Nations Unies

CCPR/C/GIN/CO/3

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 décembre 2018

Original: français

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le troisième rapport périodique de la Guinée *

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la Guinée (CCPR/C/GIN/3) à ses 3534e et 3535e séances (CCPR/C/SR.3534 et 3535), les 10 et 11 octobre 2018. À sa 3557e séance, le 26 octobre 2018, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de la Guinée et les informations qu’il contient, quoiqu’il regrette qu’il ait été soumis avec vingt-trois années de retard. Le Comité apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pour appliquer les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites (CCPR/C/GIN/Q/3/Add.1) apportées à la liste de points (CCPR/C/GIN/Q/3), qui ont été complétées oralement par la délégation.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue les mesures législatives et institutionnelles prises par l’État partie, notamment l’adoption des lois suivantes :

a)Loi no L/2007/013/AN du 29 octobre 2007 portant création, attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante ;

b)Loi no L/2008/01/AN du 19 août 2008 portant Code de l’enfant guinéen ;

c)Loi organique no L/08/CNT/2011 du 14 juillet 2011 portant organisation et fonctionnement de l’Institution nationale indépendante des droits de l’homme ;

d)Loi organique no L/055/CNT/2013 du 17 mai 2013 portant composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

e)Loi organique no002/2017/AN du 24 février 2017 portant Code électoral.

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adhéré à la Convention relative aux droits des personnes handicapées le 8 février 2008.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Mise en œuvre et applicabilité du Pacte dans l’ordre juridique interne et sur le territoire de l’État partie

5.Le Comité note qu’en vertu de l’article 151 de la Constitution, les traités ont une autorité supérieure à celle des lois et que les dispositions du Pacte font partie intégrante du droit interne. Il regrette cependant qu’en pratique, les dispositions du Pacte soient rarement invoquées devant les tribunaux ou appliquées par ces derniers (art. 2).

6. L’État partie devrait continuer à prendre d es mesures destinées à sensibiliser les juges, les avocats et les procureurs aux dispositions du Pacte afin que ces dernières soient prises en compte devant et par les tribunaux nationaux.

7.Le Comité prend note des explications de la délégation relatives à la prégnance des normes traditionnelles et coutumières au sein du corps social guinéen. Il exprime toutefois ses préoccupations quant aux informations selon lesquelles le droit positif ne serait pas appliqué sur l’ensemble du territoire de l’État partie. Il s’inquiète en particulier de ce que la prééminence de l’application sur la grande majorité du territoire du droit coutumier, dont certaines dispositions sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, soustrait de factoune grande partie de la population aux droits garantis par les dispositions du Pacte (art. 2).

8. Conformément à l’observation générale n o 31 (2004) du Comité sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, l’État partie devrait garantir à tous les individus sur son territoire les droits reconnus dans le Pacte et devrait prendre toutes les mesures possibles pour harmoniser et garantir systématiquement la compatibilité des normes traditionnelles et coutumières avec les dispositions du Pacte. Il devrait également veiller à ce que les acteurs traditionnels reçoivent une formation relative à la primauté des dispositions du Pacte et du droit positif sur le droit coutumier.

Institution nationale indépendante des droits de l’homme

9.Tout en accueillant favorablement la mise en place de l’Institution nationale indépendante des droits de l’homme en application de la loi organique du 14 juillet 2011, le Comité demeure préoccupé par le fait que l’Institution ne dispose pas des ressources matérielles nécessaires à son bon fonctionnement et à la réalisation de son mandat. Il s’inquiète également des informations faisant état d’une faible visibilité de ses actions et de son existence au sein de la population (art. 2).

10. L’État partie devrait doter l’Institution n ationale i ndépendante des d roits de l’ h omme d’un budget adéquat et d’un perso nnel suffisant, formé et stable lui permettant de s’acquitter pleinement de son mandat en conformité avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) . Il devrait également envisager de demander l’accréditation auprès du Sous- C omité de l’ Alliance globale des institutions nationales des droits de l ’ homme et prendre toutes les mesures permettant d’assurer une plus grande visibilité du mandat et des actions de l adite I nstitution auprès de sa population.

