NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.

RESTREINTE*

CAT/C/39/D/297/2006

29 novembre 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente - neuvième session

(5 – 23 novembre 2007)

DÉCISION

Communication No. 297/2006

Présentée par:Bachan Singh Sogi (représenté par un conseil, Me. Johanne Doyon)

Au nom de:Le requérant

État partie:Canada

Date de la requête:11 juin 2006 (lettre initiale)

Date de la présente décision16 novembre 2007

Objet: Expulsiondu requérant, présumé militant d’une organisation terroriste sikhe, vers son pays d’origine, malgré la demande des mesures intérimaires.

Question de fond: Risque de torture en cas d’expulsion du requérant vers son pays d’origine.

Questions de procédure: requête incompatible avec les dispositions de la Convention ; allégations non-suffisament étayées.

Articles de la Convention: 3 et 22

[ANNEXE]

GE.07-45625 ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente-neuvième session

Concernant la

Communication No. 297/2006

Présentée par:Bachan Singh Sogi (représenté par un conseil, Me. Johanne Doyon)

Au nom de:Le requérant

État partie:Canada

Date de la requête:11 juin 2006 (lettre initiale)

Date de la présente décision16 novembre 2007

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 16 novembre 2007,

Ayant achevé l’examen de la requête No. 297/2006, présentée au nom de Bachan Singh Sogi en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

Le requérant, M. Bachan Singh Sogi, ressortissant indien né en 1961, résidait au Canada au moment de l’introduction de la présente requête et faisait l’objet d’un arrêté d’expulsion vers l’Inde. Il affirme être victime d’une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Me. Johanne Doyon.

Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie par une note verbale en date du 14 juin 2006. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Inde tant que sa requête est en cours d’examen.

Le 28 juin 2006, le Comité a été informé par le requérant et l’État partie qu’il serait procédé au renvoi du requérant malgré la demande de sursis faite par le Comité.

Par note verbale du 30 juin 2006, le Comité a réitéré sa demande à l’État partie de surseoir au renvoi du requérant.

Le Comité a été informé par le conseil que le requérant avait été expulsé le 2 juillet 2006 et que les Services frontaliers du Canada refusaient de dévoiler la destination. L’État partie a confirmé le renvoi du requérant en Inde et a justifié cette décision sur le fait que ce dernier n’aurait pas établi un risque sérieux de torture dans son pays d’origine.

Le 5 juillet 2006, le conseil a informé le Comité que le requérant se trouvait dans une prison locale de Gurdaspur, au Pendjab (Inde) et que, selon des informations policières, il aurait été battu et maltraité par les autorités locales. Elle a ajouté qu’Amnistie Internationale avait accepté de surveiller et de faire un suivi du cas du requérant.

Exposé des faits

Selon le requérant, lui et sa famille étaient faussement accusés d’être des militants sikhs et, sur la base de cette supposition, ils se seraient faits arrêter et torturer à plusieurs reprises en Inde. Ce fait aurait forcé le requérant à quitter le pays.

La décision d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du 26 juin 2003 révèle que le requérant avait affirmé auprès des autorités canadiennes qu’il était fermier en Inde, au Pendjab, et que son domicile était situé près de la frontière pakistanaise, ce qui aurait motivé que lui et sa famille fussent forcés à diverses reprises à héberger des militants sikhs. En mai 1991, février 1993, août 1997, décembre 1997 et janvier 2001, le requérant aurait été arrêté par les autorités policières qui le soupçonnaient de faire parti du mouvement militant sikh. Il a expliqué que, à chaque fois qu’il y avait une attaque attribuable aux militants terroristes dans la région, des policiers se présentaient chez lui et fouillaient sa maison. Son frère et son oncle auraient été également accusés de terroristes et ce dernier aurait été tué par des forces de police en 1993. Son père, pour sa part, serait mort lors d’un échange de coups de feu entre des militants terroristes et des policiers en 1995.

Le requérant aurait séjourné au Royaume Uni de juillet 1995 à février 1997, où il aurait revendiqué le statut de réfugié. Sa revendication aurait été refusée en septembre 1996. Il aurait décidé de retourner en Inde alors que le parti Akali Dal venait d’être élu à la tête de la province en février 1997 et qu’il promettait de faire cesser la violence et les abus policiers dans l’état du Pendjab. À son retour, il aurait joint le parti Akali Dal. D’après lui, il aurait continué à être harcelé par les policiers- Son frère aurait à un moment décidé de quitter l’Inde pour le Canada, où on lui aurait reconnu le statut de réfugié. Ce fait aurait incité le requérant à fuir lui aussi l’Inde en mai 2001.

