Nations Unies

CAT/OP/BOL/3

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. général

24 juillet 2018

Français

Original : espagnol

Anglais, espagnol et français seulement

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Visite à l’État plurinational de Bolivie menéedu 2 au 11 mai 2017 : observations et recommandations adressées à l’État partie

Rapport établi par le Sous-Comité * , **

Table des matières

Page

I.Introduction3

II.Mécanisme national de prévention3

III.Allégations de torture et de mauvais traitements et impunité5

A.Allégations de torture et autres mauvais traitements5

B.Impunité6

IV.Suivi des recommandations formulées par le Sous-Comité en 20107

A.Causes et conséquences du recours excessif à la détention avant jugement7

B.Délégation de pouvoir, autogestion et corruption9

C.Bureau de la défense publique10

D.Garanties11

V.Situation des personnes privées de liberté13

A.Postes de police13

B.Établissements pénitentiaires13

C.Centres de réinsertion sociale pour adolescents en conflit avec la loi16

D.Cellules de garde à vue17

E.Hôpital psychiatrique18

VI.Situation des groupes vulnérables19

A.Justice autochtone19

B.Femmes20

C.Enfants et adolescents en conflit avec la loi21

D.Personnes handicapées21

VII.Représailles et répercussions de la visite22

VIII.Conclusion23

Annexes24

I.Introduction

1.Le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après le Sous-Comité) a effectué sa deuxième visite dans l’État plurinational de Bolivie du 2 au 11 mai 2017, en vertu des dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Sous-Comité a tenu des réunions avec des représentants des hautes autorités de l’État, des peuples autochtones, des Nations Unies et de la société civile. Il s’est rendu dans 23 lieux de détention à La Paz, Cochabamba, El Alto, Santa Cruz, Sucre et Trinidad.

2.D’une manière générale, le Sous-Comité a constaté que les autorités étaient disposées à faciliter sa visite. Il a eu un accès rapide aux lieux de privation de liberté et la coopération avec les attachés de liaison a été efficace.

3.La délégation a cependant eu du mal à consulter les registres médicaux de l’hôpital psychiatrique San Juan de Dios, à Sucre. Le Sous-Comité n’a pu s’entretenir en privé avec les détenus de la prison de Mocoví − activité pourtant essentielle à l’exécution de son mandat − en raison d’un manque de coopération et de l’inaction du personnel pénitentiaire, de l’obstruction de délégués et de menaces de représailles faites aux détenus.

4.Dans le présent rapport, le Sous-Comité présente ses conclusions et recommandations concernant la prévention de la torture et des mauvais traitements à l’encontre des personnes privées de liberté dans l’État plurinational de Bolivie. L’expression « mauvais traitements » est utilisée au sens générique et renvoie à toutes les formes de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

5. Le Sous-Comité demande aux autorités boliviennes de lui rendre compte de manière détaillée, dans un délai de trois mois à compter de la date de transmission du présent rapport, des mesures que l’État partie aura prises pour donner suite aux recommandations formulées.

6.Le présent rapport restera confidentiel jusqu’à ce que l’État partie décide de le rendre public, conformément au paragraphe 2 de l’article 16 du Protocole facultatif, sauf dans les cas prévus au paragraphe 4 dudit article. Le Sous-Comité est convaincu que sa publication peut contribuer à la prévention de la torture et des mauvais traitements.

7. Le Sous-Comité recommande à l’État plurinational de Bolivie de rendre public le présent rapport ainsi que celui rendant compte de la précédente visite du Sous-Comité, effectuée en 2010, comme l’ont fait la grande majorité des États parties au Protocole facultatif pour les rapports les concernant .

8.Le Sous-Comité tient à appeler l’attention de l’État partie sur le Fonds spécial créé en vertu de l’article 26 du Protocole facultatif. Les recommandations formulées par le Sous-Comité dans ses rapports de visite rendus publics peuvent servir de base à l’État partie s’il souhaite faire une demande de financement de projets particuliers auprès du Fonds spécial.

II.Mécanisme national de prévention

9.Plus de dix ans se sont écoulés depuis que l’État plurinational de Bolivie a ratifié le Protocole facultatif. Pour respecter les obligations qui lui incombent au titre de cet instrument, l’État plurinational de Bolivie aurait dû établir ou désigner un mécanisme national de prévention au plus tard en juin 2007.

10.Lors de sa visite, en 2010, le Sous-Comité a accueilli avec satisfaction l’adoption du Plan national d’action pour les droits de l’homme 2009-2013, qui faisait de la mise en place du mécanisme national de prévention une priorité, et le projet de loi relatif au mécanisme national de prévention que le Ministère de la justice devait soumettre au Parlement en 2010. Au lieu de cela, l’État partie a établi le Service de prévention de la torture (SEPRET) en vertu de la loi no 474 du 30 décembre 2013 qui devait jouer le rôle de mécanisme national de prévention.

11.Le Sous-Comité a tenu des réunions et organisé des visites conjointes avec le SEPRET dans différents lieux de privation de liberté. Le Sous-Comité a notamment constaté avec satisfaction que le SEPRET avait effectué 64 visites inopinées dans des lieux de privation de liberté depuis son entrée en fonction en juillet 2016 et que ses membres avaient des compétences pluridisciplinaires et comptaient autant d’hommes que de femmes.

12.Tout en reconnaissant le travail accompli par le SEPRET, le Sous-Comité constate avec une vive préoccupation que son indépendance est gravement compromise par son statut juridique incertain, qui le place sous l’autorité du Ministère de la justice. À cet égard, le SEPRET ne satisfait pas aux exigences du Protocole facultatif. De plus, la loi no 474 ne définit pas, dans son article unique, les compétences clefs du mécanisme national de prévention, tels que son mandat, ses attributions, la procédure et les critères de nomination de ses membres, son financement et son obligation redditionnelle, ce qui est contraire aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Protocole facultatif.

13.Le Sous-Comité a constaté que le cadre juridique incomplet dans lequel le SEPRET a été créé en tant que mécanisme national de prévention avait une incidence directe sur ses activités, car il n’était pas perçu comme un organe indépendant. Par exemple, l’en-tête du Ministère de la justice figurait sur les documents du SEPRET. À plusieurs reprises, les fonctionnaires des centres de détention et les détenus ont agi comme si les membres du SEPRET étaient des inspecteurs mandatés par l’État. En outre, tout en reconnaissant la bonne volonté de l’équipe du SEPRET, les organisations de la société civile ont souligné son apparent manque d’indépendance et appelé l’attention sur de possibles conflits d’intérêts.

14.En ce qui concerne les méthodes de travail du SEPRET, le Sous-Comité a noté que ce dernier accordait une importance disproportionnée aux conditions matérielles de détention et n’examinait pas en détail les éventuelles allégations de torture et de mauvais traitements. Le Sous-Comité l’a constaté lors des visites menées conjointement avec le SEPRET dans la prison de San Pedro et la caserne militaire de Miraflores, ainsi que lors de l’examen du contenu de ses formulaires et protocoles internes. Le Sous-Comité est également préoccupé par le fait que lors de sa visite dans la prison de San Pedro, il n’a pas pu s’entretenir de manière confidentielle avec les détenus et que les entretiens collectifs ont eu lieu en présence de délégués, ce qui pouvait générer de graves risques de représailles.

15.Le Sous-Comité a entendu de la part des autorités plusieurs arguments qui peuvent être résumés de la manière suivante : « Mieux vaut le SEPRET que rien du tout ». À cet égard, le Sous-Comité ne demande pas la dissolution du SEPRET, qui peut constituer un pendant légitime des systèmes publics de contrôle, mais il considère que son existence ne doit pas empêcher les autorités de créer un mécanisme national de prévention qui soit pleinement conforme au Protocole facultatif.

16. Rappelant que, conformément au Protocole facultatif, l’indépendance des mécanismes nationaux de prévention dans l’exercice de leurs fonctions est la disposition fondamentale que les États parties sont tenus de respecter et qui détermine l’efficacité des mécanismes en question, le Sous-Comité demande insta mment aux autorités boliviennes :

a) De désigner ou de créer, au moyen d’un amendement constitutionnel ou législatif, un mécanisme national de prévention qui jouisse d’une autonomie financière et opérationnelle totale dans l’exercice de se s fonctions ;

b) De veiller à ce que la nouvelle législation définisse clairement le mandat et les attributions du mécanisme national de prévention, précise le mode de désignation de ses membres et la durée de leur mandat, garantisse leur indépendance, et indique les m otifs de révocation applicables ;

c) D’allouer au mécanisme national de prévention des ressources suffisantes pour lui perme ttre de mener à bien son mandat ;

d) De veiller à ce que le mécanisme national de prévention respecte pleinement les autres dispositions du Protocole facultatif et les Directives concernant les mécanismes nationaux de prévention .

III.Allégations de torture et de mauvais traitements et impunité

A.Allégations de torture et autres mauvais traitements

17.Plusieurs personnes interrogées par le Sous-Comité se sont accordées à dire que la police, l’administration pénitentiaire et les délégués avaient fréquemment recours à la torture et aux mauvais traitements pour enquêter, obtenir des aveux et exercer des punitions et des sanctions disciplinaires.

