NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1361/200514 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1361/2005

Présentée par:

X (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

13 janvier 2001 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 9 février 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

30 mars 2007

Objet: Discrimination dans l’octroi de la pension de réversion dans le cas de couples homosexuels

Questions de procédure: Absence de fondement suffisant des violations présumées

Questions de fond: Égalité devant les tribunaux et cours de justice; immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée; égalité devant la loi et droit à l’égale protection de la loi sans discrimination

Articles du Pacte: 2 (par. 1), 3, 5, 14 (par. 1), 17 et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 3

Le 30 mars 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1361/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session

concernant la

Communication n o 1361/2005**

Présentée par:

X (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

13 janvier 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1361/2005 présentée par X en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 13 janvier 2001, est de nationalité colombienne. Il affirme être victime de violations par la Colombie du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 3, des paragraphes 1 et 2 de l’article 5, du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 17 et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Colombie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 27 juillet 1993, après vingt‑deux ans de relations et sept ans de vie commune, M. Y., compagnon permanent de l’auteur, est décédé. Le 16 septembre 1994, l’auteur, qui était économiquement dépendant de son compagnon décédé, a présenté une demande de pension de réversion à la Caisse de prévoyance sociale du Congrès de la République (Fondo de Previsión Social del Congreso de la República), Division des prestations (la Caisse).

2.2Le 19 avril 1995, la Caisse a rejeté la demande de l’auteur, en faisant valoir que la loi n’autorisait pas la réversion des pensions entre personnes du même sexe.

2.3L’auteur indique que le décret réglementaire 1160 de 1989 établit: «Aux fins de la réversion des pensions, la qualité de compagnon ou de compagne permanent(e) sera reconnue à toute personne ayant vécu maritalement avec le défunt pendant l’année précédant immédiatement le décès de ce dernier ou pendant la durée requise par les régimes spéciaux», sans poser comme condition préalable à la réversion de la pension que les personnes doivent être de sexe différent. L’auteur ajoute que la loi 113 de 1985 a attribué au compagnon ou à la compagne permanent(e) le droit à la réversion de la pension à la suite du décès du travailleur ayant acquis des droits à la retraite, mettant fin à la discrimination dont faisaient l’objet en matière de prestations les personnes vivant en union de fait.

2.4L’auteur a engagé une requête en protection devant le tribunal pénal municipal 65 (Juzgado 65 Penal Municipal) de Bogota pour obtenir une réponse de la Caisse de prestations retraite du Congrès de la République. Le 14 avril 1995, le tribunal pénal municipal a rendu un jugement ordonnant la clôture du dossier de la requête en protection, parce qu’il n’y avait pas d’atteinte aux droits fondamentaux. L’auteur a fait appel de cette décision devant le tribunal pénal 50 (Juzgado 50 Penal del Circuito) du circuit de Bogota. Le 12 mai 1995, ce tribunal a ordonné que le jugement antérieur soit modifié et que le Bureau du Procureur général (Procuraduría General de la Nación) procède à une enquête sur les fautes commises par les fonctionnaires de la Caisse.

2.5Suite au refus de la Caisse de lui verser la pension, l’auteur a engagé une action en protection devant le tribunal pénal 18 du circuit de Bogota. Ce tribunal a rejeté le recours le 15 septembre 1995, considérant qu’il n’y avait pas motif à protéger les droits invoqués. L’auteur a fait appel de cette décision devant le Tribunal supérieur de Bogota qui, le 27 octobre 1995, a confirmé le jugement rendu en première instance.

2.6L’auteur indique que toutes les requêtes en protection, en Colombie, sont renvoyées à la Cour constitutionnelle pour examen éventuel, mais sa demande n’a pas été retenue pour faire l’objet d’un réexamen. Vu que, conformément au décret 2591, le Défenseur du peuple peut demander que l’affaire soit réexaminée, l’auteur a demandé au service du Défenseur du peuple de solliciter l’examen de l’affaire devant la Cour constitutionnelle. Le 26 février 1996, le service du Défenseur du peuple a répondu que, dans le silence de la loi, les homosexuels ne pouvaient prétendre exercer les droits reconnus aux hétérosexuels, comme par exemple contracter mariage ou réclamer une pension de réversion pour le compagnon survivant.