Le 8 mai 2001, le requérant est arrivé à Toronto et a revendiqué le statut de réfugié. En août 2002, le Service canadien des renseignements et de la Sécurité (SCRS) a émis un rapport énonçant qu’il y avait « des motifs raisonnables de croire que le requérant était membre de l’organisation terroriste Babbar Khalsa International (BKI) », une organisation sikhe présumée terroriste visant à créer un état indépendant sikh nommé « Khalistan » et comprenant le territoire indien du Pendjab. Sur la base de ce rapport, un mandat d’arrestation a été émis à son encontre, étant considéré comme un danger pour la sécurité nationale du Canada.

Le 8 octobre 2002, une enquête relativement au rapport visant le requérant comme membre d’une organisation terroriste a été diligentée et un ordre d’expulsion a été émis par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié contre lui.

Le requérant a présenté une demande de contrôle judiciaire contre la décision du 8 octobre 2002 ordonnant son expulsion. Le 8 décembre 2003, la Cour fédérale a conclu que l’agent d’enquête n’avait pas commis d’erreur en appréciant certains renseignements comme pertinents et ne devant pas être divulgués pour la protection de la sécurité nationale et a confirmé que ces renseignements ne devaient pas être divulgués mais que la Cour pouvait cependant en ternir compte. Cette décision a été confirmée en appel par décision du 28 mai 2004 de la Cour d’appel fédérale.

Parallèlement, le requérant a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). La décision ERAR rendue le 26 juin 2003 a considéré que, bien que le requérant avait nié toute implication au sein d’un quelconque mouvement militant au Pendjab, le rapport du SCRS avait conclu « qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il était membre du BKI et que, en utilisant plusieurs alias, il serait soupçonné d’avoir planifié des attentats contre plusieurs personnalités politiques en Inde. Considérant le profil qui fut établi pour le requérant, soit celui d’un membre présumé du BKI, le fait que le groupe BKI était sur la liste des entités terroristes internationales pour plusieurs pays, et les traitements infligés par les autorités policières aux présumés terroristes », la décision a conclu « qu’il existait des risques réels de torture et de traitements et peines cruels et inusités pour le requérant s’il retournait en Inde ».

Par décision du 2 décembre 2003, la déléguée du Ministre a rejeté la demande de protection du requérant. Tout en admettant l’existence d’un risque de torture en cas de déportation, et après un examen des intérêts en jeu, elle a conclu que l’intérêt général de la sécurité du Canda devait prévaloir dans le cas d’espèce. Elle a considéré qu’il y avait des éléments de preuve suffisants de l’appartenance du requérant à l’organisation BKI, ainsi que de son intention, en utilisant divers alias, d’assassiner des personnalités en Inde, y compris le Ministre en Chef et l’ancien Chef de Police au Pendjab.

Le requérant a présenté une demande de contrôle judiciaire contre la décision de la déléguée du Ministre du 2 décembre 2003. Le 11 juin 2004, la Cour fédérale de Toronto a observé que, selon la jurisprudence de la Cour suprême –en particulier, l’arrêt Suresh invoqué par le requérant-, la prohibition de la torture en droit international était « une norme impérative en devenir » et que ce droit rejetait les expulsions qui impliquaient un risque de torture, même lorsque la sécurité nationale était en jeu. Toutefois, elle a estimé que, dans le cas d’espèce, des circonstances exceptionnelles permettaient de conclure que le requérant était un « assassin expérimenté du BKI prêt à mentir pour se protéger », ces circonstances étant très différents à l’affaire Suresh précitée. La Cour a considéré que la déléguée du Ministre avait commis deux erreurs dans sa décision d’expulsion. Premièrement, la décision n’envisageait aucune mesure autre que l’expulsion, qui impliquait un risque de torture alors qu’une telle décision devait mettre en balance toute autre solution de rechange proposée pour réduire la menace. Deuxièmement, la décision d’expulsion ne définissait pas la menace à la sécurité nationale existante et n’expliquait pas suffisamment en quoi elle consistait. Par conséquent, la Cour a renvoyé la décision d’expulsion à la déléguée du Ministre afin qu’elle prépare une version révisée qui prenne en considération les solutions de rechange à l’expulsion proposées par le requérant et qui définie et explique précisément en quoi consistait la menace.

Le 6 juin 2005, la Cour d’appel a autorisé l’appel et a renvoyé le dossier pour une nouvelle évaluation d’ERAR. Une deuxième décision de l’ERAR a été rendue le 31 août 2005, concluant à nouveau que le requérant était à risque de torture en cas de retour en Inde compte tenu qu’il était soupçonné d’être un membre important de l’organisation BKI.

