Nations Unies

CCPR/C/GMB/CO/2

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant la Gambie en l’absence de deuxième rapport périodique *

1.En l’absence de rapport de l’État partie, le Comité des droits de l’homme a examiné la situation des droits civils et politiques en Gambie au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à ses 3496e et 3497e séances publiques (CCPR/C/SR.3496 et 3497), les 5 et 6 juillet 2018. Conformément au paragraphe 1 de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, si un État partie n’a pas soumis de rapport en application de l’article 40 du Pacte, le Comité peut examiner en séance publique les mesures prises par l’État partie pour donner effet aux droits reconnus dans le Pacte, et adopter des observations finales.

2.À sa 3516e séance, le 19 juillet 2018, le Comité a adopté les observations finales ci‑après.

A.Introduction

3.Le Pacte est entré en vigueur pour la Gambie le 22 juin 1979. L’État partie était tenu de présenter son deuxième rapport périodique en avril 1983 au plus tard, en application du paragraphe 1 a) de l’article 40 du Pacte. Le Comité regrette que l’État partie ait manqué aux obligations que lui impose l’article 40 du Pacte et que, malgré de nombreux rappels, il n’ait pas soumis son deuxième rapport périodique.

4.Le Comité se félicite toutefois de l’occasion qui lui est donnée d’engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie sur la mise en œuvre du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites (CCPR/C/GMB/Q/2/Add.1) apportées à la liste de points (CCPR/C/GMB/Q/2), et complétées oralement par la délégation.

5.Compte tenu des réponses écrites détaillées à la liste des points établie par le Comité et du dialogue constructif que le Comité a eu avec la délégation de l’État partie, le Comité considère les réponses écrites comme le deuxième rapport périodique de l’État partie et demande à ce dernier de mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/GMB/2012) afin de faciliter les discussions à venir.

B.Aspects positifs

6.Le Comité prend note avec satisfaction de la passation de pouvoir pacifique qui a eu lieu dans l’État partie en janvier 2017 après un régime autoritaire de vingt-deux ans qui avait débuté en juillet 1994. Il salue les mesures que l’État partie a prises pour remédier aux violations du passé et rétablir les institutions démocratiques dans le pays, notamment la libération de prisonniers politiques, la création de la Commission de révision de la constitution ainsi que les progrès réalisés s’agissant de la création de la Commission Vérité, réconciliation et réparation et de la Commission nationale des droits de l’homme, ainsi que diverses mesures législatives et réformes sectorielles, en particulier dans les secteurs de la justice, des forces de l’ordre et de la sécurité. Le Comité se félicite de la déclaration d’un moratoire sur la peine de mort, des progrès accomplis en ce qui concerne la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort et de la décision prise par l’État partie de ne pas se retirer de la Cour pénale internationale.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Place du Pacte dans l’ordre juridique interne

7.Le Comité constate avec préoccupation que les droits consacrés par le Pacte n’ont pas été pleinement pris en compte dans la charte des droits figurant dans la Constitution actuelle. Tout en notant que l’État partie a un système juridique dualiste, le Comité relève aussi avec préoccupation que le Pacte n’a jamais été invoqué devant les tribunaux nationaux. Il note également avec préoccupation que l’État partie n’a pas fait suffisamment d’efforts pour veiller à ce que le droit coutumier et la charia soient interprétés conformément au Pacte (art. 2).

8. L’État partie devrait veiller à ce que les droits consacrés par le Pacte soient pleinement incorporés dans la charte des droits de la nouvelle Constitution et dans les autres lois internes pertinentes et prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes les lois, y compris le droit coutumier et la charia, soient formulées, interprétées et appliquées en pleine conformité avec le Pacte. Il devrait également intensifier ses efforts pour former tous les professionnels de la justice et du droit, y compris les juges, les procureurs et les avocats, les agents de la fonction publique et la population, aux droits consacrés par le Pacte et ses protocoles facultatifs et à leur application.