2.7L’auteur a présenté une demande au Tribunal administratif de Cundinamarca, lequel l’a rejetée le 12 juin 2000, en se fondant sur l’absence de reconnaissance dans la Constitution ou la loi des unions homosexuelles en tant que cellule constitutive de la famille. L’auteur a interjeté appel, et le Conseil d’État a statué le 19 juillet 2000, confirmant la décision du Tribunal administratif, en faisant valoir que, selon la Constitution, «la famille se constitue à partir des liens naturels ou juridiques […] existant entre un homme et une femme». Cet arrêt, qui a été notifié uniquement par un acte du 17 octobre 2000, est devenu exécutoire le 24 octobre de la même année.

2.8L’auteur considère qu’il a épuisé les recours internes. Il souligne que toutes les actions en protection en Colombie sont renvoyées à la Cour constitutionnelle pour examen éventuel mais que la sienne n’a pas été retenue pour faire l’objet d’un réexamen.

2.9L’auteur demande que la confidentialité de ses données personnelles et de celles de son partenaire soit respectée.

Teneur de la plainte

3.1En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, l’auteur affirme qu’il a fait l’objet d’une discrimination en raison de son orientation sexuelle et de son sexe. Il affirme que l’État colombien n’a pas respecté son engagement de garantir à toutes les personnes se trouvant sur son territoire des pratiques non discriminatoires.

3.2L’auteur allègue une violation de l’article 3 du Pacte parce que les droits conférés aux partenaires de sexe différent sont refusés aux partenaires du même sexe, sans aucune justification. Il affirme avoir rempli toutes les conditions requises par la loi pour obtenir le versement de la pension à laquelle il a droit, ce qui lui a été refusé sur la base d’arguments d’exclusion pour préférence sexuelle. Il observe que, si la demande de pension avait été présentée par une femme après le décès de son compagnon de sexe masculin, cette pension lui aurait été accordée, et que cette situation est par conséquent discriminatoire. L’auteur considère que refuser aux partenaires du même sexe les droits qui sont reconnus aux partenaires de sexe différent est une violation de l’article 3.

3.3L’auteur invoque également une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 5 du Pacte, parce que les mesures prises par l’État partie ne respectent pas les principes d’égalité et de non‑discrimination. Selon l’auteur, l’État partie n’a pas tenu compte des décisions dans lesquelles le Comité souligne l’interdiction de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, et la loi colombienne a été appliquée de manière restrictive, ce qui a empêché l’auteur d’obtenir la réversion de la pension de son partenaire et mis en péril ses moyens de subsistance et sa qualité de vie.

3.4Au sujet du grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14, l’auteur affirme que son droit à l’égalité devant les tribunaux n’a pas été respecté, parce que les organes judiciaires colombiens ont rejeté à plusieurs reprises sa demande au motif de son sexe. Il mentionne la réserve formulée en l’affaire par la juge Olaya Forero, de la chambre du contentieux administratif, qui a affirmé que le jugement rendu introduisait une inégalité de traitement à l’égard des homosexuels.

3.5L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 17 parce qu’il considère que l’État partie a fait une immixtion négative dans sa vie privée en disqualifiant sa préférence sexuelle afin de motiver le refus du droit fondamental à une pension qui assurerait sa subsistance. En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 17, l’auteur affirme que, dans les décisions rendues par les autorités judiciaires, sa vie privée a eu davantage de poids que les conditions posées par la loi pour obtenir une pension. Les juges ont refusé de faire droit à ses recours en protection ou en amparo au seul motif de son homosexualité.