18.Lors de sa visite dans l’hôpital psychiatrique San Juan de Dios, à Sucre, le Sous-Comité a constaté un recours excessif et prolongé aux moyens de contrainte chimique, physique et mécanique (par exemple, immobilisation des patients sur une chaise au moyen de cordages).

19.Le Comité est particulièrement préoccupé par les allégations suivantes :

a)À la prison de très haute sécurité de Chonchocoro, plusieurs détenus se sont plaints d’avoir été extraits de leur cellule la nuit − tant par le personnel pénitentiaire que par des délégués et des autorités du système de « gestion interne »− d’avoir été frappés, d’avoir reçu des coups de couteau, d’avoir été ligotés à des clôtures et forcés de passer la nuit dans le froid. Selon des témoignages recueillis par le Sous-Comité, ces châtiments infligés en guise de « baptême » ou de « bienvenue » des nouveaux arrivants à la prison, prenaient également la forme de pratiques telles que les insultes, le recours disproportionné à la force, les brutalités « dissuasives », les coups de bâton sur le dos et à l’entrejambe, l’asphyxie avec des sacs en plastique, l’utilisation de gaz irritant, l’obligation de se mettre nu et de faire des pompes, les exercices physiques extrêmes et l’immersion dans des bains d’eau froide ;

b)Selon plusieurs allégations, les agents de sécurité chargés de la discipline au centre de réinsertion sociale pour adolescents Cenvicruz (Santa Cruz) extrayaient les détenus de leur cellule en pleine nuit, les frappaient, les attachaient à des poteaux en bois dans la cour, leur ordonnant de garder la tête baissée et de rester en position accroupie, et les privaient de sommeil, parfois pendant plus de vingt-quatre heures. Au centre de réinsertion sociale Cometa (Cochabamba), plusieurs personnes interrogées ont fait état du recours excessif à la force, de décharges électriques, d’utilisation de gaz irritant, de privation de sommeil et de passages publics à tabac sur le terrain de football du centre.

20.Le Comité est en outre préoccupé par les conditions matérielles inhumaines dans lesquelles des personnes sont détenues dans les cellules disciplinaires des prisons qu’il a visitées (appelées « salles de sanglots » « cales » ou « cachots »). Ainsi, dans la prison pour hommes de Mocoví, 15 personnes étaient détenues dans une même cellule disciplinaire, contraintes à l’immobilité faute d’espace, à moitié dénudées, privées de nourriture, avec des traces visibles de coups et de flagellations sur le dos et à l’entrejambe. Plusieurs de ces détenus ont affirmé s’y trouver depuis plus de trois semaines, dans des conditions insalubres, dormant à même le sol sur des couvertures sales, sans accès à des toilettes. Le Sous-Comité a constaté de mêmes conditions inhumaines de détention dans les « salles de sanglots » de Chonchocoro. Il en conclut que les conditions matérielles inhumaines de détention dans ces cellules (surpeuplement, manque de nourriture, absence totale d’hygiène), conjuguées à l’absence de garanties (assistance médicale, accès à la justice) et à la détention prolongée dans de telles conditions, sont constitutives de mauvais traitements et pourraient, dans certains cas, s’apparenter à des actes de torture.

21. Compte tenu de ce qui précède, le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De veiller à ce que les policiers et les agents pénitentiaires reçoivent périodiquement des instructions claires et catégoriques rappelant l’interdiction absolue et impérative de toute forme de torture et de mauvais traitements et que cette interdiction figure dans les règles ou instructions générales édictées en ce qui concerne les obligations et les attributions du personnel de police et des agents pénitentiaires  ;

b) D’adopter une politique pénitentiaire claire et intégrale afin de garantir que le régime disciplinaire carcéral soit appliqué uniquement par le personnel pénitentiaire (conformément à la loi n o 2298 sur l’exécution des peines et la surveillance) et non par les délégués et/ou d’autres autorités du système d’autogestion  ;

c) De sanctionner l’utilisation de moyens de contrainte chimique, mécanique ou physique dans les établissements psychiatriques, conformément à l’ article  16 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées  ;

d) D’effectuer d’urgence un audit national sur les conditions matérielles de détention dans les cellules disciplinaires où sont effectivement placés des détenus et d’établir un programme en vue de leur nettoyage, rénovation ou fermeture si les conditions minimales ne sont pas conformes aux normes internationales.

B.Impunité

22.Selon des informations portées à la connaissance du Sous-Comité, les victimes de mauvais traitements ne dénoncent pas ceux qui les ont commis (policiers, agents pénitentiaires et autorités du système d’autogestion) de peur d’être maltraitées ou torturées de nouveau, de subir des représailles ou d’y exposer leur famille, mais aussi faute de mécanismes efficaces de signalement et de plainte, notamment.

23.Le Sous-Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles trois détenus sont décédés de mort violente dans la prison de Chonchocoro, décès qui, à ce jour, n’auraient fait l’objet d’aucune enquête pénale ou administrative.

24. Le Sous-Comité prie instamment l’État partie d’ouvrir des enquêtes approfondies sur les actes de torture et les mauvais traitements imputés à des policiers et à des agents pénitentiaires et d’établir la responsabilité des supérieurs hiérarchiques qui ont instigué ou encouragé de telles pratiques, y ont consenti ou les ont tolérées .

25.Le Sous-Comité réitère sa recommandation antérieure concernant l’Institut de recherche médico-légale et l’application du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) et engage l’État partie à prendre des mesures pour que les rapports médico-légaux soient établis conformément aux prescriptions du Protocole d’Istanbul et permettent d’identifier d’éventuels cas de torture. Il recommande également à l’État partie, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu des articles  12 et 16 de la Convention contre la torture, de diligenter une enquête impartiale chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis ou que des mauvais traitements ont été infligés. L’enquête doit être ouverte même en l’absence d’une plainte en bonne et due forme.

26.Tant le Comité contre la torture que le Sous-Comité sont parvenus à la conclusion que la définition de la torture telle qu’elle figure à l’article 295 du Code pénal est inadéquate, pour les raisons que le Sous-Comité a déjà exposées à l’État plurinational de Bolivie dans le rapport sur sa première visite en 2010.

27.Sept ans après la première visite du Sous-Comité, aucune modification n’a été apportée à la législation pertinente. Le Sous-Comité renvoie une nouvelle fois, et avec une grande préoccupation, l’État partie à ses considérations et recommandations antérieures . Il rappelle en particulier combien il importe que l’État partie prenne des mesures législatives pour harmoniser la législation nationale avec les instruments internationaux relatifs à la torture qu’il a ratifiés, pour éviter tout risque d’impunité et pour veiller à ce que les actes de torture fassent l’objet d’une enquête appropriée et que leurs auteurs soient dûment sanctionnés.

IV.Suivi des recommandations formulées par le Sous-Comité en 2010

A.Causes et conséquences du recours excessif à la détention avant jugement

28.Le Sous-Comité constate que, depuis la visite qu’il a effectuée en 2010, aucun progrès n’a été fait en ce qui concerne la détention avant jugement, qui dépasse aujourd’hui les 70 % et qui se traduit par des taux de surpeuplement carcéral extrêmement élevés, qui atteignent 550 % à San Pedro et 700 % à Palmasola.

29.Se fondant sur ses deux visites, le Sous-Comité a identifié les facteurs suivants qui expliquent le taux élevé de personnes placées en détention provisoire :

a)La rareté des mesures alternatives à la privation de liberté, alors qu’une grande partie des personnes placées en détention provisoire ont commis des délits mineurs et n’ont pas d’antécédents judiciaires. Dans la pratique, la détention reste la règle, bien que l’article 221 du Code de procédure pénale établisse son caractère exceptionnel ;

b)L’influence qu’ont une conception répressive marquée, l’opinion publique et les pressions du ministère public sur les autorités judiciaires chargées de prendre des mesures de protection. Le Sous-Comité a appris que le ministère public mesure l’efficacité judiciaire en fonction du nombre de demandes de placement en détention provisoire émises et que les juges s’abstiennent de prononcer des peines alternatives à la détention de peur de faire l’objet de procédures disciplinaires, en particulier lorsqu’ils sont saisis d’affaires médiatisées ;

c)Les conditions restrictives et discriminatoires requises par les juges pour prononcer des peines de substitution à l’emprisonnement, qui exigent pour la plupart des cautions disproportionnées, ce qui a pour effet de maintenir en détention les personnes appartenant aux groupes les plus démunis et les plus marginalisés ;

d)La lenteur des procédures et le non-respect des délais procéduraux, puisque selon les informations disponibles, plus de 70 % des audiences ont été suspendues en raison de l’absence du juge des libertés et de la détention (juez cautelar) ou se sont tenues en l’absence d’un représentant du ministère public. Le Sous-Comité a constaté à travers de nombreux témoignages que la suspension des audiences était également due à la présentation tardive des détenus ou à un blocage intentionnel dans les établissements pénitentiaires au moment du transfèrement des détenus à l’audience, cette pratique étant devenue une source de revenus illégaux pour les autorités pénitentiaires et policières ;

e)La corruption dans le domaine pénal qui, comme le Sous-Comité l’a relevé en 2010, a une forte incidence sur les personnes démunies. D’après les nombreux témoignages recueillis, les avocats serviraient d’intermédiaires et demanderaient aux prévenus de verser des sommes d’argent pour échapper à la prison et cette demande émanerait parfois directement des juges et des procureurs ;

f)Le non-respect de la durée maximale de vingt-quatre mois de détention avant jugement, prévue par le Code de procédure pénale, dû au fait que les juges des libertés et de la détention n’exercent pas le contrôle voulu sur la durée de la détention avant jugement. Le Sous-Comité a reçu des informations qui indiquent que le ministère public dispose d’un système d’enregistrement et de suivi des affaires pénales, mais que, selon les témoignages recueillis, y compris le cas avéré d’une personne ayant passé dix ans en détention avant jugement, ce système ne peut pas émettre d’alertes en cas de dépassement des délais, principalement parce que les fonctionnaires n’entrent pas dans le système les informations nécessaires ;

g)La législation en vigueur permet le placement en détention provisoire. L’évaluation des risques procéduraux peut donner lieu à une interprétation arbitraire de la part des juges, par exemple lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne présente un danger pour la société ou risque de s’enfuir.