Institution nationale des droits de l’homme

9.Tout en se félicitant de la promulgation en 2017 de la loi sur la Commission nationale des droits de l’homme, le Comité regrette le retard pris dans la nomination des membres de la Commission et dans la mise en place de son secrétariat (art. 2).

10. L’État partie devrait sans attendre nommer les membres de la Commission nationale des droits de l’homme et mettre en place son secrétariat. Il devrait également prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’indépendance et l’efficacité du fonctionnement de la Commission, en pleine conformité avec les principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), notamment en lui fournissant des ressources financières et humaines suffisantes pour qu’elle s’acquitte de ses mandats.

Non-discrimination

11.Le Comité est préoccupé par l’absence de législation globale visant à lutter contre la discrimination dans l’État partie. Il note également avec préoccupation que les relations homosexuelles librement consenties sont érigées en infraction dans l’État partie et que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes continueraient d’être victimes d’arrestations arbitraires et d’actes de violence (art. 2, 9, 17 et 26).

12. L’État partie devrait adopter une législation antidiscrimination qui : a) prévoie une protection complète et efficace contre la discrimination dans toutes les sphères, y compris la sphère privée, et interdise la discrimination directe et indirecte et les discriminations multiples  ; b)  comporte une liste exhaustive des motifs de discrimination interdits qui soit conforme au Pacte et inclue l’orientation sexuelle et l’identité de genre  ; et c)  garantisse aux victimes de discrimination l’accès à des voies de recours efficaces et appropriées. Il devrait également dépénaliser les relations homosexuelles entre adultes consentants et prendre des mesures pour modifier la manière dont la société perçoit les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes et protéger celles-ci contre les arrestations arbitraires et les actes de violence.

Discrimination à l’égard des femmes

13.Le Comité est préoccupé par les attitudes patriarcales profondément enracinées et les stéréotypes liés au rôle dévolu par la société aux hommes et aux femmes dans l’État partie et en particulier par :

a)Les dispositions juridiques discriminatoires à l’égard des femmes dans le droit des personnes en ce qui concerne le mariage, le divorce, la succession, les biens des époux, l’adoption, l’inhumation et la transmission des biens après le décès, dont certaines ont été codifiées dans la loi de 2010 relative aux femmes ;

b)La pratique généralisée des mariages d’enfants et des mutilations génitales féminines, malgré la criminalisation de ces pratiques ;

c)Le très faible niveau de représentation des femmes dans la vie publique, en particulier dans les organes législatifs et aux postes de décision au sein de l’exécutif, et le manque de mesures visant à remédier à la situation ;

d)Le taux d’alphabétisation anormalement faible chez les femmes et les filles, ce qui nuit à la jouissance des droits qui leur sont garantis par le Pacte (art. 2, 3, 7, 23, 25 et 26).

14. L’État partie devrait intensifier ses efforts pour combattre les attitudes patriarcales profondément enracinées et les stéréotypes liés au rôle dévolu par la société aux hommes et aux femmes sur son territoire et, en particulier :

a) Réviser sa législation, notamment le droit des personnes et la loi relative aux femmes, en vue d’en supprimer toutes les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes ;

b) Renforcer l’application de la loi de 2016 portant modification de la loi relative à l’enfance et de la loi de 2015 portant modification de la loi relative aux femmes, qui érigent en infraction le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines, respectivement, et sensibiliser davantage la population, en particulier les chefs traditionnels et les responsables religieux, aux conséquences néfastes et à long terme de ces pratiques  ;

c) Prendre toutes les mesures nécessaires, y compris des mesures temporaires spéciales, pour garantir la représentation égale des femmes et des hommes à tous les postes de décision, dans les secteurs public et privé ;

d) Prendre des mesures ciblées pour accroître le taux d’alphabétisation chez les femmes et les filles.