3.6Au sujet de la violation de l’article 26, l’auteur affirme que l’État partie, par le biais de la décision de la Caisse de prestations et, ultérieurement, des multiples procédures judiciaires, a eu la possibilité d’éviter qu’il y ait discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle, mais ne l’a pas fait. L’auteur fait valoir que l’État a le devoir de redresser les situations qui désavantagent les citoyens mais que, dans son cas, c’est le contraire qui s’est produit puisque l’État a aggravé sa situation en le rendant plus vulnérable face aux difficultés d’ordre social que connaît la Colombie.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1Par une note verbale du 25 novembre 2005, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie procède à un examen détaillé des recours utilisés par l’auteur et conclut que ces recours ont été épuisés, à l’exception des recours extraordinaires en révision et en appel qu’il n’a pas utilisés au moment voulu. L’État partie affirme qu’il n’appartient pas au Comité d’examiner les appréciations des juridictions nationales sur les points de fait ou de droit, ni d’annuler les décisions judiciaires comme le ferait une juridiction d’appel. L’État partie considère que l’auteur cherche à utiliser le Comité comme une quatrième instance.

4.3En ce qui concerne les recours internes, l’État partie note que la Caisse a appliqué l’article premier de la loi 54 de 1990, qui établit que «… à toutes les fins civiles, sont considérés comme compagnon permanent ou compagne permanente l’homme et la femme qui constituent une union de fait». Il conclut que la législation colombienne n’a pas conféré d’effets civils aux unions entre personnes du même sexe. Il observe également que le Tribunal administratif de Cundinamarca a considéré que l’application systématique et concordante de la Constitution de 1991 et des autres normes pertinentes ne permettait pas à l’administration d’accéder à la demande de l’auteur. L’État partie signale qu’il existe, en matière de contentieux administratif, des recours de caractère extraordinaire comme le recours en révision et en appel, que l’auteur aurait pu former, mais qui n’ont pas été utilisés au moment opportun, avant l’expiration des délais établis par la loi.

4.4En ce qui concerne les actions en protection engagées par l’auteur, l’État partie considère que l’action engagée devant le tribunal pénal municipal 65 n’avait pas pour objet la protection du droit à la pension de réversion mais la protection d’un droit de requête. Il considère par conséquent que ce recours ne doit pas être compté parmi ceux qui ont permis à l’État d’être saisi de la violation alléguée. La deuxième action en protection avait bien pour objet de protéger certains des droits prétendument violés et elle a été rejetée, le juge ayant estimé que l’auteur n’était pas exposé à un danger imminent et qu’il disposait d’un autre moyen de défense en justice.

4.5Pour ce qui est de la question du réexamen par la Cour constitutionnelle des requêtes en protection, l’État partie confirme que celle de l’auteur a été soumise à la Cour mais n’a pas été retenue pour examen. Il confirme que l’examen réalisé par la Cour constitutionnelle n’est pas obligatoire car il ne s’agit pas d’une troisième instance dans la procédure de protection. L’État partie transmet également les observations du Défenseur du peuple, qui n’est pas intervenu pour demander que la Cour constitutionnelle examine les décisions. L’État partie renvoie à l’arrêt que la Cour constitutionnelle a rendu sur le recours en inconstitutionnalité visant l’article premier et l’alinéa a de l’article 2 de la loi 54 de 1990 «qui définit les unions de fait et le régime patrimonial entre compagnons permanents», en joignant un extrait de l’arrêt.

4.6L’État partie conclut que l’auteur a épuisé les recours internes et que, insatisfait des décisions rendues, il s’est adressé au Comité comme s’il s’agissait d’une quatrième instance. L’État partie propose de démontrer que les décisions rendues par les juridictions internes ont été conformes au droit et que les garanties judiciaires consacrées dans le Pacte ont été respectées.

4.7En ce qui concerne le fond, l’État partie a fait les observations suivantes. Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, il affirme que le Comité n’a pas compétence pour faire des observations sur la violation de cet article car celui‑ci énonce un engagement de caractère général de respecter et de garantir à tous les individus les droits reconnus dans le Pacte. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité concernant la communication no 268/1987, M. B. G. et S. P. c. Trinité ‑et ‑Tobago, et conclut que l’auteur ne peut pas invoquer une violation de cet article isolément, en l’absence de violation du paragraphe 1 de l’article 14.