Lutte contre la corruption

11.Le Comité prend note de l’adoption de la loi anticorruption du 7 juillet 2017, de l’introduction dans le Code minier de 2013 du principe de transparence dans l’attribution des concessions minières ainsi que de la mise en place en 2004 de l’Agence nationale de lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance. Il constate toutefois avec préoccupation que la corruption demeure un phénomène systémique sur le territoire de l’État partie, qui a pour effet d’affaiblir l’état de droit et de mener à des violations des dispositions du Pacte. Il regrette en particulier les informations faisant état : a) du caractère courant de la corruption dans les services de l’État partie ; b) de l’absence de textes d’application de la loi du 7 juillet 2017 ; c) du manque de moyens de l’Agence nationale de lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance. Il regrette le faible nombre d’enquêtes, poursuites et condamnations prononcées dans le cadre de la lutte contre la corruption, et ce, en dépit de l’introduction d’une définition plus large et de peines plus sévères dans le Code pénal réformé en 2016 (art. 2, 14 et 25).

12. L’État partie devrait : a)  redoubler d’efforts dans sa lutte contre la corruption et l’impunité qui y est associée, notamment par l ’adoption de textes d’application de la loi du 7 juillet 2017 ; b) veiller à ce que l’Agence n ationale de l utte contre la c orruption et la p romotion de la b onne g ouvernance soit un organe pleinement indépendant et efficace de lutte contre la corruption ; c)  établir une politique rigoureuse à l’égard des actes de corruption dans les services publics, avec notamment des mesures préventives et correctives ; d)  enquêter sur les responsables d’actes de corruption, y compris au plus haut niveau de l’État partie, et les poursuivre devant les tribunaux , dans le cadre de procès respectant les garanties fondamentales établies par l’article 14 du Pacte.

État d’urgence

13.Le Comité exprime ses préoccupations quant aux informations crédibles faisant état du non-respect des garanties prévues par l’article 4 du Pacte au cours des états de siège et d’urgence de 2007, 2010 et 2014 et regrette l’absence de mesures destinées à protéger certains droits auquel il ne peut être dérogé, en particulier le droit à la vie. Il note également avec inquiétude les allégations faisant état de restrictions disproportionnées à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique durant les états de siège et d’urgence (art. 4, 6, 19 et 21).

14. L’État partie devrait prendre toutes les mesures visant à assurer la pleine compatibilité de sa législation relative à l’état de siège et d’urgence et de son application avec les dispositions de l’article 4 du Pacte.

Violations passées des droits de l’homme, lutte contre l’impunité et réconciliation nationale

15.Le Comité exprime ses préoccupations quant aux cas de graves violations des droits de l’homme commises en particulier en janvier et février 2007, septembre 2009, août 2012, juillet 2013 et septembre 2014. Il note avec regret la lenteur avec laquelle les enquêtes progressent ainsi que le faible nombre de poursuites et de sanctions des responsables qui favorisent de facto un climat d’impunité, tout particulièrement en ce qui concerne les événements du 28 septembre 2009 au stade de Conakry. À cet égard, il prend note de la conclusion de l’enquête judiciaire, de la création en avril 2018 du Comité de pilotage chargé de l’organisation du procès ainsi que de la coopération de l’État partie avec la Cour pénale internationale quant à l’examen préliminaire des faits. Il regrette toutefois le retard important pris dans la tenue du procès et est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles plusieurs personnes impliquées dans ces événements seraient maintenues à des postes de responsabilité importants. Il regrette en particulier : a) qu’aucune des victimes ou des membres de leur famille n’aient à ce jour reçu de réparation pour les violations commises ; b) l’absence d’informations de l’État partie sur les mesures prises pour faire la lumière sur le sort des personnes victimes de disparitions forcées et procéder à la localisation des fosses communes et à l’exhumation des corps. Enfin, le Comité prend note de l’avant-projet de loi relatif à la création d’une commission vérité, justice et réconciliation, mais déplore qu’à ce jour ladite commission n’ait pas été mise en place (art. 2, 6, 7 et 16).

