Présentée par:

Peter Michael Queenan(non représenté par un conseil)

Au nom de:

Enfants canadiens à naître

État partie:

Canada

Date de la communication:

11 novembre 2004(date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

26 juillet 2005

Objet: Avortement

Questions de procédure: actio popularis

Questions de fond: Reconnaissance de la personnalité juridique, discrimination fondée sur la naissance, égalité devant la loi, droit à la vie, traitement inhumain

Articles du Pacte: 16, 26, 6 et 7

Articles du Protocole facultatif: Premier

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatrième session

concernant la

Communication n o  1379/2005 *

Présentée par:

Peter Michael Queenan (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Enfants canadiens à naître

État partie:

Canada

Date de la communication:

11 novembre 2004(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2005,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication, datée du 11 novembre 2004, est Peter Michael Queenan, de nationalité canadienne et sud‑africaine, né en 1957 en Afrique du Sud et résidant au Canada. Il présente la communication au nom des enfants canadiens à naître et affirme que ceux‑ci sont victimes de violations par le Canada des articles 16, 26, 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci‑après le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur, en tant que citoyen canadien, soumet la communication au nom des enfants canadiens à naître, au motif que ceux‑ci sont dans l’incapacité de le faire eux‑mêmes. Selon lui, la pratique de l’avortement est ouvertement facilitée et soutenue par l’État partie. Il affirme que cette pratique découle du fait que les enfants à naître ne bénéficient d’aucune protection juridique et que l’État ne reconnaît pas leur droit à la vie.

2.2L’auteur joint le texte de l’article 223 (part. VIII) du Code criminel canadien, qui dispose qu’un enfant devient un être humain à sa naissance, et affirme qu’il est donc possible de tuer librement un enfant dès lors que celui‑ci n’est pas sorti du sein de sa mère.

2.3L’auteur soumet également des statistiques pour la période 1987‑2001, publiées par Statistique Canada sur le site officiel du Gouvernement canadien, et souligne qu’environ 100 000 vies sont supprimées chaque année dans l’État partie par des médecins.

2.4L’auteur fait observer que la question de l’avortement, tout en étant d’ordre social et moral, concerne aussi les droits de l’homme et touche à la fois la mère et l’enfant, qui devraient avoir les mêmes droits fondamentaux. Il affirme en outre qu’une opinion publique favorable ne saurait prévaloir sur les considérations relatives aux droits de l’homme et que le fait qu’il existe actuellement un consensus selon lequel l’avortement est considéré comme acceptable ne rend pas cette pratique tolérable pour autant. Il ajoute que des sondages dans l’État partie montrent que la plupart des Canadiens souhaitent que les femmes puissent choisir librement d’avorter, mais que la question des droits de l’homme dépasse l’enjeu de ces sondages et que les victimes ne font pas partie de l’échantillon de personnes interrogées.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation de l’article 16 du Pacte dans la mesure où l’État partie ne reconnaît pas les enfants à naître comme des personnes au regard de la loi, le paragraphe 1 de l’article 223 du Code criminel limitant la définition de l’être humain à l’enfant après sa naissance.

3.2L’auteur affirme que les enfants à naître sont victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte, étant donné que l’État partie ne les traite pas comme des personnes égales devant la loi et ne garantit pas leur protection juridique. Il fait observer que l’article 26 du Pacte vise par essence à empêcher toute forme de discrimination contre tout être humain, sans distinction d’aucune sorte, fondée notamment sur la «naissance ou toute autre situation», et couvre l’humanité entière, ainsi qu’il ressort de l’emploi de termes tels que «toutes les personnes», «chacun», «tous les membres de la famille humaine», «les êtres humains» et «tous les individus». L’auteur est d’avis que la seule définition des termes «humain» ou «personne» qui ne soit pas discriminatoire est celle qui inclut tous les êtres vivants appartenant à l’espèce humaine et qu’il est impossible de fixer une limite au‑delà de laquelle un embryon devient un être humain doté de droits.

