Nations Unies

CERD/C/GC/35

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

26 septembre 2013

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ éliminati on de la discrimination raciale

Recommandation générale no 35

Lutte contre les discours de haine raciale *

I.Introduction

À sa quatre-vingtième session, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (le Comité) a décidé de tenir un débat thématique sur les discours de haine raciale à sa quatre-vingt unième session. Le débat, qui a lieu le 28 août 2012, visait essentiellement à comprendre les causes et les conséquences des discours de haine raciale et à déterminer comment l’on pouvait se servir de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale pour combattre ces discours. Outre les membres du Comité, des représentants de missions permanentes auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, d’institutions nationales des droits de l’homme, d’organisations non gouvernementales, du milieu universitaire et d’autres personnes intéressées ont participé à la discussion.

À l’issue du débat, le Comité a exprimé son intention d’élaborer une recommandation générale pour fournir des orientations concernant les prescriptions de la Convention eu égard aux discours de haine raciale, l’objectif étant d’aider les États parties à s’acquitter de leurs obligations, y compris en matière de présentation de rapports. La présente recommandation générale présente un intérêt particulier pour tous ceux qui luttent contre la discrimination raciale et vise à contribuer à la promotion de la compréhension, de la paix durable et de la sécurité entre les communautés, les peuples et les États.

Approche adoptée

Lors de l’élaboration de la recommandation, le Comité a tenu compte de sa très longue pratique en matière de lutte contre les discours de haine raciale, et a mobilisé tout l’éventail des procédures prévues par la Convention. Le Comité a souhaité montrer comment les discours de haine raciale conduisent à des violations massives des droits de l’homme et à des génocides, ainsi qu’à des situations de conflit. Le Comité a déjà abordé la question des discours de haine dans des recommandations générales importantes, notamment les Recommandations générales no 7 (1985) sur l’application de l’article 4; no 15 (1993) sur l’article 4, qui traitait de la compatibilité entre l’article 4 et le droit à la liberté d’expression; no 25 (2000) sur la dimension sexiste de la discrimination raciale; no 27 (2000) sur la discrimination à l’égard des Roms; no 29 (2002) sur la discrimination fondée sur l’ascendance; no 30 (2004) sur la discrimination à l’égard des non‑ressortissants; no 31 (2005) sur la prévention de la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale; et no 34 (2011) sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine. De nombreuses recommandations générales adoptées par le Comité traitent directement ou indirectement de questions relatives aux discours de haine car il ne saurait y avoir de lutte efficace contre la haine raciale sans mobilisation de l’ensemble des ressources normatives et procédurales établies par la Convention.

Dans le cadre de ses travaux liés à la mise en œuvre de la Convention en tant qu’instrument vivant, le Comité collabore avec l’ensemble de l’environnement des droits de l’homme, comme le veut implicitement la Convention. S’agissant d’évaluer la portée de la liberté d’expression, on se rappellera que ce droit est intégré dans la Convention et n’est pas seulement formulé en dehors de la Convention: les principes de la Convention contribuent à faire comprendre les paramètres de ce droit au sein du droit international des droits de l’homme contemporain. Le Comité a intégré ce droit à la liberté d’expression dans ses travaux sur la lutte contre les discours de haine, en faisant des observations si nécessaire sur le non-respect de ce droit et en s’inspirant parfois des travaux réalisés sur cette question par d’autres organes des droits de l’homme.

II.Discours de haine raciale

Les auteurs de la Convention étaient pleinement conscients que des discours pouvaient contribuer à créer un climat de haine et de discrimination raciales, et ont longuement réfléchi aux dangers que cela posait. Dans le préambule de la Convention, le racisme n’est évoqué que dans le contexte de «doctrines et pratiques racistes» en lien étroit avec la condamnation à l’article 4 de la diffusion d’idées fondées sur la supériorité raciale. L’expression «discours de haine» n’est pas expressément utilisée dans la Convention mais cela n’a pas empêché le Comité d’identifier et de nommer les phénomènes de discours de haine et d’étudier les liens entre les discours et les normes consacrées par la Convention. La présente recommandation met l’accent sur l’ensemble des dispositions de la Convention qui permettent d’identifier les formes d’expression qui constituent des discours de haine.

