Présentée par:

MM. Girjadat Siewpersaud, Deolal Sukhram et Jainarine Persaud (représentés par un conseil, M. Parvais Jabbar du cabinet d’avocats Simons Muirhead & Burton)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Trinité‑et‑Tobago

Date de la communication:

25 juillet 1998 (lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er août 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

29 juillet 2004

Le 29 juillet 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 938/2000. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

Annexe

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑unième session

concernant la

Communication  n o  938/2000 **

Présentée par:

MM. Girjadat Siewpersaud, Deolal Sukhram et Jainarine Persaud (représentés par un conseil, M. Parvais Jabbar du cabinet d’avocats Simons Muirhead & Burton)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Trinité‑et‑Tobago

Date de la communication:

25 juillet 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 juillet 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 938/2000, présentée au nom de MM. Girjadat Siewpersaud, Deolal Sukhram et Jainarine Persaud en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont MM. Girjadat Siewpersaud, Deolal Sukhram et Jainarine Persaud, de nationalité guyanienne, actuellement détenus à la prison d’État de Port of Spain (Trinité‑et‑Tobago). Ils affirment être victimes de violations par la Trinité‑et‑Tobago du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 19 janvier 1988, la Haute Cour de justice de Port of Spain a reconnu coupables de meurtre et condamné à la peine de mort Girjadat Siewpersaud, Deolal Sukhram et Jainarine Persaud. Ils ont demandé l’autorisation de faire appel à la Cour d’appel. Le 29 mars 1993, la Cour a rejeté leurs demandes. Ils ont alors adressé à la Section judiciaire du Conseil privé une demande d’autorisation spéciale de faire appel. Leur requête a été rejetée le 27 avril 1995. Le 4 janvier 1994, la condamnation à mort des auteurs a été commuée en une peine de réclusion à perpétuité.

2.2Les auteurs ont été reconnus coupables d’un meurtre qui aurait été commis entre mars et avril 1985. Leur procès a commencé en janvier 1988, environ 34 mois après leur arrestation. Les auteurs affirment que, tout au long de cette période, ils ont été détenus dans des conditions effroyables. Entre le 19 janvier 1988, date de leur condamnation, et le 4 janvier 1994, date de la commutation de la peine de mort en peine de réclusion à perpétuité, c’est‑à‑dire pendant six ans, ils étaient incarcérés dans le quartier des condamnés à mort de la prison d’État de Port of Spain.

2.3Les auteurs déclarent que, pendant la période susmentionnée, ils ont été mis à l’isolement dans une cellule de 2,70 m sur 1,80 m contenant un banc, un lit, un matelas et une table. Comme il n’y avait pas de toilettes dans la cellule, ils ne disposaient que d’un seau en plastique pour faire leurs besoins. La cellule de Deolal Sukhram se trouvait en face des toilettes et de la salle de bains des gardiens et était donc généralement froide et humide à cause de l’eau qui fuyait de la baignoire. Une bouche d’aération de 90 cm sur 60 ne laissait passer que peu de lumière naturelle et d’air. La seule autre source de lumière était un néon allumé 23 heures par jour à l’extérieur de la cellule au‑dessus de la porte. En raison du manque de lumière, la vue de Deolal Sukhram s’est détériorée, ce qui l’a obligé à porter des lunettes. Les auteurs n’avaient le droit de s’exercer à l’extérieur de la cellule qu’une heure par semaine.

2.4Depuis que leur condamnation à la peine de mort a été commuée, les auteurs sont détenus à la prison d’État dans des conditions tout aussi dégradantes. Chacun d’eux se trouve dans une cellule avec 8 à 14 autres prisonniers. La cellule mesure 2,70 m sur 1,80 m et ne contient qu’un seul lit en métal sans matelas. En conséquence, les prisonniers sont obligés de dormir sur des morceaux de carton placés à même le sol en ciment. Les cellules sont infestées de cafards, de rats et de mouches et sont généralement très sales. L’aération étant insuffisante, les cellules sont de véritables fours, ce qui rend le sommeil impossible. L’entassement et la mauvaise ventilation font qu’il n’y a pas suffisamment d’oxygène, ce qui donne des vertiges et des maux de tête continus à Deolal Sukhram.