30. Le Sous-Comité invite instamment l’État partie à promouvoir l’élaboration d’une politique pénale tenant compte de la vulnérabilité des personnes et de leurs droits de l’homme, qui décourage le recours généralisé à la détention avant jugement et privilégie les modèles de justice réparatrice.

31. Le Sous-Comité demande instamment à l’État partie de donner effet aux recommandations en suspens énoncées dans le rapport de 2010, en particulier celles qui figurent aux paragraphes 56 et 143 .

32. Le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De garantir le principe d’indépendance de la magistrature et d’adopter une stratégie effective de prévention du harcèlement des magistrats  ;

b) D’adopter des mécanismes permettant de déceler et de sanctionner les pratiques de corruption  ;

c) De veiller à ce que les conditions requises pour bénéficier de mesures non privatives de liberté soient adaptées aux moyens socioéconomiques des prévenus et tiennent dûment compte du mode de vie et des coutumes des autochtones, conformément à l’esprit de la Constitution bolivienne  ;

d) De réaliser un audit auprès des tribunaux afin d’identifier les affaires en souffrance et d’effectuer à intervalles réguliers un contrôle judiciaire indépendant de la durée et des conditions de la détention provisoire.

B.Délégation de pouvoir, autogestion et corruption

33.Lors de sa visite de 2010, le Sous-Comité a constaté la présence d’un « système parallèle de gestion interne dans toutes les prisons du pays » et s’est dit préoccupé par le fait que ce système d’autogestion faisait office « [d’]outil de contrôle social et disciplinaire ». Il remarquait qu’il s’était créé un système de « coexistence ordonnée » entre l’administration pénitentiaire et les conseils de délégués, « sorte de pacte tacite qui permet[tait] à ces derniers d’obtenir certaines libertés, passe-droits et autorisations ».

34.Le Sous-Comité a observé que le système d’autogestion s’était renforcé depuis sa dernière visite il y a sept ans. Avant tout, il provoquait de profondes inégalités entre les détenus quant aux conditions matérielles de leur détention. Dans les prisons de San Pedro, de Mocoví (hommes), de San Sebastián (hommes) et de San Roque, il déterminait la répartition des fonctions touchant aux conditions matérielles et à la réadaptation, notamment à la santé, au travail, à l’occupation des cellules et aux activités de nettoyage.

35.Dans sa jurisprudence, le Sous-Comité a noté qu’il existait un lien direct entre la corruption et l’autogestion des établissements pénitentiaires. Il s’inquiète profondément de voir que la corruption, qui est considérée comme « normale » par les détenus comme par les fonctionnaires, est bien ancrée dans la plupart des prisons de l’État plurinational de Bolivie.

36.La corruption se manifestait, entre autres, par la location et la vente de cellules en fonction de leur capacité et de leur degré de confort et par la perception de sommes d’argent en échange de l’accès aux téléphones publics, aux cliniques ou dispensaires et à l’alimentation, d’un niveau de confort ou d’intimité supérieur lors des visites familiales. Les inégalités économiques entre les détenus renforçaient la vulnérabilité des plus faibles, qui étaient forcés de vivre dans des conditions équivalant à des mauvais traitements. La situation était parfois poussée à l’extrême, comme à Chonchocoro, où les détenus devaient payer pour dormir sur un matelas, ou à San Pedro, où on a constaté l’exploitation d’un sauna.

37.Le Sous-Comité a constaté avec une vive inquiétude une nette augmentation du nombre de sanctions disciplinaires imposées par les délégués. Il se préoccupe de l’absence flagrante de garanties contre la torture, compte tenu du caractère illégal des châtiments imposés, de garanties d’une procédure régulière pour la personne visée par les sanctions et de registres des sanctions. Il a constaté que la délégation de pouvoir était totale dans les prisons de Mocoví et de San Sebastián (hommes), où les délégués ont mis en place des régimes disciplinaires informels avec l’accord ou l’acceptation des agents pénitentiaires.

38.Dans plusieurs établissements pénitentiaires, les agents de police ont déclaré se charger uniquement de la sécurité à l’extérieur du complexe, le contrôle de la situation à l’intérieur étant laissé à la charge des délégués. Le Sous-Comité a recueilli de nombreux témoignages confirmant « l’absence de contrôle institutionnel » dans les prisons. Les détenus ont indiqué que le personnel pénitentiaire n’était pas en mesure de les protéger ; du fait de la présence de groupes criminels dans les prisons, les gardiens recevaient des menaces et craignaient pour leur sécurité et celle de leurs proches.

39.La substitution du pouvoir étatique par les délégués transparaissait également dans la tenue des registres. Les délégués tenaient des registres parallèles répertoriant les délais, les dates des audiences et les autres informations liées aux procédures judiciaires concernant les détenus. Dans un des établissements, c’étaient les délégués qui signaient les documents relatifs aux remises de peine, ce qui témoigne clairement de l’existence d’un système d’autogestion.

40.Le Sous-Comité est préoccupé par les obstacles à la libre expression des détenus et au dépôt de plainte pour d’éventuels mauvais traitements que pose le système de délégués. Il conclut que l’association de la délégation de pouvoir, de l’autogestion et de la corruption augmente le risque que les détenus soient victimes de formes systémiques d’exploitation, de mauvais traitement et de torture, voire d’homicide, les auteurs de tels actes agissant en toute impunité. Enfin, il note que le système décrit dans les paragraphes précédents dénature complètement l’objet et le but des peines privatives de liberté, à savoir la réadaptation. Le personnel pénitentiaire a reconnu la délégation de pouvoir à plusieurs occasions, ce qui, pour le Sous-Comité, est un signe du dégagement de l’État de son obligation de garantir les droits fondamentaux des personnes sous sa garde.

41.Le Sous-Comité réitère les recommandations relatives à l’autogestion et à la corruption dans le système pénitentiaire qu’il a formulées dans son rapport de 2010.

42. Le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De garantir d’urgence la gouvernance des prisons en mettant fin aux formes d’autogestion dans les établissements pénitentiaires dans lesquels les autorités n’exercent pas de contrôle effectif  ;

b) D’enquêter sur tous les cas de violence et de corruption, y compris les cas de sanction disciplinaire infligée arbitrairement par les délégués, et d’imposer les sanctions prévues par la loi aux détenus comme aux fonctionnaires responsables de manquements.

43.Le Sous-Comité exprime à nouveau sa préoccupation concernant les conditions de travail des agents de police chargés de la sécurité et de la tenue des registres dans les établissements pénitentiaires. Il a constaté qu’en dépit des mesures adoptées depuis sa première visite, l’environnement dans lequel les policiers travaillent, se reposent et prennent leurs repas est inapproprié, l’infrastructure est décrépite et le matériel est déficient ou obsolète. Le faible niveau de rémunération de ces agents constitue vraisemblablement un facteur de corruption supplémentaire.

44. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que les agents pénitentiaires soient en nombre suffisant pour garantir la sécurité et d’améliorer les conditions de travail de ces agents, notamment en leur versant une rémunération décente.

C.Bureau de la défense publique

45.Dans son rapport de 2010, le Sous-Comité s’est dit préoccupé par la fragilité du Bureau de la défense publique, sur le plan non seulement de l’infrastructure et des ressources mais aussi du nombre de défenseurs. Il a constaté en 2010 qu’à peine plus de 50 défenseurs publics desservaient une population de plus de 9 millions d’habitants. En outre, il s’inquiétait de l’écart considérable entre les ressources du Bureau de la défense publique et celles du ministère public (le rapport entre défenseurs publics et procureurs était estimé à 1 pour 10) et du fait que le salaire des défenseurs était inférieur de moitié à celui des procureurs.

