Nations Unies

CAT/C/COL/CO/4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

4 mai 2010

Français

Original: espagnol

Comité contre la torture Quarante-troisième sessionGenève, 2-20 novembre 2009

Examen des rapports présentés par les États partiesen application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Colombie

1.Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique de la Colombie (CAT/C/COL/4) à ses 908e et 911e séances (CAT/C/SR.908 et CAT/C/SR.911), les 10 et 11 novembre 2009. Il a adopté, à sa 925e séance (CAT/C/SR.925), les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation du quatrième rapport périodique de la Colombie, ainsi que du dialogue franc et ouvert engagé avec la délégation de l’État partie. Il remercie ce dernier de ses réponses écrites à la liste des points à traiter (CAT/C/COL/Q/4/Add.1), qui ont facilité les débats entre la délégation et les membres du Comité. Le Comité remercie également l’État partie des renseignements que celui-ci a fait parvenir en 2006 (CAT/C/COL/CO/3/Add.1) et en 2007 (CAT/C/COL/CO/3/Add.2) sur la mise en œuvre de ses recommandations antérieures.

B.Aspects positifs

3.Le Comité note avec satisfaction que depuis l’examen du troisième rapport périodique l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants:

a)Le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le 23 janvier 2007;

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 25 mai 2005;

c)La Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes, le 12 avril 2005;

d)La Convention no 182 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination, le 28 janvier 2005;

e)La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, le 4 août 2004;

f)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 11 novembre 2003.

4.Le Comité se félicite que l’État partie entretienne une collaboration continue avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme depuis que ce dernier a ouvert un bureau dans le pays en 1997.

5.Le Comité juge également positive la collaboration de l’État partie avec les rapporteurs spéciaux, représentants spéciaux et groupes de travail du Conseil des droits de l’homme, et se félicite des nombreuses missions effectuées en Colombie par ces différents mécanismes de protection des droits de l’homme.

6.Le Comité salue la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et les nombreuses références que celle-ci a faites aux normes internationales relatives aux droits de l’homme.

7.Le Comité juge positif le fait que les dispositions relatives à la compétence de la Cour pénale internationale s’appliquent à l’État partie sans aucune réserve depuis 2009.

8.Le Comité se félicite que la peine de mort n’existe pas dans l’État partie.

9.Le Comité accueille avec satisfaction les efforts engagés par l’État partie pour réformer la législation, les politiques et les procédures en vue de mieux protéger le droit de chacun de n’être pas soumis à la torture ni à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en particulier les mesures suivantes:

a)L’obligation pour les agents de la force publique d’obtenir un «certificat» en matière de droits de l’homme avant toute promotion, instituée par le Ministère de la défense en novembre 2008;

b)Le Plan national de recherche des personnes disparues, adopté en 2007;

c)La politique publique de lutte contre l’impunité (CONPES 3411 de 2006);

d)Les formations sur les Protocoles d’Istanbul et du Minnesota, dispensées avec l’aide de conseillers du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime;

e)La création d’une équipe spéciale d’enquêteurs chargée de la question de la torture au sein de l’Unité des droits de l’homme et du droit international humanitaire de la Fiscalía General de la Nación.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

10.Le Comité note que la torture est incriminée dans le Code pénal. Toutefois, il constate avec préoccupation que, dans la pratique, lorsqu’une personne est inculpée pour torture, les actes de torture qu’elle a commis ne sont pas clairement identifiés comme un crime spécifique et autonome, car ils sont inclus dans les circonstances aggravantes liées à d’autres infractions connexes considérées comme plus graves par les autorités judiciaires. Le Comité est aussi préoccupé par le fait que les actes de torture ne sont pas toujours qualifiés correctement, étant parfois assimilés à des infractions pénales moins graves comme les dommages corporels, pour lesquels l’intention de l’auteur n’a pas besoin d’être démontrée. Le Comité craint qu’en conséquence les cas de torture ne soient gravement minimisés et restent impunis (art. 1er, 2 et 4 de la Convention).

L ’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que le chef d ’ inculpation de torture corresponde à un crime autonome et conforme à la gravité des faits, et ne devrait pas permettre que les actes de torture ne soient pas inclus dans d ’ autres infractions connexes. Il convient d ’ éviter de même que les actes de torture ne soient pas qualifiés comme des infractions pénales moins graves, telles que les dommages corporels. Le Comité recommande de renforcer la formation des procureurs afin que ceux-ci qualifient les actes de torture de manière conforme aux obligations internationales de l ’ État partie.