Le 11 mai 2006, une nouvelle décision de protection est rendue par la déléguée du Ministre qui, cette fois-ci, a considéré que, bien que le requérant pourrait être poursuivi en Inde pour son rôle prétendu dans des attentats, une nouvelle législation était entrée en vigueur protégeant les accusés contre des abus tolérés sous l’ancienne loi. Sur cette base, elle a conclu qu’il n’existait pas de risque de torture pour le requérant en cas de son retour en Inde. Elle a conclu aussi que ce dernier constituait un risque pour la sécurité nationale. Par conséquent, la demande de protection a été rejetée.

Teneur de la plainte

Le requérant allègue une violation de l’article 3 de la Convention. Il fait valoir que la décision du 2 décembre 2003 lui refusant la protection a utilisé des critères impertinents, tels que la nature et la gravité des actes passés ou le danger que la personne constitue pour la sécurité du Canada, contrevenait à la Convention, qui ne prévoit aucune exception au renvoi vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire que la personne renvoyée risquerait d’être soumise à la torture. Il rappelle que, dès lors qu’il a été démontré que la personne risque la torture, il est contraire aux principes énoncés par la Convention d’appliquer certains critères qui s’avèrent non pertinents afin de justifier le refus de protection. Il ajoute que la déléguée du Ministre, dans la décision de protection du 11 mai 2006, a utilisé également des critères non pertinents afin de justifier le refus de la protection au demandeur en l’instance, contrairement à la Convention et au droit international. Il affirme, en outre, que les preuves au dossier démontrent sans équivoque la possibilité de torture en cas de renvoi en Inde, tel qu’il était conclu dans les trois décisions précédant le refus de protection du 11 mai 2006.

Il prétend que la déléguée du Ministre, dans sa décision du 11 mai 2006, en lui imputant des crimes qu’il n’a pas personnellement commis, a crée un risque additionnel pour lui. En outre, plusieurs erreurs auraient été commises dans cette décision, dans le sens que la déléguée n’aurait pas tenu compte des extraits qui démontraient l’utilisation de la torture en Inde. Selon ces documents, la torture serait courante comme forme de technique d’interrogation et la police serait formée dans son utilisation, en employant des méthodes sophistiquées qui ne laissaient pas de traces visibles. Le requérant fait valoir que la déléguée du Ministre, plutôt que d’évaluer la possibilité de l’utilisation de la torture par les forces policières, s’aurait contenté d’annoncer que les plus gros problèmes vécus au Pendjab concernaient l’emploi en milieu rural et l’insuffisance d’industries alimentaires. Il note également que l’affirmation de la déléguée relative à l’amélioration des conditions générales au Pendjab ne prouve en aucun cas qu’une personne considérée comme étant un membre au profil haut du BKI ne soit pas torturée. La déléguée aurait ainsi omis de tenir compte de sa situation particulière. Finalement, elle aurait rejeté sans fondement des éléments de preuve objectifs comme le rapport d’Amnistie Internationale de janvier 2003 démontrant que le système judiciaire au Pendjab, malgré la réforme législative tentant d’enrayer la torture, reste très insatisfaisant. En conclusion, le requérant affirme que la documentation générale apportée démontre clairement l’utilisation de la torture par les autorités indiennes, particulièrement contre les militants ou les présumés terroristes. Il affirme que les risques de torture pour lui en cas de renvoi en Inde sont toujours présents.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

Par note verbale du 12 janvier 2007, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond. Il note que, bien que deux demandes de contrôle judiciaire restent en examen devant la Cour fédérale, il ne s’oppose pas, à ce stade, à la recevabilité de la communication au motif que le requérant n’aurait pas épuisé les recours internes, tout en précisant qu’il se réserve le droit de le faire à l’issue des procédures devant les tribunaux canadiens.

L’État partie soutien que la requête doit être rejetée sur le fond car le requérant n’a pas établi un risque personnel, réel et prévisible d’être soumis à la torture en Inde. Il observe que la situation des droits de l’homme au Pendjab s’est considérablement améliorée depuis la fin de la période d’insurrection sikhe.

Il ajoute que la déléguée du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a examiné attentivement les allégations du requérant et conclu qu’il ne risquait pas d’être soumis à la torture en Inde. Le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions à celle de la déléguée en l’absence d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité ou d’irrégularités graves dans la procédure. Selon l’État partie, les représentations du requérant devant le Comité critiquent la décision de la déléguée qui a rejeté sa demande de protection. En ce faisant, le requérant invite indirectement le Comité à exercer un contrôle judiciaire de cette décision. Il rappelle que le rôle du Comité consiste à déterminer l’existence d’une violation de l’article 3 de la Convention et non à exercer un contrôle judiciaire de la décision de la déléguée.