4.8Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 3, l’État partie indique qu’à ses yeux cet article n’a pas la portée que prétend l’auteur, car cette disposition vise à garantir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, compte tenu des formes historiques de discrimination dont ces dernières ont fait l’objet. L’État partie mentionne l’arrêt de la Cour constitutionnelle rendu à ce sujet et fait siennes les observations de la Cour, les suivantes en particulier. Les unions de fait hétérosexuelles, dès lors qu’elles constituent une famille, sont prises en compte par la loi afin de garantir leur «protection complète» et, spécialement, de garantir que «la femme et l’homme» aient des droits et des devoirs égaux (art. 42 et 43 de la Constitution). Les facteurs d’ordre social et juridique que le législateur a pris en considération sont nombreux et vont au‑delà de la simple existence de la vie commune entre les membres du couple, d’autant plus que cette vie commune peut exister entre des partenaires et au sein de groupes sociaux très divers, composés de plusieurs membres, unis ou non par des liens sexuels ou affectifs, sans que le législateur ait pour autant l’obligation de leur reconnaître un régime patrimonial analogue à celui qu’établit la loi 54 de 1990. La définition que donne la loi de l’union de fait a pour objet d’affirmer les droits d’un groupe autrefois victime de discrimination et de le protéger, mais elle ne crée pas un privilège qui serait d’ailleurs contestable au regard de la Constitution. L’État partie mentionne aussi les considérations du Défenseur du peuple allant dans le même sens et conclut à l’absence de violation de l’article 3 du Pacte.

4.9Pour ce qui est du grief de violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 5, l’État partie affirme qu’il n’est pas clairement étayé, étant donné que l’auteur n’a pas précisé de quelle manière a été conféré à un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans le Pacte.

4.10L’État partie réaffirme l’avis exprimé par le juge constitutionnel, à savoir que les normes applicables à ce régime ont pour seul but de protéger les unions hétérosexuelles sans porter préjudice aux autres ni s’exercer à leur détriment ou les affaiblir, puisque les normes régissant l’union libre n’ont nullement pour objet de léser les homosexuels. En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 5, l’État partie signale qu’aucune loi de la République ne limite ou ne met en question les droits reconnus dans le Pacte. Au contraire, il existe des dispositions qui, comme la loi 54 de 1990, étendent aux compagnons permanents vivant en union de fait des droits aux prestations sociales et des droits patrimoniaux, ce qui n’est pas prévu à l’article 23 du Pacte, qui énonce les droits du couple uni par le mariage.

4.11Quant à la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie indique que les ordonnances judiciaires prises au cours d’une procédure ou d’une action en protection produisent leurs effets seulement inter partes. Il considère que ces griefs ne sont pas fondés étant donné que toutes les décisions judiciaires qui ont été prises à la suite des procédures engagées par l’auteur montrent qu’il y a eu égalité non seulement devant la loi mais aussi devant les organes judiciaires. L’auteur a eu, sans aucune restriction, la possibilité de s’adresser à la justice et d’employer tous les mécanismes à sa disposition pour demander la protection des droits qu’il estimait violés. Les violations alléguées ne sont pas dues à un caprice du magistrat chargé de juger mais sont le produit de l’exercice scrupuleux de ses fonctions juridictionnelles, dans le respect de la loi qui régit la sécurité sociale, avec un devoir de protection à l’égard de la famille au sens de celle que forme un couple hétérosexuel, telle que la conçoit le Pacte lui‑même en son article 23.

4.12Au sujet de la violation alléguée de l’article 17, l’État partie affirme que l’auteur n’explique pas les raisons pour lesquelles il estime que cet article a été violé et n’apporte aucune preuve montrant qu’il a été victime d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée. Par conséquent, l’État partie considère que l’auteur n’a pas motivé cette partie de la communication.