16. L’État partie devrait  : a) prendre des mesures immédiates afin d’accélérer les enquêtes, poursuites et sanctions dans le cadre des violations passées des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne les événements du 28 septembre 2009  ; b)  s’assurer , durant toute la durée des enquêtes et des procès, de la suspension de l’ensemble des personnes suspectées de violations graves, y compris parmi les membres du G ouvernement ; c) veiller à ce que toutes les victimes et les membres de leur famille reçoivent une réparation intégrale pour les violations subies ; d) garantir l’accès à la vérité aux familles de disparus et de victimes d’exécutions, notamment en organisant l’exhumation des fosses communes et en procédant à l’identification des restes par des procédés scientifiques  ; e) veiller à la mise en place dans les meilleurs délais de la commission vérité, justice et réconciliation et la doter de ressources suffisantes lui permettant d’accomp lir avec efficacité son manda t .

Lutte contre la discrimination

17.Le Comité prend note de la définition et de l’incrimination de la discrimination aux articles 313 et suivants du nouveau Code pénal. Il regrette toutefois l’absence de plaintes pour discrimination à ce jour, et ce, en dépit de ce nouveau cadre juridique, ainsi que l’absence d’informations fournies par l’État partie quant aux recours civils et administratifs efficaces offerts aux victimes. Il regrette particulièrement le maintien de l’article 274 du Code pénal qui criminalise les comportements de personnes à raison de leur orientation sexuelle et souligne le caractère discriminatoire d’une telle disposition. Il s’inquiète également des actes de discrimination, stigmatisation et violence à l’encontre des personnes albinos et des personnes infectées par le VIH/sida, ainsi que du peu de mesures prises en vue d’assurer l’absence de discrimination pratique à l’égard des personnes handicapées (art. 2 et 26).

18. L’État partie devrait prendre toutes les mesur es nécessaires pour  : a)  s’assurer que toutes les victimes de discrimination ont connaissance et accès à des recours civils et administratifs efficaces et faire en sorte que les victimes bénéficient d’une réparation ; b)  engager un processus d’abrogation de l ’article 274 du Code pénal ; c)  protéger efficacement les personnes albinos et les personnes infectées par le VIH/ s ida et garantir leurs droits fondamentaux  ; s’assurer que tous les cas de discrimination font l’objet d’ un examen adéquat et que tous les cas de violence donnent systématiquement lieu à une enquête, à des poursuite s et à la condamnation des responsables ainsi qu’à une indemnisation adéquate des victimes  ; d)  adopter un cadre juridique avec des objectifs précis et obligatoires en matière d’accessibilité aux services pour les personnes handicapées .

Discrimination et égalité entre hommes et femmes

19.Le Comité prend note de l’information selon laquelle la Cour constitutionnelle a jugé inconstitutionnel le quota de 30 % de femmes inscrites sur chaque liste pour les élections législatives et communales instauré par la loi du 24 février 2017. Il s’inquiète de ce que le rejet de cette mesure, en sus de la prédominance des stéréotypes sexistes dans le corps social, n’aggrave encore la situation de faible représentation des femmes dans la vie politique et publique, y compris aux plus hauts niveaux du Gouvernement et dans le système judiciaire. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni de statistiques en la matière (art. 3, 25 et 26).

20. L’État partie devrait prendre toutes les mesures pour garantir la non-discrimination d es femmes , en droit comme en pratique , accro î tre la participation de ces dernières à la vie publique et garantir leur représentation aux plus hauts niveaux du Gouvernement et dans le système judiciaire. Il devrait également renforcer les actions de sensibilisation de la population en matière de lutte contre les stéréotypes sexistes dans la famille et au sein de la société.