Observations supplémentaires de l’Etat partie

5.Le 28 février 2007, l’État partie informe le Comité que les deux demandes de contrôle judiciaire qu’avait déposées le requérant, l’une contre la décision de la déléguée du Ministre qui a rejeté sa demande de protection et l’autre contre la décision d’exécuter la mesure de renvoi, ont été rejetées par la Cour fédérale du Canada le 1 février 2007. La Cour a estimé que ces demandes étaient devenues théoriques et qu’il n’y avait pas lieu pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur d’un examen au fond des décisions attaquées. Ce jugement est susceptible d’appel à la Cour d’appel fédérale si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale. Ni le requérant ni le gouvernement du Canada n’ayant demandé, dans le délai prescrit par la Cour, qu’une telle question soit certifiée et la Cour n’ayant pas elle-même certifié une telle question, le jugement de la Court fédérale est devenu exécutoire.

Commentaires du conseil sur les observations de l’État partie

6.1Le 6 avril 2007, le conseil conteste les observations de l’État partie et communique au Comité des nouveaux faits survenus depuis le dépôt de la plainte auprès du Comité.

Les nouveaux faits survenus depuis le dépôt de la plainte auprès du Comité

Le conseil informe que, le 11 juin 2006, une demande de contrôle judiciaire contre la décision d’exécuter le renvoi du requérant a été déposée. Une autre demande de contrôle judiciaire contre la décision de protection du 11 mai était alors toujours en cours devant la Court fédérale. Le 12 juin 2006, le conseil aurait été informée que le renvoi du requérant était prévu pour le 16 juin 2006. Elle affirme que, malgré plusieurs demandes effectuées pour connaître l’heure exacte du renvoi ainsi que la destination exacte, aucune information ne lui a été fournie.

Une requête en sursis intérimaire en demandant d’être entendue d’urgence par conférence téléphonique a été alors déposée auprès de la Cour fédérale. Le gouvernement canadien a accepté de surseoir temporairement au renvoi du requérant en attendant que la décision de la Cour fédérale sur la requête en sursis soit entendue le ou vers le 16 juin 2006. Le 23 juin 2006, une décision négative a été rendue par la Cour fédérale sur la requête en sursis, le renvoi étant dès lors devenu exécutoire.

Le 30 juin 2006, le conseil a déposé un avis d’appel contre la décision sur la requête en sursis auprès de la Cour d’appel fédérale, qui l’a rejeté ce même jour.

Le 2 juillet 2006, le gouvernement canadien a déporté le requérant vers l’Inde, malgré la demande de mesures intérimaires du Comité. Le conseil réaffirme ne pas avoir été informée de la destination. Elle note que, suite à la déportation du requérant, elle a été informée, le ou vers le 5 juillet 2006, que le requérant avait été arrêté par la police locale à son arrivée à l’aéroport et qu’il avait été transporté au poste de police de Gurdaspur, où il est resté en détention jusqu’au 10 juillet 2006, faisant face à plusieurs accusations criminelles graves. Elle affirme avoir également été informée que le requérant a été battu et maltraité par les autorités indiennes lors de sa détention au poste de police de Gurdaspur. Selon le conseil, le requérant a ensuite été transféré du centre de détention de police vers le CJM (Chief Judicial Magistrate).

Après la déportation du requérant, les deux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire contre la décision de protection du 11 mai 2006 et de la décision d’exécuter le renvoi du requérant, respectivement, furent autorisées. En date du 29 août 2006, le juge a conclut qu’il existait des questions sérieuses à débattre dans ce dossier et les demandes furent donc entendues devant la Cour fédérale le 22 janvier 2007.

Le 1 février 2007, les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire ont été rejetées par la Cour fédérale, qui a conclu qu’elles étaient devenues théoriques en raison de l’exécution du renvoi du requérant. Le renvoi du requérant malgré les demandes toujours en cours d’examen a donc privé ce dernier des recours dont il disposait au Canada, ayant ainsi épuisé tous les recours internes.

Le conseil est entré en contact avec le requérant en Inde le 13 mars 2007. Ce dernier lui a expliqué qu’il était accusé d’avoir fourni des explosifs à une personne ayant été condamnée en vertu des Lois canadiennes sur les armes et les substances explosives. Il a également expliqué qu’il avait été battu par les autorités policières lors de son séjour en prison et qu’il aurait été menacé d’être battu davantage s’il dénonçait ces actes.

Commentaires sur le fond

Le conseil fait noter que, en renvoyant le requérant vers l’Inde, l’État partie a violé ses droits dans le processus de détermination des risques de torture et l’article 3 de la Convention. Elle rappelle que les risques de torture pour le requérant ont été niés par les autorités canadiennes pour pouvoir procéder légalement à son renvoi. La détermination par le gouvernement canadien des risques de torture pour le requérant en cas de renvoi était erronée, notamment en raison de la consultation d’éléments de preuve secrets, éléments que ce dernier ne pouvait consulter et auxquels il ne pouvait s’opposer.

