Présentée par:

M. Roger Judge (représenté par un conseil, Me Eric Sutton)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

7 août 1998 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le 20 août 1999 (non publiée sous forme de document)

CCPR/C/75/D/829/1998/Rev.1 − décision concernant la recevabilité datée du 17 juillet 2002

Date de l’adoption des constatations:

5 août 2003

Le 5 août 2003, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication no 829/1998 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF

AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante-dix-huitième session

concernant la

Communication n o  829/1998 **

Présentée par:

M. Roger Judge (représenté par un conseil, Me Eric Sutton)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

7 août 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 5 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication no 829/1998 présentée par M. Roger Judge en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 7 août 1998, est Roger Judge, citoyen des États‑Unis d’Amérique, qui quand il a adressé sa communication était détenu à Sainte‑Anne‑des‑Plaines, province du Québec (Canada). Il a été expulsé vers les États‑Unis le jour où il a soumis sa communication, le 7 août 1998. Il se déclare victime de violations par le Canada des articles 6, 7, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 15 avril 1987, l’auteur de la communication a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation, assassinat et possession d’un instrument de crime, par le tribunal de première instance de Philadelphie (État de Pennsylvanie). Le 12 juin 1987, il a été condamné à mort par la chaise électrique, mais il s’est évadé de prison le 14 juin 1987 et s’est enfui au Canada.

2.2Le 13 juillet 1988, l’auteur a été reconnu coupable de deux vols qualifiés commis à Vancouver (Canada) et a été condamné le 8 août 1988 à 10 ans d’emprisonnement. L’auteur a fait appel de sa condamnation, mais son recours a été rejeté le 1er mars 1991.

2.3Le 15 juin 1993, un arrêté d’expulsion du Canada a été pris contre l’auteur. L’exécution de l’arrêté a été suspendue car l’auteur avait annoncé son intention de demander le statut de réfugié. Le 8 juin 1994, il a retiré sa demande de statut de réfugié en vertu de la Convention sur les réfugiés et l’arrêté d’expulsion a alors pris effet.

2.4Le 26 janvier 1995, sur recommandation de l’Administration pénitentiaire du Canada, le cas de l’auteur a été examiné par la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui a ordonné son maintien en détention jusqu’à l’extinction de sa peine, soit jusqu’au 8 août 1998.

2.5Le 10 novembre 1997, l’auteur a écrit au Ministre de la citoyenneté et de l’immigration pour lui demander d’intervenir afin de suspendre l’exécution de l’arrêté d’expulsion, jusqu’à ce qu’une demande d’extradition de la part des autorités américaines soit éventuellement présentée et reçue à son sujet. Si l’auteur avait été renvoyé en vertu du traité d’extradition, le Canada aurait pu demander aux États‑Unis l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Dans une lettre datée du 18 février 1998, le Ministre a refusé d’accéder à la demande de l’auteur.

2.6L’auteur a demandé à la Cour fédérale du Canada l’autorisation d’engager une procédure en vue de demander un contrôle juridictionnel de la décision du Ministre. Dans sa requête, l’auteur demandait un sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion jusqu’à ce qu’il soit éventuellement extradé et demandait aussi qu’une déclaration soit faite indiquant que sa détention au Canada et son expulsion aux États‑Unis constituaient des violations des droits garantis par la Charte canadienne. La demande d’autorisation de l’auteur a été rejetée le 23 juin 1998. Aucun motif n’a été fourni et il n’est pas possible de faire appel de ce refus d’autorisation.

2.7L’auteur a alors introduit devant la Cour supérieure du Québec, qui a la même compétence que la Cour fédérale du Canada, le même recours que celui qu’il avait formé devant la Cour fédérale. Le 6 août 1998, la Cour supérieure s’est déclarée incompétente du fait que la procédure avait déjà été engagée devant la Cour fédérale, même si elle n’avait pas abouti.

2.8Le conseil déclare que bien qu’il ait été possible de faire recours contre la décision de la Cour suprême du Québec devant la cour d’appel, il ne pouvait pas s’agir d’un recours utile car la question aurait été limitée à la compétence de la cour et n’aurait pas porté sur le fond de l’affaire.

Teneur de la plainte

3.1Le conseil déclare que le Canada a infligé à l’auteur des souffrances mentales équivalant à une peine ou un traitement cruel, inhumain et dégradant en le maintenant en détention pendant 10 ans avec la certitude de son exécution à la fin de sa peine, et qu’il s’agit là d’une violation de l’article 7 du Pacte. Il fait valoir que l’auteur a souffert du «syndrome du quartier des condamnés à mort» pendant sa détention au Canada. Ce syndrome se traduit par un état d’angoisse mentale et psychologique et, selon le conseil, peu importait que l’auteur ne soit pas exécuté sur le sol canadien. Le conseil déclare que l’État partie n’avait pas de raison valable d’imposer une peine puisque l’auteur était en tout état de cause condamné à mort, et n’a en conséquence contribué qu’à prolonger l’angoisse de l’auteur pendant sa détention en attente de son expulsion et de son exécution. Il ajoute qu’à cet égard l’auteur n’a pas été traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et qu’il a ainsi été victime d’une violation de l’article 10 du Pacte.

3.2Le conseil affirme également qu’«en maintenant [l’auteur] en détention pendant 10 ans alors qu’il ne faisait aucun doute qu’il serait exécuté à expiration de sa peine, et en voulant maintenant l’expulser vers les États‑Unis, le Canada a porté atteinte au droit [de l’auteur] à la vie, en violation de l’article 6 du Pacte».

3.3Le conseil affirme en outre qu’en raison de son statut de fugitif, l’auteur n’a pas droit en vertu de la loi de Pennsylvanie à toutes les garanties d’une procédure d’appel aux États‑Unis et qu’en conséquence, en le renvoyant aux États‑Unis, le Canada a contribué à une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. À ce propos, le conseil déclare que le juge du fond a commis des erreurs dans les instructions qu’il a données au jury, ce qui aurait pu constituer un motif d’appel à la fois contre la déclaration de culpabilité et contre la condamnation.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1L’État partie objecte que les griefs sont irrecevables car l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, n’a pas soulevé de questions au regard du Pacte, n’a pas étayé ses allégations et a soumis une communication incompatible avec le Pacte.

4.2Concernant le non‑épuisement des recours internes pour contester la détention de l’auteur au Canada, l’État partie avance plusieurs arguments. Premièrement, l’auteur n’a pas saisi les tribunaux compétents au Canada au moment opportun. En 1988, tant lors du prononcé du jugement qu’en appel de sa condamnation pour vol qualifié, l’auteur ne s’est pas plaint, comme il l’a prétendu par la suite, du fait qu’une peine de 10 ans d’emprisonnement, compte tenu des déclarations de culpabilité et des condamnations prononcées aux États-Unis à son encontre, constituait une peine ou un traitement cruel, en violation de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces arguments n’ont été avancés qu’en 1998, lorsque l’expulsion de l’auteur du Canada était imminente.

4.3Deuxièmement, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas fait recours auprès de la Division des appels de la Commission nationale des libérations conditionnelles du Canada et n’a pas non plus contesté devant les tribunaux la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles de ne pas le libérer avant l’expiration de sa peine et les réexamens annuels de cette décision. Si l’auteur avait obtenu gain de cause à l’issue de ces recours, il aurait pu être libéré avant l’expiration de sa peine. L’absence d’initiative prise pour engager de tels recours est manifestement contraire à la position du conseil selon laquelle le Canada a violé les droits de l’auteur tels qu’ils sont énoncés dans le Pacte en le maintenant en détention au Canada au lieu de l’expulser aux États‑Unis.

4.4Troisièmement, l’État partie fait valoir que si l’auteur avait voulu être renvoyé aux États‑Unis plutôt que de rester en détention au Canada, il aurait pu également demander que le Département de la citoyenneté et de l’immigration intervienne auprès de la Commission nationale des libérations conditionnelles afin qu’elle demande qu’il soit libéré et renvoyé aux États‑Unis. L’auteur aurait pu également demander à être transféré en Pennsylvanie conformément au traité sur le transfert des délinquants conclu entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique concernant l’exécution des mesures pénales. De l’avis de l’État partie, le fait que l’auteur n’ait pas dûment engagé ces procédures jette un doute sur sa bonne foi quand il dit qu’il voulait être transféré aux États‑Unis, où il avait été condamné à mort.

4.5À propos du non‑épuisement des recours internes concernant la demande de sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion vers les États-Unis, l’État partie déclare que l’auteur n’a pas fait recours contre la décision de la Cour supérieure du Québec auprès de la cour d’appel. Il ne partage pas l’opinion du conseil qui considère que ce recours n’aurait pas été utile car il n’aurait porté que sur la question de la compétence de la cour et non pas sur le fond de la cause; il affirme au contraire que la requête de l’auteur a été rejetée pour des raisons à la fois de procédure et de fond et qu’en conséquence la cour d’appel aurait pu examiner la décision quant au fond.

4.6L’État partie fait valoir également que l’auteur n’a pas montré que sa détention et, ensuite, son renvoi aux États‑Unis soulevaient des questions au titre des articles 6, 7, 10 ou 14, paragraphe 5, du Pacte. Si le Comité estime que ces articles s’appliquent effectivement en l’espèce, l’État partie fait valoir que le conseil n’a étayé aucune de ces allégations aux fins de la recevabilité.

4.7Pour ce qui est de l’allégation de violation des articles 7 et 10, l’État partie fait valoir que le conseil n’a cité aucun texte à l’appui de son affirmation selon laquelle le «syndrome du quartier des condamnés à mort» pouvait être ressenti par une personne détenue dans un État abolitionniste pour crimes commis dans cet État, lorsque celle‑ci a été précédemment condamnée à la peine capitale dans un autre État. L’auteur a été condamné à une peine d’emprisonnement pour des vols qu’il avait commis au Canada et n’était pas dans le quartier des condamnés à mort au Canada. En conséquence, le «syndrome du quartier des condamnés à mort» ne s’applique pas en l’occurrence et l’auteur n’est pas fondé à invoquer les articles 7 et 10.

4.8Pour ce qui est de l’argument du conseil qui affirme que la condamnation était dénuée d’objectif valable étant donné que l’auteur avait été condamné à mort aux États‑Unis, l’État partie souligne que le principe de la condamnation, fondé sur le châtiment, l’accusation et la dissuasion suppose nécessairement l’imposition d’une peine au Canada pour des infractions commises dans ce pays.

4.9Selon l’État partie, si les personnes sous le coup d’une condamnation à mort qui s’enfuient au Canada n’étaient pas poursuivies et condamnées pour les infractions commises sur le territoire canadien, toutes sortes d’abus pourraient être commis. Tout d’abord, il y aurait deux niveaux de justice. Ces fugitifs échapperaient aux poursuites alors que des individus non condamnés à mort seraient poursuivis et condamnés, même si le crime commis au Canada était le même dans les deux cas. De plus, ces fugitifs seraient ainsi incités à ne pas respecter la loi car, au Canada, ils seraient de facto à l’abri des poursuites et des peines d’emprisonnement. En substance, les fugitifs condamnés à mort pour meurtre aux États‑Unis auraient toute liberté pour commettre d’autres infractions au Canada.

4.10Si le Comité devait conclure que les faits en l’espèce soulèvent effectivement des questions au titre des articles 7 et 10, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas étayé d’allégation de violation de ces articles aux fins de la recevabilité. Il souligne que le Comité a rappelé à de nombreuses occasions que la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constituait pas une violation des articles 7 et 10 en l’absence d’autres circonstances impérieuses. Il déclare que les faits et les circonstances de chaque cause doivent être examinés et note que, par le passé, le Comité a tenu compte des facteurs particuliers concernant la personne de l’auteur, des conditions spécifiques de détention dans le quartier des condamnés à mort et du fait de savoir si la méthode d’exécution prévue est particulièrement ignominieuse. Aucune circonstance de cet ordre n’existe en l’espèce. En outre, l’État partie déclare que lorsque la durée en attendant l’exécution est le fait de l’accusé, notamment lorsqu’il s’évade de prison, celui‑ci ne doit pas pouvoir profiter de ce délai. Dans l’affaire à l’examen, la longueur de la détention est due aux propres actes criminels de l’auteur, à son évasion et aux vols qu’il a commis au Canada.

4.11Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 6, l’État partie déclare que le conseil n’a fourni aucun texte à l’appui de son argument selon lequel la mise en détention d’une personne pour crimes commis dans un État bien que celle‑ci ait été condamnée à mort dans un autre État soulève un grief au titre de l’article 6. L’auteur a été condamné au Canada pour des vols qu’il avait commis dans ce pays et n’est pas passible de la peine capitale au Canada.

4.12L’État partie déclare que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’allégation de violation de l’article 6 en raison de son expulsion du Canada. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle «si un État partie prend une décision à l’égard d’un individu qui relève de sa juridiction et que la conséquence nécessaire et prévisible de cette décision est que les droits de l’individu, en vertu du Pacte, seront violés dans une autre juridiction, l’État partie lui‑même peut commettre une violation du Pacte». L’État partie renvoie également à la décision du Comité dans l’affaire Reid c. Jamaïque, dans laquelle le Comité a établi que la disposition de l’article 6 selon laquelle la peine de mort ne peut être «prononcée que selon la législation en vigueur» impliquait que les garanties d’ordre procédural prescrites dans le Pacte ont été observées. Selon l’État partie, si les garanties de procédure énoncées dans le Pacte ont été respectées, il n’y a pas violation de l’article 6. La seule question relative aux garanties judiciaires soulevée par l’auteur a été celle des moyens restreints de faire appel de la condamnation et de la peine autorisés en vertu de la législation de l’État de Pennsylvanie. À ce sujet, l’État partie considère que l’auteur n’a pas montré qu’il avait été privé de son droit de saisir une juridiction supérieure et il renvoie, mutatis mutandis, à ses observations concernant le paragraphe 5 de l’article 14 exposées ci‑après.