4.13Au sujet du grief de violation de l’article 26, l’État partie indique qu’il a déjà présenté ses arguments dans son analyse des allégations relatives aux articles 3 et 14, étant entendu qu’il s’agit des mêmes présupposés de fait et de droit. L’État partie conclut qu’il ne s’est produit aucune violation du Pacte et demande que la communication soit déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.14L’État partie n’est pas opposé à la demande de l’auteur qui ne souhaite pas la divulgation de son identité et de celle de son compagnon décédé, bien qu’il ne partage pas l’avis de l’auteur sur la nécessité de cette confidentialité.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans ses commentaires du 26 janvier 2006, l’auteur indique qu’il ressort de la réponse de l’État partie que la législation colombienne ne reconnaît pas à la personne qui a partagé la vie d’une autre personne du même sexe le droit aux prestations sociales. Il renvoie aux décisions du Tribunal administratif et du Conseil d’État. Au sujet de l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur aurait dû présenter les recours en révision et en appel, l’auteur objecte que ces recours sont formés devant le Conseil d’État, lequel avait déjà examiné la question et conclu de manière claire et nette qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à la demande conformément à la législation colombienne. Néanmoins, les recours juridictionnels relatifs aux droits fondamentaux ou aux droits de l’homme ont été épuisés également au moyen du mécanisme de l’action en protection. L’auteur observe que le service du Défenseur du peuple a refusé de demander à la Cour constitutionnelle de réexaminer le recours en protection car il le considérait irrecevable. L’auteur affirme qu’il ressort de la réponse de l’État partie qu’il n’existe aucune possibilité de protection en l’espèce dans le cadre de la Constitution, de la loi, de la réglementation ou de la procédure colombiennes.

5.2L’auteur indique que l’article 93 de la Constitution reconnaît que les principes et décisions émanant des organismes internationaux de défense des droits de l’homme constituent des critères d’interprétation contraignants pour le juge constitutionnel. Il affirme qu’en vertu de ce principe, l’État partie aurait dû prendre en compte en particulier les constatations que le Comité des droits de l’homme, en sa qualité d’organe international de ce type, a adoptées concernant les communications nos 488/1992, Toonen c. Australie, et 941/2000, Young c. Australie.

5.3L’auteur conclut qu’il a épuisé les recours internes et qu’il n’existe pas dans la législation colombienne de recours pour protéger les droits des couples homosexuels et mettre un terme à la violation de leurs droits fondamentaux.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Le Comité relève que l’État partie considère que l’auteur a épuisé les recours internes.

6.2En ce qui concerne les allégations formulées au titre de l’article 3, le Comité prend note des arguments de l’auteur, qui fait valoir qu’un couple du même sexe se voit refuser les droits accordés aux couples de sexe différent et que, si la demande de pension avait été présentée par une femme après le décès de son compagnon de sexe masculin, cette pension lui aurait été accordée, ce qui crée une situation discriminatoire. Néanmoins, le Comité observe que l’auteur ne fait pas valoir l’existence d’une discrimination dans le cas du traitement accordé aux femmes homosexuelles dans des situations analogues à la sienne. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 5 du Pacte, le Comité considère qu’aucun droit individuel spécifique ne peut être tiré de cette disposition. Par conséquent, ce grief est incompatible avec le Pacte et irrecevable en vertu des dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne la plainte se rapportant à l’article 14, le Comité considère qu’elle n’a pas été suffisamment étayée aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif, et qu’elle doit par conséquent être déclarée irrecevable en vertu des dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que le reste de la communication de l’auteur soulève des questions pertinentes au regard du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 17 et de l’article 26 du Pacte, la déclare recevable et procède à son examen au fond.

