Présentée par:

M. Lloyd Reece (représenté par un conseil, Mme Penny Rogers)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Jamaïque

Date de la communication:

16 janvier 1998 (communication initiale)

Décisions antérieures:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 janvier 1998 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

14 juillet 2003

Le 14 juillet 2003, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 796/1998. Le texte des constatations figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE*

CONSTATATIONS ADOPTÉES PAR LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEEN VERTU DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLEFACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONALRELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante‑dix-huitième session

concernant la

Communication no 796/1998

Présentée par:

M. Lloyd Reece (représenté par un conseil, Mme Penny Rogers)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Jamaïque

Date de la communication:

16 janvier 1998 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication no 796/1998 présentée par

M. Lloyd Reece, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte les constatations ci ‑après:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, qui est datée du 16 janvier 1998, est Lloyd Reece, citoyen jamaïcain né le 17 octobre 1957. Il est actuellement incarcéré à la prison du district de St. Catherine. Il affirme être victime de violations par la Jamaïque de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 1, 2, 3 a) à d) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. La Jamaïque a dénoncé le Protocole facultatif le 23 octobre 1997 avec effet au 23 janvier 1998.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a été arrêté le 13 janvier 1983 et accusé d’un double meurtre qui s’est produit le 11 janvier 1983. À l’audience préliminaire, un avocat commis d’office a été chargé de le défendre. Au cours de son procès devant la Circuit Court de Clarendon (20‑27 septembre 1983), l’auteur a plaidé non coupable pour les deux chefs d’accusation mais a reconnu avoir été présent sur la scène des meurtres lorsqu’ils ont eu lieu. Un jury l’a déclaré coupable des deux chefs d’accusation et l’a condamné à mort.

2.2Dès qu’il a été reconnu coupable et condamné, l’auteur a notifié son intention de faire appel et a demandé que la cour d’appel lui accorde une aide juridictionnelle. Un avocat commis d’office a été désigné mais l’auteur n’a pas été informé de la date de l’audience et n’a pas non plus été autorisé à prendre contact avec ledit avocat pour lui donner des instructions. En outre, il n’était pas présent lors de l’examen de son appel, le 2 octobre 1986, et n’a pas été informé du déroulement de l’audience, ayant seulement appris que son recours avait été rejeté. Le 13 novembre 1986, la cour d’appel l’avait, en effet, débouté.

2.3Le 4 mai 1988, l’auteur a déposé une déclaration d’intention de saisir la Section judiciaire du Conseil privé. Le 21 novembre 1988, la Section judiciaire a rejeté la requête de l’auteur sans donner de raison et a refusé de lui accorder l’autorisation de former recours.

2.4Le secteur du quartier des condamnés à mort où était enfermé l’auteur abritait également des prisonniers qui étaient des malades mentaux et qui attaquaient parfois les codétenus. L’auteur mentionne également des rapports faisant état de passages à tabac sans raison et dénonçant la brutalité des gardiens. L’auteur s’est, d’autre part, plaint de conditions insalubres, en particulier de détritus jonchant les lieux et de la présence constante d’odeurs nauséabondes. Il mentionne d’autres rapports faisant état de trous creusés pour y jeter les excréments et d’une puanteur effroyable. Des seaux hygiéniques remplis d’excréments humains et d’eau stagnante n’étaient vidés qu’une seule fois par jour, le matin. L’eau courante était polluée d’insectes et d’excréments et les détenus étaient obligés de partager des ustensiles en plastique souillés. Les périodes de la journée durant lesquelles l’auteur pouvait quitter sa cellule étaient très restreintes, se limitant parfois à moins d’une demi‑heure. Ces conditions ont gravement nui à sa santé et il souffre de maladies de la peau et de problèmes de vue. Le médecin de la prison l’a autorisé à consulter un ophtalmologue en 1994 mais, au moment de l’envoi de la communication, il n’avait pas encore pu obtenir les soins recommandés. En outre, ayant subi une subi une fêlure au doigt lors d’un accident, il n’a été conduit à l’hôpital que deux jours après; en conséquence son doigt ne s’est pas bien remis et sa capacité d’écrire en a pâti.