En ce qui concerne la pratique du Comité, les discours de haine raciale comprennent toutes les formes de discours spécifiques visées à l’article 4 qui sont dirigées contre des groupes reconnus par l’article premier de la Convention, lequel interdit la discrimination fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, notamment les peuples autochtones, les groupes fondés sur l’ascendance et les immigrés ou non‑ressortissants tels que les migrants, les domestiques, les réfugiés et les demandeurs d’asile, ainsi que les propos visant les femmes de ces groupes et d’autres groupes vulnérables. Compte tenu du principe de l’intersectionnalité et du fait que «la critique des dirigeants religieux ou le commentaire de la doctrine religieuse et des dogmes d’une foi» ne devrait pas être interdite ni punie, l’attention du Comité a aussi porté sur les discours de haine proférés contre des personnes appartenant à certains groupes ethniques qui professent ou pratiquent une religion différente de celle de la majorité, tels que les manifestations d’islamophobie, d’antisémitisme et autres manifestations de haine dirigées contre des groupes ethnoreligieux, ainsi que les manifestations extrêmes de haine telles que l’incitation au génocide et terrorisme. Le Comité s’est aussi déclaré préoccupé par les stéréotypes et la stigmatisation dont sont victimes des membres de groupes protégés, et a formulé des recommandations à ce sujet.

Les discours de haine raciale peuvent prendre de nombreuses formes et ne sont pas seulement des remarques directement liées à la race. Comme cela est le cas en ce qui concerne la discrimination visée à l’article premier de la Convention, un langage direct peut être employé pour s’attaquer à des groupes raciaux ethniques et dissimuler ainsi son objectif premier. Conformément aux obligations qui leur incombent en vertu de la Convention, les États parties doivent prêter l’attention voulue à toutes les manifestations de discours de haine raciale et prendre des mesures efficaces pour les combattre. Les principes énoncés dans la présente recommandation s’appliquent aux discours de haine raciale, qu’ils émanent de personnes ou de groupes, quelle que soit la forme dans laquelle ils se manifestent, à l’oral ou à l’écrit, diffusés par le biais de médias électroniques tels qu’Internet et les réseaux sociaux, ainsi qu’à des formes non verbales d’expression telles que des symboles, des images et des comportements racistes lors de rassemblements sportifs, notamment des manifestations sportives.

III.La Convention et ses ressources

L’identification et l’élimination des discours de haine sont étroitement liées à la réalisation des objectifs de la Convention, à savoir l’élimination de la discrimination raciale sous toutes ses formes. Si l’article 4 de la Convention est le principal outil utilisé pour combattre les discours de haine, d’autres articles de la Convention peuvent servir tout aussi utilement à atteindre les objectifs visés. L’expression «en tenant dûment compte» dans l’article 4 établit un lien avec l’article 5, qui garantit le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, notamment dans la jouissance du droit à la liberté d’opinion et d’expression. L’article 7 met en avant le rôle «de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et de l’information» dans la promotion de la compréhension et de la tolérance entre groupes ethniques. L’article 2 énonce l’obligation faite aux États parties d’éliminer la discrimination raciale, obligation qui prend un caractère très général au paragraphe 1 d). L’article 6, quant à lui, met l’accent sur la nécessité d’assurer une protection ou une voie de recours effectives aux victimes de la discrimination raciale et le droit d’obtenir «satisfaction ou réparation juste et adéquate» pour tout dommage subi. La présente recommandation met principalement l’accent sur les articles 4, 5 et 7 de la Convention.

À tout le moins et sans préjudice des autres mesures qui peuvent être prises, une législation complète (civile, administrative et pénale) contre la discrimination raciale est absolument indispensable pour combattre efficacement les discours de haine raciale.

Article 4

Le paragraphe introductif de l’article 4 énonce l’obligation d’adopter «immédiatement des mesures positives» destinées à éliminer toute incitation à la discrimination, disposition qui complète et renforce les obligations énoncées dans d’autres articles de la Convention de consacrer le plus de ressources disponibles à l’élimination des discours de haine. Dans sa Recommandation générale no 32 (2009) sur la signification et la portée des mesures spéciales dans la Convention, le Comité précise que le terme «mesures» renvoie à l’ensemble «des instruments législatifs, exécutifs, administratifs, budgétaires et réglementaires … ainsi qu’aux plans politiques, programmes et régimes…». Le Comité rappelle le caractère obligatoire de l’article 4, et fait observer qu’au moment de l’adoption de la Convention, l’article 4 «était considéré comme une disposition capitale dans la lutte contre la discrimination raciale», ce qu’a confirmé la pratique du Comité. L’article 4 comprend des éléments qui ont trait au discours et au contexte dans lequel ce discours est tenu, sert les fonctions de prévention et de dissuasion, et prévoit des sanctions en cas d’échec de la dissuasion. Cet article est aussi important en ce sens qu’il rappelle la condamnation par la communauté internationale de tout discours de haine raciale, entendu comme une forme de discours dirigée contre autrui, qui rejette les principes fondamentaux des droits de l’homme, de la dignité humaine et de l’égalité, et vise à affaiblir la position de personnes et de groupes dans la société.