Plaintes pour torture et impunité

11.Tout en observant une diminution globale du nombre de plaintes pour torture depuis l’examen du rapport périodique précédent en 2004, le Comité est préoccupé par le fait que la torture reste fréquente dans l’État partie et correspond à des schémas spécifiques qui témoignent d’une pratique généralisée. Il relève que, même si les groupes armés illégaux ont une responsabilité importante dans ces crimes, on continue de dénoncer la participation ou l’acquiescement d’agents de l’État aux actes commis. Le Comité est particulièrement alarmé par des informations qui révèlent une augmentation des cas dans lesquels des agents de l’État seraient directement impliqués. Il est également très préoccupé par la persistance de graves violations connexes à la torture, comme les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les déplacements forcés, les viols et le recrutement d’enfants dans le cadre du conflit armé, ainsi que par la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent certains groupes tels que les femmes, les enfants, les minorités ethniques, les personnes déplacées, les détenus et la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (art. 2 de la Convention).

12.Malgré les efforts de l’État partie pour lutter contre l’impunité, le Comité constate que celle-ci continue de prévaloir. Il est très préoccupé par l’absence de renseignements fiables sur les affaires de torture et par la lenteur des procédures en la matière. Il est également préoccupé par l’insuffisance des enquêtes conduites par la Fiscalía General de la Nación, ainsi que par le fait que nombre de ces enquêtes n’aboutissent pas à des poursuites et que l’Unité des droits de l’homme et du droit international humanitaire ne se voit pas confier les affaires qui relèvent de sa compétence. Le Comité s’inquiète de ce que les enquêtes sur des cas de torture continuent d’être menées exclusivement par les organes administratifs, disciplinaires et militaires, en marge des juridictions pénales. Il constate avec préoccupation que les statistiques fournies par diverses entités de l’État à propos des affaires de torture sont contradictoires, et que l’absence d’un système centralisé de collecte de données relatives à la torture empêche d’avoir une idée précise du nombre total de cas dénoncés, instruits et punis (art. 2, 4 et 12 de la Convention).

Le Comité exhorte l ’ État partie à s ’ acquitter des obligations découlant de la Convention, en veillant à enquêter sur les actes de torture et à punir ces crimes de peines proportionnelles à leur gravité. Il souligne que l ’ État partie est responsable de garantir que ces enquêtes soient menées par les autorités compétentes, sans délai et de manière impartiale, et que ces crimes soient punis de peines proportionnelles à leur gravité. Il encourage l ’ État partie à doter l ’ Unité des droits de l ’ homme et du droit international humanitaire de ressources supplémentaires, afin de lui permettre de diligenter ses travaux, et insiste sur l ’ importance de confier à cette unité les affaires qui relèvent de sa compétence. Le Comité recommande à l ’ État partie de créer un système centralisé qui permette de connaître toutes les affaires de torture et l ’ état d ’ avancement des enquêtes y relatives.

Indépendance de la Fiscalía

13.Le Comité est désireux de voir l’indépendance du Fiscal General de la Nación renforcée et respectée. Il s’inquiète aussi de la présence de procureurs représentant la Fiscalía General de la Nación dans les installations militaires, qui peut compromettre l’indépendance de leurs travaux (art. 2 et 12 de la Convention).

Le Comité exhorte l ’ État partie à instituer pour la nomination du Fiscal General de la Nación une procédure qui permette de garantir l ’ élection d ’ un professionnel capable d ’ exercer ses fonctions en toute indépendance. Il le prie également de veiller à ce que des procureurs ne soient plus affectés aux installations militaires.

Démobilisation et amnistie de facto

14.Le Comité est profondément préoccupé par la situation au regard de la loi des membres démobilisés des groupes armés illégaux, dont quelque 30 000 sont des paramilitaires. Les avantages juridiques prévus par la loi no 975 de 2005 (loi de justice et paix) et par le décret no 128 de 2003 ne sont pas conformes au principe de la proportionnalité de la peine, et l’absence de condamnations montre qu’il existe une amnistie de facto contraire aux obligations internationales en matière de droits de l’homme. Le Comité constate avec une profonde inquiétude que, malgré la violence systématique dont rendent compte les dépositions volontaires et bien qu’il soit dit dans la loi no 975 de 2005 que l’application des dispositions prévues par ladite loi doit se faire «dans le respect des règles constitutionnelles et des instruments internationaux ratifiés par la Colombie», aucune condamnation pour graves violations des droits de l’homme n’a été prononcée à ce jour. Il souligne que l’adoption, en juillet 2009, de la loi no 1312 sur l’application du principe de «l’opportunité de poursuivre» conduit à l’impunité si la décision de renoncer aux poursuites est prise au mépris des normes relatives aux droits de l’homme et du droit de la victime d’obtenir réparation (art. 2, 4, 12 et 13 de la Convention).