46.Lors de sa visite de 2017, le Sous-Comité a relevé plusieurs améliorations sur le plan institutionnel, en particulier la création du Service plurinational de la défense publique par la loi no 463 du 11 décembre 2013, dans laquelle il est réaffirmé qu’un service de défense publique doit être proposé gratuitement aux personnes visées par une plainte, accusées ou poursuivies en matière pénale.

47. Le Sous-Comité a pris note des renseignements communiqués par le Gouvernement selon lesquels le nombre de défenseurs publics a été porté à 91. Il reste toutefois préoccupé par l’écart entre le nombre de défenseurs publics habilités et le nombre d’habitants qui continue d’entraver l’exercice du droit à la défense des personnes, en particulier celles qui vivent dans des zones rurales ou disposent de maigres ressources économiques.

48.De manière générale, les défenseurs publics n’ont pas les moyens techniques ou le matériel appropriés pour s’entretenir avec leurs clients. Le Sous-Comité a été le témoin d’entretiens tenus dans des lieux ouverts où il est impossible de garantir l’intimité et où, par conséquent, il est difficile pour les détenus de dénoncer d’éventuels mauvais traitements en toute confidentialité. Le manque d’accès aux outils de travail les plus élémentaires, comme un bureau et une chaise, et le faible niveau de rémunération ont pour conséquence de démotiver les avocats et de favoriser la corruption.

49.Les détenus interrogés par le Sous-Comité ont déclaré qu’ils n’avaient que peu de contacts avec les services de défense publique, quand ils en avaient, qu’ils avaient du mal à considérer les défenseurs publics comme leurs avocats et qu’ils n’étaient pas suffisamment informés de l’évolution de leur dossier. Plusieurs d’entre eux ont indiqué que, vu l’inefficacité des services de défense publique, ils avaient dû recourir à des services juridiques indépendants, lesquels étaient perçus comme plus efficaces.

50. Le Sous-Comité recommande à nouveau à l’État partie de renforcer le Bureau de la défense publique et de doter le Service plurinational de la défense publique des ressources techniques, financières et humaines nécessaires pour qu’il s’acquitte de ses fonctions efficacement. Il recommande également à l’État partie de mobiliser davantage de ressources afin d’augmenter les effectifs du Bureau de la défense publique, en mettant l’accent sur les zones rurales.

51.Le Sous-Comité note avec préoccupation qu’il n’existe aucun mécanisme de contrôle des conditions de détention, en particulier que ni le ministère public, ni le Bureau de la défense publique, ni les autorités judiciaires ne sont tenus de surveiller les conditions de détention. Il constate également avec inquiétude que le Service de la défense publique ne tient aucun registre des cas de torture et de mauvais traitement et qu’aucun critère n’a été défini concernant l’exercice de cette fonction.

52. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que les défenseurs publics se conforment pleinement à leur obligation légale de tenir un registre des cas de torture et autres traitements inhumains qui ont fait l’objet d’une plainte ou qui ont été dénoncés sous le sceau du secret profession nel, conformément au paragraphe  7 de l’ article 41 de la loi n o 463. Il lui demande en particulier de former les défenseurs publics au repérage des cas éventuels de torture et de mauvais traitements chez les personnes dont ils ont la charge et à la réception des plaintes y relatives, et d’informer largement la population carcérale du fait que les cas de torture peuvent être signalés aux défenseurs publics.

53.Le Sous-Comité a constaté qu’il n’existait pas de service de défense spécialisé pour les enfants et les adolescents, ce qui est contraire à la législation, et que les enfants et les adolescents dépendaient généralement des défenseurs des droits de l’enfant, qui n’appliquaient pas systématiquement le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les procédures judiciaires. Il a connaissance d’une affaire dans laquelle, au cours de l’audience de mise en accusation, l’avocat de la défense a demandé au juge de prononcer une mesure privative de liberté contre l’adolescent. En général, les défenseurs assignés aux adolescents cherchent à obtenir l’imposition d’une peine minimale ou l’application d’une procédure simplifiée, faute d’une stratégie de défense alternative susceptible de déboucher sur d’autres résultats.

54. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de mettre en place le service de défense technique spécialisé pour les enfants et les adolescents prévu par la loi n o 463.

D.Garanties

55.Le Sous-Comité constate avec une grave préoccupation que l’État partie n’a pas appliqué les recommandations formulées dans son rapport de 2010 portant sur l’adoption de mesures visant à garantir effectivement l’accès à un avocat et à un médecin, le droit des détenus d’avertir une personne de confiance et d’être informés de leurs droits au moment de leur mise en détention et l’adoption de mécanismes de dénonciation et de plainte. Il ressort clairement des visites effectuées en 2017 que les droits susmentionnés, qui constituent des garanties contre la torture et les mauvais traitements, continuent d’être violés.

56. Le Sous-Comité prie instamment l’État partie d’appliquer ses recommandations précédentes.

57.Le Sous-Comité a relevé en particulier l’absence flagrante de progrès s’agissant de maintenir un système de registres adapté, comme l’État en a l’obligation.

58.En application de la loi no 2298, il incombe aux directeurs des établissements pénitentiaires de tenir à jour les registres des détenus. Dans tous les établissements dans lesquels il s’est rendu, le Sous-Comité a observé diverses formes de registres allant des tableaux Excel aux registres manuscrits.

59.Le Sous-Comité a examiné de nombreux dossiers et a constaté avec inquiétude que, de manière générale, les noms du juge et du procureur chargés de l’affaire et la date exacte de la mise en détention n’y étaient pas renseignés. Les données personnelles des détenus étaient incomplètes, le numéro de document d’identité et les empreintes digitales de l’intéressé faisant défaut dans de nombreux cas. En outre, les agents pénitentiaires ont expliqué que c’étaient eux qui procédaient à la vérification des empreintes au moment de la remise en liberté, alors qu’ils n’avaient pas de compétences spécialisées en la matière. Dans de nombreux établissements, le Sous-Comité n’a trouvé aucun registre des peines, des rapports médicaux et psychologiques, des transfèrements ou des sanctions disciplinaires, entre autres. Il est préoccupé par la disparité et l’éparpillement des registres, chaque fonctionnaire de la Direction départementale de l’administration pénitentiaire (médecin, travailleur social, avocat, etc.) tenant ses propres archives.

60.L’absence de répertoire uniforme des juges et de mécanisme efficace de notification de la fin des périodes de détention provisoire et des peines d’emprisonnement a pour conséquence que de nombreuses personnes restent privées de liberté alors que le délai de détention a été dépassé ou, dans le pire des cas, qu’elles ont purgé leur peine, et ce, sans que le juge compétent ou le directeur de l’établissement pénitentiaire ne se rendent compte qu’il y a privation de liberté illégale. Le manque de coordination dans la tenue des registres inquiète le Sous-Comité, compte tenu de l’importance fondamentale de la coordination pour l’exercice du droit de défense et du droit d’accès à la justice dans le contexte de poursuites judiciaires.

61. Le Sous-Comité conclut que le problème généralisé de la mauvaise tenue des registres relatifs à la privation de liberté dans l’État partie crée des brèches dans la protection des personnes contre la torture et les mauvais traitements et favorise l’impunité.

62.Dans les postes de police visités, le système de registres observé ne permettait pas non plus de suivre efficacement les admissions et les sorties, ni de vérifier le respect des garanties d’une procédure régulière. De plus, le Sous-Comité a noté qu’un grand nombre de registres avaient été créés récemment.

63. Le Sous-Comité réitère ses recommandations concernant la mise en place d’un système uniforme de registres et invite l’État partie à solliciter l’assistance du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme à cet égard.

64. De plus, le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De mettre en place un mécanisme fiable de notification électronique de la fin des périodes de détention provisoire et des peines privatives de liberté  ;

b) D’adopter une politique institutionnelle en vue d’identifier les personnes privées de liberté de manière fiable, notamment au moyen de la délivrance de documents d’identité permanents et gratuits, de la prise des empreintes digitales et de la vérification de ces empreintes par des experts compétents  ;

c) D’uniformiser les registres contenant des données médicales, psychologiques et personnelles  ;

d) De former les directeurs des établissements pénitentiaires à la tenue à jour des registres et à l’envoi de copies mensuelles aux juges compé tents, conformément à la loi n o 2298  ;

e) De procéder à un recensement pour repérer les cas de personne détenue après la fin de la période de privation de liberté et de faciliter le dépôt de plaintes pénales pour privation illégale de liberté.

V.Situation des personnes privées de liberté

A.Postes de police

65.Le Sous-Comité a noté que les conditions matérielles dans les postes de police visités étaient extrêmement précaires, en particulier que les cellules n’étaient pas équipées d’un accès à l’eau potable, ni de sanitaires, de couchettes ou de matelas, et que les détenus n’étaient pas suffisamment nourris. Il a vu des personnes dormir à même le sol dans des cellules vétustes, insalubres, mal aérées et dépourvues de lumière naturelle. Même dans les postes de police construits récemment, comme les postes centralisés de Cochabamba, les cellules visitées par le Sous-Comité n’étaient pas conformes aux normes minimales relatives à l’équipement, aux services et à la superficie. Le Sous-Comité estime que, combinés, ces manquements constituent un traitement inhumain et dégradant.