3.3L’auteur affirme également que l’État partie a violé l’article 6 du Pacte en légalisant, facilitant et finançant le processus par lequel la vie d’un être humain à naître peut être supprimée. Il souligne que l’article 6 du Pacte protège le droit à la vie de la «personne humaine» et que le paragraphe 2 de l’article 223 du Code criminel, qui ne reconnaît pas l’homicide contre les enfants à naître, ne protège pas le droit à la vie de ces derniers. L’auteur renvoie en particulier au paragraphe 5 de l’article 6, qui dispose qu’une sentence de mort ne peut être exécutée contre des femmes enceintes. Il ajoute que la Convention relative aux droits de l’enfant, qui a été ratifiée par l’État partie et qui définit l’enfant comme «tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable», ne mentionne aucune limite d’âge inférieure, correspondant par exemple à la naissance. Le préambule de ladite Convention cite la Déclaration des droits de l’enfant, selon laquelle «l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance». L’auteur affirme que le Pacte ne saurait être en contradiction avec la Convention relative aux droits de l’enfant ni être plus discriminatoire à l’égard des enfants que celle‑ci.

3.4Enfin, l’auteur invoque une violation de l’article 7 du Pacte étant donné que l’État partie autorise l’avortement, qu’il définit comme une pratique cruelle et inhumaine. Il souligne que les procédures d’avortement ne sont pas réglementées par l’État.

3.5En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme que ces recours sont inefficaces, de nombreuses démarches ayant été faites au cours des 30 dernières années pour faire reconnaître les droits des enfants à naître au Canada. Il considère en outre que l’État partie a déjà eu l’occasion de se pencher sur cette question et n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour celle‑ci. Un appel tendant à garantir le droit à la vie et à une protection juridique des enfants à naître a été interjeté devant la Cour suprême et rejeté en mars 1989. Bien que des requêtes soient régulièrement présentées à l’État, aucune mesure n’a été prise pour reconnaître le droit à la vie des êtres humains encore à naître. Ces dernières années, deux propositions de loi sur la reconnaissance des droits des enfants à naître ont été soumises au Parlement, qui les a rejetées.

3.6L’auteur indique que la communication n’a été soumise à aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

3.7Dans une lettre supplémentaire datée du 22 avril 2005, l’auteur affirme que sa requête ne constitue pas une actio popularis, étant donné que les victimes sont dans l’incapacité de présenter elles‑mêmes la communication. Il estime que tout citoyen d’un État partie devrait avoir le droit de saisir le Comité pour dénoncer les violations flagrantes commises par cet État. Le fait de limiter ce droit aux personnes directement concernées, à leurs proches ou à des personnes ayant un lien étroit avec elles revient selon lui à permettre à l’État de commettre des injustices dans la mesure où rien n’empêche celui‑ci de restreindre les contacts ou les liens avec les victimes. C’est pourquoi l’auteur considère qu’il est fondé, en tant que citoyen de l’État partie, à représenter les victimes dans sa communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Le Comité note que l’auteur n’affirme pas être victime des violations alléguées du Pacte par l’État partie mais indique soumettre cette communication au nom des enfants à naître dans l’État partie en général. Il note que conformément à l’article premier du Protocole facultatif, les communications doivent émaner de «particuliers» qui affirment que «l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte» a été violé. Il considère qu’en l’absence de plaignants pouvant être identifiés individuellement, la communication de l’auteur équivaut à une actio popularis et est de ce fait irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood

Conformément à la procédure de plainte prévue par le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme est habilité à recevoir des communications émanant de particuliers qui sont victimes de violations du Pacte résultant de l’action de l’État. Cependant, même dans des circonstances impérieuses, il ne peut, conformément à ses règles de procédure, rendre un jugement déclaratoire ni recevoir des requêtes présentées au nom d’une classe générale d’individus.

Contrairement à d’autres procédures relatives aux droits de l’homme, de telles requêtes sont considérées comme des actio popularis qui ne relèvent pas du champ d’application limité du Protocole facultatif. Voir Manfred Nowak, U.N. Covenant on Civil and Political Rights: CCPR Commentary (2e édition révisée, 2005), pages 829 à 837.

Dans la requête en question, qu’il présente contre le Canada au nom des enfants canadiens à naître, l’auteur, Peter Queenan, fait état de violations du droit à la vie qu’énonce l’article 6 du Pacte résultant du financement de l’avortement par l’État, ainsi que d’autres violations. Le Comité a conclu qu’il n’est pas compétent pour examiner cette plainte car elle revêt la forme d’une action générale présentée au nom d’une classe entière d’individus. Cette règle de procédure ne préjuge d’aucune des questions d’ordre moral ou juridique que l’auteur de la requête pourrait souhaiter soulever.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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