Examen de la communication au fond

7.1L’auteur affirme que le fait que les tribunaux colombiens refusent de lui accorder une pension pour des motifs fondés sur son orientation sexuelle viole les droits qui lui sont reconnus à l’article 26 du Pacte. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que les divers facteurs d’ordre social et juridique sont pris en compte par le législateur, et pas simplement la communauté de vie entre les membres du couple, et que le législateur n’est pas tenu de reconnaître un régime patrimonial analogue à celui établi par la loi 54 de 1990 à tous les couples et tous les groupes sociaux divers qui existent, unis ou non par des liens sexuels ou affectifs. Il prend note également de l’affirmation de l’État partie faisant valoir que les normes applicables à ce régime ont pour seule fin de protéger les unions hétérosexuelles sans porter préjudice aux autres et sans que ces dernières subissent un préjudice ou une atteinte quelconque.

7.2Le Comité constate que l’auteur n’a pas été reconnu comme le compagnon permanent de M. Y. pour ce qui est de recevoir les prestations de pension au motif que, dans leurs décisions fondées sur la loi 54 de 1990, les tribunaux ont estimé que seules les personnes engagées dans une union maritale de fait hétérosexuelle avaient le droit de recevoir les prestations de pension. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’interdiction de la discrimination énoncée à l’article 26 du Pacte concerne également la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Il rappelle également que, dans des décisions antérieures, il a conclu que les différences entre les prestations versées aux couples mariés et celles versées aux couples non mariés, hétérosexuels, étaient raisonnables et objectives dans la mesure où ces derniers pouvaient choisir de se marier ou non, avec toutes les conséquences que cela supposait. Le Comité note également que, alors que l’auteur n’avait pas la possibilité de contracter mariage avec son compagnon permanent du même sexe, la loi en question n’établit pas de distinction entre couples mariés et non mariés, mais entre couples homosexuels et hétérosexuels. Il relève que l’État partie n’avance aucun argument convaincant pour démontrer que cette distinction entre compagnons du même sexe, qui n’ont pas le droit de recevoir des prestations de pension, et compagnons hétérosexuels non mariés, qui peuvent bénéficier de ces prestations, est raisonnable et objective. De même, l’État partie n’avance aucun élément démontrant l’existence de facteurs susceptibles de justifier cette distinction. Dans ces conditions, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation de l’article 26 du Pacte en refusant à l’auteur le droit à la pension de son compagnon permanent pour des motifs fondés sur son orientation sexuelle.

7.3Au vu de ces conclusions, le Comité estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 17 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Colombie de l’article 26 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur, en tant que victime d’une violation de l’article 26, a droit à un recours utile, et notamment au réexamen de sa demande de pension sans discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. L’État partie est tenu de prendre des mesures afin que des violations analogues du Pacte ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Annexe

OPINION INDIVIDUELLE DISSIDENTE DE M. ABDELFATTAH AMOR ET DE M. AHMED TAWFIK KHALIL

L’auteur, X, a perdu son compagnon − de même sexe que lui − après vingt-deux ans de relations et sept ans de vie commune. Il estime avoir droit − tout comme les survivants de couples hétérosexuels mariés ou de fait − à une pension de réversion, ce que la législation de l’État partie ne consacre pas.

Le Comité a fait droit à la prétention de l’auteur qu’il a considéré comme victime d’une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte, discrimination pour des motifs fondés sur le sexe ou l’orientation sexuelle, en ce sens que l’État partie n’a pas expliqué «en quoi la différence de traitement entre les partenaires homosexuels et les partenaires hétérosexuels non mariés, est raisonnable et objective», tout comme il n’a avancé «aucun élément tendant à prouver l’existence de facteurs justifiant cette distinction».

Aux termes de cette conclusion du Comité, il n’y aurait pas de distinction ou de différenciation entre d’une part les couples de même sexe et d’autre part les couples de sexe différent non mariés, relativement à la question des pensions de réversion. Le contraire, à moins que l’État fournisse des explications et des preuves justificatives, constituerait une violation de l’article 26 consistant en une discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. On ne s’étonnera pas, dès lors, de voir le Comité appeler l’État partie, notamment, à réexaminer la demande de pension de l’auteur «sans discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle». L’État partie est, en outre, tenu − selon la formule consacrée − «de prendre des mesures afin que des violations analogues du Pacte, ne se reproduisent pas».