Violence à l’égard des femmes et violence familiale

15.Le Comité se félicite de l’adoption en 2013 de la loi sur la violence familiale et de la loi sur les infractions sexuelles, mais il est préoccupé par l’application inefficace de ces lois et par le caractère généralisé de la violence à l’égard des femmes et de la violence familiale. Il est particulièrement préoccupé par l’absence de mécanismes de signalement efficaces, par le faible nombre de poursuites engagées contre les auteurs de tels actes, par l’insuffisance de l’aide, y compris l’aide juridique, apportée aux victimes de violences et le manque de foyers et de services de réadaptation, et par l’absence de données officielles ventilées sur la violence à l’égard des femmes et des filles (art. 2, 3, 6, 7, 23 et 26).

16. L’État partie devrait intensifier ses efforts pour :

a) Faire respecter la loi sur la violence familiale et la loi sur les infractions sexuelles ;

b) Mettre en place des mécanismes de plainte confidentiels qui tiennent compte du genre et accroître le nombre de policières et d’unités spécialisées qui s’occupent de ces affaires ;

c) Veiller à ce que les cas de violence à l’égard des femmes et de violence familiale fassent rapidement l’objet d’enquêtes approfondies et à ce que les auteurs soient poursuivis ;

d) Assurer aux victimes une aide juridique, médicale, financière et psychologique et l’accès à des recours utiles et à des mesures de protection ;

e) Faire en sorte que les juges, les procureurs et les agents des forces de l’ordre bénéficient d’une formation continue qui leur permette de traiter les affaires de violence à l’égard des femmes et les affaires de violence familiale de manière efficace et en tenant compte des considérations de genre  ;

f) Mettre en place un système fiable de collecte de données statistiques ventilées sur la violence à l’égard des femmes et la violence familiale.

Interruption volontaire de grossesse

17.Le Comité constate avec préoccupation que l’interruption volontaire de grossesse est interdite par le Code pénal, sauf dans les cas où la vie de la femme est menacée, ce qui conduirait les femmes à recourir à des avortements clandestins et entraînerait un taux élevé de mortalité maternelle. Le Comité est également préoccupé par le taux élevé de mortalité maternelle due à des complications suivant un avortement ainsi que par la diminution des ressources allouées au secteur de la santé sexuelle et procréative. Il s’inquiète en outre du taux élevé de grossesses non désirées, en particulier chez les adolescentes, qui s’explique par l’accès limité aux informations et services en matière de santé sexuelle et procréative, notamment aux moyens contraceptifs (art. 2, 3, 6, 7, 17, 24 et 26).

18. L’État partie devrait :

a) Revoir sa législation afin de garantir l’accès légal, sûr et effectif à l’avortement dans les cas où la santé de la femme ou de la fille enceinte est menacée et où la conduite de la grossesse jusqu’à son terme pourrait causer une souffrance ou un préjudice grave à la femme ou à la fille enceinte, en particulier dans les cas où la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste ou lorsque la grossesse n’est pas viable, et garantir que des sanctions pénales ne soient pas appliquées aux femmes et aux filles qui avortent ni aux prestataires de services médicaux qui les assistent, car de telles mesures obligent les femmes et les filles à recourir à des avortements non médicalisés  ;

b) Garantir que les femmes et les filles disposent de soins de santé prénatals et postavortement de qualité, dans toutes les circonstances et de manière confidentielle, et y aient effectivement accès ;

c) Veiller à ce que les femmes et les hommes, et en particulier les filles et les garçons, aient accès à une information et une éducation de qualité et factuelle sur la santé sexuelle et procréative, ainsi qu’à une large gamme de méthodes contraceptives abordables ;

d) Prévenir la stigmatisation des femmes et des filles qui souhaitent avorter ;

e) Allouer suffisamment de ressources au secteur de la santé sexuelle et procréative.

Dérogation aux droits pendant un état d’urgence

19.Le Comité relève avec préoccupation que le paragraphe 2 de l’article 35 de la Constitution, qui prévoit la possibilité de déroger à certains droits pendant un état d’urgence, y compris le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité, n’est pas pleinement conforme au paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte (art. 4, 14 et 18).

20. L’État parti e devrait réviser le paragraphe  2 de l’ article  35 de la Constitution de sorte à le mettre e n conformité avec le paragraphe  2 de l’ article  4 du Pacte, en tenant compte de l’observation générale n o  29 (2001) sur les dérogations aux dispositions du Pacte en période d’état d’urgence.