66. Le Sous-Comité recommande à l’État Partie d’adopter une stratégie visant à garantir la conformité des postes de police et des cellules aux normes minimales internationales, notamment en ce qui concerne l’accès à des sanitaires, à l’eau potable et à l’alimentation, et d’affecter les ressources financières nécessaires à sa mise en œuvre.

B.Établissements pénitentiaires

67.Le Sous-Comité s’est rendu dans des établissements pénitentiaires pour femmes et pour hommes dans lesquels il s’était déjà rendu lors de sa première visite, ainsi que dans d’autres lieux de détention, notamment dans les zones rurales.

a)Surpopulation

68.Dans son rapport de 2010, le Sous-Comité a constaté un « niveau insoutenable de surpopulation » dans presque toutes les prisons du pays. La situation s’est dégradée depuis et reste contraire aux normes internationales. Certains établissements pénitentiaires qui étaient déjà surpeuplés lors de la première visite du Sous-Comité ont encore vu leur population augmenter. C’est le cas de la prison de San Pedro (La Paz) où, en 2017, le nombre de détenus était quatre fois supérieur à la capacité d’accueil.

69.Le Sous-Comité a observé que la prison pour hommes de San Sebastián, qui a une capacité de 200 personnes, accueillait 600 détenus en 2010 et 717 en 2017, dont 80 % en détention provisoire. Il a constaté les conditions de détention déplorables de certains détenus qui, faute de cellule, s’étaient aménagés un espace pour dormir sur le toit de l’établissement, sur des terrasses difficiles d’accès et non sécurisées. En ce qui concerne la prison de San Roque (Sucre), la population carcérale était de 527 personnes pour une capacité d’accueil de 235 détenus.

70.Le Sous-Comité prend note des mesures adoptées par l’État partie pour lutter contre la surpopulation, notamment l’agrandissement des établissements pénitentiaires et l’adoption de lois sur le décongestionnement prévoyant, entre autres, l’octroi de remises de peine et d’amnisties et l’application de procédures accélérées. Il constate toutefois avec préoccupation que ces mesures ont un caractère conjoncturel et exceptionnel et qu’elles n’apportent pas de solution au problème structurel des détentions sans condamnation.

71.Le Sous-Comité observe avec une grave inquiétude que les causes profondes de la surpopulation perdurent dans l’État partie, en particulier :

a)Le recours très répandu à la détention provisoire ;

b)Les irrégularités dans les procédures accélérées, notamment les cas d’auto-incrimination et de personnes plaidant coupables en vue d’obtenir une peine moins lourde ;

c)La privation de liberté pour dettes liées à l’alimentation ou au travail ;

d)La non-exécution des ordres de remise en liberté en raison d’obstacles administratifs ou de l’absence de documents d’identité permettant de vérifier la situation personnelle des détenus et d’en assurer le suivi.

72.Le Sous-Comité rappelle à l’État partie que la détention de personnes dans des conditions de surpopulation extrêmes telles que celles observées dans plusieurs établissements visités constitue une violation des droits des détenus et équivaut à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Compte tenu du niveau insoutenable de surpopulation et de la présence de cas de tuberculose dans plusieurs des établissements visités, le Sous-Comité réaffirme que des mesures doivent être prises d’urgence aux plus hauts niveaux dans le cadre d’une « politique de l’État ».

73. Le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De promouvoir une meilleure utilisation des outils informatiques pour enregistrer les données relatives aux personnes privées de liberté et surveiller correctement la durée des périodes de détention provisoire  ;

b) De réaliser une évaluation approfondie des cas d’auto-incrimination, en veillant au respect du droit de défense en justice et des garanties d’une procédure régulière  ;

c) De faire en sorte que les prévenus soient séparés des condamnés, étant donné qu’ils doivent être soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées  ;

d) De prononcer des mesures autres que la privation de liberté dans les cas de manquement aux obligations d’aide à la famille et de non-versement d’allocations sociales.

b)Conditions matérielles

74.Le Sous-Comité constate que, de manière générale, les conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires sont extrêmement précaires, en particulier à San Pedro, à Palmasola, à San Sebastián (hommes), à San Sebastián (femmes) et à Mocoví.

75.L’infrastructure pénitentiaire est archaïque et, dans les établissements de La Paz, les détenus ont dû aménager les cellules par eux-mêmes. La prison de San Pedro est insalubre, mal aérée et dépourvue de matelas et de services de santé. Le Sous-Comité considère que les conditions de détention observées dans cet établissement constituent un traitement cruel, inhumain et dégradant.

76. Le Sous-Comité réitère ses recommandations de 2010 et prie instamment l’État partie de fermer sans attendre les prisons de San Pedro (La Paz) et de Palmasola (Santa Cruz).

77.Le niveau de vie des détenus est insatisfaisant. Leur accès à l’alimentation, aux soins de santé, aux médicaments, à un lit et à des articles de toilette dépend essentiellement de leur situation économique et, dans de nombreux cas, de l’appui de leurs proches. L’allocation pour personne privée de liberté (prediario) a été accordée avec plus d’un mois de retard dans certains cas, et le Sous-Comité a été informé du fait que les mineurs qui restaient avec leur mère n’étaient pas pris en compte pour déterminer l’accès à cette allocation.

78.Le Sous-Comité a constaté que les conditions de salubrité étaient déplorables dans les prisons de Chonchocoro, de San Sebastián (hommes) et de San Pedro, et ce, en raison d’un accès restreint à l’eau potable et à l’assainissement. À Chonchocoro, les détenus n’ont pas accès à l’eau potable en permanence et en sont totalement privés dans la zone dite « des sanglots », où ils sont entassés et contraints de partager un sanitaire dégageant des odeurs nauséabondes.

c)Programmes d’activité

79.Dans certains établissements pénitentiaires, le Sous-Comité a constaté que des espaces étaient réservés ou affectés à l’étude (niveaux primaire et secondaire) et à l’organisation d’ateliers, principalement de menuiserie, de tissage, de confection, de couture et de coiffure. La cuisine et la lessive étaient considérées comme des travaux réservés aux femmes. À la prison de San Roque (Sucre), le Sous-Comité a également noté la présence de salles réservées à l’étude de l’agronomie (niveau universitaire).

80.Le Sous-Comité constate avec préoccupation que les activités susmentionnées ne sont accessibles qu’à un nombre limité de détenus et que leur organisation, de même que la fourniture de matériel et d’outils de travail, dépend essentiellement des délégués.

81.Les personnes privées de liberté n’ont quasiment pas la possibilité de lire des revues, des journaux ou des livres, excepté à la prison d’Arani, où le Sous-Comité a constaté qu’une cellule faisait office de bibliothèque et qu’un ordinateur était mis à la disposition des détenus. Néanmoins, cet espace était utilisé comme bureau par le délégué et servait de cadre aux visites intimes des détenus, qui pouvaient l’utiliser moyennant paiement.

82.Si le Sous-Comité a relevé la présence de travailleurs sociaux, de personnel paramédical, de psychologues et d’infirmiers dans plusieurs établissements de La Paz, de Cochabamba et de Sucre et à Palmasola, il n’a constaté aucun équipement professionnel. Dans de nombreux établissements, il n’y avait qu’un seul professionnel de la santé pour l’ensemble de la population carcérale, et aucun médicament. Il est urgent de remédier à cette insuffisance.

83.En l’absence d’un programme d’activité bien organisé, systématique et accessible à l’ensemble de la population carcérale la peine d’emprisonnement ne peut avoir l’effet recherché, à savoir la réinsertion sociale des détenus.

84. Le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De renforcer le rôle des juges chargés de l’exécution des peines concernant le contrôle des conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires, notamment en les chargeant d’imposer aux autorités pénitentiaires qu’elles améliorent les conditions de vie dans les prisons et d’assurer le suivi de ces améliorations  ;

b) De renforcer la capacité des autorités départementales d’appliquer une politique carcérale fondée sur les droits de l’homme et de veiller à ce que les mesures interinstitutionnelles prises respectent les normes minimales en matière d’infrastructure pénitentiaire, en particulier en ce qui concerne le volume d’air, la surface au sol et la séparation des prévenus et des condamnés  ;

c) D’affecter des ressources publiques à l’amélioration des conditions matérielles, plus particulièrement de l’infrastructure, des conditions de salubrité et d’hygiène, de l’accès à l’eau potable, des cellules, des dortoirs et des espaces communs, en mettant l’accent sur les établissements pénitentiaires dans lesquels les conditions sont les plus critiques  ;

d) D’élaborer des orientations en matière de politique carcérale et d’affecter des ressources à l’organisation d’activités professionnelles, éducatives, culturelles, sportives et ludiques dans les établissements pénitenciers. Le programme d’activité devrait être établi en s’appuyant sur les bonnes pratiques observées à la prison de San Roque (Sucre) et en veillant à ce que les détenus marginalisés au motif du handicap, du statut de migrant, de l’âge, du sexe, du genre ou de la race puissent participer aux activités dans des conditions d’égalité.