4.13Pour ce qui est du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie avance plusieurs arguments pour prouver qu’aucun grief n’existe au regard de cet article. Tout d’abord, il fait valoir que la plainte repose sur la législation de l’État de Pennsylvanie (États‑Unis) et non pas sur la législation canadienne. En conséquence, l’auteur n’a pas à première vue de grief contre le Canada.

4.14Deuxièmement, l’État partie souligne que le droit de l’auteur de faire examiner sa cause par une juridiction supérieure devrait être considéré au regard de l’article 6 et non pas séparément au regard de l’article 14. Il fait valoir que compte tenu de l’interprétation du paragraphe 2 de l’article 6 donnée par le Comité, selon laquelle les garanties d’ordre procédural prévues dans le Pacte, y compris le droit de faire appel devant une juridiction supérieure tel qu’il est énoncé au paragraphe 5 de l’article 14, doivent être respectées, dans la mesure où la communication soulève des questions au titre de l’article 6, ce droit d’examen doit être traité au titre de l’article 6 uniquement.

4.15Troisièmement, l’État partie fait valoir que la détention de l’auteur au Canada et son expulsion ne soulèvent pas de griefs au regard de l’article 14 car l’incarcération de l’auteur pour les vols commis au Canada n’avait pas de conséquence nécessaire et prévisible sur son droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et sa condamnation en Pennsylvanie. Il ajoute que l’expulsion de l’auteur n’avait pas de conséquence nécessaire et prévisible sur ses droits en appel car l’appel de l’auteur avait déjà été examiné en 1991, alors qu’il était emprisonné au Canada.

4.16L’État partie fait valoir que bien qu’aux États‑Unis les droits d’un détenu puissent être restreints lorsque celui‑ci s’évade de prison, l’auteur n’a pas étayé son allégation de violation du droit de faire examiner sa cause par une juridiction supérieure. Il joint le texte de l’arrêt de la Cour suprême de Pennsylvanie concernant l’appel de l’auteur, indiquant que la Cour suprême est mandatée par la loi pour examiner toutes les condamnations à mort et déclarer en particulier si les preuves sont suffisantes pour maintenir une condamnation pour assassinat. Cet examen selon la loi a été effectué dans le cas de l’auteur le 22 octobre 1991, lors d’une audience où l’auteur était représenté par un avocat. La Cour suprême a confirmé à la fois la déclaration de culpabilité et la condamnation. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le juge du fond aurait commis des erreurs en donnant ses instructions au jury et ces erreurs n’auraient pas été prises en compte par la Cour suprême, l’État partie objecte qu’à supposer que le juge ait effectivement commis de telles erreurs, après examen réaliste des preuves, le jury, même s’il avait reçu des instructions appropriées, n’aurait pu en arriver à une conclusion autre que celle à laquelle il est parvenu.

4.17L’État partie ajoute que l’auteur peut encore exercer deux recours supplémentaires. Le premier consiste à déposer une requête auprès du tribunal de première instance en vertu de la loi de Pennsylvanie sur les recours après condamnation (PCRA), qui peut être saisie de questions de constitutionnalité. D’après l’État partie, l’auteur a déjà déposé une requête en vertu de cette loi. Le deuxième recours consiste à déposer une demande d’ordonnance d’habeas corpus auprès de la Cour de district des États‑Unis pour le district est de Pennsylvanie. Cette juridiction est habilitée à annuler les décisions des tribunaux du Commonwealth de Pennsylvanie si elle considère que les condamnations ont été prononcées dans le non‑respect des droits garantis aux accusés en vertu de la loi fédérale. Si l’auteur n’obtient pas gain de cause à l’issue de ces deux recours il peut saisir les juridictions supérieures et, en dernier lieu, la Cour suprême des États‑Unis.

4.18En outre, l’État partie fait valoir que l’auteur peut adresser un recours en grâce au Gouverneur de la Pennsylvanie ou demander que sa peine soit commuée en une peine moins lourde. Le fait que l’auteur se soit évadé ne l’empêche pas de faire une telle demande. Selon l’État partie, en raison de tous les recours dont les condamnés à mort peuvent se prévaloir, deux exécutions seulement ont eu lieu en Pennsylvanie dans les 30 dernières années.

4.19Enfin, pour ce qui est de la recevabilité de la communication dans son ensemble, l’État partie affirme que celle‑ci est incompatible avec les dispositions du Pacte, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif et du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte. Il fait observer que les dispositions du Pacte ne doivent pas être invoquées comme une protection contre la responsabilité pénale et que l’auteur ne doit pas être autorisé à invoquer sur le Pacte pour soutenir qu’il n’aurait pas dû être poursuivi au Canada pour les crimes qu’il y a commis. En outre, le Pacte ne doit pas être invoqué par des individus qui, en raison de leurs propres actes criminels, se sont eux‑mêmes privés de certains droits. L’État partie fait valoir que les allégations de l’auteur sont contradictoires. Il affirme, d’une part, que l’expulsion de l’auteur du Canada vers les États‑Unis constitue une violation de l’article 6 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et, d’autre part, que sa détention constitue une violation des articles 7 et 10. En conséquence, le Canada aurait commis une violation du Pacte en expulsant l’auteur et en ne l’expulsant pas.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Pour ce qui est de l’allégation de violation des articles 7 et 10, l’État partie déclare que, contrairement à ce qui ressort des observations de l’auteur, le «syndrome du quartier des condamnés à mort» n’est pas seulement l’angoisse extrême que connaissent les détenus condamnés à mort, mais est dû également à d’autres facteurs, notamment au fait que des dates sont fixées régulièrement puis que des sursis à exécution sont accordés, aux mauvais traitements physiques, à une alimentation insuffisante et à l’isolement.

5.2En ce qui concerne la demande faite par le conseil de surseoir à l’expulsion de l’auteur jusqu’à ce que le Canada ait reçu une demande d’extradition et l’assurance que la peine capitale ne serait pas appliquée, l’État partie relève que les États‑Unis n’ont pas l’obligation de demander l’extradition d’un fugitif ou de donner de telles assurances. Le Gouvernement canadien ne peut pas raisonnablement attendre qu’une telle demande soit faite ou que de telles assurances soient données avant d’expulser des fugitifs aux États‑Unis. Le danger représenté par un fugitif restant impuni, l’absence de base autorisant la détention d’un fugitif dans l’attente d’une demande d’extradition et l’importance de ne pas offrir une protection aux personnes accusées ou reconnues coupables de meurtre justifient qu’une telle obligation ne soit pas imposée. En outre, le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration est également tenu par la loi d’exécuter une mesure d’expulsion dès qu’elle est raisonnablement applicable.

5.3À propos de l’allégation de violation de l’article 6 et de l’argument de l’auteur qui affirme que des erreurs ont été commises lors de son procès en Pennsylvanie, ce qui aurait donné matière à un recours en appel, l’État partie déclare qu’il n’appartient pas au Comité d’apprécier les faits et les éléments de preuve examinés lors d’un procès à moins qu’il puisse être prouvé qu’il y a eu décision arbitraire ou déni de justice. Selon l’État partie, il serait inapproprié d’imposer au Comité l’obligation d’examiner la procédure devant les tribunaux, d’autant plus qu’elle a eu lieu aux États‑Unis.

5.4Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie fait observer qu’il n’est pas spécifié dans cet article quel type d’examen doit être possible et renvoie aux travaux préparatoires, d’où il ressort, d’après lui, qu’il avait été envisagé une disposition de portée étendue établissant le principe du droit au réexamen des décisions mais laissant aux États parties la faculté de déterminer le type de procédure conformément à leur propre système juridique.

5.5L’État partie souligne à nouveau que la cause de l’auteur a été examinée par la Cour suprême de Pennsylvanie. Il indique qu’à l’origine, en Pennsylvanie, un accusé qui s’évadait de prison était considéré comme déchu de son droit à un recours complet en appel, mais que la Cour suprême de cet État s’est récemment écartée de ce principe en statuant qu’un fugitif devait pouvoir exercer ses droits de recours après le procès comme il l’aurait fait s’il ne s’était pas évadé. L’État partie précise qu’il faut à cette fin que le fugitif revienne à temps pour déposer une requête après jugement ou faire recours en appel. Il note également que des exceptions peuvent être faites pour ce qui est des délais de dépôt des requêtes et que des retards sont autorisés.

Commentaires de l’auteur au sujet des déclarations de l’État partie concernant la recevabilité et sur le fond

6.1Pour ce qui est des arguments de l’état partie relatifs au non‑épuisement des recours internes concernant la détention de l’auteur au Canada, l’auteur objecte que ce n’est qu’en 1993, près de cinq ans après avoir été condamné pour vols, que l’auteur a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion. Il aurait pu bénéficier rapidement d’une libération conditionnelle aux fins de son expulsion aux États‑Unis et n’aurait alors pas pu savoir, en 1988, que le Canada déciderait de le maintenir en détention pendant toute la durée de sa peine, soit 10 ans. En outre, l’auteur ne pouvait pas savoir en 1988 que bien que les États‑Unis aient été disposés à demander l’extradition, ils ne le feraient pas car «en définitive l’expulsion de l’auteur aux États‑Unis semblait moins problématique».

6.2Pour ce qui est de la question de s’adresser à la Commission nationale des libérations conditionnelles, y compris de faire recours des examens annuels, l’auteur fait valoir que des recours de cette nature auraient été inefficaces car, se fondant sur les éléments de preuve, la Commission ne pouvait qu’estimer que «s’il était libéré», l’auteur causerait probablement, notamment, de graves préjudices à autrui avant l’expiration de la durée de la peine. Toutefois, comme en réalité l’auteur n’aurait pas été libéré à l’achèvement des deux tiers de sa peine, mais aurait été remis au Service de l’immigration pour être expulsé, les autorités pénitentiaires n’auraient pas dû au départ soumettre le cas de l’auteur à la Commission des libérations conditionnelles. Une fois saisie de l’affaire, la Commission n’aurait pas pu refuser de se prononcer sur le risque de préjudices au cas où l’auteur serait libéré.

6.3Au sujet de la possibilité de demander un transfert aux États‑Unis en application du traité relatif au transfert des délinquants, l’auteur répond que les deux États parties doivent donner leur accord pour un tel transfert et que le Canada ne l’aurait jamais donné étant donné qu’il refusait d’expulser l’auteur avant que ce dernier n’ait purgé l’intégralité de sa peine d’emprisonnement. En outre, l’auteur affirme que ce n’est pas à lui qu’il devrait incomber d’engager des recours judiciaires, qui auraient tous été inutiles, pour accélérer son retour dans la juridiction où il avait été condamné à mort.

6.4Pour ce qui est de la possibilité de faire appel de la décision de la Cour supérieure du Québec, l’auteur fait observer que celle‑ci a été rendue oralement le 6 août 1998 vers 20 heures. Le Gouvernement canadien a procédé à l’expulsion dans les premières heures du 7 août 1998, avant que toute procédure en appel ne puisse être engagée. En conséquence, selon lui, tout recours en appel n’aurait plus eu d’objet et aurait été inutile car le fond même de la cause ne relevait plus de la juridiction canadienne.

6.5L’auteur rappelle que le juge de la Cour supérieure s’est déclaré incompétent pour surseoir à l’expulsion de l’auteur car la Cour fédérale avait refusé d’intervenir. Il fait valoir que le juge s’est lancé dans l’analyse de l’affaire sur le fond, mais qu’il n’aurait pas dû le faire puisqu’il s’était déclaré incompétent et qu’un recours en appel, s’il n’avait pas été sans objet, aurait porté uniquement sur la question de savoir si le juge aurait dû se déclarer incompétent et non pas sur celle de savoir si le conseil avait prouvé que les droits de l’auteur en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés.

6.6L’auteur réfute l’argument de l’État partie concernant l’incompatibilité et déclare que la théorie selon laquelle, si les crimes commis par l’auteur au Canada étaient restés impunis, un précédent aurait été créé signifiant que les personnes condamnées à mort dans un État pourraient commettre des crimes en toute impunité dans un autre État, est fondamentalement erronée. Il affirme qu’au contraire, si les condamnés à mort savaient qu’ils seraient poursuivis pour crimes au Canada, ils seraient incités à commettre ces crimes au Canada afin de subir leur peine dans ce pays et de rester en vie, ou même à commettre un meurtre au Canada, l’exécution aux États‑Unis étant ainsi indéfiniment reportée. Si l’auteur avait été «renvoyé selon une procédure d’expulsion après avoir été arrêté au Canada en 1988, il aurait eu peu d’arguments à avancer».

6.7L’auteur réfute les arguments de l’État partie sur le fond de l’affaire. Il confirme qu’il n’est pas fondé à affirmer que la détention au Canada pour des crimes commis dans ce pays peut être assimilée à une détention dans le quartier des condamnés à mort car il n’existe pas de cas de ce type. Il déclare que l’angoisse extrême caractérisant la détention dans le quartier des condamnés à mort a commencé lors de l’arrestation de l’auteur au Canada en 1988 et qu’elle «ne cessera qu’avec son exécution aux États‑Unis».

6.8Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie qui estime que la décision prise dans l’affaire Pratt et Morgan permet de considérer qu’un détenu ne peut pas se plaindre lorsqu’il est lui‑même responsable de la longueur de la procédure qui intervient, notamment lorsqu’il s’est «évadé de prison», l’auteur déclare qu’il s’agit d’une interprétation erronée. Il reconnaît que la période au cours de laquelle l’auteur était en liberté n’est pas prise en compte dans le délai intervenu, mais souligne que cette période a commencé à partir de son arrestation par les autorités canadiennes. Il ajoute qu’il n’a pas été placé en détention au Canada en raison de son évasion, mais parce qu’il avait été jugé et condamné pour vol.