Législation relative à la lutte contre le terrorisme

21.Le Comité est préoccupé par la définition large qui est donnée des actes de terrorisme dans l’article 2 de la loi de 2002 relative à la lutte contre le terrorisme, qui ne différencie pas les infractions à caractère terroriste des infractions ordinaires, et par l’absence de renseignements sur l’application de la loi (art. 4).

22. L’État partie devrait réviser la loi relative à la lutte contre le terrorisme en vue de rendre la définition des actes de terrorisme conforme aux normes internationales et veiller à ce que la loi prévoie des garanties juridiques adéquates et ne compromette pas l’exercice des droits protégés par le Pacte. Il devrait également recueillir des données sur l’application de la loi et suivre ses effets sur la jouissance des droits consacrés par le Pacte.

Justice transitionnelle

23.Le Comité prend note avec une vive préoccupation des violations massives des droits de l’homme qui ont eu lieu entre juillet 1994 et janvier 2017, notamment des arrestations et des détentions arbitraires, des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des atteintes au droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Il se félicite de la mise en place, à la suite de consultations nationales, de la Commission Vérité, réconciliation et réparation, qui est chargée de créer un fichier historique impartial des violations et des atteintes aux droits de l’homme commises au cours de cette période et d’établir et de faire connaître le sort des victimes disparues ou le lieu où elles se trouvent. Toutefois, le Comité demeure préoccupé par :

a)Le retard pris dans la nomination des membres de la Commission Vérité, réconciliation et réparation et la mise en place de son secrétariat ;

b)Le manque apparent de mesures visant à garantir pleinement l’accès aux archives de l’ancienne Agence nationale de renseignements et aux autres éléments de preuve sur place, ce qui pourrait empêcher la Commission de s’acquitter de son mandat ;

(c)Les informations faisant état de l’immunité dont jouissent certains hauts fonctionnaires qui ont été accusés de violations des droits de l’homme, dont l’ancien Directeur de la Prison de Mile Two ;

d)Les informations selon lesquelles des responsables de l’armée et des secteurs de la police et du renseignement, qui sont accusés de violations des droits de l’homme sous le régime autoritaire, auraient conservé leur poste en raison de l’absence de procédures de vérification des antécédents (art. 2, 6, 7, 9, 10, 14 et 15).

24. L’État partie devrait :

a) Accélérer la nomination des membres de la Commission Vérité, réconciliation et réparation et la mise en place de son secrétariat et assurer le fonctionnement effectif et indépendant de la Commission ;

b) Faire en sorte que toutes les allégations de violations des droits de l’homme et d’atteintes à ces droits fassent rapidement l’objet d’une enquête indépendante et approfondie et que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont déclarés coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité des infractions commises ;

c) Abroger toutes les dispositions qui permettent l’impunité générale, y compris celles de la loi de garantie de 2001 et veiller à ce que tous les responsables répondent de leurs actes, sans exception, y compris le plus haut représentant de l’État ;

d) Veiller à ce que les amnisties soient interdites en cas de violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire ;

e) Veiller à ce que toutes les victimes bénéficient d’un recours utile, y compris de mesures adéquates d’indemnisation, de restitution et de réadaptation, compte tenu des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire ;

f) Obtenir tous les documents et éléments de preuve de tous les organes de l’État concernés, y compris les archives de l’ancienne Agence nationale de renseignements et les autres éléments de preuve sur place ;

g) Mettre en place des procédures de vérification des antécédents dans l’armée et dans les secteurs de la police et du renseignement et démettre de leurs fonctions tous ceux qui ont été impliqués dans des violations graves des droits de l’homme.

Disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires

25.Le Comité est préoccupé par le nombre très élevé de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires dont se seraient rendues responsables les forces de sécurité, dont l’Agence nationale de renseignements et l’Agence nationale des stupéfiants et les brigades paramilitaires connues sous le nom de « Junglers » sous le régime autoritaire. Parmi les victimes se trouvent environ 50 étrangers, dont 44 Ghanéens, qui ont été tués par les forces de sécurité en 2009. Le Comité constate aussi avec préoccupation que les enquêtes sur les allégations de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires ont été entravées, notamment par le manque de moyens médico-légaux de l’État partie et que le lieu où se trouvent la plupart des victimes demeure inconnu. Il est en outre préoccupé par le retard pris dans l’exécution des arrêts de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) concernant des affaires de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires, notamment les affaires Ebrimah Manneh v. Republic of The Gambia en 2008 ; Musa Saidykhan v. Republic of The Gambia en 2010 ; et Deyda Hydara Jr. and Ismaila Hydara v. Republic of The Gambia en 2014 (art. 2, 6, 7, 9, 14 et 16).

26. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que toutes les allégations de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires fassent rapidement l’objet d’enquêtes impartiales et approfondies, à ce que tous les responsables soient poursuivis et à ce que, s’ils sont reconnus coupables, des peines proportionnées à la gravité des crimes leur soient infligées ;

b) Lancer une enquête sur la mort des 50 ressortissants étrangers, dont 44 Ghanéens, qui ont été tués en 2009, si nécessaire dans le cadre d’une coopération avec les autorités des pays concernés ;

c) Faire toute la lumière sur le sort des victimes et l’endroit où elles se trouvent et veiller à ce que les victimes de disparitions forcées et leur famille soient informées des conclusions des enquêtes ;

d) Renforcer ses capacités médico-légales, notamment, si possible, dans le cadre de la coopération internationale ;

e) Mettre en œuvre sans plus tarder les arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO ;

f) Mener à bien le processus de ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Peine de mort

27.Notant que la peine de mort a été abolie en 1993 dans l’État partie et rétablie en 1995, le Comité salue l’annonce officielle, en février 2018, d’un moratoire sur son application et la commutation des peines capitales en peines de réclusion à perpétuité. Il prend note avec satisfaction des mesures adoptées en 2018 par l’Assemblée nationale pour ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, même si le processus de notification formelle n’a pas encore été mené à bien. Il constate toutefois avec préoccupation que la peine de mort est toujours prévue par la Constitution (art. 6).

28. L’État partie devrait abolir la peine de mort dans sa législation et la supprimer de sa Constitution . Il est en outre instamment prié de mener à bien le processus de ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Usage de la force

29.Le Comité relève avec préoccupation que l’article 18 de la Constitution et les articles 15 A) et 72 du Code pénal autorisent une grande latitude dans l’utilisation de la force par les forces de l’ordre et que l’article 2 a) et b) de la loi relative à l’indemnisation (telle que modifiée en 2001) exonère de toute responsabilité civile et pénale les agents de l’État agissant dans l’exercice de leurs fonctions dans le cadre de rassemblements illégaux et dans les situations de mouvements séditieux ou d’état d’urgence. Il est également préoccupé par la fréquence de l’usage excessif de la force par les membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité dans l’État partie, notamment par l’incident survenu à Faraba Banta le 18 juin 2018 au cours duquel les forces de sécurité ont tiré à balles réelles lors d’une manifestation, faisant deux morts et huit blessés (art. 6, 7, 9, 19 et 21).

30. L’État partie devrait revoir l’article 18 d e la Constitution, les articles 15  1) et 72 du Code pénal et l’ article 2  a) et b) de la loi relative à l’indemnisation (telle que modifiée en 2001) en vue de les aligner sur les normes internationales, en particulier sur les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Il devrait veiller à ce que des enquêtes indépendantes et approfondies soient promptement menées sur toute allégation de recours excessif à la force, en particulier sur l’incident de Faraba Banta, et à ce que les responsables soient traduits en justice. Il devrait prendre des mesures pour prévenir et éradiquer effectivement toutes les formes de recours excessif à la force par les membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité, notamment en veillant à ce qu’une formation sur l’usage de la force leur soit systématiquement dispensée, ainsi qu’aux juges, aux procureurs et aux autres fonctionnaires concernés.