Dans le paragraphe introductif et l’alinéa a concernant les «idées ou théories fondées sur la supériorité» ou «la supériorité et la haine raciale», respectivement, l’expression «fondées sur» est employée pour caractériser les discours visés par la Convention. Il apparaît au Comité que, dans la version anglaise, l’expression «based on» (fondées sur) n’a pas un sens différent des termes «on the ground s of» de l’article premier. Les dispositions relatives à la diffusion d’idées de supériorité raciale illustrent clairement la fonction de prévention de la Convention et constituent un complément important aux dispositions relatives à l’incitation.

Le Comité recommande que seules les formes graves de discours racistes soient considérées comme des infractions pénales, pouvant être prouvées au-delà de tout doute raisonnable, les formes moins graves devant être traitées par d’autres moyens que le droit pénal, compte tenu notamment de la nature et de l’étendue des conséquences pour les personnes et les groupes visés. L’imposition de sanctions pénales devrait être régie par les principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité.

L’article 4 n’est pas directement applicable. Les États parties doivent adopter des lois pour combattre les discours de haine raciale visés dans cet article. À la lumière des dispositions de la Convention et des principes énoncés dans la Recommandation générale no 15 et dans la présente recommandation, le Comité recommande aux États parties de déclarer délits punissables par la loi et de sanctionner efficacement:

a)Toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale ou ethnique, par quelque moyen que ce soit;

b)L’incitation à la haine, au mépris ou à la discrimination envers des membres d’un groupe racial ou ethnique en raison de la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique;

c)Les menaces ou l’incitation à la violence contre des personnes ou des groupes pour les motifs énoncés ci-dessus;

d)L’expression d’insultes, de moqueries ou de calomnies à l’égard de personnes ou de groupes, ou la justification de la haine, du mépris ou de la discrimination pour les motifs énoncés à l’alinéa b, lorsque ces actes s’apparentent clairement à de l’incitation à la haine ou à la discrimination;

e)La participation à des organisations ou des activités qui encouragent la discrimination raciale ou y incitent.

Le Comité recommande que la négation ou les tentatives publiques de justification de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité, tels que définis en droit international, soient déclarées délits punissables par la loi, à condition qu’elles constituent clairement un acte d’incitation à la haine ou à la violence raciale. Le Comité souligne aussi que «l’expression d’opinions sur des événements du passé» ne devrait pas être interdite ni punie.

L’article 4 exige que certaines formes de comportement soient déclarées délits punissables par la loi mais n’offrent pas d’orientations détaillées aux fins de l’incrimination des différentes formes de comportement. Pour qualifier les actes de discrimination et d’incitation de délits punissables par la loi, le Comité considère que les éléments ci-après devraient être pris en compte:

Le contenu et la forme du discours − déterminer si le discours est provocateur et direct, comment il est construit et sous quelle forme il est distribué, et le style dans lequel il est délivré;

Le climat économique, social et politique dans lequel le discours a été prononcé et diffusé, notamment l’existence de formes de discrimination à l’égard de groupes ethniques et autres, notamment des peuples autochtones. Les discours qui dans un contexte sont inoffensifs ou neutres peuvent s’avérer dangereux dans un autre; dans ses indicateurs sur le génocide, le Comité a insisté sur l’importance du lieu lorsqu’il s’agit d’évaluer la signification et les effets potentiels des discours de haine raciale;

La position et le statut de l ’ orateur dans la société et l’audience à laquelle le discours est adressé. Le Comité ne cesse d’appeler l’attention sur le rôle joué par les personnalités politiques et autres décideurs dans l’apparition d’un climat négatif envers les groupes protégés par la Convention, et a encouragé ces personnes et organes à témoigner d’une attitude plus positive envers la promotion de la compréhension et l’harmonie interculturelles. Le Comité est pleinement conscient de l’importance particulière de la liberté d’expression dans les domaines politiques mais sait aussi que l’exercice de cette liberté comporte des responsabilités et des devoirs particuliers;