Le Comité exhorte l ’ État partie à s ’ acquitter des obligations découlant de la Convention et d ’ autres instruments internationaux, notamment du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en veillant à enquêter sur les actes de torture et à punir ces crimes de peines proportionnelles à leur gravité. À ce sujet, il renvoie à son Observation générale n o 2 (CAT/C/GC/2), approuvée en 2007, et rappelle à l ’ État partie qu ’ il considère que les amnisties et autres obstacles qui empêchent de traduire en justice ou de punir rapidement et de manière impartiale les auteurs d ’ actes de torture ou de mauvais traitements, ou qui témoignent à l ’ évidence d ’ un manque de volonté à cet égard, portent atteinte au caractère impératif de l ’ interdiction de la torture.

Acquiescement aux actes commis et complicité avec les groupes armés illégaux

15.Le Comité est préoccupé par les nombreuses complicités qui existent entre des fonctionnaires et des élus et les groupes armés illégaux, comme le montre la fréquence des procédures pénales engagées pour collusion. Il est très préoccupé par le fait que des juges de la Cour suprême ont été menacés et ont dû demander des mesures de protection par l’intermédiaire du système interaméricain de protection des droits de l’homme. Le Comité est également consterné à l’idée que des juges de la Cour suprême aient fait l’objet de harcèlement, été surveillés et placés sur écoute téléphonique par les services de renseignement du Département administratif de sécurité (DAS) (art. 2 de la Convention).

Le Comité prend note des efforts engagés par l ’ État partie pour poursuivre les fonctionnaires et les élus qui s ’ entendent avec les groupes armés illégaux, et l ’ exhorte à protéger totalement l ’ intégrité et la sécurité des personnes qui travaillent pour l ’ administration de la justice. Il exhorte aussi l ’ État partie à prendre immédiatement des mesures pour faire cesser le harcèlement et la surveillance dont les juges font l ’ objet de la part des services du DAS et pour punir toute personne qui tente de porter atteinte à l ’ indépendance du pouvoir judiciaire.

Justice militaire et exécutions extrajudiciaires

16.Le Comité est profondément préoccupé par la pratique répandue des exécutions extrajudiciaires de civils dont les forces de sécurité disent ensuite qu’ils sont morts au combat (les «faux positifs»). Il réitère son inquiétude à l’idée que de graves violations des droits de l’homme, notamment les exécutions extrajudiciaires commises par des agents de la force publique, continuent de relever de la compétence des tribunaux militaires, ce qui compromet sérieusement l’impartialité des enquêtes (art. 2, 12 et 13 de la Convention).

L ’ État partie devrait s ’ acquitter pleinement de son obligation de veiller à ce que les graves violations des droits de l ’ homme fassent l ’ objet d ’ enquêtes impartiales conduites par les juridictions ordinaires et que les responsables soient punis . De par leur gravité et leur nature, il est évident que ces crimes échappent à la compétence de la justice militaire. Le Comité insiste sur la responsabilité du Conseil supérieur de la magistrature dans la résolution des conflits de compétence. Il insiste également sur l ’ importance de confier aux autorités civiles les premiers actes d ’ investigation, la collecte des preuves et la levée des corps.

Disparitions forcées

17.Le Comité est préoccupé par l’ampleur de la pratique des disparitions forcées (28 000 cas officiellement reconnus dans le Registre national des personnes disparues) et par le nombre de corps trouvés dans les fosses communes (2 778 à ce jour, selon les chiffres de l’État partie). Il relève que ces fosses ont été découvertes principalement grâce aux informations contenues dans les déclarations des paramilitaires démobilisés et que la grande majorité des victimes avaient été torturées avant d’être exécutées, comme en témoigne le fait qu’elles étaient attachées ou démembrées. Le Comité salue l’adoption en 2007 du Plan national de recherche des personnes disparues, mais reste préoccupé par la lenteur avec laquelle celui-ci est mis en œuvre et par l’absence de coordination institutionnelle avec les actions de la Fiscalía General de la Nación. Le Comité regrette que le pouvoir exécutif se soit opposé à un projet de loi visant à faciliter l’élucidation des disparitions forcées et l’identification des corps trouvés dans des fosses communes (art. 2 de la Convention).