21.Le Comité note avec préoccupation la discrimination à l’égard des femmes en matière de droit de la famille, en particulier en ce qui concerne les questions de succession, de choix de résidence, de garde des enfants, de liberté de travailler, de répudiation, d’adultère et de polygamie. Le Comité prend note des nombreuses oppositions au projet de nouveau Code civil, en particulier en ce qui concerne l’interdiction de la polygamie, déjà interdite de lege et pourtant largement pratiquée dans l’État partie, mais regrette toutefois le retard pris dans l’adoption dudit Code depuis 2002 (art. 3, 17 et 26).

22. L’État partie devrait poursuivre ses efforts en vue de l’adoption dans les meilleurs délais d’un nouveau C ode civil abolissant l’ensemble des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes en matière de droit de la famille. Il devrait veiller en particulier à ce que l’interdiction de la polygamie soit maintenue dans le projet et adoptée par le pouvoir législatif et , dans cette attente, prendre toutes les mesures visant à sensibiliser les populations au caractère discriminatoire d’une telle pratique.

Violences et pratiques préjudiciables à l’égard des femmes

23.Le Comité accueille favorablement les efforts déployés par l’État partie pour prévenir et mettre fin à la violence à l’égard des femmes mais demeure toutefois préoccupé par son caractère largement répandu et accepté et regrette l’absence de criminalisation du viol conjugal dans le nouveau Code pénal de 2016. Il exprime également ses vives préoccupations quant à la prévalence et au maintien des pratiques préjudiciables à l’égard des femmes, en particulier en ce qui concerne les mariages forcés et précoces et les mutilations génitales féminines. À cet égard et en dépit de l’introduction de l’interdiction de ces pratiques dans le nouveau Code pénal, le Comité est particulièrement préoccupé par les informations faisant état d’un très faible nombre d’enquêtes et de poursuites ainsi que de sanctions extrêmement indulgentes à l’égard des responsables (art. 3, 7, 17, 23 et 26).

24. L’État partie devrait : a)  poursuivre ses efforts pour prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et notamment p énaliser le viol conjugal ; b)  poursuivre ses efforts pour prévenir et combattre la pratique des mariages forcés et précoces et des mutilations génitales féminines ; c)  veiller à ce que tou s les cas de pratiques préjudiciables à l’égard des femmes fassen t l’objet d’une enquête approfondie, à ce que les responsables soient poursuivis et , s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées et à ce que les victimes obtiennent réparation .

Interruption volontaire de grossesse et mortalité maternelle

25.Le Comité exprime ses préoccupations quant aux taux toujours élevés de mortalité maternelle et infantile au sein de l’État partie et s’inquiète en particulier de ce que les avortements réalisés dans des conditions non sécurisées constituent une cause majeure de mortalité maternelle. Il s’inquiète de ce que, en raison de la stigmatisation sociale, du manque d’informations et des conditions contraignantes pour accéder à l’avortement légal prévues à l’article 265 du Code pénal, à savoir l’autorisation par un collège de médecins spécialistes, la plupart des femmes ont recours à des avortements à risque, mettant en danger leur vie et leur santé (art. 3, 6, 7, 17 et 26).

26. L’État partie devrait améliorer l’accès des femmes aux soins et services de santé sexuelle et obstétrique en vue de prévenir et lutter contre la mortalité maternelle . Il devrait modifier sa législation en vue de garantir un accès sécurisé, légal et effectif à l’avortement lorsque la vie et la santé de la femme ou de la fille sont en danger et lorsque le fait de mener la grossesse à terme causerait pour la femme ou pour la fille une douleur ou une souffrance considérable, tout particulièrement lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste, ou n’est pas viable. L ’ État partie devrait aussi : a)  prévenir la stigmatisation des femmes et des filles qui veulent interrompre leur grossesse et veiller à ce que les sanctions pénales ne soient appliquées ni contre elles ni contre ceux qui fournissent des services médicaux pour les aider ; b)  garantir l’accès aux femmes et aux hommes, et en particulier aux filles et aux garçons, à des informations factuelles et une éducation de qualité sur la santé sexuelle et procréative, et à une large gamme de méthodes de contraception abordables.