Arrestations et détentions arbitraires et détention provisoire

31.Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que de nombreuses personnes ont été arrêtées et détenues arbitrairement sous le régime autoritaire par la police et les forces de sécurité, et faisant état de cas de détention dans des lieux non officiels, notamment dans le bambadinka (fosse aux crocodiles), qui se trouve dans les locaux du quartier général de l’Agence nationale de renseignements. Il constate également avec préoccupation que les périodes de détention avant jugement sont souvent excessivement longues à cause de l’inefficacité du système de justice et du grand nombre de prévenus attendant, en détention, d’être jugés, du rejet des demandes de libération sous caution et du montant exorbitant des cautions (art. 9, 10 et 14).

32. L’État partie devrait  :

a) Garantir que toutes les allégations d’arrestations et de détentions arbitraires fassent promptement l’objet d’enquêtes impartiales et approfondies , que les responsables soient poursuivis et sanctionnés et que les victimes obtiennent une réparation effective ;

b) Interdire expressément et ériger en infraction l’utilisation de lieux de détention non officiels ;

c) Réduire la durée de la détention avant jugement en accélérant les procédures et en prévoyant des moyens de substitution à la détention provisoire ;

d) Faire en sorte qu’il soit statué rapidement sur les demandes de libération sous caution et que le montant des cautions soit raisonnable.

Torture, mauvais traitements et conditions de détention

33.Le Comité est préoccupé par :

a)Les informations indiquant que les membres de la police, des forces de sécurité et de l’administration pénitentiaire ont fait un usage généralisé de la torture, des brutalités et des mauvais traitements contre les personnes en détention sous le régime autoritaire, et que les auteurs de ces actes n’ont pas été poursuivis ;

b)Le fait que le Code pénal n’érige pas la torture en infraction, ce qui empêche de poursuivre les auteurs d’actes de torture dans le cadre du système de justice transitionnelle ;

c)Le fait que les conditions de détention restent pénibles et dangereuses, notamment dans la prison de Mile Two, eu égard en particulier à la surpopulation, à la nourriture insuffisante, aux conditions de vie, à l’hygiène et aux soins médicaux, et les nombreux cas signalés de décès en détention (art. 6, 7 et 10).

34. L’État partie devrait  :

a) Garantir que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent promptement l’objet d’enquêtes impartiales et approfondies, que les auteurs de ces actes soient poursuivis et sanctionnés et que les victimes obtiennent des réparations effectives ;

b) Revoir le Code pénal en vue d’ériger les actes de torture en infraction et mener à bien le processus de ratification de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de son Protocole facultatif ;

c) Prévenir la torture et les mauvais traitements en renforçant les organes de contrôle existants ou en établissant un mécanisme indépendant de surveillance des conditions de détention, et en prévoyant une formation sur la prévention de la torture, obligatoire pour les membres des forces de l’ordre concernés, ainsi que pour les juges, les procureurs et d’ autres professionnels du droit  ;

d) Revoir la loi relative aux prisons pour la rendre conforme aux normes internationales et améliorer les lieux et conditions de détention, notamment la nourriture, l’hygiène et les soins médicaux ;

e) Veiller à ce que des enquêtes indépendantes et approfondies soient promptement menées sur les circonstances des décès en détention, à ce que les responsables soient traduits en justice, selon qu’il conviendra, et à ce que les familles des victimes obtiennent réparation, et prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que de tels décès se reproduisent.

Traite des êtres humains, trafic et travail forcé

35.Tout en prenant note des progrès réalisés par l’État partie pour lutter contre la traite des êtres humains, le Comité demeure préoccupé par les informations continuant de faire état de traite, en particulier de femmes et d’enfants, de travail forcé et d’exploitation sexuelle, y compris de tourisme sexuel, par le très grand nombre de garçons et de jeunes hommes faisant l’objet d’un trafic vers l’Europe par mer et par le nombre de ceux qui perdent la vie ou disparaissent en Méditerranée, et par la situation des enfants qui sont envoyés dans des écoles coraniques dans des pays voisins et que des marabouts peuvent contraindre à mendier (art. 3, 8, 24 et 26).

