Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/CO/82/ALB2 décembre 2004

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑deuxième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

ALBANIE

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport initial de l’Albanie (CCPR/C/ALB/2004/1) à ses 2228e, 2229e et 2230e séances (CCPR/C/SR.2228 à 2230), les 19 et 20 octobre 2004, et a adopté à sa 2245e séance (CCPR/C/SR.2245), le 1er novembre 2004, les observations finales ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite du rapport initial présenté par l’Albanie tout en regrettant qu’il ait été soumis avec 11 années de retard. Il prend acte avec satisfaction du dialogue avec la délégation de l’État partie. Le Comité se félicite en outre des réponses détaillées apportées par écrit aux questions posées dans la liste des points à traiter qui ont facilité la discussion avec la délégation. Le Comité se félicite aussi des réponses orales de la délégation aux questions posées et aux préoccupations exprimées pendant l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite des progrès accomplis dans le processus de réforme législative et institutionnelle après le changement de régime au début des années 90, notamment du rétablissement de la liberté de conscience et de croyance, ainsi que de l’adoption d’une Constitution démocratique en 1998 qui renforce la protection des droits de l’homme. Il prend en particulier acte avec satisfaction de la ratification par l’Albanie de la plupart des principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme.

4.Le Comité note avec satisfaction que les dispositions de la Convention sont directement applicables dans l’ordre juridique interne et qu’elles ont déjà été invoquées devant les tribunaux.

5.Le Comité se félicite des mesures prises pour améliorer la protection et la promotion des droits de l’homme, à savoir:

a)L’établissement d’un «Conseil d’État des minorités»;

b)L’élaboration d’une «Stratégie nationale pour l’amélioration des conditions de vie des Roms»; et

c)La mise en place d’un «Comité pour l’égalité des chances».

6.Le Comité se félicite de l’adoption d’une nouvelle législation utile dans l’optique de la protection et de la mise en œuvre des droits de l’homme, et notamment du Code pénal, du Code de procédure pénale et du récent Code de la famille.

7.Le Comité rend hommage à l’État partie pour avoir aboli la peine de mort en 2000 et l’encourage à ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.Le Comité prend note avec satisfaction de la nomination de l’Avocat du peuple, institution indépendante pour la défense des droits de l’homme et des libertés individuelles, mais souhaiterait que les futurs rapports de l’État partie fournissent davantage d’informations sur ses activités.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

9.Le Comité note avec préoccupation l’interprétation par l’État partie des dérogations possibles au paragraphe 4 de l’article 9 et au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte en cas d’état d’urgence (art. 4).

Eu égard à l’Observation générale n o  29 du Comité, l’État partie devrait faire en sorte, afin de protéger les droits non susceptibles de dérogation, que le droit de saisir un tribunal pour qu’il se prononce sans délai sur la légalité d’une mesure de détention ainsi que le droit de toute personne privée de sa liberté d’être traitée avec humanité et avec le respect inhérent à sa dignité en tant qu’être humain ne soient pas restreints par une dérogation aux dispositions du Pacte pendant un état d’urgence.

10.Le Comité note avec préoccupation que les femmes continuent d’être victimes d’une discrimination dans le cadre du droit coutumier et des codes traditionnels (Kanoun), ainsi que des informations faisant état de cas fréquents de violence au foyer; il regrette l’absence d’informations détaillées sur la nature et l’étendue de ces problèmes (art. 2, 3 et 26).

L’État partie devrait adopter et mettre en œuvre les politiques voulues pour empêcher l’application d’un droit coutumier discriminatoire, renforcer son action contre la violence domestique et venir en aide aux victimes. Il recommande en particulier à l’État partie de créer des cellules de crise avec permanence téléphonique et des centres de soutien aux victimes dotés de moyens d’assistance médicale, psychologique et juridique, notamment des refuges pour femmes et enfants battus. Afin de sensibiliser le public, il devrait diffuser dans les médias des informations sur ces questions.

11.Le Comité est préoccupé par l’explication donnée au paragraphe 196 du rapport. Il considère préoccupants la faible participation des femmes aux affaires publiques et le fait qu’elles continuent d’être largement sous‑représentées dans la vie politique et économique de l’État partie, en particulier aux postes de rang élevé de la fonction publique (art. 2, 3 et 26).

L’État partie devrait prendre immédiatement des mesures pour amener l’opinion publique à comprendre que les femmes ont les qualités voulues pour exercer des fonctions publiques et envisager d’adopter une politique d’action palliative. Il devrait en outre prendre les mesures requises pour assurer la participation effective des femmes à la vie politique, aux affaires publiques et dans d’autres secteurs de la société.