Peine de mort

27.Le Comité accueille favorablement le retrait de la peine de mort du nouveau Code pénal de 2016 ainsi que du nouveau Code de justice militaire de 2017. Il regrette toutefois que les personnes condamnées à mort avant ces modifications législatives n’aient toujours pas vu leur peine commuée (art. 6).

28. L’État partie devrait prendre toutes les mesures afin d’assurer la commutation des peines des personnes toujours condamnées à mort dans les meilleurs délais et d’entamer un processus d’adhésion au D euxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.

Vindictes populaires

29.Le Comité exprime ses préoccupations au sujet des vindictes populaires et des lynchages. Il regrette le très faible nombre d’enquêtes, de poursuites et de condamnations à l’encontre des responsables (art. 2, 6 et 7).

30. L’État partie devrait prendre toutes les mesures pour mettre fin aux pratiques de vindictes populaires et de lynchages, enquêter et poursuivre les auteurs présumés et , s’ils sont reconnus coupables , les condamner à des sanctions appropriées.

Usage excessif de la force et comportement des agents responsables de l’application de la loi

31.Le Comité accueille favorablement la loi no L/2015/009/AN du 4 juin 2015 portant maintien de l’ordre public, qui impose l’usage d’armes non létales pour le maintien de l’ordre et limite l’usage des armes à feux aux circonstances de légitime défense et cas de nécessité impérieuse. Il demeure toutefois préoccupé par les informations crédibles, confirmées par la délégation, faisant état d’un usage souvent excessif de la force par les agents responsables de l’application de la loi, en particulier au cours de manifestations, entraînant des morts et des blessés. Il s’inquiète vivement de ce que les agents sont rarement, sinon jamais, poursuivis pour de tels actes, causant de factoun climat d’impunité. Il exprime également ses préoccupations quant aux informations faisant état de pillages et saccages perpétrés par des agents responsables de l’application de la loi dans des domiciles privés au cours de perquisitions (art. 6, 7, 9, 17 et 21).

32. L’État partie devrait  : a)  veiller à ce que ses agents responsables de l’application de la loi respectent strictement les dispositions de la loi du 4 juin 2015, notamment en renforçant les formations sur l’usage de la force et en sensibilisant les juges, les procureurs et les avocats à cette question ; b)  s’assurer que tous l es cas d’usage excessif de la force font l’objet d’enquêtes indépendantes, poursuites et condamnations appropriées à la gravité des faits , et que les victimes obtiennent réparation ; c)  veiller à ce que les agents responsables de l’application de la loi appliquent strictement les dispositions du C ode de procédure pénale relatives aux perquisitions et soient , le cas échéant , systématiquement sanctionnés pour tout manquement en la matière.

Torture, traitements cruels, inhumains ou dégradants

33.Le Comité accueille favorablement la révision du Code pénal introduisant une définition et une incrimination autonome de la torture. Il regrette toutefois qu’aux termes de l’alinéa 2 de l’article 232 dudit Code, un certain nombre d’actes, tels que les chocs électriques ou brûlures, constitutifs en réalité d’actes de torture, sont qualifiés de traitements cruels et inhumains, dont l’éventail des peines n’est pas précisé. Il s’inquiète également de ce que, si le recours à la torture a disparu des prisons, il continue d’être fréquemment pratiqué, en particulier dans les postes de garde à vue afin d’obtenir des aveux ou des renseignements (art. 7 et 9).