6.9Pour ce qui est de l’évocation par l’État partie des conditions de détention dans l’Unité de traitement spécial, l’auteur souligne qu’il s’agit des seuls locaux de sécurité maximale de ce type existant au Canada et qu’il a été contraint de vivre dans des «conditions effroyables». Il déclare également que la décision prise par la Commission nationale des libérations conditionnelles visant à le maintenir en détention pendant l’intégralité des 10 ans de sa peine et les réexamens annuels qui ont suivi confirmant cette décision ont constitué une sorte de sursis, même temporaire, à son retour aux États‑Unis où il devait être exécuté. À ce sujet, l’auteur renvoie au débat sur ce point lors de l’examen de l’affaire Pratt and Morgan par le Conseil privé, au cours duquel Lord Griffith a décrit l’angoisse éprouvée par les détenus condamnés qui sont sur le point d’être exécutés, puis bénéficient d’un sursis.

6.10L’auteur fait valoir que son renvoi dans une juridiction où ses droits d’appel sont restreints constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ce paragraphe devant être lu conjointement avec l’article 6 du Pacte. Pour ce qui est de la question de l’examen par la Cour suprême de Pennsylvanie de son cas, l’auteur maintient que cette dernière a refusé d’examiner toute allégation d’erreur lors du procès et a donc examiné les éléments de preuve, puis a décidé de maintenir la déclaration de culpabilité et la condamnation. Les questions concernant notamment la justesse des instructions données au jury ne sont pas prises en considération dans ce type d’audience.

6.11Sans demander au Comité d’examiner les comptes rendus d’audience du procès pour assassinat, l’auteur souligne également les erreurs qui auraient été commises au cours de ce procès, dont l’issue aurait pu être différente. Il mentionne une question posée par les membres du jury qui souhaitaient être éclairés sur la différence entre l’assassinat, le meurtre et l’homicide involontaire. Le jury n’a pas reçu de réponse car l’avocat de l’auteur n’avait pas pu être joint. Lorsque l’avocat s’est présenté, le lendemain, le jury était prêt à rendre son verdict sans avoir obtenu de réponse à ses demandes d’éclaircissement. Un verdict de culpabilité d’assassinat a alors été rendu.

6.12L’auteur fait valoir que si un mécanisme autorisant un examen restreint des décisions judiciaires peut être considéré comme acceptable dans les cas de crimes n’entraînant pas la peine capitale, il est tout à fait inacceptable, lorsque la vie de l’accusé est en jeu, que celui‑ci soit dans l’impossibilité de demander qu’une allégation d’erreur lors du procès soit examinée.

6.13À propos de la possibilité d’invoquer la loi de Pennsylvanie sur les recours après condamnation (PCRA), l’auteur confirme qu’il a effectivement tenté d’exercer ce recours en déposant une requête après son expulsion aux États‑Unis. Sa requête a été rejetée le 21 juillet 1999 et, compte tenu de l’affaire antérieure Commonwealth v.  Kindler, il a été déclaré que la condition de fugitif de l’auteur l’avait déchu du droit d’exercer le recours prévu. L’auteur ajoute que sa demande de recours en vertu de la PCRA ayant été rejetée, il ne peut pas faire de demande en habeas corpus auprès des autorités fédérales, le recours en vertu de la PCRA ayant été rejeté en raison du non‑respect d’un texte de l’État.

6.14Quant à la possibilité de demander au Gouverneur de commuer la peine en une peine à perpétuité, l’auteur déclare que le Gouverneur est élu pour occuper des charges politiques et n’est pas habilité à examiner de façon indépendante et neutre des décisions de justice. Il déclare que le Gouverneur n’a aucune fonction qui puisse répondre aux conditions du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 6 du Pacte.

Examen de la recevabilité

7.1À sa soixante‑quinzième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, il s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Pour ce qui est du grief concernant les conditions de détention au Canada, le Comité a estimé que l’auteur n’avait pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations.

7.3En ce qui concerne l’allégation de violation des articles 7 et 10 du Pacte concernant la détention de l’auteur au Canada alors qu’il risquait la peine capitale aux États‑Unis à l’expiration de sa peine d’emprisonnement au Canada, le Comité a noté que l’auteur n’était pas condamné à mort au Canada, mais qu’il purgeait une peine de 10 ans d’emprisonnement pour vol qualifié. En conséquence, l’auteur n’avait pas soulevé de griefs au titre des articles 7 et 10 du Pacte à cet égard et cette partie de la communication a été déclarée irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

7.4Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 6 en raison de sa détention au Canada pour crimes commis dans ce pays, le Comité a estimé que l’auteur n’avait pas montré aux fins de la recevabilité que le droit à la vie avait été violé du fait de sa détention au Canada pour crimes commis dans ce pays. Cet aspect de la communication a été déclaré irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5L’État partie avait fait valoir que l’auteur ne pouvait invoquer le Protocole facultatif pour se plaindre de son expulsion aux États‑Unis, étant donné qu’il n’avait pas fait appel de la décision de ne pas surseoir à l’expulsion de la Cour supérieure du Québec auprès de la cour d’appel et n’avait donc pas épuisé tous les recours internes. Le Comité a noté la réponse de l’auteur sur ce point, à savoir qu’un recours aurait été inutile car il n’aurait porté que sur la question de la compétence et non pas sur le fond de l’affaire, et que l’État partie avait expulsé l’auteur dans les quelques heures qui avaient suivi la décision de la Cour supérieure, rendant ainsi sans objet toute tentative de faire appel de cette décision. Le Comité a noté que l’État partie n’avait pas contesté le fait que l’auteur avait été expulsé très rapidement après que la Cour supérieure eut rendu sa décision et, en conséquence, que l’auteur ait pu ou non faire appel de la décision sur le fond, il a considéré qu’il n’aurait pas été raisonnable d’attendre que l’auteur fasse un recours en appel après son expulsion, considérée en elle‑même comme une violation du Pacte. C’est pourquoi le Comité n’a pas accepté l’argument de l’État partie selon lequel cette partie de la communication était irrecevable en raison du non‑épuisement des recours internes.

7.6En ce qui concerne l’allégation de violation des droits garantis par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et en conséquence de violation de l’article 6, le Comité a noté que l’auteur avait le droit en vertu de la législation de Pennsylvanie à un recours complet en appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. De plus, le Comité a noté que, selon les documents fournis par les parties, si les moyens de recours en appel étaient limités du fait que l’auteur était en fuite, la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui avaient été examinées par la Cour suprême de Pennsylvanie, qui était tenue d’examiner toutes les affaires de condamnation à mort. Selon ces documents, l’auteur avait été représenté par un conseil et la Cour avait examiné les éléments de preuve et la loi applicable ainsi que les éléments requis pour confirmer une condamnation pour assassinat et l’imposition de la peine capitale. Dans ces circonstances particulières, le Comité a estimé que l’auteur n’avait pas étayé, aux fins de la recevabilité, son allégation selon laquelle le paragraphe 5 de l’article 14 avait été violé et, de ce fait, son expulsion du Canada avait entraîné une violation par le Canada de l’article 6 du Pacte.

7.7Bien qu’il eût décidé que la plainte au titre du paragraphe 5 de l’article 14 était irrecevable, le Comité a estimé que les faits présentés par l’auteur soulevaient au regard du Pacte deux questions recevables, qui devraient être examinées quant au fond:

1.Étant donné qu’il a aboli la peine de mort, le Canada a‑t‑il commis une violation du droit à la vie énoncé à l’article 6 du Pacte, du droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, énoncé à l’article 7, ou du droit de disposer d’un recours utile, énoncé au paragraphe 3 de l’article 2, en expulsant l’auteur vers un État dans lequel il était sous le coup d’une condamnation à mort, sans s’assurer que la peine ne serait pas exécutée?

2.L’État partie a reconnu que l’auteur avait été expulsé vers les États-Unis avant d’avoir pu exercer le droit de faire appel du rejet de sa demande de sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion devant la Cour d’appel du Québec. Par suite, l’auteur n’a pas pu exercer les autres recours dont il aurait pu disposer. En expulsant l’auteur vers un État où il était sous le coup d’une condamnation à mort avant que celui‑ci n’ait pu se prévaloir de contester la décision d’expulsion, l’État partie a‑t‑il violé les droits garantis par les articles 6, 7 et 2 du Pacte?

Le Comité a conclu qu’étant donné la gravité de ces questions, les parties devraient avoir la possibilité de faire leurs observations à ce sujet avant que lui‑même ne formule ses constatations sur le fond. En outre, les parties ont été priées de fournir des renseignements sur l’état actuel de la procédure aux États‑Unis et sur les perspectives d’appel éventuellement offertes à l’auteur. L’État partie a été prié de compléter ses observations sur le fond en répondant aux questions ci‑dessus et à la demande de renseignements dès que possible et, en tout état de cause, dans les trois mois suivant la date à laquelle la présente décision lui aurait été communiquée. Toutes les déclarations reçues de l’État partie seraient communiquées à l’auteur, qui serait prié de formuler ses observations dans les deux mois.

Réponse de l’État partie sur le fond comme suite à la demande du Comité

8.1Par une note verbale datée du 15 novembre 2002, l’État partie a répondu aux questions du Comité et a apporté les renseignements supplémentaires qu’il avait demandés.

1.Le Canada a‑t‑il commis une violation du Pacte en ne demandant pas l’assurance que la peine de mort ne serait pas appliquée?

8.2L’État partie se réfère au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte qui proclame que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et garantit que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. Il fait valoir que le paragraphe 2 de l’article 6 autorise l’application de la peine capitale dans les pays qui ne l’ont pas abolie mais exige qu’elle soit prononcée et appliquée dans des conditions qui respectent les prescriptions de l’article 6.

8.3L’article 6 ne porte pas explicitement sur les cas où quelqu’un est extradé ou expulsé vers un autre État où il est sous le coup d’une condamnation à mort. Toutefois, l’État partie note que le Comité a considéré que «si un État partie prend une décision concernant une personne sous sa juridiction, dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne en vertu du Pacte seront violés sous une autre juridiction, l’État partie lui‑même peut violer le Pacte». Le Comité a donc conclu que l’article 6 s’appliquait à la situation dans laquelle un État partie veut extrader ou expulser un individu vers un État où il risque la peine de mort.

8.4L’article 6 autorise les États parties à extrader ou expulser un individu vers un État où il risque la peine capitale sous réserve que les conditions relatives à l’imposition de la peine capitale énoncées à l’article 6 soient satisfaites. L’État partie fait valoir que dans le cas d’espèce le Comité ne semble pas douter que l’application de la peine capitale aux États‑Unis s’effectue dans les conditions prescrites à l’article 6. Ce que le Comité a demandé, c’est si le Canada avait violé le Pacte en ne demandant pas l’assurance que l’auteur ne serait pas exécuté.

8.5D’après l’État partie, l’article 6 du Pacte et l’Observation générale no14 du Comité sur l’article 6 ne disent rien sur la question de la demande de garanties et aucune autorité légale ne permet d’affirmer que les États abolitionnistes sont tenus d’obtenir des assurances en vertu du droit international. L’État partie objecte que supposer que l’article 6 contient une telle obligation implique de s’écarter considérablement des règles acceptées d’interprétation des traités, notamment du principe qui veut qu’un traité doit être interprété à la lumière de l’intention des États parties, telle qu’elle est reflétée par les termes de l’instrument.

8.6L’État partie rappelle que le Comité a examiné plusieurs communications portant sur l’extradition ou l’expulsion par le Canada d’individus vers des États où ils risquaient la peine capitale. Dans aucune de ces affaires le Comité n’a exprimé de préoccupation concernant le fait de ne pas demander des assurances. L’État partie fait remarquer aussi que le Comité a dans des décisions précédentes rejeté l’idée qu’un État abolitionniste qui a ratifié le Pacte soit obligatoirement tenu de refuser l’extradition ou de demander l’assurance que la peine de mort ne serait pas appliquée. Dans l’affaire Kindler c. Canada, le Comité des droits de l’homme a demandé si le fait que «le Canada avait aboli la peine capitale…» l’obligeait «à refuser l’extradition ou à demander aux États‑Unis des assurances … selon lesquelles la peine de mort ne serait pas imposée contre M. Kindler». L’État partie relève que le Comité a déclaré à ce sujet qu’il ne considérait pas «qu’aux termes de l’article 6 du Pacte le Canada soit nécessairement tenu de refuser l’extradition ou de demander des assurances». Le Comité a réitéré cette appréciation dans ses constatations relatives à l’affaire Ng c. Canada et Cox c. Canada.

8.7En ce qui concerne le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, en vertu duquel les États parties sont tenus de prendre «toutes les mesures voulues pour abolir la peine capitale dans le ressort de leur juridiction», l’État partie renvoie à la conclusion du Comité qui a estimé que pour les États parties au deuxième Protocole facultatif, les dispositions de l’instrument sont considérées comme complémentaires au Pacte, et en particulier à l’article 6. Il fait valoir que l’instrument ne traite pas de la question de l’extradition ou de l’expulsion dans le cas de quelqu’un qui risque la peine capitale, y compris la question de savoir si des assurances doivent être demandées. L’État partie n’exprime aucun avis sur la question de savoir si l’on peut interpréter l’instrument comme obligeant à demander des assurances mais souligne qu’il n’est pas partie au deuxième Protocole facultatif. Par conséquent, ses actes ne peuvent être examinés qu’au regard des dispositions du Pacte.

8.8L’État partie fait valoir que quand l’auteur a été expulsé, le 7 août 1998, rien dans la législation interne n’obligeait le Canada à demander aux États‑Unis l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Si la Cour suprême du Canada ne s’est jamais prononcée sur la question dans le contexte de l’immigration, elle l’a bien traitée dans le contexte de l’extradition, statuant dans l’affaire Kindler v. Canada (Minister of Justice) et dans l’affaire Reference Ng Extradition que le fait de laisser au Ministre le pouvoir discrétionnaire de décider s’il devait demander l’assurance que la peine capitale ne serait pas appliquée ne constituait pas une violation de la Constitution du Canada, pas plus que la décision d’extrader Kindler et Ng sans solliciter d’assurances.