2.5Comme il n’y a pas de toilettes, chaque cellule est dotée d’un seau hygiénique qui est vidé toutes les 16 heures. Il s’en dégage en permanence une puanteur épouvantable. Aucun produit de toilette ou détergent n’étant fourni, il est impossible de maintenir le minimum d’hygiène. La nourriture est insuffisante et presque immangeable. Les prisonniers reçoivent chaque jour du pain rassis et de la viande ou du poisson avariés. La cuisine dans laquelle les repas sont préparés n’est qu’à trois mètres des toilettes et est infestée par la vermine. L’accès aux soins médicaux est rare. Jainarine Persaud, qui souffre de migraines, n’a pas reçu le traitement médical qui lui avait été prescrit par le médecin de la prison. Il n’y a aucune disposition pour faciliter une quelconque activité religieuse. Les prisonniers ne peuvent écrire qu’une lettre par mois et Deolal Sukhram se voit régulièrement refuser l’accès aux services d’un conseil juridique. Le conseil présente une déclaration sous serment émanant du dénommé Lawrence Pat Sankar, qui était détenu dans la prison d’État en même temps que les auteurs et qui confirme la description des conditions de détention faite ci‑dessus.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que la période de 34 mois qui s’est écoulée entre leur arrestation et leur procès est excessivement longue, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Cette situation est comparable à d’autres où le Comité avait conclu à l’existence de violations du paragraphe 3 de l’article 9 ou du paragraphe 3 c) de l’article 14. Ils estiment que l’État partie doit organiser son système de justice pénale de façon que de tels retards ne se produisent plus.

3.2Les auteurs affirment aussi que la période de 4 ans et 10 mois qui s’est écoulée entre leur condamnation (le 19 janvier 1988) et le rejet de leur appel par la Cour d’appel (le 29 mars 1993) est excessivement longue, ce qui constitue une autre violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Ils font valoir qu’en examinant la question de savoir si cette durée est excessive ou non il convient de tenir compte du fait qu’ils étaient condamnés à mort, et détenus dans des conditions inacceptables.

3.3Les auteurs affirment qu’ils sont victimes d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 au motif qu’ils étaient détenus dans des conditions effroyables. Ils signalent que les conditions dans la prison où ils étaient incarcérés ont été maintes fois dénoncées par des organisations internationales de défense des droits de l’homme en tant que violation des normes internationalement acceptées et de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

3.4Les auteurs affirment qu’après la commutation de leur condamnation à mort, ils ont continué d’être détenus dans des conditions qui étaient manifestement contraires aux normes locales applicables aux établissements pénitentiaires régissant les droits des prisonniers en ce qui a trait à la nourriture, à la literie et aux vêtements ainsi que la responsabilité du médecin de la prison pour ce qui est de répondre aux plaintes et de prendre des mesures pour améliorer les conditions sanitaires intolérables dans les établissements pénitentiaires. Cela représente une autre violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

3.5Se fondant sur les Observations générales nos 7 et 9 du Comité relatives aux articles 7 et 10, respectivement, et sur la jurisprudence du Comité, les auteurs font valoir que les conditions qu’ils ont endurées à chacune des phases de la procédure ont constitué une violation d’une norme minimale inviolable régissant les conditions de détention (qui doit être respectée quel que soit le niveau de développement de l’État partie) et, partant, une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Ils invoquent à ce sujet la jurisprudence du Comité et d’autres décisions judiciaires applicables.

3.6Enfin, les auteurs font valoir qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, parce qu’ils sont privés du droit de s’adresser à la justice pour se plaindre d’autres violations de leurs droits tels qu’ils sont consacrés dans le Pacte.

3.7Les auteurs font valoir que la possibilité de présenter une requête constitutionnelle n’est pas un recours utile dans leur cas en raison du coût prohibitif de la procédure qu’il faut engager devant la Haute Cour pour obtenir réparation, de l’absence d’aide juridictionnelle pour le dépôt d’une requête constitutionnelle et du fait que les avocats locaux n’acceptent pas de représenter gratuitement les requérants. Ils invoquent la jurisprudence du Comité qui a établi qu’en l’absence d’aide juridictionnelle une requête constitutionnelle n’était pas un recours utile pour l’auteur d’une communication qui était dans l’indigence. Dans ce contexte, les auteurs disent avoir épuisé tous les recours internes possibles aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Ils précisent en outre que la question n’a été soumise à l’examen d’aucune autre instance internationale.