2.5En avril ou mai 1995, la condamnation de l’auteur à la peine de mort a été commuée en peine d’emprisonnement à vie par le Gouverneur général. La commutation de la peine était assortie d’une décision selon laquelle sept ans devaient s’écouler à compter de la date de la commutation avant que la durée de la peine non compressible ne soit examinée. L’auteur n’a été informé de la commutation de sa peine que plus tard et n’a jamais reçu le moindre document officiel sur cette décision. L’auteur n’a, en outre, pas eu la moindre possibilité de donner son point de vue sur la décision de commuer sa peine ou celle concernant la durée non compressible de cette peine. Il continue d’être détenu à la prison du district de St. Catherine.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte parce qu’il n’a pas eu suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense lors du procès et qu’il n’a pas pu communiquer comme il convenait avec un conseil de son choix. Il déclare que du fait de sa détention jusqu’à la date du procès, il était d’autant plus important qu’il soit en mesure de donner des instructions détaillées au conseil. Or avant l’audience préliminaire, il n’a pu s’entretenir avec l’avocat commis d’office pour sa défense que pendant une demi‑heure. En outre, il n’a pas pu avoir d’autre entretien avec lui avant ou après le procès. Au cours de sa détention avant jugement, l’avocat commis d’office ne lui a jamais rendu visite et n’a pas du tout examiné avec lui l’affaire pour préparer le procès. En conséquence, aucun témoin de la défense n’a été appelé à la barre. L’auteur n’a pu parler à son avocat que depuis le banc des accusés alors que le procès était en cours et bon nombre de ses instructions ont été simplement ignorées. Qui plus est, il n’a pas pu examiner les réquisitions du procureur avec son avocat, qui a omis de signaler des failles importantes dans les éléments de preuve à charge. L’auteur signale qu’au cours du procès il a informé, à un moment donné, le juge qu’il n’était pas satisfait des services de son avocat, mais il lui a été indiqué que la seule autre possibilité serait d’assurer lui‑même sa défense.

3.2L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 puisqu'il n’a pas eu tout le loisir d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la comparution et l’interrogatoire de témoins en sa faveur dans les mêmes conditions que l’avait fait l’accusation pour les témoins à charge. Son avocat n’a même pas essayé de faire droit à sa demande tendant à ce qu’il appelle certains témoins à la barre, en particulier un agent de police qui avait déclaré lors de l’audience préliminaire que des policiers, qui enquêtaient sur les meurtres, avaient placé de faux indices sur le lieu du crime pour compromettre l’auteur. L’auteur affirme que si aucun témoin n’a été contacté ou convoqué, c’était parce que les honoraires payés aux avocats commis d’office étaient si faibles qu’ils n’étaient pas en mesure de procéder aux recherches requises.

3.3L’auteur allègue qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 dès lors que les instructions données par le juge du fond au jury étaient inappropriées. Tout en reconnaissant que c’est aux tribunaux internes qu’il appartient généralement d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, il affirme que, dans les circonstances de la cause, les instructions du juge étaient tellement «aberrantes» qu’elles représentent un déni de justice. Premièrement, le juge a fait des observations quant à la culpabilité possible d’une autre partie sans mettre en garde le jury contre le danger d’un témoignage de cette personne contre l’auteur. Deuxièmement, en résumant les faits, le juge a, dans ses commentaires, pris parti pour l’accusation, notamment en invitant le jury à tirer des conclusions du fait que le conseil n’avait pas abordé certaines questions. En outre, en ce qui concerne l’affirmation faite par l’auteur au procès, selon laquelle les pages contenant sa déclaration à la police ne donnaient pas toutes une image fidèle des propos réels qu’il avait tenus, le juge a invité le jury à n’accorder aucun crédit à l’auteur puisque toutes les pages de la déclaration étaient de la même couleur, argument qu’aucune des deux parties n’a avancé. Le juge n’a pas non plus orienté comme il convient le jury quant aux déductions à tirer de toute déclaration de l’auteur que les jurés jugeraient inexacte. Le juge a également invité le jury à comparer des échantillons de l’écriture de l’auteur sans demander d’expertise.

