Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/CO/80/SUR4 mai 2004

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingtième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

SURINAME

1.Le Comité a examiné la situation des droits civils et politiques au Suriname à ses 2054e et 2055e séances (CCPR/C/SR.2054 et 2055), les 22 et 23 octobre 2002, en l’absence de rapport, mais en présence de la délégation du Suriname. À sa 2066e séance (CCPR/C/SR.2066), le 31 octobre 2002, il a adopté ses observations finales provisoires conformément au paragraphe 1 de l’article 69A de son règlement intérieur. Dans celles‑ci, il invitait l’État partie à lui présenter son deuxième rapport périodique dans un délai de six mois. L’État partie lui a soumis son rapport dans le délai prescrit et le Comité l’a examiné à ses 2173e et 2174e séances (CCPR/C/SR.2173 et 2174), les 17 et 18 mars 2004. À sa 2189e séance (CCPR/C/SR.2189), tenue le 30 mars 2004, il a adopté les observations finales suivantes.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique présenté par l’État partie, qui contient des renseignements détaillés sur la législation du Suriname dans le domaine des droits civils et politiques, et se félicite de pouvoir ainsi reprendre son examen de la situation des droits de l’homme dans ce pays. Il regrette qu’il se soit écoulé aussi longtemps avant que le rapport, attendu en 1985, ne lui soit soumis et que les renseignements concernant la situation concrète soient rares, ce qui fait qu’il lui est difficile de déterminer si la population de l’État partie exerce pleinement et effectivement les droits garantis par le Pacte.

3.Le Comité se félicite que l’État partie se montre disposé à coopérer et à reprendre avec lui le dialogue sur l’application du Pacte au Suriname, ainsi qu’en témoigne la présence d’une délégation à sa soixante‑seizième session en octobre 2002 et à sa présente session. Il relève avec satisfaction qu’elle s’est efforcée de répondre à ses questions. Il regrette qu’elle n’ait pas été en mesure de lui fournir des renseignements complets sur la situation actuelle des droits civils et politiques ou de répondre précisément à certaines des questions qui ont été posées par ses membres.

B. Aspects positifs

4.Le Comité se félicite des réformes de la législation menées depuis l’examen du rapport initial en 1980, en particulier en ce qui concerne la mise en place d’institutions démocratiques et la reconnaissance dans la Constitution de 1987 des droits et libertés fondamentaux de l’homme.

5.Le Comité se félicite que le Pacte l’emporte sur la législation nationale et que ses dispositions puissent être invoquées directement devant les tribunaux du Suriname.

6.Le Comité accueille avec satisfaction l’information donnée par la délégation, selon laquelle une formation dans le domaine des droits de l’homme est dispensée à la police, au corps judiciaire, aux enseignants et aux étudiants, et il recommande que cette formation soit étendue à d’autres secteurs de la population.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

7.Le Comité est préoccupé par l’impunité dont continuent de bénéficier les responsables des violations des droits de l’homme qui ont été commises sous le régime militaire et en particulier par le fait que les enquêtes sur les meurtres de décembre 1982 et le massacre de Moiwana de 1986 ne progressent pas et n’ont encore produit aucun résultat concret. Il est inquiétant, compte tenu en particulier du temps qui s’est écoulé depuis les événements, que ces affaires n’aient pas encore pu être élucidées, ainsi que l’a dit la délégation. Le Comité estime que cette situation traduit l’absence de recours utiles pour les victimes de violations des droits de l’homme, ce qui est incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

L’État partie devrait s’attacher en priorité à traduire en justice les auteurs de violations des droits de l’homme, y compris lorsqu’elles sont commises par des membres des forces de police et des forces armées. Les auteurs de tels actes doivent être jugés et, s’ils sont reconnus coupables, punis, indépendamment de leur grade ou de leur statut politique. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que de tels actes ne se reproduisent. Les victimes et leurs proches devraient recevoir une réparation adéquate.

8.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni de renseignements détaillés sur la suite donnée à ses constatations concernant les communications nos 146/1983 et 148 à 154/1983 (Baboeram et consorts c. Suriname).

L’État partie est instamment prié de donner effet aux constatations du Comité concernant les communications n os  146/1983 et 148 à 154/1983. Il devrait envisager d’adopter des procédures appropriées afin de donner effet aux constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif.

9.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas communiqué les renseignements demandés concernant l’application de l’article 4 du Pacte et n’ait pas précisé si la législation nationale spécifiait les conditions dans lesquelles l’article 23 de la Constitution pouvait être invoqué. Il ignore tout des facteurs considérés comme étant «une menace mettant en péril la nation» qui justifient qu’il soit dérogé à certains droits, ou des facteurs justifiant des dérogations permanentes.