Elle allègue, en outre, que le gouvernement canadien a pris part à la décision de protection du requérant, violant ainsi son droit d’être jugé par un décideur indépendant et impartial. Elle note que, tel qu’il ressort d’un courriel d’une fonctionnaire de l’Unité de sécurité et crimes de guerre du gouvernement, à l’ASFC du 10 mai 2006, l’ASFC était déjà à cette date informée que la décision de protection serait négative et que la procédure de renvoi était enclenchée et ce, même si ladite décision n’apparaissait pas encore au fichier informatique de l’immigration (SSOBL). Or, le requérant n’a quant à lui été informé de la décision négative le concernant que le 15 mai 2006. L’exécution du renvoi du requérant était donc déjà enclenchée et ce, malgré que celui-ci n’avait pas encore été informé de cette décision et malgré le fait qu’il disposait à ce stade ci de différents recours à l’encontre de cette décision. Elle conclu que la déléguée du Ministre chargée de rendre la décision de protection n’a pas agit de manière indépendante et impartiale.

Pour le conseil, la décision du 23 juin 2006 refusant la demande de sursis est illégale et erronée en fait et en droit puisque la preuve démontrait le risque probable de torture en cas de renvoi du requérant, contrairement à l’article 3 de la Convention. Le conseil fait valoir que la requête en sursis devait être présentée de manière intérimaire et ce, compte tenu qu’elle avait était informée de la date du renvoi avec très peu de temps pour préparer la requête et de la complexité du dossier. Cependant, le juge présidant l’audience a refusé d’entendre la demande de manière intérimaire et a exigé que les procureurs présentent leurs arguments au fond. Cette façon d’agir serait contraire au droit du requérant d’être valablement représenté. La décision de sursis est erronée, car le juge de première instance a ignoré la preuve concluant au risque probable de torture ou de persécution en cas de retour en Inde, soit les trois décisions ERAR.

Le conseil note que le requérant a été arrêté et détenu pendant presque quatre ans sur la base des éléments de preuve secrets sans jamais avoir eu la possibilité de connaître les allégations et les preuves contre lui. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Charkaoui, a récemment conclut que la tenue de procès secrets sur la base d’éléments de preuve non dévoilées au demandeur en l’absence d’un débat contradictoire sur la recevabilité de ces éléments de preuve violait les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité prévus à l’article 7 de la Charte canadienne.

Le requérant a vécu pendant ces quatre années de détention sous la menace constante d’être renvoyé vers un pays où il risquerait la torture, ce qui équivaut per se à une forme de torture et constitue une violation de l’article 3 de la Convention. Il a souffert de détresse psychologique grave et de symptômes d’insomnie et de stress, tel que certifié dans le rapport psychologique soumis en 2003, ce qui ajoutait un risque supplémentaire en cas de renvoi.

Le conseil rappelle la prohibition absolue, en droit international, du renvoi d’une personne susceptible d’être à un risque de torture et allègue que le renvoi du requérant constitue une violation délibérée et directe des engagements internationaux de l’État partie et de l’article 3 de la Convention.

Le conseil conclut que le renvoi du requérant en dépit des décisions concluant au risque de torture et persécution, de l’absence de changement de circonstances, de l’ordonnance intérimaire du Comité, de l’état de santé du demandeur et de la preuve du risque actuel de torture est inconstitutionnel et constitue une violation directe de l’article 3 de la Convention. Cela aurait été démontré par l’arrestation du requérant dès son arrivée en Inde, les accusations graves portées à son encontre ainsi que le fait qu’il aurait été battu et menacé par les autorités indiennes.

Observations supplémentaires des parties

Le 26 juillet de 2007, l’État partie indique que la seule question pertinente à être tranchée par le Comité est celle de déterminer si, au moment du renvoi du requérant, il y avait des motifs sérieux de croire qu’il serait personnellement à risque de torture en Inde. Les allégations soulevées par le conseil se rapportant à certaines étapes du processus avant renvoi sont incompatibles ratione materiae avec l’article 3 de la Convention. L’État partie rappelle que l’article 3 ne reconnait pas le droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial, le droit d’être valablement représenté par procureur ou le droit de connaître la preuve contre soi. Les allégations selon lesquelles les décisions rejetant la demande de protection et la demande de sursis du requérant étaient arbitraires et illégales ne peuvent entraîner une violation de l’article 3. L’État partie estime que le conseil demande en effet au Comité de siéger en appel des décisions des instances canadiennes.

En ce qui concerne l’allégation que l’État partie aurait « pris part » à la décision de la déléguée, l’État partie estime que cette allégation est également irrecevable au motif qu’elle n’a pas épuisé les recours internes, du moment où le requérant l’a soulevé pour la première fois devant le Comité tandis qu’il aurait dû la soulever devant la Cour fédérale du Canada.