3.4L’auteur fait état d’une violation des paragraphes 3 b) et 5 de l’article 14 dès lors qu’il n’a pas été informé de la date de l’examen de son appel, qu’il n’a pas choisi lui-même son représentant en justice et qu’il n’a pas pu donner ses instructions à l’avocat chargé de le défendre en appel. Il a écrit plusieurs lettres à ce dernier mais n’a reçu aucune réponse. En conséquence, il n’avait aucun moyen de rectifier les inexactitudes qui ont entaché le déroulement de l’audience.

3.5En outre, l’auteur considère qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du fait des retards constatés à différents stades de la procédure judiciaire. Il appelle l’attention sur le fait que plus de trois années se sont écoulées entre le moment où il a notifié son intention d’interjeter appel (immédiatement après sa condamnation le 27 septembre 1983) et le rejet de son appel le 13 novembre 1986. Il ignore quand les minutes du procès ont été établies mais affirme que son conseil en a reçu une copie peu de temps avant l’examen du recours.

3.6L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 14, en ce sens qu’une violation des paragraphes 1 et 3 de ce même article ayant pour effet de priver un accusé des garanties d’un procès équitable, constitue aussi une violation de la présomption d’innocence. Ce disant, il se fonde sur les constatations du Comité dans l’affaire Perdomo et consorts c. Uruguay .

3.7L’auteur considère aussi qu’il y a eu violation des paragraphes 1 et 3 a), b) et d) de l’article 14 puisqu’il n’a pas été informé du lieu où avait été prise la décision de commuer sa peine ou de la manière dont cette décision avait été prise et que ni lui ni son conseil n’avaient eu la possibilité de contester oralement ou par écrit la décision quant à la durée non compressible de sa peine. Il n’a été informé ni des éléments ou questions pris en considération ni des principes appliqués par le Gouverneur général, et la procédure ne s’est pas déroulée en public. En outre, le refus présumé de prendre en compte le temps passé par l’auteur en prison avant la commutation de sa peine (plus de 12 ans) constitue, selon lui, une violation des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte en ce sens qu’il a été détenu arbitrairement. L’auteur affirme que la décision de commuer sa condamnation à la peine de mort constituait en fait le prolongement de la condamnation initiale et que la durée de la peine non compressible aurait dû être fixée au moment de la commutation de sa condamnation. Les garanties prévues à l’article 14 du Pacte portent non seulement sur la déclaration de culpabilité mais aussi sur la condamnation, conformément à un principe général selon lequel les «exigences d’une procédure équitable» applicables au stade de la reconnaissance de la culpabilité s’étendent également à la condamnation. L’auteur affirme qu’il n’a bénéficié d’aucune de ces garanties au moment de la commutation de sa peine.

3.8L’auteur se plaint d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du fait des conditions dans lesquelles il a été incarcéré à la prison du district de St. Catherine qui sont décrites au paragraphe 2.4 ci‑dessus. Il se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle un emprisonnement «dans des conditions gravement préjudiciables à la santé d’un prisonnier» constitue une violation de ces dispositions.

3.9L’auteur affirme en outre que l’angoisse et l’anxiété ressenties pendant l’incarcération dans le quartier des condamnés à mort constituaient une autre violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10. Son isolement prolongé pendant 12 ans et l’inactivité à laquelle il a été astreint ont exacerbé ses souffrances mentales au point que ce «syndrome du quartier des condamnés à mort» constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant. L’auteur se fonde à ce propos sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Soeringc. Royaume ‑Uni .

3.10Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir qu’il n’a pas été en mesure d’exercer son droit constitutionnel de contester une décision de justice parce qu’il n’a pas pu recueillir l’argent nécessaire et que l’État partie s’est montré peu disposé à lui allouer des fonds publics à cet effet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une note datée du 2 octobre 1998, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2Pour ce qui est de la violation présumée des paragraphes 3 b) et e) de l’article 14 due, selon l’auteur, à la manière dont son avocat commis d’office avait conduit le procès, l’État partie rappelle qu’il a toujours souligné qu’il n’était pas responsable de la façon dont un conseil conduisait un procès. Il affirme que s’il est tenu de désigner un conseil compétent, il a aussi l’obligation de s’abstenir de s’ingérer dans la conduite du procès que ce soit par ses actes ou par omission. Une fois qu’un conseil a été nommé au titre de l’aide juridictionnelle, l’État n’est pas plus responsable de son comportement que de celui d’un conseil privé. Selon l’État partie, les mêmes principes s’appliquent aux allégations de l’auteur selon lesquelles il y a eu violation des paragraphes 3 et 5 de l’article 14 en raison de la manière dont le conseil s’est comporté lors de l’examen de l’appel.