8.9Il fait valoir en outre que la conduite d’un État partie doit être appréciée à la lumière de la loi applicable au moment où la violation de l’instrument est déclarée avoir eu lieu: quand Roger Judge a été expulsé, aucune disposition internationale n’obligeait le Canada à demander l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Cette position est confirmée par l’interprétation du Pacte que le Comité a donnée dans les affaires Kindler , Nget Cox (supra). De plus, dans le traité type d’extradition des Nations Unies, l’absence d’assurance que la peine capitale ne sera pas exécutée ne figure pas au nombre des «motifs obligatoires de refus» d’extradition mais est énoncée dans les «motifs facultatifs de refus». Enfin, d’après l’État partie, l’obligation pour les États abolitionnistes de demander des garanties chaque fois qu’ils expulsent un individu dans un pays où il risque la peine capitale relève de la politique intérieure de l’État et n’est pas une obligation légale née du Pacte.

8.10Sur la question de savoir s’il commet une violation de l’article 7 du Pacte, en renvoyant l’auteur dans un État où il avait été condamné à mort sans demander des assurances, l’État partie fait valoir que le Comité a établi que l’extradition ou l’expulsion dans un pays où l’intéressé encourt la peine capitale, à l’intérieur des paramètres du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte ne constituait pas par elle‑même une violation de l’article 7. Il note également la conclusion du Comité qui avait établi qu’il pouvait y avoir des questions relevant de l’article 7 en rapport avec la peine capitale, en fonction des «facteurs personnels» relatifs à l’auteur, des conditions précises de détention dans le quartier des condamnés à mort et de la question de savoir si la méthode d’exécution envisagée est particulièrement horrible».

8.11L’État partie fait valoir que dans la présente affaire le Comité a déclaré irrecevables les griefs relatifs aux facteurs personnels de l’auteur, aux conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort et à la méthode d’exécution. La seule question qui demeure consiste à déterminer si en ne demandant pas l’assurance que l’intéressé ne sera pas exécuté le Canada commet une violation des droits garantis à l’article 7. D’après l’État partie, si l’imposition de la peine capitale dans le cadre des paramètres énoncés au paragraphe 2 de l’article 6 ne représente pas une violation de l’article 7, le fait de ne pas demander l’assurance que la peine capitale ne sera pas appliquée ne peut pas constituer une violation de ce même article. Une position différente signifierait que prononcer la peine capitale en respectant les paramètres du paragraphe 2 de l’article 6 ne constituerait pas de la part d’un État X une torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant mais que l’État qui extraderait vers l’État X sans demander l’assurance que le condamné ne sera pas exécuté serait considéré comme ayant exposé l’intéressé à un risque réel de torture ou de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. De l’avis de l’État partie, il s’agit là d’une interprétation indéfendable de l’article 7 du Pacte. Pour ces raisons, l’État partie affirme qu’il n’a pas commis de violation de l’article 7 en renvoyant Roger Judge vers les États‑Unis sans demander de garanties.

8.12L’État partie relève que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte oblige les États parties à garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, que les plaintes pour violation des droits soient entendues par les autorités compétentes et que tout recours soit exécutoire. Il rappelle son argumentation relative aux articles 6 et 7 du Pacte et affirme qu’il n’a pas porté atteinte aux droits et libertés garantis par le Pacte à l’auteur. Les obligations découlant du paragraphe 3 a) et c) de l’article 2 du Pacte ne sont pas en jeu en l’espèce.

8.13Enfin, l’État partie fait valoir que toute personne qui estime que ses droits et libertés ont été violés peut demander aux autorités judiciaires compétentes de statuer et si la plainte est fondée, l’intéressé bénéficiera d’un recours utile. Plus précisément la question de savoir s’il était tenu de demander l’assurance que l’auteur ne serait pas exécuté aurait pu être portée devant les tribunaux internes.

2.Le renvoi de l’auteur vers un État où il est sous le coup d’une condamnation à mort avant d’avoir pu exercer tous les droits pour contester ce renvoi représente‑t‑il une violation des droits garantis aux articles 6, 7 et 2 du Pacte?

8.14L’État partie reprend, mutatis mutandis, ses arguments en réponse à la première question posée par le Comité. En particulier il réaffirme que l’article 6 et l’Observation générale du Comité à ce sujet ne disent rien sur la question de savoir si l’État est tenu de permettre l’exercice de tous les droits d’appel avant de renvoyer un individu vers un État où il a été condamné à mort. Il n’existe aucun texte autorisant cette proposition et ce serait s’écarter considérablement des règles acceptées d’interprétation des traités que de trouver dans l’article 6 une telle obligation. De l’avis de l’État partie, le paragraphe 4 de l’article 6 et le paragraphe 5 de l’article 14 constituent des garanties importantes à l’égard de l’État partie qui veut prononcer la peine capitale mais ne s’appliquent pas à l’État partie qui expulse ou extrade un individu vers un État où il est condamné à mort.

8.15L’État partie explique que l’article 48 de la loi sur l’immigration dispose qu’un arrêté d’expulsion doit être exécuté dès qu’il est raisonnablement possible de le faire sous réserve des sursis administratifs ou judiciaires. Ainsi quand il n’y a pas de demande de sursis, l’arrêté d’expulsion est obligatoire et le Ministre est légalement tenu de l’exécuter dès qu’il est raisonnablement possible de le faire, n’ayant que peu de marge de discrétion à ce sujet. Dans le cas d’espèce, l’État partie fait valoir qu’aucun des sursis administratifs prévus aux articles 49 et 50 de la loi sur l’immigration n’était applicable à l’auteur et que ses demandes de sursis judiciaire ont été rejetées par les tribunaux saisis.

8.16L’État partie fait valoir que la demande d’autorisation de déposer une demande de contrôle juridictionnel pour contester la réponse négative du Ministre, demande qui comportait un mémoire exposant l’argumentation en détail, a été examinée par la Cour fédérale avant d’être rejetée. La Cour supérieure du Québec a également examiné la même demande et l’a rejetée pour des raisons de procédure et des raisons de fond. L’une et l’autre juridiction ont considéré qu’il n’y avait pas de motif suffisant pour ordonner le sursis à exécution de la mesure. Si l’État partie devait accorder des sursis à l’exécution des arrêtés d’expulsion jusqu’à ce que tous les recours possibles aient pu être épuisés, cela signifierait que des personnes comme l’auteur qui ont commis des crimes graves demeureraient sur le territoire canadien pendant des périodes considérablement plus longues, ce qui entraînerait une prolongation excessive de la procédure d’expulsion sans la moindre garantie que de grands criminels, comme l’auteur, puissent être maintenus en détention pendant toute la durée des procédures de recours.

8.17Sur la question de savoir s’il y a eu violation de l’article 7 à cet égard, l’État partie reprend mutatis mutandis ses arguments en réponse à la première question du Comité. En particulier, si l’imposition de la peine capitale dans la limite des paramètres énoncés au paragraphe 2 de l’article 6 ne constitue pas une violation de l’article 7, le fait que l’État ne permette pas l’exercice de tous les recours judiciaires possibles avant de renvoyer l’intéressé dans l’État où il est condamné à mort ne peut pas constituer une violation de l’article 7. L’État partie fait valoir que la question cruciale est de déterminer si l’État partie qui a prononcé la peine capitale a satisfait aux conditions énoncées à l’article 6 et dans d’autres dispositions du Pacte, et non pas si l’État partie qui renvoie un individu dans l’État où il est condamné à mort a donné à cet individu suffisamment de possibilités d’obtenir la révision judiciaire de la décision de le renvoyer.

8.18En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie objecte qu’il n’a pas commis de violation de l’un quelconque des droits garantis à l’auteur car celui‑ci a bénéficié d’un contrôle juridictionnel suffisant de l’arrêté d’expulsion, avant d’être renvoyé aux États‑Unis, et que la question de savoir si son renvoi constituerait une violation de ses droits fondamentaux a également été examinée.

8.19En ce qui concerne la situation actuelle de l’auteur aux États-Unis, l’État partie indique que les services du Procureur du district de Philadelphie (État de Pennsylvanie) l’ont informé que l’auteur était incarcéré dans une prison d’État et que la date de son exécution n’avait pas été fixée.

8.20Le 23 mai 2002, la Cour suprême de Pennsylvanie a rejeté la demande de recours après condamnation déposée par l’auteur. Celui‑ci a récemment formé un recours en habeas corpus auprès de la Cour de district fédérale et si la décision est négative, il peut se pourvoir devant la cour d’appel fédérale pour la troisième circonscription. Ensuite, il peut se pourvoir devant la Cour suprême des États-Unis. S’il est débouté de ses recours au plan fédéral, l’auteur peut déposer une demande de grâce auprès du gouverneur de l’État. De plus, l’État partie réaffirme que, d’après les informations de l’État de Pennsylvanie, il n’y a eu que trois exécutions depuis la réintroduction de la peine capitale, en 1976.

8.21Sans préjudice de l’un quelconque des arguments exposés plus haut, l’État partie informe le Comité des faits nouveaux survenus depuis les événements à l’origine de l’affaire. Le 15 février 2001, la Cour suprême du Canada a statué, dans l’affaire United States v. Burns que le Gouvernement devait dans tous les cas, sauf circonstances rigoureusement exceptionnelles, demander l’assurance que la peine capitale ne serait pas appliquée avant d’extrader un individu vers un État où il risque la peine de mort. L’État partie ajoute que le Service canadien de la citoyenneté et de l’immigration a entrepris d’étudier les incidences possibles de cette décision sur les expulsions auxquelles il peut procéder.

Réponse de l’auteur sur le fond, comme suite à la demande du Comité

9.1Par une lettre datée du 24 janvier 2003, l’auteur a répondu à la demande de renseignements qui lui avait été adressée par le Comité et a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il fait valoir qu’en s’appuyant sur la décision du Comité dans l’affaire Kindlerc. Canada pour affirmer que dans des affaires d’extradition ou d’expulsion le Pacte n’est pas nécessairement violé par un État abolitionniste s’il ne demande pas l’assurance que la peine capitale ne sera pas appliquée, l’État partie donne une interprétation erronée non seulement des faits de l’affaire Kindler mais aussi de l’incidence de la décision rendue par le Comité.

9.2Tout d’abord, l’auteur fait valoir que l’affaire Kindler portait sur une extradition et non pas sur une expulsion. Il rappelle que le Comité avait déclaré qu’il y aurait eu violation du Pacte «si la décision d’extrader sans avoir obtenu des assurances avait été prise arbitrairement ou sommairement». Or, comme le Ministre de la justice avait examiné les arguments de M. Kindler avant d’ordonner son extradition sans demander de garanties, le Comité ne pouvait pas conclure que la décision avait été prise «arbitrairement ou sommairement». L’affaire à l’examen porte sur une expulsion et il n’y a donc pas de procédure permettant à l’expulsé de demander l’assurance que la peine capitale ne sera pas exécutée.

9.3Ensuite l’auteur réitère qu’il a demandé aux tribunaux canadiens de déclarer que son renvoi aux États‑Unis par voie d’expulsion constituerait une violation des droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, afin d’obtenir la suspension de l’exécution de l’expulsion et de «contraindre» les États‑Unis à demander son extradition, ce qui lui aurait permis de demander au Ministre de la justice de solliciter l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Étant donné que le Ministre de la justice n’a pas cette faculté dans le cadre de la procédure d’expulsion, l’État partie a pu exclure l’auteur du bénéfice des garanties accordées par le traité d’extradition et l’opportunité de demander des garanties n’a jamais été examinée. L’auteur affirme que les États-Unis auraient demandé son extradition et joint une lettre en date du 3 février 1994 émanant des services du Procureur du district de Philadelphie (versée au dossier de la procédure d’expulsion au Canada) indiquant qu’il engagerait une procédure d’extradition si nécessaire. L’éventuel refus du Ministre de solliciter des assurances aurait alors pu faire l’objet d’un contrôle par les tribunaux internes. En «esquivant» le processus d’extradition et en renvoyant l’auteur condamné à mort, l’État partie aurait commis une violation des droits consacrés aux articles 6 et 7 du Pacte et au paragraphe 3 de l’article 2 car, contrairement à ce qui s’était passé dans l’affaire Kindler, il n’a pas examiné la question de savoir s’il y avait lieu de demander des assurances.

9.4Pour ce qui est de la question de savoir si l’État partie a violé les droits de l’auteur en l’expulsant avant qu’il ait pu se prévaloir de toutes les possibilités de contester la décision, l’auteur fait valoir que l’interprétation que donne l’État partie de ses obligations est trop restrictive et que les affaires de condamnation à mort exigent un examen particulier. En l’expulsant dans les quelques heures qui ont suivi l’arrêt de la Cour supérieure du Québec (rendu tard dans la soirée) l’État partie aurait fait en sorte que les questions concernant les droits civils soulevées par l’auteur ne puissent pas faire l’objet d’une nouvelle révision.

9.5L’auteur fait valoir que cette conception restrictive est contraire au libellé de l’Observation générale relative à l’article 2: «Le Comité estime nécessaire d’appeler l’attention des États parties sur le fait que les obligations que leur impose le Pacte ne se limitent pas au respect des droits de l’homme, et qu’ils se sont également engagés à assurer la jouissance de ces droits à toutes les personnes relevant de leur juridiction.». En expulsant l’auteur dans des conditions telles qu’il était certain qu’il ne pourrait se prévaloir de son droit d’appel, l’État partie n’a pas seulement violé le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte mais aussi l’esprit de cette observation générale.