La portée du discours − notamment la nature de l’audience et les modes de transmission: si le discours a été diffusé via les médias classiques ou Internet, ainsi que la fréquence et la portée de la communication, en particulier lorsque la répétition du discours témoigne de l’existence d’une stratégie délibérée visant à susciter l’hostilité envers des groupes ethniques et raciaux;

Les objectifs du discours − le discours consistant à protéger ou à défendre les droits fondamentaux de personnes et de groupes ne devrait pas faire l’objet de sanctions pénales ou autres.

L’incitation s’entend en général de tout acte visant à influencer d’autres personnes pour qu’elles se livrent à certaines formes de comportement, y compris la commission d’un crime, par le biais de l’encouragement ou de menaces. L’incitation peut être explicite ou implicite, au moyen d’actes tels que l’affichage de symboles racistes, la distribution de matériels ou l’emploi de certains mots. La notion d’incitation en tant qu’infraction non accomplie signifie qu’il n’est pas nécessaire que l’incitation aboutisse à des actes, mais lorsqu’ils réglementent les formes d’incitation visées à l’article 4, les États parties devraient tenir compte, en tant qu’aspects importants de l’infraction d’incitation, outre les considérations figurant au paragraphe 14 ci‑dessus, de l’intention de l’orateur, et du risque imminent ou de la probabilité que le comportement recherché ou préconisé par l’orateur débouche sur de l’incitation, considérations qui s’appliquent aussi aux autres infractions énumérées au paragraphe 13.

Le Comité rappelle qu’il ne suffit pas de déclarer délits punissables les types de comportement visés à l’article 4, des mesures doivent aussi être effectivement mises en œuvre. En règle générale, il s’agit d’enquêter sur les actes définis dans la Convention et, si nécessaire, de poursuivre en justice leurs auteurs. Le Comité reconnaît le principe d’opportunité (consistant à engager rapidement des poursuites contre les auteurs présumés) et fait observer que ce principe doit être appliqué dans tous les cas à la lumière des garanties énoncées dans la Convention et dans d’autres instruments de droit international. À cet égard et d’autres, le Comité rappelle que ce n’est pas son rôle d’examiner comment les juridictions internes interprètent les faits et les législations nationales, à moins que les décisions aient été manifestement arbitraires ou déraisonnables.

Des organes judiciaires indépendants, impartiaux et avertis sont indispensables pour garantir que les faits et les qualifications juridiques de toute affaire seront appréciés d’une manière conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme. Les structures judiciaires devraient être complétées et renforcées à cet égard par des institutions nationales des droits de l’homme conformes aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris).

L’article 4 prescrit l’adoption de mesures destinées à éliminer l’incitation à la discrimination et les actes de discrimination en tenant dûment compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et des droits expressément énoncés à l’article 5 de la Convention. Les termes «tenant dûment compte» impliquent que, dans les processus de décision liés à la création et à l’application des infractions, ainsi qu’à l’exécution des autres prescriptions de l’article 4, il convient d’accorder l’importance voulue aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux droits énoncés à l’article 5. Le Comité a interprété ces termes comme s’appliquant à l’ensemble des droits de l’homme et des libertés, et pas simplement à la liberté d’opinion et d’expression, dont il faudrait toutefois tenir compte en ce qu’elle constitue le principe de référence le plus pertinent lorsqu’il s’agit d’apprécier la légitimité de restrictions imposées à la liberté de parole.

Le Comité constate avec inquiétude qu’il a parfois été fait usage de restrictions à la liberté de parole de caractère général ou vague au détriment de groupes protégés par la Convention. Les États parties devraient formuler des restrictions en matière d’expression avec suffisamment de précision, conformément aux normes énoncées dans la Convention et précisées dans la présente recommandation. Le Comité souligne que les mesures visant à contrôler et combattre les discours de haine raciale ne devraient pas servir de prétexte pour restreindre les manifestations de colère face à l’injustice et les expressions de mécontentement social ou d’opposition.