34. L’État partie devrait  : a)  mettre à jour son cadre législatif afin de s’assurer que les actes décrits à l’ alinéa 2 de l’ article 232 du C ode pénal sont qualifiés d’actes de torture et font l’objet de peines précises, approprié es à la gravité des faits ; b)  s’assurer que tous les cas présumés de torture et de mauvais traitements font l’objet d’une enquête approfondie, et veiller à ce que les responsables soient poursuivis et , s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées et à ce que les victimes obtiennent réparation  ; c)  mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture et un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur toutes les allégations de cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Conditions de détention

35.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de surpopulation carcérale, situation aggravée par le nombre élevé de détenus en attente de jugement, et de conditions de détention extrêmement dures, en particulier en ce qui concerne l’accès à l’alimentation, à l’assainissement et aux soins de santé. Il s’inquiète de ce que certaines prisons n’instaurent pas de séparation entre adultes et mineurs et entre prévenus et condamnés (art. 7, 9 et 10).

36. L’État partie devrait  : a)  intensifier ses efforts pour améliorer les conditions de vie et le traitement des détenus ; b)  intensifier les mesures visant à remédier au problème de la surpopulation carcérale conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ( Règles Nelson Mandela) ; c)  prendre les mesures nécessaires en vue de séparer les détenus selon l’âge, le sexe et le régime de détention .

Détention provisoire

37.Le Comité prend note de la mise en place de la Commission de suivi de la détention provisoire en 2016. Il demeure toutefois préoccupé par les informations faisant état d’un usage quasi systématique de la détention provisoire par les juges d’instruction et, par conséquent, d’un nombre considérable de personnes en détention provisoire, à savoir environ 60 à 80 % de la population des détenus, certains pour des périodes de plus de dix ans. Il regrette l’absence d’informations sur le nombre de personnes qui auraient bénéficié de l’intervention de la Commission de suivi de la détention provisoire en vue d’abréger leur période de détention ou d’être remises en liberté (art. 7 et 9).

38. L’État partie devrait : a)  prendre toutes les mesures visant à garantir que les juges d’instruction n’utilisent la détention avant jugement qu’à titre exceptionnel et développer les mesures de substitution non privatives de liberté ; b)  appliquer strictement les dispositions du nouveau C ode de procédure pénale sanctionnant les juges qui maint iennent les prévenus en détention provisoire , sans renouveler les mandats de dépôt expirés ; c)  garantir que l’ensemble des personnes détenues sans jugement pour de longues période s se voient remises en liberté et , au besoin , indemnisées.

Traite des personnes et travail forcé

39.Le Comité prend note de la création du Comité national de lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées ainsi que de la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes. Il s’inquiète toutefois de ce que les actions de lutte contre la traite des personnes demeurent en pratique sporadiques et modestes. Il regrette en particulier le faible nombre de plaintes enregistrées, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations. Le Comité exprime également ses préoccupations quant : a) au sort des migrants guinéens toujours en Libye ; b) au sort des enfants, filles et femmes soumis à la servitude domestique et à des réseaux de prostitution dans des pays étrangers, en particulier en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ; c) aux informations selon lesquelles près d’un enfant sur deux travaille sur le territoire de l’État partie, certains étant soumis à des travaux forcés et à la mendicité forcée (art. 7, 8 et 24).

40. L’État partie devrait : a)  appliquer strictement le cadre juridique national relatif à la traite des personnes et s’assurer que les institutions de lutte contre c e phénomène dispose nt des ressources nécessaires pour s’acquitter ef ficacement de leur mandat ; b)  veiller à ce que les cas présumés de traite des personnes donnent lieu à des enquêtes, poursuites et condamnations à des peines proportionnelles à la gravité des faits et effectivement appliquées ; c) prendre toutes les mesures possibles afin de garantir le retour et la réinsertion des migrants guinéens faisant l’objet d’exploitation et de servitude dans des pays étrangers ; d) prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éliminer le travail, en particulier forcé, des enfants et veiller à ce que les responsables de tels actes soient strictement poursuivis et condamnés.