C.Centres de réinsertion sociale pour adolescents en conflit avec la loi

85.Le Sous-Comité accueille avec satisfaction l’adoption de la loi no 548 de 2014 portant Code de l’enfant et de l’adolescent. Il se félicite également que l’État partie souhaite axer le nouveau système de justice pénale pour mineurs sur la réparation. Il note toutefois avec préoccupation que l’État partie a abaissé l’âge de la responsabilité pénale de 16 à 14 ans.

86.Le Sous-Comité a eu l’occasion de visiter deux centres de réinsertion sociale pour adolescents en conflit avec la loi − Cometa, à Cochabamba, et Cenvicruz, à Santa Cruz − et de s’entretenir avec le personnel chargé de la sécurité et de diverses activités dans ces établissements ainsi qu’avec des adolescents privés de liberté.

87.D’une manière générale, le Sous-Comité est très préoccupé par les conditions matérielles dans lesquelles les adolescents sont détenus dans ces deux centres. Dans le centre Cometa, il a constaté que les adolescents étaient nettement en surnombre, étaient privés de tout approvisionnement en eau et n’avaient pas la possibilité de se doucher. Dans les deux centres, les conditions de santé et d’hygiène dans les cellules, la cuisine et les toilettes sont déplorables (fissures dans les murs, salles d’eau inutilisables, odeurs nauséabondes, eau polluée, excréments de rats dans les placards de la cuisine du centre Cenvicruz, mouches et autres insectes sur les aliments frais). Dans les deux centres, les pires conditions ont été observées dans les cellules d’isolement et de punition.

88.En ce qui concerne l’alimentation, le Sous-Comité a obtenu les témoignages de plusieurs adolescents faisant état de l’insuffisance des rations alimentaires quotidiennes.

89.Le centre Cenvicruz est situé dans une zone peu accessible, ce qui rend difficiles les visites des proches. De plus, les adolescents ont l’interdiction de passer des appels téléphoniques.

90.Le Sous-Comité note avec satisfaction qu’il existe un micro-hôpital et un centre éducatif (créé seulement trois mois plus tôt) à l’intérieur du centre Cenvicruz, et que des ateliers d’artisanat, d’agriculture et de sport sont proposés aux adolescents.

91.Le Sous-Comité a constaté que, dans le centre Cenvicruz, il est établi une distinction entre les adolescents en attente de jugement, en détention provisoire ou âgés de 14 à 15 ans et les autres. Dans le centre Cometa, il a noté avec préoccupation que les petites filles et les adolescentes occupent un secteur distinct et éloigné et n’ont pas accès aux mêmes activités que les garçons.

92. En conséquence, le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) D’améliorer sans délai les conditions matérielles dans les centres de réinsertion sociale, notamment l’espace minimal accordé à chaque adolescent, l’hygiène et la ventilation  ;

b) De doter les centres de crédits budgétaires pour l’achat d’aliments de meilleure qualité et en plus grande quantité, de sorte que les adolescents bénéficient de repas d’une valeur nutritionnelle suffisante pour le maintien de leur santé et de leurs forces au moins deux fois par jour  ;

c) De fournir gratuitement et systématiquement aux adolescents au moins 2  litres d’eau potable par jour  ;

d) De garantir l’accès régulier aux toilettes et aux douches et de maintenir celles-ci dans des conditions sanitaires appropriées, et de fournir des lits avec des matelas, y compris pour les adolescents en cellule d’isolement  ;

e) De prendre les mesures qui s’imposent pour faciliter les visites dans les centres, grâce à des services de transport gratuits à l’intention des membres de la famille et des amis, d’améliorer le contact avec l’extérieur et d’accorder aux adolescents la possibilité de passer des appels téléphoniques au moins une fois par semaine  ;

f) De prendre des mesures en vue d’étendre les possibilités d’éducation et de formation professionnelle offertes aux adolescents.

D.Cellules de garde à vue

93.Le Sous-Comité a visité les cellules de garde à vue situées dans les tribunaux de Santa Cruz et de La Paz et a pris note avec préoccupation de la surpopulation carcérale et des mauvaises conditions de détention.

94.Le Sous-Comité a constaté que les personnes privées de liberté pouvaient rester dans des cellules de garde à vue pendant plusieurs jours, voire pendant plusieurs semaines, alors que ces locaux n’étaient pas destinés à cette fin, et ce, principalement en raison de la très grande lenteur des procédures judiciaires, qui était aggravée par l’inefficacité de l’administration. Le Sous-Comité s’est entretenu avec des personnes en libération conditionnelle qui étaient toujours détenues dans des conditions inhumaines pour des raisons bureaucratiques − par exemple, parce que le greffier était parti en congé en oubliant de signer l’attestation de remise en liberté. D’autres restaient dans des cellules de garde à vue en attendant l’issue du recours formé contre la décision de leur mise en détention provisoire par mesure de sûreté.

95.Les cellules en question n’étant pas conçues pour une détention prolongée, les détenus n’étaient pas nourris et n’avaient pas de lit. Plusieurs d’entre eux dormaient à même le sol, certains se partageaient à deux un matelas de paille. Les personnes privées de liberté qui ne recevaient pas la visite de leur famille dépendaient de la bonne volonté des autres détenus pour s’alimenter. Les fonctionnaires de police chargés de la surveillance des détenus monnayaient l’accès aux douches.

96.Le Sous-Comité est préoccupé par l’absence d’assistance médicale dans les locaux visités. Il était présent lorsqu’une personne détenue a eu une crise d’épilepsie. Les gardes restant impassibles, le Sous‑Comité a dû insister pour qu’ils appellent une ambulance.

97. Le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De s’occuper sans délai du retard pris dans le traitement des affaires et d’examiner les motifs de suspension des audiences  ;

b) De faire respecter la durée maximale de la détention provisoire, au moyen d’inspections régulières des cellules et de contrôles des registres de la police (ent rées et sorties de personnes) ;

c) De garantir sans délai aux personnes détenues l’accès à des conditions matérielles de base, à l’alimentation et à l’assistance médicale.

E.Hôpital psychiatrique

98.Le Sous-Comité a visité l’Institut national de psychiatrie Gregorio Pacheco, dans la ville de Sucre, seul établissement public de ce genre dans l’État partie. L’Institut accueille 320 pensionnaires, dont 270 ont été admis en raison de leur situation d’abandon ou de pauvreté, et 8 ont été privés de liberté par décision judiciaire après avoir été déclarés irresponsables pour cause de « handicap mental » dans le cadre d’enquêtes pénales. L’hôpital fonctionne comme un centre de « désintoxication » au regard des critères du Système général de santé et en l’absence de lois sur la santé mentale.

99.Le Sous-Comité a été informé que la majorité des personnes intègrent l’Institut national de psychiatrie de leur plein gré. Il lui a toutefois été précisé que certaines personnes avaient demandé leur internement parce que des membres de leur famille avaient exercé des pressions en ce sens et parce qu’elles ne pouvaient vraisemblablement recevoir aucun type de soin. Le Sous-Comité est préoccupé par le fait que des personnes soient placées dans un hôpital psychiatrique pour des raisons socioéconomiques et que l’établissement en question serve de refuge et de centre d’aide sociale, en l’absence de lignes directrices précises en matière d’assistance psychosociale. Il est aussi préoccupé par l’absence de service d’aide psychosociale pour faciliter la transition des personnes internées de l’hôpital psychiatrique à la vie en communauté.

100.Pendant sa visite, le Sous-Comité a rencontré plusieurs personnes soumises à des mesures de contention physique, attachées à des chaises dans les couloirs, parfois les mains et les pieds liés avec des cordes. Dans l’une des résidences, une femme avait les pieds attachés à une chaise et, dans l’une des résidences réservées aux « patients présentant des troubles aigus », un homme était ligoté. Le Sous-Comité a été informé de l’existence de dispositifs de contention physique dans les chambres et dans les lits, et a eu la confirmation que des personnes pouvaient rester attachées pendant toute une journée. Il a examiné des dossiers médicaux dont il ressort clairement que la contention mécanique, au moyen de menottes et d’entraves, et pendant des périodes prolongées, est une pratique courante.

101.Le Sous-Comité a été informé que la pratique de la thérapie électroconvulsive avait été rétablie récemment dans l’hôpital. Il note avec préoccupation qu’il n’existe pas de mécanismes de plainte ni de services d’aide juridictionnelle qui permettraient aux personnes internées de dénoncer des cas de torture et de mauvais traitement.

102.Le Sous-Comité constate avec préoccupation que l’internement des personnes déclarées irresponsables dans le cadre de procédures pénales n’est soumis à aucun contrôle de la part des autorités judiciaires. Comme il n’existe aucune procédure permettant une interaction entre les personnes déclarées irresponsables et les autorités judiciaires, une personne peut être maintenue en hôpital psychiatrique même si elle ne présente plus de trouble mental.

103.L’Institut national de psychiatrie est doté d’une infrastructure appropriée. Le Sous-Comité note toutefois le caractère totalement impersonnel de certains espaces à l’intérieur des résidences et des chambres, en raison du manque d’équipements. De fait, les chambres se réduisent à un lit et à une salle d’eau, et les salles communes sont seulement meublées de tables et de chaises en plastique.