L’État partie devrait veiller à ce que l’article 23 de la Constitution soit appliqué conformément à l’article 4 du Pacte. Les mises en détention pendant l’état d’urgence devraient être rigoureusement limitées.

10.Le Comité note que, bien qu’aucune exécution judiciaire n’ait eu lieu depuis près de 80 ans dans l’État partie, la peine de mort reste théoriquement applicable pour le meurtre avec circonstances aggravantes, l’assassinat et la trahison.

Le Comité encourage l’État partie à abolir la peine de mort et à adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

11.Le Comité note que l’État partie prend des mesures pour enquêter sur les cas de mauvais traitements, notamment les passages à tabac et les violences sexuelles, infligés par des membres de la police à des détenus, en particulier au début de la période de détention, et pour punir les responsables, mais reste préoccupé par le fait que de tels incidents continuent d’être signalés (art. 7 et 10 du Pacte).

Les allégations de mauvais traitements infligés à des détenus devraient faire l’objet d’une enquête menée par un mécanisme indépendant et les responsables devraient être poursuivis et dûment punis. Les victimes de ces mauvais traitements devraient obtenir une réparation intégrale, notamment une indemnisation équitable et suffisante. Il importe que la formation en matière de droits de l’homme dispensée aux agents de la force publique se poursuive.

12.Le Comité relève avec préoccupation le grand nombre de cas de violences familiales et l’absence d’une législation assurant la protection des femmes contre ces violences. La délégation du Suriname a précisé à ce sujet que ces actes pouvaient donner lieu à poursuites en vertu de certaines dispositions du Code pénal (art. 3 et 7), ce dont le Comité prend acte.

L’État partie devrait prendre des mesures d’ordre législatif et pédagogique pour lutter contre la violence familiale. Il est invité à sensibiliser la population tout entière à la nécessité de respecter les droits et la dignité de la femme.

13.Le Comité a pris note des efforts déployés par l’État partie pour lutter contre la traite des femmes, en particulier dans sa législation et dans le cadre de la coopération internationale, mais reste préoccupé par la lenteur avec laquelle ces politiques sont mises en application (art. 3 et 8).

L’État partie devrait veiller à ce que des mesures efficaces soient prises pour lutter contre la traite des femmes.

14.Le Comité note que l’État partie reconnaît les problèmes que pose la durée de la détention avant jugement et dément que la mise au secret soit pratiquée, mais il reste préoccupé par le fait que la législation nationale prévoit la possibilité de ne déférer un détenu devant un juge qu’au bout de 44 jours de détention et par les informations faisant état de la pratique de la détention au secret; il s’inquiète de ce que, dans l’un et l’autre cas, les détenus semblent ne pas pouvoir bénéficier des services d’un avocat (par. 3 et 4 de l’article 9).

L’État partie devrait rectifier immédiatement ces pratiques, qui sont incompatibles avec les paragraphes 3 et 4 de l’article 9 du Pacte. Il devrait modifier sans délai la législation applicable de façon à garantir que toute personne arrêtée ou détenue pour une infraction pénale soit traduite dans le plus court délai devant un juge, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

15.Le Comité reconnaît que l’État partie s’efforce de réformer son système carcéral et de construire de nouveaux bâtiments pénitentiaires pour éviter la surpopulation, mais s’inquiète de la persistance de mauvaises conditions d’incarcération et du grave surpeuplement carcéral. Il note également que l’engorgement des tribunaux et le volume important des affaires en souffrance contribuent à entretenir cette situation.

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour diminuer le nombre de personnes incarcérées et améliorer les conditions pénitentiaires afin de respecter l’article 10 du Pacte. Des ressources supplémentaires devraient être affectées au secteur judiciaire, afin de réduire le nombre des personnes en détention avant jugement.

16.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas donné les renseignements demandés sur le rôle des tribunaux militaires, leur compétence et leur composition, et sur la manière dont l’État partie assure l’indépendance et l’impartialité de ces juridictions.

L’État partie devrait veiller à ce que, s’ils siègent, les tribunaux militaires fonctionnent avec les droits garantis par le Pacte, en particulier ceux qu’énonce l’article 14. L’État partie devrait communiquer au Comité des renseignements sur cette question.

17.Le Comité s’inquiète de la compatibilité avec le Pacte de l’âge de la responsabilité pénale, fixé très bas (10 ans), compte tenu en particulier des informations dignes de foi concernant les mauvais traitements infligés aux enfants en détention et de la longueur de la détention avant jugement.