4.3Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14 résultant selon l’auteur des instructions données par le juge au jury, l’État partie note que l’auteur reconnaît que c’est généralement aux tribunaux de l’État partie qu’il appartient d’évaluer les instructions données par le juge du fond au jury à moins qu’il ne soit démontré que ces instructions aient été arbitraires ou aient constitué un déni de justice. L’État partie fait observer que dans la présente affaire, les instructions du juge ont été évaluées d’une manière détaillée par la cour d’appel puis par le Conseil privé qui n’y ont trouvé rien à redire. L’État partie s’élève contre l’affirmation selon laquelle les instructions du juge étaient telles que le Comité ne devrait faire aucun cas de la décision des juridictions d’appel.

4.4Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du fait des trois années qui se sont écoulées entre la notification de l’intention d’interjeter appel et le jugement de la cour d’appel, l’État partie fait observer que, même si ce délai est plus long que ce qui était souhaitable, il n’a pas porté indûment préjudice à l’auteur et ne constitue donc pas une violation du Pacte.

4.5Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du Pacte parce que la durée de la peine non compressible a été fixée après la commutation de la condamnation de l’auteur, l’État partie estime qu’il n’y a aucune incompatibilité entre cette mesure et le Pacte. Il fait observer que la fixation d’une peine non compressible est prévue par la loi portant modification de la loi sur les atteintes aux personnes et que tous les faits de la cause, y compris les éléments de preuve concernant la santé physique et mentale de l’auteur, ont été soumis au Gouverneur général lors de l’examen du rapport du juge du fond. L’État partie estime que même si ni l’auteur ni son conseil n’ont eu la possibilité d’intervenir, le processus n’est pas pour autant intrinsèquement inéquitable.

Observations ultérieures des parties

5.1L’auteur a présenté ultérieurement des observations, par une lettre du 18 décembre 1998, et l’État partie a fait de nouveaux commentaires dans une note datée du 25 mai 1999. L’un et l’autre réitéraient leurs précédents arguments.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner des plaintes soumises dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note qu’au moment de la présentation de la communication, la Jamaïque était partie au Protocole facultatif. En conséquence, la dénonciation de cet instrument par l’État partie le 23 octobre 1997, avec effet au 23 janvier 1998, n’affecte en rien la compétence du Comité pour examiner la communication.

6.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas fait valoir que certains de ces recours n’auraient pas encore été épuisés par l’auteur. Comme l’État partie n’a pas soulevé d’autres objections quant à la recevabilité de la communication, le Comité est d’avis qu’elle est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen du fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été soumis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 3 b) et e) de l’article 14 du Pacte puisque l’auteur n’a eu ni le temps ni les moyens nécessaires pour préparer sa défense au procès et que le conseil l’a mal défendu, le Comité réitère sa jurisprudence selon laquelle, en pareille situation, l’auteur ou son conseil auraient dû demander l’ajournement au début du procès s’ils estimaient qu’on ne leur avait pas donné les moyens requis pour préparer convenablement la défense. Aucune requête dans ce sens ne figure dans les minutes du procès. Pour ce qui est des questions soulevées par les objections de l’auteur quant à la manière dont le conseil avait conduit le procès, le Comité rappelle qu’un État partie ne peut être tenu responsable du comportement d’un avocat, à moins qu’il n’ait été ou qu’il aurait dû être manifeste aux yeux du juge que le comportement de l’avocat était incompatible avec les intérêts de la justice. Le Comité est d’avis qu’en l’espèce rien n’indique que le comportement du conseil au procès ait été manifestement incompatible avec ses responsabilités professionnelles. En conséquence, le Comité estime qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte à cet égard.