4.Bien que le Comité lui ait demandé, en date du 1er août 2000, du 12 octobre 2001, du 8 janvier 2002 et du 28 mai 2004, de lui faire part de ses observations sur la communication, l’État partie n’a fait aucune remarque sur la recevabilité ni sur le fond.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a)de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3Pour ce qui est de la possibilité de déposer une requête constitutionnelle auprès de la Cour suprême, le Comité note que les auteurs ont introduit un recours devant la Cour d’appel et ont demandé au Conseil privé l’autorisation spéciale de faire appel en tant que personnes indigentes, dans la mesure où ils affirmaient être sans ressources et où l’aide juridictionnelle n’était pas disponible pour les requêtes constitutionnelles. Les deux demandes ont été rejetées. Le Comité estime donc qu’étant donné qu’aucune aide juridictionnelle n’est disponible, ce que l’État partie lui‑même n’a pas nié, une requête constitutionnelle ne constitue pas un recours disponible dans les circonstances de la cause. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

5.4Le Comité estime que les allégations des auteurs ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et procède donc à leur examen sur le fond dans la mesure où elles semblent soulever des questions au titre du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et de l’article 14 du Pacte. Le Comité constate avec préoccupation l’absence de toute coopération de l’État partie. Il ressort implicitement de l’article 91 du règlement intérieur et du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’un État partie au Pacte doit examiner de bonne foi toutes les allégations concernant des violations du Pacte formulées contre lui et fournir au Comité par écrit des explications ou des éclaircissements sur la question en indiquant, le cas échéant, le recours offert. Dans ces circonstances, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

5.5En ce qui concerne l’allégation des auteurs relativement au droit d’accès aux tribunaux, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité estime qu’ils ne l’ont pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

6.1Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 de l’article 9, le Comité note que les auteurs ont été arrêtés en avril 1985, que leur procès a commencé le 4 janvier 1988 et qu’ils sont restés en détention avant jugement tout au long de cette période. Le fait que leur détention avant jugement a duré 34 mois n’est pas contesté. Le Comité rappelle qu’en application du paragraphe 3 de l’article 9, tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale doit être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La période qui constitue un «délai raisonnable», au sens du paragraphe 3 de l’article 9, doit être déterminée au cas par cas. Une période de près de trois ans ne peut pas être considérée comme compatible avec le paragraphe 3 de l’article 9, en l’absence de circonstances particulières justifiant un tel retard. Le Comité conclut donc qu’en l’absence de la moindre explication de la part de l’État partie, le fait que les auteurs ont dû attendre 34 mois avant d’être jugés est incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 9.

6.2Pour ce qui est de la période de 4 ans et 10 mois qui s’est écoulée entre la condamnation et le rejet de l’appel, le conseil invoque le paragraphe 3 de l’article 9 mais, comme les questions soulevées se rapportent manifestement aux paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, le Comité les examinera au titre de cet article. Le Comité considère que le fait que 4 ans et 10 mois se sont écoulés entre la fin du procès, le 19 janvier 1988, et le rejet de l’appel formé par les auteurs, le 29 mars 1993, est, en l’absence de toute explication de la part de l’État partie pour justifier ce retard, incompatible avec les dispositions du Pacte. Le Comité conclut donc que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 c) du même article, a été violé.

6.3Les auteurs affirmant que les conditions qu’ils ont endurées à chaque étape de leur emprisonnement représentent une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, le Comité doit leur accorder le crédit voulu, en l’absence de la moindre observation de l’État partie à ce sujet. Il considère que les conditions de détention des auteurs, telles qu’elles sont décrites aux paragraphes 2.3, 2.4 et 2.5, représentent une violation du droit d’être traités avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l’être humain, et sont par conséquent contraires au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion touchant l’article 10, disposition du Pacte qui traite spécifiquement de la situation des personnes privées de leur liberté et englobe, s’agissant de telles personnes, les éléments énoncés de manière générale à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les griefs relevant de l’article 7 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et du paragraphe 5 lu conjointement avec le paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

8.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate. Étant donné que les auteurs ont été incarcérés pendant une longue période dans des conditions déplorables qui sont contraires aux dispositions de l’article 10 du Pacte, l’État partie devrait envisager de les libérer. En tout état de cause, l’État partie devrait améliorer sans tarder les conditions de détention dans ses prisons.

9.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication a été adressée au Comité avant que la dénonciation par la Trinité‑et‑Tobago du Protocole facultatif ne prenne effet − 27 juin 2000; conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie. En vertu de l’article 2 du Pacte, celui‑ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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