Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/CO/84/YEM9 août 2005

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑quatrième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

YÉMEN

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le quatrième rapport périodique du Yémen (CCPR/C/YEM/2004/4) à ses 2282e et 2283e séances (CCPR/C/SR.2282 et 2283), les 11 et 12 juillet 2005, et il a adopté les observations finales ci‑après à sa 2298e séance (CCPR/C/SR.2298), le 21 juillet 2005.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite que le Yémen ait présenté en temps voulu son quatrième rapport périodique, qui a été établi conformément à ses directives et qui contient des informations détaillées, y compris des renseignements statistiques, sur l’application du Pacte. Il est aussi sensible aux efforts faits par la délégation pour répondre aux questions écrites et orales du Comité. Le Comité encourage l’État partie à redoubler d’efforts pour inclure dans ses rapports des renseignements plus détaillés sur les facteurs et difficultés qui influent sur l’application du Pacte, et sur les mesures qu’il a prises pour y remédier.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite de la création en 2003 du Ministère des droits de l’homme, ainsi que de la volonté déclarée de l’État partie de créer au Yémen une culture des droits de l’homme.

4.Le Comité se félicite de l’adoption de la loi relative aux droits de l’enfant (loi no 45 de 2002).

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

5.Le Comité note avec inquiétude que le Yémen n’a pas pleinement pris en considération les recommandations qu’il lui a adressées en 2002 et que l’État partie justifie l’absence de progrès concernant plusieurs points importants par le fait qu’il est à ses yeux impossible de respecter à la fois les principes religieux et certaines obligations découlant du Pacte. Le Comité n’est pas d’accord avec cette interprétation et souligne le devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. Selon le Comité, il est loisible à l’État de tenir compte des particularités culturelles et religieuses pour concevoir des moyens adéquats d’assurer le respect des droits universels de l’homme, mais ces particularités ne sauraient compromettre la reconnaissance même de ces droits pour tous (art. 2 du Pacte).

L’État partie devrait examiner de bonne foi toutes les recommandations que lui a adressées le Comité, et trouver des moyens de garantir que l’application des principes religieux qu’il désire respecter soit pleinement compatible avec ses obligations découlant du Pacte, qu’il a acceptées sans réserve.

6.Le Comité se redit inquiet du fait que la justice manquerait d’efficacité et d’indépendance, malgré l’existence de garanties constitutionnelles et les mesures prises pour réformer le système judiciaire (art. 2 et 14).

L’État partie devrait veiller à ce que la justice échappe à toute ingérence, en particulier du pouvoir exécutif, en droit et en pratique. Le prochain rapport périodique devrait contenir des informations détaillées sur les garanties juridiques existantes assurant l’inamovibilité des juges et sur leur application. En particulier, des renseignements devraient être fournis sur la nomination et la promotion des juges et les procédures de sanction disciplinaire.

7.Le Comité, tout en se félicitant du fait que l’État partie envisage actuellement de créer une institution nationale des droits de l’homme indépendante, relève qu’une telle institution fait encore défaut. À cet égard, il tient à insister sur le rôle complémentaire que jouerait une telle institution par rapport aux institutions gouvernementales qui s’occupent des droits de l’homme et aux organisations non gouvernementales (art. 2).

L’État partie devrait travailler à l’établissement d’une institution nationale des droits de l’homme, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) (résolution 48/134 de l’Assemblée générale).

8.Le Comité se félicite que diverses mesures aient été adoptées pour la promotion des femmes, et que l’État partie reconnaisse que les conceptions stéréotypées du rôle et des responsabilités de l’homme et de la femme ont eu un impact négatif sur certains aspects de la législation yéménite. Il note avec préoccupation le taux élevé d’analphabétisme chez les femmes, qui les empêche de toute évidence de jouir de leurs droits civils et politiques (art. 3 et 26).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour modifier les attitudes stéréotypées préjudiciables aux droits des femmes et pour promouvoir l’alphabétisation et l’éducation des filles et des femmes.

9.Le Comité se redit profondément préoccupé par la discrimination qui existe contre les femmes en matière d’état des personnes. Il s’inquiète en particulier de la persistance de la polygamie sans même, apparemment, qu’existe pour les femmes la possibilité de contracter une forme de mariage qui exclurait la polygamie, et de l’existence de règles établissant une discrimination contre les femmes en matière de mariage, de divorce, de témoignages et de succession (art. 3 et 26).

L’État partie devrait réviser sa législation pour garantir la pleine égalité entre les hommes et les femmes en matière d’état des personnes, et promouvoir activement des mesures visant la polygamie, qui n’est pas compatible avec le Pacte.