104. Le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) D’adopter une loi sur la santé mentale, qui réglemente la pratique des établissements psychiatriques publics et privés dans le pays  ;

b) De prendre les mesures législatives et administratives voulues pour empêcher l’admission et le maintien de personnes dans des hôpitaux psych iatriques pour des motifs socio économiques et d’adopter une stratégie de désinstitutionnalisation des personnes qui ont été internées en raison de leur handicap ou de leur situation de pauvreté et d’abandon  ;

c) De créer un mécanisme de plainte facilement accessible pour les personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques et de diffuser des informations concernant son existence dans des formats accessibles  ;

d) De procéder à des inspections régulières dans les hôpitaux psychiatriques et de dispenser à leur personnel des formations sur les obligations internationales en matière de protection des droits fondamentaux des personnes handicapées, établies dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

VI.Situation des groupes vulnérables

A.Justice autochtone

105.Le Sous-Comité note les progrès accomplis dans le domaine de la justice autochtone, notamment les décisions du Tribunal constitutionnel et l’élaboration du protocole de coordination et de coopération entre les deux juridictions. Il regrette toutefois que, en excluant certains domaines de compétence matérielle et territoriale, la loi relative à la répartition des compétences juridictionnelles ne soit pas conforme à la Constitution ni au droit international. En conséquence, il craint que, dans la pratique, des obstacles à l’accès à la justice perdurent pour certains groupes de population.

106.Le Sous-Comité s’est réuni avec les représentants des communautés autochtones qui ont dit que, même lorsque cela était juridiquement possible, les juges de la justice ordinaire ne renvoyaient pas les affaires devant des juridictions autochtones, et ce, pour des raisons culturelles. De plus, le Sous‑Comité a eu connaissance de cas de non-respect des garanties d’une procédure régulière dans le cadre de la justice ordinaire, les audiences étant suspendues pour une durée indéfinie faute d’interprètes dans les langues autochtones.

107.Le Sous-Comité note avec préoccupation que ce sont surtout les autochtones qui pâtissent du recours excessif à la détention provisoire, leur situation ne leur permettant pas de satisfaire aux critères d’application des mesures de substitution : on leur demande de déclarer l’adresse d’un domicile fixe, alors qu’ils vivent dans des villages communautaires, et un emploi dans le secteur formel, alors qu’un grand nombre d’entre eux travaillent dans l’économie informelle.

108.Il convient de souligner les effets négatifs de l’enfermement sur l’état physique et psychologique des autochtones, car les centres de détention n’ont pas été conçus pour accueillir des personnes dont la langue, la culture et la vision du monde sont différentes de celles du reste de la population et ils reproduisent souvent des systèmes de discrimination. En outre, la privation de liberté est une sanction quasiment absente du système de justice autochtone, si bien que, dans sa jurisprudence, le Sous-Comité a affirmé que, « [p]our de nombreux autochtones, l’emprisonnement constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant ».

109.Le Sous-Comité est préoccupé par les informations portées à sa connaissance qui font état d’un usage excessif de la force et d’actes de torture présumés dans le cadre de manifestations sociales, par exemple, lors de la marche organisée pour la défense du territoire autochtone et parc national Isiboro-Secure, en septembre 2011. Le Sous-Comité note avec préoccupation que l’enquête ouverte par le ministère public sur les violations des droits de l’homme, y compris les actes de torture, n’a toujours pas aboutie.

110. Le Sous-Comité prie instamment l’État partie d’accélérer la bonne application de la justice autochtone en vue de décongestionner le système carcéral et judiciaire et de garantir l’accès effectif à la justice à tous les Boliviens, et de renforcer le système de justice plurielle, conformément à la Constitution.

111. Le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De veiller au respect des garanties d’une procédure régulière, notamment du droit des autochtones de se défendre et d’être informés des conditions de détention et de leurs droits dans leur langue  ;

b) De tenir compte de la culture ainsi que de la situation patrimoniale et professionnelle des autochtones au moment de décider de mesures de sûreté  ;

c) D’effectuer une enquête indépendance et impartiale sur les actes de torture qui auraient été commis lors de mouvements de contestation sociale et de protéger les témoins et les victimes.

B.Femmes

112.Le Sous-Comité a visité les prisons pour femmes de Trinidad (Bení) et de San Sebastián (Cochabamba) et les quartiers des femmes des prisons de Palmasola (Santa Cruz) et de San Roque (Sucre). Il a reçu des allégations selon lesquelles des violences physiques auraient été infligées pendant la garde à vue. Le Sous‑Comité regrette que les femmes ne soient pas soumises à un examen médical à leur entrée en prison, car cela empêche de recenser les violences physiques qu’elles ont pu subir avant leur incarcération et de mener les enquêtes nécessaires.

113.Le Sous-Comité est préoccupé par :

a)Les effets disproportionnés de la loi no 1008, en application de laquelle les femmes sont le plus communément condamnées. Le Sous‑Comité a été informé de la forte augmentation du nombre de femmes privées de liberté au cours des dernières années ;

b)Les conséquences de la détention provisoire, qui sont surtout ressenties par les femmes, et les répercussions psychologiques de celle-ci sur les femmes avec des enfants à charge. Le Sous-Comité a été informé que, à La Paz, les personnes en détention provisoire étaient pour 78,2 % des femmes et seulement pour 70 % des hommes ;

c)Les registres d’écrou ne rendent pas compte, entre autres, des mères privées de liberté, des enfants vivant avec leur mère dans l’enceinte de la prison ou des femmes qui sont privées de liberté alors qu’elles sont enceintes ou allaitent leur enfant ;

d)Le régime d’enfermement nocturne appliqué dans la prison pour femmes de Trinidad, y compris aux femmes avec des enfants, sans possibilité d’accéder aux toilettes ou aux sorties de secours ;

e)L’absence de soins gynécologiques, principalement pour les femmes enceintes, et le manque de produits d’hygiène féminine, qui oblige les femmes à acheter elles-mêmes lesdits produits ou à s’en remettre à la bonne volonté d’autres détenues.

114. Le Sous-Comité réaffirme la recommandation faite dans son rapport de 2010, en ce qui concerne l’intégration de la question du genre dans les programmes et les politiques de la Direction gé nérale du régime pénitentiaire.

115. Le Sous-Comité rappelle la règle 58 des Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok), sur les mesures de substitution à la détention provisoire et la condamnation des femmes. Le Sous-Comité recommande à l’État partie  :

a) De tenir compte des risques élevés de vulnérabilité des femmes et du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, et d’appliquer dans une large mesure des peines non privatives de liberté, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et des Règles de Bangkok, y compris pour les in fractions visées dans la loi n o 1008  ;

b) D’améliorer la collecte d’informations sur les groupes en situation de vulnér abilité, y compris les femmes ;

c) D’intensifier ses efforts pour améliorer les infrastructures des établissements pénitentiaires et de satisfaire aux Règles de Bangkok (règles 5 à 13) pour ce qui est des services de santé et des besoins en matière d’hygiène qui sont spécifiques aux femmes.

C.Enfants et adolescents en conflit avec la loi

116.Le Sous-Comité accueille avec satisfaction l’adoption de la loi no 548 de 2014 portant Code de l’enfant et de l’adolescent, la mise en place d’un système juridictionnel spécialisé pour les adolescents en conflit avec la loi et la création de centres de réinsertion sociale et de centres d’orientation.

117.Le Sous-Comité est toutefois préoccupé par le fait que la privation de liberté ne constitue pas une mesure de dernier recours à l’égard des adolescents et que la mise en détention provisoire d’enfants de 14 à 18 ans est une pratique de plus en plus courante. Il est également préoccupé par le fait que l’État partie a abaissé l’âge de la responsabilité pénale de 16 à 14 ans et l’âge du service militaire de 18 à 17 ans.

118. Le Sous-Comité recommande que la privation de liberté constitue une mesure de dernier recours à l’égard des adolescents, qu’elle dure le moins longtemps possible et qu’elle soit régulièrement réexaminée en vue de la cessation de son application. Il recommande aussi à l’État partie  :

a) De proposer des mesures de substitution à la privation de liberté telles que la libération conditionnelle, la médiation, le travail d’intérêt général ou la condamnation avec sursis, chaque fois que cela est possible  ;

b) D’appliquer en priorité des mesures de substitution à la privation de liberté aux enfants âgés de 14 à 18  ans  ;

c) De relever l’âge du service militaire de 17 à 18 ans.

D.Personnes handicapées

119.Le Sous-Comité est préoccupé par la situation des personnes privées de liberté qui ont un handicap intellectuel ou psychosocial. Il a constaté des cas de discrimination fondée sur le handicap et a relevé l’absence d’aménagements raisonnables, principalement dans les centres de détention pour adultes et dans les centres pour mineurs.

120.Le Sous-Comité a noté avec une vive préoccupation que des personnes ayant un handicap intellectuel ou psychosocial (dont un adolescent) étaient détenues pour une période indéfinie dans des cellules d’isolement et de punition, indépendamment de toute sanction disciplinaire, ce qui aggravait leur état, entravait leurs droits et limitait leur accès à des activités de loisirs. Il a relevé que le personnel pénitentiaire n’avait pas les connaissances ni les compétences nécessaires en matière de handicap et appliquait donc, à tort, des mesures d’isolement à titre de « mesures de protection ».