12.Tout en se félicitant des progrès accomplis par l’État partie dans ses efforts pour mettre un terme aux querelles meurtrières entre familles et à des situations où les victimes potentielles, y compris des enfants, ne peuvent plus sortir de chez elles, le Comité est préoccupé par ces phénomènes et par l’absence d’informations détaillées à propos des infractions liées au droit coutumier et aux codes traditionnels (art. 6 et 7).

L’État partie devrait prendre des mesures vigoureuses pour en finir avec les crimes commis sous le couvert du droit coutumier et des codes traditionnels. Il devrait enquêter sur ces crimes et poursuivre et punir tous les auteurs.

13.Le Comité est préoccupé par les allégations d’arrestation et de détention arbitraires, le recours excessif à la force par les services de répression, les mauvais traitements subis par les personnes en garde à vue et le recours à la torture pour arracher des aveux aux suspects. Il regrette que les actes de torture commis par des agents de la force publique soient seulement considérés comme des «actes arbitraires» et traités en conséquence. Il note également avec préoccupation que, bien que plusieurs enquêtes aient été effectuées et que des sanctions aient été infligées à des auteurs de mauvais traitements, dans de nombreux cas, il n’y a pas eu d’enquête en bonne et due forme et les victimes n’ont pas été indemnisées (art. 7).

L’État partie devrait prendre des mesures vigoureuses pour éliminer toutes les formes de mauvais traitements imputés à des agents de la force publique et assurer des enquêtes rapides, approfondies, indépendantes et impartiales sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements. Il devrait poursuivre les auteurs, veiller à ce que les sanctions qui leur sont infligées soient à la mesure de la gravité des crimes commis et assurer aux victimes des recours efficaces et une indemnisation.

14.Le Comité est préoccupé par le taux élevé de mortalité infantile et d’avortement et par l’absence apparente de services de planification familiale et de soins sociaux dans certaines parties du pays (art. 6, 24 et 26).

L’État partie devrait prendre des mesures pour que l’avortement ne soit pas utilisé comme moyen de planification de la famille et faire le nécessaire pour réduire la mortalité infantile.

15.Tout en reconnaissant que le rôle de l’Albanie en tant que pays de transit pour la traite des êtres humains est moins grand et en se félicitant des mesures juridiques et pratiques prises par l’État partie pour combattre la traite des femmes et des enfants qui trouve son origine dans ce pays, le Comité demeure préoccupé par ce phénomène, par des informations selon lesquelles la police et des fonctionnaires de l’État y seraient impliqués et par l’absence de mécanismes efficaces de protection des témoins et des victimes (art. 8, 24 et 26).

L’État partie devrait continuer à renforcer la coopération internationale et à adopter des mesures pratiques pour combattre la traite des êtres humains, poursuivre et punir ceux qui s’y livrent et lutter contre la corruption connexe. Une protection devrait être fournie à tous les témoins et victimes de la traite en leur assurant un refuge pour qu’ils puissent témoigner contre ceux qui sont responsables de ce phénomène.

16.Le Comité est préoccupé par les conditions de détention inhumaines, par exemple pendant la garde à vue, par le nombre de personnes en détention provisoire et leurs conditions de détention, par les conditions de détention des mineurs et des femmes ainsi que par l’absence de mesures d’indemnisation en cas d’arrestation ou de détention illégales (art. 9 et 10).

L’État partie est prié instamment d’améliorer les conditions de détention aussi bien des personnes détenues avant jugement que des personnes condamnées. Les personnes en détention provisoire devraient être séparées des prisonniers condamnés. L’État partie devrait également prendre les mesures requises pour que les victimes d’arrestation ou de détention illégales puissent demander réparation. Il est rappelé à l’État partie qu’en vertu du paragraphe  3 de l’article 9 du Pacte la détention des suspects avant leur jugement ne doit pas être de règle. L’État partie devrait mettre en place un système efficace de libération sous caution.

17.Tout en notant les progrès accomplis dans l’établissement de centres d’enregistrement, le Comité est préoccupé par le nombre encore important d’Albanais qui ont migré vers d’autres régions du pays ces dernières années mais qui ne sont pas enregistrés à leur nouveau domicile, et qui rencontrent de ce fait des problèmes d’accès aux services de protection sociale, à l’enseignement et à d’autres services (art. 12 et 16).