Le Comité souligne qu’en application de l’alinéa b de l’article 4, les organisations racistes qui encouragent la discrimination raciale ou l’incitent doivent être déclarées illégales et interdites. Selon l’interprétation du Comité, l’expression «activités de propagande organisée» implique des formes d’organisation ou des réseaux improvisés et les termes «tout autre type d’activité de propagande» peuvent être compris comme renvoyant à des formes non structurées ou spontanées d’instigation ou d’incitation à la discrimination raciale.

À propos de l’alinéa c de l’article 4 concernant les autorités publiques et les institutions publiques, le Comité juge particulièrement préoccupantes les expressions de racisme émanant de telles autorités ou institutions, notamment les déclarations prêtées à de hauts responsables. Sans préjudice de l’application des infractions visées aux alinéas a et bde l’article 4, qui s’appliquent aux personnalités publiques comme à toutes les autres personnes, l’arsenal de «mesures positives» à «adopter immédiatement» visées dans le paragraphe introductif pourrait comprendre des mesures disciplinaires à l’encontre des coupables de tels actes, comme la destitution des fonctions, ainsi que l’ouverture de voies de recours utiles aux victimes.

Le Comité a pour pratique de recommander aux États parties qui ont fait des réserves à la Convention de les retirer. Lorsqu’ils maintiennent une réserve aux dispositions de la Convention relatives aux discours de haine raciale, les États parties sont invités à expliquer pourquoi ils jugent la réserve nécessaire, à fournir des renseignements sur la nature et la portée de la réserve et ses effets précis sur la législation et la politique nationales, et à indiquer s’il est prévu de limiter les effets de la réserve ou de la retirer selon un calendrier précis.

Article 5

L’article 5 de la Convention énonce l’obligation pour les États parties d’interdire et d’éliminer la discrimination raciale et de garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale et ethnique, notamment dans la jouissance des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, parmi lesquels les droits à la liberté de pensée, de conscience et de religion, à la liberté d’opinion et d’expression, et à la liberté de réunion et d’association pacifiques.

Le Comité considère que l’expression d’idées et d’opinions dans le cadre de débats universitaires, d’engagement politique ou d’activité analogue, et sans incitation à la haine, au mépris, à la violence ou à la discrimination, devrait être considérée comme l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression, même lorsque de telles idées prêtent à controverse.

En plus d’être énoncé à l’article 5, le droit à la liberté d’opinion et d’expression est reconnu comme un droit fondamental par toute une série d’instruments internationaux, dont la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui proclament le droit de chacun d’avoir des opinions ainsi que de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. Le droit à la liberté d’expression n’est pas illimité; il s’accompagne de responsabilités et de devoirs particuliers. Il peut donc être soumis à certaines restrictions, à condition qu’elles soient prévues par la loi et nécessaires pour protéger les droits ou la réputation d’autrui ou sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique. La liberté d’expression ne devrait pas viser la destruction des droits et des libertés d’autrui, notamment celle du droit à l’égalité et à la non-discrimination.

La Déclaration et le Programme d’action de Durban et le Document final de la Conférence d’examen de Durban reconnaissent le rôle positif que l’exercice du droit à la liberté d’opinion et d’expression joue dans la lutte contre la haine raciale.

Outre qu’elle sous-tend et garantit l’exercice d’autres droits et libertés, la liberté d’opinion et d’expression revêt une importance particulière dans le contexte de la Convention. La protection des personnes contre les discours de haine raciale ne consiste pas simplement à opposer le droit à la liberté d’expression, d’une part, et la restriction de ce droit au profit des groupes protégés, de l’autre: les personnes et les groupes ayant droit à la protection de la Convention jouissent également du droit à la liberté d’expression et à la liberté de ne pas subir de discrimination fondée sur la race dans l’exercice de ce droit. Les discours de haine raciale risquent de réduire leurs victimes au silence.

La liberté d’expression, outil indispensable à la formulation des droits de l’homme et à la diffusion des connaissances concernant l’état de jouissance des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, aide les groupes vulnérables à rétablir l’équilibre des forces dans la société, favorise l’entente et la tolérance entre les cultures, contribue à la déconstruction des stéréotypes raciaux, facilite le libre-échange des idées et permet de proposer des points de vue différents ou opposés. Les États parties devraient adopter des politiques qui donnent à tous les groupes visés par la Convention les moyens d’exercer leur droit à la liberté d’expression.