9.6L’auteur fait valoir que le Ministre a une certaine latitude en vertu de l’article 48 de la loi sur l’immigration et qu’il n’était pas tenu de l’expulser «immédiatement». De même la jurisprudence canadienne reconnaît que le Ministre a le devoir d’exercer cette faculté au cas par cas. Il renvoie à l’affaire Wang v.  The Minister of Citizenship & Immigrationoù le tribunal a statué que «le pouvoir discrétionnaire s’exerce seulement pour déterminer s’il faut ou non recourir à une autre procédure qui peut priver d’effet ou rendre inexécutoire l’arrêté d’expulsion, l’objet de cette procédure étant de déterminer si l’expulsion exposerait l’intéressé à un risque de mort ou d’une autre peine extrême». L’auteur estime que d’après ce principe il n’aurait pas dû être expulsé tant qu’il n’avait pas eu la possibilité de se prévaloir d’un recours en appel. D’après lui, si l’expulsion n’avait pas empêché l’exercice de ce droit d’appel, le système judiciaire canadien se serait encore trouvé saisi de l’affaire quand la Cour suprême du Canada a statué, dans l’affaire United States of America v. Burns, que sauf circonstances rigoureusement exceptionnelles, dans tous les cas où la peine capitale pourrait autrement être appliquée, il faut demander des assurances; il aurait donc bénéficié de cet arrêt.

9.7En réponse à l’argument de l’État partie (par. 8.13) qui fait valoir que «la question de savoir s’il était tenu de demander l’assurance que l’auteur ne serait pas exécuté aurait pu être portée devant les tribunaux internes», l’auteur objecte que l’État partie a mal interprété sa situation juridique. Les procédures engagées par l’auteur au Canada visaient à obtenir un sursis à la mesure d’expulsion afin de contraindre les États‑Unis à demander l’extradition et ce n’est qu’à ce moment‑là que la question de la demande de garanties aurait pu être soulevée.

9.8En ce qui concerne sa situation juridique actuelle, l’auteur conteste que la date de l’exécution n’a pas été fixée. Il affirme que le Gouverneur a signé le 22 octobre 2002 un ordre d’exécution et que l’exécution avait été fixée au 10 décembre 2002. Toutefois elle a été reportée en attendant que la Cour de district fédérale se prononce sur l’habeas corpus.

Délibérations du Comité

10.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Question 1.Étant donné qu’il a aboli la peine de mort, le Canada a‑t‑il commis une violation du droit à la vie énoncé à l’article 6 du Pacte, du droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, énoncé à l’article 7, ou du droit de disposer d’un recours utile, énoncé au paragraphe 3 de l’article 2, en expulsant l’auteur vers un État dans lequel il était sous le coup d’une condamnation à mort, sans s’assurer que la peine ne serait pas exécutée?

10.2Pour examiner les obligations du Canada en tant qu’État partie qui a aboli la peine capitale quand il expulse des personnes dans un autre pays où elles sont sous le coup d’une condamnation à mort, le Comité rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Kindlerc. Canada et réaffirme qu’il ne considère pas que le renvoi d’un individu se trouvant dans un pays qui a aboli la peine capitale vers un pays où il est sous le coup d’une condamnation à mort constitue en tant que tel une violation de l’article 6 du Pacte. Le raisonnement du Comité dans cette décision découlait d’une interprétation du Pacte selon laquelle le paragraphe 1 de l’article 6 était lu conjointement avec le paragraphe 2 de ce même article, qui n’interdit pas l’imposition de la peine capitale pour les crimes les plus graves. Le Comité a considéré que comme le Canada n’avait pas prononcé lui‑même la peine capitale mais avait extradé l’auteur vers les États‑Unis où il risquait la peine capitale puisqu’elle n’était pas abolie, l’extradition en soi ne constituerait pas une violation par le Canada à moins qu’il n’y ait un risque réel de violation, aux États‑Unis, des droits garantis par le Pacte. Sur la question des garanties, le Comité a considéré que le texte de l’article 6 n’obligeait pas nécessairement le Canada à refuser l’extradition ou à demander des assurances mais que cette demande devait à tout le moins être envisagée par l’État qui procédait au renvoi.

10.3Tout en reconnaissant qu’il doit veiller à la cohérence de sa jurisprudence, le Comité relève qu’il peut y avoir des situations exceptionnelles dans lesquelles un réexamen de la portée de l’application des droits protégés par le Pacte est nécessaire, par exemple le cas où une violation alléguée porte sur le droit le plus fondamental − le droit à la vie − et en particulier s’il y a eu une évolution notable dans les faits et dans le droit et des changements dans l’opinion internationale au sujet de la question. Le Comité souligne que la décision invoquée comme jurisprudence a été rendue il y a plus de 10 ans et que depuis lors il est apparu un consensus international grandissant en faveur de l’abolition de la peine capitale et, dans les États qui ne l’ont pas abolie, un consensus grandissant en faveur de la non‑exécution de cette peine. Le Comité note un fait important, à savoir que depuis l’affaire Kindler, l’État partie lui‑même a reconnu la nécessité de modifier sa propre loi interne de façon à garantir la protection des personnes qu’il extrade et qui sont sous le coup d’une condamnation à mort dans l’État requérant, avec la décision dans l’affaire United  States v. Burns. Dans cette affaire la Cour suprême du Canada a statué que le Gouvernement était tenu de demander des assurances, dans tous les cas sauf circonstances rigoureusement exceptionnelles, que la peine capitale ne serait pas appliquée, avant d’extrader un individu dans un État où il risque la peine capitale. Il est important de relever que selon les termes de cet arrêt «les autres pays abolitionnistes ne procèdent pas, en général, à l’extradition sans obtenir de garanties». Le Comité estime que le Pacte devrait être interprété comme un instrument vivant et que les droits qu’il protège devraient être appliqués dans le contexte et à la lumière de la situation d’aujourd’hui.

10.4Pour étudier la question de l’application de l’article 6, le Comité note que, comme il est prescrit par la Convention de Vienne sur le droit des traités, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, qui dispose que «le droit à la vie est inhérent à la personne humaine…» est une règle générale qui vise à protéger la vie. Les États parties qui ont aboli la peine de mort sont tenus en vertu de ce paragraphe de protéger la vie dans toutes les circonstances. Les paragraphes 2 à 6 de l’article 6 ont de toute évidence été inclus afin d’éviter que le premier paragraphe de l’article 6 ne puisse être interprété comme abolissant la peine de mort. Cette interprétation de l’article est confortée par les premiers mots du paragraphe 2 («Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie…») et par le paragraphe 6 («Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale par un État partie au présent Pacte.»). En effet, les paragraphes 2 à 6 ont la double fonction de créer une exception au droit à la vie du fait de l’existence de la peine de mort et d’imposer des limites à la portée de cette exception. Ce n’est que quand la peine capitale est prononcée alors qu’un certain nombre d’éléments précis sont réunis que l’exception peut s’appliquer. Au nombre de ces éléments restrictifs figure celui qui est exprimé au début du paragraphe 2, c’est‑à‑dire que seuls les États «où la peine de mort n’a pas été abolie» peuvent se prévaloir des exceptions créées aux paragraphes 2 à 6. Les pays qui ont aboli la peine de mort sont tenus de ne pas exposer un individu au risque réel de son application. Ils ne peuvent donc pas renvoyer quelqu’un de leur juridiction, par voie d’expulsion ou d’extradition, s’il peut être raisonnablement prévu que l’intéressé sera condamné à mort, sans obtenir la garantie que la peine capitale ne sera appliquée.

10.5Le Comité reconnaît qu’avec cette interprétation des paragraphes 1 et 2 de l’article 6, les États parties qui ont aboli la peine de mort et ceux qui la maintiennent sont traités différemment. Il considère toutefois qu’il s’agit là d’une conséquence inévitable du libellé de la disposition elle‑même qui, comme il ressort clairement des travaux préparatoires, visait à concilier des opinions très divergentes sur la question de la peine de mort, afin d’obtenir un compromis parmi les rédacteurs. Le Comité note qu’il ressort des travaux préparatoires que d’une part certains ont exprimé l’idée que l’un des principes fondamentaux du Pacte devrait être l’abolition mais que d’autre part il avait été souligné que la peine capitale existait dans certains pays, pour lesquels l’abolition créerait des difficultés. De nombreux représentants et organes participant à l’élaboration du Pacte considéraient que la peine capitale était une «anomalie» ou un «mal nécessaire». Il semblerait donc logique d’interpréter la règle énoncée au paragraphe 1 de l’article 6 dans un sens large et d’interpréter le paragraphe 2, qui concerne la peine capitale, dans un sens étroit.

10.6Pour ces raisons, le Comité considère que le Canada, en tant qu’État partie qui a aboli la peine capitale, indépendamment du fait qu’il n’a pas encore ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, a commis une violation du droit à la vie garanti au paragraphe 1 de l’article 6 en expulsant l’auteur vers les États-Unis alors qu’il est sous le coup d’une condamnation à mort, sans demander l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Le Comité reconnaît que le Canada n’a pas prononcé lui‑même la peine capitale mais estime qu’en renvoyant l’auteur vers un pays où il est condamné à mort, il a établi le lien essentiel de la chaîne de causalité qui rendrait possible l’exécution de l’auteur.

10.7En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel sa conduite doit être appréciée à la lumière de la loi applicable au moment où la violation présumée de l’instrument a eu lieu, le Comité estime que la protection des droits de l’homme évolue et que les droits consacrés par le Pacte devraient en principe être interprétés dans le contexte du moment de l’examen et non, comme l’affirme l’État partie, en se référant à l’époque où la violation présumée a eu lieu. Le Comité note également qu’avant l’expulsion de l’auteur vers les États-Unis, la position du Comité concernant les États parties qui avaient aboli la peine capitale (et étaient parties au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits de l’homme, qui vise à l’abolition de la peine de mort) était en train d’évoluer, passant de la question de savoir si la peine capitale appliquée après expulsion vers un autre État constituerait une violation du Pacte à celle de savoir s’il existait un risque réel d’application de la peine capitale en tant que telle (communication no 692/1996, A. R. J c. Australie, constatations adoptées le 28 juillet 1997 et communication no 706/1996, G. T. c. Australie, constations adoptées le 4 novembre 1997). En outre, les préoccupations de l’État partie concernant la rétroactivité que pourrait supposer la présente approche n’ont pas d’incidence sur les questions distinctes qui doivent être traitées au titre de la question 2 ci-après.

Question 2.L’État partie a reconnu que l’auteur avait été expulsé vers les États‑Unis avant d’avoir pu exercer le droit de faire appel du rejet de sa demande de sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion devant la Cour d’appel du Québec. Par suite, l’auteur n’a pas pu exercer les autres recours dont il aurait pu disposer. En expulsant l’auteur vers un État où il était sous le coup d’une condamnation à mort avant que celui‑ci n’ait pu se prévaloir de toutes les possibilités de contester la décision d’expulsion, l’État partie a‑t‑il violé les droits garantis par les articles 6 et 7 et le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte?

10.8Pour ce qui est de la question de savoir si l’État partie a commis une violation des droits consacrés à l’article 6 et au paragraphe 3 de l’article 2 en expulsant l’auteur vers les États‑Unis où il était sous le coup d’une condamnation à mort, avant qu’il n’ait pu exercer le droit de faire appel du rejet de sa demande de sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion devant la cour d’appel du Québec et parce qu’il n’a donc pas pu exercer les autres recours qui auraient pu lui être ouverts, le Comité relève que l’État partie a expulsé l’auteur de sa juridiction dans les heures qui ont suivi la décision de la Cour supérieure du Québec, cherchant apparemment à l’empêcher d’exercer son droit de recours devant la cour d’appel. Les informations dont dispose le Comité ne permettent pas de déterminer clairement dans quelle mesure la cour d’appel aurait pu examiner l’affaire mais l’État partie reconnaît lui‑même que, comme la Cour supérieure a rejeté la requête de l’auteur pour des raisons de procédure et de fond (voir plus haut, par. 4.5), la cour d’appel aurait pu réexaminer le jugement sur le fond.

10.9 Le Comité rappelle sa décision dans l’affaire A. R. J. c. Australie, affaire d’expulsion dans laquelle il n’avait pas établi de violation de l’article 6 de la part de l’État qui avait renvoyé l’intéressé parce qu’il n’y avait pas de raison de croire qu’il serait condamné à mort et parce que «les autorités judiciaires … [et] les autorités d’immigration saisies de l’affaire [s’étaient] abondamment renseignées» quant à une violation possible de l’article 6. Dans la présente affaire, le Comité estime que, en empêchant l’auteur d’exercer un recours disponible en vertu du droit interne, l’État partie n’a pas démontré qu’il avait suffisamment pris en considération l’argument de l’auteur selon lequel son expulsion dans un pays où il risquait d’être exécuté constituerait une violation de son droit à la vie. L’État partie dispose d’un système de recours conçu pour protéger les droits de tout requérant, y compris l’auteur, et en particulier le plus fondamental de tous – le droit à la vie. Étant donné que l’État partie a aboli la peine de mort, la décision d’expulser l’auteur vers un État où il est condamné à mort sans lui donner la possibilité de se prévaloir d’une voie de recours disponible a été prise arbitrairement et en violation de l’article 6 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

10.10 Ayant conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 6 pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité ne juge pas nécessaire d’étudier si les mêmes faits constituent une violation de l’article 7 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Canada du paragraphe 1 de l’article 6, pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur a droit à un recours utile qui devrait consister à effectuer toutes les démarches possibles auprès de l’État dans lequel il a été renvoyé pour empêcher l’exécution de la peine de mort.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M.  Nisuke Ando , membre du Comité, concernant la décision adoptée le 17 juillet 2002 par le Comité concernant la recevabilité de la communication n o  829/1998 ( Judge c. Canada )

Je regrette de ne pouvoir souscrire à la conclusion du Comité énoncée au paragraphe 7.8 dans laquelle le Comité appelle l’attention tant de l’auteur que de l’État partie sur les deux questions qui y sont mentionnées et qui se rapportent aux articles 6, 7 et 2 du Pacte et les invite à présenter leurs observations à ce propos.