7.3Pour ce qui est de la plainte de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce que les instructions que le juge du fond a données au jury au sujet des éléments de preuve étaient inappropriées, le Comité se réfère à sa jurisprudence selon laquelle il ne lui appartient pas de revoir les instructions données par le juge de première instance au jury à moins qu’il puisse être établi que ces instructions étaient manifestement arbitraires ou représentaient un déni de justice. Dans le cas d’espèce, le Comité note que les éléments de preuve ainsi que les instructions données par le juge au jury ont été examinés d’une manière approfondie lors de l’appel et il ne remarque, en la matière, aucun comportement arbitraire ou déni de justice. Le Comité conclut donc qu’il n’y a eu aucune violation à cet égard.

7.4Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation des paragraphes 3 b) et 5 de l’article 14 en ce qui concerne la préparation et la conduite du procès en appel, le Comité note que l’auteur a signé une demande d’autorisation de faire recours dans laquelle il a énuméré les motifs de son appel et qu’il ne peut par conséquent affirmer n’avoir pas été en mesure de donner des instructions à l’avocat chargé de le défendre en appel. En outre, le Comité rappelle sa jurisprudence (mentionnée au paragraphe 7.2 ci‑dessus) selon laquelle, généralement, l’État partie ne peut être tenu responsable du comportement d’un avocat au tribunal. En l’espèce, le Comité ne relève aucun élément exceptionnel dans la manière dont l’appel a été conduit qui pourrait l’amener à déroger à ce principe. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte en ce qui concerne les questions susmentionnées.

7.5Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du fait de la période de trois ans et un mois qui s’est écoulée entre le moment où l’appel a été déposé et la décision du tribunal, le Comité note les circonstances particulières de la présente affaire, à savoir que l’auteur a notifié son intention de faire appel dès la fin du procès, le jour même de sa condamnation. Notant aussi que l’État partie n’a fourni aucune indication expliquant le retard ni mentionné aucun facteur permettant d’imputer le retard à l’auteur, le Comité considère que les faits révèlent une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

7.6Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 14 du fait du non‑respect des garanties relatives à un procès équitable prévues aux paragraphes 1 et 3 de l’article 14, à la lumière des constatations faites plus haut au sujet de ces dernières dispositions, le Comité note qu’aucune question distincte ne se pose au titre du paragraphe 2 de l’article 14.

7.7Pour ce qui est des autres plaintes de l’auteur, selon lesquelles il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 9 et des paragraphes 1 et 3 a), b) et d) de l’article 14, du fait de la commutation de sa condamnation à mort et de la fixation d’une période de sept ans durant laquelle aucune possibilité de libération conditionnelle ne peut être examinée, le Comité se réfère à sa jurisprudence selon laquelle les garanties prévues à l’article 14 ne s’appliquent pas au processus de commutation de peine. Il ne partage pas non plus le point de vue selon lequel le remplacement de la peine capitale par une peine d’emprisonnement à vie, avec une possibilité de libération conditionnelle dans le futur, constitue une «nouvelle condamnation» imposée d’une manière arbitraire. Il s’ensuit que l’auteur continue d’être légitimement détenu en application de

la sentence originelle, telle que modifiée par la décision de commutation, et que cette situation ne soulève aucune question de détention contraire à l’article 9. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte à cet égard.

7.8Pour ce qui est de la plainte de l’auteur au titre des articles 7 et 10, paragraphe 1, concernant les conditions et la durée de sa détention dans le couloir de la mort, le Comité, n’ayant reçu aucune réponse de l’État partie, doit accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dès lors qu’elles n’ont pas été dûment réfutées. Il considère, comme il l’a fait à maintes reprises au sujet d’allégations similaires qui étaient étayées, que les conditions de détention de l’auteur, telles qu’elles sont décrites, constituent une violation de son droit d’être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l’être humain, et sont, par conséquent, contraires au paragraphe 1 de l’article 10. Compte tenu de cette conclusion touchant l’article 10, disposition du Pacte qui traite spécifiquement de la situation des personnes privées de leur liberté et qui englobe, s’agissant de ces personnes, les éléments énoncés à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les plaintes relevant de l’article 7.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile. L’État partie est également tenu d’améliorer les conditions de détention de l’auteur ou de le libérer.

10.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication ayant été adressée au Comité avant que la dénonciation par la Jamaïque du Protocole facultatif ne prenne effet − 23 janvier 1998 –, conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie pour ce qui est de la présente affaire. En application de l’article 2 du Pacte, celui‑ci s’est engagé à garantir à tous

les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, chinois et russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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