Article 7

Si les dispositions de l’article 4 relatives à la diffusion des idées, d’une part, et celles qui concernent l’incitation, d’autre part, ont respectivement pour vocation de décourager la circulation des idées racistes en amont et de lutter contre leurs effets en aval, l’article 7 traite quant à lui des causes profondes des discours de haine et constitue une nouvelle illustration des «moyens appropriés» d’éliminer la discrimination raciale dont il est question à l’alinéa d du paragraphe 1 de l’article 2. L’article 7 n’a rien perdu de son importance avec le temps: l’approche globalement éducative qu’il propose pour éliminer la discrimination raciale est un complément indispensable à d’autres stratégies de lutte contre ce phénomène. Le racisme pouvant être le produit, entre autres, de l’endoctrinement ou du manque d’instruction, l’éducation à la tolérance et le contre-discours peuvent être d’excellents remèdes, parmi d’autres.

Aux termes de l’article 7, les États parties s’engagent à prendre des mesures immédiates et efficaces, notamment dans les domaines de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et de l’information, pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale et favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre nations et groupes raciaux ou ethniques, ainsi que pour promouvoir les principes universels des droits de l’homme, notamment ceux de la Convention. L’article 7 est rédigé dans les mêmes termes contraignants que d’autres articles de la Convention et les domaines d’activité qui y sont cités (enseignement, éducation, culture et information) ne sont pas présentés comme une liste exhaustive de ceux où des engagements sont requis.

Les systèmes scolaires des États parties constituent un cadre de choix pour la diffusion d’informations et d’éclairages sur les droits de l’homme. Il conviendrait que les programmes et manuels scolaires et le matériel pédagogique apportent des informations sur les droits de l’homme, traitent des questions qui y sont liées et tendent à promouvoir le respect mutuel et la tolérance entre les nations et entre les divers groupes raciaux et ethniques.

Parmi les stratégies éducatives appropriées allant dans le sens des prescriptions de l’article 7 figure l’éducation interculturelle, notamment l’éducation bilingue interculturelle, fondée sur l’égalité dans le respect et l’estime et sur une véritable assistance mutuelle, appuyée par des ressources humaines et financières suffisantes. Les programmes d’éducation interculturelle devraient refléter un réel équilibre des intérêts et ne pas fonctionner, que cela soit intentionnel ou non, comme des vecteurs d’assimilation culturelle.

Il conviendrait d’adopter dans le domaine de l’éducation des mesures visant à promouvoir la connaissance de l’histoire, de la culture et des traditions des groupes «raciaux et ethniques» présents sur le territoire de l’État partie, notamment des peuples autochtones et des personnes d’ascendance africaine. Dans le souci de favoriser le respect mutuel et la compréhension, il faudrait s’attacher à ce que le matériel pédagogique mette en valeur la contribution de tous les groupes à l’enrichissement culturel, social et économique de l’identité nationale, et au progrès national, économique et social.

Afin de promouvoir la compréhension interethnique, des représentations objectives et nuancées des événements du passé sont indispensables et, là où des atrocités ont été commises contre des groupes de population, des journées du souvenir et d’autres commémorations publiques devraient être organisées, selon qu’il convient, pour rappeler ces tragédies humaines, et célébrer le règlement des conflits par la voie pacifique. Les commissions pour la vérité et la réconciliation peuvent aussi être d’une grande utilité pour empêcher que la haine raciale se perpétue et favoriser l’instauration d’un climat de tolérance interethnique.

Il conviendrait de mener des politiques et des campagnes d’information et d’éducation appelant l’attention sur les dégâts causés par les discours de haine raciale, et d’y associer le grand public, la société civile, notamment les associations religieuses et communautaires, les parlementaires et les autres membres de la classe politique, les professionnels de l’éducation, les fonctionnaires de l’administration publique, la police et les autres organes s’occupant de l’ordre public, ainsi que le personnel de la justice, y compris les membres de l’appareil judiciaire. Le Comité appelle l’attention des États parties sur les Recommandations générales nos 13 (1993) sur la formation des responsables de l’application des lois à la protection des droits de l’homme et 31 (2005) sur la prévention de la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale. Là comme ailleurs, la familiarisation avec les règles internationales qui protègent la liberté d’opinion et d’expression ainsi qu’avec le dispositif de protection contre les discours de haine raciale revêt une importance primordiale.

Le rejet catégorique des discours de haine par les hauts responsables et la condamnation des idées haineuses exprimées contribuent grandement à promouvoir une culture de la tolérance et du respect. Parallèlement aux méthodes éducatives, il est tout aussi utile de favoriser le dialogue interculturel par une culture du débat public et des instruments de dialogue institutionnels, et de promouvoir l’égalité des chances dans tous les domaines de la société; il conviendrait d’encourager vigoureusement toute action dans ce sens.