Le Comité exhorte l ’ État partie à prendre des mesures efficaces et à allouer des ressources suffisantes à la mise en œuvre du Plan national de recherche des personnes disparues, en s ’ assurant à cet effet la participation voulue des familles des victimes et des organisations intéressées, et en instaurant la coordination interinstitutionnelle requise entre toutes les entités concernées. Le Comité recommande de soutenir les initiatives législatives visant à faciliter l ’ élucidation des disparitions forcées, à aider les victimes à faire valoir leurs droits et à accélérer l ’ identification des corps trouvés dans des fosses communes. Il invite l ’ État partie à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Prévention des actes de torture

18.Le Comité donne acte à l’État partie des efforts qu’il a réalisés pour prévenir les violations graves des droits de l’homme, en mettant en place le système d’alertes précoces et en assurant la présence de défenseurs communautaires pour les populations particulièrement vulnérables. Toutefois, le Comité relève avec préoccupation que les ressources humaines et financières nécessaires pour ces initiatives sont insuffisantes et que le Comité interinstitutions pour les alertes précoces (CIAT), chargé d’émettre les alertes, ne semble pas répondre rapidement et de façon appropriée (art. 2 de la Convention).

Le Comité recommande à l ’ État partie de renforcer le système d ’ alertes précoces visant à prévenir les déplacements de population et les autres violations graves des droits de l ’ homme, en veillant à allouer les ressources financières et humaines suffisantes et à ce que les alertes soient émises en temps voulu; il devrait faire en sorte que les autorités civiles, notamment au niveau des départements et des communes, participent à la coordination des mesures de prévention. Étant donné leur rôle précieux dans la prévention des violations, le Comité recommande à l ’ État partie d ’ affecter des ressources plus importantes aux défenseurs communautaires du Bureau du Défenseur du peuple et d ’ étendre la couverture du programme.

Extradition

19.Le Comité est préoccupé par le fait que l’extradition vers les États-Unis d’Amérique de chefs de groupes paramilitaires recherchés pour trafic de drogues a abouti à une situation qui entrave la réalisation des enquêtes pour établir leur responsabilité dans des violations graves des droits de l’homme. L’absence de cadre juridique garantissant le respect des obligations contractées en vertu de la Convention a pour conséquence que se trouve compromis l’exercice du droit à la justice, à la vérité et à la réparation et contrevient à l’obligation qu’a l’État partie d’enquêter sur les crimes de torture et de traduire leurs auteurs en justice (art. 6 et 9 de la Convention).

L ’ État partie doit veiller à ce que les extraditions n ’ entravent pas les actions nécessaires pour enquêter sur les violations graves des droits de l ’ homme , engager des poursuites et punir les responsables. Il doit prendre des mesures pour que les personnes extradées collaborent aux enquêtes réalisées en Colombie sur les violations graves des droits de l ’ homme. Il doit veiller à ce que les extraditions, à l ’ avenir, s ’ inscrivent dans un cadre juridique qui reconnaisse les obligations découlant de la Convention.

Détentions arbitraires

20.Le Comité est préoccupé par l’incidence élevée des détentions arbitraires, et en particulier par l’utilisation par la police de l’internement administratif à des fins préventives et par la pratique d’arrestations massives de la part de la police et de l’armée. Il relève que très souvent les mandats d’arrêt sont délivrés sans être fondés sur des éléments de preuve suffisants et que les arrestations servent à stigmatiser certains groupes comme les dirigeants sociaux, les jeunes, les autochtones, les Afro-Colombiens et les paysans (art. 2 de la Convention).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures voulues pour supprimer la pratique de l ’ internement administratif à des fins préventives et des arrestations massives et de mettre en œuvre les recommandations formulées par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à l ’ issue de sa mission en Colombie, en 2008 (A/HRC/10/21/Add.3).