36. L’État partie devrait intensifier ses efforts pour lutter contre la traite et le trafic, en particulier par les mesures suivantes :

a) Renforcer l’application de la législation pertinente, notamment de la loi relative à la traite des personnes (modifiée en 2010), de la loi relative aux enfants et de la loi sur les infractions liées au tourisme ;

b) Redoubler d’efforts pour dispenser une formation aux juges, aux procureurs et aux membres des forces de l’ordre, et mener des campagnes de prévention et de sensibilisation afin d’informer la population sur les effets négatifs de la traite et du trafic des personnes ;

c) Mieux identifier les victimes, en particulier les enfants envoyés dans des écoles coraniques, et mettre en place un système d’orientation pour les victimes de la traite ;

d) Offrir aux victimes un accès à des moyens de réparation effectifs, notamment à la réadaptation.

Droit à un procès équitable

37.Tout en reconnaissant que l’indépendance du système judiciaire est grandement affaiblie, le Comité salue la remise en place de la Commission du service judiciaire et l’abolition du système des juges contractuels. Il est, en outre, préoccupé par l’important arriéré des affaires pénales qui subsiste malgré les mesures prises par l’État partie pour le réduire, ainsi que par l’octroi limité d’une aide juridictionnelle gratuite faute de ressources suffisantes allouées à l’Agence nationale pour l’aide juridictionnelle et par l’accès limité à la justice dans les zones rurales (art. 14, 15 et 16).

38. L’État partie devrait intensifier ses efforts en vue de renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, notamment en adoptant le projet de loi sur la rémunération et les indemnités des juges et autres prestations les concernant, et de prévenir l’ingérence des pouvoirs exécutif et législatif dans le pouvoir judiciaire ; de réduire l’arriéré des dossiers et faire en sorte que les procès aient lieu dans un délai raisonnable ; d’étendre la fourniture de l’aide juridictionnelle gratuite aux procédures pénales en renforçant les moyens financiers et humains de l’Agence nationale pour l’aide juridictionnelle ; et de prendre les mesures nécessaires pour faciliter l’accès des populations rurales à la justice, grâce notamment à des tribunaux mobiles et des cliniques d’aide juridique.

Liberté d’opinion et d’expression

39.Le Comité salue le rétablissement des médias qui avaient été interdits sous le régime précédent et la création de la Commission nationale chargée de la loi sur les médias, mais il est préoccupé par :

a)La législation trop restrictive de l’État partie en matière de liberté d’expression, en particulier les lois qui érigent en infractions la diffamation, la sédition et la diffusion de fausses informations et punissent ces actes de peines de prison, qui ont été utilisées pour intimider des journalistes et restreindre la liberté d’expression ;

b)Le retard dans l’application de l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO dans l’affaire Federation of African Journalists and others v. The Republic of The Gambia(ECW/CCJ/JUD/04/18), par laquelle la Cour ordonnait une réforme législative et une réparation pour les victimes ;

c)Les rapports selon lesquels, pendant de nombreuses années, des journalistes et défenseurs des droits de l’homme exerçant leur droit à la liberté d’expression ont été intimidés, harcelés, torturés et assassinés, sans que des enquêtes et des poursuites ne soient menées sur ces cas ;

d)Le retard dans l’adoption du projet de loi sur l’information (art. 19 et 22).

40. L’État partie devrait :

a) Modifier ou abroger toutes les lois, notamment les dispositions du Code pénal et des lois sur l’information et la communication (telles que modifiées en 2013), qui restreignent indûment la liberté d’expression, et mener à bien le processus de réforme législative conduit par la commission nationale chargée de la loi sur les médias ;

b) Accélérer l’application de l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO dans l’affaire Federation of African Journalists and others v. The Republic of The Gambia (ECW/CCJ/JUD/04/18) ;

c) Garantir que tous les actes d’intimidation visant des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme fassent promptement l’objet d’enquêtes impartiales et approfondies, que les auteurs de ces actes soient poursuivis et sanctionnés et que les victimes obtiennent une réparation effective ;

d) Accélérer l’adoption du projet de loi sur l’accès à l’information.