10.Tout en relevant les efforts faits par l’État partie, le Comité reste préoccupé par la faible participation des femmes à la vie politique, en particulier dans le cadre de la Chambre des représentants, des conseils locaux, des directions des partis politiques, ainsi qu’au sein du système judiciaire (art. 3 et 26).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour promouvoir la participation des femmes dans tous les secteurs de la vie publique, pour nommer un plus grand nombre de femmes dans la magistrature et à des postes élevés de l’exécutif, et communiquer dans son prochain rapport périodique des données statistiques sur ce point.

11.Le Comité regrette que les renseignements sur la mesure dans laquelle les mutilations génitales féminines sont pratiquées au Yémen soient insuffisants. Tout en relevant que ces mutilations ne peuvent plus être pratiquées dans les hôpitaux et les centres de santé, il note avec inquiétude que, selon diverses sources d’information, ces pratiques n’ont pas fait l’objet d’une interdiction générale (art. 3, 6 et 7).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour mettre fin aux mutilations génitales féminines et adopter une loi interdisant à toute personne de les pratiquer. L’État partie devrait fournir des renseignements plus détaillés sur cette question, y compris a) des statistiques sur le nombre des femmes et jeunes filles concernées; b) des renseignements sur les poursuites engagées, le cas échéant, contre les personnes ayant pratiqué des mutilations génitales féminines; et c) des renseignements sur l’efficacité des programmes et campagnes de sensibilisation menés pour combattre ces pratiques.

12.Le Comité note avec préoccupation que la violence domestique persiste au Yémen, et que la loi prévoit des sanctions plus légères contre le mari qui assassine sa femme l’ayant surprise en flagrant délit d’adultère que dans les autres cas d’assassinat (art. 3, 6 et 7).

L’État partie devrait activement combattre la violence domestique en menant des campagnes de sensibilisation et en adoptant des lois pénales appropriées. Des renseignements détaillés devraient être fournis dans le prochain rapport périodique sur les poursuites engagées contre les auteurs de violences domestiques et sur l’assistance fournie aux victimes. L’État partie devrait abroger les textes prévoyant des peines atténuées en cas de «crime d’honneur».

13.Le Comité note que, selon l’État partie, les efforts faits par celui‑ci pour combattre le terrorisme ont certes eu des incidences sur la jouissance des droits civils et politiques au Yémen, mais sans qu’il en résulte des violations systématiques et continues. Le Comité reste cependant préoccupé par les informations faisant état de graves violations des articles 6, 7, 9 et 14 du Pacte, commises au nom de la campagne antiterrorisme. Il note avec préoccupation que des cas lui ont été signalés de disparition forcée, d’arrestation arbitraire, de détention de durée indéfinie sans inculpation ni jugement, de torture et de sévices, et d’expulsion de non‑ressortissants vers des pays où ils risquent d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements.

L’État partie devrait veiller à prêter la plus grande attention au principe de proportionnalité dans toutes ses réactions aux menaces et activités terroristes. Il devrait garder à l’esprit que certains droits consacrés dans le Pacte, en particulier dans les articles 6 et 7, ne souffrent pas d’exception et doivent être respectés en toutes circonstances. Le Comité souhaite recevoir des renseignements sur les conclusions et recommandations du comité parlementaire créé pour suivre la situation des personnes détenues pour terrorisme.

14.Le Comité est préoccupé par le fait que les forces de sécurité ont eu recours à la force le 21 mars 2003, ce qui a eu pour résultat que quatre personnes, dont un garçon de 11 ans, ont été tuées alors qu’elles participaient à une manifestation contre la guerre en Iraq (art. 6).

L’État partie devrait mener une enquête complète et impartiale sur ces événements et, en fonction des conclusions de l’enquête, engager des poursuites contre les auteurs des homicides. Il devrait aussi accorder une réparation aux familles des victimes.

15.Le Comité reste préoccupé par le fait que les infractions passibles de la peine de mort selon la loi yéménite ne sont pas conformes aux exigences du Pacte, et que le droit de solliciter la grâce n’est pas garanti à tous sur un pied d’égalité. Le rôle prépondérant de la famille de la victime dans la décision d’exécuter ou non la peine sur la base d’une compensation financière (le «prix du sang») est également contraire au Pacte. En outre, tout en notant l’affirmation selon laquelle la lapidation n’a pas été appliquée au Yémen depuis très longtemps, le Comité s’inquiète de ce qu’une telle peine puisse être prononcée, comme le montre l’exemple de Layla Radman ‘A’esh, condamnée par le tribunal de première instance d’Aden en 2000. Il déplore également les souffrances que cette personne a endurées alors qu’elle attendait l’exécution de cette peine (art. 6,7,14 et 26).