L’État partie devrait modifier les dispositions de sa législation régissant l’âge de la responsabilité pénale qui, tel qu’il est fixé actuellement, est inacceptable au regard des normes internationales. Il devrait donner au Comité des renseignements montrant comment sa pratique est conforme au paragraphe 2 b) de l’article 10, au paragraphe 4 de l’article 14 et à l’article 24 du Pacte.

18.Le Comité constate avec préoccupation que la loi relative au mariage des ressortissants d’origine asiatique reconnaît les «mariages arrangés» et fixe l’âge minimum du mariage à 13 ans pour les filles et 15 ans pour les garçons. Ces âges minimums sont incompatibles avec les articles 3 et 26 et avec le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Le mariage à un si jeune âge, en particulier s’agissant de mariages arrangés, est également incompatible avec l’article 23, aux termes duquel «nul mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des futurs époux». L’État partie affirme que les citoyens qui ne sont pas d’origine asiatique peuvent également se marier conformément à cette loi, mais il n’a pas communiqué au Comité les statistiques que celui‑ci lui avait demandées sur le nombre des couples d’origine non asiatique qui se sont effectivement unis en vertu de cette loi (art. 23 et 24).

L’État partie devrait prendre des mesures pour modifier la législation actuelle relative au mariage afin de la mettre en conformité avec le Pacte.

19.Le Comité note que l’État partie s’efforce de mettre en place un «noyau central» qui permette de scolariser les enfants de l’intérieur du pays, mais il demeure préoccupé par les informations selon lesquelles pas plus de 40 % des enfants vivant dans l’intérieur du pays fréquentent l’école primaire, ce qui signifie que de nombreux enfants de ces régions n’ont pas la possibilité de fréquenter l’école sur un pied d’égalité avec les enfants du reste du pays (art. 26).

L’État partie devrait veiller à ce que tous les enfants puissent être scolarisés dans des conditions d’égalité et à ce que les frais de scolarité ne les empêchent pas d’accéder à l’enseignement primaire.

20.Le Comité se félicite que l’État partie ait mis sur pied un programme visant à promouvoir l’égalité entre les sexes et prévoyant notamment un calendrier pour la révision de plusieurs dispositions des lois du Suriname qui sont discriminatoires à l’égard des femmes, mais reste préoccupé par le fait qu’il existe toujours des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, notamment dans la loi relative au personnel, la loi relative à l’identité, la loi relative à la nationalité et à la résidence et la loi relative aux élections (art. 3 et 26).

L’État partie est invité à supprimer toutes les dispositions législatives discriminatoires à l’égard des femmes qui sont encore en vigueur.

21.Le Comité s’inquiète de ce que les droits des autochtones et les droits tribaux relatifs à la terre et aux autres ressources ne soient ni reconnus ni garantis juridiquement. Il regrette que dans de nombreux cas des concessions d’exploitation forestière et minière aient été octroyées sans que les groupes autochtones et tribaux, en particulier les communautés maronies et amérindiennes, aient été consultés ni même informés. Il prend également note des allégations selon lesquelles du mercure a été rejeté dans la nature au voisinage de ces communautés, ce qui constitue une menace permanente pour l’environnement, la santé et la vie des populations autochtones et tribales. Celles‑ci seraient également victimes de discrimination en matière d’emploi et d’éducation et, d’une manière générale, en ce qui concerne leur participation à tous les autres domaines de la vie publique (art. 26 et 27).

L’État partie devrait garantir aux membres des communautés autochtones la pleine jouissance de tous les droits reconnus par l’article 27 du Pacte, et adopter à cette fin les lois qui s’imposent. Il lui faudrait également instituer un mécanisme permettant de consulter les populations autochtones et tribales et de les faire participer à la prise des décisions qui les concernent. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour éviter les rejets de mercure qui empoisonnent les eaux de l’intérieur du pays et par conséquent les personnes qui y vivent.

22.L’État partie devrait donner la plus large publicité possible au présent examen de son deuxième rapport périodique et, en particulier, aux observations finales du Comité. Il est également invité à mettre à la disposition du Comité et à rendre publiques les conclusions de la Commission chargée de mettre en place une institution devant enquêter sur les violations des droits de l’homme au Suriname.

23.L’État partie est prié, conformément au paragraphe 5 de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, de communiquer à celui‑ci, dans un délai de 12 mois, des renseignements sur l’application des recommandations formulées plus haut aux paragraphes 11 et 14. Le troisième rapport de l’État partie devrait être présenté au Comité le 1er avril 2008 au plus tard.

-----