Indépendance du pouvoir judiciaire et administration de la justice

41.Le Comité accueille favorablement les efforts de l’État partie en matière de réforme de la justice, en particulier la loi du 13 août 2015 portant organisation judiciaire et le plan d’actions prioritaires de réforme de la justice pour la période 2015-2019. Il demeure toutefois préoccupé par le faible pourcentage du budget affecté au Ministère de la justice et par les retards dans l’administration de la justice, dus en particulier au manque de ressources, de personnel et de locaux, qui se traduisent par une défiance généralisée de la population à l’égard de l’appareil judiciaire. Il regrette de ne pas avoir reçu de réponses précises sur les mesures destinées à rendre opérationnelle la transformation de tous les tribunaux de paix en tribunaux de première instance ainsi que sur la mise en place de la Haute Cour de justice prévue par l’article 117 de la Constitution. Il s’inquiète également des informations faisant état d’une absence d’indépendance et de corruption au sein du corps judiciaire (art. 14).

42. L’État partie devrait : a) renforcer le budget du Ministère de la justice afin de pallier les retards importants dans l’administration de la justice ; b) prendre toutes les mesures pour rendre opérationnelle la transformation de l’ensemble des tribunaux de paix en tribunaux de première instance  ; c ) rendre opérationnelle la Haute Cour de justice par la promulgation des textes d’application fixant son fonctionnement ; d)  renforcer l’indépendance du corps judiciaire, en particulier en garantissant la nomination de magistrats du siège et du parquet sur la base de critères objectifs et transparents et en renforçant les pouvoirs et l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature ; e ) poursuivre et intensifier ses efforts visant à éliminer la corruption au sein du corps judicaire.

Liberté d’expression et protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme

43.Le Comité exprime ses préoccupations quant au maintien de dispositions limitant la liberté d’expression dans la législation de l’État partie, en particulier : a) l’article 363 du Code pénal criminalisant la diffamation envers les administrations publiques, les corps constitués, l’armée, les cours et les tribunaux ; b) l’article 31 de la loi du 28 juillet 2016 relative à la cybercriminalité criminalisant sur de vagues critères la production, la diffusion et la mise à disposition de données de nature à troubler l’ordre ou la sécurité publics. Il s’inquiète également des allégations, confirmées par la délégation, de fermetures et suspensions arbitraires de médias privés, de suspensions d’émissions interactives et d’arrestations de journalistes, pour diffusion de rumeurs sur le Président. Il déplore enfin les informations faisant état de menaces, détentions et abus physiques contre les défenseurs des droits de l’homme (art. 9, 7 et 19).

44. À la lumière de l’observation générale n o 34 (2011) du Comité sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, l’État partie devrait : a) s’assurer que toutes les dispositions de sa législation sont rendues conformes à l’article 19 du Pacte et , dans cette attente , garantir qu’aucune personne n e soit emprisonnée pour faits de diffamation  ; b)  s’assurer que tout e restriction imposée aux activités de la presse et des médias est strictement conforme aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte ; c)  prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la protection des défenseurs des droits de l’homme contre les menaces et les intimidations, en particulier par l’adoption d’une loi de protection des défenseurs des droits de l’homme précise et efficace.

Libertés de réunion pacifique et d’association

45.Le Comité exprime ses préoccupations quant aux informations faisant état d’interdictions de manifester arbitraires, en particulier pour les partis d’opposition, et d’arrestations de masse au cours des manifestations. Il regrette également que les dispositions de la loi du 4 juillet 2005 portant statut des associations ne soient pas respectées en pratique, en particulier en ce qui concerne les conditions d’octroi et de renouvellement des agréments des associations, une pratique imposée sans aucune base juridique. Enfin, le Comité exprime ses préoccupations quant aux informations faisant état : a) de conditions légales restrictives pour créer un syndicat et organiser des mouvements de grève ; b) d’arrestations de syndicalistes au cours de mouvements de grève (art. 9, 19, 21 et 22).