Dans sa décision sur la recevabilité de la communication, le Comité indique clairement que la communication est irrecevable en ce qu’elle se rapporte à des questions au titre des articles 7, et 10 (par. 7.4), de l’article 6 (par. 7.5) et du paragraphe 5 de l’article 14 (par. 7.7), et il conclut cependant que les faits présentés par l’auteur soulèvent les deux questions susmentionnées. Je crois comprendre que, dans la présente communication, tant l’auteur que l’État partie ont présenté leur cause à la lumière de la jurisprudence antérieure du Comité relative à l’affaire n° 470/1991 (J. Kindler c. Canada) parce que, dans les deux communications, les faits pertinents sont très semblables, voire presque identiques. C’est aussi ce que suggère l’argumentation du Comité dans la présente communication. Dans ces conditions, je considère qu’il est illogique que le Comité conclue, d’une part, que la communication est irrecevable pour ce qui est des questions soulevées au titre des articles 7, 10, 6 et du paragraphe 5 de l’article 14, mais que, d’autre part, cette communication soulève des questions au titre des articles 6, 7 et 2, à moins qu’il ne précise comment ces contradictions apparentes peuvent être levées. La simple référence à «la gravité de ces questions» (par. 7.8) ne suffit pas. D’où la présente opinion individuelle!

(Signé) Nisuke Ando

Opinion individuelle de M me Christine Chanet , membre du Comité, relative à la décision adoptée le 17 juillet 2002 par le Comité concernant la recevabilité de la communication n o  829/1998 ( Judge c. Canada )

Contrairement à sa position adoptée dans l’affaire Kindler c. Canada, le Comité dans la présente espèce aborde de front la question essentielle: «étant donné qu’il a aboli la peine de mort, le Canada a‑t‑il violé le droit de l’auteur à la vie énoncé à l’article 6 du Pacte en l’expulsant vers un État dans lequel il était sous le coup d’une condamnation à mort sans s’assurer que la peine ne serait pas exécutée».

Je ne peux que souscrire à cette approche que j’avais évoquée pour la souhaiter dans le cas Kindler; tel était le point de départ de mon opinion individuelle dans ce dernier cas.

De mon point de vue, une telle interrogation excluait une réponse telle que celle qui est apportée par le Comité dans la présente affaire au regard de la violation par le Canada du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

En effet, la position adoptée par le Comité sur ce point implique que ce dernier se reconnaît compétent pour examiner l’argumentation de l’auteur relative à une éventuelle violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte résultant du caractère irrégulier de la procédure suivie à l’égard de l’auteur aux États‑Unis; cette approche est identique à celle adoptée dans l’affaire Kindler (art. 14, par. 3).

À mon sens, si le Comité peut se déclarer compétent pour évaluer un risque tenant à la vie (peine de mort) ou à l’intégrité physique (torture), il lui est plus difficile de fonder une constatation de violation dans un État partie au Pacte sur le non‑respect par un État tiers d’une disposition du Pacte.

Adopter une approche contraire revient à exiger d’un État partie qui met en cause le respect des droits de l’homme dans ses relations avec un État tiers qu’il se porte garant du respect par l’État tiers de tous les droits garantis par le Pacte à l’égard de la personne concernée.

Pourquoi pas? La garantie des droits de l’homme y trouverait certainement son compte, mais des problèmes juridiques et pratiques sont aussitôt posés:

Qu’est‑ce qu’un État tiers? Qu’en est‑il d’un État non partie au Pacte? Qu’en est‑il d’un État partie au Pacte mais étranger à la procédure? L’obligation de l’État partie au Pacte dans ses relations avec les États tiers couvre‑t‑elle tous les droits du Pacte ou seulement certains d’entre eux; un État adhérant au Pacte pourrait‑il faire une réserve pour écarter l’application du Pacte dans ses relations bilatérales avec un État?

Outre la complexité des réponses à ces questions, l’application pratique de la solution «maximaliste» est encore plus délicate.

En effet, le Comité peut s’assurer que l’État partie n’a pas pris de risques inconsidérés; il peut se prononcer éventuellement sur les assurances prises par l’État partie à cette fin mais il ne pourra pas être en mesure d’apprécier réellement si l’État tiers a violé les droits garantis par le Pacte dès lors que cet État n’est pas partie à la procédure.

Aussi le Comité aurait dû, à mon sens, dans le cas présent, éviter de se prononcer, en l’état sur le paragraphe 5 de l’article 14, et attendre la réponse de l’État partie sur la question fondamentale de l’expulsion par un État abolitionniste vers un pays où la personne expulsée risque l’exécution capitale, la question du paragraphe 5 de l’article 14 ne se posant pas dans les mêmes termes suivant que la réponse à la première question est positive ou négative.

Si un État abolitionniste ne peut pas expulser ou extrader une personne vers un État où elle peut être exécutée, cette interdiction rend superfétatoire la question de savoir si la procédure suivie dans cet État est régulière.

En revanche, si le Comité maintient sa jurisprudence Kindler, il conviendra d’analyser de manière approfondie la question des obligations au regard du Pacte d’un État partie dans ses relations avec un État tiers.

(Signé) Christine Chanet

Opinion dissidente de M.  Hipólito Solari ‑Yrigoyen , membre du Comité, au sujet de la décision adoptée le 17 juillet 2002 par le Comité concernant la recevabilité de la communication n o  829/1998 ( Judge c. Canada )

Mon opinion individuelle concerne les paragraphes suivants de la décision qui, à mon sens, devraient être libellés comme suit:

Le Comité considère que le conseil de l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle le droit à la vie consacré à l’article 6 du Pacte et le droit consacré au paragraphe 5 de l’article 14 ont été violés par l’État partie quand il a expulsé l’auteur vers les États‑Unis où il est condamné à mort, et estime que sa plainte est compatible avec le Pacte. En conséquence le Comité déclare que cette partie de la communication est recevable et qu’elle doit être examinée au fond.

Examen de la communication quant au fond

En ce qui concerne l’allégation de violation par le Canada de l’article 6 du Pacte, constituée par l’expulsion de l’auteur vers les États‑Unis, où il est condamné à mort, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que, quand un État qui a aboli la peine de mort, expulse un individu vers un pays où, étant sous le coup d’un arrêt de mort, il peut être exécuté, l’État qui procède à l’extradition doit s’assurer qu’il n’y a pas de risque réel de violation des droits consacrés à l’article 6 du Pacte.

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteur pouvait encore exercer des recours supplémentaires en révision: déposer une requête auprès de la juridiction des recours ordinaires en vertu de la loi de Pennsylvanie sur les recours après condamnation, déposer une demande d’ordonnance d’habeas corpus auprès de la Cour de district des États‑Unis pour le district est de Pennsylvanie, déposer une requête en grâce auprès du Gouverneur de Pennsylvanie et former un recours auprès de la Cour suprême de Pennsylvanie. Le Comité relève que la révision automatique de la condamnation par la Cour suprême de Pennsylvanie a eu lieu en l’absence de l’auteur puisque celui‑ci se trouvait incarcéré au Canada. Certes il était représenté par un conseil mais ce tribunal suprême n’a pas procédé à une révision complète de l’affaire; il n’a pas examiné la question de savoir si les preuves avaient été suffisantes ni les possibles erreurs judiciaires ni la question de l’adéquation de la peine. Ce genre de révision ne satisfait pas aux garanties prévues au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte qui exige une évaluation complète des preuves et de tous les incidents d’instance. Le Comité estime que de telles insuffisances dans une affaire de condamnation à mort équivalant à une violation du droit à un procès équitable en infraction au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; il estime en outre que le fait que l’auteur se soit enfui des États‑Unis pour éviter la peine de mort n’exonère pas le Canada des obligations qu’il a contractées en vertu du Pacte. Pour ces raisons, le Comité considère que l’État partie a commis une violation de l’article 6 du Pacte en conséquence de la violation du paragraphe 5 de l’article 14.

Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’il ne pouvait s’appuyer sur aucune loi pour maintenir l’auteur en détention, à expiration de sa condamnation et qu’il était donc obligé de l’expulser. Le Comité estime que cette réponse n’est pas satisfaisante pour trois raisons: 1) l’État partie a expulsé l’auteur en sachant que celui‑ci n’aurait pas la possibilité de former recours contre le jugement dans une affaire de peine capitale; 2) il a expulsé l’auteur si rapidement que celui‑ci n’a pas pu former recours contre l’arrêté d’expulsion; 3) en l’espèce le Canada a agi unilatéralement et ne peut pas invoquer les obligations découlant du traité d’extradition signé avec les États‑Unis étant donné que ce pays n’a à aucun moment demandé l’extradition de l’auteur.

Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que le Canada a violé l’obligation qui lui est faite à l’article 2 du Pacte de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte car, quand il a expulsé l’auteur vers les États‑Unis il n’a pas pris les précautions nécessaires pour s’assurer que les États‑Unis respecteraient entièrement les droits consacrés à l’article 6 et au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Le Comité des droits de l’homme demande à l’État partie de faire d’urgence tout ce qui est en son pouvoir pour éviter que la peine de mort ne soit appliquée ou pour permettre la révision complète de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. L’État partie est tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile et exécutoire en cas de violation, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente décision. L’État partie est également prié de rendre publique la présente décision.

(Signé) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah , membre du Comité (concordante)

J’approuve entièrement la révision par le Comité de l’approche qu’il avait adoptée dans le cadre de l’affaire Kindlerc. Canada en ce qui concerne l’interprétation correcte à donner au «droit inhérent à la vie» garanti par le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Cette interprétation révisée est fort bien expliquée aux paragraphes 10.4 et 10.5 des présentes constatations du Comité. Je souhaite néanmoins formuler trois observations.

Premièrement, s’il est encourageant de noter, comme le fait le Comité au paragraphe 10.3 des présentes constatations, qu’il y a un consensus international grandissant en faveur de l’abolition de la peine capitale, il convient de rappeler que, même à l’époque où le Comité élaborait ses constatations concernant l’affaire Kindler. il y a une dizaine d’années, il était très divisé sur la question des obligations incombant à un État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte lorsqu’il est confronté à la décision d’expulser ou non un individu vers un autre État où il a été condamné à mort. Pas moins de cinq membres du Comité avaient formulé des opinions dissidentes, précisément sur la nature, l’application et l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Les raisons qui avaient conduit ces cinq membres à se désolidariser des constatations du Comité sont exposées dans des opinions individuelles figurant en annexe à la présente opinion et portant les lettres A, B, C, D et E. Dans le cas de l’opinion E, seuls les arguments les plus pertinents sont reproduits (par. 19 à 25).

Ma deuxième remarque est que d’autres dispositions du Pacte, en particulier les articles 5 (par. 2) et 26, peuvent être pris en compte pour interpréter le paragraphe 1 de l’article 6, comme l’ont fait remarquer certains membres du Comité dans leurs opinions individuelles.

Enfin, il est également encourageant de constater que la Cour suprême du Canada a statué que dans des affaires analogues, le Gouvernement devait, sauf circonstances exceptionnelles, obtenir, comme l’a noté le Comité, des garanties. Je me demande dans quelle mesure ces circonstances exceptionnelles peuvent être envisagées étant donné l’autonomie du paragraphe 1 de l’article 6 et le possible impact du paragraphe 2 de l’article 5, ainsi que de l’article 26, qui régit le comportement législatif, exécutif et judiciaire des États parties. C’est là une question sur laquelle le Comité aura à se prononcer le moment venu, dans le cadre d’une autre affaire.

(Signé) Rajsoomer Lallah

APPENDICE

Opinions individuelles, présentées conformément au paragraphe 3 de l’article 94 du Règlement intérieur du Comité des droits de l’homme, concernant les constatations du Comité relatives à la communication n o  470/1991 ( Joseph Kindler c. Canada )

A. Opinion individuelle de M. Bertil Wennergren(dissidente)

Je ne peux souscrire aux constatations du Comité qui a conclu qu’il n’y avait pas de violation de l’article 6 du Pacte. À mon avis, le Canada a violé le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte en extradant l’auteur vers les États‑Unis sans s’être assuré que sa vie ne serait pas en danger, c’est-à-dire que la sentence de mort prononcée contre lui ne serait pas exécutée. Mes raisons sont les suivantes:

Premièrement, je voudrais expliquer comment j’interprète l’article 6 du Pacte. La Convention de Vienne sur le droit des traités stipule qu’«un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but». L’objet des dispositions de l’article 6 est la vie de la personne humaine et leur but, la protection de cette vie. C’est ce que souligne le paragraphe 1 qui garantit à chaque être humain le droit inhérent à la vie. Les autres dispositions de l’article 6 ont un objet secondaire et subsidiaire, à savoir autoriser les États parties qui n’ont pas aboli la peine capitale à y recourir jusqu’à ce qu’ils se sentent prêts à l’abolir. Au cours des travaux préparatoires du Pacte, un grand nombre de représentants de gouvernements et d’organes participant au processus de rédaction ont vu dans la peine de mort une «anomalie» ou un «mal nécessaire». Dans cette perspective, il semblerait logique d’interpréter au sens large le principe fondamental énoncé au paragraphe 1 de l’article 6 et d’interpréter de manière restrictive le paragraphe 2 qui traite de la peine de mort. La différence principale entre les constatations du Comité et mon opinion sur cette communication réside dans l’importance que j’attache au principe fondamental énoncé au paragraphe 1 de l’article 6 et dans ma conviction que ce qui est stipulé au paragraphe 2 au sujet de la peine de mort a un objectif limité qui ne peut en aucun cas l’emporter sur le principe essentiel consacré par le paragraphe 1.