Droit de réunion pacifique

41.Le Comité est préoccupé par l’article 5 de la loi relative à l’ordre public, qui exige l’autorisation de la police pour l’organisation des réunions pacifiques, et par la récente décision de la Cour suprême confirmant la constitutionnalité de cet article (art. 19 et 21).

42. L’État partie devrait revoir la loi relative à l’ordre public de façon à garantir que chacun jouisse du droit de réunion pacifique et que les limites imposées à ce droit soient strictement conformes à l’article 21 du Pacte.

Droit à la liberté d’association

43.Le Comité est préoccupé par le décret no 81 de 1996, qui prévoit de lourdes procédures d’enregistrement pour les organisations non gouvernementales, ainsi que par le retard pris dans l’adoption d’un projet de loi sur les ONG (art. 22).

44. L’État partie devrait abroger le décret n o  81 et adopter sans délai un projet de loi sur les ONG qui soit pleinement conforme au Pacte.

Refugiés, demandeurs d’asile et migrants

45.Le Comité est préoccupé par les ressources limitées qui sont consacrées à la gestion et au traitement efficaces des réfugiés et des demandeurs d’asile ; par les informations indiquant que les enfants réfugiés nés dans l’État partie ou arrivés alors qu’ils étaient mineurs n’obtiennent pas de documents d’identité, ce qui les expose au risque d’apatridie ; par l’absence de centres de transit en zone rurale comme en zone urbaine ; et par le manque de données sur leur situation en raison d’une procédure inadaptée de détermination du statut de réfugié (art. 2, 23, 24 et 26).

46. L’État partie devrait allouer suffisamment de ressources à la Commission gambienne pour les réfugiés afin de permettre une gestion et un traitement efficaces des réfugiés et des demandeurs d’asile ; accroître le nombre des centres de transit dotés d’équipements et de services adéquats ; garantir que les enfants réfugiés nés dans l’État partie ou arrivés alors qu’ils étaient mineurs obtiennent des documents d’identité sous peine d’être exposés au risque d’apatridie ; et établir des données sur les réfugiés et les demandeurs d’asile dans le cadre de l’opération nationale de détermination du statut de réfugié .

Enregistrement de la naissance

47.Le Comité est préoccupé par le grand nombre d’enfants qui ne sont pas immédiatement enregistrés à la naissance, en particulier dans les zones rurales, et par les obstacles qui s’opposent à l’enregistrement de la naissance des enfants nés hors mariage à cause de la stigmatisation dont font l’objet les mères célibataires (art. 16, 23 et 24).

48. L’État partie devrait garantir que tous les enfants nés sur son territoire, en particulier en zone rurale, y compris les enfants nés hors mariage, soient immédiatement enregistrés à la naissance, et prendre des mesures pour mettre un terme à la stigmatisation dont sont victimes les enfants nés hors mariage et les mères de ces enfants.

D.Diffusion et suivi

49. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, des deux Protocoles facultatifs s’y rapportant, des réponses écrites à la liste des points établie par le Comité et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte.

50. Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 27 juillet 2020 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 8 (place du Pacte dans l’ordre juridique interne), 24 (justice transitionnelle) et 34 (torture, mauvais traitements et conditions de détention).

51. Le Comité demande à l’État partie de lui soumettre son prochain rapport périodique le 27 juillet 2022 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements précis et à jour sur la suite qu’il aura donnée aux autres recommandations formulées dans les présentes observations finales et sur l’application du Pacte dans son ensemble. Il demande également à l’État partie, lorsqu’il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution  68/268 de l’Assemblée générale, ce document ne d evra pas compter plus de 21 200  mots. L’État partie peut aussi indiquer au Comité, avant le 27 juillet 2019, qu’il accepte d’établir son rapport en suivant la procédure simplifiée. En pareil cas, le Comité transmet une liste de points à l’État partie avant que celui-ci ne soumette son rapport. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son rapport périodique suivant à soumettre en application de l’article 40 du Pacte.