour les consultations de 1998 et à compter de 2014 ne sont pas discriminatoires, mais reposent sur des motifs de différenciation objectifs, raisonnables et compatibles avec les dispositions du Pacte.

14.1Les auteurs font, enfin, valoir que les seuils fixés relativement à la condition de durée de résidence, à savoir respectivement 10 ans et 20 ans pour les scrutins en cause, sont excessifs, et affectent leur droit de vote.

14.2Le Comité estime ne pas être à même de déterminer les seuils de durée de résidence. Toutefois, le Comité peut se prononcer sur le caractère excessif ou non de ces seuils. Il s’agit, en l’occurrence, pour le Comité de déterminer si ces seuils ont pour objet ou pour effet de restreindre de manière disproportionnée, au regard de la nature et de l’objet des consultations concernées, la participation des populations «intéressées» de Nouvelle-Calédonie.

14.3Outre la position de l’État partie faisant valoir que les critères retenus pour la définition des corps électoraux favorisent les résidents de longue durée par rapport aux arrivants récents en raison des différences mêmes d’intérêt à l’égard de la Nouvelle-Calédonie, le Comité note, en particulier, que les seuils de durée de résidence visent, selon l’État partie, à garantir que les consultations traduiront la volonté des populations «intéressées» et que leur résultat ne pourra être altéré par un vote massif de populations récemment arrivées sur le territoire et n’y justifiant pas d’attaches solides.

14.4Concernant les 21 auteurs, le Comité constate leur exclusion pour la consultation de 1998 puisqu’ils ne répondaient pas au seuil de 10 ans de résidence continue. Le Comité note également la non-participation d’un auteur au scrutin futur en raison du seuil de 20 ans de résidence continue tandis que les 20 autres auteurs ont, en l’état, le droit de voter à cette consultation − 18 auteurs au regard du critère de résidence et 2 autres de par leur naissance en Nouvelle‑Calédonie, leur appartenance ethnique et leur ascendance nationale n’ayant donc, en l’espèce, aucune incidence.

14.5Le Comité considère, tout d’abord, que les seuils retenus n’ont pas un caractère disproportionné au regard de la nature et de l’objet des consultations concernées sur la situation des auteurs, étant en particulier manifeste que leur non‑participation à la première consultation n’a pas, en l’état, de conséquence pour la quasi-totalité d’entre eux relativement à la consultation finale.

14.6Le Comité estime, en outre, que chaque seuil doit permettre d’évaluer l’intensité du lien au territoire, de sorte que soient retenus pour chaque consultation, les résidents justifiant d’une attache suffisante. Le Comité considère, qu’en l’espèce, la différence de seuil d’un scrutin à l’autre, est liée à l’enjeu même de chaque consultation, le seuil de 20 ans − et non de 10 ans pour le premier scrutin − étant justifié par l’échéance de l’autodétermination, étant par ailleurs précisé que d’autres attaches sont également prises en compte pour ce scrutin.

14.7Rappelant le caractère non discriminatoire du critère de la durée de résidence, le Comité estime, qu’en l’espèce, les seuils fixés pour les consultations de 1998 et à compter de 2014 ne sont pas excessifs dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre de la nature et de l’objet de ces scrutins, à savoir un processus d’autodétermination impliquant la participation de personnes justifiant d’attaches suffisantes au territoire dont l’avenir est en jeu. Il ressort, en effet, que ces seuils n’apparaissent pas disproportionnés vis-à-vis d’un processus de décolonisation impliquant la participation des résidents qui, au‑delà de leur appartenance ethnique ou politique, ont contribué et contribuent à l’édification de la Nouvelle-Calédonie à travers leurs attaches suffisantes à ce territoire.

15.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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