La décision du Comité reprend, en fait, la solution retenue, en 2003, dans l’affaire Young c. Australie (communication no 941/2000). Elle s’inscrit, manifestement, dans une perspective d’établissement et de consolidation d’une jurisprudence constante en la matière, obligeant l’ensemble des États parties au Pacte.

Nous ne pouvons souscrire ni à la démarche, ni à la conclusion du Comité, et ce, pour plusieurs raisons juridiques.

On soulignera, d’abord, que l’article 26 du Pacte n’envisage pas, explicitement, la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Ce type de discrimination ne pourrait être, éventuellement, envisagé qu’au titre de la notion de «toute autre situation» figurant à l’article 26 in fine. C’est dire que les questions d’orientation sexuelle ne peuvent être traitées en vertu du Pacte qu’au titre de l’interprétation. Il est, évidemment, entendu que l’interprétation dans la limite du raisonnable et dans la mesure où elle ne dénature pas le texte ou lui impute l’expression d’une volonté qui n’est pas celle de ses auteurs, est imputable au texte lui-même. Il est à craindre, comme on le verra plus loin, que le Comité ne soit allé au-delà de la simple interprétation.

On notera, ensuite, toujours au titre des observations préliminaires, que l’interprétation, même si elle peut être sous-tendue par des expériences juridiques nationales, ne peut faire abstraction de l’état du droit international positif qui ne reconnaît pas un droit de l’homme à l’orientation sexuelle. C’est dire que le rôle «créateur» et «normatif» du Comité devrait trouver ses limites dans cette réalité juridique.

Ce qui reste essentiel, par ailleurs, est que l’interprétation à laquelle l’article 26 peut être soumis, concerne la non-discrimination et non l’émergence de nouveaux droits dont l’implication par le Pacte est loin d’être évidente pour ne pas dire exclue compte tenu du contexte dans lequel ce dernier a vu le jour.

Dans son effort d’interprétation de la notion de non-discrimination, le Comité a toujours fait preuve d’une grande rigueur. C’est ainsi qu’il a considéré que «toute différence de traitement fondée sur des motifs énumérés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas une discrimination pour autant qu’elle soit fondée sur des motifs raisonnables et objectifs» (G. J. Jongenburger ‑Veermanec. Pays-Bas, communication no 1238/2004). Dans l’affaire Michael O’Neil et John Quinn c. Irlande (communication no 1314/2004), le Comité, reprenant encore une fois sa jurisprudence constante (voir communication no 218/1986, Vos c. Pays-Bas; communication no 425/1990, A. M. M. Doesburg Lannooij Neefs c. Pays-Bas; communication no 651/1995, J. Snijders c. Pays ‑Bas; communication no 1164/2003 Abal-Castell-Ruiz c. Espagne) rappelle qu’«une distinction ne constitue pas systématiquement une discrimination en violation de l’article 26, mais que des distinctions doivent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs dans la poursuite d’un but légitime au regard du Pacte» .

Le caractère raisonnable et objectif des motifs de distinction ou de différenciation, autant que la légitimité du but au regard du Pacte, est souvent d’appréciation difficile, étant par ailleurs entendu que les difficultés sont de degrés variables. Dans ce domaine, la subjectivité guette l’interprète surtout quand il s’enferme, consciemment ou non, dans des méthodes téléologiques. Les enjeux peuvent se situer, alors, en marge du Pacte et parfois même à ses dépens. L’espace juridique peut, en conséquence, céder la place à d’autres catégories d’espace dont la légitimité se situerait dans des domaines autres que juridiques ou tout au plus aux confins des espaces juridiques. C’est dire que l’établissement de similitudes, d’analogies ou d’équivalences entre la situation des couples hétérosexuels mariés ou de fait et des couples homosexuels peut, par ailleurs, forcer tant l’observation des faits que leur interprétation et ne peut servir donc à des constructions juridiques raisonnables et objectives.