L’État partie estime que les allégations du conseil se rapportant au processus avant renvoi sont irrecevables au motif qu’elles ne présentent pas le fondement minimum requis pour les rendre compatibles avec l’article 22 de la Convention. Alternativement, les allégations relatives au processus avant renvoi ne constituent pas de violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie indique que les allégations du requérant sur le refus de la Cour fédérale d’entendre les parties de façon intérimaire et sur son droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial étaient en fait soulevées devant la Cour fédérale, qui a considéré que les délais accordés pour introduire la demande de sursis étaient normaux et a noté que le requérant était au courant depuis le 15 ami 2006 que sa demande de protection avait été rejetée et que des procédures de renvoi seraient entreprises. L’État partie manifeste que le requérant avait pu préparer sa demande de sursis bien avant le 12 juin 2006. Quant à la deuxième allégation, le juge présidant la séance d’examen de la demande de sursis a noté que le seul fait d’avoir été saisi du même dossier dans le cadre de procédures antérieures ne faisait pas naître en soi une crainte raisonnable de partialité. L’État partie conclut que les allégations du requérant ont été examinées par les instances nationales dans le respect de la loi et ont été rejetées.

Quant à l’allégation selon laquelle la décision rejetant la demande de sursis était illégale et erronée, l’État partie affirme que la Cour fédérale a consulté l’ensemble des preuves documentaires, incluant la nouvelle preuve déposée par le requérant, et a conclu qu’elle n’était pas convaincue que le requérant courrait un risque d’être victime de torture en cas de renvoi.

Sur l’allégation que l’État partie aurait pris part dans la décision de la déléguée du Ministre du 11 mai 2006 rejetant la demande de protection du requérant, l’État partie note que cette allégation s’appuie sur un courriel que l’employée de l’ASFC. Il affirme que l’Agence n’a aucunement influencé la prise de décision par la déléguée, qui a agi de manière tout à fait impartiale. Par ailleurs, l’État partie précise qu’il n’y a pas eu trois « décisions antérieures » favorables mais une décision du 2 décembre 2003, laquelle a été annulée, et deux évaluations des risques de torture effectuées par des agents d’ERAR (du 26 juin 2003 et 31 août 2005). Il note que, bien que les délégués doivent tenir compte de ces évaluations, ils ne sont pas liés par elles et la décision finale sur la demande de protection leur revient.

Quant à la preuve « secrète », l’État partie affirme qu’il n’y a pas de lien entre la détermination des risques par les autorités canadiennes et la consultation de la preuve non divulguée au requérant pour des raisons de sécurité. Lorsque la déléguée a examiné la question de risque de torture, elle n’a pas considéré le danger que représentait le requérant pour la sécurité du Canada. Sa conclusion n’a donc pas été basée sur les éléments de preuve non divulgués. L’État partie ajoute que la Loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés permet à un commissaire, lors d’une enquête pour déterminer si un étranger est interdit au territoire, de tenir compte d’informations pertinentes sans les divulguer au demandeur au motif que leur divulgation porte atteinte à la sécurité nationale, à la condition toutefois qu’un résumé des informations soit remis au demandeur, ce qui a été le cas en l’espèce.

L’État partie note que les allégations concernant le non-respect des mesures provisoires du Comité et le menaçant de le renvoyer vers un pays où il subirait des risques de torture n’ont jamais été invoquées devant les juridictions internes. Alors que le Canada prend au sérieux ses obligations internationales aux termes de la Convention, il estime que les demandes de mesures provisoires ne sont pas juridiquement contraignantes. Contrairement à la décision du Comité dans une affaire antérieure, Tebourski c France, l’État partie affirme que le non-respect d’une telle demande ne peut donc, à lui seul, entraîner une violation des articles 3 et 22 de la Convention. Il note que, dans l’affaire T.P.S. c Canada, le Comité, bien qu’il se dit préoccupé par le fait que le Canada n’avait pas respecté la demande de mesures provisoires qui lui avait été adressée, a néanmoins conclu que le Canada n’avait pas violé l’article 3 de la Convention en renvoyant le requérant en Inde.

Quant à l’allégation que la « menace du renvoi vers la torture » constitue en soi une violation de l’article 3, l’État partie estime qu’elle doit être déclarée incompatible ratione materiae avec l’article cité. En tout cas, cette allégation est irrecevable parce qu’elle ne présente le fondement minimum. Il nie, en tout cas, avoir torturé psychologiquement le requérant. L’État partie affirme que le déroulement de procédures légales visant la détermination de la recevabilité d’une personne dans un pays et la seule possibilité d’être renvoyé vers un pays où des risques de torture sont allégués ne sauraient constituer de « torture » au sens de l’article premier de la Convention.