Conditions de détention

21.Les conditions de détention continuent d’être source de préoccupation, étant donné que la surpopulation persiste et que des plaintes pour torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les établissements pénitentiaires et les centres de détention provisoire continuent d’être enregistrées. Le Comité est préoccupé par la pratique de la mise à l’isolement pendant de longues durées à titre de mesure de punition. Il a reçu des informations indiquant que des traitements inhumains ou dégradants étaient infligés dans la prison de sécurité maximale et moyenne de Valledupar et dans la prison de Bellavista à Medellín. Le Comité note avec préoccupation que les plaintes dénonçant des cas de torture et de traitements inhumains sont en général traitées uniquement par l’autorité disciplinaire et que dans de rares cas seulement des enquêtes ont pu être ouvertes. De plus, le Comité s’inquiète de ce que les prisons aient un caractère militaire et que les services de santé mentale offerts aux détenus soient très insuffisants (art. 11 et 16 de la Convention).

L ’ État partie devrait adopter des mesures efficaces afin d ’ améliorer les conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires, de réduire la surpopulation et de satisfaire comme il convient aux besoins fondamentaux de toutes les personnes privées de liberté. La pratique de la mise à l ’ isolement doit être revue et son application doit être limitée. Les plaintes pour torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants commis dans les établissements pénitentiaires et les centres de détention provisoire doivent faire l ’ objet d ’ enquêtes rapides et impartiales et doivent être transmises à la justice pénale.

Protocole facultatif

22.Le Comité regrette la position de l’État partie qui refuse de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention en faisant valoir que les Comités des droits de l’homme constitués par le Bureau du Défenseur du peuple et des prisonniers s’acquittent déjà de cette fonction et que les instructions internes (décision no5927/2007) de l’Institut national pénitentiaire (INPEC) offrent un mécanisme de garantie du respect des droits fondamentaux des prisonniers, grâce à un processus de consultation et de prise de décisions dans les comités de chaque établissement pénitentiaire, auxquels participent directement les détenus et les services de la Fiscalía et du Défenseur du peuple. Le Comité relève comme une initiative positive la création de comités des droits de l’homme dans les établissements pénitentiaires mais il reste préoccupé par le fait que ces mécanismes sont placés sous la supervision de l’INPEC et ne constituent pas un mécanisme indépendant de prévention tel qu’il est prévu par le Protocole facultatif (art. 2 de la Convention).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à ratifier le plus tôt possible le Protocole facultatif se rapportant à la Convention, de façon à améliorer la prévention des violations de la Convention.

Défenseurs des droits de l’homme

23.Le Comité réitère sa préoccupation face à la stigmatisation subie par les défenseurs des droits de l’homme et leur famille, à l’incidence élevée des menaces et aux fréquentes atteintes à leur sécurité et à l’absence de mesures de protection efficaces. Il est également préoccupé par le fait que les défenseurs des droits de l’homme ont aussi été l’objet d’une surveillance et d’écoutes téléphoniques par les agents du DAS, tout comme d’autres acteurs de la société civile, tels que les syndicalistes, les organisations non gouvernementales et les journalistes (art. 2 de la Convention).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à prendre immédiatement des mesures pour faire cesser l e harcèlement dont font l ’ objet l es défenseurs et autres agents de la société civile qui œuvrent en faveur des droits de l ’ homme de la part des agents du DAS et pour sanctionner les responsables des pratiques qui stigmatisent les défenseurs des droits de l ’ homme. L ’ État partie devrait veiller à ce que des mesures efficaces soient prises pour assurer la protection des défenseurs des droits de l ’ homme et d ’ autres personnes qui ont été victimes de menaces du fait de leur action.

Protection des témoins

24.Le Comité est préoccupé par le fait que les personnes qui ont été témoins de cas de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sont fréquemment l’objet de menaces. Il est particulièrement préoccupé par les actes de harcèlement et les assassinats de témoins et de victimes ayant participé aux processus établis par la loi no975 de 2005. Le Comité considère que, malgré la mise en place de programmes de protection, l’État partie ne s’est pas acquitté intégralement de son obligation de garantir la sécurité et l’intégrité des témoins et des victimes (art. 13 de la Convention).

Le Comité engage l ’ État partie à prendre des mesures efficaces pour garantir la sécurité et l ’ intégrité des témoins et des victimes et à renforcer les programmes de protection en dégageant des ressources supplémentaires. Le Comité prie instamment l ’ État partie de porter une attention particulière aux mesures de protection et aux mesures provisoires demandées par la Commission interaméricaine des droits de l ’ homme et de prendre immédiatement des mesures effectives pour assurer leur mise en œuvre.