L’interprétation des dispositions du Pacte ne peut faire abstraction des unes ou des autres surtout lorsque les dispositions ont un rapport de connexion qu’on ne peut raisonnablement taire et encore moins évacuer. C’est dire que la question de «la discrimination au titre du sexe ou de l’orientation sexuelle» ne peut être évoquée au regard de l’article 26 dans une perspective de prestations positives, abstraction faite de l’article 23 du Pacte qui considère que «la famille est l’élément naturel et fondamental de la société» et que «le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile». Cela veut dire qu’un couple de même sexe ne constitue pas une famille au sens du Pacte et ne peut pas prétendre à des prestations positives fondées sur la notion de famille, laquelle est constituée de personnes de sexes différents.

Quelles explications supplémentaires l’État doit-il fournir? Quels autres éléments de preuve justificatifs doit-il avancer pour montrer le caractère raisonnable et objectif d’une différenciation entre un couple de personnes de même sexe et un couple de personnes de sexe différent? Cette logique dans laquelle le Comité a inscrit son raisonnement est, en l’espèce, fort discutable. Elle part de l’a priori selon lequel les couples, indépendamment des sexes qui les composent, sont identiques et ont droit à la même protection s’agissant des prestations positives. La conséquence qui en découle est qu’il incombe à l’État, et non à l’auteur, d’expliquer, de justifier, d’avancer les éléments de preuve comme s’il s’agissait d’une règle établie et indiscutée, ce qui est loin d’être le cas. Nous pensons qu’en l’espèce, et relativement à des prestations positives, la régularité des situations générales est présumée, à moins d’appréciation arbitraire ou de qualification manifestement erronée, et que celle des situations qui y dérogent doit être démontrée par ceux qui les invoquent.

D’un autre côté, et s’agissant toujours des interprétations des dispositions du Pacte les unes par rapport aux autres, on soulignera que l’article 3 du Pacte relatif à l’égalité entre les hommes et les femmes se conjugue dans son interprétation avec l’article 26 du Pacte, mais ne peut être transposé à l’égalité entre couples hétérosexuels et couples homosexuels.

Par contre, l’article 17 qui interdit l’immixtion dans la vie privée est certainement violé en cas de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Le Comité a, à juste titre et à plusieurs reprises, tant au niveau de ses observations finales sur les rapports des États qu’au niveau de ses constatations sur les communications individuelles, considéré que la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée, n’autorise pas les poursuites ou les sanctions quand il y a des rapports homosexuels entre adultes consentants. L’article 26, en connexion avec l’article 17, joue ici pleinement parce que précisément il s’agit ici de lutter contre les discriminations et non de créer de nouveaux droits . L’article 26 ne peut pas, par contre, normalement, produire effet lorsqu’il s’agit de prestations positives telles que le droit à une pension de réversion au profit d’une personne ayant perdu son compagnon de même sexe. La situation d’un couple homosexuel en matière de pension de réversion, à moins de percevoir le problème sous l’angle des cultures – et les cultures sont diverses et sur certaines questions de sociétés opposées – , n’est ni identique ni similaire à celle d’un couple hétérosexuel.

Au total, la flexibilité du droit est une grande source de richesses, mais peut conduire parfois à des excès qui vident la norme de sa substance pour lui donner un contenu autre que le sien, autre que celui voulu par son auteur ou que celui que déterminent sa lettre et son esprit. Les choix, en matière d’interprétation, ne peuvent être retenus que dans le cadre et les limites de la règle interprétée. Il demeure, évidemment, entendu que les États sont en droit et en mesure de déterminer de nouveaux droits au profit des personnes relevant de leur juridiction. Il n’appartient pas au Comité, dans ce domaine, de se substituer aux États et d’opérer des choix qu’il ne lui appartient pas d’opérer.

(Signé) Abdelfattah Amor(Signé) Ahmed Tawfik Khalil

[Fait en anglais, en français (version originale) et en espagnol. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

-----