L’État partie fait valoir qu’il étudie toujours attentivement les demandes de mesures provisoires adressées par le Comité et a normalement respecté ces demandes. Dans le cas d’espèce, il a estimé, après étude du dossier et sur la base notamment de la décision négative de la déléguée du Ministre concernant les risques de retour en Inde ainsi que le rejet de la demande de sursis du requérant par la Cour fédérale, que le requérant n’avait pas établi un risque sérieux de torture en Inde.

En ce qui concerne l’allégation de la violation prétendue de l’article 3 de la Convention sur la base du renvoi du requérant en Inde, l’État partie rappelle que la question doit être examinée à la lumière de toutes les renseignements dont les autorités canadiennes étaient au courant ou auraient du être au courant au moment de l’expulsion. Il rappelle que, bien que la torture soit encore parfois pratiquée en Inde, incluant le Pendjab, le requérant n’a pas établi l’existence d’un risque personnel, prévisible et réel de torture. Il note que le conseil a dit avoir été informée, par l’entremise du beau-frère du requérant, que ce dernier aurait été battu et maltraité par les autorités indiennes lors de sa détention. L’État partie rappelle que le requérant a été jugé non crédible par les autorités canadiennes et que, par conséquent, le Comité devrait accorder peu de poids à de telles allégations. En tout cas, l’article 3 s’applique uniquement dans les cas de torture et ne protège pas contre les mauvais traitements visés à l’article 16 de la Convention.

Dans une lettre du 24 septembre 2007, le conseil réitère tous ses arguments précédents.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Avant d’examiner une plainte contenue dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie que les allégations du requérant se rapportant au processus avant renvoi, à savoir, celles relatives aux erreurs et illégalités des décisions des autorités canadiennes, au refus de lui révéler certains éléments de preuve, au refus de la Cour fédérale d’entendre les parties de façon intérimaire et à la supposée partialité de cette Cour, sont incompatibles ratione materiae avec l’article 3 de la Convention. Or, le Comité considère que les irrégularités invoquées doivent être examinées aux effets de déterminer l’existence d’une violation de l’article 3 de la Convention.

Quant à l’allégation du conseil que la menace constante du requérant d’être renvoyé vers un pays où il risque la torture, sous laquelle il a vécu pendant 4 ans, et qui lui a causé une « détresse psychologique grave », constitue en soi une forme de torture, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’aggravation de l’état de santé d’un requérant à la suite de son expulsion –où, dans l’espèce, de la menace de renvoi pendant le processus- ne constitue pas en soi une forme de torture, ni de traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 1 ou de l’article 16 de la Convention.

Pour ce qui concerne l’argument de l’État partie faisant valoir que la plainte concernant la violation de l’article 3 de la Convention sur la base du renvoi du requérant vers l’Inde n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, le Comité estime que le requérant a apporté assez d’éléments pour lui permettre d’examiner l’affaire sur le fond.

En conséquence, le Comité décide que la requête est recevable en ce qui concerne la violation prétendue de l’article 3 sur la base du renvoi du requérant en Inde. L’allégation relative au non-respect de la demande du Comité de sursoir au renvoi exige également un examen sur le fond sous l’angle des articles 3 et 22 de la Convention.

Examen sur le fond

Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête quant au fond en tenant compte des informations qui lui ont été présentées par les parties.

Le Comité prend note de l’argument du requérant que la déléguée du Ministre, dans sa décision du 2 décembre 2003, aurait utilisé des critères impertinents, à savoir, le danger que la personne constituerait pour la sécurité du Canada, pour lui refuser la protection. Le Comité rappelle que l’article 3 accorde une protection absolue à toute personne se trouvant sur le territoire d’un État partie, sans considération pour la qualité de cette personne et sa dangerosité sociale. Le Comité note que la déléguée du Ministre avait conclu, dans la décision susmentionnée, qu’il existait un risque personnel et réel de torture pour le requérant en cas de renvoi. Cependant, elle a considéré que l’intérêt général de la sécurité du Canada devait prévaloir sur le risque de torture du requérant et lui a refusé la protection sur cette base.

Le Comité prend également note de l’argument du requérant que, dans sa décision du 11 mai 2006, la déléguée du Ministre aurait omis de tenir compte de la situation particulière du requérant et s’aurait contenté d’énoncer une prétendue amélioration des conditions générales au Pendjab pour lui refuser la protection. L’État partie a répondu à cet argument en affirmant qu’il n’est pas le rôle du Comité d’exercer un contrôle judiciaire des décisions des instances canadiennes et que ce dernier ne devrait pas substituer ses propres conclusions à celle de la déléguée en l’absence d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité ou d’irrégularités graves dans la procédure. Le Comité rappelle que, s’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l'État partie, il a la faculté d'apprécier librement les faits dans les circonstances de chaque affaire. En l'espèce, le Comité note que, dans sa décision de protection du 11 mai 2006, la déléguée a nié l’existence d’un risque réel et personnel de torture sur la base d’un nouvel examen et s’est contentée du fait qu’une nouvelle loi serait approuvée en Inde qui offrirait une protection contre la torture aux accusés, sans considérer la mise en œuvre effective de cette loi ni l’impacte que celle-ci aurait sur la situation particulière du requérant.