121. Le Sous-Comité recommande de lancer une campagne de formation du personnel pénitentiaire et de promotion des droits des personnes handicapées privées de liberté.

122.Le Sous-Comité est également préoccupé par le fait que les dossiers des détenus ne contiennent pas de rapports officiels d’expertise psychologique, ce qui limite la possibilité de procéder à des aménagements raisonnables, et que les personnes handicapées privées de liberté ne disposent pas des services de santé spécialisés dont elles ont besoin.

123.Les personnes handicapées que le Sous-Comité a rencontrées se heurtent aux mêmes obstacles que les autres personnes privées de liberté lorsqu’il s’agit de l’accès à la santé, y compris l’accès à des services de santé mentale, et de l’exercice de leur droit à la santé.

124. Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’établir un plan d’action national pour garantir l’accès des personnes handicapées privées de liberté à des services de santé adéquats et gratuits .

125. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de faire en sorte qu’une expertise psychologique/psychiatrique officielle soit effectuée et rendue accessible gratuitement, chaque fois que nécessaire. Il lui recommande aussi de faire en sorte que tous les professionnels du pouvoir judiciaire et du ministère public observent, appliquent et respectent pleinement les dispositions pertinentes du Code pénal (en particulier, les articles 79 et 80), à la lumière des Règles Nelson Mandela .

VII.Représailles et répercussions de la visite

126.Il incombe au Sous-Comité de garantir que, dans l’exercice des fonctions qui lui sont confiées par le Protocole facultatif, les personnes avec lesquelles il s’est entretenu ne soient pas mises en péril.

127.Pendant la visite, le Sous-Comité a fait part aux autorités de sa vive préoccupation après avoir observé la situation dans la prison pour hommes de Mocoví. Alors même que le Sous-Comité était présent, les représentants de la prison, qui étaient chargés de faire respecter la discipline dans le bloc D, ont menacé les détenus de châtiments corporels s’ils continuaient de l’informer de leur situation. Le Sous-Comité a constaté avec une vive préoccupation qu’il régnait un climat de peur et que plusieurs détenus refusaient de lui parler en raison des risques de sanction. Le fait que des mesures de représailles avaient été prises à la suite de la visite du Sous‑Comité a été corroboré par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, lors de sa visite de suivi dans l’État plurinational de Bolivie. Une personne au moins a été hospitalisée en raison des châtiments corporels subis.

128.Le Sous-Comité a demandé, par lettres respectivement datées du 8 mai, du 21 juin et du 7 juillet 2017, des renseignements détaillés sur les mesures adoptées. L’État partie a répondu à chacune des trois lettres, chaque fois dans les délais impartis. Néanmoins, de l’avis du Sous-Comité, les mesures prises par l’État partie ne sont pas suffisantes pour offrir les garanties appropriées en matière d’enquête et de non-répétition.

129. Le Sous-Comité recommande à l’État partie, conformément aux obligations qui lui incombent, de veiller à ce que tous les actes présumés de représailles et d’intimidation fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale et efficace, que les auteurs de tels actes soient traduits en justice et que les victimes obtiennent une réparation adéquate.

130.En application des dispositions des articles 2 (par. 4), 12 (al. b) et d)) et 14 (par. 1, al. a) et b)) du Protocole facultatif et conformément à son mandat, le Sous-Comité poursuivra activement le dialogue avec l’État plurinational de Bolivie aux fins de la protection des droits des personnes privées de liberté.

131. Après un examen rigoureux, le Sous-Comité considère que l’État partie n’a pas pris des mesures suffisantes pour garantir que tous les actes présumés de représailles et d’intimidation fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale et efficace, et que leurs auteurs soient traduits en justice, comme l’exigent l’article 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et l’article 15 du Protocole facultatif. En conséquence, et étant donné que l’État partie n’a pas non plus donné suite à ses autres recommandations, le Sous-Comité décide de faire valoir les dispositions du paragraphe 4 de l’articl e 16 du Protocole facultatif.

VIII.Conclusion

132. Le Sous-Comité espère que l’État partie donnera la priorité à la mise en place d’un mécanisme solide de prévention de la torture. Il prie instamment les autorités de donner suite aux recommandations faites dans ses rapports de visite et d’ autoriser leur publication.

Annexes

[Espagnol seulement]

Annexe I

Lista de altos funcionarios y otras personas con las que se reunió el Subcomité

A.Autoridades nacionales

Ministerio de Gobierno

Sr. Carlos Romero Bonifáz, Ministro de Gobierno

Sr. José Luis Quiroga Altamirano, Ministro Adjunto de Asuntos Internos y Policía

Sr. Jorge López Arenas, Director General del Régimen Penitenciario

Ministerio de Justicia

Sr. Diego Jiménez Guachalla, Viceministro de Justicia y Derechos Fundamentales

Sr. César Augusto Romano, Director del Servicio Nacional de la Defensa Pública

Sr. Gilvio Janayo Caricari, Viceministro de Justicia Indígena y Campesina

Sr. Álvaro Guzmán, Director del SEPRET

Equipo del SEPRET

Ministerio de Relaciones Exteriores

Sra. Guadalupe Palomeque de la Cruz, Viceministra de Relaciones Exteriores

Ministerio de Defensa

Sr. Reymi Ferreira Justiniano, Ministro de Defensa

Sra. Liliana Guzmán Gorena, Dirección General de Derechos Humanos e Interculturalidad en las Fuerzas Armadas

Policía Nacional

Sr. Abel Galo de la Barra Cáceres, Comandante General

Poder Judicial

Representantes del Tribunal Constitucional

Representante de la Justicia de Ejecución Penal

Representante del Consejo de la Magistratura

Ministerio Público

Representante de Fiscalía de Distrito

Defensoría del Pueblo

Sr. David Tezanos Pinto, Defensor del Pueblo

Sr. Eduardo Cuenca

B.Organismos de las Naciones Unidas

Oficina del Alto Comisionado de las Naciones Unidas para los Derechos Humanos en el Estado Plurinacional de Bolivia

Coordinadora Residente de las Naciones Unidas en el Estado Plurinacional de Bolivia

Fondo de las Naciones Unidas para la Infancia (UNICEF)

C.Sociedad civil

Asamblea Permanente de Derechos Humanos de Bolivia (APDHB)

Asociación Boliviana contra la Esclerosis Múltiple

Centro de Estudios Jurídicos e Investigación Social (CEJIS)

Comunidad de Derechos Humanos

Federación Boliviana de Sordos (FEBOS)

Fundación CONSTRUIR

Instituto de Terapia e Investigación sobre las secuelas de la tortura y la violencia estatal (ITEI)

Progettomondo

Sociedad Boliviana de Ciencias Forenses

D.Autoridades y dirigentes indígenas

Dirigentes y autoridades indígenas de la Amazonia Sur, Tierras Bajas, así como varias comunidades en Sucre y Santa Cruz

E.Otros

Abogada Daniela Vázquez (representante de pueblo indígena en el scaso Takovo Mora)

Agencia Suiza para el Desarrollo y la Cooperación, Estado Plurinacional de Bolivia

Sr. David Inca (activista de derechos humanos)

Annexe II

Lista de los lugares de privación de libertad visitados por el Subcomité

A.Dependencias de la Policía Nacional

Dirección Nacional de la Fuerza Especial de Lucha Contra el Narcotráfico

(FELCN)

Jefatura Departamental FELCN – Sopocachi, La Paz

Jefatura Departamental FELCN – Santa Cruz de la Sierra

Dirección de la Fuerza Especial de Lucha Contra el Crimen (FELCC)

Dirección Departamental de la FELCC – Cochabamba

Dirección Departamental de la FELCC – Santa Cruz de la Sierra

Otras

FELCC El Alto, La Paz

FELCC Punata, Cochabamba

Estación Policial Integral EPI Sur, Cochabamba

Estación Policial Integral EPI San Roque, Sucre

Instituto de Policía de Chuquisaca, Sucre

Módulo Policial de Distrito, La Paz (visita conjunta con el SEPRET)

Celdas judiciales en Santa Cruz y La Paz

B.Centros penitenciarios

San Pedro, La Paz (visita conjunta con el SEPRET)

Chonchocoro, La Paz

Palmasola, Santa Cruz

San Sebastián (mujeres), Cochabamba

San Sebastián (hombres), Cochabamba

Carceleta Arari, Cochabamba

San Roque, Sucre

Cárcel de Trinidad (mujeres), Trinidad

Mocoví, Trinidad

C.Dependencias de las Fuerzas Armadas

Cuartel General de Miraflores, centro de detención de la Policía Militar, La Paz (visita conjunta con el SEPRET)

D.Centros de reintegración social para niños, niñas y adolescentes

Centro de Reintegración Social Cenvicruz, Santa Cruz

Centro de Reintegración Social Cometa, Cochabamba

E. Hospitales psiquiátricos

Hospital Psiquiátrico San Juan de Dios, Sucre