Réparation

25.Le Comité est préoccupé par l’absence de réparation en faveur des victimes d’actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il relève qu’à ce jour quelque 250 000 victimes du conflit armé se sont enregistrées comme telles et que la loi no 975 de 2005 et le décret no1290 de 2008 prévoient des réparations pour les victimes de violations commises par des groupes armés illégaux. La loi no975 de 2005 (en son article 42) dispose que c’est aux groupes armés condamnés par décision judiciaire qu’incombe la responsabilité des réparations, ce qui a rendu la loi inopérante à ce jour puisque aucune condamnation n’a été prononcée. Le Comité donne acte à l’État partie des efforts qu’il déploie pour mettre en place un programme de réparation individuelle par la voie administrative, conformément au décret no1290 de 2008, mais il relève que, bien qu’il y soit fait mention de «la responsabilité subsidiaire ou résiduelle de l’État», le programme repose sur le principe de la solidarité et non pas sur l’obligation de garantie de l’État. Étant donné que l’État partie est responsable des violations perpétrées avec le consentement, la complicité ou du fait de l’omission d’agents de l’État, le Comité est profondément inquiet de ce que la responsabilité de l’État ne soit pas définie clairement et de ce que la législation actuelle risque d’établir une discrimination entre les victimes (art. 14 de la Convention).

L ’ État partie devrait garantir sans réserve le droit à réparation pour les victimes d ’ actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants et veiller à ce que ce droit soit établi, sans discrimination, dans la législation nationale et soit effectivement exercé dans la pratique. La réalisation du droit doit être conçue en tenant compte des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l ’ homme et de violations graves du droit international humanitaire (résolution 60/147 de l ’ Assemblée générale du 16 décembre 2005, annexe) et prévoir chacun des cinq éléments: restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non ‑répétition. Il convient de prêter une attention particulière aux aspects liés au sexe, ainsi qu ’ aux cas où les victimes sont des enfants, des Afro ‑Colombiens et des autochtones. Des ressources doivent être consacrées spécifiquement à la prise en charge psychosociale.

Restitution

26.Le Comité est préoccupé par les menaces dont sont la cible les victimes de déplacement forcé qui ont demandé la restitution de leurs terres. Il relève que les groupes principalement touchés sont les communautés paysannes, les Afro‑Colombiens et les autochtones. Le Comité note avec préoccupation que des groupes armés illégaux se sont emparés de leurs terres et que dans certains cas celles-ci ont été vendues à des tiers pour qu’ils y pratiquent la monoculture et exploitent les ressources naturelles (art. 14 de la Convention).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à prendre des mesures efficaces pour garantir la restitution de leurs terres aux victimes qui ont été déplacées et à faire en sor te que le droit de propriété des p aysans, des Afro ‑Colombiens et d es autochtones sur leurs terres soit respecté .

Droit à la vérité

27.Le Comité est préoccupé par le fait que les mécanismes établis par la loi no 975 de 2005 ne garantissent pas pleinement le droit à la vérité, même s’il y est fait référence dans le texte, et se limitent dans la pratique à la vérité procédurale. Si le Comité reconnaît l’action de la Commission nationale de réparation et de réconciliation, il note que celle-ci est principalement composée de représentants d’entités publiques (art. 14 de la Convention).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures efficaces pour garantir l ’ exercice du droit à la vérité et envisage la mise en place d ’ une commission pour la vérité qui soit autonome et indépendante.

Violence sexuelle

28.Le Comité est préoccupé par l’incidence élevée de la violence sexuelle et par sa pratique comme arme de guerre. Il regrette que toutes les mesures voulues pour donner effet à l’ordonnance 092 de 2008 de la Cour constitutionnelle n’aient pas été prises, et déplore l’absence d’informations concernant les enquêtes qui ont pu être menées. Le Comité se déclare préoccupé par les violences sexuelles imputées aux agents de la force publique et par l’absence de mesures énergiques visant à faire cesser de telles pratiques et d’enquêtes destinées à identifier les responsables. De même, il s’inquiète de ce qu’il ne soit fait aucune place aux crimes de violence sexuelle dans les mécanismes établis par la loi no 975 de 2005 et de ce que dans les rapports médico-légaux, malgré les instructions qui ont été adoptées, les marques de torture ou de violence sexuelle constatées ne soient pas toujours indiquées (art. 2 et 16 de la Convention).