Quant à l’utilisation par les autorités Canadiennes des preuves non divulguées au requérant pour des raisons de sécurité, le Comité prend note de l’argument de l’État partie que cette pratique serait autorisée par la Loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés et que, en tout cas, ces preuves n’auraient pas fondé la décision de la déléguée du Ministre, du fait que celle-ci n’aurait pas considéré le danger que le requérant constituait pour la sécurité du Canada lors qu’elle a examiné la question des risques. Or, le Comité constate que, dans toutes ses deux décisions, la déléguée a examiné l’existence d’un danger à la sécurité nationale.

Sur la base de tout ce qui précède, le Comité considère que le requérant n’a pas bénéficié des garanties nécessaires dans le procès avant renvoi. L’État partie est obligé, dans la détermination de l’existence d’un risque de torture dans le cadre de l’article 3, de fournir un procès équitable aux personnes faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion.

En ce qui concerne l’existence d’un risque de torture au moment du renvoi du requérant, le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant vers l’Inde, l’État partie a manqué à l’obligation qui lui est faite, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour déterminer s’il existait, au moment du renvoi, des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Inde, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risquait personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il a été renvoyé.

Le Comité rappelle son Observation générale sur l’application de l’article 3, selon laquelle l’existence d’un risque de torture «doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.» (A/53/44, annexe IX, par. 6).

Le Comité doit se prononcer sur l’existence des motifs sérieux de torture à la lumière des renseignements dont les autorités de l’État partie étaient au courant ou auraient dû être au courant au moment du renvoi. Dans le cas d’espèce, le Comité observe que, d’après toutes les informations qui lui ont été fournies, notamment le rapport du SCRS et les deux décisions ERAR, le requérant était un militant soupçonné du BKI, une organisation présumé terroriste, et certains attentats contre des personnalités politiques indiennes lui seraient imputés. Les informations obtenues après le renvoi, à savoir sa détention et les mauvais traitements auxquels il aurait été soumis lors de sa détention au Gurdaspur, ne sont pertinents que pour évaluer la connaissance, effective ou déductive, qu’avait l’État partie sur le risque de torture au moment de l’expulsion du requérant.

Le Comité observe également que, selon l’information de plusieurs sources et les rapports fournis par le requérant, les forces de sécurité et de police indiennes continuent à avoir recours à la torture, entre autres, dans les interrogatoires et dans les centres de détention, spécialement contre de présumés terroristes.

Sur la base de ce qui précède, et tenant compte, en particulier, de la condition du requérant en tant que présumé militant d’une organisation considérée terroriste, ainsi que du fait qu’il était recherché dans son pays pour des attentats commis à l’encontre de diverses personnalités au Pendjab, le Comité estime que le requérant a fourni, au moment de son renvoi, des éléments de preuve suffisants permettant de considérer qu'il était confronté à un risque prévisible, réel et personnel d'être soumis à la torture en cas de son renvoi vers son pays d'origine. Le Comité conclut donc que le renvoi du requérant vers l’Inde dans ces circonstances a constitué une violation de l’article 3 de la Convention.

En ce qui concerne le non-respect de la demande de sursoir au renvoi formulée par le Comité le 14 juin 2006 et réitéré le 30 juin 2006, le Comité rappelle que, en ratifiant la Convention et en acceptant de son plein gré la compétence du Comité au titre de l’article 22, l’État partie s’est engagé à coopérer de bonne foi avec le Comité en donnant pleinement effet à la procédure d’examen de plaintes émanant de particuliers qui y est prévue. Le Comité rappelle également que les obligations de l’État partie comprennent le respect des règles adoptées par le Comité, qui sont indissociables de la Convention, y compris l’article 108 du Règlement, qui vise à donner un sens et une portée aux articles 3 et 22 de la Convention. Le Comité considère dès lors qu’en renvoyant le requérant vers l’Inde malgré la demande réitérée des mesures provisoires du Comité, l’État partie a méconnu les obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 22 de la Convention.

Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que l’expulsion du requérant vers l’Inde le 2 juillet 2006 a constitué une violation des articles 3 et 22 de la Convention.

Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite aux présentes constatations, notamment pour réparer la violation de l’article 3 de la Convention et pour déterminer, en consultation avec le pays dans lequel le requérant a été renvoyé, le lieu où il réside et quel est son sort.

[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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