L’État partie devrait limiter les cas dans lesquels la peine de mort est prononcée, veiller à ce qu’elle ne s’applique qu’aux crimes les plus graves, et abolir officiellement la peine de mort par lapidation. Le Comité répète que l’article 6 du Pacte limite les circonstances qui peuvent justifier la peine capitale et garantit le droit pour tout condamné de solliciter la grâce. Le Comité souhaite être informé de la suite donnée à l’affaire concernant Hafez Ibrahim, qui a été condamné à mort, mais dont l’âge au moment de la commission du crime n’a pas encore été déterminé. Le Comité souhaite aussi être informé en détail de l’identité des personnes qui ont été condamnées à mort ou exécutées et du crime pour lequel elles l’ont été, pendant la période considérée. L’État partie est en outre encouragé à abolir la peine de mort et à adhérer au second Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

16.Le Comité exprime une fois de plus sa profonde préoccupation devant le fait que des châtiments corporels tels que la flagellation, et même dans quelques cas les amputations, soient toujours prescrits par la loi et pratiqués dans l’État partie, en violation de l’article 7 du Pacte.

L’État partie devrait mettre immédiatement un terme à ces pratiques et modifier sa législation en conséquence, pour la rendre pleinement conforme au Pacte.

17.Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de traite des enfants à partir du Yémen et de traite des femmes à destination du Yémen ou en transit dans ce pays, et s’inquiète aussi de la pratique d’expulser du pays les personnes victimes de la traite sans prendre de dispositions appropriées pour qu’il soit pris soin d’elles (art. 8).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour combattre ces pratiques, tout en prenant pleinement en compte les droits fondamentaux des victimes et leurs besoins à cet égard. Le prochain rapport périodique devrait contenir des renseignements plus détaillés, y compris des données statistiques.

18.Le Comité redit sa préoccupation concernant l’interdiction qu’il est faite aux musulmans de se convertir à une autre religion, au nom de la stabilité sociale et de la sécurité publique. Cette interdiction viole l’article 18 du Pacte, qui n’autorise aucune restriction à la liberté de pensée et de conscience, ni à la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que l’article 26, qui interdit toute discrimination fondée sur la religion.

L’État partie devrait revoir sa position et prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la liberté de chacun de choisir une religion ou une conviction, y compris le droit de changer de religion ou de conviction.

19.Le Comité regrette que la délégation n’ait pas répondu à la question de savoir si la loi yéménite reconnaît le droit d’objection de conscience au service militaire (art. 18).

L’État partie devrait veiller à ce que les personnes soumises à des obligations militaires puissent demander le statut d’objecteur de conscience et effectuer un service de remplacement n’ayant pas de caractère punitif.

20.Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de violations de la liberté de presse, notamment des cas d’arrestation et de harcèlement de journalistes, ainsi que par des informations concernant le caractère restrictif du projet de loi sur la presse et les publications, actuellement à l’étude.

L’État partie devrait respecter la liberté de presse et veiller à ce que la nouvelle loi sur la presse et les publications soit pleinement conforme aux dispositions de l’article 19 du Pacte.

21.Le Comité note avec préoccupation que la loi sur l’état des personnes permet le mariage des enfants à partir de 15 ans, et que les mariages précoces de filles, parfois en dessous de l’âge légal, persistent. Il est aussi préoccupé par les mariages d’enfants n’ayant pas atteint l’âge légal contractés par leurs tuteurs. Cette pratique met en question l’effectivité du consentement donné par les époux, leur droit à l’éducation et, dans le cas des filles, leur droit à la santé (art. 3, 23 et 24).

L’État partie devrait relever l’âge minimum du mariage et garantir qu’il est respecté dans la pratique.

D. Diffusion d’informations sur le Pacte (art. 2)

22.Le Comité fixe au 1er juillet 2009 la date à laquelle le cinquième rapport périodique du Yémen devra lui être soumis. Il demande que le texte du quatrième rapport périodique de l’État partie et des présentes observations finales soit rendu public et largement diffusé au Yémen, auprès du grand public ainsi qu’auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, et que le cinquième rapport périodique soit porté à l’attention des organisations non gouvernementales présentes dans le pays.

23.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait présenter dans un délai d’un an des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 11, 13, 14 et 16 ci-dessus. Le Comité prie l’État partie de communiquer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les autres recommandations qu’il a faites et sur l’application du Pacte en général.

-----