L ’ État partie devrait prendre d ’ urgence des mesures efficaces pour éliminer la violence sexuelle , notamment en tant qu ’ arme de guerre . En particulier, il devrait donner effet à l ’ ordonnance 092 de 2008 de la Cour constitutionnelle et faire procéder à des enquêtes sur les affaires visées par l ’ ordonnance. Les cas de violence sexuelle imputable s à des agents de la force publique doivent faire l ’ objet d ’ enquêtes et de poursuites et être fermement réprimés . Des mesures doivent être mises en œuvre pour garantir l ’ application sans réserve et systématique des instructions qui obligent à signaler les marques de torture ou de violence sexuelle .

Filles et garçons mineurs recrutés ou utilisés dans le conflit armé

29.Le Comité est préoccupé par le fait que des filles et des garçons continuent d’être recrutés et utilisés par des groupes armés illégaux. Il reconnaît les efforts de l’État partie, qui a mis en place en décembre 2007 la Commission intersectorielle pour la prévention du recrutement des enfants et des adolescents par des groupes organisés illégaux et relève que, d’après des renseignements donnés par l’État partie, la démobilisation de 3 800 enfants, filles et garçons, a été obtenue. Toutefois, il regrette l’absence de renseignements sur la responsabilité pénale des individus qui recrutent des enfants. Le Comité est préoccupé par le fait que les enfants démobilisés ne reçoivent pas une assistance suffisante pour assurer leur réinsertion et leur réadaptation physique et psychologique, par le fait que le degré de protection diffère selon que les enfants démobilisés appartenaient à la guérilla ou à d’autres groupes armés illégaux et que, quand ils sont capturés par les agents de la force publique, ils ne sont pas toujours remis aux autorités civiles dans le délai légal de trente-six heures. Le Comité s’inquiète également de ce que les agents de la force publique se servent d’enfants à des fins de renseignement, occupent des écoles dans les zones de conflit et organisent des journées civiques militaires dans des établissements scolaires de tout le pays (art. 2 et 16 de la Convention).

L ’ État partie devrait renforcer les mesures visant à empêcher le recrutement d ’ enfants, apporter l ’ assistance nécessaire à leur réinsertion et à leur réadaptation physique et psychologique, et rechercher ceux qui les ont recrutés pour leur faire rendre compte pénalement de leurs actes. Les agents de la force publique doivent s ’ abstenir de mettre en péril la neutralité des établissements scolaires et respecter les règles pour la remise aux autorités civiles des filles et des garçons démobilisés ou capturés. Le Comité recommande à l ’ État partie de collaborer sans réserve avec la Représentant e spécial e du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés, afin de progresser dans la mise en œuvre de la résolution n o 1612 du Conseil de sécurité.

Non-refoulement

30.Le Comité relève que le décret no 2450 de 2002 «par lequel est mise en place la procédure pour la détermination du statut de réfugié» tel qu’il est libellé, ne répond pas pleinement aux obligations découlant de l’article 3 de la Convention et de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Toutefois, le Comité note qu’un nouveau décret sur la question, qui devrait consacrer le principe du non-refoulement, est en lecture et devrait être adopté (art. 3 de la Convention).

L ’ État partie devrait accélérer l ’ adoption de la révision du décret n o 2450 de 2002, de façon que la législation pertinente prévoie le principe du non-refoulement. Par ailleurs , afin de garantir le respect du principe du non-refoulement dans la pratique, il devrait organiser une formation sur cette obligation à l ’ intention des agents d ’ immigration et des membres de la police.

31. Le Comité invite l ’ État partie à soumettre son document de base en suivant les directives harmonisées pour l ’ établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d ’ instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme (HRI/GEN/2/Rev.6, chap. I).

32. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ étudier la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

33. Le Comité demande à l ’ État partie de lui faire parvenir, dans un délai d ’ un an, des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 12 à 17.

34. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les dispositions voulues pour mettre en œuvre ces recommandations, et notamment en les portant à la connaissance des membres du Gouvernement et du Parlement, pour examen et adoption des mesures qui s ’ imposent.

35. L ’ État partie est encouragé à diffuser largement le rapport qu ’ il a soumis au Comité et les présentes observations finales, par le biais des sites Web officiels, des organes d ’ information et des organisations non gouvernementales.

36. Le Comité demande à l ’ État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures qu ’ il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées dans les présentes observations finales.

37. Le Comité invite l ’ État partie à soumettre son cinquième rapport périodique au plus tard le 20 novembre 2013.