Le Comité recommande que les stratégies de lutte contre les discours de haine raciale menées dans les domaines de l’éducation, de la culture et de l’information s’appuient sur la collecte et l’analyse systématiques de données, qui permettront d’étudier les circonstances de l’apparition des discours de haine, les publics qu’ils touchent ou qu’ils visent, les voies par lesquelles ils sont transmis et les réactions qu’ils suscitent dans les médias. La coopération internationale dans ce domaine aide à améliorer non seulement la comparabilité des données, mais aussi la connaissance des discours de haine, qui transcendent les frontières nationales, et les moyens de les combattre.

Des médias bien informés, soucieux d’éthique et objectifs, y compris les médias sociaux et Internet, jouent un rôle primordial pour ce qui est de promouvoir une plus grande responsabilité dans la diffusion des idées et des opinions. En plus de mettre en place une législation appropriée pour les médias qui soit conforme aux normes internationales, les États parties devraient encourager les organes d’information publics et privés à adopter des codes de déontologie et des codes de la presse, qui tiennent compte notamment des principes de la Convention et d’autres normes fondamentales relatives aux droits de l’homme.

Les représentations dans les médias des groupes ethniques, autochtones et autres visés à l’article premier de la Convention devraient être fondées sur des principes de respect et d’équité et sur le souci d’éviter les stéréotypes. Les médias devraient éviter les références inutiles à la race, à l’appartenance ethnique, à la religion et à d’autres caractéristiques de groupes susceptibles de favoriser l’intolérance.

Encourager le pluralisme des médias, et notamment faciliter l’accès aux médias des groupes minoritaires, autochtones et autres visés par la Convention et l’établissement de leurs propres médias, y compris dans leur propre langue, ne peut qu’être bénéfique pour la mise en œuvre des principes de la Convention. La responsabilisation locale au travers du pluralisme des médias facilite une prise de parole qui pourrait permettre de combattre les discours de haine raciale.

Le Comité encourage les fournisseurs d’accès à Internet à s’autoréglementer et à se conformer à des codes d’éthique, comme il a été souligné dans la Déclaration et le Programme d’action de Durban.

Le Comité invite les États parties à collaborer avec des associations sportives en vue d’éliminer le racisme dans toutes les disciplines sportives.

En ce qui concerne plus précisément la Convention, les États parties devraient faire connaître les normes et les procédures qu’elle prévoit, et dispenser une formation en la matière, en particulier à l’intention des personnes concernées par sa mise en œuvre, notamment les fonctionnaires, les membres de l’appareil judiciaire et les agents des forces de l’ordre. Il conviendrait aussi que les États parties diffusent largement dans les langues officielles et les autres langues communément utilisées les observations finales formulées par le Comité après l’examen de leurs rapports périodiques, de même que les opinions adoptées par le Comité dans le cadre de la procédure des communications prévue à l’article 14.

IV.Considérations générales

Il conviendrait de considérer que la relation entre l’interdiction des discours de haine raciale et le développement de la liberté d’expression est faite de complémentarité et qu’il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle dans lequel si l’un des éléments gagne en poids, c’est nécessairement au détriment de l’autre. Les textes législatifs, les politiques et les pratiques devraient faire pleinement apparaître les droits à l’égalité et à la non‑discrimination et le droit à la liberté d’expression comme des droits qui se complètent.

La forte présence des discours de haine raciale dans toutes les régions du monde continue de constituer un défi de taille pour les droits de l’homme. L’application scrupuleuse de la Convention dans son ensemble, s’inscrivant dans les efforts plus larges déployés à l’échelle mondiale pour lutter contre ce phénomène, constitue le meilleur espoir de voir advenir une société libérée de l’intolérance et de la haine, et de promouvoir une culture de respect des droits de l’homme universels.

Le Comité estime qu’il est très important que les États parties adoptent des objectifs ciblés et des procédures de contrôle pour accompagner les lois et les politiques de lutte contre les discours de haine raciale. Les États parties sont instamment priés d’inclure des mesures de lutte contre les discours de haine raciale dans les plans nationaux d’action contre le racisme, les stratégies d’intégration et les plans et programmes nationaux en faveur des droits de l’homme.