46. L’État partie devrait  : a)  veiller à lever toutes les restrictions aux manifestations pacifiques qui ne sont pas strictement nécessaires et proportionnelles au regard des dispositions de l’article 21 du Pacte ; b) réviser son cadre légal afin de protéger efficacement le droit à la liberté d’association, y compris le droit syndical et le droit de grève , et s’abstenir en pratique de tout acte d’intimidation à l’encontre des mouvements et membres de syndicats.

Garanties d’élections libres et honnêtes

47.Le Comité exprime ses préoccupations quant aux : a) informations, confirmées par la délégation, faisant état du non-respect du devoir d’impartialité et de neutralité des autorités administratives lors des élections sur le territoire de l’État partie ; b) informations faisant état d’importantes violences électorales suite aux élections locales de février 2018 ayant entraîné des morts et de nombreux blessés. Eu égard en particulier aux élections à venir, le Comité s’inquiète de ce que l’accord politique du 12 octobre 2016 n’est à ce jour pas entièrement mis en œuvre (art. 6, 7 et 25).

48. L’État partie devrait : a) prendre toutes les mesures visant à garantir le respect du devoir d’impartialité et de neutralité des autorités administratives lors des élections ; b) enquêter et poursuivre et condamner les responsables d’actes ayant entraîné la mort ou des blessures suite aux violences électorales de février 2018 et mettre en œuvre des garanties de non- répétition de tels actes ; c) prendre toutes les mesures permettant de mettre en œuvre dans les meilleurs délais et dans son intégralité l’accord politique du 12 octobre 2016 ; d) prendre toutes les mesures afin d’assurer l’efficacité et l a pleine indépendance de la Commission é lectorale n ationale i ndépendante .

Droit à la participation des populations à la gestion des ressources naturelles

49.Le Comité prend note de la mise en œuvre de la politique du contenu local ainsi que du transfert de 14 points de compétence des structures déconcentrées aux collectivités. Il regrette toutefois qu’en pratique, la participation des populations aux processus de décision relatifs aux projets d’investissement ayant un impact social et environnemental ainsi qu’à la gestion des ressources naturelles demeure extrêmement limitée (art. 6 et 25).

50. L’État partie devrait intensifier ses efforts en vue de garantir la participation des populations et organiser de véritables consultations locales av ec ces dernières avant la conclusion de contrats liés à la gestion des ressources naturel le s ou ayant un impact social et environnemental afin que soit recueilli leur consentement libre, préalable et éclairé.

D.Diffusion et suivi

51. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, d e son troisième rapport périodique, des réponses écrites à la liste de points établie par le Comité et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait faire en sorte que le rapport, les réponses écrites et les présentes observations finales soient traduits dans ses langues officielles.

52. Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, dans un délai de deux ans à compter de l’adoption des présentes observations finales, à savoir le 2 novembre 2020, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 12 (Lutte contre la corruption ), 16 (Violations passées des droits de l’homme, lutte contre l’impunité et réconciliation nationale ) et 34 ( Torture, traitements cruels, inhumains ou dégradants ).

53. Le Comité demande à l’État partie de lui soumettre son prochain rapport périodique le 2 novembre 2022 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements précis et à jour sur la suite qu’il aura donnée aux autres recommandations formulées dans les présentes observations finales et sur l’application du Pacte dans son ensemble. Il demande également à l’État partie, lorsqu’il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, ce document ne devra pas compter plus de 21 200 mots. L ’État partie peut aussi indiquer au Comité , avant le 2 novembre 2019, qu’il accepte d’établir son rapport en suivant la procédure simplifiée . En pareil cas, le Comité transmet une liste de points à l’État partie avant que celui-ci ne soumette son rapport. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son rapport périodique suivant à soumettre en application de l’article 40 du Pacte.