Les dispositions du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte occupent une place prédominante par rapport aux autres dispositions de cet article; de plus, il ressort clairement de l’article 4 que ces dispositions ne souffrent aucune dérogation même dans le cas où un danger public menace l’existence de la nation. Cependant, aucune société n’a posé en postulat un droit absolu à la vie. Tous les droits de l’homme, y compris le droit à la vie, sont soumis au principe de la nécessité. Si la nécessité absolue l’exige, mais seulement dans ce cas, il peut être légitime de priver un individu de la vie pour l’empêcher de tuer d’autres personnes ou de provoquer une catastrophe. Pour la même raison, il est légitime d’envoyer des citoyens à la guerre et de les exposer ainsi au risque réel d’être tués. D’une façon ou d’une autre, le principe de la nécessité fait partie intégrante de tous les systèmes juridiques; le système juridique qui découle du Pacte ne fait pas exception.

Le paragraphe 2 de l’article 6 prévoit une exception pour les États parties qui n’ont pas aboli la peine de mort. Le Pacte les autorise à continuer à l’appliquer. Cette clause dérogatoire ne doit pas être interprétée comme justifiant le fait de priver des personnes de la vie même si elles ont été légalement condamnées à la peine de mort, et ne rend pas l’exécution d’une sentence de mort à proprement parler légale. Elle donne simplement la possibilité aux États parties d’être libérés de leurs obligations en vertu des articles 2 et 6 du Pacte, à savoir «respecter et garantir le droit à la vie de tous les individus qu se trouvent sur leur territoire et relèvent de leur compétence, sans distinction aucune», et leur permet d’établir une distinction en ce qui concerne les personnes coupables des «crimes les plus graves».

Le moyen le plus courant d’assurer la protection du droit à la vie est de sanctionner pénalement l’acte qui consiste à tuer des êtres humains. Cet acte est normalement désigné par les termes «homicide involontaire ou volontaire» ou «assassinat». En outre, il peut y avoir des omissions qui peuvent être placées dans la catégorie des crimes impliquant la privation volontaire de la vie comme l’inaction ou l’omission qui entraîne la mort d’une personne, par exemple le fait pour un médecin de laisser mourir un malade en omettant délibérément de brancher un appareil de maintien en vie, ou le fait de ne pas porter secours à une personne dans une détresse telle que sa vie soit en danger. La responsabilité pénale des particuliers et des représentants de l’État est engagée au même titre en cas de privation de la vie. La législation pénale fournit certaines orientations pour déterminer les limites à l’obligation qui incombe à tout État partie, en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, de protéger le droit à la vie des personnes relevant de sa juridiction.

Ce que le paragraphe 2 de l’article 6 ne fait pas, à mon avis, c’est de permettre aux États parties qui ont aboli la peine de mort de la rétablir ultérieurement. De cette façon, le caractère «dérogatoire» du paragraphe 2 a pour effet positif d’empêcher une prolifération des exécutions de condamnés à mort dans les États partie au Pacte. Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte a été élaboré et adopté afin d’encourager les États parties qui ne l’ont pas encore fait à abolir la peine de mort.

Les États‑Unis n’ont pas aboli la peine de mort et peuvent donc, conformément au paragraphe 2 de l’article 6, priver des individus de la vie en exécutant les sentences de mort légalement prononcées contre eux. L’applicabilité du paragraphe 2 de l’article 6 aux États‑Unis ne devrait pas toutefois être interprétée comme s’étendant à d’autres États lorsqu’ils doivent examiner des questions en rapport avec l’article 6 du Pacte conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 du pacte. La clause «dérogatoire» qui figure au paragraphe 2 ne s’applique qu’au niveau interne et ne concerne en l’espèce que les États‑Unis, en tant qu’État partie au Pacte.

En revanche, d’autres États sont, à mon avis, tenus de s’acquitter de leurs obligations en vertu du paragraphe 1 de l’article 6, c’est-à-dire de protéger le droit à la vie. Qu’ils aient ou n’aient pas aboli la peine capitale ne fait à mon avis aucune différence. La clause «dérogatoire» qui figure au paragraphe 2 ne s’applique pas dans ces conditions. Seul le principe énoncé au paragraphe 1 est applicable et doit être strictement appliqué. Un État partie ne doit pas aller à l’encontre du but du paragraphe 1 de l’article 6 en ne garantissant pas à toute personne la protection nécessaire pour que son droit à la vie ne soit pas menacé. Et, selon le paragraphe 1 de l’article 2, cette protection doit être garantie à tous les individus sans distinction aucune. Aucune distinction ne doit donc être établie sous prétexte par exemple qu’une personne a commis un «crime très grave».

La valeur de la vie est incommensurable pour tout être humain et le droit à la vie consacré par l’article 6 du Pacte est le droit suprême. Les États parties au Pacte ont l’obligation de protéger la vie de tous les êtres humains qui se trouvent sur leur territoire et relèvent de leur compétence. Si des questions en rapport avec la protection du droit à la vie se posent, la priorité ne doit pas être accordée aux lois internes d’autres pays ou aux articles de traités (bilatéraux). Le pouvoir discrétionnaire, de quelque nature qu’il soit, prévu dans un traité d’extradition ne peut être exercé car les obligations découlant du Pacte l’emportent. Il convient de répéter qu’aucun État ne peut déroger aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 6. C’est la raison pour laquelle, à mon avis, le Canada a violé le paragraphe 1 de l’article 6 en acceptant d’extrader M. Kindler vers les États‑Unis sans avoir obtenu l’assurance que la peine de mort prononcée contre lui ne serait pas appliquée.

B. Wennergren

[Texte en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.]

B. Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah(dissidente)

1.Je ne puis souscrire aux constatations du Comité selon lesquelles les faits qui lui ont été exposés ne révèlent pas de violation par le Canada de l’une quelconque des dispositions du Pacte.

2.1Je commencerai par dire que je partage l’avis du Comité, exprimé au paragraphe 13.1 du texte des constatations, selon lequel ce qui est en jeu ce n’est pas de savoir si les droits de M. Kindler ont été ou risquent d’être violés aux États-Unis et un État qui est partie au Pacte est tenu de veiller à s’acquitter de tous les autres engagements juridiques qu’il pourrait avoir contractés en vertu d’un traité bilatéral d’une manière qui soit compatible avec ses obligations en vertu du Pacte. Je partage aussi le point de vue du Comité, exprimé au paragraphe 13.2, selon lequel si un État partie procède à l’extradition d’une personne dans des circonstances telles qu’il en résulte un risque réel que les droits de l’intéressé au regard du Pacte soient violés dans la juridiction vers laquelle il est extradé, l’État partie lui-même peut être coupable d’une violation du Pacte.

2.2Je me demande toutefois si le Comité a raison de conclure qu’en extradant M. Kindler et en l’exposant ainsi au risque réel d’être privé de la vie, le Canada n’a pas violé ses obligations au titre du Pacte. La question de savoir si l’auteur courait ce risque au regard du Pacte dans son application concrète au Canada, doit être examinée, comme le Comité le fait, à la lumière de la décision du Canada d’abolir la peine de mort pour tous les délits civils par opposition aux infractions militaires, décision à laquelle il a été donné effet dans le droit canadien.

2.3La question qui se pose est de savoir quelles sont exactement les obligations du Canada en ce qui concerne le droit à la vie garanti par l’article 6 du Pacte même lu séparément et peut-être, éventuellement, à la lumière d’autres dispositions pertinentes du Pacte telles que l’article 26 qui garantit l’égalité de traitement devant la loi et des obligations découlant de l’article 5 (2) qui n’admet aucune restriction ou dérogation aux droits énoncés dans le Pacte sous prétexte que celui-ci ne les reconnaîtrait qu’à un moindre degré. Ce dernier élément aurait, à mon avis, toute son importance étant donné que le droit à la vie est un droit auquel le Canada accorde une protection plus large que celle qui pourrait être exigée par l’article 6 du Pacte, interprété de manière très restrictive.

2.4Il serait utile d’examiner chacune des conditions énoncées aux articles 6, 26 et 5 (2) du Pacte et leur rapport avec les faits exposés au Comité.

3.1Selon l’article 6 (1) du Pacte, le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Il en découle que ce droit doit être protégé par la loi et également que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. Il est certain que conformément à l’article 2 du Pacte, la législation interne doit normalement stipuler que toute violation de ce droit entraînera des sanctions pénales et des recours devant les juridictions civiles. Un État partie peut en outre accorder une protection appropriée à ce droit en abolissant la peine que constitue la privation de la vie par l’État lui‑même, lorsque la loi prévoyait auparavant une peine de ce type. Ou alors, dans le même but, l’État partie qui n’a pas aboli la peine de mort doit en limiter l’application aux cas prévus dans les autres paragraphes de l’article 6, en particulier au paragraphe 2. Mais, fait important, le paragraphe 6 a pour objet d’empêcher les États d’invoquer les dispositions de l’article 6 pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale. Et le Canada a décidé d’abolir cette peine pour les délits civils par opposition aux infractions militaires. On peut donc dire qu’en ce qui concerne les délits civils, les dispositions du paragraphe 2 ne sont pas applicables au Canada puisque le Canada n’est pas un État qui, aux termes de ce paragraphe, n’a pas aboli la peine de mort.

3.2Il me semble, en tout état de cause, que les dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 constituent en quelque sorte une dérogation au droit inhérent à la vie proclamé au paragraphe 1 et qu’elles doivent donc être interprétées au sens strict. On ne saurait à juste titre invoquer ces dispositions pour prendre des mesures ayant des effets négatifs sur le degré de respect et de protection à accorder à ce droit inhérent à la personne humaine que le Canada s’est engagé, en vertu du Pacte, «à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence». Conformément à cet engagement, le Canada a promulgué des mesures législatives en ce sens, allant jusqu’à abolir la peine de mort pour les délits civils. Dans le cas considéré, trois observations s’imposent.

3.3Premièrement, les obligations contractées par le Canada en vertu de l’article 2 du Pacte valent pour «tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence». Bien que M. Kindler ne soit pas citoyen canadien, le Canada a des obligations envers lui en sa qualité d’être humain se trouvant sur le territoire canadien. Deuxièmement, la notion même de «protection» exige l’adoption de mesures préventives préalables, en particulier en cas de privation de la vie. Lorsqu’on ôte la vie à quelqu’un, on ne peut pas la lui rendre. Ces mesures comprennent nécessairement la prévention de tout risque réel de privation de la vie. En extradant M. Kindler sans chercher à obtenir l’assurance que la peine de mort ne lui serait pas appliquée, comme il était en droit de le faire en vertu du Traité d’extradition, le Canada a réellement mis sa vie en danger. Troisièmement, on ne peut pas soutenir que le Canada applique des critères différents, par opposition à d’autres États. Il ressort du libellé même de l’article 6 que certaines de ses dispositions s’appliquent aux États où la peine de mort n’existe plus et d’autres à ceux qui ne l’ont pas encore abolie. En outre, l’application de critères différents peut malheureusement résulter des réserves que les États peuvent formuler à l’égard de tel ou tel article du Pacte, mais je m’empresse d’ajouter qu’il n’est pas certain que toutes les réserves puissent être considérées comme valides.

3.4Une autre question se pose à propos du paragraphe 1 de l’article 6 aux termes duquel nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. C’est la question de savoir s’il y a compatibilité entre le principe selon lequel les États doivent respecter et garantir d’égale façon le droit à la vie de tout individu et le fait que ce droit sera pleinement respecté et protégé conformément au droit canadien considéré dans son application globale, même s’il est énoncé sous différentes formes (législation pénale et loi sur l’extradition), tant que l’individu en question se trouvera sur le territoire canadien mais que le Canada pourrait très bien mettre fin à cet engagement en contraignant cet individu à quitter son territoire pour un autre État où l’acte fatal risque réellement d’être perpétré. Peut-on conclure de cette incompatibilité qu’il y a un risque réel de privation «arbitraire» de la vie au sens du paragraphe 1 de l’article 6 dans la mesure où un traitement inégal est en fait réservé à différentes personnes relevant pourtant de la même juridiction? Il semblerait que l’on puisse répondre par l’affirmative à cette question puisque le Canada n’a pas pu, par la voie judiciaire, condamner un individu à mort en vertu du droit canadien mais qu’il a pu en revanche, par le biais de l’exécutif et conformément à sa loi sur l’extradition, l’extrader vers un autre pays où il risque réellement d’être condamné à une telle peine.

3.5Pour toutes ces raisons, je pense que le Comité était fondé à conclure à une violation par le Canada de l’article 6 du Pacte.

4.Un examen de l’applicabilité des articles 26 et 5 du Pacte permettrait à mon avis d’étayer cette conclusion.

5.À la lumière des arguments avancés au paragraphe 3.4 ci-dessus, il semblerait que l’article 26 du Pacte qui garantit l’égalité devant la loi a été violé. L’égalité au sens de cet article comprend à mon avis l’égalité réelle en vertu des lois d’un État partie considérées dans leur totalité et dans leurs effets sur l’individu. On peut dire effectivement que l’on a réservé à M. Kindler un traitement différent de celui qui aurait été accordé à toute autre personne ayant commis le même délit au Canada. L’organe particulier de l’État par l’intermédiaire duquel le Canada a agi ainsi, c’est-à-dire le pouvoir judiciaire ou le pouvoir exécutif, importe peu en l’occurrence. L’article 26 réglemente le comportement du pouvoir aussi bien législatif qu’exécutif ou judiciaire d’un État partie. Tel est à mon avis le principe essentiel en matière d’égalité et de non‑discrimination en vertu du Pacte, qui garantit l’application des principes de droit dans un État partie.