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour faire en sorte que tous ses citoyens soient enregistrés et faciliter ainsi leur plein accès aux services sociaux.

18.Le Comité a pris note des efforts déployés par l’Albanie pour renforcer l’indépendance et l’efficacité de son pouvoir judiciaire. Il demeure toutefois préoccupé par des cas présumés de pressions exercées par le pouvoir exécutif sur l’appareil judiciaire et par des problèmes persistants de corruption, par l’absence de possibilités d’accès à un conseil et à une aide juridictionnelle et par des retards excessifs dans le déroulement des procès (art. 14).

L’État partie devrait garantir l’indépendance du judiciaire, prendre des mesures pour en finir avec toutes les formes d’atteinte à cette indépendance, assurer des enquêtes rapides, approfondies, indépendantes et impartiales sur les allégations d’ingérence, et poursuivre et punir les responsables. Il devrait mettre en place des mécanismes pour améliorer les capacités et l’efficacité du système judiciaire afin d’assurer à tous l’accès sans discrimination à la justice et faire en sorte que les détenus qui n’ont pas encore fait l’objet d’une condamnation soient traduits en justice dans les meilleurs délais.

19.Le Comité est préoccupé par des cas de harcèlement et de violence physique sur la personne de journalistes ainsi que par les menaces d’action en diffamation dont ils font l’objet et par le fait que l’État partie n’a fourni aucune information à ce propos (art. 19).

L’État partie devrait garantir et protéger pleinement le droit à la liberté d’opinion et d’expression des journalistes et des représentants des médias, ainsi que mettre en place des mécanismes juridiques et prendre des mesures concrètes à cet effet; il devrait aussi engager des poursuites contre ceux qui entravent l’exercice de ce droit et les punir.

20.Tout en prenant acte des mesures prises par l’État partie, le Comité demeure préoccupé par la maltraitance, l’exploitation et la traite des enfants et notamment par le travail des enfants, ainsi que par l’absence d’informations à ce propos dans le pays (art. 23 et 24).

L’État partie devrait renforcer les mesures destinées à combattre la maltraitance et l’exploitation des enfants et lancer des campagnes de sensibilisation du public aux droits des enfants.

21.Tout en notant les mesures prises pour améliorer les conditions de vie de la communauté rom, le Comité constate avec préoccupation que cette communauté continue d’être en butte aux préjugés et à la discrimination, en particulier en matière d’accès aux services de santé, à l’assistance sociale, à l’enseignement et à l’emploi, situation qui l’empêche de jouir pleinement des droits qui lui sont reconnus dans le Pacte (art. 2, 26 et 27).

L’État partie devrait prendre toutes les dispositions requises pour assurer l’exercice effectif par les Roms des droits qui leur sont reconnus dans le Pacte, en prenant d’urgence des mesures efficaces et en renforçant celles qui ont déjà été prises pour faire face à la discrimination et à la grave situation sociale que vivent les Roms.

22.Tout en prenant acte de l’adoption de mesures institutionnelles pour promouvoir les droits des minorités, le Comité demeure préoccupé par le fait que l’exercice effectif des droits que garantit le Pacte par les membres des minorités ethniques et linguistiques est mis en danger par divers facteurs et pratiques discriminatoires (art. 2, 26 et 27).

L’État partie est prié instamment de faire en sorte que tous les membres des minorités ethniques et linguistiques reconnues ou non reconnues en tant que minorités nationales soient efficacement protégés contre la discrimination, et qu’ils puissent jouir de leur propre culture, utiliser leur propre langue, exercer tous les droits sociaux, participer aux affaires publiques et disposer de moyens de recours efficaces contre la discrimination.

23.Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur ses directives concernant l’élaboration des rapports (CCPR/C/66/GUI/Rev.1). Le deuxième rapport périodique devrait être établi conformément à ces directives, une attention particulière devant être accordée à la mise en œuvre effective des droits consacrés par le Pacte. Il devrait également indiquer les mesures prises pour donner effet aux présentes observations finales.

24.L’État partie devrait diffuser largement la version albanaise de son rapport initial ainsi que les présentes observations finales.

25.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait fournir, dans les 12 mois, les informations requises sur l’évaluation de la situation et l’application des recommandations formulées par le Comité aux paragraphes 11, 13 et 16 ci‑dessus. Le Comité demande à l’État partie de fournir dans son prochain rapport, qui doit être présenté le 1er novembre 2008 au plus tard, des renseignements sur les autres recommandations formulées et sur l’application du Pacte dans son ensemble.

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