6.Je doute fort que le Canada eût pris la décision d’extrader M. Kindler s’il avait dûment tenu compte des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5 (2), lu conjointement avec les articles 2, 6 et 26 du Pacte. Il semblerait que le Canada se soit plutôt attaché en fait à vérifier s’il existait des circonstances exceptionnelles justifiant l’imposition de la peine de mort à M. Kindler, sachant bien qu’en vertu du droit canadien, cette peine n’aurait pas pu lui être infligée au Canada même, pour le type de délit qu’il avait commis. Le Canada a pris la décision souveraine d’abolir la peine de mort pour les délits civils par opposition aux infractions militaires, garantissant ainsi mieux le respect et la protection du droit à la vie inhérent à la personne humaine. S’il avait appliqué l’article 5 (2), le Canada n’aurait pas, même si l’article 6 était interprété de manière très restrictive, invoqué cette interprétation restrictive pour limiter ce droit ou lui accorder une moindre protection en prenant une décision d’extradition même si celle‑ci est en principe autorisée par la loi canadienne sur l’extradition.

R. Lallah

[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.]

C. Opinion individuelle de M. Fausto Pocar(dissidente)

Tout en approuvant la décision du Comité pour ce qui est de la plainte relevant de l’article 7 du Pacte, je ne puis souscrire aux conclusions du Comité selon lesquelles en l’espèce, il n’y a pas eu de violation de l’article 6 du Pacte. À mon avis, il faut répondre par l’affirmative à la question de savoir si, du fait que le Canada a aboli la peine capitale sauf pour certaines infractions militaires, les autorités canadiennes auraient dû refuser l’extradition ou obtenir des États‑Unis l’assurance que la peine de mort ne serait pas infligée à M. Kindler.

En ce qui concerne la peine de mort, on se souviendra que, bien que l’article 6 du Pacte ne prescrive pas catégoriquement l’abolition de la peine capitale, il impose toute une série d’obligations aux États parties qui ne l’ont pas encore abolie. Comme le Comité l’a souligné dans son observation générale 6 (16), «d’une manière générale, l’abolition est évoquée dans cet article en des termes qui suggèrent sans ambiguïté que l’abolition est souhaitable». En outre, il ressort clairement des paragraphes 2 et 6 de l’article 6 que − dans certaines limites et en vue de son abolition future − la peine capitale est tolérée dans les États parties qui ne l’ont pas encore abolie mais ces dispositions ne doivent en aucun cas être interprétées comme autorisant un État partie à retarder l’abolition de la peine de mort ou, a fortiori, à en élargir la portée, à l’introduire, ou à la rétablir. En conséquence, un État partie qui a aboli la peine de mort a l’obligation légale, conformément à l’article 6 du Pacte, de ne pas la rétablir. Cette obligation concerne à la fois le rétablissement direct de la peine de mort sur le territoire de l’État en question et son rétablissement indirect, comme c’est le cas lorsque l’État agit de telle façon − par exemple en prenant une mesure d’extradition, d’expulsion ou de rapatriement forcé − qu’une personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence risque la peine capitale dans un autre État. J’en conclus donc que dans le cas considéré, il y a eu violation de l’article 6 du Pacte.

F. Pocar

[ Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.]

D. Opinion individuelle de M me  Christine Chanet(dissidente)

Les questions posées au Comité des droits de l’homme par la communication présentée par M. Kindler sont énoncées avec précision au paragraphe 14.1 de la décision du Comité.

Le paragraphe 14.2 n’appelle pas d’observation particulière de ma part.

En revanche, pour répondre aux questions ainsi identifiées au paragraphe 14.1, le Comité, afin de conclure à une non‑violation par le Canada de ses obligations au titre de l’article 6 du Pacte, est contraint de procéder à une analyse conjointe des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte.

Rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit là d’une interprétation correcte de l’article 6. En effet, chaque paragraphe des articles du Pacte doit pouvoir s’interpréter isolément, sauf indication contraire expressément mentionnée dans le texte lui-même ou se déduisant de la rédaction de celui-ci.

Tel n’est pas le cas en l’espèce.

La nécessité dans laquelle s’est trouvé le Comité de prendre les deux paragraphes à l’appui de son argumentation montre à l’évidence que chaque paragraphe pris isolément conduisait à une conclusion contraire, c’est-à-dire la constatation d’une violation.

Selon le paragraphe 1 de l’article 6, nul ne peut être arbitrairement privé du droit à la vie; ce principe est absolu et ne souffre aucune exception.

Le paragraphe 2 de l’article 6 commence par les termes «Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie…». Cette formule appelle une série de remarques:

Elle est négative, elle ne vise pas les pays dans lesquels la peine de mort existe, mais ceux dans lesquels elle n’a pas été abolie. L’abolition est la règle, le maintien de la peine capitale, l’exception.

Le paragraphe 2 de l’article 6 ne concerne que les pays dans lesquels la peine de mort n’a pas été abolie et exclut ainsi l’application du texte aux pays qui ont aboli la peine de mort.

Enfin, une série d’obligations sont imposées par le texte à ces États. Dès lors, en se livrant à une interprétation «conjointe» des deux premiers paragraphes de l’article 6 du Pacte, le Comité commet, à mon sens, trois erreurs de droit:

Une erreur, lorsqu’il applique à un pays qui a aboli la peine de mort, le Canada, un texte exclusivement réservé par le Pacte, et ce de manière expresse et dépourvue d’ambiguïtés, aux États non abolitionnistes.

La deuxième erreur, en considérant comme une autorisation de rétablir la peine de mort dans un pays qui l’aurait abolie, la simple reconnaissance implicite de son existence. Il s’agit là d’une interprétation extensive qui se heurte au démenti apporté par le paragraphe 6 de l’article 6 en vertu duquel «aucune disposition du présent article ne peut être invoquée à l’encontre de l’abolition de la peine capitale». Cette interprétation extensive, restrictive de droits, se heurte également aux dispositions de l’article 5, paragraphe 2, du Pacte selon lequel «Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits fondamentaux de l’homme reconnus ou en vigueur dans tout État partie au présent Pacte, en application de lois, de conventions, de règlements ou de coutumes, sous prétexte que le présent Pacte ne les reconnaît pas ou les reconnaît à un moindre degré». L’ensemble de ces textes interdit à un État de se livrer à une application distributive de la peine de mort. Rien dans le Pacte ne contraint un État à l’abolition, mais s’il a choisi d’abolir la peine capitale, le Pacte lui fait interdiction de la rétablir de manière arbitraire, fût-ce indirectement.

La troisième erreur commise par le Comité dans la décision Kindler est la conséquence des deux premières. En effet, considérant le Canada comme implicitement autorisé par l’article 6 (2) du Pacte à, d’une part, à rétablir la peine capitale et, d’autre part, à l’appliquer dans certains cas, le Comité, aux paragraphes 14.3, 14.4 et 14,5, comme s’il s’agissait d’un pays non abolitionniste, soumet le Canada à la vérification des obligations imposées aux États non abolitionnistes: peine applicables aux crimes les plus graves, jugement prononcé au terme d’un procès équitable, etc.

Cette analyse montre que selon le Comité, en extradant M. Kindler vers les États‑Unis, le Canada qui a aboli la peine de mort sur son territoire, l’a rétablie «par procuration» à l’égard d’une certaine catégorie de personnes placées sous sa juridiction.

Je partage cette analyse mais, à la différence du Comité, j’estime que ce comportement n’est pas autorisé par le Pacte.

De plus, après avoir ainsi rétabli la peine de mort par procuration, le Canada limite son application à une certaine catégorie de personnes: celles qui sont extradables vers les États‑Unis.

Le Canada reconnaît son intention de pratiquer ainsi afin de ne pas constituer un refuge pour les délinquants venant des États‑Unis. Son intention se manifeste par son abstention à solliciter des assurances selon lesquelles la peine de mort ne serait pas exécutée en cas d’extradition vers les États‑Unis, comme le lui permet son traité bilatéral d’extradition avec ce pays.

C’est donc délibérément que lorsqu’il extrade des personnes dans la situation de M. Kindler, le Canada les expose à l’application de la peine capitale dans l’État requérant.

En agissant ainsi, le choix opéré par le Canada à l’égard d’une personne relevant de sa juridiction selon qu’elle soit extradable vers les États‑Unis ou non, constitue une discrimination en violation des articles 2 (1) et 26 du Pacte.

Un tel choix portant sur le droit à la vie et laissant celui-ci «in fine» entre les mains du gouvernement qui pour des raisons de politique pénale décide ou non de solliciter des assurances que la peine de mort ne sera pas exécutée constitue une privation arbitraire du droit à la vie interdite par l’article 6 (1) du Pacte et, en conséquence, une méconnaissance par le Canada de ses engagements au titre de cet article du Pacte.

Ch. Chanet

[Texte établi en anglais, en espagnol et en français; version originale en français.]

E. Opinion dissidente de M. Francisco José Aguilar Urbina

19.Le problème que pose l’extradition sans demande de garanties de M. Kindler vers les États‑Unis est qu’il a ainsi été privé de l’exercice de ses droits conformément au Pacte. Si le paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte n’interdit pas la peine de mort, on ne saurait l’interpréter comme l’autorisant sans restriction. Tout d’abord, il faut l’interpréter à la lumière du paragraphe 1 de l’article 6 qui proclame que «le droit à la vie est inhérent à la personne humaine»: c’est un droit absolu qui ne souffre aucune exception. En deuxième lieu, ce paragraphe impose aux États qui n’ont pas aboli la peine de mort une limite à son application: elle ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves. Pour ceux qui l’ont abolie, ce paragraphe représente une barrière infranchissable. L’esprit de l’article 6 est d’éliminer la peine de mort comme sanction, et les limites qu’il impose ont un caractère absolu.

20.Ainsi, en pénétrant sur le territoire canadien, M. Kindler jouissait déjà d’un droit sans restriction à la vie. En l’extradant sans avoir demandé l’assurance qu’il ne serait pas exécuté, le Canada l’a privé de la protection dont il bénéficiait et l’a exposé de façon nécessaire à être condamné à mort et de façon prévisible à être exécuté. Le Canada a donc commis une violation de l’article 6 du Pacte.

21.Par ailleurs, étant donné que le Canada a donné une interprétation fausse au paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il se pose la question de savoir s’il a également violé l’article 5 (plus précisément son paragraphe 2). Le Gouvernement canadien a interprété le paragraphe 2 de l’article 6 comme autorisant la peine de mort. Pour cette raison, il a estimé que l’extradition de M. Kindler, même s’il est exposé de façon nécessaire à être condamné à mort et de façon prévisible à être exécuté, ne serait pas interdite par le Pacte puisque cet instrument autoriserait l’application de la peine de mort. En partant de cette interprétation fausse du Pacte, l’État partie affirme que l’extradition de M. Kindler ne serait pas contraire à cet instrument. À mon sens, le Canada a donc dénié à M. Joseph John Kindler un droit dont il jouissait sous sa juridiction, sous-entendant que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques accorderait une moindre protection que le droit interne, c’est-à-dire qu’il reconnaîtrait le droit à la vie dans une moindre mesure que la législation canadienne. Vu que son interprétation erronée du paragraphe 2 de l’article 6 a conduit le Gouvernement canadien à considérer que le Pacte reconnaissait le droit à la vie dans une moindre mesure que sa propre législation interne et à exciper de ce fait pour extrader l’auteur vers une juridiction où il sera inévitablement exécuté, il a commis également une violation du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte.

22.Il faut insister sur le fait que le Canada a donné une interprétation erronée du paragraphe 2 de l’article 6 et que, quand il a aboli la peine de mort, il a contracté l’obligation de ne pas l’appliquer sur son territoire directement (exception faite des infractions militaires pour lesquelles la peine est maintenue) ou indirectement, en remettant à un autre État un individu qui risque d’être exécuté ou qui va être exécuté. Ayant aboli la peine de mort, le Canada est tenu de garantir le droit à la vie de quiconque se trouve sous sa juridiction, sans aucune restriction.

23.Un dernier aspect dont il faut s’occuper est la façon dont M. Kindler a été extradé, sans qu’il soit fait cas de la requête du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications qui, conformément à l’article 86 du règlement intérieur du Comité des droits de l’homme, a demandé que l’auteur ne soit pas extradé tant que le Comité n’aurait pas communiqué à l’État partie ses vues définitives sur la communication (v). En ratifiant le Protocole facultatif, le Canada s’est engagé envers les autres États parties à respecter les procédures suivies au titre de cet instrument. En ayant procédé à l’extradition sans tenir compte de la requête du Rapporteur spécial, le Canada a manqué à la bonne foi qui doit régner entre les parties au Protocole et au Pacte.

24.Cela étant, ce fait soulève également la question de savoir s’il n’y a pas eu violation d’un autre article du Pacte: l’article 26. Le Canada n’a donné aucune explication sur les raisons pour lesquelles il a extradé aussi promptement l’intéressé, après qu’il eut appris que celui-ci avait adressé une communication au Comité. Par cet acte, condamnable au regard de ses obligations à l’égard de la communauté internationale, l’État partie a entravé l’exercice des droits qui appartenaient à l’auteur, en tant que sujet placé sous sa juridiction, et qui découlent du Protocole facultatif. Vu que le Protocole facultatif fait partie du droit canadien, toutes les personnes qui se trouvent sous la juridiction du Canada ont le droit d’adresser des communications au Comité des droits de l’homme pour que celui-ci examine leurs griefs. Il apparaît donc que M. Kindler a été extradé en raison de sa nationalité (w) et, comme il n’a eu aucune possibilité de se prévaloir de la protection accordée par le Protocole facultatif, on peut conclure que l’État partie a également commis une violation de l’article 26 du Pacte.

25.En conclusion, j’estime que le Canada a violé le paragraphe 2 de l’article 5 et les articles 6 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Je souscris en revanche à l’avis de la majorité du Comité qui a conclu qu’il n’y avait pas violation de l’article 7 du Pacte.

San Rafael de Escazú, Costa Rica, 12 août 1993Genève, 25 octobre 1993 (Révision)

[Fait en espagnol.]

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